PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui fait suite aux débats qui ont été organisés l'année dernière, l'un le 2 décembre 2003 à l'Assemblée nationale, l'autre, auquel j'ai moi-même participé, le 17 décembre 2003 au Sénat.

Il aura donc fallu un an pour que la Haute Assemblée puisse à nouveau débattre de ces questions, cette fois sur un texte proposé par le Gouvernement et déjà largement amendé par nos collègues députés.

Comme je l'indiquais alors, « parce qu'elle a au coeur les valeurs de la République, la France doit assumer son histoire ». C'est donc un moment de vérité que nous pouvons vivre ensemble, si nous en avons le courage et la volonté.

II est avéré qu'en 1962 nos concitoyens d'Afrique du Nord, notamment d'Algérie, ont été contraints d'abandonner dans la précipitation et l'angoisse leurs racines, les tombes de leurs ancêtres, leurs biens, tout ce qui faisait à la fois leur identité et leur vie quotidienne.

Pendant la guerre d'Algérie, mais aussi après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, des actes atroces ont été commis de part et d'autre. Lors des auditions que nous avons menées, tant dans le cadre de la commission des affaires sociales qu'au sein du groupe socialiste, nous avons écouté avec beaucoup d'attention et d'émotion des personnes qui ont été malmenées, parfois brisées par cette période tragique. Nous tenons à leur dire que nous comprenons leur souffrance et que nous voulons contribuer à y porter remède, autant que cela soit possible.

Les épreuves n'étaient cependant pas terminées : en métropole, nos concitoyens n'ont pas reçu l'accueil qui leur était dû. Trop souvent, ils ont été regardés comme des intrus et ont été reçus sans fraternité, sans la ferme volonté de les intégrer à la communauté nationale. Le souvenir de cette époque est encore présent chez nombre d'entre eux, qui n'oublient pas - comment le pourraient-ils ? - la froideur, souvent l'hostilité ressenties alors.

J'en viens maintenant aux anciens membres des formations supplétives et à leurs familles.

Les harkis qui ont pu rejoindre la France ont été traités d'une manière indigne de la République. Ils ont été littéralement relégués dans des camps et dans des hameaux de forestage, dans un pays où, plus encore que pour nos compatriotes européens rapatriés, tout était nouveau et étranger pour eux. Leur intégration a été délibérément négligée.

Leurs enfants n'ont pas reçu l'éducation et la formation à laquelle, comme tous les enfants de France, ils avaient droit. Aujourd'hui encore, pour beaucoup, les traces de ce qui fut un terrible traumatisme n'ont pas disparu.

Mais le pire n'est pas encore là. Certaines paroles doivent être prononcées pour nos compatriotes harkis et enfants de harkis, pour tous ceux qui sont présents sur notre territoire, pour ceux aussi qui ont survécu outre-Méditerranée et qui sont attentifs à nos propos. C'est pourquoi il est important d'exprimer très solennellement le regret et le remords de la France.

Lorsque le gouvernement de l'époque a décidé, puis a donné l'ordre d'abandonner les harkis et leurs familles, alors qu'il ne pouvait ignorer à quelle mort probable, et dans quelles épouvantables conditions, il les condamnait, il s'est montré indigne des valeurs de la République.

M. Josselin de Rohan. Parlez-nous donc de Gaston Defferre ! En avez-vous entendu parler ?

Mme Gisèle Printz. Il s'est montré indigne du choix des harkis pour la France, de la confiance qu'ils avaient en nous et du courage dont ils avaient fait preuve.

M. Josselin de Rohan. Qui nous a envoyés en Algérie ? Guy Mollet, vous connaissez ?

Mme Gisèle Printz. C'est un acte honteux et que nous reconnaissons comme tel.

M. Josselin de Rohan. Vous pouvez dire cela tranquillement ?

M. Roland Courteau. Calmez-vous, cher collègue !

Mme Gisèle Printz. Pour cela, la République française doit se reconnaître, sans aucune équivoque ni échappatoire, clairement responsable.

M. Josselin de Rohan. Soyez un peu plus digne !

Mme Gisèle Printz. Nous sommes aujourd'hui en 2004, quarante-deux ans après la fin de la guerre d'Algérie. Notre devoir est double. Il est, d'abord, celui de la mémoire à l'égard de tous ceux qui ont dû supporter cette addition de souffrances, comme le soulignait l'un de nos interlocuteurs, et de tous ceux qui sont morts.

M. Josselin de Rohan. C'est clientéliste et racoleur !

M. Guy Fischer. En matière de clientélisme, vous pouvez parler !

M. Roland Courteau. Ne vous laissez pas interrompre, chère collègue !

Mme Gisèle Printz. Mais il nous faut aussi retrouver, pour nous-mêmes et pour les générations suivantes, la sérénité. Nous voulons y croire, nous l'espérons, et nous entendons contribuer à ce qu'il en soit ainsi.

Pour cela, il ne faut pas, comme les dispositions de ce projet de loi nous le font craindre, décider d'un solde de tout compte. Il convient d'abord de réaliser le travail de mémoire, qui, dans certains domaines, n'est même pas encore entrepris.

Le projet de loi contient certaines dispositions qui méritent approbation, comme celles qui portent sur les allégations injurieuses, aux articles 1er quinquies et 7, ou sur les programmes scolaires et de recherche, à l'article 1er quater.

D'autres, pour être positives, n'en demandent pas moins, à notre sens, d'être améliorées. Je pense notamment aux tout premiers articles du texte, en particulier à l'article 1er ter qui prévoit la création d'une fondation pour la mémoire.

Nous avons porté toute notre attention sur cet article, qui suscite de grands espoirs chez nos compatriotes rapatriés de toutes origines. Cette fondation ne doit pas décevoir. Elle ne doit pas devenir une sorte de mesure dilatoire qui permettrait d'attendre, dans le murmure de travaux universitaires respectables mais abstraits, l'extinction du problème par disparition progressive des derniers témoins.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Gisèle Printz. Pour cela, cette fondation doit être opérationnelle. Pour être opérationnelle, elle doit travailler en concertation avec les autorités des trois pays concernés : le Maroc, la Tunisie et surtout l'Algérie.

Bien entendu, il n'appartient pas au législateur français d'intervenir auprès du gouvernement d'un Etat tiers souverain pour lui demander de participer aux travaux d'une fondation, a fortiori de proposer la création d'une commission mixte. Les obstacles juridiques et diplomatiques peuvent être aisément compris de tous. Mais il est en notre pouvoir de demander au gouvernement français de prendre contact avec les autorités algériennes pour faciliter les travaux de cette fondation.

Celle-ci doit être à même de réunir des chercheurs, des experts, des responsables des deux nations pour éclairer le passé, ce qui implique des actions concrètes pour libérer la mémoire et permettre que le deuil soit accompli. Il en va, dans ce domaine, de la crédibilité de la volonté gouvernementale.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Gisèle Printz. Le Gouvernement, dans le cadre de ses compétences, devra faire en sorte que cette fondation prenne toutes dispositions pour travailler de concert avec les autorités algériennes.

Il devra aussi s'efforcer d'obtenir une réponse positive en ce qui concerne l'ouverture des archives et la restauration des cimetières, sujets auxquels nos compatriotes sont particulièrement sensibles.

Pour être fructueux, le travail de mémoire doit se réaliser ensemble, sans omettre les aspects les plus douloureux, comme la recherche des disparus qui taraude encore nombre de familles.

La France comme l'Algérie doivent assumer leur histoire dans toutes ses composantes, y compris les heures les plus sombres, pour faire vivre pleinement la démocratie.

