SEANCE DU 7 FEVRIER 2002


PROTECTION DE LA PRÉSOMPTION
D'INNOCENCE

Discussion d'une proposition de loi déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 194, 2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, complétant la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. [Rapport n° 208 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 15 juin 2000 est considérée par tous, à juste raison, comme une grande loi. Elle renforce l'application, à tous les stades de l'enquête pénale, d'un principe fondamental de notre procédure pénale : le principe du contradictoire.
L'entretien avec un avocat dès le début de la garde à vue, le double regard sur le placement en détention provisoire, les recours contre les décisions de cour d'assises, la judiciarisation de l'exécution des peines permettent, à chaque étape de l'enquête et du procès pénal, de faire valoir les moyens de défense des personnes mises en cause.
Il n'est pas question aujourd'hui d'abandonner la mise en oeuvre de ces droits ou de la restreindre d'une quelconque façon, particulièrement à la suite d'une réforme d'une telle ampleur, à laquelle le Sénat a pris une part aussi importante.
L'introduction de ces droits dans notre code de procédure pénale nous a permis de mettre notre procédure au niveau de celle qu'appliquent nos voisins européens. Elle nous met en conformité avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, elle donne plus de force encore aux preuves recueillies par les services d'enquête.
Cette proposition de loi vise à tirer les conséquences de difficultés d'application mises en évidence par les services d'enquête.
Dès la fin de l'année 2000, j'ai été soucieuse des conditions d'application de cette loi.
Lors de l'élaboration de la loi, en effet, l'institution judiciaire souffrait de façon chronique d'une insuffisance d'effectifs et de moyens.
Cela ne devait pas empêcher le Gouvernement d'engager les réformes nécessaires, mais il fallait veiller à ce que ces dernières soient aussitôt accompagnées des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre.
Le Gouvernement s'est tenu à cette règle en adaptant le budget des années 2001 et 2002 aux procédures créées par la loi du 15 juin 2000.
Les moyens permettant l'application des réformes contenues dans le projet initial, qui comptait 40 articles, avaient été prévus.
C'est ainsi qu'étaient déjà créés les 108 postes de juge des libertés et de la détention ainsi que les 96 emplois de greffier devant accompagner la réforme.
Mais le Gouvernement ne pouvait évidemment financer par anticipation les réformes issues des débats parlementaires, qui ont considérablement enrichi le texte.
C'est la raison pour laquelle les moyens ont été pris dans le budget pour 2001. Ce dernier a engagé 338,7 millions de francs pour la seule mise en oeuvre de la loi. Plus des deux tiers des postes créés en 2001 ont été dédiés à la loi du 15 juin 2000 et ont été localisés là où les besoins étaient les plus forts ; 80 emplois de magistrat créés au budget pour 2002 sont encore consacrés à la mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000.
Je rappelle enfin que, depuis le début de la législature, le ministère de la justice a connu 7 273 créations d'emploi, tous services confondus, dont 1 049 créations d'emploi de magistrat, contre 727 au cours des dix-sept années précédentes.
Ce renforcement des moyens nous a permis d'appliquer la loi sans voir survenir le bogue judiciaire qui nous avait été annoncé. En particulier, l'application de la loi du 15 juin 2000 n'a pas provoqué l'effondrement des délais de traitement des affaires, civiles ou pénales, que certains disaient redouter.
Mais les difficultés sont apparues ailleurs, du côté des services de police et de gendarmerie.
Elles ne sont, à mon avis, que partiellement liées au contenu même de la loi du 15 juin 2000.
Sur certains points - je pense en particulier à la définition des personnes qui peuvent être placées en garde à vue - le malaise exprimé par les enquêteurs tenait plus à un manque d'explications qu'à des imperfections juridiques.
Mais ces difficultés ne sont néanmoins que trop réelles.
Notre attachement aux principes fondamentaux renforcés par la loi du 15 juin 2000 exigeait que les modifications nécessaires à leur application quotidienne soient identifiées puis introduites dans une loi.
C'est le travail de qualité qu'a fait Julien Dray en écoutant les policiers avec beaucoup d'attention et en proposant un ensemble de mesures dont certaines seulement relèvent de la loi. Le rapport qu'il a rendu est l'expression fidèle de leurs préoccupations.
C'est le travail qu'a fait avec beaucoup de rigueur et de pertinence Christine Lazerges dans son rapport sur la loi du 15 juin 2000 intitulé Une chance pour la justice .
C'est le travail que j'ai fait en diffusant, le 10 janvier 2002, aux procureurs généraux et, par leur intermédiaire, à l'ensemble des magistrats du parquet et des enquêteurs, une circulaire qui expliquait, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation, les modalités d'application de la loi durant la période de garde à vue.
Cette circulaire aborde les modalités d'avis au procureur en début de garde à vue, de notification des droits des personnes gardées à vue et rappelle que, si les enquêteurs sont tenus d'accomplir les actes nécessaires à la mise en oeuvre de ces droits, la procédure qu'ils dressent ne se trouve pas annulée par l'absence d'exercice de ces droits.
Elle exprime donc très clairement que les enquêteurs ne sont pas, contrairement à ce qu'ils craignaient, tenus par une « obligation de résultat » dans la mise en oeuvre des droits de la personne gardée à vue.
Cependant, l'application de la loi du 15 juin 2000 réclamait aussi des ajustements, qui ne pouvaient être faits que par une loi.
C'est l'objet de la proposition de loi que vous allez examiner.
Cette proposition de loi ne vise ni la judiciarisation des peines ni les droits des victimes. Elle n'aborde que certaines dispositions de la loi du 15 juin 2000 portant sur la garde à vue et sur l'appel des décisions de Cour d'assises.
Sur ce dernier point, les deux parlementaires qui ont étudié l'application de la loi, Julien Dray et Christine Lazerges, ont l'un et l'autre proposé une évolution, afin que les décisions de cette juridiction, si lourdes de conséquences pour les victimes comme pour les accusés, puissent faire l'objet d'un appel du parquet.
