SEANCE DU 7 FEVRIER 2002


M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans la présente occurrence, j'ai le sentiment d'être comme Cendrillon : j'entends bientôt les douze coups de minuit et, sans me livrer à des confidences, je puis vous avouer qu'il m'est recommandé de ne point prolonger au-delà de cette heure les travaux intellectuels. (Sourires.)
La dernière fois que ce texte a été présenté par Mme la ministre, il est venu en discussion, presque comme un cavalier, de manière aussi nocturne - très nocturne, d'après ce que m'ont dit mes amis - et j'avoue, à ma courte honte, que j'avais préféré, à cet égard, les exigences du repos aux énoncés juridiques. J'ai eu tort, je le confesse. Je demande qu'on en tienne compte ce soir.
Je vais donc aujourd'hui - très rapidement ! - vous dire ce qui me paraît essentiel dans ce texte relatif à l'autorité parentale, après l'exposé si complet de notre excellent rapporteur.
J'en suis convaincu, la commission mixte paritaire sera couronnée de succès - grâce à vous, monsieur le rapporteur - et je ne vois pas ce qui pourrait maintenant l'empêcher, car les dispositions qui restent encore en discussion ne peuvent pas provoquer son échec.
Renonçant à la série d'observations que j'avais prévu de présenter, je voudrais simplement quitter un instant ce que j'appellerai le style convenu de notre Haute Assemblée et parler de ce problème si préoccupant et si profond que vous avez évoqué, madame la ministre, à savoir la question plus spécifique de la répression dans le domaine de la prostitution des mineurs.
Heureusement, en ce qui concerne la pédophilie, il existe toute une batterie de textes qui sont, d'ailleurs, à mon avis, insuffisamment appliqués. Mais parlons ici du problème si important de la prostitution des adolescents de quinze à dix-huit ans.
Je voudrais d'abord vous dire, madame la ministre, que j'ai pour vous une estime et une considération particulières. Vous appartenez à l'espèce - qui n'est pas si commune - de ceux qui se battent jusqu'au bout pour les causes dont ils sont convaincus. A l'âge qui est maintenant le mien, je puis vous dire que, dans la vie, ce qui demeure et qui donne sens à ce que l'on a vécu, c'est le bonheur que l'on espère avoir donné à ceux que l'on aime et qui vous aiment, ainsi que le sentiment d'avoir oeuvré pour quelques justes causes et, quand on a beaucoup de chance, de les avoir fait un peu progresser.
A cet égard, vous méritez de ma part la plus entière considération, et je suis heureux de pouvoir vous l'exprimer ici publiquement.
Aujourd'hui, vous luttez, à juste titre, contre l'exploitation honteuse de jeunes adolescents livrés à la prostitution. Vos adversaires, ce sont les organisateurs d'un trafic international organisé.
Or, je le dis très clairement, on ne saurait être assez rigoureux avec les organisateurs, les exploitants de ce proxénétisme organisé.
Croyez-moi, tout Parisien - vous voyez, j'utilise le masculin, madame la ministre - et, cela va de soi, toute Parisienne qui passe le long du périphérique ne peut pas ne pas se sentir pénétré d'un sentiment de honte en voyant ce qui s'y passe.
Les hommes ne sont pas des machistes, ni des paillards, ni des amateurs de lolita, ce sont des époux, des amants, des pères et, heureusement, des grands-pères. Voir tout cela les atteint profondément, croyez-moi. Il n'y a pas, soyez-en sûre, de monopole de la sensibilité.
Mais la question qui se pose, c'est comment lutter contre ce fléau, ce fléau qui a été encore aggravé par ce qui s'est passé à l'est de l'Europe. Politiquement, ce fut une grande satisfaction, mais ces changements ont engendré dans les Balkans, en l'Europe de l'Est, et au-delà même, de nouvelles organisations criminelles, de proxénètes notamment.
Je me suis souvent rendu dans les Balkans, et je puis vous assurer que ce qui s'y déroule et s'y prépare, en matière de criminalité organisée, de trafic de stupéfiants et de trafic d'êtres humains, nous ne saurions assez en prendre la mesure.
Comment donc ne pas s'affliger, quand on l'étudie, comme j'ai tenu à le faire ces jours derniers avec beaucoup de soin, de l'état actuel de la lutte contre la criminalité organisée ?
