SEANCE DU 7 FEVRIER 2002
M. le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans la
présente occurrence, j'ai le sentiment d'être comme Cendrillon : j'entends
bientôt les douze coups de minuit et, sans me livrer à des confidences, je puis
vous avouer qu'il m'est recommandé de ne point prolonger au-delà de cette heure
les travaux intellectuels.
(Sourires.)
La dernière fois que ce texte a été présenté par Mme la ministre, il est venu
en discussion, presque comme un cavalier, de manière aussi nocturne - très
nocturne, d'après ce que m'ont dit mes amis - et j'avoue, à ma courte honte,
que j'avais préféré, à cet égard, les exigences du repos aux énoncés
juridiques. J'ai eu tort, je le confesse. Je demande qu'on en tienne compte ce
soir.
Je vais donc aujourd'hui - très rapidement ! - vous dire ce qui me paraît
essentiel dans ce texte relatif à l'autorité parentale, après l'exposé si
complet de notre excellent rapporteur.
J'en suis convaincu, la commission mixte paritaire sera couronnée de succès -
grâce à vous, monsieur le rapporteur - et je ne vois pas ce qui pourrait
maintenant l'empêcher, car les dispositions qui restent encore en discussion ne
peuvent pas provoquer son échec.
Renonçant à la série d'observations que j'avais prévu de présenter, je
voudrais simplement quitter un instant ce que j'appellerai le style convenu de
notre Haute Assemblée et parler de ce problème si préoccupant et si profond que
vous avez évoqué, madame la ministre, à savoir la question plus spécifique de
la répression dans le domaine de la prostitution des mineurs.
Heureusement, en ce qui concerne la pédophilie, il existe toute une batterie
de textes qui sont, d'ailleurs, à mon avis, insuffisamment appliqués. Mais
parlons ici du problème si important de la prostitution des adolescents de
quinze à dix-huit ans.
Je voudrais d'abord vous dire, madame la ministre, que j'ai pour vous une
estime et une considération particulières. Vous appartenez à l'espèce - qui
n'est pas si commune - de ceux qui se battent jusqu'au bout pour les causes
dont ils sont convaincus. A l'âge qui est maintenant le mien, je puis vous dire
que, dans la vie, ce qui demeure et qui donne sens à ce que l'on a vécu, c'est
le bonheur que l'on espère avoir donné à ceux que l'on aime et qui vous aiment,
ainsi que le sentiment d'avoir oeuvré pour quelques justes causes et, quand on
a beaucoup de chance, de les avoir fait un peu progresser.
A cet égard, vous méritez de ma part la plus entière considération, et je suis
heureux de pouvoir vous l'exprimer ici publiquement.
Aujourd'hui, vous luttez, à juste titre, contre l'exploitation honteuse de
jeunes adolescents livrés à la prostitution. Vos adversaires, ce sont les
organisateurs d'un trafic international organisé.
Or, je le dis très clairement, on ne saurait être assez rigoureux avec les
organisateurs, les exploitants de ce proxénétisme organisé.
Croyez-moi, tout Parisien - vous voyez, j'utilise le masculin, madame la
ministre - et, cela va de soi, toute Parisienne qui passe le long du
périphérique ne peut pas ne pas se sentir pénétré d'un sentiment de honte en
voyant ce qui s'y passe.
Les hommes ne sont pas des machistes, ni des paillards, ni des amateurs de
lolita, ce sont des époux, des amants, des pères et, heureusement, des
grands-pères. Voir tout cela les atteint profondément, croyez-moi. Il n'y a
pas, soyez-en sûre, de monopole de la sensibilité.
Mais la question qui se pose, c'est comment lutter contre ce fléau, ce fléau
qui a été encore aggravé par ce qui s'est passé à l'est de l'Europe.
Politiquement, ce fut une grande satisfaction, mais ces changements ont
engendré dans les Balkans, en l'Europe de l'Est, et au-delà même, de nouvelles
organisations criminelles, de proxénètes notamment.