Dans le souci de ne pas alourdir les charges des magistrats du parquet, les députés ont souhaité limiter l'obligation de visiter les locaux de garde à vue, en fixant à un an la périodicité du contrôle de ces locaux.
La définition des personnes susceptibles d'être placées en garde à vue a été précisée en reprenant la définition qu'en donne la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
L'article 1er vise à remplacer dans les dispositions du code de procédure pénale relatives au placement en garde à vue et à la rétention des témoins les mots : « des indices faisant présumer » par les mots : « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction.
Quelle est la portée de cette modification ?
Le rapport Dray a montré que l'expression « indices faisant présumer » posait parfois des problèmes d'interprétation aux enquêteurs.
De nombreuses questions étaient posées : qu'est-ce qu'un indice ? Dans quel cas peut-on placer une personne en garde à vue ? Qu'est-ce qu'un suspect ou un témoin ? Voilà autant de difficultés que les policiers voulaient voir éclaircies et qu'ils ressentaient comme des obstacles à leur action.
Il a donc fallu clarifier cette notion. Tel a été l'objectif de la circulaire du 10 janvier, précisant le contenu de la notion d'« indices faisant présumer » et indiquant qu'elle ne faisait que mettre en oeuvre le critère défini à l'article 5.1.c. de la convention européenne des droits de l'homme.
En effet, au sens de la convention européenne des droits de l'homme, la privation de liberté d'une personne n'est possible que s'il y a des « raisons plausibles de soupçonner » qu'elle a commis l'infraction.
Mais, si la circulaire est venue clarifier la notion d'« indices faisant présumer », il est utile que la loi vienne consacrer cette interprétation, afin de mettre définitivement fin à toute difficulté.
Telle est la portée de cette proposition : préciser les textes actuels en consacrant l'interprétation déjà existante et en l'inscrivant dans le code de procédure pénale.
Les articles 63 et 77 du code de procédure pénale relatifs au placement en garde à vue par l'officier de police judiciaire et au contrôle exercé par le procureur de la République ont été revus. La proposition de loi revient à la rédaction antérieure à la loi du 15 juin 2000 quant au délai dans lequel le procureur de la République doit être avisé. Elle répond très exactement aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision d'août 1993.
La définition du droit au silence a été précisée ; pour ce faire, on s'est rapproché de la rédaction de l'article 116 du code de procédure pénale relatif à l'interrogatoire de première comparution devant le juge d'instruction, dont l'application ne semble présenter aucune difficulté pour les magistrats.
L'objectif, très voisin de celui qu'exprimait le sénateur Haenel dans sa proposition de loi, est de faire connaître à la personne placée en garde à vue son droit au silence par une expression qui ne risque pas d'être comprise comme une incitation à se taire.
Afin de dissiper les craintes et les doutes des enquêteurs quant au délai dont ils disposent pour mettre en oeuvre le droit des personnes gardées à vue d'être examinées par un médecin et de faire prévenir leur famille, la proposition de loi précise que ce délai est de trois heures. En cela, elle reprend les limites résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation.
La proposition de loi prend en compte la réitération des délits punis d'au moins deux ans d'emprisonnement pour permettre le placement en détention des auteurs de ces infractions qui auraient réitéré dans un délai de six mois.
Elle prévoit que peuvent être placées en détention provisoire les personnes mises en examen pour un délit puni d'une peine d'au moins deux ans d'emprisonnement lorsqu'elles ont fait l'objet, dans les six mois précédents, d'une mesure de classement sous condition, de médiation ou de composition pénale, ou encore si elles sont pénalement poursuivies pour des délits punis d'au moins deux ans d'emprisonnement.
Bien évidemment, les poursuites qui ont entraîné un non-lieu, une relaxe ou un acquittement ne peuvent être prises en compte pour un placement en détention provisoire.
La proposition de loi, conformément à une suggestion de Christine Lazerges, modifie l'article 145-5 relatif aux enquêtes sociales devant être ordonnées lorsque le juge d'instruction envisage le placement en détention du père ou de la mère d'un enfant âgé de moins de dix ans.
La nouvelle mesure concerne désormais les parents de mineurs âgés de seize ans au plus.
En outre, elle centre l'enquête sociale sur les dispositions à prendre pour que l'enfant ne soit pas mis en danger par l'incarcération de son père ou de sa mère.
Enfin, son champ d'application est restreint au placement en détention des parents exerçant leur autorité parentale à titre exclusif.
Cette situation particulière doit être connue au plus tard lors de l'interrogatoire de première comparution. Cette disposition figurait en partie dans la proposition de loi de M. Haenel.
Le parquet se voit donner la possibilité de faire appel des arrêts d'acquittement.
Enfin, les deux derniers articles répondent à une situation mise en évidence par le procès de Francis Dils : le mineur, devenu majeur au jour de l'ouverture des débats devant la cour d'assises ou devant le tribunal pour enfants peut demander que l'audience soit publique.
Cette disposition était nécessaire pour mettre notre droit en conformité avec l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, en excluant les cas dans lesquels la salle peut être interdite au public lorsque l'intérêt des mineurs l'exige.
La proposition de loi qui vous est soumise est un texte modeste, mais elle traduit un objectif plus ambitieux : l'application effective des principes que nous souhaitons introduire dans notre droit.
Pour que les enquêteurs et les magistrats traduisent au quotidien ces principes essentiels dans leurs pratiques professionnelles, ils doivent être guidés par des textes clairs et adaptés à la réalité des faits. C'est cette oeuvre de vérité et d'authenticité que je vous demande d'accomplir aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi sur la présomption d'innocence est une bonne loi. C'est une loi utile et c'était une loi nécessaire.