Vous avez certainement lu la grande enquête qui a été publiée dans Le Nouvel Observateur concernant le fléau qu'est la prostitution organisée. Je me bornerai à une citation de l'excellente journaliste qu'est Mme Sophie des Déserts : « Les réseaux deviennent de plus en plus complexes, les moyens alloués sont ridicules et - écoutez bien, mes chers collègues ! - à la brigade de protection des mineurs à Paris, seuls huit officiers sont chargés de la prostitution, et ils sont deux à Strasbourg. L'office central pour la répression de la traite des êtres humains manque cruellement d'effectifs ; les policiers, sur le terrain, sont découragés. » Comment ne le seraient-ils pas ?
Voilà les forces que nous alignons face au proxénétisme organisé, à cette forme de criminalité aujourd'hui en explosion !
En ce qui concerne les condamnations, j'ai consulté les statistiques qui sont publiées par la Chancellerie. Depuis 1995, les poursuites et les condamnations sont demeurées constantes. Cela ne peut que nourrir nos plus vives préoccupations. C'est volontairement que je n'utiliserai pas le terme « indignation ».
Malgré l'explosion de ce type de criminalité, il n'y a chaque année, depuis 1995, qu'environ 300 à 400 condamnations. Il n'y a donc aucune correspondance entre la croissance exponentielle du mal et les résultats limités des forces que nous opposons à ce fléau. Nous devons prendre ces constatations en considération. Il nous faut bien choisir nos cibles privilégiées.
Madame la ministre, vous avez décidé de porter un coup sensible en choisissant la pénalisation de la relation sexuelle entre clients et mineurs. Vous vous êtes engagée dans cette voie avec conviction.
La pénalisation de la relation sexuelle entre client et prostituée n'est historiquement pas nouvelle. Vous dites que les conditions ont changé. Certes, mais nous savons que lorsqu'il s'agit des passions des êtres humains, non pas les plus obscures, mais les plus complexes, la prohibition assortie de sanctions pénales a toujours donné des résultats, hélas ! décevants. Ce n'est pas une question de siècle ! Il suffit de regarder tout près de nous, dans l'actualité.
Depuis des décennies, nous avons choisi de lutter contre le trafic de stupéfiants par la prohibition de la consommation. Pensez-vous que nous avons obtenu des résultats ? Je n'en suis pas sûr !
Je pourrais poser la même question en ce qui concerne la période de la prohibition aux Etats-Unis. Et je pourrais citer bien d'autres exemples.
La seule pénalisation non accompagnée de moyens n'aboutit à rien, n'aboutit qu'à cette conséquence tout à fait détestable que, inévitablement, ce qui est prohibé devient clandestin et que les bénéfices des organisations mafieuses ne font que croître. Cela a été vrai, on le sait, pour la prohibition de l'alcool non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Union soviétique du temps de Gorbatchev. Cela s'est aussi révélé vrai, hélas ! dans d'autres domaines encore plus sensibles.
J'ajoute qu'il se trouve que j'ai consacré une longue partie de mon temps, dans le cadre d'un séminaire aux Hautes Etudes, à étudier ce qu'a été au xixe siècle - vous me direz que c'est loin -, la répression de l'homosexualité dans l'Angleterre victorienne, qui était, pour moi, un exemple caractéristique. J'ai ainsi appris que la prostitution, spécialement homosexuelle, avait complètement été interdite à Londres au xixe siècle. Or, s'il y avait un nombre infini de condamnations et de poursuites - celle de Wilde en a été le plus célèbre exemple -, cela n'empêchait pas qu'il y avait plus encore de prostitution, particulièrement homosexuelle.
Madame la ministre, vous avez opéré un choix, et ce sera certainement celui du Parlement. Si vous l'avez fait, c'est parce que vous avez eu des informations auxquelles nous n'avons pas eu le privilège d'accéder.
Vous avez pris là une décision importante, ne vous y trompez pas. Au cours de ma vie professionnelle, j'ai vu des vies d'hommes brisées pour un instant de faiblesse en raison de la répression de l'homosexualité des quinze à dix-huit ans, que nous avons supprimée en 1982. J'ai vu le rôle joué par de petites bandes organisées qui font de la provocation, de l'exploitation, puis du chantage. Ce n'est pas un mythe ! C'est une réalité !
N'ayons pas une vision angélique des multiples procédés dont les proxénètes savent user pour faire payer, le cas échéant, ceux qu'ils ont choisis. Je laisse cet aspect de côté. Ce n'est pas un élément inutile. Nous en reparlerons lors de la discussion des problèmes de procédure.
