SEANCE DU 24 JUILLET 2002
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
comme je l'avais indiqué lors de la discussion générale, le groupe communiste
républicain et citoyen votera contre le projet de loi portant amnistie.
Notre attitude est d'autant plus tranchée que le débat au Sénat aboutit, selon
nous, à aggraver sensiblement la teneur de ce texte. Les rares dispositions
introduites par l'Assemblée nationale ont ainsi été supprimées : un degré
supplémentaire dans l'inéquité a été atteint.
Le refus systématique de prendre en compte les amendements, dont les nôtres,
visant la situation de José Bové nous apparaît marqué du sceau de
l'autoritarisme et de l'injustice sociale.
(Protestations sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Braye.
Un délinquant comme lui !
M. Guy Fischer.
Nous avons constaté à plusieurs reprises que l'on appliquait le principe du «
deux poids, deux mesures ».
N'en déplaise à M. Chérioux, qui s'est déclaré « choqué » par l'attitude de la
gauche sénatoriale, ce qui est réellement choquant, c'est la défense
inconditionnelle de l'arbitraire des tribunaux par la majorité sénatoriale.
Ce qui est choquant, c'est la volonté de maintenir un homme en prison. A cet
égard, nous pourrions évoquer bien d'autres cas : on a parlé de M. Hébert, on
aurait aussi pu citer M. Clavaud, ainsi que des centaines de délégués
syndicaux. Certes, nous n'approuvons pas tous les combats ni toutes les
méthodes de José Bové, mais nous pensons qu'il mène une juste lutte contre la
mondialisation capitaliste, contre l'insécurité alimentaire, pour la défense du
monde rural. Comment peut-on contester que l'emprisonnement de José Bové soit
un emprisonnement politique ? Qui peut soutenir qu'il s'agit d'un délinquant de
droit commun et d'un casseur ? C'est pourtant ce que j'ai entendu affirmer dans
cette enceinte...
La droite sénatoriale a, de surcroît, amoindri considérablement la portée des
dispositions concernant l'exclusion de l'amnistie des délits patronaux ; je
pense ici aux amendements de MM. Othily et Lecerf.
Sur ce point, comme sur le précédent, vous avez choisi à notre sens, mes chers
collègues, le camp des puissants, ce qui ne nous étonne qu'à moitié. Afin de
véritablement refonder les valeurs de la République et de permettre la
réconciliation, il aurait fallu que ce projet de loi portant amnistie traduise,
par le biais d'un fort volet social, la volonté de prendre en compte les
réalités et la situation extrêmement grave dans laquelle nous nous trouvons.
Hélas, vous avez été totalement insensibles à cet aspect des choses, chers
collègues de la majorité sénatoriale !
Enfin, même si j'ai écouté attentivement à ce propos M. le ministre, vous avez
écarté d'un revers de la main l'inclusion de la double peine dans le champ de
l'amnistie.
Quel sens a maintenant ce projet de loi portant amnistie ? Il ne vise ni à la
sauvegarde du pacte républicain, ni au pardon, ni à la réconciliation sociale :
il est devenu un non-sens, il est vidé de tout véritable humanisme, vertu
pourtant abondamment prônée, notamment par M. le Premier ministre.
L'ensemble de ces raisons nous amèneront à voter contre le texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai
indiqué hier, lors de la discussion générale, que notre groupe voterait contre
ce texte. L'un de nos collègues, dans ce que vous avez appelé joliment,
monsieur le président, ses « confidences », s'est tout à l'heure étonné que
nous ayons, néanmoins, présenté des amendements : je tiens à dire que
l'exercice du droit d'amendement relève de la tradition et du sens même du
travail parlementaire, quel que soit le vote que l'on émettra
in fine
sur l'ensemble du texte.
Toutefois, le long débat sur les articles nous a confortés dans l'idée que
l'examen de ce projet de loi portant amnistie suscitait véritablement un
malaise, un embarras. Beaucoup d'inconséquences, de contradictions et de choses
inexplicables se sont fait jour : les exclusions du champ de l'amnistie sont si
nombreuses que l'on finit par ne plus rien y comprendre et que cela entraîne
beaucoup d'arbitraire.
Ainsi, qui comprendra que le Sénat n'ait pas jugé bon de revenir sur une
mention qui peut, à l'évidence, être perçue comme ayant un caractère
ad
hominem
? Comment comprendre que le Sénat n'ait pas souhaité exclure du
champ de l'amnistie les fraudes commises lors des concours et des examens ?