Pourtant, nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale complétant - le terme ne manque pas de saveur - la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, ainsi que la proposition de notre collègue Hubert Haenel aménageant la loi du 15 juin 2000.
Il n'est pas inintéressant de se demander comment nous en sommes arrivés là.
Je rappelle que, pour l'essentiel, la loi sur la présomption d'innocence est entrée en vigueur voilà un an. Cette loi a permis une adaptation de notre droit aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme. Elle a procédé à des réformes fondamentales telles que celle de la peine en matière criminelle.
Son entrée en vigueur n'a pas provoqué la paralysie des juridictions, malgré les craintes de certains. En revanche, son application soulève quelques difficultés et provoque du découragement chez ceux qui sont chargés de mettre en oeuvre la procédure pénale, notamment les enquêteurs. Ce découragement n'est peut-être que partiellement lié à cette loi, mais nous devons l'entendre.
Quelles sont les causes de ces difficultés d'application ?
D'abord, les moyens pour mettre en oeuvre cette loi demeurent insuffisants.
Oui, les crédits du ministère de la justice ont augmenté ! Non, ils ne sont pas suffisants pour que la loi soit bien appliquée !
A ce propos, j'ai été surpris d'entendre dire que l'insuffisance des moyens était due aux ajouts apportés par le Parlement au projet de loi initial. Je rappelle donc que c'est le Gouvernement qui, seul, a fixé les délais d'entrée en vigueur de la loi.
Quoi qu'il en soit, les moyens ne sont pas à la hauteur du texte.
Par ailleurs, il faut bien admettre que certaines dispositions de la loi soulèvent des difficultés. Ainsi, l'interdiction du placement en garde à vue des témoins est une bonne chose, mais elle implique que soient précisées clairement les conditions dans lesquelles les témoins peuvent néanmoins être entendus.
D'une manière générale, l'équilibre nécessaire entre les droits de la personne et l'efficacité de la procédure a été quelque peu négligé ; nous l'avions d'ailleurs souligné lors de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence.
Parallèlement à l'extension des droits des personnes mises en cause, nous devions renforcer les moyens d'enquête afin de maintenir l'efficacité de notre système. L'équilibre n'a pas été totalement respecté.
Dans ces conditions, un débat s'est développé sur l'opportunité de modifier certaines dispositions de la loi.
Dans un premier temps, le Gouvernement n'a su dire qu'une seule chose : la loi a été votée sans opposition.
Reconnaissons que l'argument est mince et que cette loi méritait d'être mieux défendue.
Si l'opposition s'oppose, elle est « stérile », c'est bien connu ! Si, après avoir amendé, discuté, obtenu des avancées, elle décide de ne pas s'opposer, alors elle n'aurait plus le droit que de se taire ! C'est une conception, convenons-en, un peu réductrice du rôle de l'opposition !
Bref, le Gouvernement a d'abord dit qu'il ne fallait rien faire. Ensuite, il a - pratiquement dans le même temps - commandé deux rapports d'évaluation : l'un, dirigé par Mme Lazerges, a conclu qu'il ne fallait pas modifier la loi, et l'autre, déposé par M. Dray, a démontré qu'il fallait modifier la loi !
Finalement, une proposition de loi a donc été déposée en catastrophe et discutée en urgence. Mais cela devient une habitude : on ne discute plus qu'en urgence !
Curieusement, alors qu'elle avait été adoptée sans modification par la commission des lois de l'Assemblée nationale, en séance publique, des amendements ont été votés sur l'initiative même des auteurs de la proposition !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est une méthode !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !
Il reste qu'une telle façon de travailler n'est peut-être pas, c'est le moins que l'on puisse dire, le meilleur moyen de faire une bonne loi.
A l'inverse, la démarche de notre collègue Hubert Haenel paraît pleine de sagesse. Dès le 28 novembre 2001, il a déposé un texte mesuré, dans lequel il proposait des ajustements ponctuels, ne remettant en cause aucun des principes de la loi sur la présomption d'innocence, mais tendant à atteindre cet équilibre si fragile dont je parlais à l'instant, entre droits individuels et efficacité de la procédure.
Avant de vous présenter la position de la commission des lois, permettez-moi de rappeler brièvement le contenu de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Elle prévoit notamment : une limitation du nombre de visites des locaux de garde à vue par le procureur ; la modification des critères de placement en garde à vue, les indices devenant des raisons plausibles ; un avertissement du parquet « aussi rapidement que possible », et non plus « dès le début » de la garde à vue ; un délai de trois heures donné aux officiers de police judiciaire pour l'avertissement de la famille et l'examen par un médecin ; une modification du droit au silence, pour que la personne soit informée qu'elle peut se taire, répondre aux questions ou faire des déclarations ; la possibilité de placer en détention provisoire un « réitérant » qui encourt deux ans d'emprisonnement pour une infraction contre les biens ; une modification des conditions de l'enquête sociale préalable au placement en détention provisoire du parent d'un jeune enfant ; enfin, la possibilité d'appel du parquet en cas d'acquittement.
Que penser de ce texte ? Je dois avouer, mes chers collègues, que certaines de ses dispositions me laissent perplexe.
Ainsi, la proposition tend à modifier les critères de placement en garde à vue pour remplacer les indices par des raisons plausibles. Qu'est-ce à dire ? Ainsi que vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, vous venez d'adresser aux procureurs une circulaire, aux termes de laquelle, tout compte fait, les indices pouvaient être entendus comme des raisons plausibles.
Dans ces conditions, je m'interroge, et je ne suis probablement pas le seul : si c'est la même chose, pourquoi changer les mots ?
M. Jean-Jacques Hyest. Exactement !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Et si ce n'est pas la même chose, quelle est exactement la différence ?
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais d'autres dispositions de la proposition sont encore plus troublantes.
Désormais, le procureur serait averti d'une garde à vue « aussi rapidement que possible », et non plus « dès le début ».
M. Hubert Haenel. C'est inadmissible !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais que signifie « aussi rapidement que possible » par rapport à « dès le début » ?
