PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. Le Sénat va maintenant examiner les dispositions du projet de loi concernant la décentralisation.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il a déjà été beaucoup question du budget des collectivités locales depuis quelques semaines au sein de la Haute Assemblée. C'est naturellement notre vocation première, mais il me sera difficile d'être original !
Mes chers collègues, à titre d'introduction, je rappellerai le rôle que jouent les collectivités locales dans l'ensemble budgétaire de notre pays, puisque c'est de budget que nous discutons aujourd'hui.
Contrairement à ce qui se passe en Allemagne, où près de la moitié du déficit des administrations publiques résulte de celui des Länder, en France, depuis de nombreuses années, les collectivités territoriales sont en excédent et contribuent de manière positive à réduire le déficit global des administrations publiques. Cela, au moins, doit leur valoir la considération du Gouvernement et surtout celle du Parlement, au moment où il doit voter le budget.
Cependant, cette année est importante parce qu'elle marque probablement la fin d'une époque : plusieurs réformes sont concentrées dans votre projet de budget, monsieur le ministre.
Je constate, tout d'abord, que les sommes sur lesquelles nous allons nous prononcer dans quelques instants sont considérablement réduites par rapport aux années antérieures. Je m'en réjouis parce que toutes les dotations que l'Etat versait pour compenser des impôts ont été basculées dans une catégorie juridique nouvelle, les prélèvements sur recettes, ce qui protège les concours financiers que l'Etat verse aux collectivités locales.
J'insiste sur ce rôle de protection, car, si l'on compare le montant des concours que l'Etat accorde aux collectivités locales et celui du déficit du budget de l'Etat, l'on s'aperçoit que les deux chiffres sont relativement voisins.
Pour satisfaire un certain nombre d'exigences, notamment celles que nous avons souscrites auprès de l'Union européenne, il aurait pu être relativement facile de réduire le déficit du budget de l'Etat en diminuant les concours financiers aux collectivités locales, ce qui n'aurait gêné en rien l'Etat mais aurait considérablement pesé sur les collectivités publiques.
La sanctuarisation que constitue le passage des concours financiers de l'Etat à la catégorie des prélèvements sur recettes est une très bonne chose pour la protection des concours financiers. Elle vous permet également, monsieur le ministre, d'enclencher la première réforme des concours financiers que l'Etat accorde aux collectivités territoriales en mettant en place une nouvelle architecture de la dotation globale de fonctionnement, la DGF.
Ces deux mesures - le passage en prélèvements sur recettes et la nouvelle architecture de la DGF - préparent une réforme de fond de la DGF pour l'année prochaine. D'ores et déjà, vous annoncez une meilleure prise en compte de la péréquation puisque l'architecture nouvelle de la DGF permettra de dégager des ressources qui seront affectées en grande partie à la péréquation.
Voilà quelques jours, nous avons vu que l'essentiel des augmentations de la DGF, nouvelle formule, irait vers la péréquation. C'est très important.
Mais il y a plus important encore. Si le projet de budget pour 2004 prépare la réforme des concours financiers que l'Etat accordera aux collectivités locales, il assure aussi la mise en place des premiers transferts de compétences. Si tout se passe bien, le pacte de confiance entre l'Etat et les collectivités locales sera renoué. Si le transfert de compétences liées au RMI, la création du RMA, les conséquences de la réforme de l'ASS et de l'UNEDIC sont prises correctement en compte, les collectivités locales, essentiellement les départements, accepteront les réformes plus larges que prépare le projet de loi relatif aux responsabilités locales dont le Sénat a largement débattu avec vous, monsieur le ministre.
La façon dont nous avons inscrit, dans la première partie de ce projet de loi de finances, l'article 40 nous donne entière satisfaction, et je tiens à remercier le Gouvernement des efforts qu'ils a consentis pour que le transfert soit loyalement compensé.