Comment comprendre que les délits et infractions relatifs au code de la santé
publique n'aient pas été envisagés de façon favorable ? Comment comprendre,
chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous soyez revenus sur la
position adoptée par la majorité de l'Assemblée nationale et approuvée par le
Gouvernement, en particulier par M. le garde des sceaux, ici présent,
s'agissant des alinéas 14
bis
, 14
ter
et 14
quater
de
l'article 13 ? Comment comprendre que les contraventions de police, visées au
premier alinéa de l'article 2, soient amnistiées sauf pour ce qui concerne les
transports en commun ou les infractions répétées alors que, en matière de code
de la route, toute contravention devrait entrer dans le champ de l'amnistie ?
On n'y comprend plus rien !
Comment pourrez-vous arguer que tout cela est juste ? En réalité, un grand
nombre de dispositions présentent finalement un caractère assez aléatoire et
inéquitable.
En conclusion, nous avons bien compris que vous étiez embarrassés depuis le
début par ce projet de loi portant amnistie, et nous avons ressenti que nombre
d'associations et de citoyens de ce pays souhaitaient - beaucoup d'orateurs
l'ont dit - que l'on rompe avec ce rite. L'Association des maires de France,
dont nul ici ne contestera la représentativité et qui est présidée par notre
collègue Daniel Hoeffel après l'avoir été par notre ancien collègue Jean-Paul
Delevoye, a demandé à l'unanimité, lors de son récent congrès, que l'on renonce
à cette tradition, qui constitue, on le sait bien, un encouragement à
l'incivisme, parce que chacun compte sur l'amnistie.
Ainsi, alors que nous avons entendu, aujourd'hui encore, M. de Robien évoquer
de façon très pertinente les mesures qu'il faut prendre en matière d'insécurité
routière, nous avons toujours à l'esprit les propos si justes qu'il a tenus
voilà quelques semaines s'agissant de la nécessité d'en finir avec ces textes,
qui sont tout à fait différents des grandes lois d'amnistie visant à la
réconciliation nationale et républicaine, lesquelles ont joué et continueront
sans doute de jouer un rôle important dans notre histoire. A notre sens, la
logique et la modernité du droit exigent donc que nous rompions le plus
rapidement possible avec cette habitude, d'autant que, avec l'instauration du
quinquennat, elle perd indiscutablement de sa signification. Elle ne correspond
pas aux concepts de justice et d'équité ; surtout, mes chers collègues, elle
est vraiment en contradiction avec le principe de l'« impunité zéro ». Dans
combien de discours, d'interviews a-t-il été affirmé que tout délit, toute
infraction, si minimes soient-ils, doivent recevoir la sanction qu'ils méritent
? Souvenez-vous de cela, et examinez le texte que vous vous apprêtez à voter :
peut-être serez-vous finalement amenés à hésiter.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Dominique Braye.
M. Dominique Braye.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
l'amnistie est une tradition républicaine, consacrée législativement par la
Constitution de 1875. Depuis lors, les gouvernements de toutes les époques et
de toutes les sensibilités en ont fait un usage régulier et rarement remis en
cause, du moins quant à son principe même.
Force est de constater, toutefois, pour s'en tenir à l'histoire de la Ve
République, que le champ d'application de ces lois n'a cessé de rétrécir au fil
du temps. Sans doute faut-il y voir, de la part du législateur, une volonté de
conserver le généreux principe du pardon républicain tout en l'adaptant à
l'évolution de la société et des impératifs de l'ordre public.
Toutefois, cette réduction inéluctable, qui vide peu à peu les lois d'amnistie
systématiques de leur substance et de leurs effets, conduit inévitablement à se
poser la question de l'opportunité même de ces dernières. En effet, le projet
de loi qui nous est soumis s'inscrit très nettement dans cette tendance lourde
de restriction de la portée de l'amnistie, au point qu'il devient légitime de
s'interroger sur l'avenir des lois d'amnistie systématiques, ce que n'ont pas
manqué de faire nos collègues députés, ainsi que presque tous les orateurs de
cette assemblée, en dernier lieu M. Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Eh bien voilà !
M. Dominique Braye.
Comme l'Assemblée nationale, la Haute Assemblée adoptera ce projet de loi, non
point tant pour respecter une tradition qui, comme toutes les traditions, se
perdra un jour ou l'autre, que pour honorer les engagements pris par le
candidat à l'élection présidentielle élu depuis et parce que le Gouvernement
nous a présenté un texte qui est le plus restrictif, en matière d'amnistie, de
toute l'histoire de la Ve République.
