COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à douze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CRÉATION DES COMMUNAUTÉS

AÉROPORTUAIRES

Discussion des conclusions du rapport

d'une commission

(ordre du jour réservé)

 
Dossier législatif : proposition de loi portant création des communautés aéroportuaires
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 91, 2003-2004) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur sa proposition de loi (n° 83, 2003-2004) portant création des communautés aéroportuaires.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour introduire la présentation de cette proposition de loi tendant à créer une nouvelle catégorie d'établissement public administratif, la communauté aéroportuaire, permettez-moi de la resituer dans son contexte historique, notamment en considération de l'évolution du transport aérien. Vous connaissez tous, sur le fond, les problèmes du transport aérien, mais, pour mieux comprendre la logique de la création de la communauté aéroportuaire, ce bref rappel historique s'impose.

Il y a cent ans, les frères Wright volaient pour la première fois avec une machine plus lourde que l'air. On mesure l'évolution qui s'est faite depuis, et qui a été magnifiquement rappelée à l'occasion d'une récente émission de télévision retraçant l'épopée de l'aviation civile et du transport aérien.

L'aviation a donc suscité d'abord un fort sentiment de sympathie, doublé d'un non moins fort sentiment de curiosité. Même les poètes l'ont chantée, comme Gilbert Bécaud, il y a quelques années, avec son « Dimanche à Orly » ! Cela étant, je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui Orly attire encore au point que l'on en fasse une chanson ou un lieu de promenade. En revanche, l'évolution des transports aériens s'est accompagnée de la multiplication des conflits d'usage.

Ainsi donc, en entrant de plain-pied dans la catégorie des grandes activités économiques, le transport aérien a perdu de sa poésie et rencontré des difficultés croissantes.

Avant d'évoquer la montée en puissance de ces difficultés, il convient de rappeler, en quelques chiffres, la réalité économique du transport aérien.

De 1970 à 2000, l'activité du transport aérien a connu un taux de croissance annuel de 6,5 %, passant de 460 millions de passagers transportés en 1970 à plus de 3 milliards de passagers en 2000. Pour la France, cela représente une progression quasiment du double de celle du produit intérieur brut.

Voilà pour l'intérêt économique du transport aérien, son évolution extraordinaire, et les difficultés qu'elle n'a pas manqué de susciter.

En ce qui concerne l'impact économique proprement dit - je m'adresse essentiellement à ceux de nos collègues qui sont franciliens - je précise que 1 million de passagers, ce sont 1 100 emplois directs, 1 100 emplois indirects et 1 800 emplois par effet induit ou par « effet catalyseur ». C'est énorme en termes de création d'emploi. Pour l'Ile-de-France, le transport aérien représente un chiffre d'affaires de 35 milliards d'euros, soit 11 % du PIB régional ! C'est dire son importance sur l'économie locale.

Si l'on veut affiner l'analyse de ces 35 milliards d'euros, on voit qu'ils sont constitués ; pour 10 milliards d'euros ; de retombées directes, pour 10 milliards ; d'euros de retombées indirectes, et ; pour 15 milliards d'euros ; d'effets induits. Ce n'est pas peu, et cela mérite considération.

Pour les entreprises qui travaillent sur les plates-formes franciliennes, le transport aérien représente, chaque année, 16,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 2 milliards d'euros d'investissements, et 321 millions d'euros de taxes locales. Charles-de-Gaulle représente, à lui seul, 100 millions d'euros de fiscalité locale, et Aéroports de Paris emploie à peu près 100 000 personnes, ce qui représente 2 % de l'emploi total en Ile-de-France !

J'ai volontairement insisté sur cet aspect économique du transport aérien, car il est plutôt de tradition de mettre en avant ses nuisances, et d'omettre de préciser ce que rapportent les aéroports. Il fallait donc replacer tout cela dans son contexte pour que la lecture soit claire, saine et sans ambiguïtés.

En même temps que croissait l'activité du transport aérien, augmentait le nombre des zones de conflits.

C'est le conflit entre les compagnies et les gestionnaires d'aéroport : la compagnie veut plus de mouvements, veut plus d'avions ; le gestionnaire d'aéroport est, lui, contraint physiquement, techniquement, pour ce qui est des capacités d'accueil des aéronefs, donc des mouvements.

C'est le conflit entre le transport aérien et l'environnement, la notion de développement durable étant devenue un mode de vie et un mode de pensée. Mais on risque la schizophrénie. On veut prendre l'avion ; on veut pouvoir aller très vite et très loin sans que cela coûte trop cher et, dans le même temps, on refuse le bruit chez soi. C'est le syndrome du NIMBY - not in my back yard -, autrement dit : chez les autres, mais pas chez moi !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Très bien !

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Cette schizophrénie permanente implique de toujours conjuguer ce que l'on désire avec ce que l'on refuse. Le traitement relève peut-être de la médecine vétérinaire, et c'est ce que je suis (Mme Odette Terrade s'esclaffe.) Vétérinaire, je le suis, pas schizophrène, madame Terrade ! (Sourires.) Mais cette schizophrénie relève aussi, d'une certaine manière, d'un traitement législatif. Et c'est la raison pour laquelle je vous soumets cette proposition de loi.

Pour compléter ce rappel historique, et sans remonter trop loin dans le temps, j'évoquerai, sous le contrôle de M. Gérard Larcher, qui oeuvrait, déjà à l'époque, au sein de la commission des affaires économiques, la création de l'autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l'ACNUSA. Cette autorité a procédé à un premier travail d'estimation de la réalité de la nuisance sonore, notamment en édictant une nouvelle norme, la LDEN - level day evening and night - qui est, en fait, un ajustement de la mesure du bruit en fonction des différentes périodes de la journée.