Je me suis souvent rendu dans les Balkans, et je puis vous assurer que ce qui
s'y déroule et s'y prépare, en matière de criminalité organisée, de trafic de
stupéfiants et de trafic d'êtres humains, nous ne saurions assez en prendre la
mesure.
Comment donc ne pas s'affliger, quand on l'étudie, comme j'ai tenu à le faire
ces jours derniers avec beaucoup de soin, de l'état actuel de la lutte contre
la criminalité organisée ?
Vous avez certainement lu la grande enquête qui a été publiée dans
Le
Nouvel Observateur
concernant le fléau qu'est la prostitution organisée. Je
me bornerai à une citation de l'excellente journaliste qu'est Mme Sophie des
Déserts : « Les réseaux deviennent de plus en plus complexes, les moyens
alloués sont ridicules et - écoutez bien, mes chers collègues ! - à la brigade
de protection des mineurs à Paris, seuls huit officiers sont chargés de la
prostitution, et ils sont deux à Strasbourg. L'office central pour la
répression de la traite des êtres humains manque cruellement d'effectifs ; les
policiers, sur le terrain, sont découragés. » Comment ne le seraient-ils pas
?
Voilà les forces que nous alignons face au proxénétisme organisé, à cette
forme de criminalité aujourd'hui en explosion !
En ce qui concerne les condamnations, j'ai consulté les statistiques qui sont
publiées par la Chancellerie. Depuis 1995, les poursuites et les condamnations
sont demeurées constantes. Cela ne peut que nourrir nos plus vives
préoccupations. C'est volontairement que je n'utiliserai pas le terme «
indignation ».
Malgré l'explosion de ce type de criminalité, il n'y a chaque année, depuis
1995, qu'environ 300 à 400 condamnations. Il n'y a donc aucune correspondance
entre la croissance exponentielle du mal et les résultats limités des forces
que nous opposons à ce fléau. Nous devons prendre ces constatations en
considération. Il nous faut bien choisir nos cibles privilégiées.
Madame la ministre, vous avez décidé de porter un coup sensible en choisissant
la pénalisation de la relation sexuelle entre clients et mineurs. Vous vous
êtes engagée dans cette voie avec conviction.
La pénalisation de la relation sexuelle entre client et prostituée n'est
historiquement pas nouvelle. Vous dites que les conditions ont changé. Certes,
mais nous savons que lorsqu'il s'agit des passions des êtres humains, non pas
les plus obscures, mais les plus complexes, la prohibition assortie de
sanctions pénales a toujours donné des résultats, hélas ! décevants. Ce n'est
pas une question de siècle ! Il suffit de regarder tout près de nous, dans
l'actualité.
Depuis des décennies, nous avons choisi de lutter contre le trafic de
stupéfiants par la prohibition de la consommation. Pensez-vous que nous avons
obtenu des résultats ? Je n'en suis pas sûr !
Je pourrais poser la même question en ce qui concerne la période de la
prohibition aux Etats-Unis. Et je pourrais citer bien d'autres exemples.
La seule pénalisation non accompagnée de moyens n'aboutit à rien, n'aboutit
qu'à cette conséquence tout à fait détestable que, inévitablement, ce qui est
prohibé devient clandestin et que les bénéfices des organisations mafieuses ne
font que croître. Cela a été vrai, on le sait, pour la prohibition de l'alcool
non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Union soviétique du temps de
Gorbatchev. Cela s'est aussi révélé vrai, hélas ! dans d'autres domaines encore
plus sensibles.
J'ajoute qu'il se trouve que j'ai consacré une longue partie de mon temps,
dans le cadre d'un séminaire aux Hautes Etudes, à étudier ce qu'a été au xixe
siècle - vous me direz que c'est loin -, la répression de l'homosexualité dans
l'Angleterre victorienne, qui était, pour moi, un exemple caractéristique. J'ai
ainsi appris que la prostitution, spécialement homosexuelle, avait complètement
été interdite à Londres au xixe siècle. Or, s'il y avait un nombre infini de
condamnations et de poursuites - celle de Wilde en a été le plus célèbre
exemple -, cela n'empêchait pas qu'il y avait plus encore de prostitution,
particulièrement homosexuelle.