Même s'il apparaît un peu complexe, le phasage en trois étapes de la compensation du transfert est pour nous essentiel et nous donne également pleine satisfaction. Cela mérite d'être souligné, car ce transfert est très lourd pour les départements. Lorsqu'on nous indique que c'est une bonne affaire, au motif que la démographie arrangera la situation dans les années qui viennent, même s'il s'agit d'une pétition de principe importante et d'un espoir que nous pouvons tous partager, nous savons qu'avant ces beaux jours, il faudra affronter l'hiver et qu'autour du 1er janvier nous devrons faire face aux dépenses nouvelles mises à la charge des départements. La façon dont les affaires ont été traitées sont un bon présage pour la mise en oeuvre, en 2005, de la loi relative aux responsabilités locales.
S'agissant de l'analyse des crédits de la décentralisation, je note une bonne nouvelle : la création d'une dotation pour les services départementaux d'incendie et de secours à laquelle nous sommes très sensibles. Nous avions pu, grâce à une initiative sénatoriale, réutiliser des réserves non dépensées de la dotation globale d'équipement, mais nous parvenions à la fin de l'exercice. Désormais, des crédits budgétaires pour l'équipement des SDIS sont prévus.
M. le ministre de l'intérieur a énuméré tout à l'heure un certain nombre de mesures qu'il entend proposer pour améliorer la situation des sapeurs-pompiers tant volontaires que professionnels. Il s'agit d'un travail de longue haleine ; il est bien rare qu'un ministre de l'intérieur ne veuille améliorer la situation des sapeurs-pompiers, mais, afin de respecter l'esprit de la Constitution, il serait bon que ces mesures n'entrent en vigueur qu'après le transfert de la taxe sur les conventions d'assurance. Nous avons, là aussi, apprécié l'annonce que vous avez faite, monsieur le ministre. Le fait pour les départements de percevoir, en plus d'une fraction de la TIPP non modulable, la taxe sur les conventions d'assurance va aussi dans le bon sens.
D'autres mesures vont également dans le bon sens ; j'en soulignerai quelques-unes.
Voilà quelques jours, le ministre de la fonction publique a réuni pour la première fois le collège des employeurs publics. Cette structure nouvelle offre des perspectives intéressantes même si, pour l'instant, le Gouvernement conserve encore la pleine maîtrise des évolutions des carrières des trois fonctions publiques, ce qui peut se comprendre. Il appartiendra désormais à ce collège de créer sa propre dynamique pour se rendre indispensable à la définition de la politique que mènera l'Etat envers les fonctionnaires. Il constitue en tout état de cause une façon plus qu'intéressante d'associer l'ensemble des collectivités territoriales à la gestion de leurs agents.
Une autre avancée très importante, décidée lors de la première lecture du projet de loi relatif aux responsabilités locales, est l'extension du fonds de compensation pour la TVA, d'une part, aux dépenses faites par une collectivité territoriale sur le domaine public de l'Etat ou sur celui d'une autre collectivité locale et, d'autre part, aux fonds de concours, extension que vous avez acceptée très volontiers, monsieur le ministre.
Le ministre délégué au budget a accepté la mise en oeuvre immédiate, c'est-à-dire dès le 1er janvier 2004, d'une partie des dispositions inscrites dans le projet de loi de finances pour 2004. Nous apprécierions beaucoup que vous annonciez qu'il ne s'agit là que d'une étape et que la totalité des dispositions qui ont été votées par le Sénat voilà quelques jours seront appliquées au 1er janvier 2005. Sinon, et ce serait ennuyeux, nous serions obligés de revenir à la charge lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative. Je suis sûr que tel n'est pas votre souhait, monsieur le ministre.
Si des mesures positives ont été décidées en faveur des collectivités locales, il subsiste toutefois quelques zones d'ombre que je me dois également de souligner.
L'une d'elles est le moindre effort de péréquation qui sera fait en 2004.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. La situation devrait s'améliorer en 2005 grâce à la nouvelle architecture de la DGF.
M. Jean-Pierre Sueur. Si vous y croyez...
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Monsieur Sueur, l'analyse honnête et complète d'une proposition ne peut que renforcer la valeur du vote final. Sinon ce serait trop simple.
S'agissant de ce moindre effort en matière de péréquation, je souhaite que l'année 2004 soit une année de transition vers un système plus efficace.
