Article 5
M. le président. L'article 5 a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Articles additionnels avant l'article 6
M. le président. L'amendement n° 74, présenté par MM. Mermaz, Dreyfus-Schmidt, Sueur, Rouvière, Madrelle et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :
« Avant l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Lorsqu'un étranger se présente à la frontière et qu'il demande son admission au titre de l'asile, celle-ci ne peut être refusée que si elle est manifestement infondée et après avis conforme du ministre des affaires étrangères. La demande est manifestement infondée lorsqu'elle est insusceptible de se rattacher aux critères prévus par la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et son protocole du 31 janvier 1967 ou à d'autres critères justifiant l'octroi de l'asile.
« La décision prononçant le refus d'admission peut faire l'objet d'un recours suspensif devant la commission des recours des réfugiés dans les quarante-huit heures suivant sa notification. La commission des recours des réfugiés statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine. »
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements n°s 74 et 75.
Aux termes de l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, l'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui demande son admission au titre de l'asile peut être maintenu dans une zone d'attente « pendant le temps strictement nécessaire à [...] un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée ».
Par dérogation au droit commun, la décision de refus d'entrée en France est prononcée non par le chef du poste de contrôle de la frontière, bien évidemment, mais par le ministre de l'intérieur, après consultation du ministre des affaires étrangères. Si la demande d'asile est considérée comme manifestement infondée, une décision de refus d'entrée est prise et l'intéressé doit alors retourner dans son pays d'origine.
En pratique, il apparaît que les modalités de recours contre les décisions du ministère de l'intérieur sont totalement inadaptées aux conditions des zones d'attente, le requérant étant renvoyé dans son pays d'origine ou un pays tiers d'accueil avant que le juge ait pu statuer sur le fond : le candidat au statut de réfugié est reparti bien avant que les tribunaux aient statué !
Or le droit constitutionnel d'asile implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de sa qualité de réfugié ou demande aujourd'hui à bénéficier de la protection subsidiaire soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce qui est le bon sens même.
Cet amendement a donc pour objet d'introduire dans la loi les conditions d'un recours rapide - avant que l'étranger ait été expulsé ! -, efficace et plus adapté, en faisant intervenir la juridiction administrative spécialisée en la matière, afin que soit conforté le droit d'asile, droit fondamental consacré par la Constitution et par les conventions internationales. En d'autres termes, interviendrait alors l'OFPRA.
J'en viens à l'amendement n° 75.
Lorsque l'étranger qui se trouve à la frontière demande l'asile, il est nécessaire que sa demande soit instruite par des membres de l'OFPRA et non par des agents chargés du service du contrôle aux frontières - douanes ou police du contrôle de l'immigration -, comme cela se passe.
En effet, le traitement des demandes d'asile est confié à un organisme spécialisé qui a recours à un personnel spécialisé et à une juridiction d'appel également spécialisée.
Cette instruction est mise en oeuvre selon un processus qui doit distinguer clairement l'asile de l'immigration : le demandeur doit, selon nous, être entendu devant la première instance.
Actuellement, des membres de l'OFPRA sont présents, mais ils ne sont qu'une infime minorité par rapport aux agents des ministères des affaires étrangères et de l'intérieur qui relèvent du bureau Asile-Frontière. Or, ces derniers n'ont pas qualité d'officier de protection et sont le plus souvent des agents contractuels. Ils n'ont pas reçu la formation adéquate et n'ont jamais instruit des dossiers au fond ; beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, sortent à peine des rangs de l'Institut d'études politiques.
C'est la raison pour laquelle cet amendement insiste sur la présence des membres de l'OFPRA, qui nous semblent les mieux placés en matière d'examen des demandes d'asile, afin qu'une ignorance compréhensible chez des débutants et parfois certaines formes de surdité ne causent des torts aux candidats au statut de réfugié.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L'amendement n° 74 tend à confier le contentieux lié au refus d'entrer sur le territoire opposé au demandeur d'asile dont la demande apparaît manifestement infondée à la commission des recours des réfugiés.
Actuellement, ce contentieux est confié au juge administratif de droit commun. La procédure offre les garanties nécessaires au requérant, notamment par la voie du référé-liberté. Par ailleurs, il ne semble pas souhaitable d'alourdir encore la charge de la commission des recours, dont la compétence est déjà élargie à la protection subsidiaire, laquelle succède à l'asile territorial dont le contentieux incombe actuellement aux tribunaux administratifs.
C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. L'asile à la frontière n'est pas visé par la réforme du droit d'asile.
Par conséquent, l'avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 74.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 75, présenté par MM. Dreyfus-Schmidt, Mermaz, Sueur, Rouvière, Madrelle et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :
« Avant l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa du I de l'article 35 quater de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est complété par deux phrases ainsi rédigées : "Dans ce dernier cas, des membres de l'office de protection des réfugiés et apatrides interrogent le demandeur d'asile sur son identité, sa provenance et les motifs de sa demande d'asile. Ils décident du fait de savoir si la demande est manifestement infondée ou non." »
Cet amendement a déjà été soutenu.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir que l'instruction des demandes d'asile déposées à la frontière incombe aux membres de l'OFPRA.