M. Jean-Jacques Hyest. C'est la même chose !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Pas forcément !
En outre, est-il normal que l'on appelle l'avocat « dès le début » et que le procureur soit prévenu « aussi rapidement que possible » ?
M. Hubert Haenel. C'est inadmissible !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. C'est une question - je le dis plaisamment parce qu'il faut garder une certaine sérénité, une certaine distance - qui va beaucoup plus loin qu'il n'y paraît...
Je rappelle, en effet, que l'autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles et que le procureur dirige l'activité des officiers de police judiciaire.
M. Hubert Haenel. Eh oui !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Je dois avouer que, dans mon esprit, en cas de garde à vue, l'avertissement d'un magistrat doit être la priorité des priorités.
M. Hubert Haenel. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Il arrive, c'est vrai, que des fax arrivent dans des bureaux vides. Réfléchissons alors aux moyens de mieux organiser les parquets, mais ne prenons pas une disposition dont nous ne savons pas ce qu'elle signifie !
Une autre mesure peut soulever des difficultés.
La proposition de loi tend à permettre le placement en détention provisoire des « réitérants » de petits délits contre les biens punis de deux ans d'emprisonnement.
Je rappelle que, pour les atteintes aux biens, le seuil de la détention provisoire est de cinq ans de peine encourue et de trois ans si la personne a déjà été condamnée à un an d'emprisonnement.
Le système qui nous est proposé revient donc à être plus sévère avec une personne déjà poursuivie mais pas condamnée qu'avec une personne qui a été déjà condamnée ! Le principe de proportionnalité ne saurait en être satisfait.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. En revanche, la proposition de loi contient des dispositions utiles et nécessaires, en particulier la possibilité, pour le ministère public, de faire appel d'une décision d'acquittement en assises.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, quelle est la position de votre commission des lois ?
D'abord, je crois devoir rappeler que notre assemblée avait pris une part active à l'élaboration de la loi sur la présomption d'innocence.
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Ce travail, qu'il s'agisse de l'appel en matière criminelle ou de la réforme de la libération conditionnelle, le Gouvernement n'en parlait pas quand la loi était portée aux nues. Maintenant qu'elle est contestée, il s'en souvient !
Je crois que, pour notre part, nous ne devons pas nous renier ; nous n'avons d'ailleurs aucune raison de nous renier !
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le fait que les dispositions qui posent aujourd'hui un problème, notamment en ce qui concerne la garde à vue, ne figuraient pas dans le projet de loi sur la présomption d'innocence déposé par le Gouvernement et qu'elles n'y ont pas été insérées par le Sénat.
Pour autant, je crois que nous devons, encore une fois sans nous renier, envisager des adaptations destinées non à porter atteinte à la loi sur la présomption d'innocence mais, au contraire, à la conforter en faisant en sorte qu'elle ne nuise pas à l'efficacité de notre procédure.
Dans ces conditions, je propose que nous corrigions le texte de l'Assemblée nationale dans ce qu'il peut avoir de contestable et que nous le complétions pour qu'il ne soit pas un texte de pur affichage, qui ne pourrait, n'en doutons pas, que créer des désillusions plus fâcheuses encore que la situation que nous connaissons actuellement.
Pour ce faire, nous disposons de la proposition de loi de notre collègue Hubert Haenel, dont le contenu tranche, il faut le dire, avec le texte de l'Assemblée nationale par son caractère concret, technique, précis.
La commission propose d'abord de lever une ambiguïté fort dommageable : pour le placement en garde à vue, à la notion de raison plausible, nous préférons celle d'indice parce que la jurisprudence en a, nous semble-t-il, parfaitement défini les contours. Quand on dit « indice », on sait exactement de quoi on parle !
La commission propose ensuite de maintenir l'avis au parquet « dès le début » d'une garde à vue. Je ne crois pas que nous puissions transiger sur une question aussi importante et beaucoup plus lourde de conséquences qu'il ne semble : ce n'est pas seulement de la sémantique.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. En ce qui concerne la détention provisoire des réitérants, nous proposons une correction pour éviter que ceux-ci soient traités plus sévèrement que les récidivistes.
S'agissant, maintenant, des compléments que nous pourrions apporter au texte, la commission vous propose : de clarifier le régime d'audition des témoins sans pour autant rétablir la garde à vue de ces témoins ; de prévoir une possibilité - naturellement encadrée et contrôlée - de prolonger la durée des enquêtes de flagrance ; de permettre, sous le contrôle et sur autorisation écrite du juge des libertés, des perquisitions au cours des enquêtes préliminaires ; de prévoir régulièrement une purge des nullités pendant les instructions ; ...
MM. Hubert Haenel et Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. ... de permettre, dans certains cas, une prolongation exceptionnelle de la détention provisoire.
En ce qui concerne les cours d'assises, la commission propose, après mûre réflexion, de réserver l'appel des arrêts d'acquittement au procureur général. Ce choix peut permettre une harmonisation des politiques pénales. Il peut aussi éviter la multiplication des appels, notamment dans les affaires où la probabilité d'un deuxième acquittement est très forte.
Nous proposons également de prévoir un enregistrement audiovisuel facultatif des débats d'assises, qui pourrait être utilisé en appel. Pour les victimes, le fait de répéter une nouvelle fois en appel tout ce qu'elles ont déjà dit peut être particulièrement douloureux, notamment en matière d'infractions sexuelles.
L'enregistrement ne remplacera pas la comparution, l'oralité des débats étant un principe général de notre droit, mais il peut permettre d'alléger la déposition dans certaines circonstances. Nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de cet élément : nous devons entendre la douleur des victimes.
En définitive, je crois, mes chers collègues que, sans nous renier, nous pouvons parvenir à un texte concret et efficace, qui ne soit pas une loi d'affichage dans le contexte que nous connaissons. Nous pouvons améliorer fortement le texte de l'Assemblée nationale, afin de conforter la protection de la présomption d'innocence et de veiller - c'est fondamental - à l'équilibre entre les droits des personnes et l'efficacité de la procédure.