Je m'étonne, à ce propos, de certaines remarquables contorsions dialectiques
de nos collègues siégeant sur la gauche de cet hémicycle, qui nous expliquent
qu'ils ne voteront pas l'amnistie, alors qu'ils soutenaient, voilà encore si
peu de temps, un candidat qui la promettait aux Français ! S'ils avaient gagné
les dernières élections, ils se prépareraient évidemment à voter
l'amnistie,...
Mme Nicole Borvo.
On ne peut pas savoir !
M. Dominique Braye.
... mais comme c'est nous qui la proposons, ils s'y opposent...
Mme Nicole Borvo.
C'est un procès d'intention !
M. Dominique Braye.
Je ne crois pas que c'est en adoptant de telles attitudes et de tels
comportements que nous réconcilierons nos concitoyens avec le personnel
politique.
Mme Nicole Borvo.
On verra !
M. Dominique Braye.
Pour ma part, et parce que je défends, comme mes collègues de l'Union pour la
majorité présidentielle, une logique nettement plus accessible aux Français, je
souhaite que la majorité de la Haute Assemblée respecte tous les engagements du
candidat que nous avons soutenu et qui a été élu sur ces engagements, notamment
sur la promesse d'une amnistie de portée limitée mais bien réelle.
Je dis bien une amnistie de portée limitée, car, incontestablement, avec ce
projet de loi, la tradition du pardon républicain a été, plus que par le passé,
tempérée par une nécessaire rigueur de l'application du droit pénal. Qu'il
s'agisse de la diminution des
quanta
de peine ouvrant droit à
l'amnistie, du plus grand nombre de types d'infractions exclues du champ de
celle-ci ou de l'instauration de cas d'amnistie sous condition d'exécution de
la peine, la volonté gouvernementale de procéder à une amnistie
a minima
est patente, ce dont, je le crois, nous nous félicitons tous.
Cette volonté de réduire le plus possible le champ de l'amnistie a également
été celle de la majorité des membres de l'Assemblée nationale, qui a utilement
étendu les cas d'exclusion, par exemple au délit d'abus de biens sociaux,
mettant ainsi fin à de lamentables procès d'intention intentés par certains,
pas toujours pour des motifs bien louables, au blanchiment d'argent, en vue de
mieux lutter contre les filières mafieuses, ou aux contraventions relatives au
stationnement dangereux ou gênant, afin de responsabiliser davantage les
conducteurs.
La Haute Assemblée, elle aussi, faisant preuve du même souci de défense de
l'ordre républicain, a apporté sa pierre à l'édifice en ajoutant de nouvelles
infractions à la liste des exclusions, sur proposition de sa commission des
lois et de son excellent rapporteur, notre collègue Lucien Lanier. Nous ne
pouvons ainsi que nous féliciter de l'adoption de dispositions relatives aux
mouvements sectaires, aux délits concernant les personnes particulièrement
vulnérables ou à la détention et au port d'armes.
Permettez également au rapporteur de la loi relative aux animaux dangereux et
errants et à la protection des animaux que je fus de se réjouir de l'exclusion
du champ de l'amnistie des infractions au code rural concernant la détention et
le commerce de chiens potentiellement dangereux ainsi que le dressage au
mordant hors des cas prévus par la loi.
Cela étant, si ces évolutions positives me donnent satisfaction, je
m'interroge néanmoins, comme nombre d'entre vous, mes chers collègues, sur
l'avenir des lois d'amnistie systématiques, leur opportunité et leur principe
même.
Je ne remets pas en cause la pertinence du présent projet de loi, qui
correspond à une phase transitoire, délicate à gérer, entre une tradition
républicaine de pardon relativement large et la nécessité d'évoluer vers plus
de rigueur quant à l'impunité effective des délinquants.
Le Gouvernement a parfaitement amorcé ce virage. Nous ne devons pas perdre de
vue que ce projet de loi vise exclusivement les infractions et délits pénaux
antérieurs aux dernières élections. Il s'agit en fait, à nos yeux, du dernier
acte de clémence collective systématique, d'une sorte de remise à zéro des
compteurs avant la mise en oeuvre d'une politique qui laissera les
condamnations pénales produire leur plein effet.
Le Président de la République et la majorité parlementaire ayant été élus sur
un programme prônant « l'impunité zéro », la mise en oeuvre de ce programme
conduira certainement pour l'avenir à tendre vers « l'amnistie systématique
zéro ».
