compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉPÔT DE RAPPORTS du Gouvernement
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur l'évaluation de la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives et le rapport d'évaluation, en application de la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille et du contrôle sanitaire.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
3
SCRUTIN POUR L'éLECTION D'UN VICE-PRéSIDENT DU SéNAT
M. le président. L'ordre du jour appelle le scrutin pour l'élection d'un vice-président du Sénat.
En application de l'article 3, alinéa 7, du règlement, l'élection a lieu au scrutin secret.
Je rappelle que, aux termes de l'alinéa 8 de l'article 3 du règlement, si la majorité absolue des suffrages exprimés n'a pas été acquise au premier ou au second tour, au troisième tour la majorité relative suffit.
Il va être procédé à ce scrutin dans la salle des conférences, en application de l'article 61 du règlement.
J'ai été saisi des candidatures de MM. Bernard Frimat et Philippe Richert.
Je prie M. Jean-Léonce Dupont, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote et de dépouillement.
Un bulletin de vote a été établi au nom de chacun des deux candidats.
Il va être procédé au tirage au sort de deux scrutateurs titulaires et d'un scrutateur suppléant, qui opéreront le dépouillement du scrutin.
Sont désignés :
Scrutateurs titulaires : Mme Gisèle Printz et Mme Isabelle Debré.
Scrutateur suppléant : M. Jean Boyer.
4
scrutin pour l'élection d'un membre représentant la France au Conseil de l'Europe et à l'assemblée de l'Union de l'europe occidentale
M. le président. L'ordre du jour appelle également le scrutin pour l'élection d'un membre titulaire représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et à l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale.
En application des articles 2 et 3 de la loi n° 49-984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise pour cette élection.
Il va être procédé à ce scrutin dans la salle des conférences, en application de l'article 61 du règlement.
J'ai été saisi de la candidature de M. Francis Grignon.
Je prie M. Jean-Léonce Dupont, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote et de dépouillement.
Il va être procédé au tirage au sort de deux scrutateurs titulaires et d'un scrutateur suppléant, qui opéreront le dépouillement du scrutin.
Sont désignés :
Scrutateurs titulaires : Mme Maryse Bergé-Lavigne et M. Laurent Béteille (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Scrutateur suppléant : M. Alain Dufaut.
Je déclare ouverts les deux scrutins pour l'élection d'un vice-président et pour l'élection d'un membre titulaire de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Ces deux scrutins seront clos dans une heure.
5
Candidatures à la délégation du Sénat pour l'Union européenne
M. le président. L'ordre du jour appelle la désignation de deux membres de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Le groupe Union pour un mouvement populaire m'a fait connaître qu'il proposait la candidature de Mme Fabienne Keller.
Le groupe socialiste m'a fait connaître qu'il proposait la candidature de M. Roland Ries.
Ces candidatures ont été affichées. Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
6
CANDIDATURE À la délégation du sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
M. le président. L'ordre du jour appelle la désignation d'un membre de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Le groupe Union pour un mouvement populaire m'a fait connaître qu'il proposait la candidature de Mme Esther Sittler.
Cette candidature a été affichée. Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
7
Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Suite de la discussion d'une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (nos 181, 203, 205).
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour un rappel au règlement.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, je suis heureux de pouvoir aborder en votre présence la question importante qui fait l'objet de mon rappel au règlement.
En vérité, je veux élever la plus vive protestation quant à l'organisation de nos débats.
Une nouvelle fois, à l'occasion de la discussion d'un texte dont a été saisie la commission des affaires sociales, l'exercice du droit que nous confère la Constitution de déposer des amendements se trouve contrarié du fait de la réserve qui a été ordonnée hier soir à la suite de la demande formulée M. Gournac, vice-président de ladite commission, cette demande ayant été acceptée par M. le ministre.
N'est-il pas tout à fait légitime que des parlementaires puissent déposer des amendements tendant à insérer des articles additionnels visant à parfaire un texte, à en corriger les défauts ou les insuffisances ?