Madame la ministre, vous avez opéré un choix, et ce sera certainement celui du
Parlement. Si vous l'avez fait, c'est parce que vous avez eu des informations
auxquelles nous n'avons pas eu le privilège d'accéder.
Vous avez pris là une décision importante, ne vous y trompez pas. Au cours de
ma vie professionnelle, j'ai vu des vies d'hommes brisées pour un instant de
faiblesse en raison de la répression de l'homosexualité des quinze à dix-huit
ans, que nous avons supprimée en 1982. J'ai vu le rôle joué par de petites
bandes organisées qui font de la provocation, de l'exploitation, puis du
chantage. Ce n'est pas un mythe ! C'est une réalité !
N'ayons pas une vision angélique des multiples procédés dont les proxénètes
savent user pour faire payer, le cas échéant, ceux qu'ils ont choisis. Je
laisse cet aspect de côté. Ce n'est pas un élément inutile. Nous en reparlerons
lors de la discussion des problèmes de procédure.
Mais quand j'ai vu ce texte, je me suis dit qu'il y avait certainement là des
motifs décisifs, et je me suis informé puisque, malgré mon souhait, nous
n'avons pas eu la chance - le texte est venu sous la forme d'amendement, de
cavalier législatif, un soir - d'entendre les juges des enfants, les
assistantes sociales, les spécialistes de la brigade des moeurs. Madame la
ministre, nous avons écouté les propos que vous avez tenus avec talent et
conviction, mais j'avais besoin d'être informé. J'ai donc fait ma propre
enquête. Je suis remonté aux sources.
Parlementaire de base consciencieux, j'essaie, avant de m'exprimer, de
m'informer. Je me suis donc entretenu avec des magistrats en charge de la
jeunesse, et non des moindres. Je leur ai parlé de la situation. J'ai exprimé
mon sentiment.
Vous avez choisi une voie, madame la ministre. Souhaitons, quel que soit mon
scepticisme à cet égard, qu'elle soit la bonne. En tout cas, rendons-la
cohérente. J'ai donc présenté des amendements, que je soumettrai à la
commission des lois.
Nous proposons ce que nous jugeons nécessaire pour que le dispositif
fonctionne.
Nous proposons d'abord que soit interdite en France la prostitution des
mineurs de dix-huit ans.
Nous proposons ainsi une proclamation, pour que chacun prenne bien conscience
que, dorénavant, c'est interdit.
Tous les pays occidentaux ne le font pas et tous les étrangers qui
débarqueront à Paris ne le sauront pas forcément ! Il faut que la nation tout
entière en soit consciente. Il faut agir sur les esprits puisque,
malheureusement, les moyens ne permettront pas d'agir sur les organisateurs.
L'objet de mon deuxième amendement est évident, et j'y insisterai toujours :
les mineurs prostitués sont par définition en danger. Lorsque l'on évoque
l'assistance aux mineurs en péril, on parle toujours de la nécessaire
protection de la jeunesse. Si elle a un sens, c'est bien là !
Vous dites : pas de clients, pas de prostitués. C'est bien. Mais je crains
qu'il n'y ait toujours des clients et que le problème ne se situe d'abord au
niveau des proxénètes et des trafiquants.
J'ai donc déposé un amendement, disais-je - et je suis convaincu que vous
l'accepterez, car je ne vois pas comment on pourrait l'écarter - qui prévoit
que tout mineur prostitué, même occasionnellement, relève de la protection de
l'enfance en danger, c'est-à-dire du juge des enfants.
Il ne faut pas se leurrer, ces garçons et ces filles qui ne s'adonneront plus
à la prostitution, ces jeunes Africaines, par exemple, il faut veiller à ce
qu'ils soient dans des foyers, sinon ils passeront d'une délinquance à une
autre. Ce n'est pas possible autrement.