En pratique, et d'après les renseignements qui m'ont été fournis, l'examen de la demande d'asile est déjà confié à des officiers détachés de l'OFPRA, même si la décision en dernier ressort incombe au ministre de l'intérieur. En outre, cette disposition nous paraît présenter un caractère réglementaire.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le rapporteur, je m'étouffe en entendant de tels propos ! (Sourires.)
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ne dites pas cela, monsieur Dreyfus-Schmidt, j'en serais vraiment désolé ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'espère que j'arriverai tout de même à parler...
Je vous ai bien entendu lorsque vous avez dit que relevait du domaine réglementaire le fait de savoir qui pouvait décider de ne pas retenir une demande d'asile déposée à la frontière au prétexte que celle-ci était manifestement infondée. Vous y avez ajouté que cela se passait déjà un peu comme cela. Certes, c'est bien le ministre de l'intérieur qui prend la décision.
Mais je rappelle que vous avez tout à l'heure demandé que ce soit le président de la commission des recours des réfugiés ou un président de section qui, seul, prenne la décision lorsqu'il estime que la demande d'asile est manifestement infondée. Or, maintenant, vous êtes d'accord pour que ce soit le ministre de l'intérieur. Soyez au moins logique avec vous-même !
Si vous nous dites que, selon vos renseignements, cela se passe déjà ainsi, pourquoi alors ne pas le mettre dans la loi ? Je rappelle que l'article 34 du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, adopté hier en commission mixte paritaire, a modifié l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Aux termes du I de cet article 35 quater : « L'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international et désignée par arrêté, un port ou un aéroport pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée. »
On ne sait pas au départ si la demande d'asile est fondée. Celle-ci devra donc être examinée, mais par qui ? Par des gens dont on ne sait rien et dont on nous dit que ce n'est pas la peine de les identifier dans la loi !
Franchement, monsieur le rapporteur, il s'agit tout de même d'un sujet essentiel ! Vous avez déclaré vouloir protéger le droit de demander l'asile en France, vous nous l'avez dit avec des déclarations enflammées en faisant même vôtre la Constitution de 1793, jamais appliquée soit dit en passant.
Si véritablement vous voulez essayer de faire croire cela, ne fût-ce qu'à l'opinion, acceptez au moins notre amendement ! En effet, ce sont les officiers instructeurs de l'OFPRA, à défaut de présidents de section, qui devraient se prononcer sur le point de savoir si la demande d'asile est ou non manifestement infondée.
Cela étant, monsieur le président, nous pensions demander un scrutin public sur cet amendement, mais ce n'est plus la peine, puisque nos collègues de la majorité sénatoriale sont de retour dans l'hémicycle...
M. Jean Chérioux. Monsieur Dreyfus-Schmidt, cessez ce genre de remarques !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en prie, monsieur Chérioux, nous n'avons pas de leçon à recevoir ! Je déplore qu'il n'y ait pas ici plus de parlementaires qui aient pris soin d'étudier ce texte.
M. Jean Chérioux. Ne donnez pas de leçon aux autres et contentez-vous de défendre votre dossier !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr, pour vous qui êtes sénateur de Paris, il est facile d'être là aujourd'hui !
M. Jean Chérioux. Qu'est-ce que cela veut dire ? Un sénateur, quelle que soit sa circonscription, Belfort ou Paris, est un sénateur !
M. le président. Veuillez poursuivre, Monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela étant dit, j'ai le droit de dire ce que je veux.
Le moins que l'on puisse dire, en tout cas, c'est que la question est suffisamment sérieuse pour que chacun se prononce en connaissance de cause, à moins que - miracle ! - nous n'ayons réussi à mettre la puce à l'oreille du rapporteur, du président de la commission et du secrétaire d'Etat, représentant ici M. le ministre des affaires étrangères, pour constater qu'il ne serait pas correct de rejeter cet amendement essentiel.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. De deux choses l'une : ou bien il s'agit dans l'amendement n° 75 de transférer à l'OFPRA la compétence actuellement dévolue au ministre de l'intérieur, auquel cas nous sommes défavorables à l'amendement pour des raisons de fond ; ou bien il s'agit de faire en sorte que l'instruction de la demande soit réalisée par les agents de l'OFPRA, ce qui est déjà le cas aujourd'hui, auquel cas nous sommes toujours défavorables à l'amendement, mais, cette fois-ci, pour des raisons de forme.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Notre amendement est pourtant clair !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 75.
(L'amendement n'est pas adopté.)