Monsieur le président, les manoeuvres régulièrement utilisées pour empêcher l'opposition d'exercer son rôle de législateur deviennent de plus en plus insupportables.
Je demande solennellement que la commission des affaires sociales retire sa demande de réserve et qu'elle soit réunie immédiatement afin de débattre de l'organisation de nos travaux.
M. le président. Monsieur Muzeau, la réserve demandée par la commission est parfaitement conforme au règlement, et personne, jusqu'à présent, n'a jugé nécessaire de proposer la modification de celui-ci sur ce point. On peut seulement regretter que l'on ait usé ou abusé de la procédure évoquée. Aujourd'hui, notre règlement est ainsi fait !
M. Roland Muzeau. Mais, monsieur le président, le poison est dans la dose ! Il ne faut pas exagérer ! Chaque fois, sans aucune exception, qu'un texte relatif au droit du travail est examiné par le Sénat - M. Larcher peut en témoigner, et c'était la même chose lorsque M. Fillon était en charge des affaires sociales -, la commission des affaires sociales a recours à cette manoeuvre.
Qu'on utilise le règlement, soit, monsieur le président, mais à ce point, cela devient assez fâcheux !
M. Guy Fischer. On veut nous museler !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je m'associe, monsieur le président, au rappel au règlement de notre collègue Roland Muzeau, car le fait est que le procédé est systématique : dès qu'un texte concernant le droit du travail est débattu, l'examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels se trouve renvoyée à la fin de la discussion.
Cela n'a d'autre but que d'empêcher tout débat réel dans la mesure où, nous le savons bien, à la fin de la discussion, nos propositions et nos explications n'ont plus du tout la même portée.
J'estime détestable que nous ne puissions très librement nous exprimer au sujet de textes d'une telle importance.
M. Guy Fischer. Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy. Le règlement, bien sûr, est ainsi fait. Mais pourquoi l'employer systématiquement, sinon pour nous faire taire ou pour faire perdre beaucoup de poids à ce que nous avons à dire ?
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Jean-Pierre Godefroy. Cela me semble inacceptable, et j'aimerais, moi aussi, que M. Gournac réunisse maintenant la commission des affaires sociales, de manière que celle-ci puisse trouver des modalités satisfaisantes de débat. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Merci, mon cher collègue, d'avoir bien voulu souligner que c'est du règlement qu'il est, en l'occurrence, fait application.
Précisons que la règle en question ne date pas d'hier ; voilà bien longtemps qu'elle existe, et personne dans cette assemblée n'a éprouvé le besoin de la modifier. Il n'est cependant pas interdit d'y songer.
J'ajouterai, pour paraphraser M. de Talleyrand, que tout ce qui est excessif devient, à terme, insignifiant.
Nous allons maintenant passer à la discussion des articles et, donc, à l'examen de l'article 1er.
M. Roland Muzeau. Mais, monsieur le président, nous devons voter pour élire un vice-président et un représentant au Conseil de l'Europe.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, il paraît difficile de débattre sur cette proposition de loi tout en participant au scrutin qui se déroule dans la salle des conférences. Pour ma part, je veux et voter et participer au débat, mais je suppose qu'un certain nombre de nos collègues sont dans la même situation.
Nous pensions que la séance serait suspendue pour une heure, comme vous l'aviez vous-même suggéré, monsieur le président.
M. Yves Coquelle. Ce serait logique !
M. le président. Je propose que, si personne ne s'y oppose, nous interrompions nos travaux pendant dix minutes.
M. Roland Muzeau. Ce ne sera pas suffisant !
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Article 1er
I. - L'article L. 227-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 227-1. - Une convention ou un accord collectif de branche, de groupe, d'entreprise ou d'établissement peut prévoir la création d'un compte épargne-temps au profit des salariés.
« Le compte épargne-temps permet au salarié d'accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non prises.