Des juges des enfants m'ont dit qu'il fallait que cela soit écrit. Ces mineurs
qui s'adonnent à la prostitution sont en danger. Il est de notre mission et de
notre responsabilité essentielle de les protéger.
S'agissant de la pénalisation, puisque le principe en a été retenu, il est
nécessaire de procéder à un rééchelonnement des peines. Pour des raisons que
j'ignore, l'éventail a été élargi. Or, j'insiste sur ce point, la sanction
c'est déjà le simple fait de comparaître publiquement, d'être jugé, condamné au
vu et au su de tous. Imaginez ce que cela signifie ! Imaginez toutes les
conséquences qui peuvent en découler !
Ce qui importe, ce n'est pas la durée de la peine, c'est le principe de la
pénalisation. Il faut donc un rééchelonnement.
S'agissant des mineurs clients de prostitués, je demanderai qu'ils soient
exclus de ces dispositions. Si, à cet âge, à notre époque, ils cherchent là
quelque chose, c'est qu'ils sont plus en péril, plus en danger que délinquants.
Ne commençons pas par les précipiter dans la vie adulte avec une comparution en
correctionnelle, avec les conséquences que cela peut avoir. Ce ne serait pas
servir la cause de la jeunesse, vous me permettrez de le dire.
Enfin, dans un dernier amendement, nous avons voulu frapper - et le terme «
frapper » est le bon - la criminalité organisée, c'est-à-dire les véritables
trafiquants d'êtres humains.
A cet égard, vous me permettrez une observation et une conclusion.
Croire que l'on atteindra les proxénètes en poursuivant les clients est un
leurre pour une raison simple : les clients ne peuvent pas connaître les
proxénètes ; ce sont malheureusement les prostituées qui les connaissent. Vous
ne déboucherez donc jamais sur un réseau en partant des clients. C'est ailleurs
qu'il faut chercher les sources d'information possibles.
Si la priorité est - et elle doit l'être - la lutte contre cette forme odieuse
de criminalité organisée, après avoir, dans le domaine de la procédure pénale,
très largement étendu les pouvoirs - ce dont je me réjouis - il est temps
maintenant, puisque l'on parle de symbolique, de prendre, au niveau le plus
abominable de l'organisation de la prostitution des mineurs, une mesure
nécessaire, essentielle, qui fasse connaître notre volonté et que vous
trouverez dans nos amendements : la criminalisation de ceux qui, de quelque
façon que ce soit, organisent ou exploitent la prostitution des mineurs de
quinze ans ou en tirent profit.
Il faut vraiment qu'un homme ait atteint le dernier degré de l'infamie
criminelle pour organiser des réseaux d'exploitation, de prostitution de
mineurs de moins de quinze ans. Vous imaginez ce que cela veut dire ? Qu'ils
aillent en cour d'assises ! J'ai déposé un amendement à cette fin. Croyez-moi,
je suis convaincu que les jurés les jugeront comme ils le méritent. S'il doit y
avoir un effet dissuasif, c'est à ce niveau qu'il doit s'inscrire.
Voilà donc la série d'amendements que je propose. Ils ont été élaborés avec
beaucoup de prudence et de précautions, après nombre de consultations et de
concertations. J'espère que la commission des lois comme vous-même, madame la
ministre, les accepterez, car ils constituent pour votre texte, j'en suis
convaincu, une amélioration considérable.
En effet, c'est dans la proclamation de principes, dans les mesures prises au
profit des mineurs, dans la criminalisaton du trafic à fin de proxénétisme
d'enfants de moins de quinze ans - on ne parle plus d'adolescents - que se
trouvent les lignes fortes de la cause qui est la vôtre et à laquelle je
m'associe.