Les propositions que nous vous faisons sont en pleine conformité avec les positions que le Sénat a défendues pendant l'élaboration de la loi sur la présomption d'innoncence. Puisse ce message de cohérence et d'équilibre être entendu dans la suite de la procédure législative ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis tenté d'employer la fameuse formule : « ni cet excès d'honneur, ni cette indignité » en ce qui concerne tant la loi sur la présomption d'innocence elle-même que les ajustements qui nous sont proposés par la commission des lois.
Je crois en effet qu'une loi de cette nature, qui bouleverse à ce point la procédure et la culture des différents acteurs de l'enquête de police judiciaire, du parquet et de l'instruction, ainsi que du contrôle de ceux-ci, devait nécessairement faire l'objet d'ajustements au moins techniques pour tirer les conséquences des premières difficultés d'application rencontrées. Tel était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi que j'ai déposée le 28 novembre 2001.
Du reste, le temps d'une réflexion et d'une concertation en vue de la mise au point d'ajustements aurait, à mon avis, dû être inscrit dans la loi. Il aurait fallu prévoir un délai pour apprécier les éventuels dysfonctionnements. Je suggère d'y réfléchir de manière qu'à l'avenir il puisse être procédé tout à fait normalement, presque automatiquement, en tout cas dans la sérénité, aux nécessaires mises au point qu'implique un dispositif de cette ampleur.
La loi du 15 juin 2000, après dix-huit mois d'application pour certaines dispositions, un an pour d'autres, a maintenant produit ses effets. Nous avons pu en mesurer quelques défauts, qui ne nécessitent certainement pas une remise en cause mais qui appellent tout au plus quelques ajustements. C'est l'objet des propositions que nous soumet notre éminent collègue M. Schosteck, au nom de la commission des lois.
Dois-je rappeler, madame la ministre, que les textes lourds à la fois de sens et de conséquences, qui nécessitent une mobilisation substantielle de moyens, qui bouleversent les habitudes, doivent être précédés - donc en amont de leur discussion au Parlement et même de leur examen par le Conseil d'Etat - d'une véritable étude d'impact, conduite par un organisme indépendant du Gouvernement ? Une telle étude d'impact permettrait de mesurer pleinement, au moment de la discussion du texte, ses conséquences directes sur la législation et la réglementation, ainsi que ses implications en termes de moyens.
Il me semble d'ailleurs qu'au cours des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat la commission des finances et le rapporteur de la commission saisie au fond devraient pouvoir donner un avis sur les moyens d'application, dans les juridictions, des dispositions en discussion.
L'étude d'impact qui serait systématiquement réalisée, après quelques mois d'application, en concertation avec tous ceux qui sont chargés de l'application du texte permettrait, quant à elle, d'apporter en temps utile et en toute sérénité les ajustements nécesaires.
C'est ce qu'a fait M. Schosteck en auditionnant un certain nombre de personnalités, notamment des membres de la haute magistrature de l'ordre judiciaire - le premier président de la Cour de cassation, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, entre autres - ainsi que des policiers et des gendarmes.
En l'espèce, de quoi s'agit-il ?
M. Schosteck a eu raison de le rappeler, il ne s'agit pas d'une remise en cause des principes acquis à l'occasion de la loi du 15 juin 2000, qui sont autant d'avancées dans le domaine de la protection de la liberté individuelle.
Certains avocats sont montés au créneau pour s'opposer à tout « réglage » du texte, comme s'ils étaient les seuls garants protecteurs de la liberté individuelle et des libertés publiques, se situant en quelque sorte au-dessus de l'autorité judiciaire et même du Parlement.
Les avocats sont, certes, des acteurs éminents, essentiels même du procès, du procès pénal en particulier. Mais à qui la Constitution confère-t-elle le soin de veiller au respect de cette liberté ? A l'autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle », selon les termes de son article 66.
L'application qu'il convient de faire de ce principe constitutionnel a été précisée à de nombreuses reprises par le Conseil constitutionnel lui-même. C'est pourquoi l'on ne peut admettre que, dans le cadre du contrôle de la garde à vue, le parquet ne soit informé qu'après l'avocat, ce qui paraît signifier que le rôle du parquet serait « inférieur » à celui de la défense.
Venons-en maintenant au fond du débat.
Après avoir été imprudemment qualifiée par certains de « plus grande réforme de la procédure pénale depuis 1958 », la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes - on oublie souvent la seconde partie de cet intitulé - est aujourd'hui critiquée de toutes parts.
Elle l'a été, surtout, à la fin de l'année dernière, et il est vrai qu'elle l'est un peu moins aujourd'hui que les esprits se sont apaisés. Cela ne signifie pas, cependant, qu'il faille ne rien faire. Une réforme était nécessaire, notamment pour mettre notre droit en conformité avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Le texte adopté en 2000 comporte nombre d'évolutions utiles qui avaient été trop longtemps différées, ce qui s'explique peut-être par le fait que le Parlement, à l'occasion de la discussion, a fait admettre un certain nombre d'avancées à force d'amendements.
Le Sénat, pour sa part - vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le rapporteur - aura été notamment à l'origine de l'appel en matière criminelle et de la réforme de la libération conditionnelle, qui ne figuraient pas dans le projet de loi initial.
Utile et nécessaire, la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes est pourtant remise en cause un an après l'entrée en vigueur de ses principales dispositions. En fait, l'équilibre entre liberté et sécurité, entre respect des droits de la défense et efficacité de la répression, a été quelque peu rompu - il faut admettre ce léger déséquilibre - l'idéologie ayant parfois pris le pas sur la volonté de moderniser nos procédures.