« Peuvent y être affectés, dans les conditions et limites définies par la convention ou l'accord collectif, les éléments suivants :
« - à l'initiative du salarié, tout ou partie du congé annuel prévu à l'article L. 223-1 excédant la durée de vingt-quatre jours ouvrables, les heures de repos acquises au titre du repos compensateur prévu au premier alinéa du II de l'article L. 212-5 et à l'article L. 212-5-1 ainsi que les jours de repos et de congés accordés au titre de l'article L. 212-9 et du III de l'article L. 212-15-3 ou les heures effectuées au-delà de la durée prévue par la convention individuelle de forfait conclue en application du I ou du II de l'article L. 212-15-3 ;
« - à l'initiative de l'employeur, les heures effectuées au-delà de la durée collective du travail, lorsque les caractéristiques des variations de l'activité le justifient.
« La convention ou l'accord collectif peut prévoir en outre que ces droits peuvent être abondés par l'employeur ou par le salarié, notamment par l'affectation, à l'initiative du salarié, des augmentations ou des compléments du salaire de base ou dans les conditions prévues par l'article L. 444-6.
« La convention ou l'accord collectif définit les conditions dans lesquelles les droits affectés sur le compte épargne-temps sont utilisés, à l'initiative du salarié, soit pour compléter la rémunération de celui-ci, dans la limite des droits acquis dans l'année sauf disposition contraire prévue par la convention ou l'accord collectif, soit pour alimenter l'un des plans d'épargne mentionnés aux articles L. 443-1, L. 443-1-1 et L. 443-1-2, contribuer au financement de prestations de retraite lorsqu'elles revêtent un caractère collectif et obligatoire déterminé dans le cadre d'une des procédures visées à l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale ou procéder au versement des cotisations visées à l'article L. 351-14-1 du même code, soit pour indemniser en tout ou partie un congé, notamment dans les conditions prévues aux articles L. 122-28-1, L. 122-32-12, L. 122-32-17 ou L. 225-9 du présent code, une période de formation en dehors du temps de travail effectuée notamment dans le cadre des actions prévues à l'article L. 932-1, un passage à temps partiel, ou une cessation progressive ou totale d'activité.
« Lorsque la convention ou l'accord collectif prévoit que tout ou partie des droits affectés sur le compte épargne-temps sont utilisés pour effectuer des versements sur un ou plusieurs plans d'épargne pour la retraite collectifs mentionnés à l'article L. 443-1-2, ceux de ces droits qui correspondent à un abondement en temps ou en argent de l'employeur bénéficient du régime prévu aux articles L. 443-7 et L. 443-8 dans les conditions et limites fixées par ces articles.
« La convention ou l'accord collectif précise en outre, le cas échéant, les conditions d'utilisation des droits qui ont été affectés sur le compte épargne-temps à l'initiative de l'employeur.
« La convention ou l'accord collectif de travail définit par ailleurs les modalités de gestion du compte.
« A défaut de dispositions d'une convention ou d'un accord collectif de travail prévoyant les conditions de transfert des droits d'un employeur à un autre, le salarié perçoit en cas de rupture du contrat de travail une indemnité correspondant à la conversion monétaire de l'ensemble des droits qu'il a acquis.
« Cette indemnité est également versée lorsque les droits acquis atteignent, convertis en unités monétaires, un montant déterminé par décret, sauf lorsque la convention ou l'accord collectif de travail a établi pour les comptes excédant ce montant un dispositif d'assurance ou de garantie répondant à des prescriptions fixées par décret. Le montant précité ne peut excéder le plus élevé de ceux fixés en application de l'article L. 143-11-8.
« Les droits acquis dans le cadre du compte épargne-temps sont garantis dans les conditions de l'article L. 143-11-1.
« Les dispositions du présent article sont applicables aux salariés définis aux deuxième à quatrième, septième et huitième alinéas de l'article L. 722-20 du code rural. »
II. - L'article L. 443-7 du même code est ainsi modifié :
1° Après la première phrase du premier alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Les versements à un ou plusieurs plans d'épargne pour la retraite collectifs peuvent inclure des droits provenant d'un compte épargne-temps dans les conditions mentionnées au huitième alinéa de l'article L. 227-1. » ;
2° Aux troisième et dernier alinéas, le mot : « versées » est remplacé par les mots : « et droits versés ».