M. Jean-Pierre Sueur. Assurément !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Enfin, l'Etat doit être très attentif aux mesures réglementaires qu'il se sent obligé de prendre régulièrement, mesures qui, la plupart du temps, sont agréables à annoncer et aisées à financer, puisque, dans de nombreux cas,...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Ce sont les autres qui paient !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. ... ce sont en effet les collectivités locales qui les financent.
Si cette mauvaise habitude pouvait se perdre dans l'acte II de la décentralisation, nous aurions fait un grand pas vers la responsabilisation des élus locaux et de l'Etat, ce qui doit être le but de toute décentralisation.
Sous réserve de ces observations, mes chers collègues, la commission des finances vous propose d'adopter les crédits du budget de la décentralisation. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les données chiffrées ayant été longuement évoquées en séance publique le 25 novembre lors du débat sur les ressources des collectivités territoriales, je me bornerai, s'agissant des crédits relatifs à l'administration territoriale et à la décentralisation, à formuler quatre observations principales, quatre constats.
Premier constat : le projet de loi de finances pour 2004 tend à opérer une réforme importante et attendue de l'architecture des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales qui consiste à intégrer au sein de la dotation globale de fonctionnement diverses dotations, à créer une dotation globale de fonctionnement des régions, à harmoniser la structure de cette dotation en créant, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, une dotation forfaitaire et une dotation de péréquation.
Au total, le montant de la dotation globale de fonctionnement passera de 18,8 milliards d'euros à 36,7 milliards d'euros, en progression de 1,93 %, à structure constante, par rapport à 2003.
Cette réforme permettra d'améliorer la lisibilité des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales et - c'est un point important - de renforcer, à terme, la péréquation. Alimentée par un différentiel entre le taux de progression de la DGF et celui de la dotation forfaitaire, cette péréquation sera assurée d'un financement pérenne.
Le projet de loi de finances pour 2004 ne prévoit pas de modifier les critères d'attribution des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales. Lors de votre audition devant la commission des lois, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que cette réforme serait effectuée en 2004, après une large concertation et la réalisation de simulations permettant de mesurer ses conséquences sur les attributions individuelles des collectivités territoriales.
La commission des lois vous y invite fortement, car les critères de répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales sont trop nombreux, répondent à des objectifs parfois contradictoires et ne permettent pas de concentrer les crédits sur les collectivités qui éprouvent les plus grandes difficultés.
Deuxième constat : le projet de loi de finances pour 2004 prévoit la reconduction, pour un an, du contrat de croissance et de solidarité, selon les modalités d'indexation appliquées depuis 2001, c'est-à-dire l'indice des prix à la consommation hors tabac de l'année à venir majoré de 33 % du taux de croissance de l'année en cours.
Compte tenu de l'intrégration de diverses dotations au sein de la dotation globale de fonctionnement, l'enveloppe normée du contrat de croissance et de solidarité regroupera désormais près de 71 % du montant des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales.
La dotation de compensation de la taxe professionnelle continuera de servir de variable d'ajustement, les indexations des autres dotations demeurant, quant à elles, inchangées.
Cette indexation de la plupart des concours de l'Etat aux collectivités territoriales mérite d'être saluée si l'on considère que la progression des dépenses de l'Etat sera gelée en euros constants en 2004.
Toutefois, la reconduction pour un an seulement du contrat de croissance et de solidarité ne renoue pas avec l'objectif d'une programmation pluriannuelle des concours de l'Etat aux collectivités territoriales. Or ces dernières ont le plus grand besoin de disposer de ressources prévisibles pour planifier leurs investissements et établir leurs budgets.
Divers abondements sont destinés à préserver le montant des dotations de péréquation versées aux communes en 2004. La dotation de solidarité urbaine, la dotation nationale de péréquation et la dotation de solidarité rurale bénéficieront ainsi d'un montant total de 96 millions d'euros, qui permettront d'assurer aux dotations de solidarité une progression de 1,5 % environ en 2004.
Troisième constat : le projet de loi de finances pour 2004 prévoit le transfert aux départements d'une fraction du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, d'un montant prévisionnel de 5,22 milliards d'euros, afin de compenser les charges résultant de l'entrée en vigueur, prévue pour le 1er janvier 2004, du projet de loi portant décentralisation en matière de RMI et créant un RMA.