Après un an d'application, il n'était guère besoin d'études approfondies, d'évaluations au long cours, pour constater que quelques dispositions de la loi nuisent à l'efficacité de la procédure pénale et en découragent les acteurs, singulièrement les enquêteurs.
Au cours de la discussion, nous avions mis en garde le Gouvernement contre les difficultés que pouvaient soulever certaines mesures introduites dans le texte par l'Assemblée nationale, mais nous n'avons pas été entendus.
Ainsi, en matière de durée de la détention provisoire, notre assemblée a préconisé, en première comme en deuxième lecture, que les délais butoirs introduits par l'Assemblée nationale soient atténués par une possibilité de prolongation exceptionnelle en cas de risque pour la sécurité des personnes et des biens.
L'Assemblée nationale a écarté ce dispositif, que notre ancien collègue M. Charles Jolibois, avocat de son état et rapporteur du projet de loi, qualifiait lui-même de « soupape ».
De même, lors de l'adoption du projet de loi, M. Jolibois avait souligné combien les avancées en matière de droits de la défense ne pouvaient avoir de sens que si elles s'accompagnaient d'un renforcement parallèle des moyens d'enquête : « S'il est important, disait-il, d'améliorer les droits de la défense au stade de l'enquête, il conviendrait également de se préoccuper des moyens de la police judiciaire. Il semble qu'il y ait encore beaucoup à faire pour faciliter le travail de la police. » Une fois encore, le Sénat n'a pas été entendu.
Malgré ses réserves - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur - le Sénat a voté cette réforme.
Nous ne renions pas notre vote, loin de là : notre assemblée a en effet permis - de haute lutte - des avancées importantes dont le principe n'est remis en cause par personne, qu'il s'agisse de l'appel en matière criminelle ou de la réforme de la libération conditionnelle. Il faut toutefois se rappeler que la garde des sceaux avait été opposée à l'époque à la proposition sénatoriale d'instaurer un recours en matière criminelle, avant de s'y rallier lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale.
Des corrections doivent aujourd'hui être apportées à cette loi, afin que le renforcement nécessaire des droits de la défense ne soit pas source d'une nouvelle injustice que subiraient les victimes et la société.
C'est pourquoi j'ai souhaité contribuer à ce débat en déposant une proposition de loi. Elle n'est pas révolutionnaire, madame la ministre, convenez-en, mais elle a pour objet de tenter de retrouver cet équilibre si indispensable au bon fonctionnement de notre procédure pénale.
Trois des mesures que j'ai proposées ont été reprises par l'Assemblée nationale dans le texte qu'elle a adopté, et je ne peux que m'en réjouir : la limitation du nombre de visites des procureurs dans les locaux de garde à vue, l'encadrement de l'enquête sociale préalable au placement en détention provisoire des parents de jeunes enfants et enfin, la possibilité pour le parquet de faire appel des arrêts d'acquittement.
Sur ce dernier point, je me souviens avoir été l'un des rares, à l'époque, à ne pas comprendre pourquoi la défense et le ministère public ne disposaient pas des mêmes armes. Il m'avait été répondu que ce n'était pas tout à fait un appel, que c'était une dernière chance. Or, une dernière chance, cela n'existe pas encore en procédure pénale ! Nous avons donc eu tort d'admettre cette disposition, reconnaissons-le, et nous avons vu les difficultés qui pouvaient se poser - souvenez-vous : nous avons tous des exemples à l'esprit - lorsque tel accusé est acquitté et que tel autre est condamné. Admettons-le donc simplement, sereinement, avec toute l'humilité dont il convient de faire preuve quand on légifère.
La proposition de la commission des lois consistant à réserver les appels d'arrêts d'acquittement aux procureurs généraux me paraît particulièrement pertinente et sage. Un dialogue s'établira entre le procureur et le procureur général, et je crois que les décisions seront ainsi prises plus sereinement.
Par ailleurs, je suis persuadé depuis longtemps - mais c'est un autre débat - qu'il serait utile d'affirmer davantage le rôle des procureurs généraux dans la conduite de l'action publique. La proposition de notre collègue Jean-Pierre Schosteck ne peut qu'y contribuer.
Dans ma proposition de loi, je suggérais de prendre un certain nombre d'autres mesures.
J'avais ainsi pensé qu'il convenait de préciser les termes de la notification du droit au silence. Le droit au silence existe, mais reconnaissons que la notification de ce droit par l'officier de police judiciaire au début de la garde à vue n'est pas le plus sûr moyen de faire émerger la vérité.
La Grande-Bretagne elle-même a modifié il y a peu sa législation sur ce point : les enquêteurs britanniques précisent désormais aux personnes gardées à vue qu'elles peuvent garder le silence, mais que cette attitude peut nuire à leur défense si elles font état, à l'audience, de faits qu'elles auraient tus au cours de la garde à vue.
Il me semble que, quand on essaie de copier un système étranger, il faut regarder l'ensemble du système et pas seulement certains de ses aspects.
M. Michel Caldaguès. Très bien !
M. Hubert Haenel. J'avais donc pensé qu'il serait utile qu'une personne placée en garde à vue sache que son silence pouvait être contraire à ses intérêts. Je me rallie volontiers sur ce point à la position prise par la commission des lois, qui améliore le texte actuel.
En ce qui concerne les témoins, la loi sur la présomption d'innocence a supprimé toute possibilité de les placer en garde à vue. C'est une bonne chose, mais il convient de préciser plus clairement les conditions dans lesquelles les témoins peuvent être entendus.
J'avais proposé de prévoir une possibilité de les retenir - et rétention ne signifie pas garde à vue, dans mon esprit - pour quatre heures, conformément au système prévu en matière de vérifications d'identité.
La commission a choisi une autre solution et a adopté une mesure plus limitée, consistant à permettre aux officiers de police judiciaire de contraindre eux-mêmes un témoin à comparaître en cas de flagrance. C'est un système simple qui évitera certaines difficultés rencontrées actuellement par les officiers de police judiciaire, et, pour ma part, j'y souscris.