C'est que le bruit est à la fois réel et subjectif. Il convenait donc de disposer d'une norme de mesure acceptable par tous et qui ne soit surtout pas sans arrêt remise en cause par d'autres calculs de la nuisance sonore.

Je citerai aussi la création des commissions consultatives de l'environnement, puis des commissions consultatives d'aide aux riverains.

Je m'arrêterai quelques instants sur un concept issu des travaux de la trente-troisième assemblée générale de l'organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI, celui d'« approche équilibrée du bruit ».

Ce concept, repris à l'échelon européen, a fait l'objet d'une directive européenne - la directive n° 2002-30 du 26 mars 2002 - et a été, monsieur le secrétaire d'Etat, tout récemment repris par vous-même et par votre collègue M. de Robien, dans le plan de développement durable pour les aéroports parisiens qui est, sinon un code de la route, ce qui pourrait faire sourire s'agissant du secteur aérien, du moins une charte de comportement pour l'évolution des plates-formes aéroportuaires.

Permettez-moi, à cet instant, de remercier notre collègue M. Jean-Philippe Lachenaud du travail qu'il a effectué, il y a quelques années à peine, sur ce même sujet. Ce sont toutes ses réflexions que j'ai eu l'honneur, le plaisir et l'avantage de compiler et de faire miennes pour essayer d'avancer, à mon tour, un certain nombre de solutions.

M. Jean-Philippe Lachenaud avait déjà abordé le problème sous l'angle de la capacité à gérer les difficultés. Or cette capacité dépend bien évidemment des actions de terrain, qui vont pouvoir corriger les nuisances et en même temps exacerber les effets positifs. Elle se traduisait par la création d'un fonds, déjà assorti d'un comité de gestion : le président Gérard Larcher avait, à l'époque, suivi cette affaire de très près.

M'inspirant beaucoup des travaux de M. Jean- Philippe Lachenaud, j'ai pu, conformément à la mission dont j'avais été chargé par le Premier ministre, par vous-même et par M. Gilles de Robien, ministre des transports, élaborer un rapport. Je tiens, à cette occasion, à rendre hommage à Mme Adoléhoumé, M. Catalàa, M. Coste et M. Gazay, qui, à mes côtés, ont contribué à la qualité de ce document, que j'ai présenté le 19 novembre dernier. C'est à la suite de ce rapport que vous m'avez vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, ainsi que le Premier ministre, sollicité pour élaborer la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui.

L'enjeu ici est triple.

Il s'agit, tout d'abord, de savoir comment concilier l'afflux de retombées économiques positives et les nuisances ressenties comme croissantes par les riverains, alors même que, par exemple, il y a un plafonnement effectif de l'énergie sonore. Le bruit est donc très subjectif, et difficilement quantifiable ; on sent bien que c'est sous cet angle-là aussi que les problèmes doivent être abordés.

Ensuite, comment concilier enjeux économiques et enjeux environnementaux ?

Enfin, comment faire en sorte que les compétiteurs éprouvent un sentiment d'appartenance à un même territoire ?

Sur ce dernier point, il est frappant, en effet, de constater combien chacun dans sa tour d'ivoire ou dans son pré carré oublie que l'autre existe. Cette absence de communication est dommageable, les actions des uns et des autres manquant souvent de cohérence entre elles, et c'est une litote !

La réponse à ces trois questions est assez simple : elle relève de la mise en oeuvre d'une meilleure gouvernance du territoire d'influence de l'aéroport.

Dans le souci de permettre cette meilleure gouvernance du territoire sous influence, j'ai l'honneur de vous proposer la création d'une nouvelle catégorie d'établissement public administratif : la communauté aéroportuaire.

Economiquement et sociologiquement, on l'a vu, la communauté aéroportuaire existe déjà, mais juridiquement elle reste à créer.

Il s'agit tout à la fois de constituer une instance paritaire de dialogue entre les différents compétiteurs et de prévenir, si possible, les litiges en amont. C'est toujours possible dès lors que l'on veut s'en donner les moyens et, surtout, quand on a la volonté de résoudre précocement les litiges. En aval, c'est toujours coûteux, toujours trop tard et, le plus souvent, inefficace.

La communauté aéroportuaire, telle que je vous la propose, est ainsi définie comme un organe de gouvernance territoriale qui aurait cinq grands domaines d'actions : l'environnement, l'urbanisme, les transports, l'emploi et l'information.

La gestion de l'environnement se fait non pas par une évaluation de la ressource affectée par le biais de la taxe générale sur les activités polluantes - demain, la taxe sur les nuisances sonores aériennes, ou TNSA -, mais par la gestion de la ressource accumulée quand bien même cette ressource serait affectée à Aéroports de Paris.

Quant à l'urbanisme, il faudra tout de même un jour trouver le moyen de conjuguer la prospective de développement et l'évolution de l'urbanisme. Le meilleur moyen de protéger les riverains du bruit, c'est de ne pas les y exposer ! (Mme Terrade s'étonne.) Nous sommes d'accord sur ce point, encore que nous y reviendrons tout à l'heure ; madame Terrade les vertus affichées ne sont pas nécessairement celles qui sont votées !

M. Jean-Jacques Hyest. Certes !

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. En attendant, nous pourrons peut-être confier ensemble à la communauté aéroportuaire la mission de conjuguer ces deux aspects.

S'agissant des transports, et des transports urbains en particulier, il faut bien considérer qu'il n'y a pas que le transport du passager, il faut aussi penser à celles et ceux qui travaillent sur les plates-formes et qui sont parfois contraints à des trajets absolument ahurissants pour rejoindre leur lieu de travail, ce qui n'est ni convenable ni tolérable.