Cette mesure doit être examinée au regard de la double exigence posée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 : en premier lieu, les transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales doivent être accompagnés de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ; en second lieu, les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales doivent représenter, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources, dans des conditions déterminées par une loi organique.
S'agissant du premier point, je rappellerai simplement, d'une part, que le Conseil constitutionnel vérifiera la réalité de la compensation des charges transférées aux collectivités territoriales s'il est saisi du projet de loi de finances pour 2004, et, d'autre part, que, lors de l'examen en première lecture du projet de loi relatif aux responsabilités locales, le Sénat a prévu, sur l'initiative de notre commission, notamment du rapporteur de ce texte, Jean-Pierre Schosteck, une réforme importante de la commission consultative d'évaluation des charges, destinée surtout à renforcer le rôle des élus locaux.
S'agissant du second point, nous savons tous que le droit communautaire interdit la modulation des tarifs de la taxe intérieure sur les produits pétroliers au niveau départemental.
La question essentielle porte donc sur le point de savoir si l'attribution aux collectivités territoriales d'une part non modulable du produit d'un impôt national constitue une ressource propre, au sens de l'article 72-2 de la Constitution. Nous aurons à nous prononcer sur cette question lors de l'examen du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale à la fin du mois d'octobre.
Quatrième et dernier constat : la réforme de l'administration territoriale de l'Etat se poursuit, notamment avec l'extension de la globalisation des crédits de rémunération et de fonctionnement des préfectures.
En 2004, seules quatre préfectures, celles de Paris, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion, ne seront pas globalisées. Elles devraient l'être avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2006, de la loi organique relative aux lois de finances.
Par ailleurs, le projet de loi relatif aux responsabilités locales tend à opérer trois réformes que nous réclamions depuis longtemps : l'affirmation de l'autorité du préfet sur les services déconcentrés de l'Etat, un partage effectif des services avec les collectivités territoriales et une rénovation du contrôle de légalité.
Les mesures proposées vont dans le bon sens. Nous en avons longuement débattu il y a quelques semaines ; je n'y reviens donc pas.
Je souhaite, en revanche, attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de veiller au maintien des services publics en milieu rural et à leur diversification en milieu urbain. C'est là un vaste débat qui ne relève pas - loin de là - que du ministère de l'intérieur.
Des efforts sont accomplis, avec l'implantation de maisons des services publics, le développement des téléprocédures et la rénovation des sous-préfectures. Il importe cependant que les élus locaux soient davantage associés aux décisions concernant l'implantation des services publics. Nous avons à maintes reprises, au Sénat, insisté sur la nécessité d'une vraie concertation avant que les décisions de restructuration ou de réorganisation, voire de suppression, ne soient prises.
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à l'administration territoriale et à la décentralisation dans le projet de loi de finances pour 2004. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 28 minutes ;
Groupe socialiste, 19 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;
Groupe Communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il fallait donc voter en toute urgence, le dimanche matin, la loi relative aux responsabilités locales, de manière que les maires de France, dont je salue le président, M. Daniel Hoeffel, fussent dans l'extase devant le résultat de nos travaux !
Nous sommes de nouveau réunis, monsieur le ministre, et nous devons constater que ce projet de loi, du moins pour ce qui est de sa première lecture, n'a pas suscité un grand enthousiasme. Il a plutôt fait naître l'inquiétude, car, si nous étudions les charges susceptibles d'être attribuées aux collectivités locales ou celles qu'elles pourront accepter, force est de constater le flou qui entoure à la fois la fiscalité future des collectivités locales, les modalités des transferts de compétences et leurs conséquences financières, ainsi que la péréquation.
Je limiterai cette intervention à la péréquation, monsieur le ministre, dans l'espoir, longtemps déçu au cours des dernières semaines, que vous nous apporterez quelques éléments d'information complémentaires en dehors de ceux dont nous avons bien compris qu'ils étaient mentionnés dans la Constitution.