Pourtant, s'agissant des clients, je ne suis pas sûr que nous n'assisterons
pas à des phénomènes dont j'ai en d'autres temps mesuré la cruauté, des
phénomènes de destruction de vie d'hommes à la faveur d'un coup monté par une
petite équipe qui, pour être jeune, n'en est pas moins dangereuse, croyez-moi
!
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis
heureux de constater qu'un accord se dessine sur ce texte. Il ne reste en effet
que quelques dispositions en discussion sur lesquelles nous devrions, je pense,
à condition de ne pas en rajouter, nous mettre d'accord en commission mixte
paritaire.
S'agissant d'un texte qui constitue un réel progrès dans le domaine de la
coparentalité et de l'égalité entre les familles, c'est important - cela doit
être souligé - même si, comme certains de nos collègues souhaitent nous le
rappeler, c'est avant tout au quotidien que se joue le succès ou l'échec de la
coparentalité.
On connaît les nombreux efforts menés sous votre égide, madame la ministre,
pour traduire en pratique les principes directeurs de ce droit de la famille
qui se construit et ne jamais en rester au stade de l'affirmation théorique.
Le congé de paternité en est un des éléments symboliques forts qui devrait
contribuer à faire évoluer les mentalités dans l'ensemble de la société, dans
les administrations et aussi dans les entreprises.
Le texte relatif à l'autorité parentale constitue également un grand pas dans
le sens de la relecture du droit de la famille autour de l'intérêt de l'enfant,
pas qui permet à notre pays de montrer son attachement à la convention de New
York.
Je note avec plaisir qu'un certain nombre de nos suggestions finissent par
être admises : tel est le cas de la suppression de la mention des études
effectives pour le prolongement de l'obligation alimentaire au-delà de la
majorité de l'enfant, mention que la commission n'a pas souhaité reprendre.
Je m'en félicite, tant il est vrai que cette disposition nous semblait
discriminatoire, notamment pour les jeunes qui entrent dans la vie active avec,
parfois, des rémunérations très faibles.
Je trouve également satisfaisant le compromis qui se dessine autour de la
résidence alternée en cas de désaccord des parents. Il est clair que le juge ne
doit pouvoir l'imposer qu'à titre provisoire. Toutefois, fixer une durée trop
rigide risquerait d'aller à l'encontre de l'objectif visé.
Nous considérons, avec la commission des lois, que le juge doit pouvoir fixer
une durée variable en fonction des circonstances particulières à chaque
situation familiale. Si, dans tel cas, six mois pourront paraître une bonne
durée, dans le cas d'un éloignement plus important la durée de l'année scolaire
semblera préférable.
A tout le moins si, lors de la commission mixte paritaire, l'on devait retenir
une durée courte, il faudrait donner au juge la possibilité de la prolonger.
En réalité, pour nous, seul un point d'achoppement subsiste. Il porte sur un
sujet qui, on le sait, fait débat : l'étendue de la médiation familiale.
Nous restons défavorables à la possibilité d'imposer une médiation dans un
contexte de violences familiales. Il doit être bien entendu que la médiation ne
peut qu'avoir un caractère volontaire et qu'elle suppose une relation d'égalité
entre les parents, ce qui n'est pas envisageable en cas de violences, puisqu'il
y a un agresseur et un agressé.
C'est d'autant plus vrai dans un contexte où, même si les choses progressent,
le statut de la médiation n'a pas été encore fixé.
Si l'on peut juger, comme la commission des lois, prématuré d'instituer la
notion de « médiateur familial agréé », il est contradictoire de penser imposer
la médiation dans des situations extrêmement délicates en dehors de garanties
statutaires réellement effectives.
J'en viens, pour finir, aux dispositions qui ont été ajoutées au fil des
lectures et qui, sans avoir un rapport direct avec l'objet du texte, n'en ont
pas moins une grande importance. Je dois dire combien je regrette ces pratiques
« cavalières » qui ne permettent pas un examen parlementaire approfondi.
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Robert Bret.