C'est donc en étant persuadé que nous adoptons la dernière grande loi
d'amnistie systématique que je soutiendrai celle-ci par mon vote. Nous mettrons
ainsi un terme définitif à une longue tradition, sans doute généreuse, mais
désormais inadaptée à notre société et aux exigences de la lutte contre
l'insécurité, qui est une priorité nationale à laquelle nous ne dérogerons
pas.
M. le président.
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous
allons, une fois encore, sacrifier à la coutume constitutionnelle selon
laquelle, depuis le début de la Ve République, après chaque élection
présidentielle, le Parlement vote une loi d'amnistie, sans doute par
reconnaissance envers le vote de la nation qui a désigné le nouveau chef de
l'Etat.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec les conclusions que mon collègue
Dominique Braye vient de présenter. Selon moi, le présent texte ne constituera
pas la dernière loi d'amnistie. Dans les années à venir, nous devrons en effet
certainement voter d'autres lois d'amnistie. Cependant, il faudra raisonner
différemment, non pas en renonçant à l'amnistie, mais en la modernisant, comme
le Sénat s'est attaqué à la modernisation de son fonctionnement grâce au groupe
de réflexion mis en place par M. le président Poncelet. Le chef de l'Etat et le
Gouvernement se sont d'ailleurs engagés à moderniser nos institutions.
L'amnistie remonte bien avant le xviiie siècle. Au Moyen Age, elle était à la
disposition du roi. Dans l'Antiquité, la boulê votait l'amnistie. Au xxie
siècle, on ne peut continuer avec les mêmes règles. Il va falloir changer. On
s'en est d'ailleurs bien rendu compte au cours du débat. En effet, notamment
lors de l'examen des amendements, certains orateurs ont souvent fait une
confusion entre les différentes catégories d'infractions. Il en a été ainsi des
contraventions. A cet égard, je rappelle que les contraventions sont quasiment
toutes amnistiées,... sauf celles qui sont exclues
(Sourires.)
Par
ailleurs, s'agissant des contraventions, il n'y a pas de récidive.
Or, certains orateurs ont mentionné le cas de récidive des contraventions.
Le délit est d'une nature différente. Au-dessus du délit, il y a le crime. En
l'occurrence, on n'a pas parlé du crime. Ce projet de loi ne prévoit pas
l'amnistie de certains criminels.
Personnellement, je regrette que n'ait pas été prévue la possibilité
d'amnistier ceux qui, ayant accompli leur peine, se sont réinsérés dans notre
société. Dans ce cas, l'amnistie, c'est l'acte même de pardon, sans doute après
un certain temps de mise à l'épreuve une fois la peine accomplie.
M. Jean-Guy Branger.
Très bien !
M. Patrice Gélard.
D'autres confusions ont été faites, notamment en ce qui concerne la double
peine. Or, la double peine n'est pas une peine.
M. Jean Bizet.
C'est juste !
M. Patrice Gélard.
Il y a, d'une part, une peine pénale et, d'autre part, une mesure
administrative qui n'est pas de même nature. Celle-ci relève de la souveraineté
nationale, en vertu du fait qu'un Etat est maître de l'accès de son territoire
et qu'il peut donc expulser un étranger du territoire national. Il ne s'agit
pas d'un bannissement. En effet, le bannissement, ce serait l'exclusion d'un
national, d'un ressortissant. Quand une personne qui ne respecte pas nos règles
de vie en société est expulsée du territoire national, nous sommes non pas dans
le domaine du droit pénal, mais tout simplement dans le domaine de la
protection de l'Etat et des citoyens en matière de sécurité.
On a parlé des contraventions. Que dire des sanctions disciplinaires et
professionnelles ? Pourquoi ont-elles leur place dans ce domaine ? Mais, à un
moment donné, il ne faut plus en parler.
Monsieur le garde des sceaux, il faudra, pour les contraventions et les
sanctions disciplinaires et professionnelles, une mesure d'amnistie simplifiée.
Celle-ci reviendrait périodiquement. S'agissant des contraventions, elle
devrait sans doute intervenir lorsque l'amende aura été payée. Ainsi, nos
concitoyens ne spéculeront plus sur une période pendant laquelle ils peuvent
garer leur véhicule sans se préoccuper des contraventions.
D'ailleurs, l'élément le plus discutable de l'amnistie, ce sont les
contraventions pour fait de stationnement, qui empoisonnent en réalité le
contexte du vote de l'amnistie.