Je remercie la commission d'avoir repris deux des mesures relatives aux enquêtes que j'ai cru utile de présenter : d'abord, la possibilité de prolonger la durée des enquêtes de flagrance ; ensuite, la possibilité d'effectuer des perquisitions en enquête préliminaire, sous le contrôle du juge des libertés, bien entendu.
Ces mesures peuvent faciliter la tâche des acteurs de la procédure pénale dans le sens de cet équilibre dont j'ai déjà parlé.
En ce qui concerne les durées de détention provisoire, la commission a accepté la proposition de prolongation exceptionnelle que j'ai formulée, mais elle pouvait difficilement faire autrement puisque j'avais moi-même pris cette position au cours des travaux de la commission.
J'ai aussi proposé de permettre une limitation des comparutions personnelles des détenus qui formulent sans cesse des demandes de mise en liberté.
Tous ceux qui président une chambre de l'instruction aujourd'hui le savent bien : on abuse de ces demandes de mise en liberté, notamment pendant les vacances judiciaires, quand on sait que le greffier n'est pas le greffier de la chambre et que le président et les assesseurs de remplacement ne sont pas habitués à ces procédures chausse-trape, ce qui explique parfois ce scandale que constitue la mise en liberté de certains prévenus.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Hubert Haenel. Si les détenus savent qu'ils ne feront plus cette balade qui va les amener de leur lieu de détention au siège de la cour d'appel, peut-être formuleront-ils moins de demandes de mise en liberté ! Et je ne parle pas ici du problème des escortes de gendarmerie et de police.
M. Jean-Jacques Hyest. Ah oui !
M. Hubert Haenel. En effet, les gendarmes ou les policiers assurent ces escortes, qui n'ont parfois guère de sens, et il faut essayer de les soulager un peu de ces contraintes. Voilà un moyen de le faire.
Enfin, j'avais proposé de prévoir une purge régulière des nullités pendant les instructions, afin d'éviter que des années de procédure ne s'effondrent au moment du renvoi devant la juridiction de jugement. Je remercie la commission d'avoir amélioré le système que je proposais.
Vous le voyez, madame la ministre, mes chers collègues, les propositions que j'ai formulées et celles que vous propose la commission des lois, auxquelles je souscris pleinement, sont des améliorations ponctuelles et techniques qui n'ont pas du tout pour objet de remettre en cause les principes et l'équilibre de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
En revanche, certaines dispositions adoptées par l'Assemblée nationale posent des problèmes de principe.
Si le texte prévoit que le procureur est non pas la dernière roue de la charrette mais la deuxième ou la troisième, après l'avocat, le Conseil constitutionnel risque de censurer cette disposition ! L'avocat, contrairement au procureur, ne contrôle pas la garde à vue ! Mais, sur ce point, M. Badinter pourra peut-être nous donner davantage d'explications tout à l'heure. J'espère en tout cas que nous serons entendus et que nous remettrons le procureur à sa juste place.
En conclusion, j'approuve, naturellement, les propositions de la commission, dont je remercie les membres - particulièrement son président et son rapporteur - et j'espère, madame la ministre, que certains de nos amendements trouveront grâce à vos yeux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'encre du Journal officiel à peine séchée, et alors qu'elle n'était même pas entrée en application, certains, par conservatisme inavoué ou par opportunisme, dénonçaient le caractère prétendument laxiste de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Sur une affaire précise, d'ailleurs, ce n'était pas la loi qui était en cause : on lui imputait ce qui ne relevait pas d'elle.
Nous avons pu voir, à partir de quelques exemples regrettables révélant de graves dysfonctionnements de certains juridictions et des faits souvent inadmissibles, ceux-là même qui parfois critiquaient le caractère archaïque de la procédure pénale antérieure réclamer la révision de la loi, voire son abrogation pure et simple. Je n'ose pas dire que certains de ceux qui l'avaient votée se joignaient à ces réclamations !
Si l'on ajoute à ce contexte un profond malaise des forces de police et de gendarmerie face à la montée de la délinquance et de la violence dont elles sont également, hélas ! les victimes - nous avons vu combien de policiers et de gendarmes avaient été victimes de la grande délinquance - les conditions étaient réunies pour que le chaudron politico-médiatique bouillonne, et que le pouvoir s'affole !
Dans l'urgence, qui est souvent mauvaise conseillère, le Gouvernement confiait à un, puis à deux parlementaires le soin de faire des propositions pour calmer les esprits, sans d'ailleurs que soient analysées avec précision les causes des ratés de l'application de la loi.
Bientôt, plus personne, sur les bancs de nos assemblées, n'aurait osé dire qu'il avait voté la loi, même si, sur certains points particuliers, on l'a noté, les compromis de la commission mixte paritaire ne sont pas toujours les meilleurs.
Certaines mises en garde auraient dû être entendues. Devant l'ampleur de la réforme de la procédure pénale résultant de la loi du 15 juin 2000, nous avions, entre autres, émis des doutes sérieux sur son application correcte en raison du manque manifeste de moyens qui l'accompagnait, mais en vain. Cela reste vrai, madame la garde des sceaux, malgré les rattrapages des deux derniers budgets.
Avant d'en venir aux propositions équilibrées que nous soumet la commission des lois sur la base du texte voté par l'Assemblée nationale et de la proposition de loi de notre excellent collègue Hubert Haenel, dont l'antériorité est incontestable, il est indispensable de rappeler les principes de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, loi que le Sénat, dans sa très grande majorité, avait soutenue avec conviction et sérieux, me semble-t-il en réalité, j'en suis sûr, car j'ai relu les débats de notre assemblée sur ce sujet.
L'honneur du Parlement est certainement non pas de se désavouer en permanence - comment le croirait-on encore ? - mais d'accepter, lorsqu'il s'agit de textes complexes, d'en analyser l'application pratique pour apporter les améliorations nécessaires à une meilleure efficacité, sans les dénaturer.