Mais quand j'ai vu ce texte, je me suis dit qu'il y avait certainement là des motifs décisifs, et je me suis informé puisque, malgré mon souhait, nous n'avons pas eu la chance - le texte est venu sous la forme d'amendement, de cavalier législatif, un soir - d'entendre les juges des enfants, les assistantes sociales, les spécialistes de la brigade des moeurs. Madame la ministre, nous avons écouté les propos que vous avez tenus avec talent et conviction, mais j'avais besoin d'être informé. J'ai donc fait ma propre enquête. Je suis remonté aux sources.
Parlementaire de base consciencieux, j'essaie, avant de m'exprimer, de m'informer. Je me suis donc entretenu avec des magistrats en charge de la jeunesse, et non des moindres. Je leur ai parlé de la situation. J'ai exprimé mon sentiment.
Vous avez choisi une voie, madame la ministre. Souhaitons, quel que soit mon scepticisme à cet égard, qu'elle soit la bonne. En tout cas, rendons-la cohérente. J'ai donc présenté des amendements, que je soumettrai à la commission des lois.
Nous proposons ce que nous jugeons nécessaire pour que le dispositif fonctionne.
Nous proposons d'abord que soit interdite en France la prostitution des mineurs de dix-huit ans.
Nous proposons ainsi une proclamation, pour que chacun prenne bien conscience que, dorénavant, c'est interdit.
Tous les pays occidentaux ne le font pas et tous les étrangers qui débarqueront à Paris ne le sauront pas forcément ! Il faut que la nation tout entière en soit consciente. Il faut agir sur les esprits puisque, malheureusement, les moyens ne permettront pas d'agir sur les organisateurs.
L'objet de mon deuxième amendement est évident, et j'y insisterai toujours : les mineurs prostitués sont par définition en danger. Lorsque l'on évoque l'assistance aux mineurs en péril, on parle toujours de la nécessaire protection de la jeunesse. Si elle a un sens, c'est bien là !
Vous dites : pas de clients, pas de prostitués. C'est bien. Mais je crains qu'il n'y ait toujours des clients et que le problème ne se situe d'abord au niveau des proxénètes et des trafiquants.
J'ai donc déposé un amendement, disais-je - et je suis convaincu que vous l'accepterez, car je ne vois pas comment on pourrait l'écarter - qui prévoit que tout mineur prostitué, même occasionnellement, relève de la protection de l'enfance en danger, c'est-à-dire du juge des enfants.
Il ne faut pas se leurrer, ces garçons et ces filles qui ne s'adonneront plus à la prostitution, ces jeunes Africaines, par exemple, il faut veiller à ce qu'ils soient dans des foyers, sinon ils passeront d'une délinquance à une autre. Ce n'est pas possible autrement.
Des juges des enfants m'ont dit qu'il fallait que cela soit écrit. Ces mineurs qui s'adonnent à la prostitution sont en danger. Il est de notre mission et de notre responsabilité essentielle de les protéger.
S'agissant de la pénalisation, puisque le principe en a été retenu, il est nécessaire de procéder à un rééchelonnement des peines. Pour des raisons que j'ignore, l'éventail a été élargi. Or, j'insiste sur ce point, la sanction c'est déjà le simple fait de comparaître publiquement, d'être jugé, condamné au vu et au su de tous. Imaginez ce que cela signifie ! Imaginez toutes les conséquences qui peuvent en découler !
Ce qui importe, ce n'est pas la durée de la peine, c'est le principe de la pénalisation. Il faut donc un rééchelonnement.
S'agissant des mineurs clients de prostitués, je demanderai qu'ils soient exclus de ces dispositions. Si, à cet âge, à notre époque, ils cherchent là quelque chose, c'est qu'ils sont plus en péril, plus en danger que délinquants. Ne commençons pas par les précipiter dans la vie adulte avec une comparution en correctionnelle, avec les conséquences que cela peut avoir. Ce ne serait pas servir la cause de la jeunesse, vous me permettrez de le dire.
Enfin, dans un dernier amendement, nous avons voulu frapper - et le terme « frapper » est le bon - la criminalité organisée, c'est-à-dire les véritables trafiquants d'êtres humains.
A cet égard, vous me permettrez une observation et une conclusion.
Croire que l'on atteindra les proxénètes en poursuivant les clients est un leurre pour une raison simple : les clients ne peuvent pas connaître les proxénètes ; ce sont malheureusement les prostituées qui les connaissent. Vous ne déboucherez donc jamais sur un réseau en partant des clients. C'est ailleurs qu'il faut chercher les sources d'information possibles.