Mais assumer son histoire, c'est aussi en assumer les conséquences matérielles. On ne peut pas parler, dans le cas présent, d'une loi d'indemnisation ; le Gouvernement ne s'y risque d'ailleurs pas. Il s'agit simplement d'une loi de reconnaissance et de contribution nationale.

M. Josselin de Rohan. Avec 1 milliard d'euros !

Mme Gisèle Printz. Il y a loin de la coupe aux lèvres, monsieur le ministre.

Mme Gisèle Printz. Il y a loin entre les mirobolantes promesses du candidat Chirac lors de la campagne présidentielle et le contenu du projet de loi que son gouvernement nous présente aujourd'hui.

M. Alain Gournac, rapporteur. Et vous, qu'avez-vous fait ?

Mme Gisèle Printz. Car c'est bien au Gouvernement et à la majorité parlementaire de justifier ce décalage, notamment devant les associations de rapatriés et d'anciens harkis.

Ce projet de loi veut clore un chapitre, peut-être même une histoire, mais il ne s'en donne pas les moyens.

M. Alain Gournac, rapporteur. Vous n'avez rien fait, alors ne nous donnez pas de leçons !

Mme Gisèle Printz. En effet, dans son article 5, il se contente, avec l'espoir d'écrire un « solde de tout compte », de réparer une partie des lacunes les plus voyantes de l'article 46 de la loi de 1970.

En revanche, et ce sera l'objet de nos principaux amendements, il ne prévoit pas d'amélioration significative, notamment en direction des harkis.

M. Josselin de Rohan. Qu'avez-vous fait pendant vingt ans ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Rien !

M. Roger Romani. La gauche n'a pas présenté une loi en matière d'indemnisation des rapatriés ! Pas une seule !

M. Claude Domeizel. Si, en 1981 et en 1982 !

Mme Gisèle Printz. La proposition contenue dans l'article 2, avec cet étrange système d'option, ne satisfait personne. Elle a d'ailleurs été réécrite « en direct », si l'on peut dire, lors d'une interruption de séance à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas de bonne procédure et cette méthode témoigne d'une absence de mise au point.

Mais, surtout, le dispositif proposé n'améliore pas vraiment la situation des anciens supplétifs et de leurs familles. L'augmentation de l'allocation de reconnaissance est minime et le système d'option semble destiné à prendre en compte, il faut bien le dire, l'âge des anciens harkis et la situation de leurs familles.

Tout cela n'est pas net, monsieur le ministre. Il n'y a aucune raison pour que des anciens supplétifs soient conduits à renoncer à la rente qui leur est servie régulièrement et à opter pour le versement d'un capital. A moins que le Gouvernement, par un savant calcul qui n'est pas seulement financier, espère, grâce à ce système, se débarrasser de la revendication formulée par la deuxième génération de se voir attribuer une indemnisation. Il est, en effet, permis de s'interroger sur ce que feront de ce capital de 30 000 euros des hommes âgés, de condition le plus souvent très modeste.

Nous préférons, pour notre part, une attribution claire des indemnités dues, ce qui signifie qu'une allocation, augmentée, continue à être versée et qu'une indemnité forfaitaire en capital soit donnée en complément, dans le respect des promesses orales qui ont été formulées.

Mme Gisèle Printz. Ce dernier point est important.

Nous souhaitons aussi intégrer dans ce dispositif d'indemnisation les épouses divorcées, qui sont souvent dans un grand dénuement. Le choc du changement de pays, les conditions de vie nouvelles dans un milieu inconnu et une société aux structures différentes a en effet provoqué un grand nombre de difficultés et de conflits, notamment familiaux.

Par ailleurs, nous estimons nécessaire de prendre en compte de manière particulière la deuxième génération, non pas dans une optique de solidarité, que ces personnes ne demandent surtout pas, mais pour leur rendre justice.

Nous proposons, pour compenser partiellement les difficultés d'insertion sociale et professionnelle que les enfants de harkis ont rencontrées, d'allouer une indemnité à tous ceux qui ont séjourné durant trois ans dans un camp, un hameau de forestage ou un établissement d'éducation ou de formation annexé.

Nous ne devons pas perdre de vue, en effet, les conséquences humaines de ce déplacement de population, qui ont été particulièrement lourdes pour la deuxième génération. Certes, nous connaissons tous des enfants de harkis qui ont « réussi », comme l'on dit. On cite toujours, pour ne pas voir tous les autres, l'exemple de ceux qui ont créé leur entreprise et l'ont pérennisée. Mais nombre d'enfants de harkis survivent avec le RMI ou d'autres minima sociaux. Les difficultés familiales et les pratiques addictives ne sont que trop répandues.

Par ailleurs, 40 % de cette population est au chômage, malgré les dispositifs de formation qui ont été mis en oeuvre mais qui se sont révélés insuffisants ou inadaptés. C'est pourquoi nous proposons que les enfants de harkis, compte tenu de leur âge actuel, soient prioritairement éligibles aux dispositifs d'insertion et de formation professionnelle et d'aide à la création d'entreprise.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Gisèle Printz. Les contrats de plan Etat-région nous semblent parfaitement adaptés à la mise en oeuvre des mesures indispensables, essentiellement en matière d'emploi et de logement.

La situation présente est le signe d'un grand désespoir, d'un malaise identitaire profond, que notre mauvaise conscience et notre indifférence volontaire n'ont pas voulu voir et auxquels viennent s'ajouter les difficultés matérielles.

M. Josselin de Rohan. Parlez pour vous !

Mme Gisèle Printz. D'autres amendements seront présentés sur des points moins fondamentaux sans doute, mais très importants pour ceux qui sont aujourd'hui victimes. Je pense à la levée de forclusion, qui crée d'incompréhensibles imbroglios administratifs et qui engendre un fort sentiment d'injustice.

Au total, nous nous sommes efforcés d'écouter, de comprendre et de compenser ce qui peut l'être.

Ce texte reviendra sans doute devant notre Haute Assemblée en deuxième lecture. Nous aurons donc l'occasion d'en réétudier les dispositions, d'éclaircir certains points restés imprécis, de prêter attention à plusieurs demandes demeurées insatisfaites.

Mais il nous faudra aussi nous tourner vers l'avenir. Les rapatriés, dans leur très grande majorité, ont eu le grand mérite de réussir pleinement leur intégration et celle de leurs enfants. Les enfants et les petits- enfants de harkis sont enfin sur le même chemin. Le respect d'un passé assumé par les uns et les autres pourra être le socle d'un meilleur avenir.

Les rapatriés, les harkis et leurs familles respectives sont, par leur connaissance intime du Maghreb et de ses populations, une chance pour la compréhension entre les peuples de part et d'autre de la Méditerranée.

Il leur appartient de se saisir de cette double connaissance culturelle qui est leur apanage. Il leur revient de contribuer au progrès de relations fructueuses entre la France, l'Union européenne et les autres pays du bassin méditerranéen. C'est un enjeu considérable. Tel est l'espoir le plus important que nous exprimons pour les années à venir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de novembre 1954 à juillet 1962, d'Alger à Oran, en passant par les Aurès, Blida, Orléansville, Bougy, Philippeville, au pays de la lumière triomphante et de la perfection d'un ciel bleu semblant lavé de toute équivoque, les contrastes d'ombre et de clarté ont pourtant constitué pour tout un chacun, quel que soit le lieu où les Français vivaient, des zones de clair-obscur douloureuses et blessantes.

Les plus émouvantes, sans aucun doute, sont symbolisées par les dates hautement symboliques de la fusillade du 26 mars 1962 à Alger et de celle du 3 juillet 1962 à Oran.