En matière d'emploi, maintenant, il faut qu'il y ait adéquation de l'offre et de la demande. Réagissons et agissons comme si l'aéroport était une technopole. Ayons une démarche technopolitaine, ce qui permettra d'adapter l'offre d'emploi au demandeur, soit par la formation, soit par d'autres moyens qu'il conviendra de déterminer. Ce sera l'une des fonctions majeures et fondamentales de la communauté aéroportuaire.

Enfin, je dirai quelques mots de l'information. Plus personne ne croit personne. Il faut donc que nous nous réapproprions ensemble le souci d'une information transparente, vraie et sincère.

Lorsque la compagnie Air France prend pour slogan publicitaire « Faisons du ciel le plus bel endroit de la terre », les riverains ont envie de lui répondre : mais commencez par faire de la terre le meilleur endroit du ciel ! (Sourires.)

M. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques et du Plan. C'est une vision christique de la terre !

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Et lorsque Aéroports de Paris va communiquer, il ne sera pas forcément cru. Lorsque les collectivités se rebiffent, ou se rebellent, contre certaines opérations d'Aéroports de Paris, elles n'ont pas forcément tort. Bref, reprenons ensemble cette information. Essayons de faire en sorte qu'elle soit crédible, qu'elle soit transparente, qu'elle soit sincère et véridique, et je suis persuadé que nos concitoyens, dès lors qu'on ne les leurrera pas, comprendront aussi tout l'intérêt du développement de leur secteur.

Telle est, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la philosophie de cette proposition de loi. Les sept articles qui vont maintenant être débattus sont la traduction législative, donc juridique, de ces ambitions.

L'article 1er institue la nouvelle catégorie d'établissement public administratif.

L'article 2 précise le rôle dévolu à la nouvelle communauté aéroportuaire et définit son périmètre d'intervention. Il s'agit de favoriser l'insertion de l'aéroport dans son environnement ; et de favoriser la meilleure compréhension par les collectivités locales de l'intérêt de l'aéroport.

La définition du périmètre est un point important, puisque la communauté aéroportuaire n'a pas vocation à recouvrir l'ensemble du territoire national : même si les entreprises travaillant dans le sud de la France sont intéressées par le développement de Roissy ou d'Orly, il est évident qu'il faut limiter la zone d'influence.

Pour ma part, je propose une sorte de combinaison entre le plan de gêne sonore et la zone d'influence économique. La solution est dans ce sens. Je propose également que cela se fasse par voie réglementaire ; nous aurons donc peut-être un autre débat à ce sujet.

L'article 3 prévoit les modalités de la création de la communauté aéroportuaire. Sortons de ce débat un peu suranné, qui oppose la région et le département. C'est un souci de cohérence avec les lois de décentralisation qui dicte la proposition que je vous soumets de confier au président du conseil régional la communauté aéroportuaire, dans le respect de la légitime représentation des autres collectivités territoriales.

Les lois de décentralisation permettront de transférer de plus en plus de compétences économiques aux régions. Il serait donc aberrant que cette loi contrarie cet effort de cohérence et d'équilibre. C'est aussi un gage de réussite pour la vie des communautés aéroportuaires.

L'article 4 traite de la composition du conseil d'administration. J'ai suffisamment évoqué pour ne pas y revenir les effets négatifs d'une situation dans laquelle les compétiteurs ne se parlent pas et ne se comprennent pas. Le règlement d'un conflit d'usage passe toujours par l'organisation d'une entité qui leur permet de se retrouver : la commmunauté aéroportuaire sera cette entité.

Il convient que soient représentés à parité deux collèges : un collège d'élus et un collège des entreprises, au sens large du terme, qu'il s'agisse du gestionnaire d'aéroport, des compagnies ou des entreprises travaillant sur le site ou hors site.

L'article 4 fera probablement l'objet d'un débat sur le fond, débat qui est intéressant. Grâce aux amendements du Gouvernement, grâce à un certain nombre d'observations qui ont été formulées, nous arriverons sans doute très vite à trouver le terrain d'entente qui convient.

L'article 5 concerne la définition de la ressource, au sujet de laquelle se sont exprimées certaines craintes. Dans le rapport que j'ai présenté à M. le Premier ministre, j'ai proposé un certain nombre de ressources potentielles. C'était en quelque sorte une boîte à outils. Mon devoir était d'avancer des propositions qui soient les plus larges possible.

En revanche, dans la proposition de loi, je suis revenu sur certains points ; car je tenais à éviter toute taxation supplémentaire : aucune taxe supplémentaire ne sera prélevée, sauf une, celle qui, encadrée par un arrêté, contribuera à l'alimentation du fonds de compensation des nuisances aériennes : la contribution « volontaire » d'Aéroports de Paris.

Si la communauté aéroportuaire n'avait pas de ressources à gérer, elle ne serait qu'un gadget, un organisme un peu inutile et, en tout cas, dénué de moyens.

En revanche, un certain nombre de possibilités sont offertes, aux termes de l'article 5, sans que quiconque soit contraint de subir de prélèvement supplémentaire. Vous remarquerez d'ailleurs que j'ai pris la précaution d'utiliser l'expression de « contribution volontaire ». Le volontariat veut bien dire ce qu'il veut dire : il n'y aura pas de « volontaire désigné ». Nous détaillerons ces différents points lors de la discussion de l'article.

L'article 6 est le guide de fonctionnement de la communauté aéroportuaire, puisqu'il précise les projets éligibles au financement et les domaines d'activité ; je les ai évoqués tout à l'heure. Nous reviendrons dans le cours du débat sur les modalités de l'éligibilité : c'est très important puisque la ressource affectée que gérera la communauté aéroportuaire doit agir non pas comme un substitut d'investissement, mais bien comme un levier pour accélérer les différentes actions. C'est donc un rôle de facilitateur et de développeur qui lui échoit.

L'article 7, enfin, introduit la notion de contrat de développement durable en énonçant que l'aide financière de la communauté sur un projet interviendra dans ce type de contrats avec les maîtres d'ouvrage concernés. Il est important de réintroduire chaque fois cette notion de développement durable.