Si la priorité est - et elle doit l'être - la lutte contre cette forme odieuse de criminalité organisée, après avoir, dans le domaine de la procédure pénale, très largement étendu les pouvoirs - ce dont je me réjouis - il est temps maintenant, puisque l'on parle de symbolique, de prendre, au niveau le plus abominable de l'organisation de la prostitution des mineurs, une mesure nécessaire, essentielle, qui fasse connaître notre volonté et que vous trouverez dans nos amendements : la criminalisation de ceux qui, de quelque façon que ce soit, organisent ou exploitent la prostitution des mineurs de quinze ans ou en tirent profit.
Il faut vraiment qu'un homme ait atteint le dernier degré de l'infamie criminelle pour organiser des réseaux d'exploitation, de prostitution de mineurs de moins de quinze ans. Vous imaginez ce que cela veut dire ? Qu'ils aillent en cour d'assises ! J'ai déposé un amendement à cette fin. Croyez-moi, je suis convaincu que les jurés les jugeront comme ils le méritent. S'il doit y avoir un effet dissuasif, c'est à ce niveau qu'il doit s'inscrire.
Voilà donc la série d'amendements que je propose. Ils ont été élaborés avec beaucoup de prudence et de précautions, après nombre de consultations et de concertations. J'espère que la commission des lois comme vous-même, madame la ministre, les accepterez, car ils constituent pour votre texte, j'en suis convaincu, une amélioration considérable.
En effet, c'est dans la proclamation de principes, dans les mesures prises au profit des mineurs, dans la criminalisaton du trafic à fin de proxénétisme d'enfants de moins de quinze ans - on ne parle plus d'adolescents - que se trouvent les lignes fortes de la cause qui est la vôtre et à laquelle je m'associe.
Pourtant, s'agissant des clients, je ne suis pas sûr que nous n'assisterons pas à des phénomènes dont j'ai en d'autres temps mesuré la cruauté, des phénomènes de destruction de vie d'hommes à la faveur d'un coup monté par une petite équipe qui, pour être jeune, n'en est pas moins dangereuse, croyez-moi ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de constater qu'un accord se dessine sur ce texte. Il ne reste en effet que quelques dispositions en discussion sur lesquelles nous devrions, je pense, à condition de ne pas en rajouter, nous mettre d'accord en commission mixte paritaire.
S'agissant d'un texte qui constitue un réel progrès dans le domaine de la coparentalité et de l'égalité entre les familles, c'est important - cela doit être souligé - même si, comme certains de nos collègues souhaitent nous le rappeler, c'est avant tout au quotidien que se joue le succès ou l'échec de la coparentalité.
On connaît les nombreux efforts menés sous votre égide, madame la ministre, pour traduire en pratique les principes directeurs de ce droit de la famille qui se construit et ne jamais en rester au stade de l'affirmation théorique.
Le congé de paternité en est un des éléments symboliques forts qui devrait contribuer à faire évoluer les mentalités dans l'ensemble de la société, dans les administrations et aussi dans les entreprises.
Le texte relatif à l'autorité parentale constitue également un grand pas dans le sens de la relecture du droit de la famille autour de l'intérêt de l'enfant, pas qui permet à notre pays de montrer son attachement à la convention de New York.
Je note avec plaisir qu'un certain nombre de nos suggestions finissent par être admises : tel est le cas de la suppression de la mention des études effectives pour le prolongement de l'obligation alimentaire au-delà de la majorité de l'enfant, mention que la commission n'a pas souhaité reprendre.
Je m'en félicite, tant il est vrai que cette disposition nous semblait discriminatoire, notamment pour les jeunes qui entrent dans la vie active avec, parfois, des rémunérations très faibles.
Je trouve également satisfaisant le compromis qui se dessine autour de la résidence alternée en cas de désaccord des parents. Il est clair que le juge ne doit pouvoir l'imposer qu'à titre provisoire. Toutefois, fixer une durée trop rigide risquerait d'aller à l'encontre de l'objectif visé.
Nous considérons, avec la commission des lois, que le juge doit pouvoir fixer une durée variable en fonction des circonstances particulières à chaque situation familiale. Si, dans tel cas, six mois pourront paraître une bonne durée, dans le cas d'un éloignement plus important la durée de l'année scolaire semblera préférable.
A tout le moins si, lors de la commission mixte paritaire, l'on devait retenir une durée courte, il faudrait donner au juge la possibilité de la prolonger.