Oui, mes chers collègues, l'histoire des rapatriés est indissolublement liée au jour de leur départ, tant il est vrai qu'ils auront beau oublier la guerre, les peurs, leurs biens envolés, jamais ils n'oublieront ce jour où, munis de leurs papiers d'identité et de quelques bagages, parfois des bébés dans les bras, ils prirent la route du port pour quitter leur terre natale en direction de Port-Vendres ou de Marseille.

La Méditerranée était devant eux. C'est elle qui allait les emmener loin de leur terre natale. Des hommes et des femmes pleuraient, des enfants ne comprenaient pas pourquoi leurs parents sanglotaient ; ils croyaient qu'ils partaient en vacances, comme chaque année, vers la métropole. Du bateau, l'Algérie commençait à disparaître, à s'en aller comme dans les rêves. Elle se séparait d'eux. Elle n'était plus qu'un point, mais un point fixe, un point obsessionnellement fixe.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous proposez à notre Haute Assemblée un texte qui porte reconnaissance de la nation. Ce texte vise deux objectifs.

En premier lieu, il tend à offrir définitivement une compensation matérielle pour corriger les situations inéquitables nées de la succession des différentes lois d'indemnisation en faveur des rapatriés et pour prolonger l'effort de solidarité envers les soldats de la France que sont les harkis.

S'agissant d'abord des harkis, le texte prévoit la revalorisation de l'allocation de reconnaissance, une politique du logement plus solidaire, enfin l'interdiction, comme l'a suggéré l'Assemblée nationale, de porter des allégations injurieuses à leur encontre.

Concernant ensuite les rapatriés, le projet de loi prévoit la restitution des sommes prélevées sur les indemnisations versées dans les années soixante-dix au titre des remboursements des prêts de réinstallation. Mes chers collègues, l'effort financier est important, il faut le dire, puisqu'il mobilise, comme l'a rappelé M. le rapporteur, 1 milliard d'euros.

En second lieu, vous visez, monsieur le ministre, un objectif moral, puisque l'article 1er institue pour la première fois la reconnaissance de la nation envers les hommes et les femmes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France outre-mer, la reconnaissance aussi des souffrances éprouvées. Et comme pour retenir mais aussi réconcilier les parois des mémoires et des coeurs encore à vif, vous nous proposez une fondation.

Monsieur le ministre, avec cette fondation, la question de la représentation de la guerre se fait essentielle. Vous le savez, la désignation même du conflit entre Paris et Alger souligne les asymétries de la mémoire, ce que chacun porte par ses représentations mêmes. Ainsi l'événement que la France tente de classer dans son histoire comme la « guerre d'Algérie » est célébrée comme la  « guerre d'indépendance » de l'autre côté de la Méditerranée.

Stephan Zweig dans un merveilleux livre Conscience contre violence nous prévient : « L'Histoire n'a pas toujours le temps d'être juste. Pour elle, seuls comptent les succès. Elle ne s'intéresse qu'aux vainqueurs et laisse les vaincus dans l'ombre. Mais en réalité, même vaincus, les pionniers ont rempli leur mission. »

Pionniers, ils ont été nombreux à construire des routes, des ponts, des stations de pompage ou encore à électrifier le pays, tous équipements aujourd'hui indispensables à l'Algérie.

Pionniers, ils le furent aussi - comme le rappelait tout à l'heure Josselin de Rohan -, ces soldats français venus combattre sur le sol d'Algérie, tel André Segura, par exemple. Né pour la gloire, il mourut en soldat inconnu. Sur le champ de bataille, recevant une photo de famille, il eut ce mot aussi beau qu'un sanglot proustien : « Je me demande si je manque à ce groupe si bien fait ». La réponse est contenue dans la publication de cette correspondance établie par ce groupe, qui ne se résout pas à son absence ; c'est bouleversant !

Aussi, monsieur le ministre, il convient que cette fondation cherche un entre-deux dépassionné et exigeant, où le travail de l'histoire -celui de l'historien comme celui du simple citoyen qui apportera, je l'espère, sa contribution - s'inscrive dans une logique non de repentance, mais de connaissance.

Jacques Chirac le rappelait avec émotion en septembre 2001, à l'occasion de la première journée d'hommage national aux harkis : « Notre premier devoir, c'est la vérité. (...) La France, en quittant le sol algérien, (...) n'a pas su sauver ses enfants. » Il précisait : «  Le temps a commencé son oeuvre (...) il nous permet aujourd'hui de porter un regard de vérité sur les déchirements et les horreurs qui ont accompagné ce conflit (...) Le travail de deuil, indispensable, ne doit en aucun cas être synonyme d'oubli. »

Le 5 décembre 2002, dans le même esprit, le Président de la République inaugurait un monument dédié aux soldats français morts en Algérie alors que, le 5 décembre 2003, a été instituée la première journée nationale d'hommage aux morts pour la France.

Reste à reconnaître, monsieur le ministre, le trou noir des événements d'Oran de 1962 ; c'est très important pour les Européens. Sans aucun doute, nous n'avons pas assez prêté attention, en temps voulu, à la souffrance liée à l'arrachement et à la perte de l'Algérie. Cette reconnaissance effectuée, peut-être pouvons-nous espérer, demain, décloisonner les mémoires. Ce texte y contribue, et nous devons en remercier grandement le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

A cet égard, et même si aujourd'hui, vous l'avez compris, la politique de confrontation n'est pas d'actualité tant l'apaisement des coeurs est une nécessité, permettez-moi de rendre hommage à tous ces gouvernements de droite - aucun d'entre eux ne s'est exprimé comme Gaston Defferre qui parlait de remettre les rapatriés à la mer (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) - qui ont porté les lois d'indemnisation de 1970, de 1978, de 1987 et de 1994, exprimant la solidarité et la reconnaissance de la nation à l'endroit des rapatriés et des harkis.

M. Josselin de Rohan. Voilà ! C'est la vérité !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le ministre, vous le savez, ces lois ont été considérées, à juste titre, comme trop lentes et ne permettant pas de clore les blessures du passé, à tel point que, aujourd'hui encore, nous délibérons. Pour autant, les dispositions prises ont permis de franchir une étape, et je voudrais rendre hommage à celui qui, sous l'impulsion et la volonté de Jacques Chirac, a permis de faire prendre un cap décisif au dossier des rapatriés ; je veux parler, bien évidemment, de mon ami Roger Romani. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Aujourd'hui, monsieur le ministre, en soumettant ce texte au vote de notre assemblée, par delà les deux objectifs assignés, vous voulez nous dire que le gouvernement auquel vous appartenez a bien compris la nécessité d'ouvrir une autre page pour que ce point fixe, ancré dans les mémoires de tous, se transforme en un nouveau regard vers l'avenir.

Tel est le devoir de nos responsables politiques des deux côtés des rives de la Méditerranée : créer les conditions d'un nouveau départ. La visite de Jacques Chirac en Algérie est on ne peut plus éloquente à cet égard.

C'est aussi la mission de chacun d'entre nous, ce que j'ai compris, pour ma part, très récemment. Partie seule, pour faire retour, j'ai compris définitivement que mon passage à Alger n'était que provisoire, puisque mon visa était accordé pour huit jours seulement. Mais j'ai compris aussi, en faisant retour, que si hier avait été douloureux, il convenait que demain soit source d'espérance et d'avenir, car, blessés les uns par les autres, nos deux pays ne cesseront jamais de se désirer et de se rencontrer mutuellement.