Avant de conclure, je veux remercier le Gouvernement de la confiance qu'il m'a témoignée en me chargeant de cette mission, remercier celles et ceux qui m'ont accompagné ; je les ai cités tout à l'heure, je les salue à nouveau. Certains sont dans les tribunes, d'autres sont commissaires du Gouvernement.

Je veux remercier également les collaborateurs de la commission des affaires économiques, mais d'abord son président, pour l'aide qui m'a été apportée dans l'élaboration en un temps relativement bref de cette proposition de loi. Ce travail est venu s'ajouter à celui de la commission en période budgétaire. Ce ne fut pas tâche aisée.

En conclusion, je soulignerai que, en l'absence de dialogue et de concertation, aucune solution ne pourra être trouvée. Si cette proposition de loi a un mérite, ce sera celui d'organiser le dialogue et la concertation.

Vouloir concilier des sujets aussi antinomiques peut s'apparenter à la résolution de la quadrature du cercle. Mais c'est ma conviction gaulliste qui l'emporte : il n'y a jamais de fatalité, il n'y a que des renoncements. En nous dotant de cet outil, nous pourrons jeter aux orties la fatalité. Quant aux renoncements, ils ne pourraient résulter que de comportements individuels. Tel n'est pas, j'en suis certain, celui qu'adopteront les élus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 36 minutes ;

Groupe socialiste, 21 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 10 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Sergent.

M. Michel Sergent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin a pour objet de mettre en place une nouvelle catégorie d'établissement public administratif appelée « communauté aéroportuaire », en vue de créer, en quelque sorte, un lieu de dialogue entre les différents acteurs de territoires qui sont sous l'influence d'un même aéroport. Il s'agit, comme l'écrit M. le rapporteur, auteur de ce texte, de « rechercher des solutions consensuelles » malgré des intérêts souvent divergents et de faire ainsi émerger « une communauté d'intérêts » sur ces territoires. Qui ne pourrait souscrire à de tels objectifs ?

Cet établissement n'est cependant pas seulement un « lieu de parole » ; c'est aussi une instance qui devrait disposer de moyens financiers et d'un pouvoir de décision dans des domaines aussi divers et stratégiques pour les communes et les habitants de ces zones que l'environnement, l'urbanisme, les transports, l'emploi et l'information.

Cette proposition de loi, qui traite donc de sujets très sensibles pour ces territoires - je pense surtout aux riverains qui ont à supporter les bruits des avions -, aurait mérité un examen un peu plus approfondi que ce que les délais arrêtés par la majorité sénatoriale nous permettent de faire. A peine déposée, elle est inscrite à l'ordre du jour. C'est un peu rapide ! J'avoue ne pas comprendre cette célérité. Je ne sais quel sera le devenir de ce texte, mais légiférer ainsi, dans la précipitation, alors que plusieurs textes traitant des questions aéroportuaires sont en cours d'examen devant le Parlement, ne permet pas de faire du bon travail, surtout quand ces différents textes ne vont pas dans le même sens !

Car tel est bien le cas. La législation relative aux aéroports est en cours de modification par le biais de deux textes, trois si on ajoute celui qui nous occupe aujourd'hui, et tous ne disent pas la même chose, je viens de le rappeler.

Il y a tout d'abord le projet de loi relatif aux responsabilités locales, qui transfère aux collectivités territoriales - sans préciser lesquelles - une centaine d'aéroports, à l'exception des aéroports parisiens, et qui prévoit de modifier par ordonnance, donc sans le contrôle du Parlement, les règles relatives à la sûreté des vols et à la sécurité de l'exploitation des aérodromes, ce qui est tout à fait contestable.

Il y a aussi l'article 16 du projet de loi de finances rectificative pour 2003, qui vise à remplacer à compter du 1er janvier 2005 le volet « bruit aérien » de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, destiné au financement des travaux d'insonorisation des logements des riverains des aéroports par le biais d'une taxe affectée, et à en confier la gestion non plus à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, mais aux gestionnaires d'aérodromes.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Et alors, où est le problème ?

M. Michel Sergent. Quelques questions demeurent. La proposition de loi donne compétence à la région pour créer la communauté aéroportuaire. Monsieur le rapporteur, comment justifiez-vous ce choix ? Avez-vous consulté les régions, et plus spécifiquement la région d'Ile-de-France, concernée au premier chef ? Je ne le crois pas.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Je l'ai fait : elle n'a jamais répondu.

M. Michel Sergent. Par ailleurs, ne croyez-vous pas qu'il y ait une contradiction entre votre proposition de loi, qui fait le choix du niveau régional, et le projet de loi relatif à la décentralisation, qui ne tranche pas, s'agissant du transfert de compétence pour la gestion des aéroports, entre les différents niveaux territoriaux ? Ne craignez-vous pas le risque de tutelle d'une collectivité sur une autre, ce que nous prohibons tous ? Je crois vraiment qu'il aurait été préférable de traiter la question des communautés aéroportuaires dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales !

Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour interpeller le Gouvernement et lui rappeler les inquiétudes des associations de riverains, qui ne voient pas d'un très bon oeil le désengagement de l'Etat de la lutte contre les nuisances sonores aériennes, pas plus que le nouveau rôle confié aux gestionnaires d'aéroports, qu'ils estiment être, sans doute à juste titre, tout à la fois juge et partie.

J'ajoute qu'il demeure un problème de fond : la question du financement des projets de la communauté aéroportuaire. Le manque de moyens risque de lui faire perdre toute crédibilité. Je note que ses ressources seront composées du produit des sanctions prononcées par l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l'ACNUSA. C'est une bonne chose. Mais pouvez-vous indiquer quelle somme cela représente ? J'imagine que ce sera assez dérisoire !