L'article 10 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 précitée devient l'article 8 et est ainsi rédigé :
« Art. 8. - Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'examen de sa demande d'admission au séjour relève du préfet compétent et, à Paris, du préfet de police.
« L'admission au séjour ne peut être refusée au seul motif que l'étranger est démuni des documents et des visas mentionnés à l'article 5 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.
« Sous réserve du respect des dispositions de l'article 33 de la convention de Genève susmentionnée, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si :
« 1° L'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ou d'engagements identiques à ceux prévus par ledit règlement avec d'autres Etats ;
« 2° L'étranger qui demande à bénéficier de l'asile a la nationalité d'un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l'article 1er de la convention de Genève susmentionnée ou d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr. Un pays est considéré comme tel s'il respecte les principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ;
« 3° La présence en France de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ;
« 4° La demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente. Constitue, en particulier, un recours abusif aux procédures d'asile la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes. Constitue également un recours abusif aux procédures d'asile la demande d'asile présentée dans une collectivité d'outre-mer s'il apparaît qu'une même demande est en cours d'instruction dans un autre Etat membre de l'Union européenne.
« Les dispositions du présent article ne font pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne qui se trouverait néanmoins dans l'un des cas mentionnés aux 1° à 4°.
« Dans le cas où l'admission au séjour est refusée pour le motif énoncé au 1°, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la commission des recours des réfugiés ne sont pas compétents. Dans le cas où l'admission au séjour a été refusée pour l'un des motifs mentionnés aux 2° à 4°, l'étranger qui souhaite bénéficier de l'asile peut saisir l'office de sa demande. »
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Nous retrouvons dans cet article la fameuse notion de pays d'origine sûrs, dont nous avons déjà tellement parlé que je ne me livrerai pas à un long développement.
La procédure prioritaire prévue ici, étendue aux personnes ayant la nationalité d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr, pose, à notre avis, problème. En effet, cela veut dire - l'échange de vue à déjà eu lieu entre nous - que la procédure sera menée au pas de charge.
L'objectif du Gouvernement est, bien sûr, d'attendre que l'Europe fixe la liste de ces pays d'origine sûrs. Cela posera d'ailleurs des problèmes tant au Gouvernement français, à travers les décisions que pourrait prendre l'OFPRA, que, demain, à l'Europe elle-même, car, je le répète, dresser la liste des pays d'origine sûrs est un exercice extraordinairement difficile et extrêmement délicat.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé un certain nombre d'amendements sur cet article.
M. le président. L'amendement n° 77, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Compléter le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile par une phrase ainsi rédigée :
« Un préfet de département, et, à Paris, le préfet de police, peut être compétent pour exercer cette mission dans plusieurs départements. »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Cet amendement prévoit la possibilité d'étendre la compétence du préfet de département sur plusieurs départements en matière d'admission au séjour au titre de l'asile.
Il s'agit de permettre une délivrance plus rapide des titres de séjour, notamment en autorisant les préfets de région à délivrer ces titres de séjour à ceux des demandeurs qui ne seraient pas domiciliés dans le département chef-lieu de la région.
Il est apparu en effet nécessaire, dans le cadre de la mise en place de structures territoriales de traitement des demandes d'asiles, de prévoir un élargissement du champ de la compétence territoriale du préfet, responsable de l'admission au séjour, alors que ce champ est limité aujourd'hui à sa seule circonscription.
Les plates-formes régionales d'accueil des demandeurs d'asile, dans les zones géographiques où se concentre le flux des demandeurs, représentant un certain progrès, la commission des lois du Sénat a estimé dans son rapport que les conditions du succès de la réforme supposaient le raccourcissement des délais.
La mesure proposée procède de la même analyse.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf. rapporteur, La commission n'a pu se prononcer sur cet amendement, qui lui a été communiqué de manière tardive.
Toutefois, à titre personnel, je suis favorable à la demande du Gouvernement, mais, je le répète, je n'engage pas la commission.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, contre l'amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avant de me prononcer sur cet amendement, je voudrais demander à M. le président de la commission des lois de bien vouloir réunir cette dernière de manière qu'elle prenne position.
On vient d'entendre la position personnelle de M. le rapporteur qui, bien entendu, n'a pas eu l'occasion d'en discuter avec les membres de la commission. Par conséquent, réunir la commission me paraîtrait de bonne règle.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous aurions pu discuter de l'amendement n° 77, mais certains de nos collègues, notamment vous, Monsieur Dreyfus-Schmidt, ont estimé qu'il était un peu tard pour ce faire et ne s'y sont donc pas montrés favorables.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le rapporteur, la transparence doit être complète.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La réalité est la suivante : il nous a été distribué, à la fin de la réunion de la commission, un fax indiquant : « Sénat, projet de loi asile, article 6, amendement n°... ».