N'est-ce pas dans cet esprit qu'il conviendrait que, à côté de l'Union européenne, soit créée une autre communauté euro-méditerranéenne ayant pour vocation de donner une vision politique à la coopération euro-méditerranéenne, de préparer un avenir commun sur les deux rives de la Méditerranée et de permettre des partenariats spécifiques ? Nos deux pays ont aussi besoin de ce genre d'initiative pour sortir de la confrontation.

Je vous remercie, mes chers collègues, d'avoir été attentifs à une intervention qui, n'étant pas technique, n'est pas de même ordre que celles qui sont habituellement prononcées dans cette assemblée à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir et aux travaux de laquelle j'ai la joie de participer. Après l'avoir écrite, j'ai longtemps hésité ; finalement, je vous l'ai livrée, persuadée que ma génération, partie à l'âge des bonheurs insouciants, est aussi celle qui doit exprimer sa reconnaissance aux siens, à son pays, et construire les ponts d'un nouvel avenir. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le projet de loi lui-même, mon propos sur la reconnaissance sera surtout axé sur les suites de la guerre d'Algérie, mais il concernera aussi les rapatriés de Tunisie, du Maroc et des territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.

Je ne vais pas revenir sur les causes et le déroulement du drame algérien. Ces points ont été développés par les nombreux orateurs qui m'ont précédé, particulièrement par vous, monsieur le ministre.

A cet instant, j'ai une pensée pour toutes les victimes, civiles et militaires. Nous sommes nombreux ici à avoir vécu intensément, de près ou de loin, ce que l'on appelait à l'époque « les événements d'Algérie » ou les « opérations de maintien de l'ordre », reconnus comme guerre par la loi du 18 octobre 1999.

A ce sujet, il est pour le moins surprenant, monsieur le ministre, que vous ayez émis un avis favorable sur un amendement voté par l'Assemblée nationale et contenant le mot « événements » plutôt que celui de « guerre », plus conforme à la loi du 18 octobre 1999 que je viens de citer.

Pendant les années soixante, plus particulièrement en 1962, la « métropole », comme l'on disait, a vu arriver tous ces Français d'Algérie, les rapatriés. Avec quelques valises et la tête pleine de souvenirs, ils ont débarqué sur un sol qu'ils ne connaissaient pas, un peu perdus, tristes, très tristes, choqués, amers d'avoir tout laissé derrière eux. Même porteurs de leurs traditions, leur joie de vivre profondément méditerranéenne ne se lisait plus sur leur visage.

L'accueil des métropolitains fut mitigé, la réadaptation parfois longue, la vie quotidienne souvent difficile dans des appartements trop petits pour les familles les plus nombreuses. Avec un recul de plus de quarante ans, on mesure encore plus la dose de courage qu'il a fallu à ces familles pour retrouver leur dignité sur les plans social et professionnel.

En même temps, arrivaient des milliers de harkis. Mais c'était moins visible, car ces rescapés étaient parqués dans des camps. Pour avoir exercé quelque temps dans les classes destinées à leurs enfants, je ne peux pas oublier la forte volonté de la cinquantaine d'adolescents dont j'avais la charge², leur soif de savoir, en un mot leur aspiration à s'en sortir et à s'intégrer dans un environnement hostile.

Aussi nous paraît-il judicieux d'inscrire dans la loi que les enfants des anciens supplétifs ou assimilés bénéficient d'un traitement prioritaire pour leur insertion sociale ou la validation des acquis de l'expérience, et que ceux qui ont séjourné pendant trois ans au moins dans des camps ou des hameaux de forestage perçoivent une indemnité forfaitaire en capital.

Permettez-moi de saluer les bénévoles et leurs associations qui, dès 1962 et encore aujourd'hui, ont apporté et apportent une aide matérielle et psychologique à ces compatriotes profondément meurtris. Je n'oublie pas non plus les militaires qui, en dépit des ordres donnés par leur hiérarchie, ont sauvé des milliers de supplétifs.

Pour tous ces Français, le devoir de réparation s'impose, tant moral que matériel.

Ce texte doit être l'occasion de reconnaître avec plus de force la responsabilité de la nation qui, après le 19 mars 1962, a abandonné les harkis. Alors qu'ils avaient choisi de servir la France, 150 000 d'entre eux furent abandonnés à un sort souvent terrible... De 70 000 à 80 0000 - on ne connaît pas très bien leur nombre - ont été torturés et tués dans des conditions horribles.

Sur tous ces épisodes indignes, qui ont engendré des massacres et des disparitions de pieds-noirs ou de harkis, il est indispensable que la lumière soit faite. Dans ce but, nous proposons un amendement visant à préciser le rôle de la fondation créée par l'article 1er ter, notamment pour que, de concert avec les autorités algériennes, des recherches soient entreprises sur la période qui a succédé au cessez-le-feu.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est-il une quatrième et dernière loi d'indemnisation ? Pas réellement, car il se contente de corriger les défauts les plus criants des lois précédentes et complète les mesures en faveur des harkis. Il faut cependant reconnaître à ce texte la volonté d'apporter des éléments de reconnaissance morale, dont les rapatriés et les harkis sont particulièrement demandeurs, car les victimes de cette période difficile ne sont plus très jeunes ; certaines même ne sont plus là.

Lors de nos rencontres, je note que, par delà les questions matérielles et financières, tous ont envie, non pas de tourner la page, car ces moments douloureux demeurent vivaces, mais d'apporter de la clarté et de la lumière au sombre tableau de cette période qu'ils ont vécue. En un mot, après plus de quarante ans, ils aspirent à en finir avec ce lourd passé.

Je donnerai un seul exemple s'agissant de la restitution aux rapatriés des sommes prélevées sur des indemnisations pour des biens dont ils ont été dépossédés, prévue à l'article 5. J'ai reçu la visite d'un agriculteur rapatrié d'Algérie qui a eu la force et le courage de se réinstaller en métropole. Il m'a dit, avec beaucoup d'émotion : « On ne demande que justice et équité en réclamant une revalorisation. Cela fait quarante ans, j'ai pris de l'âge : il ne faudrait pas que les décrets soient encore un motif pour reculer l'échéance de plusieurs mois ou plusieurs années. »

Les rapatriés et les harkis qui attendent que soient soldés leurs droits à réparation sont sensibles à toutes les manifestations de mémoire qui les relient à leur département algérien d'origine, à leurs traditions et à leurs croyances. II faut donc saluer l'action menée par le président du conseil régional Provence - Alpes - Côte d'Azur, M. Michel Vauzelle, et consistant à intervenir dans des cimetières chrétiens ou juifs situés en Algérie. Quant aux harkis, ils apprécient l'écoute des municipalités qui aménagent les cimetières pour respecter les rites de leur religion.

Cette douleur, même estompée, a été transmise aux générations suivantes ; je suis frappé de le constater. C'est dire combien cette soif de reconnaissance et de réparation reste profondément ancrée dans les familles.

Pour illustrer mon propos, je citerai une phrase d'une lettre que m'a adressée l'un de ces enfants, une jeune fille qui vit dans mon village : « Concernant l'allocation de reconnaissance, ce n'est pas du tout clair et risque de ne pas être bien compris par les " vieux" harkis. De plus, choisir entre une augmentation de la rente ou le versement d'un capital de 30 000 € apparaît à beaucoup de personnes comme étant un peu " le miroir aux alouettes", car beaucoup craignent qu'il ne s'agisse là que de verser ce capital et de ne plus engager véritablement de discussion quant à l'indemnisation des harkis... ».

C'est dans cet état d'esprit que j'aborde l'examen de ce projet de loi qui avait pour ambition, à l'origine, de solder le contentieux. Mais force est de constater que cet objectif n'est atteint que très partiellement dans le texte adopté par l'Assemblée nationale. De nos rencontres et des nombreux courriers que nous avons reçus, il ressort un grand sentiment de déception.