III. - L'article L. 443-8 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les sommes et droits mentionnés à l'article L. 443-7 peuvent être déduits par l'entreprise de son bénéfice pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu selon le cas. » ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « Elles ne sont pas prises » sont remplacés par les mots : « Ils ne sont pas pris » ;
3° Au troisième alinéa, les mots : « Elles sont exonérées » sont remplacés par les mots : « Ils sont exonérés ».
La parole est à Mme Eliane Assassi, sur l'article.
Mme Eliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le compte épargne-temps a été créé en 1994 par le gouvernement d'Edouard Balladur, son objet étant de « permettre au salarié qui le désire d'accumuler des droits à congé rémunéré ». Il devait être alimenté principalement par des jours de congé et de repos ainsi que par des éléments de rémunération convertis en temps.
Il a été réformé par la loi Aubry du 19 janvier 2000, puis par la loi Fillon du 17 janvier 2003, cette dernière lui apportant des modifications majeures.
Conçu initialement comme une épargne-temps permettant au salarié de se faire rémunérer un congé lié à ses besoins personnels, le dispositif est devenu, du fait des derniers assouplissements qui lui ont été apportés, un moyen pour le salarié de se constituer une épargne si cette option est retenue par les partenaires sociaux dans les conditions légales.
Aujourd'hui, il s'agit de monétiser complètement le compte épargne-temps, et l'argument avancé pour que le salarié épargne non plus du temps mais uniquement de l'argent porte sur l'augmentation du pouvoir d'achat.
Il est vrai que, depuis que l'actuel gouvernement est en place, le pouvoir d'achat a particulièrement baissé : après cinq années de croissance exceptionnelle, entre 1998 et 2002, le gain de pouvoir d'achat global a été quasi nul en 2003 et il n'aurait été - ce n'est pas nous qui le disons, mais l'INSEE - que de 1,6 % en 2004.
Vous utilisez donc l'argument du faible pouvoir d'achat pour balayer d'un revers de main les acquis des salariés en termes de temps afin de transformer ce temps en argent. Mais qui vous dit que les salariés souhaitent renoncer à leur RTT ? Certainement pas eux ! En revanche, ils souhaitent que leur pouvoir d'achat augmente et, pour ce faire, il est nécessaire que leurs salaires augmentent.
Il ne serait d'ailleurs pas si choquant d'augmenter les salaires, en ces temps de bénéfices records réalisés par les grandes entreprises cotées au CAC 40. Je rappellerai pour mémoire que Total a réalisé en 2004 un bénéfice net de 9,612 milliards d'euros, Arcelor de 2,314 milliards d'euros, L'Oréal de 3,626 milliards d'euros, BNP Paribas de 4,668 milliards d'euros. Je m'arrête là, mais la liste est encore longue !
Dans ces conditions, il nous semble scandaleux que les richesses ne soient pas redistribuées aux salariés, qui, je vous le rappelle, participent, par leur travail, à la création de ces mêmes richesses.
Comment pouvez-vous leur proposer d'augmenter leur temps de travail et de réduire leur capacité à épargner du temps alors que des entreprises réalisent des milliards d'euros de bénéfices ? Ne serait-il pas possible pour celles-ci d'augmenter les salaires, ce qui aurait inévitablement un impact sur le pouvoir d'achat, sur la consommation et sur l'emploi ?
Au lieu de quoi vous anéantissez la réduction du temps de travail et vous transformez le compte épargne-temps en un simple compte d'épargne.
Vous tentez de faire croire aux salariés qu'en renonçant aux droits au repos cumulés sur leur compte épargne-temps ils bénéficieront d'une augmentation de leur pouvoir d'achat. Si encore c'était vrai ! Mais non ! Les salariés pourront, certes, « épargner » leurs heures supplémentaires, mais celles-ci ne seront pas rémunérées sur le compte épargne-temps au taux qui était applicable au moment où elles ont été effectuées.