Je note surtout que nombreuses sont les ressources virtuelles, puisque désormais aucune n'est obligatoire, qu'il s'agisse des versements des gestionnaires d'aéroports - ADP pour Paris, les chambres de commerce ailleurs -, des contributions des entreprises bénéficiant de l'activité des aéroports, ou de celles qui proviennent du budget de l'Etat.

Seules les collectivités locales sont tenues de financer les projets de la communauté aéroportuaire par l'intermédiaire des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle ! C'est un comble !

Je regrette par ailleurs que vous n'ayez pas dégagé de priorités dans les projets à financer et que ceux-ci ne soient pas plus clairement définis. Cinq domaines d'action sont prévus : l'environnement, l'urbanisme, les transports, l'emploi et l'information. Il faut se reporter aux explications qui figurent dans votre rapport pour connaître plus précisément les actions qui peuvent être financées : elles vont de l'insonorisation de pièces à l'achat de terrains ou au rachat de maisons trop exposées au bruit, en passant par le renforcement des transports collectifs, la politique de communication et j'en passe. Toutes ces actions sont justifiées, mais elles nécessitent des moyens importants qui font défaut. Dès lors, à quoi va servir la communauté aéroportuaire ?

Par ailleurs, les modalités d'association des riverains sont-elles suffisantes, sachant qu'ils n'ont qu'une voix consultative ? Comment, monsieur le rapporteur, envisagez-vous le dialogue avec les instances existantes, l'ACNUSA ou les commissions consultatives, par exemple ?

En fin de compte, le problème de fond est celui du troisième aéroport. Le Gouvernement a fait le choix d'en abandonner la création et de poursuivre le développement du trafic à Orly et à Roissy. Le mécontentement et l'incompréhension des riverains grandissent. Vous cherchez une issue, et vous pensez l'avoir trouvée dans la communauté aéroportuaire. Est-ce suffisant ? Je ne le crois pas !

Vous comprendrez que, dans ces conditions, le groupe socialiste ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Il a tort ! Mais personne n'est parfait !

M. Michel Sergent. Surtout pas les socialistes, n'est-ce-pas, monsieur le rapporteur ?

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Jean-François Le Grand constitue un élément majeur d'accompagnement du développement des plates-formes aéroportuaires dans notre pays.

L'essor du trafic aérien, en raison de l'internationalisation de notre économie, est inéluctable - nous en sommes tous conscients -, qu'il s'agisse du transport de passagers ou du transport de fret. Je ne rappellerai pas les chiffres qu'a cités le rapporteur, mais vous aurez noté qu'ils sont supérieurs au taux de croissance de la richesse mondiale.

La France n'y échappera pas.

Si un certain nombre de mesures ont déjà été prises pour gérer au mieux l'augmentation du trafic sur les plates-formes existantes, notamment sur les plates-formes parisiennes, il faut désormais prendre en compte plus en amont les questions d'environnement, de qualité de vie, d'impact économique, de transport et d'urbanisme. Elles ne manqueront pas non plus de se poser aux autres aéroports, qu'il s'agisse des grands aéroports de province, tels que ceux de Nice ou de Lyon, ou qu'il s'agisse du troisième réseau aéroportuaire, au sein duquel la plate-forme de Vatry a un rôle important à jouer. Je ne souhaite pas que ce réseau soit oublié dans ce texte, quitte à ce que la loi soit ultérieurement complétée pour faciliter le développement de ces nouvelles plates-formes. Car celui-ci est attendu non seulement par les collectivités qui promeuvent ce troisième réseau, mais aussi par les riverains des aéroports parisiens, concernés au premier chef.

C'est précisément l'objet des communautés aéroportuaires que de permettre la prise en compte de ces questions importantes en réunissant autour du gestionnaire de l'aéroport les entreprises bénéficiant de son activité, les compagnies aériennes et les collectivités territoriales directement concernées par l'infrastructure. Il conviendra évidemment - et c'est, je crois, une condition nécessaire pour que l'outil soit véritablement efficace - de veiller à ce que toutes les collectivités locales parties prenantes dans ce nouvel établissement public soient placées sur un pied d'égalité.

Je vous rassure, monsieur le rapporteur, il ne s'agit pas d'ouvrir une nouvelle fois le débat suranné sur la place de la région par rapport au département ; mais, pour reprendre le cas que je connais bien du département de la Marne, je rappelle que l'aéroport de Vatry a été créé sur l'initiative du seul conseil général, et non de la région. Une nécessaire égalité devra être établie au sein de la communauté aéroportuaire, même si celle-ci doit être créée sur proposition du conseil régional.

A l'instar des commissions locales d'information et de surveillance, les CLIS, qui existent autour de certaines activités industrielles, les communautés aéroportuaires - vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur - devraient être un espace de dialogue où soit assurée l'information sur les besoins et les contraintes de tous les partenaires, ainsi qu'un outil de prévention permettant de désamorcer les conflits potentiels dans les relations entre l'aéroport et son voisinage immédiat. En assurant la transparence sur un sujet aussi sensible que la cohabitation entre un aéroport et la population locale, les communautés aéroportuaires permettront d'anticiper et d'éviter certains problèmes, parfois paralysants pour l'économie d'une région.

Paradoxalement, la population qui bénéficie des retombées économiques positives de l'activité directe et indirecte générée par le trafic aérien supporte aussi de plus en plus mal les nuisances qui en découlent, malgré les mesures mises en oeuvre pour en réduire les effets, telles que l'instauration du couvre-feu ou l'interdiction de certains types d'avions.

En réunissant tous les acteurs dans une dynamique commune et en prenant en considération tous les aspects liés à l'activité du site, les nouvelles communautés devraient faciliter l'intégration des aéroports au sein de leur territoire.