Sans aucune intention d'engager une quelconque polémique, qui serait déplacée lors de l'examen d'un tel texte, je regrette qu'un amendement déposé par MM. les députés Spagnou et Chassain solennise finalement la date du 5 décembre comme journée commémorative de la guerre d'Algérie.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est bien, ça amène la paix !

M. Claude Domeizel. II ne faut pas mélanger les sujets : il s'agit là du projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, et pas d'autre chose.

En outre, le groupe socialiste a, en maintes occasions, fait connaître son opposition à ce choix du 5 décembre, date qui n'a aucun lien avec l'histoire puisqu'elle a été choisie en fonction de l'agenda du Président de la République ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas une date de discorde !

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est une date de paix !

M. Claude Domeizel. Le 19 mars 1962 fut la date d'entrée en vigueur du cessez-le-feu en Algérie. Cette date a pris encore plus de valeur commémorative depuis le 19 octobre 1999, jour de la publication dans le Journal officiel de la reconnaissance de la guerre d'Algérie, votée à l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Pour terminer, laissez-moi vous faire part de mon plus ardent souhait : que l'adoption de ce projet de loi contribue à apaiser définitivement les esprits pour notre cohésion nationale, et qu'elle participe à un rapprochement durable entre nos deux pays, la France et l'Algérie.

Au nom de notre très ancien passé commun, émaillé certes des moments douloureux que nous évoquons aujourd'hui, il est capital de donner vie à ce rapprochement, dans l'intérêt à la fois du Maghreb et de l'ensemble de l'Union européenne.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.

M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quarante-deux ans déjà, plus d'un million de nos compatriotes furent condamnés à abandonner la terre qui les avait vus naître et, à tout jamais, leurs racines.

Mais ce fut aussi, après le 19 mars 1962, l'accélération des drames pour toute une population abandonnée par la France. Comment oublier le massacre et le calvaire survenus dans les mois qui suivirent la signature des accords d'Evian, dans des conditions indescriptibles, de plus de 70 000 harkis, abandonnés par le pays auquel ils étaient tant attachés ?

Comment oublier aussi le drame de la fusillade du 26 mars 1962, rue d'Isly, à Alger, qui vit l'armée française tirer sur une population civile désarmée, ou encore celui du 5 juillet 1962, à Oran, où plusieurs centaines d'Européens furent victimes du FLN sans que l'armée intervienne ?

Comment laisser enfin dans l'ombre l'indicible douleur de ces milliers de familles pieds-noirs dont la vie fut brisée à la suite de l'enlèvement d'un être cher et qui, quarante-deux ans après l'exode, poursuivent leur incessante quête de vérité sur le sort des disparus et manifestent leur volonté de lutter contre l'oubli et la négation du drame ? Ils furent, en effet, des milliers, happés par la spirale du déchaînement de l'homme, abandonnés par la mère patrie en laquelle ils croyaient tant, notamment après la signature des accords d'Evian.

Ces vérités historiques incontournables, ces drames trop longtemps cachés, ignorés ou occultés doivent désormais être admis et assumés par notre pays.

Consacrer, monsieur Fischer, comme vous et d'autres le font depuis quarante-deux ans, le 19 mars comme date anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie, alors qu'il ne s'agit que de la date anniversaire des accords d'Evian dès le lendemain, rapporteur. ,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Guy Fischer. C'est la date du cessez-le-feu !

M. Jean-Paul Alduy. ... constitue une attitude négationniste intolérable (Applaudissements sur les travées de l'UMP), que vous confirmez en refusant le 5 décembre comme date de réconciliation

Ce projet de loi, monsieur le ministre, en exprimant la reconnaissance de la nation à ceux qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France en Algérie et en reconnaissant les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, a su marquer la volonté de notre pays de regarder l'histoire en face et de contribuer à la si nécessaire réconciliation nationale.

Mais ce chemin de la réconciliation ne pourra être pleinement emprunté sans que ne soient aussi reconnues les responsabilités à l'origine des drames survenus après le 19 mars 1962. C'est à ce prix que la France pourra se réconcilier avec elle-même, que le travail de deuil pourra être fait par les familles des victimes et que les coeurs et les esprits pourront être enfin apaisés. C'est aussi à ce prix que les chemins de la réconciliation avec l'Etat algérien seront ouverts pour tous - je dis bien « pour tous » - nos compatriotes.

Au moment où la France demande à l'Etat turc de reconnaître sa responsabilité dans le génocide arménien, notre responsabilité collective dans les massacres de 1962 peut-elle être encore différée ? Pour moi, la réponse se trouve dans les paroles mêmes du Président de la République, Jacques Chirac, prononcées, à Paris, le 25 septembre 2001, et déjà rapportées par Mme Muguette Dini : « Notre premier devoir, c'est la vérité. Les anciens des forces supplétives, les harkis et leurs familles ont été les victimes d'une terrible tragédie. Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus. »

En conséquence, monsieur le ministre, j'ai déposé un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 1er dont le texte est le suivant : « La nation reconnaît la responsabilité de l'Etat français dans les massacres, enlèvements, et disparitions postérieures à la date du 19 mars 1962 des civils européens, des militaires et des civils harkis, et de leurs familles engagées à leurs côtés. » (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, certes, notre pays n'a pas à être fier des conditions dans lesquelles l'Algérie est devenue indépendante.

Sous la ive République, il y eut tout d'abord les tergiversations de tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, monsieur de Rohan, le temps perdu après 1945, l'engagement d'une guerre fratricide, sans oublier l'énorme responsabilité que des parlementaires algériens d'origine métropolitaine - on ne le dira jamais assez - portent dans la suite tragique des événements.

M. Josselin de Rohan. Et Guy Mollet ?

M. Michel Houel. Et François Mitterrand ?

M. Jean-Pierre Michel. Ensuite, il y eut une guerre civile longue, terrible, puis une séparation dramatique, car trop longtemps différée et trop tardive.

Certes, il était temps que la France reconnaisse ses responsabilités, les préjudices irrémédiables subis par les uns et par les autres, et rende les hommages nécessaires à celles et à ceux qui ont souffert.

Mais, pour ce faire, fallait-il pour autant revisiter l'histoire comme le fait ce texte ? Je ne le pense pas.

En effet, l'article 1er fait référence à des « événements liés au processus d'indépendance ». Le terme « événements » est faux non seulement historiquement, mais aussi légalement, le Parlement ayant voté voilà peu une loi qui introduit la notion de guerre d'Algérie, entraînant d'ailleurs des conséquences tant pour les réparations que dans un certain nombre d'autres domaines.

L'emploi du terme « événements » - on ne sait pas si ces événements sont heureux ou malheureux - constitue donc une erreur dramatique et ne peut être approuvé.

Ensuite, l'article 1er bis vise, comme l'ont dit avant moi mes collègues socialistes, à légaliser un peu subrepticement le 5 décembre comme journée de reconnaissance des combats durant la guerre d'Algérie. Or, cette date ne saurait être acceptée, car elle ne correspond à aucune date historique, contrairement aux autres commémorations dans notre pays. Loin de moi l'idée de vouloir comparer le 19 mars 1962 au 11 novembre 1918 ou au 8 mai 1945. Mais pourquoi choisir le 5 décembre ? Parce qu'il est compatible avec l'agenda du Président de la République ! Cela aurait aussi bien pu être trois jours avant, trois jours après, le mois d'avant, le mois d'après !

M. Josselin de Rohan. C'est aussi déplaisant que ridicule !

M. Guy Fischer. Mais c'est vrai !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce qui est ridicule, c'est cette date du 5 décembre !