Je formulerai donc quelques remarques. La première figure dans le rapport spécial de M. Mercier. Il y est en effet très bien dit que les concours de l'Etat aux collectivités locales progressent de 1,2 %. « Il convient de souligner que cette progression est modérée » : je tiens à souligner l'humour de M. Mercier. En effet, monsieur le ministre, vous avez essayé de nous expliquer que l'augmentation était de 1,8 %. En fait, le rapport de M. Mercier est tout à fait cohérent avec celui de M. Hoeffel : la progression n'est que de 1,2 %, avec une inflation de 1,5 %. Nous devons comprendre que ce que M. Mercier appelle une progression « modérée » est en réalité une baisse de 0,3 %.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Heureusement que je vous ai comme porte-parole !
M. Jean-Pierre Sueur. M. Mercier a le sens de la litote, et je l'en félicite.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Il a surtout le sens des responsabilités !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons tous le sens des responsabilités, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Sauf ceux qui appellent à la dépense !
M. Jean-Pierre Sueur. En second lieu, vous avez largement mentionné la nouvelle architecture de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. J'ai bien compris que celle-ci intégrait un « paquet » que l'on appellera péréquation, ou plutôt péréquation potentielle, éventuelle, qui comprendra la DSU, la dotation de solidarité urbaine, et la DSR, la dotation de solidarité rurale, ainsi que l'ex-FNP, le fonds national de péréquation que vous avez rebaptisé dotation nationale de péréquation, la DNP. Nous y voilà !
Seulement, deux défauts caractérisent le système. Tout d'abord, vous parlez de régularisation de la DGF sur ce dispositif au mépris de la loi et des articles L. 1613-2 et L. 2234-1 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient l'affectation de cette régularisation à l'ensemble des communes.
De surcroît, vous annoncez que l'ex-FNP devenu DNP va faire partie de l'ensemble. Toutefois, en même temps que vous faites ce cadeau, si je puis dire, à la péréquation potentielle, hypothétique, vous supprimez l'abondement de l'Etat de 22,87 millions d'euros qui était effectué encore l'année dernière. L'architecture change donc, mais nous y perdons.
A cet égard, M. Mercier cite opportunément, dans son rapport, une déclaration du ministre délégué au budget, M. Lambert, qui nous explique en substance que c'est finalement très bien de ne pas appliquer la loi s'agissant de la régularisation puisque «l'affectation aux dotations de solidarité du montant de la régularisation positive de la dotation globale de fonctionnement des communes résulte, d'une part, de la volonté du Gouvernement de favoriser la péréquation, d'autre part, du fait que les attributions individuelles versées à chaque commune au titre de la régularisation auraient été dérisoires ».
Cet argument a un aspect quelque peu comique dans la mesure où il apparaît clairement que l'application de la loi aurait conduit à diviser le montant de la régularisation, soit 45 millions d'euros, entre 36 700 communes.
Alors, que va-t-on faire ? Eh bien, on va répartir cette régularisation entre la DSU, la DSR et le FNP devenu DNP. Or je vous signale, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que 18 605 communes ont bénéficié de la part principale du FNP en 2003 - je laisse de côté les autres parts -, que 800 communes ont perçu une attribution au titre de la DSU, mais que 33 759 communes ont bénéficié de la DSR deuxième part, sans parler des 4 033 communes qui ont perçu une attribution au titre de la fraction « bourgs-centres ».
En additionnant toutes ces données, on parvient à un total de 57 197 sous-dotations, et encore, je vous fais grâce, monsieur le ministre - vous connaissez mon indulgence -, des 15 873 communes qui ont bénéficié de la majoration du Fonds national de péréquation dite « de la seule TP ». On opère donc une division encore plus considérable que celle qui avait été prévue par la loi, ce qui, selon moi, n'a aucun sens.
C'est pourquoi je veux vous interroger, monsieur le ministre, au sujet de la réforme de la DGF et des dotations de péréquation. En effet, cela n'a pas de sens d'avoir une DSR dont l'une des parts est répartie entre 33 700 communes, chacune d'entre elles recevant des miettes, cela n'a pas de sens d'avoir un FNP, même si on en change le nom, qui est réparti, d'une part, entre 18 605 communes et, d'autre part, entre 15 873 communes. Ce n'est pas de la péréquation : c'est de la démagogie ! (M. le ministre délégué s'exclame.)