S'agissant de la pornographie des mineurs, on peut se féliciter des progrès
sur le terrain de la répression comme sur celui de la prévention. La France
montre ainsi sa volonté d'être intransigeante en la matière. En effet, en même
temps qu'elle ratifie le protocole additionnel à la Convention des droits de
l'enfant sur la prostitution et la pornographie, elle le transcrit
immédiatement dans le droit français avec le présent texte - je pense notamment
à la détention d'images pornographiques.
Néanmoins, vous me permettrez de réitérer le souhait que la lutte contre la
prostitution et la pornographie enfantines fasse l'objet d'une approche
globale, dont les mérites nous ont été amplement démontrés par le rapport de
l'Assemblée nationale sur les formes modernes d'esclavage.
En ce qui concerne les enlèvements d'enfants, la spécialisation des magistrats
au sein des juridictions est intéressante. Mais, là encore, il ne peut s'agir
que d'une mesure circonstantielle, alors que le vrai débat se situe au niveau
de l'application de la convention de La Haye.
Je veux, pour finir, évoquer la question des mineurs en zone d'attente. A
l'heure actuelle, leur situation n'est pas admissible. J'ai pu le constater
de visu
tout récemment dans les terminaux de l'aéroport de Roissy, où
les deux zones d'attente pour les personnes en instance, dites ZAPI, étaient
pleines à craquer.
Si les dispositions proposées peuvent sembler un progrès par rapport à la
situation créée par la décision de la Cour de cassation du 2 mai 2001, celui-ci
n'est pas satisfaisant, loin de là !
Certes, je note, pour m'en réjouir, que tout le monde s'est rallié à la
position défendue en première lecture par ma collègue Nicole Borvo, qui
soulignait la nécessité que le procureur de la République soit informé
immédiatement de la présence d'un mineur isolé en zone d'attente. Cette
précision n'épuise cependant pas le débat, comme j'aurai l'occasion de le
montrer lorsque nous en viendrons à cet article.
Je vous proposerai un amendement destiné à éviter que le système de
l'administrateur
ad hoc
ne serve de caution à un refoulement
systématique de ces mineurs, ce qui serait contraire à nos engagements en
faveur des droits des enfants.
C'est sur ces quelques remarques que je conclurai à cette heure matinale mon
intervention, remarques qui n'emportent, vous l'aurez compris, aucune réserve
quant à l'adoption de ce texte sur l'autorité parentale.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Madame la ministre, compte tenu du rappel au règlement qui a été fait tout à
l'heure, il me semble plus opportun que vous ne répondiez aux orateurs qu'en
début de séance la semaine prochaine en préliminaire à la discussion des
articles.
Nous allons donc lever la séance.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Monsieur le président, je regrette que la séance doive
être levée maintenant. Mais la raison en étant le rappel au règlement qui a été
fait, nous allons accepter de bon coeur cette interruption de nos travaux.
Le Gouvernement s'apprêtait à émettre un avis favorable sur tous les
amendements de la commission des lois que M. le rapporteur vient de développer
de façon fort judicieuse. Nous nous orientons donc vers une lecture conforme
par l'Assemblée nationale.
Je veux préciser, au nom du Gouvernement, que, bien sûr, ce texte n'est pas
retiré de l'ordre du jour du Sénat. Il reviendra la semaine prochaine, et il
est d'ores et déjà inscrit à l'ordre du jour des débats de l'Assemblée
nationale le 19 février prochain.
Bien évidemment, tous les amendements qui ont été déposés aujourd'hui par M.
Badinter doivent être examinés par la commission des lois. C'est probablement
une raison supplémentaire de lever maintenant la séance.
Afin que le débat s'engage la semaine prochaine sur des bases claires, je
souhaite dire dès à présent que le Gouvernement sera défavorable à la plupart
de ces amendements, qui marquent un recul important par rapport au texte adopté
par le Sénat et par l'Assemblée nationale en première lecture. Cela étant, nous
avons le temps d'en débattre et d'y réfléchir.