Je note également avec intérêt que les communautés aéroportuaires seront dotées de la personnalité morale et disposeront de ressources propres. Ainsi devraient être conférés à ces nouveaux établissements publics de véritables moyens, à la fois juridiques et matériels, pour que leurs travaux ne se résument pas à de simples déclarations d'intention sans effet concret. Rien ne serait pire, en effet, que de faire naître chez les riverains des espoirs qui seraient malheureusement vite déçus, faute de moyens pour en imposer la concrétisation. La proposition de loi qui nous est soumise évite cet écueil et me paraît donc compléter utilement les dispositions qui ont déjà été prises, telle la création, en 1999, de l'ACNUSA, dont les compétences pourraient sans doute être élargies.

Vous l'aurez donc compris, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste votera cette proposition de loi, en émettant le voeu que les communautés aéroportuaires prennent rapidement toute leur place et que la législation soit, le cas échéant, adaptée pour accompagner le développement des plates-formes, qui ont peut-être été oubliées pour l'instant. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà un an presque jour pour jour, nous débattions ici même de la réorganisation des couloirs aériens en Ile-de-France et, plus généralement, du problème des nuisances sonores liées à l'activité aérienne et aéroportuaire.

La proposition de loi, déposée par notre collègue Jean-François Le Grand, que nous examinons ce matin est un élément de réponse à cette préoccupation particulièrement vive en Ile-de-France, mais pas uniquement dans cette région. Huit plates-formes sur dix ne se situent-elles pas dans les régions ?

La proposition de loi rappelle l'attention que la commission des affaires économiques porte à ce dossier et la sensibilité des collectivités territoriales voisines des aéroports aux nuisances aériennes, en raison des gênes occasionnées à leurs habitants.

En réalité, ce dossier n'a cessé d'être présent à l'esprit de bon nombre d'entre nous, tant il occupe l'espace de débat à l'échelon du territoire.

A ce titre, j'ai interrogé M. le ministre de l'équipement, du transport, du logement, du tourisme et de la mer sur les perspectives d'amélioration de la situation en Ile-de-France. Je lui ai adressé à cette fin une question écrite.

Sans m'attarder, je rappellerai simplement, en pensant aux territoires survolés, que 30 % des vols à l'atterrissage par vent d'ouest à Orly continuent d'intercepter l'axe de la piste à 3 000 pieds, contrairement à ce qui était prévu dans le nouveau dispositif de circulation aérienne.

J'ai également déjà exprimé ma préoccupation devant la trajectoire d'approche de Roissy pour les avions en provenance du sud-ouest par vent d'est : il s'agit de la boucle au nord du département des Yvelines et au sud du département des Hauts-de-Seine, qui amène les avions à commencer leur descente au-dessus, par exemple, de Saint-Léger-en-Yvelines avant d'entamer un long palier au-dessus de Thoiry et de Villiers-le-Mayeux à 4 000 pieds d'altitude seulement.

Je citerai le cas de Saint-Arnoult-en-Yvelines, devenu un carrefour aérien, et soumis en particulier à l'impact sonore des 747-200 qui décollent d'Orly. Ce point est exemplaire, car il serait possible, pour les quelques années pendant lesquelles les appareils de ce type voleront encore, de modifier les trajectoires de décollage afin de soulager les moteurs et donc de diminuer la nuisance sonore.

Je voudrais réaffirmer ici ma conviction que, dans le droit-fil des principes qui inspirent les orientations de la proposition de loi que nous examinons, nous pourrions, collectivement et dans la transparence, comme le disait M. le rapporteur, réduire les nuisances sonores aéroportuaires en utilisant tous les moyens que nous offrent les techniques aéronautiques modernes.

Bien entendu, cela commence avec la modernisation des flottes et l'utilisation d'appareils moins bruyants.

Le deuxième axe de progrès, qui est lié au premier, concerne la redéfinition des trajectoires d'approche. Je prendrai un exemple classique et bien connu de la plupart d'entre nous : les biréacteurs, qui sont conçus pour pouvoir effectuer leur décollage avec un seul moteur en cas d'avarie, ont la capacité technique d'effectuer à plein régime des ascensions beaucoup plus rapides que les appareils plus anciens. On pourrait donc, à l'avenir, imaginer que les trajectoires de décollage emmènent beaucoup plus rapidement les avions à des altitudes auxquelles les nuisances sont marginales.

L'autre aspect important du progrès technique repose sur la modernisation des outils de navigation aérienne. Beaucoup reste à faire dans ce domaine. J'ai noté, monsieur le secrétaire d'Etat, que les modifications des trajectoires d'approche étaient complexes, ce qui fait que certains services techniques sont parfois réticents à les envisager. C'est ainsi que les services de M. de Robien m'ont indiqué que la réglementation internationale imposait que les avions se positionnent sur l'axe de la piste à une distance d'au moins vingt kilomètres, ce qui entraîne, par exemple, le survol à basse altitude des communes de Bonnelles, de Bullion et de Rochefort-en-Yvelines lors des atterrissages à Orly par vent d'est.

Il existe pourtant des solutions qui méritent pour le moins d'être examinées, et je souhaite que vous écoutiez les élus et leurs associations à cet égard. Ainsi, le passage du système de guidage ILS au système MLS permet des approches en virage qui évitent de concentrer tous les avions des dizaines de kilomètres à l'avance sur le même axe.

Naturellement, cela suppose un important effort de formation des contrôleurs aériens.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Tout à fait !

M. Gérard Larcher. Vous pourrez peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat, nous préciser quelles sont les perspectives de mise en place du système MLS.

Toutefois, et j'en viens plus strictement au texte qui nous est soumis aujourd'hui, tout ne peut pas être fait par le recours aux solutions techniques, et nous en sommes bien conscients. Toute activité économique, et le transport en particulier, génère par nécessité, et loin de moi la volonté de le nier, une certaine quantité de nuisances.