Or rien ne laissait penser, comme cela a été dit, qu'il s'agissait d'un amendement du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'était effectivement pas écrit dessus !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce fax a été adressé à la commission des lois, hier matin à neuf heures, alors que la commission était réunie. Il émanait du « CCRP ».
M. Robert Bret. C'est quoi le « CCRP » ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai posé la question à la commission et au Gouvernement, mais, comme pour le projet de décret, personne n'a su répondre.
C'est dans ces conditions, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, qu'il a été décidé de ne pas discuter de cet amendement. Or M. le rapporteur vient de se déclarer favorable à la proposition du Gouvernement. Avant toute chose, - et je suis logique avec moi-même -, il serait sans doute raisonnable de réunir la commission. Cela dit, si vous nous refusez cette réunion, chacun appréciera...
Maintenant, venons-en au fond.
On va demander à des malheureux demandeurs d'asile sans le sou, qui ont déjà bien du mal à attendre leur tour et à faire la queue à la préfecture, de se rendre dans un autre département. Je regrette sur ce point l'absence de M. Fauchon, lui qui défend les juges de proximité !
Ainsi est-il proposé dand l'amendement de compléter le premier alinéa de l'article 8 de la loi de 1952 par une phrase ainsi rédigée : « Un préfet de département, et, à Paris, le préfet de police, peut être compétent pour exercer cette mission dans plusieurs départements. »
Franchement, mes chers collègues, est-ce bien raisonnable ? N'est-il pas normal que les malheureux demandeurs d'asile puissent se rendre à la préfecture la plus proche, celle de leur département, qui est déjà souvent suffisamment éloignée ? Faut-il les obliger à aller beaucoup plus loin, à leur frais, alors qu'ils n'ont pas d'argent ? En la matière, j'aurais aimé que l'avis de M. le rapporteur, même donné à titre personnel, soit circonstancié.
On nous parle sans arrêt de justice de proximité et on nous propose de voter des amendements qui sont à l'opposé. Voilà pourquoi nous vous demandons fermement de voter contre l'amendement n° 77.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Puisqu'il s'agit de la mise en place de structures territoriales de traitement des demandes d'asile, permettez-moi de vous faire remarquer, d'une part, que l'une d'entre elles est en cours de mise en place à Lyon, et, d'autre part, que nous suggérons dans notre rapport la mise en place de telles plates-formes à Marseille et Lille.
La création de ces structures, qui permettrait de rapprocher le demandeur d'asile de l'administration, donnerait largement satisfaction au souci de proximité exprimé par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt et auquel nous souscrivons tous.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Dans le même esprit, je propose de rajouter dans l'amendement « y compris à Marseille », puisque nous avons aussi un préfet de police ! (Sourires.)
L'amendement n° 77, ainsi que l'amendement n° 78 qui en découle, confirment la volonté du ministre de l'intérieur, compétent jusqu'à présent en matière d'asile territorial, de continuer à suivre les questions d'asile. Cette démarche démontre que c'est bien le Gouvernement - et pas nous ! - qui mélange les genres et entretient à dessein la confusion entre l'asile et les flux migratoires.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous voulez ainsi vous servir du dispositif relatif au droit d'asile, que vous durcissez par ailleurs, comme mode de gestion des flux migratoires. Or il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici de protéger des personnes qui souffrent dans leur pays d'origine et qui n'ont d'autre solution que de fuir leur pays, souvent au péril de leur vie !
Plusieurs dispositions du projet de loi attestent ainsi de la volonté du ministre de l'intérieur de faire main basse sur l'asile et sur l'OFPRA.
Permettez-moi de les rappeler brièvement ici : premièrement, nomination conjointe du directeur de l'OFPRA par le ministre de l'intérieur et par le ministre des affaires étrangères ; deuxièmement, nomination d'un préfet à la direction de l'OFPRA ; troisièmement, possibilité pour le ministre de l'intérieur de former un recours contre une décision de l'OFPRA ; enfin, quatrièmement, pouvoirs de police dévolus à l'OFPRA.
Ce que vous nous proposez maintenant avec cet amendement, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est d'élargir à plusieurs départements la compétence du préfet en matière d'admission au séjour au titre de l'asile.
Cette disposition serait rendue nécessaire en raison de la mise en place de structures territoriales de traitement des demandes d'asile qui vont être expérimentées à Lyon, puis à Marseille.
L'objectif - à peine voilé ! - est de contrôler l'hébergement du demandeur d'asile et sa situation administrative à l'échelon local « pour dissuader les opportunistes, » peut-on lire dans un quotidien daté d'hier - Le Figaro, pour ne pas le nommer.
On retrouve ici la suspicion jetée a priori sur tous les demandeurs d'asile considérés, avant même que leur situation soit connue, comme de faux réfugiés abusant du droit d'asile dans un but dilatoire.
Au lieu de les protéger, vous voulez vous protéger d'eux. Est-ce là la vocation première de la France en matière de droits de l'homme ? Je ne le pense pas. Pour toutes ces raisons, nous ne nous associerons pas à votre démarche.