Les salariés sont doublement trompés avec cette réforme du compte épargne-temps, ce qui est totalement inadmissible, et c'est pourquoi nous combattrons vigoureusement le dispositif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Coquelle, sur l'article.
M. Yves Coquelle. « Travailler plus pour gagner plus », « donner aux salariés plus de liberté dans la détermination et l'organisation de leur temps de travail », tels sont les nouveaux credo de la majorité dans sa lutte effrénée contre les 35 heures. Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, que ne feriez-vous pas pour les remettre en cause !
Il est vrai que modifier la durée légale du temps de travail est impossible tant les sondages démontrent que les Français sont attachés aux 35 heures. Alors vous procédez de manière insidieuse, en multipliant les textes assouplissant les dispositions des lois Aubry.
Vous avez commencé avec la loi Fillon du 17 janvier 2003, qui est une première remise en cause des 35 heures, en faisant disparaître - l'exemple est significatif - les incitations à la baisse de la durée du travail.
Mais l'anéantissement des 35 heures ne devait pas en rester là : le patronat et le Gouvernement exigeaient davantage d'assouplissements afin que les salariés puissent gagner plus en travaillant plus.
Les chômeurs doivent être ravis d'entendre que toute idée de véritable plan d'aide de retour à l'emploi en leur faveur est abandonnée puisque des centaines de milliers de salariés se retrouveront obligés - je dis bien « obligés » - de faire des heures supplémentaires. La loi de 1998 sur les 35 heures avait pour objectif de créer des emplois, et c'est ce qui s'est produit. En augmentant toujours plus le contingent d'heures supplémentaires autorisées, vous ne favorisez pas le retour à l'emploi des chômeurs.
Ensuite, votre notion de « temps choisi » est tout simplement une escroquerie. M. Souvet s'aventure à affirmer dans son rapport qu'« il n'est pas question d'obliger ces salariés à travailler plus » ; c'est bien la preuve que la majorité sénatoriale est à des années-lumière de la réalité de la vie en entreprise !
Aucun salarié ne dispose de la liberté de choisir son temps de travail, ses horaires de travail et, a fortiori, sa rémunération.
Etant donné la situation économique de la France et l'insécurité sociale permanente, due en partie à un niveau de chômage élevé, le rapport de force entre les salariés et l'employeur est et restera toujours inégal. Les salariés seront dans l'incapacité de refuser toute augmentation de leur temps de travail et ils ne prendront pas le risque de se faire licencier.
Cette proposition de loi ne revient évidemment pas sur les liens de subordination entre le salarié et l'employeur. Ses dispositions sont donc biaisées et constitueront un nouveau facteur d'accroissement de l'insécurité sociale, qui est déjà très grande : le temps choisi deviendra très vite le temps imposé !
En réalité, les assouplissements proposés, présentés comme avantageux pour les salariés, le seront uniquement pour les employeurs.
Les salariés sont en majorité favorables aux 35 heures et les RTT représentent un acquis social important. Pourtant, ce texte poursuit le travail commencé par la loi Fillon de 2003 : nous assistons en effet à un effacement quasi total de la valorisation du temps au profit de la valorisation en argent. C'est le principe de l'article 1er, article qui modifie fondamentalement la philosophie du compte épargne-temps, puisque celui-ci pourra être intégralement monétisé.
Il est donc illusoire de croire qu'avec cette réforme les salariés vont pouvoir gagner plus sans que leurs droits soient, une fois de plus, remis en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Puisque le vice-président de la commission des affaires sociales est revenu dans l'hémicycle, j'attends de lui qu'il apporte une réponse - c'est le moins qu'il puisse faire - sur ma demande de réunion de la commission des affaires sociales, de manière que soit rétabli un ordre normal d'examen des amendements et que nous puissions donc commencer cette discussion par l'examen des amendements qui tendent à introduire des articles additionnels avant l'article 1er.