Je dois saluer ici la clairvoyance de notre collègue Jean-François Le Grand,...

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. La grande clairvoyance !

M. Gérard Larcher. ... qui, depuis des années, réfléchit, notamment dans le cadre des travaux de la commission des affaires économiques du Sénat, aux moyens de mieux répartir le poids des nuisances et de les compenser dans la mesure du possible.

La proposition de loi que nous examinons prévoit enfin des solutions simples et concrètes pour faire bénéficier les riverains de l'activité économique à la source des nuisances qu'ils subissent. N'est-ce pas en définitive naturel que ces populations tirent profit de la présence de l'équipement structurant que constitue un grand aéroport ?

Je vous proposerai d'ailleurs tout à l'heure un amendement précisant bien que ce dispositif s'applique aux principaux aéroports de notre pays. Je vous interrogerai aussi, comme notre collègue Yves Détraigne, sur la possibilité que cette liste ne soit pas, à l'avenir, restrictive, notamment si un troisième réseau devait apparaître.

Je crois qu'il faut saluer toutes les démarches qui, comme celle de notre collègue, visent à mettre au clair les enjeux économiques, sociaux et environnementaux du développement du transport aérien.

Il me semble que les aspects liés à la concertation et à l'information des riverains sont particulièrement importants dans le dispositif proposé. Je pense, en effet, que nombre des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui dans le dossier des nuisances sonores aéroportuaires s'expliquent par l'absence ou l'insuffisance de concertation, ce qui fut la règle pendant de trop longues années.

En conclusion, je voudrais redire ma conviction de la nécessité pour le Parlement de se saisir de ce dossier. C'est une raison supplémentaire pour moi de me féliciter de l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis pour le moins étonnée de la précipitation avec laquelle notre assemblée est amenée à examiner ce texte de notre collègue Jean-François Le Grand alors que la loi relative aux responsabilités locales, discutée, ici même, il y a moins d'un mois et actuellement en navette, excluait expressément du champ de la décentralisation ces aéroports, « qui avaient vocation à rester de la compétence nationale ».

Pourquoi aujourd'hui un texte particulier et précipité sans prendre le temps de la concertation avec l'ensemble des parties concernées ?

Certes, face au constat que chacun fait de la nécessité d'une véritable coordination des acteurs de la sphère aéroportuaire, qu'il s'agisse des collectivités territoriales, des riverains et des entreprises, ainsi que d'une politique durable et d'envergure de maîtrise des nuisances environnementales, de l'activité économique, de l'emploi et de l'intermodalités des infrastructures de transports, il est important de répondre à des préoccupations exprimées, pour certaines, depuis de nombreuses années.

Pour autant, est-ce la mise en place d'une nouvelle catégorie d'établissement public à caractère administratif qui suffira à résoudre les atteintes aéroportuaires à l'environnement et à la qualité de vie urbaine et rurale, les difficultés d'accès des riverains aux emplois et aux équipements collectifs, ainsi que l'information des populations ? Pour notre part, nous le pensons pas !

Comment être confiants quand les termes de cette proposition de loi s'articulent principalement autour des nouvelles modalités de financement des indemnisations des nuisances sonores des aéroports en intégrant les entreprises à parité avec les collectivités territoriales ?

Faut-il rappeler que cette aide aux riverains, instituée par la loi du 31 décembre 1992, avait été, dans un premier temps, confiée à Aéroports de Paris, mais que, devant son peu d'empressement à gérer les dossiers en souffrance, c'est l'ADEME qui avait hérité de cette mission ?

Sont concernés 180 000 logements, habités par 450 000 personnes vivant dans trois zones de gêne sonore très forte.

Si aujourd'hui les délais d'attente d'indemnisation sont d'au moins trois ans et que toutes les indemnisations des riverains sont arrêtées, ce n'est pas que l'ADEME a failli à ses missions, c'est faute de budget !

Les crédits d'indemnisation sont en baisse constante depuis bientôt deux ans : moins 12,5 % pour le budget de 2003 par rapport au budget de 2002.

Pour 2003, l'augmentation de 20 millions d'euros annoncée, indispensable pour traiter les dossiers en attente, s'est réduite à 8 millions d'euros, soit 40 % seulement de ce qu'il aurait fallu, et alors même que le dernier rapport de l'ACNUSA chiffre à 1,1 milliard le montant des besoins !

Vous le voyez, mes chers collègues, l'état actuel d'indemnisation des riverains est désastreux et c'est extrêmement grave. On comprend pourquoi les plus récentes commissions d'attribution des aides concernées ont purement et simplement été annulées, faute de financement pour répondre aux demandes des riverains !

Pour 2004, la dotation budgétaire versée à l'ADEME sur le chapitre isolation phonique a été réduite, dans le cadre de la loi de finances, à la consommation des autorisations de programme déjà ouvertes et à l'achèvement des opérations en cours.

En clair, ce n'est plus l'ADEME qui procédera demain à l'instruction des dossiers.

Confier demain, de manière directe, la perception et l'utilisation du produit de la future taxe sur les nuisances sonores aériennes aux établissements gestionnaires des infrastructures n'est pas nécessairement la garantie d'une utilisation à bonne fin des sommes prévues pour l'indemnisation des riverains des grands aéroports, pas plus d'ailleurs que de confier l'éventuelle gestion de ces fonds aux futures communautés aéroportuaires. Ma collègue et amie Marie-France Beaufils reviendra plus en détail sur ce point dans son intervention sur la motion de renvoi en commission.

La création de communautés aéroportuaires repose donc sur l'idée de l'institution d'établissements publics administratifs réunissant à parité les entreprises des activités aéroportuaires et les collectivités territoriales.