En conséquence, nous voterons contre les amendements n°s 77 et 78.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Une dépêche de l'AFP, publiée il y a quelques heures, nous apprend qu'une demandeuse d'asile angolaise a accouché hier d'une petite fille dans un bâtiment de la préfecture du Loiret, où elle était venue se renseigner sur l'avancée de son dossier. C'est une mère de quatre enfants qui attendait son tour au bureau des nationalités.
Je cite ce fait, non pour en faire grief à quiconque, mais pour rappeler, dans ce débat, la situation extrêmement difficile de toutes ces personnes qui, très souvent, très longuement, viennent se renseigner sur l'état d'avancement de leur dossier. Or elles ont l'impression de se heurter à un véritable mur et d'être dans une situation véritablement sans issue. Nous connaissons toutes ces personnes, nous les rencontrons dans nos permanences.
Au demeurant, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vous fais pas de procès d'intention, car vous avez sans doute le souhait que les choses aillent plus vite.
Quoi qu'il en soit, monsieur le secrétaire d'Etat, cet amendement n° 77 est clairement contraire à cet objectif qui est le vôtre.
Vous avez d'ailleurs dit quelque chose d'inexact en parlant du préfet de région alors que l'amendement vise le préfet de département. N'importe quel préfet de département peut donc être compétent pour exercer cette mission dans plusieurs départements. Monsieur le secrétaire d'Etat, dès lors qu'un préfet sera investi d'une telle mission sur un ensemble de départements, cela signifie, je suppose, que les préfets des départements concernés seront de facto privés de cette compétence ?
M. le rapporteur nous a dit que les structures territoriales avaient pour objet de rapprocher l'administration des demandeurs d'asile. Mais il ne peut y avoir examen du dossier - y compris du dossier de demande - que si la personne se déplace physiquement jusqu'au lieu où la demande sera examinée ! Il faut bien déposer sa demande quelque part !
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous allez donc obliger des personnes qui sont déjà en grande difficulté, puisqu'elles demandent le statut de réfugié, à parcourir une distance encore plus grande. Ce n'est pas raisonnable !
Nous vous demandons vraiment de revenir sur ce dispositif, et cela d'autant plus que, M. Michel Dreyfus-Schmidt l'a bien montré, son origine est pour le moins étrange - je rappelle qu'un fax est arrivé au milieu de la réunion de commission avec en en-tête le sigle « CCRP », dont je ne sais pas si quelqu'un ici peut me donner la signification -, sauf à penser que personne ne l'a envoyé ! (Sourires.) Et, si tel est le cas, il est quand même problématique, monsieur le président de la commission des lois, que vous acceptiez de soumettre à l'examen de la commission un fax envoyé par personne !
M. René Garrec, président de la commission des lois. Mais que j'ai reçu !
M. Jean-Pierre Sueur. S'il avait été envoyé par le Gouvernement, je suppose que celui-ci n'aurait pas manqué de mentionner qu'il en était l'auteur ! Ayant été saisis d'un amendement délivré par le « CCRP », nous sommes tout de même en droit de vous demander quel est l'auteur de cette disposition, d'autant qu'un tel cas n'est pas prévu par la Constitution. En effet, le droit d'amendement appartient seulement aux membres du Parlement et au Gouvernement, mais non au « CCRP » ! (Mme Nicole Borvo rit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, il s'agit d'une explication de vote, mais surtout d'une mise au point en réponse à l'interrogation - si toutefois c'était une interrogation ! - de notre collègue Dreyfus-Schmidt.
Celui-ci se livre à des pointages extrêmement serrés sur la présence ou l'absence de ses collègues, ce dont nous le remercions car, sans cela, nous ne nous en apercevrions pas nous-mêmes ! Mais je voudrais surtout lui demander pourquoi il a mis en cause le fait que je sois sénateur de Paris. Si cela l'inquiète que je sois là en tant que sénateur de Paris, son inquiétude ne peut que croître, car je ne suis pas le seul : nous sommes cinq, trois de la majorité et deux de l'opposition.
Est-ce pour vous un déshonneur que d'être sénateur de Paris, monsieur Dreyfus-Schmidt ? Je ne sais pas ce que vous avez voulu dire exactement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai tout simplement dit qu'il était plus facile pour vous d'être présent que pour moi !
M. Jean Chérioux. Je ne vous répondrai qu'une seule chose : je m'honore de représenter Paris et je pense que les autres sénateurs de Paris, ici présents, partagent ce sentiment.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je confirme à mon excellent collègue Jean Chérioux qu'il est plus facile pour un parlementaire de Paris d'être de permanence ici que pour un provincial.
M. Robert-Denis Del Picchia. Et ceux de l'étranger, alors !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A fortiori pour un sénateur de Nouvelle-Calédonie ! (M. Simon Loueckhote sourit.)