En réalité, pour nous, seul un point d'achoppement subsiste. Il porte sur un sujet qui, on le sait, fait débat : l'étendue de la médiation familiale.
Nous restons défavorables à la possibilité d'imposer une médiation dans un contexte de violences familiales. Il doit être bien entendu que la médiation ne peut qu'avoir un caractère volontaire et qu'elle suppose une relation d'égalité entre les parents, ce qui n'est pas envisageable en cas de violences, puisqu'il y a un agresseur et un agressé.
C'est d'autant plus vrai dans un contexte où, même si les choses progressent, le statut de la médiation n'a pas été encore fixé.
Si l'on peut juger, comme la commission des lois, prématuré d'instituer la notion de « médiateur familial agréé », il est contradictoire de penser imposer la médiation dans des situations extrêmement délicates en dehors de garanties statutaires réellement effectives.
J'en viens, pour finir, aux dispositions qui ont été ajoutées au fil des lectures et qui, sans avoir un rapport direct avec l'objet du texte, n'en ont pas moins une grande importance. Je dois dire combien je regrette ces pratiques « cavalières » qui ne permettent pas un examen parlementaire approfondi.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Robert Bret. S'agissant de la pornographie des mineurs, on peut se féliciter des progrès sur le terrain de la répression comme sur celui de la prévention. La France montre ainsi sa volonté d'être intransigeante en la matière. En effet, en même temps qu'elle ratifie le protocole additionnel à la Convention des droits de l'enfant sur la prostitution et la pornographie, elle le transcrit immédiatement dans le droit français avec le présent texte - je pense notamment à la détention d'images pornographiques.
Néanmoins, vous me permettrez de réitérer le souhait que la lutte contre la prostitution et la pornographie enfantines fasse l'objet d'une approche globale, dont les mérites nous ont été amplement démontrés par le rapport de l'Assemblée nationale sur les formes modernes d'esclavage.
En ce qui concerne les enlèvements d'enfants, la spécialisation des magistrats au sein des juridictions est intéressante. Mais, là encore, il ne peut s'agir que d'une mesure circonstantielle, alors que le vrai débat se situe au niveau de l'application de la convention de La Haye.
Je veux, pour finir, évoquer la question des mineurs en zone d'attente. A l'heure actuelle, leur situation n'est pas admissible. J'ai pu le constater de visu tout récemment dans les terminaux de l'aéroport de Roissy, où les deux zones d'attente pour les personnes en instance, dites ZAPI, étaient pleines à craquer.
Si les dispositions proposées peuvent sembler un progrès par rapport à la situation créée par la décision de la Cour de cassation du 2 mai 2001, celui-ci n'est pas satisfaisant, loin de là !
Certes, je note, pour m'en réjouir, que tout le monde s'est rallié à la position défendue en première lecture par ma collègue Nicole Borvo, qui soulignait la nécessité que le procureur de la République soit informé immédiatement de la présence d'un mineur isolé en zone d'attente. Cette précision n'épuise cependant pas le débat, comme j'aurai l'occasion de le montrer lorsque nous en viendrons à cet article.
Je vous proposerai un amendement destiné à éviter que le système de l'administrateur ad hoc ne serve de caution à un refoulement systématique de ces mineurs, ce qui serait contraire à nos engagements en faveur des droits des enfants.
C'est sur ces quelques remarques que je conclurai à cette heure matinale mon intervention, remarques qui n'emportent, vous l'aurez compris, aucune réserve quant à l'adoption de ce texte sur l'autorité parentale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Madame la ministre, compte tenu du rappel au règlement qui a été fait tout à l'heure, il me semble plus opportun que vous ne répondiez aux orateurs qu'en début de séance la semaine prochaine en préliminaire à la discussion des articles.
Nous allons donc lever la séance.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Monsieur le président, je regrette que la séance doive être levée maintenant. Mais la raison en étant le rappel au règlement qui a été fait, nous allons accepter de bon coeur cette interruption de nos travaux.
Le Gouvernement s'apprêtait à émettre un avis favorable sur tous les amendements de la commission des lois que M. le rapporteur vient de développer de façon fort judicieuse. Nous nous orientons donc vers une lecture conforme par l'Assemblée nationale.
Je veux préciser, au nom du Gouvernement, que, bien sûr, ce texte n'est pas retiré de l'ordre du jour du Sénat. Il reviendra la semaine prochaine, et il est d'ores et déjà inscrit à l'ordre du jour des débats de l'Assemblée nationale le 19 février prochain.