Par ailleurs, il faudra éviter d'élaborer - ce que certains ont fait - des
amnisties
ad hominem.
Nous ne sommes pas là pour défendre le cas de tel
ou tel de nos concitoyens. Pour cela, il y a la grâce présidentielle.
L'amnistie est faite pour traiter non pas tel individu en particulier, mais un
ensemble d'individus. Par conséquent, sur ce point aussi, nous devrons avoir, à
l'avenir, une position sans doute plus claire.
Mais il ne faut pas abandonner l'amnistie. Celle-ci ne doit pas disparaître de
nos institutions. Je l'ai dit, nous devons, de temps à autre, prévoir de
petites amnisties et, d'ailleurs - pourquoi pas ? - sur l'initiative du
Parlement ? Rien n'interdit à des membres du Sénat ou de l'Assemblée nationale
de déposer une proposition de loi d'amnistie. Mesdames et messieurs les élus de
la gauche, rien ne vous empêche de déposer une proposition de loi prévoyant
l'amnistie dans un certain nombre de cas que vous avez cités au cours du débat
; nous les examinerons avec intérêt.
M. Robert Bret.
Comme les autres !
Mme Nicole Borvo.
C'est ce que vous avez l'habitude de faire !
M. Patrice Gélard.
Tout à fait !
M. Dominique Braye.
Il est bien que vous le reconnaissiez, madame Borvo !
M. Patrice Gélard.
Chacun sait que le pécheur doit toujours être pardonné.
En conclusion, le texte qui nous est proposé, considérablement amélioré grâce
au travail de notre estimé rapporteur M. Lucien Lanier - celui-ci a comblé
certaines lacunes et a amélioré la rédaction - est en fin de compte un bon
texte, et sans doute celui qui était attendu par la majorité de nos
concitoyens. Il ne fallait pas aller trop loin dans une période où, on l'a dit
tout à l'heure, tout doit être mis en oeuvre pour que la sécurité soit au
maximum respectée, ce qui explique les cinquante-deux ou cinquante-trois cas
d'exclusion de l'amnistie désormais prévus dans le texte.
Il fallait tout de même faire cette amnistie. D'abord, parce que le chef de
l'Etat s'y était engagé, comme certains de ses concurrents. Ensuite, parce que
c'est notre devoir de respecter cet engagement et de faire en sorte que cette
amnistie ne soit pas, en réalité, un grand coup d'éponge qui aurait tout
lessivé alors que la sécurité est la principale préoccupation de nos
concitoyens.
Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de ce texte, que l'ensemble du
groupe du RPR, dans le cadre de l'Union pour la majorité présidentielle,
votera.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, que
l'origine de l'effacement des condamnations et leurs conséquences remonte à
l'Antiquité ou, plus près de nous, que la tradition s'ancre au xixe siècle, il
a été constamment reconduit depuis juillet 1959, après chaque élection
présidentielle. De plus en plus encadrées, les dispositions réduisent le champ
d'application de l'amnistie. L'observation de l'opinion publique face à
celle-ci dégage néanmoins une majorité peu encline au maintien de la
tradition.
Ainsi, l'amnistie des condamnations à une peine d'emprisonnement avec sursis
assortie de l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général est désormais
subordonnée à l'exécution effective dudit travail d'intérêt général. Ce n'est
que justice que réparation soit faite.
Toutefois, s'agissant des contraventions de police, il reste un goût amer.
Comment justifier auprès des citoyens respectueux des règles et qui ont
acquitté le montant des amendes dont ils étaient redevables que le mauvais
payeur, le procédurier ou l'incivil, en soit libéré et échappe à la fois au
paiement et aux poursuites pour défaut ?
A l'origine, c'est l'apaisement social qui justifiait la mesure. Ce n'est plus
le cas aujourd'hui. Par ailleurs, comment, de façon concomitante, tenir un
discours ciblé sur l'impunité zéro et proposer un dispositif de coup d'éponge
sur des infractions qui, pour être mineures, n'en sont pas moins des
désobéissances aux règles édictées ?