Pourquoi n'avoir pas associé dans ces communautés aéroportuaires, à même hauteur que les entreprises et les collectivités territoriales, les riverains, les salariés et les usagers, dont l'avis peut être éclairé et utile sur l'ensemble des questions environnementales ?

Ainsi, alors qu'une concertation et un débat auraient été nécessaires, les couloirs aériens de Roissy ont été changés sans concertation avec les riverains.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Par M. Gayssot !

Mme Odette Terrade. Les nuisances sonores des appareils sont souvent évoquées par les syndicats de salariés, qui dénoncent la stratégie des constructeurs aéronautiques, lesquels, pour des raisons de coût, ne développent pas de moteurs « propres », moins sonores et moins polluants. Leur présence dans ces communautés aéroportuaires pourrait être précieuse.

La limitation à un représentant des riverains et à un représentant des associations de protection de l'environnement avec seulement voix consultative nous semble par trop frileuse, même si le rapporteur prétend avoir voulu laisser la primauté au politique. Nous notons d'ailleurs que les entreprises sont, elles, représentées à parité avec les collectivités territoriales !

En outre, aucune référence n'est faite dans le texte au devenir des commissions consultatives de l'environnement - les CCE - ou des commission consultatives d'aide aux riverains - les CCAR -, qui sont pourtant aujourd'hui des outils appréciés.

De même, quelles seront les relations de cette nouvelle structure avec Aéroports de Paris, gestionnaire des aéroports parisiens ?

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Les meilleures !

Mme Odette Terrade. J'aimerais le croire...

Concernant les ressources de la communauté aéroportuaire, nous émettons les plus grandes réserves sur la création d'un fonds spécial de solidarité alimenté notamment par une contribution volontaire, donc facultative, des entreprises bénéficiant de l'activité aéroportuaire, qu'elles soient ou non situées sur l'emprise de l'aéroport, à l'exception des compagnies aériennes.

En réalité, nous savons déjà à quoi nous attendre à la lumière des déclarations d'entreprises concernées qui repoussent l'idée de mettre la main à la caisse, arguant qu'elles ne sont pas responsables de la pollution, comme l'a déclaré M. Jean-Claude Lambert, président de l'Association des concessionnaires d'Aéroports de Paris, qui représente 220 boutiques, 170 points de services et neuf hôtels.

Au-delà de l'indemnisation des riverains, les autres missions prévues dans la proposition de loi - promotion des activités économiques et aéroportuaires par l'encouragement à l'emploi, et communication en direction des riverains - me paraissent être une sorte d'habillage.

Ainsi, concernant l'emploi, alors que les aéroports parisiens représentent un bassin de 15 000 emplois et 11 % du PIB de la région, la réalité est toute différente : les riverains des quartiers défavorisés n'ont que peu accès aux emplois des plates-formes aéroportuaires parisiennes...

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. CQFD !

Mme Odette Terrade. ... mais ce n'est pas simplement affaire de communication.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Non, en effet.

Mme Odette Terrade. Des expériences ont été menées en Seine-Saint-Denis qui devaient réserver 20 % des emplois proposés à des personnes issues des communes riveraines, mais l'état des niveaux de qualification se traduit par un chiffre beaucoup plus faible.

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. On est bien d'accord !

Mme Odette Terrade. C'est donc un travail d'aide éducative qui est prioritaire.

Par ailleurs, on laisse six mois seulement au conseil régional pour décider de prendre en charge la création de la communauté aéroportuaire. Ce délai est-il suffisant pour se donner les moyens d'une réelle concertation avec les collectivités territoriales, les riverains et les entreprises ?

De plus, quel réel pouvoir cet « organe de gouvernance territoriale », comme le définit le rapporteur, aura-t-il pour choisir les projets éligibles dans les domaines de l'environnement, de l'urbanisme, des transports, de l'emploi et de l'information ? S'il s'agit simplement de se parler, était-il nécessaire de créer un nouvel établissement public administratif ? Que deviendront les structures de concertations existantes ?

Dans sa forme et, pour une part, dans son contenu, une telle proposition de loi peut apparaître à certains de ceux qui ne sont pas concernés par le problème comme allant dans le sens de la qualité et du progrès environnemental. En fait, cette proposition de loi est une véritable aberration, car elle prévoit de donner le pouvoir aux entreprises, tout en donnant au conseil régional et aux départements concernés la charge de gérer les conséquences de l'exploitation des aéroports, conséquences qu'ils ne maîtriseront pourtant pas parce que tout sera décidé par l'Etat.

De plus, il nous semble que les arguments avancés à l'appui de cette proposition de loi « collent » étrangement aux attentes des compagnies au rabais, dites low costs, qui pourraient, au travers de cette structure, revendiquer des aides déguisées, ce qu'elles font déjà en exigeant des chambres de commerce et d'industrie des contreparties à la promotion des régions dans lesquelles leurs avions atterrissent.

Devons-nous interpréter la mise à parité des collectivités avec les entreprises comme un alignement supplémentaire sur la politique européenne qui, sur le modèle économique ultralibéral, a pour objectif « le ciel unique européen », c'est-à-dire la déréglementation intégrale de toutes activités des services publics aériens, en mettant entre les mains des entreprises la gestion intégrale du secteur d'activité de l'aéroportuaire, avec une distribution des rôles ?

Cette proposition de loi préfigure le désengagement total de l'Etat de son rôle de garant de l'aménagement du territoire et du développement durable dans le domaine des transports.

Considérant qu'elle n'atteindra pas les objectifs fixés par ses auteurs, le groupe communiste républicain et citoyen refusera de la voter.

M. Gérard Larcher, président de la commission. C'est dommage !

M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Et contradictoire avec une partie de votre argumentaire, mais je ne désespère pas de vous convaincre !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création des communautés aéroportuaires
Discussion générale (suite)