Bien évidemment, tous les amendements qui ont été déposés aujourd'hui par M. Badinter doivent être examinés par la commission des lois. C'est probablement une raison supplémentaire de lever maintenant la séance.
Afin que le débat s'engage la semaine prochaine sur des bases claires, je souhaite dire dès à présent que le Gouvernement sera défavorable à la plupart de ces amendements, qui marquent un recul important par rapport au texte adopté par le Sénat et par l'Assemblée nationale en première lecture. Cela étant, nous avons le temps d'en débattre et d'y réfléchir.
Comme l'a fort brillamment montré M. Badinter, la police rencontre aujourd'hui des difficultés pour intervenir, faute de base légale.
M. Robert Badinter. Et de moyens !
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. C'est avant tout pour répondre à cette préoccupation des juges et des policiers que nous souhaitons légiférer.
Le proxénétisme, qui est déjà réprimé, peut l'être davantage. Le Gouvernement peut suivre les propositions visant au renforcement de la répression. La proposition de loi s'appuie sur deux formes de répression, celle du proxénétisme et celle qui s'applique aux clients.
Quant à la comparaison que vous avez faite avec la consommation de drogue, monsieur Badinter, je ne peux pas la faire mienne.
J'ai bien entendu aussi l'ensemble des arguments relatifs aux homosexuels. Le Gouvernement ne peut pas non plus adhérer à cette comparaison. Je dirai même que l'amendement va à l'encontre de l'objectif visé. En effet, au nom de quoi les mineurs homosexuels seraient-ils moins protégés que les autres, alors qu'ils sont encore plus vulnérables ? Je pense que, là encore, les clients doivent être réprimés.
M. Robert Badinter. Me permettez-vous de vous interrompre, madame la ministre ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Badinter, avec l'autorisation de Mme le ministre.
M. Robert Badinter. Je me permets d'intervenir pour que ne demeure pas au procès-verbal ce qui serait une erreur.
Dans les amendements que nous avons déposés, madame le ministre, ne figure pas la moindre distinction entre homosexuels et hétérosexuels ! Ce n'est pas moi, qui ai fait supprimer toute forme de discrimination, qui la réintroduirait par voie d'amendement ! Pardonnez-moi, mais c'est là une erreur qui doit probablement tenir à la confusion de mon propos à cette heure avancée.
M. le président. Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Au contraire, je suis tout à fait heureuse de cette mise au point qui va dans le sens de ce que je viens d'évoquer. C'est précisément le souci de protéger l'ensemble des mineurs prostitués, quels qu'ils soient, qui doit nous conduire à être très vigilants par rapport aux clients.
Puisque vous avez longuement détaillé l'ensemble de ces amendements, je n'y reviendrai pas. Je prendrai simplement pour exemple le premier amendement que vous présentez, qui tend à affirmer que la prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la République.
A priori , cet amendement ne paraît pas contestable. Pourtant, le Gouvernement ne pourra pas le retenir - sous réserve, bien sûr, d'un examen plus approfondi - car, dans le code pénal, ce sont les incriminations qui fondent les valeurs. Actuellement, aucun article du code pénal ne proclame une pétition de principe. J'ajoute que celle que vous proposez entraîne une grave confusion entre le client et le mineur victime. La prostitution des mineurs est interdite pour les clients. Cette interdiction ne saurait concerner les mineurs, qui sont, avant tout, des victimes.
Ensuite, la formulation que vous proposez est ambiguë, car elle exclut le délit à l'étranger, alors qu'aujourd'hui, vous le savez, s'applique le principe d'extraterritorialité. Comme nous le constaterons au cours du débat, en combinant cet amendement avec d'autres amendements que vous proposez, vous revenez à une forme de légalisation du tourisme sexuel pour les mineurs âgés de quinze à dix-huit ans par rapport au projet actuel.
Afin de ne pas prolonger les débats, je ne ferai pas de commentaires sur les autres amendements. Je veux simplement, au travers de cet exemple, montrer que les choses sont moins évidentes qu'elles n'y paraissent. En tout cas, notre préoccupation est de veiller à ce que le message soit clair et d'éviter toute régression et toute confusion dans notre esprit entre la liberté sexuelle des mineurs de plus de quinze ans et la nécessaire répression de la prostitution des mineurs et des clients, car sans clients, monsieur Badinter, il n'y aurait pas de proxénétisme.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

11