M. Jean-Pierre Michel. Or, le 19 mars, monsieur de Rohan, marque bien la fin des combats entre la France et l'armée de libération nationale.

M. Josselin de Rohan. Vous n'y étiez pas ! Nous, si !

M. Jean-Pierre Michel. D'ailleurs, les militaires du contingent qui étaient à l'époque en Algérie ne s'y sont pas mépris, et c'est à cette date-là qu'il leur a été permis de retourner en métropole et de ne plus effectuer leur service national en Algérie : il convient à cet égard de lire l'ordre du jour du général Ailleret.

C'est la seule date qui doit être reconnue, car c'est une date historique due, monsieur de Rohan, à la volonté du général de Gaulle, lequel me semble aujourd'hui très oublié dans cet hémicycle.

M. Michel Guerry. C'est bien à vous d'en parler !

M. Jean-Pierre Michel. Certes, des combats fratricides se sont encore déroulés après le 19 mars, mais ils étaient dus notamment à certains Français d'Algérie qui, avec l'aide et la complicité d'officiers supérieurs dévoyés,...

Mme Bernadette Dupont. Ne vous attaquez pas à l'armée française ! C'est épouvantable !

M. Jean-Pierre Michel. ...ont formé l'organisation de l'armée secrète, l'OAS, ma chère collègue, et ont introduit le chaos au coeur de l'Algérie, la manifestation de la rue d'Isly en ayant été le premier événement. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Qui a amnistié ?

M. Jean-Pierre Michel. Ils sont largement responsables des conditions dramatiques dans lesquelles s'est déroulée la séparation entre la France et l'Algérie.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas beau de remuer tout ça !

M. Alain Gournac, rapporteur. Vraiment pas beau !

Mme Bernadette Dupont. C'est lamentable !

M. Jean-Pierre Michel. La mémoire républicaine, que nous devons à nos compatriotes rapatriés, et aussi bien aux harquis qu'aux pieds-noirs, ne peut se fonder que sur la vérité, douloureuse certes, mais sur la vérité qui bouscule certainement votre bonne conscience, mes chers collègues.

M. Josselin de Rohan. Certainement pas ! Vous êtes des insulteurs !

Mme Bernadette Dupont. C'est méprisable ! C'est insupportable !

M. Alain Gournac, rapporteur. Lamentable !

M. Jean-Pierre Michel. C'est le moins qu'on leur doit ! Cette reconnaissance et cette mémoire républicaine ne peuvent se fonder sur la falsification de l'histoire à laquelle vous nous conviez, monsieur le ministre, à des fins véritablement politiciennes et électoralistes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est la vérité !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Minable !

M. Alain Gournac, rapporteur. Comment peut-on dire cela ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Gardez vos injures !

Mme Bernadette Dupont. Les injures, elles viennent de vous !

M. Josselin de Rohan. C'est misérable !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est temps de faire de l'Histoire, quand même !

M. le président. La parole est à M. Michel Guerry.

M. Michel Guerry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le drame des populations civiles françaises, des soldats et des supplétifs disparus lors de la guerre d'Algérie a été longtemps occulté. Les gouvernements successifs se sont mal comportés avec les harkis, avec les rapatriés, avec la mémoire des disparus, et cela dès le début de l'application des accords d'Evian.

Le drame de ces populations est revenu sur le devant de la scène à l'occasion du quarantième anniversaire de l'indépendance, grâce à l'action de différents chercheurs et de quelques associations. Je tiens, à ce sujet, à saluer le travail d'historien du général Maurice Faivre et de M. Jean Monneret.

Les familles de disparus pieds-noirs se sont efforcées, le plus souvent vainement, d'obtenir de la part des consulats des informations sur le sort de leurs proches et sur d'éventuels lieux de sépulture. La Croix-Rouge, souvent sollicitée à ce sujet, a établi un rapport, mais celui-ci est demeuré secret pendant plus de quarante ans.

Une association de défense des droits des Français d'Algérie se constitua le 29 juin 1962, et reçut le soutien du cardinal Feltin et de monseigneur Rodhain. Leurs émissaires, envoyés en Algérie, en revinrent avec la conviction qu'il n'y avait pas de survivants. Une autre association se créa alors en 1967, regroupant des personnes persuadées du contraire. Néanmoins, aucune preuve sérieuse de survie ne fut jamais apportée.

Cette question est devenue très actuelle avec l'examen, devant la Haute Assemblée, du projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

Je souhaiterais revenir un instant sur le contexte historique de ces enlèvements et de ces disparitions.

L'attaque par le FLN d'une vingtaine de villages du Constantinois, le 20 août 1955, a changé la nature du conflit, qui a pris l'ampleur et la brutalité d'une véritable guerre.

Dans le Nouvel Observateur du 10 mai 2001, Jacques Julliard commente ainsi ce tournant : « Incapable de provoquer un soulèvement généralisé, le FLN a eu recours à la terreur et aux atrocités ».

Selon les termes qu'il a employés, les mots d'ordre du FLN furent d'abord d'éliminer « les traîtres et les mécréants » de la communauté musulmane, ce qui entraîna la mort d'environ 300 personnes par mois pour la seule année 1956, puis d'abattre « n'importe quel européen de 18 à 54 ans », ce qui aboutit à la mort de 50 personnes par mois en 1957.

A cette époque, en tant qu'appelé, j'ai couru le djebel pendant 28 mois dans le sud algérien, et, s'il n'est pas superflu de s'indigner de la pratique de la torture, il ne faut pas non plus passer sous silence les crimes du FLN ni son incurie depuis quarante ans qu'il est au pouvoir.

En huit années de conflit, 2 788 Français et 16 000 Français musulmans furent tués dans des attentats. Durant la même période, 375 Français et 13 000 Français musulmans furent enlevés.

Après l'accalmie qui suivit les événements de 1958, le FLN, dès 1960, relança sa campagne d'attentats et l'amplifia en 1961, en mettant à profit la trêve unilatérale du 20 mai 1961.

Après les accords d'Evian du 19 mars 1962, le FLN, qui avait poursuivi ses attentats jusqu'au « cessez-le-feu », modifia ses méthodes, en arguant de la nécessité de lutter contre l'OAS, et il engagea une campagne d'enlèvements visant les Français.

Cette campagne fut déclenchée le 17 avril 1962, selon un plan concerté. Elle se déroula à la limite des quartiers français et musulmans, dans les zones périphériques où les communautés cohabitaient.

Les victimes furent frappées sans distinction de sexe ou d'âge.

A Alger, en zone autonome, le FLN se livra à de multiples rapts tandis que, à l'intérieur du pays, la wilaya 4 ordonnait d'enlever 7 ou 8 Français dans chaque localité de la Mitidja. Des exactions semblables avaient lieu en Oranie.

L'armée française découvrit rapidement des charniers, qui ne laissaient aucun doute sur le sort des personnes enlevées.

M. Guy Fischer. Personne n'en a parlé jusqu'à présent !

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est vous qui avez amnistié !

M. Michel Guerry. Ces événements gravissimes vidaient les accords d'Evian de leur contenu et ils contribuèrent grandement à l'exode des Français au printemps de 1962.

Les rivalités internes du FLN et les consignes très restrictives données à notre armée entraînèrent une situation anarchique dans toute l'Algérie.

M. Michel Guerry. Les wilayas, les ralliés de la dernière heure et la pègre, comme c'est malheureusement souvent la règle en de telles circonstances, rivalisèrent de cruauté dans les exactions contre la communauté française restée sur place.