Cela étant, je n'ai rien compris à l'explication de M. le rapporteur, qui a prétendu que le fait d'obliger les gens à aller très loin pour déposer leur dossier à la préfecture dans un autre département était un facteur de rapprochement. Contrairement à ce qu'il a affirmé, ils ne sont pas obligés de passer par Paris ! Les Parisiens vont à Paris, mais les autres vont dans leur préfecture. Peut-être sommes-nous tous un petit peu fatigués : moi, parce que je ne comprends pas, et vous, parce que ce que vous dites est inexact !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mais l'OFPRA compte plusieurs plateformes ! Il est à Dijon, à Marseille...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit non pas del'OFPRA, mais des démarches que suppose la constitution d'un dossier : la récupération d'un récépissé, etc. Si vous annonciez une décentralisation de l'OFPRA, j'admettrais peut-être vos arguments, mais l'amendement vise le rôle du préfet. Je sais bien que l'OFPRA va être de plus en plus habité de préfets, mais il s'agit des fonctions du préfet en tant que préfet.
Ne nous racontez donc pas que cette procédure est un facteur de rapprochement, quand elle est manifestement un facteur d'éloignement, qui plus est dans des conditions inadmissibles, pour des gens qui sont pauvres, qui sont perdus et qui ont déjà beaucoup de mal, dans bien des cas, à se rendre dans la préfecture de leur département. J'aimerais au moins que les choses soient claires ! Peut-être reviendrez-vous sur l'avis favorable qu'à titre personnel vous avez cru devoir donner.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Je dirai juste un petit mot pour détendre l'atmosphère et permettre à ceux qui sont fatigués de récupérer. (Sourires.) Nous aurons eu droit, à chaque article, à toutes les techniques d'obstruction : effets de procédure, scrutins publics, attaques personnelles, rebondissements dialectiques sur toutes les interventions, arguties juridiques, amalgame...
M. Jean-Pierre Sueur. « CCRP » !
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. ... jusqu'au CCRP, apparu d'un coup de baguette magique !
Nous sommes nombreux sur ces travées : il y a des Parisiens,...
M. Jean Chérioux. Beaucoup de Parisiens. Il y en a sur toutes ces travées !
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. ... des représentants de Nouvelle-Calédonie, des représentants des Français de l'étranger, des Marseillais...
Mais revenons à des choses plus sérieuses.
Cet amendement est important. Il doit faciliter la coordination du dispositif. Honnêtement, si un préfet de région pilote les préfets de départements, ces derniers conservent leurs propres responsabilités et leurs compétences. Ce point ne soulève aucune difficulté et je souhaite donc que l'on avance. (M. Robert Del Picchia applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 77.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis maintenant saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 32 est présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Mathon, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès.
L'amendement n° 65 est présenté par MM. Mermaz, Dreyfus-Schmidt, Sueur, Rouvière, Madrelle et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Après le mot : "susmentionnée", supprimer la fin du cinquième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. »
L'amendement n° 10, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« I. - Dans la seconde phrase du cinquième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, remplacer les mots : "respecte les" par les mots : "veille au respect des".
« II. - En conséquence, après les mots : "ainsi que", rédiger comme suit la fin de la seconde phrase du cinquième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile : "des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;". »
L'amendement n° 11, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« Compléter le cinquième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile par une phrase ainsi rédigée : "La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande ;". »
La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 32.
M. Robert Bret. Tout au long de ce débat, nous avons abordé à plusieurs reprises la problématique posée par la notion de pays d'origine sûr. Je souhaite y revenir un instant.
Ce concept, très inquiétant à plus d'un titre, est, nous semble-t-il, en totale contradiction avec la procédure d'admission au séjour des demandeurs d'asile, laquelle doit être impartiale et détachée de toute considération discriminatoire quant au pays d'origine du demandeur.
En théorie, monsieur le secrétaire d'Etat, les pays d'origine sûrs peuvent effectivement apparaître comme aisément définissables. Il s'agirait, si je m'attache à votre définition, de pays qui respectent les principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit ainsi que les droits de l'homme et les libertés fondamentales.
Mais il s'agit bel et bien de théorie, car, en pratique, force est de constater que ce désir de définir des pays par leur niveau de sûreté ou d'insécurité apparaît beaucoup moins aisé et, en fait, irréalisable. En effet, il n'existe pas de pays d'origine sûrs. Il existe seulement des pays dont la stabilité, à un moment donné, pourrait les faire apparaître comme tels.
Pour aller plus loin, cette stabilité peut cacher des zones d'instabilité latente qui les rendraient en fait beaucoup moins sûrs qu'il n'y paraît, sans compter que l'établissement d'une liste pourrait être influencé par les relations que notre pays entretient avec tel ou tel autre pays, indépendamment de toute vision objective.