M. le président. J'ai rappelé tout à l'heure que le règlement avait, en l'espèce, été scrupuleusement respecté.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Mon cher collègue, la réserve a été ordonnée hier soir. Ayant obtenu satisfaction, la commission des affaires sociales ne souhaite pas revenir sur ce qui a été décidé. Elle ne se réunira donc pas sur ce point.
Cela étant, j'aurais très bien pu formuler la demande de réserve au début de la présente séance. Si je l'ai formulée hier soir, c'est par courtoisie, afin de permettre à chacun de se préparer pour aborder directement l'examen de l'article 1er.
M. le président. Je suis saisi de soixante-treize amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 16 est présenté par Mmes Le Texier, Printz, Voynet, Schillinger, Alquier, Khiari, Demontes et Campion, MM. Domeizel, Godefroy, Mélenchon, Michel, Guérini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 156 est présenté par MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour défendre l'amendement n° 16.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, je vous remercie infiniment de la courtoisie que vous avez manifestée en nous informant cette nuit de votre décision de modifier l'organisation de nos débats. Il se trouve toutefois que nous nous étions préparés à défendre dès maintenant, d'entrée de jeu, nos amendements tendant à insérer des articles additionnels avant l'article 1er. Mais croyez bien que la modification de l'ordre d'appel des amendements ne nous empêchera sûrement pas de nous exprimer comme nous l'entendons.
L'article 1er de la proposition de loi qui nous est soumise transforme profondément la nature même du compte épargne-temps. On peut dire qu'après le vote de la loi Fillon de janvier 2003 et celui du présent texte, il ne restera rien des motifs qui avaient présidé à la création du compte épargne-temps.
Je rappelle que c'est la loi du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise qui a créé le compte épargne-temps, afin de favoriser la gestion du temps du salarié sur plusieurs années.
Les lois Aubry ont permis de diversifier les sources d'alimentation du compte épargne-temps, notamment d'y affecter une partie des jours de repos issus d'un accord de réduction du temps de travail.
Les modalités d'utilisation ont aussi été diversifiées, notamment pour la rémunération du temps de la formation qui est réalisée hors temps de travail effectif, point qui a été rétabli par un amendement de nos collègues députés socialistes. Etaient également prévues, pour tenir compte de la réalité des difficultés vécues par les salariés, les possibilités de financer par le compte épargne-temps un congé pour accompagner un enfant handicapé ou un temps partiel lors d'un congé parental. La cessation progressive d'activité en faisait aussi partie.
C'est la loi de 2003 qui a introduit le changement de nature du compte épargne-temps, en mettant en place la monétisation de ce dernier. II s'agissait évidemment d'une première étape, préparant ce qui nous est présenté aujourd'hui.
Depuis cette loi, le compte épargne-temps peut être alimenté en argent sans qu'il soit besoin de le convertir en temps. Le texte affirme d'ailleurs clairement que les droits affectés au compte épargne-temps sont utilisés en premier lieu pour compléter la rémunération du salarié. Les possibilités d'utilisation en temps demeurent. Il n'est évidemment pas possible de les faire disparaître d'un coup. Mais l'orientation est totalement modifiée.
Le compte épargne-temps est donc devenu un simple instrument de placement, un compte d'épargne, à ceci près qu'il n'est pas géré par un organisme financier, tout au moins pour le moment.
Nous sommes en présence d'une transformation radicale puisque l'on passe d'une monétisation possible à une épargne monétaire encouragée. Pour que l'opération soit intéressante à la fois pour l'employeur et pour les organismes extérieurs qui prendront en charge la gestion du compte épargne-temps, toutes les barrières sautent, que ce soit en quantité ou en durée.
Outre que les placements sur le compte épargne-temps se feront désormais sur l'initiative de l'employeur, il ne faut pas nourrir d'illusions sur les incitations patronales à déposer les augmentations de salaires sur le compte épargne-temps pour en faire de la rémunération virtuelle. Même la limite d'utilisation dans les cinq ans, qui avait été maintenue par la loi Fillon, disparaît aujourd'hui. Il est vrai qu'elle constituait un obstacle à la transformation du compte épargne-temps en épargne retraite.