A l'aube de l'indépendance, les massacres du 5 juillet dans le centre d'Oran inaugurèrent un nouveau cycle de violences. Plusieurs centaines de pieds-noirs disparurent ce jour-là. Les enlèvements se poursuivirent tout l'été.

Au total, selon le secrétariat aux affaires algériennes, 3 018 Français furent enlevés après le 19 mars 1962. Sur ce total, environ 1 245 furent retrouvés et libérés, tandis que 1 773, c'est-à-dire les deux tiers, sont, à ce jour, toujours portés disparus. Cela représente une proportion effarante par rapport à une population d'un million de personnes.

Dans le même temps, des milliers d'ex-supplétifs de l'armée française étaient systématiquement pourchassés, torturés et souvent massacrés. Ce dernier épisode est aujourd'hui mieux connu de l'opinion publique française.

La question des disparus de la guerre d'Algérie est suivie par de multiples associations, agissant le plus souvent en ordre dispersé. Nombre de familles, qui sont toujours dans une incertitude intolérable, estiment avoir le droit de connaître le sort de leurs proches. Elles demandent principalement à l'Etat la reconnaissance de leurs souffrances et réclament l'accès aux archives et le rétablissement de la vérité historique.

Les autorités de notre pays ont fait quelques pas encore timides dans ces directions. Le Premier ministre a ainsi demandé que soit facilitée l'ouverture des archives. Ainsi ont été récemment publiés le rapport de la Croix-Rouge d'octobre 1963 et des listes de disparus. Une dizaine de familles ont reçu des copies des dossiers les concernant.

Toutefois, la recherche historique demeure entravée par divers obstacles bureaucratiques, par l'indifférence de la plupart des médias et, en corollaire, par l'ignorance quasi générale de l'opinion publique.

Comme il l'a fait pour les harkis, l'Etat doit reconnaître les déchirements et les préjudices subis par la communauté des pieds-noirs, qui a grandement participé à la Libération de la France et lui a fourni une multitude de cadres et de personnalités éminentes.

Il est aujourd'hui possible d'aller plus loin. En vous disant cela, monsieur le ministre, je m'inscris dans le droit-fil des propos que le Premier ministre a tenus le 5 décembre, à l'occasion de la journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie : « Après le temps de la douleur, vient celui de la réparation et de la reconnaissance ; puis, celui de l'apaisement et de la réconciliation. »

Dans l'immédiat, à l'occasion de ce débat au Sénat, je proposerai trois amendements.

Le premier vise à associer les victimes de disparitions et d'enlèvements perpétrés durant la guerre d'Algérie et après les accords d'Evian à l'hommage national qui a été instauré et qui a lieu, chaque année, le 5 décembre.

Le deuxième amendement a pour objet de proposer que la reconnaissance, prévue à l'article 1er, des personnes assassinées ou disparues pendant la guerre d'Algérie et après le 19 mars 1962 s'accompagne pour leurs enfants, orphelins ou pupilles de la nation, du bénéfice d'une indemnisation en capital.

A cet égard, la somme proposée de 25 000 euros prendra le caractère d'une indemnisation matérielle du préjudice subi.

Cette somme, qui pourrait sembler très élevée à certains, doit se replacer dans le cadre plus global de l'indemnisation prévue dans ce projet de loi et du faible nombre de personnes concernées par cette mesure.

En effet, près d'un milliard d'euros est prévu au titre de l'indemnisation, dont 311 millions d'euros pour les Européens et plus de 600 millions d'euros pour les harkis.

Le troisième amendement vise à étendre le bénéfice des aides prévues à l'article 4 du projet de loi aux anciens harkis et aux membres des formations supplétives ayant servi en Algérie qui, de nationalité française, sont établis de manière régulière et continue hors de France.

Monsieur le ministre, cet amendement prend une importance encore plus grande depuis que vous avez inauguré le 30 septembre dernier, aux côtés de Mme Alliot-Marie et de M. Muselier, la plaque commémorant le sacrifice des Français de l'étranger morts pour la France.

Si une satisfaction légitime n'était pas accordée à cette tranche de la population dans le présent projet de loi, alors que le Gouvernement a affirmé qu'il s'agit du dernier texte en la matière, nous savons bien que d'autres revendications, peut-être plus radicales encore, apparaîtraient.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaiterais recueillir votre avis concernant les deux propositions suivantes : d'une part, la création, par le Gouvernement, d'une commission d'enquête chargée de la question des disparus ; d'autre part, la création, en parallèle, dans le cadre du projet de traité d'amitié et de coopération avec l'Algérie, dont j'approuve le principe, d'une commission mixte franco-algérienne qui procéderait aux enquêtes appropriées et aux recherches indispensables.

Enfin, monsieur le ministre, il faut que tout soit mis en oeuvre par les pouvoirs publics pour que la guerre d'Algérie ne soit plus un sujet de déchirement pour encore de trop nombreuses familles, et qu'elle appartienne définitivement au passé et à l'Histoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Gournac, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, à cet instant, compléter mon intervention liminaire en indiquant que la commission des affaires sociales a adopté ce matin un amendement important, y compris sur le plan financier.

Monsieur le ministre, je souhaitais attirer votre attention sur ce point avant que vous preniez la parole pour nous répondre.

En 1987 comme en 1994, le législateur a prévu que, en cas de décès des harkis ou de leurs veuves, les allocations forfaitaires instituées au bénéfice des harkis seraient versées à leurs enfants. Or rien de tel n'est prévu dans le présent projet de loi, ce qui suscite une forte incompréhension au sein de cette communauté.

La commission a donc adopté l'amendement n° 58, lequel vise à instituer le versement d'une allocation de 20 000 euros aux enfants de harkis dont les parents sont décédés.

Monsieur le ministre, je suis persuadé que le Gouvernement réservera un bon accueil à cette proposition, qui devrait intéresser 2 500 familles, pour un coût estimé à 52 millions d'euros. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vos propos me l'ont confirmé, la Haute Assemblée est particulièrement sensible aux attentes de nos compatriotes rapatriés et harkis.

En termes souvent forts et émouvants, qui leur iront sûrement droit au coeur, vous leur avez rendu un juste hommage. Ils le méritent vraiment.

Monsieur le rapporteur, je vous renouvelle mes remerciements les plus sincères. Homme de coeur, vous avez été sensible au malheur de ces femmes et de ces hommes qui ont quitté leur terre natale dans des circonstances dramatiques, comme cela a été indiqué tout au long de la matinée.

Homme de raison, vous partagez notre refus de l'assistanat, qui stigmatise et enferme les populations.

M. Alain Gournac, rapporteur. Oui !

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué. Vous préférez offrir des perspectives d'avenir.

M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué. Patriote, vous partagez la haute idée que tous, ici, dans cet hémicycle et dans ces tribunes, nous nous faisons de la France.

M. Alain Gournac, rapporteur. Oui !

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué. Mes remerciements vont également à la commission des affaires sociales et à son président, Nicolas About, pour la qualité du travail accompli.

J'exprime ma gratitude aux groupes de la majorité sénatoriale - l'UMP, l'Union centriste et la majorité du RDSE - pour leur soutien.

Je veux dire à l'opposition que, par-delà les divergences normales dans une démocratie, nul ne peut contester le fait que ce projet de loi contient des avancées très fortes. Nul ne peut sous-estimer l'effort consenti par la nation en faveur des rapatriés et des harkis.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la situation des harkis et de leurs enfants. Vous l'avez fait, je le dis sincèrement, avec des mots forts et convaincants. Le Gouvernement a entendu la préoccupation que vous avez exprimée en faveur des enfants de harkis ayanr perdu leurs parents.