Quels seront les pays inscrits sur cette liste ? Sans aucun doute la Grande-Bretagne, malgré l'existence d'un conflit ouvert en Irlande du Nord.
M. Jean Chérioux. La Corée du Nord, sûrement !
M. Robert Bret. L'actualité de ce matin nous montre combien il est difficile de mettre en place un accord de paix. Que dire des réfugiés Rom originaires de Bulgarie, de Hongrie, de Tchéquie ou de Slovaquie ? Je ne pense pas trop m'avancer en supposant que la liste permettra d'exclure définitivement ces demandeurs d'asile !
Pour ce qui est de l'examen de la demande d'asile, vous tentez de nous rassurer en incluant dans le projet de loi la garantie d'un examen au fond de chaque dossier, quel que soit le pays d'origine. La provenance d'un demandeur n'entraînerait pas d'irrecevabilité du dossier a priori. Je ne peux toutefois m'empêcher de m'interroger fortement sur les modalités d'application de cette notion pour les ressortissants demandeurs d'asile.
Encore une fois, la France prend le pas sur l'Union européenne en annonçant ouvertement sa volonté de créer une liste commune qui s'imposera à l'ensemble des Etats membres. Nous voilà donc, ici encore, au coeur même de cette législation a minima que voudrait nous faire adopter le Gouvernement, indépendamment de toute législation communautaire en la matière. En effet, nous sommes toujours dans le domaine de la future directive du Conseil relative à la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié qui, à l'heure actuelle, se résume à de simples propositions et qui est, comme je l'indiquais, encore en discussion.
Le plus préoccupant est que tout cela s'opère en totale contradiction tout d'abord avec l'article 3 de la convention de Genève, lequel invite les pays à une application sans discrimination fondée sur la race, la religion et le pays d'origine, ensuite avec les principes constitutionnels de la France en matière de droit d'asile et, enfin, avec la tradition même de la France, pays d'ouverture et des droits de l'homme par excellence.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, par l'adoption de cet amendement, de supprimer la référence aux pays d'origine sûrs.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour présenter l'amendement n° 65.
M. Louis Mermaz. Je ne répèterai pas ce que nous avons déjà dit plusieurs fois sur ce que nous pensons des pays d'origine sûrs.
Je voudrais toutefois attirer l'attention de notre Haute Assemblée sur les conséquences de cette mesure sur la procédure en France. En effet, l'examen du dossier d'un demandeur d'asile ou d'une personne relevant de la protection subsidiaire réputés venir d'un pays d'origine sûr fera l'objet d'une procédure accélérée, puisque l'OFPRA devra prendre une décision dans les quinze jours.
Monsieur le rapporteur, vous en avez parlé en commission des lois et plusieurs d'entre vous, tant au sein de la majorité sénatoriale que de l'opposition, ont émis des réserves sur cette possibilité de trancher en quinze jours des dossiers parfois aussi délicats.
C'est une raison supplémentaire, après tout se que nous avons déjà dit sur les pays d'origine sûrs, pour défendre un amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter les amendements n°s 10 et 11 et pour donner l'avis de la commission sur les amendements n° 32 et 65.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L'amendement n° 10 vise à apporter une précision dans le texte de loi sur cette notion de pays d'origine sûr.
Le projet de loi définit ce concept comme un Etat qui respecte les principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit. Nous préférons substituer aux mots « respecte les principes » les mots « veille au respect des principes ».
Effectivement, un Etat peut inscrire dans sa Constitution de tels principes sans être en mesure de les appliquer. C'est pourquoi il nous paraît utile de renforcer la rédaction de cette définition et de prévoir que le pays considéré comme sûr, non seulement respecte ces principes, mais s'efforce de garantir leur respect.
L'amendement n° 11 vise à préciser que la prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande. Cela figurait dans l'exposé des motifs du projet de loi, mais non dans le texte même du projet. Nous pensons que ce qui va sans dire va encore mieux en le disant et que cette précision sera de nature à apaiser certaines craintes.
Sur les amendements identiques n° 32 et 65 qui, l'un du groupe socialiste, l'autre du groupe communiste républicain et citoyen, visent à supprimer la notion de pays d'origine sûr, la commission a émis un avis défavorable pour de multiples raisons sur lesquelles nous sommes déjà intervenus à diverses reprises. Nous avons souhaité, je le disais voilà un instant, renforcer la définition des pays considérés comme sûrs et affirmer le caractère individuel de chaque demande. Selon nous, cette notion est indispensable à l'harmonisation communautaire.
J'ajouterai une raison supplémentaire en réponse à un argument présenté par notre collègue Jean-Pierre Sueur et relatif à la violation du principe d'égalité.