Comme l'a fort brillamment montré M. Badinter, la police rencontre aujourd'hui
des difficultés pour intervenir, faute de base légale.
M. Robert Badinter.
Et de moyens !
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
C'est avant tout pour répondre à cette préoccupation
des juges et des policiers que nous souhaitons légiférer.
Le proxénétisme, qui est déjà réprimé, peut l'être davantage. Le Gouvernement
peut suivre les propositions visant au renforcement de la répression. La
proposition de loi s'appuie sur deux formes de répression, celle du
proxénétisme et celle qui s'applique aux clients.
Quant à la comparaison que vous avez faite avec la consommation de drogue,
monsieur Badinter, je ne peux pas la faire mienne.
J'ai bien entendu aussi l'ensemble des arguments relatifs aux homosexuels. Le
Gouvernement ne peut pas non plus adhérer à cette comparaison. Je dirai même
que l'amendement va à l'encontre de l'objectif visé. En effet, au nom de quoi
les mineurs homosexuels seraient-ils moins protégés que les autres, alors
qu'ils sont encore plus vulnérables ? Je pense que, là encore, les clients
doivent être réprimés.
M. Robert Badinter.
Me permettez-vous de vous interrompre, madame la ministre ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. Badinter, avec l'autorisation de Mme le ministre.
M. Robert Badinter.
Je me permets d'intervenir pour que ne demeure pas au procès-verbal ce qui
serait une erreur.
Dans les amendements que nous avons déposés, madame le ministre, ne figure pas
la moindre distinction entre homosexuels et hétérosexuels ! Ce n'est pas moi,
qui ai fait supprimer toute forme de discrimination, qui la réintroduirait par
voie d'amendement ! Pardonnez-moi, mais c'est là une erreur qui doit
probablement tenir à la confusion de mon propos à cette heure avancée.
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Au contraire, je suis tout à fait heureuse de cette
mise au point qui va dans le sens de ce que je viens d'évoquer. C'est
précisément le souci de protéger l'ensemble des mineurs prostitués, quels
qu'ils soient, qui doit nous conduire à être très vigilants par rapport aux
clients.
Puisque vous avez longuement détaillé l'ensemble de ces amendements, je n'y
reviendrai pas. Je prendrai simplement pour exemple le premier amendement que
vous présentez, qui tend à affirmer que la prostitution des mineurs est
interdite sur tout le territoire de la République.
A priori
, cet amendement ne paraît pas contestable. Pourtant, le
Gouvernement ne pourra pas le retenir - sous réserve, bien sûr, d'un examen
plus approfondi - car, dans le code pénal, ce sont les incriminations qui
fondent les valeurs. Actuellement, aucun article du code pénal ne proclame une
pétition de principe. J'ajoute que celle que vous proposez entraîne une grave
confusion entre le client et le mineur victime. La prostitution des mineurs est
interdite pour les clients. Cette interdiction ne saurait concerner les
mineurs, qui sont, avant tout, des victimes.
Ensuite, la formulation que vous proposez est ambiguë, car elle exclut le
délit à l'étranger, alors qu'aujourd'hui, vous le savez, s'applique le principe
d'extraterritorialité. Comme nous le constaterons au cours du débat, en
combinant cet amendement avec d'autres amendements que vous proposez, vous
revenez à une forme de légalisation du tourisme sexuel pour les mineurs âgés de
quinze à dix-huit ans par rapport au projet actuel.
Afin de ne pas prolonger les débats, je ne ferai pas de commentaires sur les
autres amendements. Je veux simplement, au travers de cet exemple, montrer que
les choses sont moins évidentes qu'elles n'y paraissent. En tout cas, notre
préoccupation est de veiller à ce que le message soit clair et d'éviter toute
régression et toute confusion dans notre esprit entre la liberté sexuelle des
mineurs de plus de quinze ans et la nécessaire répression de la prostitution
des mineurs et des clients, car sans clients, monsieur Badinter, il n'y aurait
pas de proxénétisme.
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
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