J'ai été particulièrement attentif à l'amendement que vous venez d'exposer, sur lequel le Gouvernement émet un avis favorable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Merci !

M. Jean-Pierre Michel. Le téléphone a bien fonctionné !

M. Guy Fischer. Nous le voterons !

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux saisir ce moment pour dire publiquement combien l'engagement personnel du Premier ministre en faveur des rapatriés aura permis de proposer un texte législatif et de l'enrichir lors de la discussion parlementaire.

Vous avez évoqué de nombreux sujets sur lesquels nous reviendrons, bien entendu, à l'occasion de l'examen des articles.

A ce stade, je répondrai brièvement à vos observations, auxquelles j'ai été très attentif.

Monsieur Seillier, j'ai été sensible à vos propos. Je vous remercie de votre hauteur de vue et d'avoir bien voulu souligner les apports du texte que j'ai l'honneur de vous présenter ce matin.

J'ai également été très sensible à l'hommage rendu aux harkis, que le Gouvernement partage pleinement.

Madame Hermange, je vous ai écoutée avec beaucoup d'émotion. L'évocation de ces mois d'horreur et de douleur est toujours particulièrement bouleversante. Vos paroles sortaient du coeur, et elles ont touché le nôtre, croyez-le bien, madame la sénatrice. Je vous remercie de votre soutien au texte du Gouvernement.

Avec justesse, M. Guerry a souligné le sort particulièrement douloureux des familles de disparus, qui constitue l'une de nos préoccupations. Nous sommes tous conscients du drame que représente l'incertitude qui entoure les circonstances de la disparition d'un proche. Pour la première fois, la loi mentionnera explicitement ce drame.

En outre, nous avons obtenu, voilà quelques mois, que les familles aient accès aux 3 000 dossiers individuels recensés dans les archives du ministère des affaires étrangères.

Le rapport du Comité international de la Croix-Rouge, élaboré en 1963, a pu être transmis au Haut conseil aux rapatriés.

Les dossiers individuels sont désormais ouverts aux familles concernées, dans le cadre d'une dérogation à la réglementation sur la consultation des archives publiques.

Ces archives vont nous aider à avancer dans la recherche plus ou moins difficile de la vérité. Ces travaux, je l'espère, en susciteront d'autres, et il faudra, le moment venu, les prolonger par des recherches similaires en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Egypte.

Comme vous vous en doutez, monsieur Guerry, je ne crois pas qu'une commission d'enquête permette de faire progresser ce dossier.

Quoi qu'il en soit, l'une des nombreuses missions de la Fondation sera de travailler avec sérénité et professionnalisme. Cette dernière constituera l'espace naturel des chercheurs et des scientifiques.

La sérénité est l'une des conditions indispensables à l'établissement de la vérité, que nous souhaitons tous, et à l'apaisement des coeurs.

Madame Dupont, je vous remercie sincèrement de vos paroles empreintes de sagesse. J'ai été notamment très sensible à vos propos sur les pupilles de la nation ; je peux vous assurer que nous sommes très attentifs à leur situation.

Monsieur Michel, je vous avoue que j'ai regretté de vous voir employer un ton polémique.

M. Josselin de Rohan. Très bien !

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué. Je crois en effet sincèrement que cette page de notre histoire mérite mieux qu'une telle approche partisane. Nous devons en effet le respect à ceux qui ont souffert. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)

La sagesse doit prévaloir sur la question de l'éventuelle responsabilité de la France. Nous y reviendrons lors de l'examen des amendements, mais je souhaite d'ores et déjà répondre sur ce point à MM. Alduy et Domeizel, ainsi qu'à Mmes Dini et Printz.

Ce sujet est d'autant plus complexe et difficile à traiter qu'il soulève toujours les passions des deux côtés de la Méditerranée. Il faut donc l'évoquer avec précaution.

Le silence qui entoure toute cette période devient trop lourd, même si le devoir de mémoire et de reconnaissance a largement été engagé depuis 1994 par la loi Romani.

La vérité, même si sa recherche exige du temps, doit être notre seul objectif, pour renforcer la République et la démocratie.

La guerre d'Algérie fut, comme toute guerre qui engage les populations civiles, le théâtre de haines et d'atrocités. Il faut dire les choses comme elles doivent être dites !

De nombreuses familles de rapatriés et de harkis de toutes origines n'ont jamais pu faire le deuil de leurs proches, en raison des circonstances et de l'absence d'explications.

Le Gouvernement souhaite donner à notre pays les outils de mémoire qui lui permettront d'encourager le travail des historiens, seul capable d'établir avec l'objectivité et la sérénité nécessaires la vérité sur les événements qui ont, hélas ! marqué cette période.

Notre action repose sur un triptyque : actions de mémoire, mémorial de Marseille et création de la Fondation. Tels sont les trois objectifs que nous chercherons simultanément à atteindre.

Bénéficiant de l'ouverture raisonnée et raisonnable des archives et du temps indispensable à une telle entreprise, cette Fondation, qui rassemblera historiens et chercheurs, témoins et acteurs, permettra à notre pays d'accomplir une tâche exigeante et difficile.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut encourager les historiens et les chercheurs à travailler pour que la prise de conscience collective puisse s'accomplir en toute transparence et en toute objectivité. Nous serons alors en mesure de mieux appréhender la réalité ô combien complexe de cette époque douloureuse et d'en tirer tous les enseignements et, bien sûr, toutes les conséquences.

Enfin, je le dis en conscience, avec gravité, je ne crois pas que les harkis, qui ont tout sacrifié pour la France, souhaitent que l'on mette en cause leur patrie. Comme nous tous, ils aiment la France. Il faut donc considérer la situation avec réalisme, sincérité, loyauté et fraternité.

Madame Dini, je vous répondrai plus précisément lors de l'examen des nombreux amendements que vous avez déposés. D'ores et déjà, je souhaite vous remercier pour l'hommage que vous avez rendu à l'action de Jean-Pierre Raffarin et, en particulier, à sa déclaration du 5 décembre dernier.

Monsieur Fischer, comme vous le savez, il est question, dans ce texte non pas de faire l'apologie de tel ou tel système, mais de créer, au sein d'un espace serein, les conditions de la vérité historique.

Nous avons souvent parlé de l'hommage aux « morts pour la France ». Le moins que l'on puisse dire, c'est que le débat a eu lieu.

L'article 6 du projet de loi traite des personnes amnistiées par le Parlement en 1982 et qui se trouvent en difficultés. Il ne s'agit de rien de plus ! L'amnistie a été générale ; par conséquent, un groupe de personnes ne peut pas bénéficier d'un traitement particulier.

S'agissant des engagements budgétaires, je souligne que le Gouvernement a prévu 121 millions d'euros, dès 2005, pour la mise en oeuvre de ce projet de loi, soit, sur un seul exercice, plus du double de la totalité des crédits engagés entre 1997 et 2002.

Cette précision est également adressée à Mme Printz, dont les critiques sur les moyens affectés pour mettre en oeuvre ce projet de loi m'ont très sincèrement stupéfié.

D'une manière générale, monsieur Fischer, compte tenu des dispositions de ce texte, vous ne pouvez pas nier que nous apportons des réponses réelles et très positives aux attentes des harkis et des rapatriés.

M. Guy Fischer. Je l'ai dit !

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué. Nous avons une certaine fierté à vous présentez un tel projet de loi, car nous avons effectivement traversé des périodes de « sécheresse » en la matière. Ce domaine est même resté en jachère pendant longtemps.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons maintenant examiner les amendements. Je sais que, grâce au Sénat, ce projet de loi sera de nouveau amélioré à l'issue de notre discussion, à laquelle je serai très attentif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés
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