Ce principe doit être interprété et appréhendé concrètement, c'est-à-dire qu'il oblige à considérer et traiter de la même manière des personnes qui se trouvent dans des situations identiques. Par conséquent, il autorise à traiter de manière différente des personnes qui se trouvent dans des situations différentes. Or il me semble, peut-être fort naïvement, que la situation d'un ressortissant de Belgique - je suis du département du Nord -, des Pays-Bas ou d'Allemagne ne se pose pas exactement dans les même termes que celle d'un ressortissant de la Corée du nord, du Soudan ou de Cuba !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est évident !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Les auteurs des amendements de suppression s'opposent à l'introduction, dans le projet de loi, de la notion de pays d'origine sûrs.
Pourtant, un pays d'origine sûr est un pays qui veille au respect des principes de liberté, de démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit. Aujourd'hui, ce schéma se dessine très clairement en Islande, au Canada, aux Etats-Unis et en Norvège. Des persécutions ne sauraient y être perpétrées, autorisées ou demeurées impunies. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 10, qui renforce la définition des principes énoncés, ainsi qu'à l'amendement n° 11, qui apporte une précision de nature à apaiser certaines craintes.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 32 et 65.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« Au début du sixième alinéa 3° du texte proposé par cet article pour l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, remplacer les mots : "la présence" par les mots : "l'activité". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement avait été conçu comme un amendement de coordination. Mais, comme il pose, semble-t-il, un problème, je souhaiterais d'abord entendre l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. La problématique de l'admission au séjour est différente de celle de l'asile. C'est ainsi que le Gouvernement a accepté ce matin, à l'article 1er du projet de loi, un amendement visant à exclure une personne du bénéfice de la protection subsidiaire s'il existe des raisons sérieuses de penser que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.
L'article 6 du projet de loi traite des conditions d'admission sur le territoire et précise que le demandeur d'asile peut se voir refuser l'accès à notre pays. C'est le cas lorsque la présence de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.
Ce refus d'admission au séjour entraîne plusieurs conséquences : la demande d'asile est examinée de manière prioritaire ; l'admission au séjour prononcée après un examen au fond de la demande d'asile l'est sous réserve des dispositions de l'article 33 de la convention de Genève.
Il serait très pénalisant pour les pouvoirs publics de renoncer à ce critère de présence et de lui substituer celui de l'activité. Si l'amendement n'était pas retiré, les Rwandais impliqués dans le génocide de 1994 ou les criminels de guerre ayant commis des atrocités dans l'ex-Yougoslavie pourraient avoir accès à notre territoire, s'y tenir cois et y séjourner sans que notre droit nous permette ni de les expulser ni de leur interdire l'accès de notre pays.
Je vous rappelle que, du fait même de l'application de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, l'étranger en question ne peut être renvoyé dans son pays d'origine s'il y risque la peine de mort ou des traitements inhumains ou dégradants.
Pour toutes ces raisons, je demande à la commission de bien vouloir retirer son amendement.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l'amendement est-il maintenu ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je suis à l'origine de cet amendement ainsi que de l'amendement précédent, qui a été accepté par le Gouvernement et voté par le Sénat. Dans une analyse qui était peut-être un peu rapide, mais que la commission avait malgré tout partagée, j'avais estimé qu'il s'agissait d'une coordination, alors qu'il est exact - l'argumentation du Gouvernement vient de le démontrer - que les situations sont différentes.
Je retire donc cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 12 est retiré.
L'amendement n° 66, présenté par MM. Mermaz, Dreyfus-Schmidt, Sueur, Rouvière, Madrelle et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, est ainsi libellé :
« A la fin du sixième alinéa 3° du texte proposé par cet article pour l'article 8 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, supprimer les mots : ", la sécurité publique, ou la sûreté de l'Etat". »
La parole et à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Le droit en vigueur prévoit déjà comme motif de refus d'admission au séjour une menace grave pour l'ordre public. Sans qu'il soit nécessaire d'y faire spécifiquement allusion, un tel critère s'applique aux cas de terrorisme national et international. Il est loisible de vouloir se rassurer à bon compte en se payant de mots ; sauf que l'élargissement des motifs susceptibles d'être avancés par les préfets présente le risque d'introduire des difficultés d'interprétation qui aboutiraient à méconnaître le préambule de 1946 en réduisant singulièrement, en pratique, par la mise en oeuvre de l'examen prioritaire des requêtes par l'OFPRA, l'effectivité du droit d'asile constitutionnel et conventionnel en France.
Au demeurant, l'article 23 nouveau, comme l'ancien article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 sur l'entrée et le séjour des étrangers en France, permet à l'exécutif l'expulsion de tout étranger, sous le contrôle des tribunaux administratifs. Il n'y a pas lieu, au surplus, d'établir une double compétence.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Même si nous ne devons pas, en effet, nous « payer de mots » à bon compte, nous estimons que ces précisions sont utiles dans le cadre notamment de la lutte contre le terrorisme.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Même avis. Ces précisions sont utiles et indispensables. L'avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 66.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)