Ce qui était conçu au départ dans une perspective humaniste, pour permettre au salarié d'organiser dans la durée la gestion et la maîtrise de son temps, devient un élément de maîtrise, par l'employeur, à la fois du temps et de la rémunération du salarié. Voilà une inversion des valeurs à laquelle nous ne pouvons souscrire.
Le salarié est dépossédé de la maîtrise de son temps et même de la maîtrise d'une partie de sa rémunération. Il ne dispose plus d'aucune garantie sur le devenir de ce qui lui aura été ainsi soustrait.
Nous demandons donc la suppression de l'article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Coquelle, pour présenter l'amendement n° 156.
M. Yves Coquelle. Dans un article fort intéressant paru dans la revue Droit social de septembre 2002 et consacré à la prise en compte de la vie familiale du salarié dans les normes légales et conventionnelles du travail, Alexia Gardin développe l'idée de « temps choisi », pour le présent et pour l'avenir, afin de relativiser certaines mesures contenues dans notre législation sociale et censées accorder au salarié « un véritable pouvoir de détermination de la durée de son travail ».
Si l'idée de choix individuel sous-tend le droit individuel au temps partiel, la pratique des horaires individualisés ou la prise de jours de repos consécutifs à la RTT en vertu du choix du salarié, concrètement, chaque salarié est très loin de maîtriser son temps de travail.
S'agissant plus particulièrement du compte épargne-temps instauré par la loi de 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise et conçu initialement comme un « nouvel outil de gestion pluriannuelle et individualisée du temps », l'auteur remarque que, « si l'acquisition d'un droit de créance se trouve bien organisée, surtout depuis les lois de 2000 et 2001, qui ont notamment élargi les sources d'alimentation de la créance, le régime de cette dernière peut, sur certains aspects, faire douter de son inscription au rang des manifestations du " temps choisi " ».
Mes chers collègues, en allant bien au-delà de la simplification et de la rénovation du compte épargne-temps, l'article 1er détourne cet outil de son objet. Il pervertit un concept pour mieux flexibiliser le temps de travail et la relation de travail. Or cette flexibilité dépossède justement le salarié de toute sécurité sur son temps.
En fin de compte, comme l'ont déploré les représentants des syndicats devant la commission des affaires sociales, le compte épargne-temps devient une « arme contre le salarié lui-même. »
Que faites-vous de ce dispositif ?
Priorité est d'abord donnée à une utilisation du compte épargne-temps en argent. Cette monétisation sert non pas le pouvoir d'achat des salariés, mais le financement supplémentaire des retraites, retraites que vous savez plombées par la capitalisation à l'oeuvre depuis votre pseudo réforme. C'est un premier motif fort de rejet de cet article.
En outre, vous renforcez les possibilités de détournement de la durée légale du travail, ce qui joue de façon évidente contre l'emploi et contre la santé et la sécurité des salariés, déjà soumises à rude épreuve par l'intensification du travail.
Par ailleurs, cet article alibi que promeut un slogan mensonger, « travailler plus pour gagner plus », torpille insidieusement toute possibilité pour l'ensemble des salariés de bénéficier d'une vraie politique salariale.
La démarche est la même que celle qui pousse à la multiplication des primes et autres accessoires de salaire.
Tout donne à craindre que, demain, les employeurs ne prennent prétexte du fait qu'ils abondent les comptes épargne-temps pour se dispenser d'augmenter les salaires.
Nous reviendrons ultérieurement, au fil des amendements, sur d'autres aspects plus pratiques qui nous inquiètent également, notamment la transférabilité des droits et la garantie des créances par l'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salaires, l'AGS.
Pour l'heure, je vous invite, mes chers collègues, à voter notre amendement tendant à la suppression de l'article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)