Enfin, est-il acceptable que ce texte donne au Président de la République la
possibilité d'effacer les infractions n'entrant pas dans le champ de l'amnistie
de droit, non seulement pour les personnes ayant manifestement oeuvré pour
l'intérêt général, le progrès de l'humanité, la liberté, tels les
scientifiques, les résistants, les anciens combattants, mais aussi pour celles
qui se sont distinguées d'une manière exceptionnelle « dans les domaines
culturel, sportif ou économique » ? Il me semble qu'il y a une dérive, une
confusion des genres dans cet élargissement qui, au fil du temps, pourrait
intégrer toutes sortes de catégories, la liste n'étant pas limitative. Le génie
littéraire n'est pas synonyme d'honnêteté, pas plus que le sens aigu des
affaires n'est synonyme de probité. Pour cette dernière catégorie il n'est qu'à
choisir dans la liste des dirigeants indélicats qui s'allonge chaque jour.
En conclusion, et malgré ces réticences, la majorité du groupe du RDSE votera
ce texte.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Nous avons eu de nombreuses discussions philosophiques sur la tradition
républicaine. Or, les choses sont beaucoup plus simples. Lors de la campagne
pour l'élection présidentielle, nous avons soutenu un candidat qui avait pris
des engagements en matière d'amnistie. D'ailleurs, à l'occasion de cette
élection, la quasi-totalité de ceux qui siègent dans cet hémicycle ont soutenu
des candidats qui, eux aussi, s'étaient engagés en matière d'amnistie.
Maintenant, il s'agit donc, par la loi, de mettre en oeuvre cette amnistie.
Il appartenait au Sénat, même si certains ont pu s'en émouvoir, de préciser,
d'ajuster, d'affiner le texte que nous a transmis l'Assemblée nationale. C'est
ce que nous nous sommes efforcés de faire, en examinant les choses au plus
juste, même si nous avons parfois eu quelques hésitations. En tout cas, compte
tenu des amendements proposés, qui ont été acceptés par la commission et sur
lesquels le Gouvernement s'en est parfois remis à la sagesse de notre
assemblée, le texte que nous avons élaboré répond au souhait de M. le Président
de la République.
A un moment donné, nous avons eu une discussion sur la réalité du rôle du chef
d'entreprise et sur la place que celui-ci occupe dans la société, selon qu'il
s'agit d'un artisan ou du dirigeant d'une entreprise plus importante. Cela me
conduit à faire un commentaire. A l'avenir, nous serions bien inspirés de faire
la différence entre le cordonnier et le président d'une multinationale. En
effet, leurs responsabilités, leurs angoisses et leurs soucis sont différents.
Or, les dispositions que nous votons s'appliquent à tous sans discernement.
Le groupe de l'Union centriste, à une large majorité, votera le texte que vous
avez proposé, modifié par les amendements qui ont été adoptés par notre
assemblée.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les
sénateurs radicaux de gauche sont, en général, favorables au principe de
l'amnistie. J'ai expliqué pourquoi au cours de la discussion générale. Je
n'entrerai pas maintenant dans une réflexion sur le devenir de l'amnistie, même
si nombre de choses intéressantes ont été dites sur diverses travées de notre
hémicycle. Le moment est venu de conclure et d'indiquer le sens de notre vote à
partir du contenu législatif résultant de la discussion.
J'observe que le projet de loi fait la part belle aux petits délits commis par
des particuliers alors qu'il se montre implacable à l'encontre de tous les
actes liés à une action syndicale, y compris ceux qui ont donné lieu à quelques
débordements, à savoir « les infractions ou les délits commis en réunion ».
Cette amnistie est très restrictive, monsieur le garde des sceaux, par rapport
aux précédentes lois. Elle reflète en cela une époque frileuse et sur la
défensive. Elle est surtout orientée dans ses choix, et, disons-le, orientée à
droite. Les organisations syndicales de salariés, d'agriculteurs et de
professions libérales risquent de constater à l'usage que leur champ d'activité
a été sciemment exclu de ces mesures législatives d'apaisement, ce qui est
choquant et contraire à nos traditions.
Le Gouvernement prend une lourde responsabilité en violant l'esprit même de
l'amnistie républicaine. Aussi serions-nous tentés de voter contre le texte
issu de ces débats. Toutefois, nous ne voulons pas priver les auteurs des
petites infractions, contraventions et délits de cette chance que représente
l'amnistie. C'est pourquoi les sénateurs radicaux de gauche s'abstiendront.
M. le président.
La parole est à M. Emmanuel Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
J'aurais volontiers voté ce texte si l'amnistie s'était appliquée à José Bové.
Je regrette que, dans un souci d'apaisement et de réconciliation, aucune
disposition n'ait été prévue à cet effet.
(MM. Gérard Delfau et Guy Fischer
applaudissent.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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