Je reconnais que cela dure depuis très longtemps, monsieur le ministre,...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ah oui !
M. Jean-Pierre Sueur. ... et je l'ai dit souvent. La création de la DSU a été positive, ainsi que la première forme de la DSR, qui était alors essentiellement centrée sur des projets de développement portés par des intercommunalités.
Monsieur le ministre, puisque vous souhaitez réformer la péréquation, peut-être avez-vous réfléchi aux modalités que vous allez retenir de manière à éviter cet éparpillement qui est le contraire de la justice et de la solidarité, dans le mesure où, en aidant tout le monde, vous le savez bien, on n'aide finalement personne, ce qui n'est pas le sens de la péréquation.
Vous avez eu la bonne idée de créer une part de péréquation au sein de la nouvelle DGF des régions qui provient en grande partie du FDCR, le fonds de correction des déséquilibres régionaux.
Je tiens à vous faire observer que, selon les décisions qui seront prises par le comité des finances locales, puisque l'on veut prendre en compte 75 % ou 95 % de l'ensemble, la part dite de péréquation à l'intérieur de la future DGF des régions oscillera entre 1,38 % et 1,76 % de l'ensemble. De nouveau, ce sera dérisoire. Pour l'avenir, puisque l'on parle beaucoup d'avenir, ne pouvez-vous pas songer à faire un peu plus et un peu mieux, monsieur le ministre ?
Enfin, j'évoque, pour mémoire, la complexité du dispositif que M. Mercier constate avec son humour coutumier. Il indique à cet égard, à la page 49 de son rapport, que « cette "tuyauterie" est passablement (sans doute trop) complexe ». Cela est très bien dit !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Je vous remercie !
M. Jean-Pierre Sueur. Je gardais toutefois un faible espoir. Ce gouvernement qui en appelle sans cesse à la péréquation et qui nous présente un projet de loi sur les responsabilités locales ne pouvait pas, dans le même temps, nous présenter un projet de loi de finances dans lequel la péréquation diminuerait. Je me suis donc accroché à la page 56 du rapport de M. Mercier dans laquelle il est dit ceci : « Les dotations de péréquation (DSU, DSR et DNP) ne connaîtront pas une progression comparable à celle des années précédentes en 2004. » Eh oui, la progression passe de 2,5 %, 4,5 % à 1,5 %, c'est-à-dire, compte tenu du montant de l'inflation, à une progression nulle. « En fonction des choix que sera amené à effectuer le comité des finances locales quant à la progression de la dotation forfaitaire, les dotations de péréquation pourraient même voir leur montant diminuer en 2004. »
Monsieur le ministre, M. Mercier employait un conditionnel auquel je me raccrochais dans un ultime espoir. Vous pouvez imaginer quelle fut ma déception en arrivant à l'avant-dernière page de son rapport - si je ne cite pas autant le rapport de M. Hoeffel, c'est qu'il sait tout le bien que j'en pense. (Sourires.)
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Partagez un peu, monsieur Sueur !
M. Jean-Pierre Sueur. A l'avant-dernière page, la chute est redoutable : « S'il est tenu compte de l'abondement de 22,867 millions d'euros du Fonds national de péréquation en 2003, reconduit d'année en année depuis 1999 et prévu par l'article 51 de la loi de finances pour 2003, qui n'est en revanche pas prévu par le présent projet de loi de finances, les dotations de solidarité communales diminuent en 2004, quel que soit par ailleurs le taux d'indexation de la dotation forfaitaire retenu par le comité des finances locales. » Vous parlez juste.
Le Gouvernement mérite le prix de l'humour noir : après nous avoir tant parlé de péréquation, nous avoir dit que c'est si important et que l'année prochaine nous assisterons à des choses vraiment extraordinaires, il nous présente une loi de finances dans laquelle la péréquation est malheureusement inéluctablement en diminution ! Nous le regrettons, monsieur le ministre, et nous aurions de loin préféré que vous prouviez le mouvement en marchant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Mers chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)