Qui n'a, dans le passé, dénoncé les milliers de mises en détention provisoire, parfois fort longues et marquées par l'absence de véritables mesures d'instruction, qui ont été suivies d'un non-lieu ou d'un acquittement ? Combien de vies, de réputations brisées sur la base de dénonciations parfois anonymes ?
Après plusieurs tentatives infructueuses, allant d'une meilleure motivation des ordonnances des juges d'instruction jusqu'à deux ou trois reprises, la séparation des fonctions de juge d'instruction et de juge de la mise en détention, il était temps de sortir enfin de l'ornière qui ramenait à une présomption de culpabilité, quelles que soient les modifications sémantiques apportées aux textes sur ce sujet.
Davantage de contradictoire, des délais d'instruction plus clairement définis, est-ce vraiment scandaleux et attentatoire à l'efficacité de la justice ? Certes non, d'autant que les infractions faisant l'objet d'une instruction ne représentent que 8 % des procédures devant les juridictions pénales. L'amalgame entre ce qui concerne la délinquance de voie publique, qui est la plus inquiétante par sa progression, et la loi du 15 juin 2000 est, de ce point de vue, peu pertinent, voire, dans certains cas, scandaleux !
Le second thème de nos débats a été l'appel en matière criminelle.
Les possibilités de révision - la solution avait été envisagée à un moment donné, mais elle supposait aussi des moyens nouveaux - n'ont pas été ouvertes suffisamment largement. Le Parlement, sous la législature précédente, a certes inscrit à son ordre du jour une telle réforme. Il aurait suffit de reporter son application de quelques mois pour permettre sa mise en oeuvre dans les juridictions. Il n'est donc pas utile d'insister sur le caractère déterminant de l'apport du Sénat sur ces questions.
Parmi les très nombreux points abordés par la loi du 15 juin 2000 figurait le difficile problème de la garde à vue.
Les débats s'étaient focalisés, à l'époque, sur la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, processus annonciateur, pour certains, de catastrophes, étant précisé que, lorsque cette présence intervenait à la vingtième heure, les mêmes disaient la même chose !
Sans doute avons-nous ajouté et surajouté des éléments de procédure tatillonne qui ont été ressentis par beaucoup d'officiers de police judiciaire comme une suspicion à leur encontre, ces éléments nouveaux risquant, en outre, de nuire à l'efficacité du dispositif.
Mais, outre les principes constitutionnels qui justifient que l'ensemble du dispositif ne soit pas remis en cause, ce que j'ai évoqué pour la détention provisoire pourrait s'appliquer mutatis mutandis à cette phase de la procédure.
C'est pourquoi il convient de réaffirmer, comme notre rapporteur l'a fait très justement, que la réforme de la procédure pénale était indispensable. Le Sénat a apporté une contribution majeure à ce travail, notamment en ce qui concerne les conditions de mise en oeuvre de la réforme de la procédure criminelle ou de la libération conditionnelle, qui avait été préparée, je le rappelle, par la commission Farge. A l'époque, on nous disait : « On verra demain ». Maintenant, on nous dit : « Faisons-le aujourd'hui ».
Il convient également de remédier aux difficultés d'application de la réforme, tout en rappelant qu'il s'agit avant tout d'une question de moyens.
Dans la discussion générale, et s'agissant de points certes importants mais sur lesquels nous aurons à revenir lors de l'examen des articles, il ne saurait être question de reprendre l'ensemble des propositions de la commission des lois. M. le rapporteur et M. Haenel l'ont fait excellemment.
Sur les droits des personnes placées en garde à vue, rien ne doit être modifié en ce qui concerne l'information du parquet, qui a l'impérieuse nécessité de s'organiser à cet effet - là encore, c'est une question d'organisation, donc de moyens - mais il n'est pas question de déroger à ce principe qui a été approuvé par l'ensemble du Parlement.
Les autres améliorations prévues, qui ne remettent pas en cause les principes, notamment en ce qui concerne les diligences prévues par les articles 63-2 et 63-3 du code de procédure pénale, sont essentiellement d'ordre pratique.
Quant à la notification du droit de se taire, fort paradoxale, elle était mal comprise par les enquêteurs. Alors qu'on vient de vous prendre sur le fait et de vous arrêter, vous auriez le droit de ne rien dire !
La formule retenue par la commission des lois est plus équilibrée, tout comme les règles prévues pour les témoins en cas de crimes ou de délits flagrants. Il en est de même pour les dispositions prévues lors des enquêtes pour les perquisitions et les flagrances.
Auparavant, les douaniers, qui avaient à peu près tous les droits, étaient chargés de ces missions, le code des douanes étant beaucoup plus libéral que le code de procédure pénale. Ils étaient également chargés d'ouvrir les coffres de voitures. Mais aujourd'hui, en application des nouvelles règles relatives à la lutte contre les actes terroristes, les policiers peuvent, eux aussi, ouvrir les coffres des voitures.
S'agissant de la détention provisoire, la cohérence conduit à permettre le placement en détention provisoire des « réitérants » lorsqu'ils encourent trois ans d'emprisonnement. Ce traitement doit demeurer en rapport avec celui qui s'applique aux récidivistes. On ne peut pas faire deux poids deux mesures.
Je comprends aussi la nécessité de prévoir, à titre exceptionnel et en l'entourant de garanties sérieuses, la prolongation de la détention provisoire. Je souhaite cependant que la chambre de l'instruction ne soit pas une chambre d'enregistrement des demandes, comme cela a été trop souvent le cas dans le passé pour les chambres d'accusation.
A cet égard, puisque le dispositif actuel est étrange, en ce qu'il met sur le même plan l'autorité parentale et les nécessités de l'instruction - nous l'avons dit à plusieurs reprises - j'approuve les propositions de M. le rapporteur concernant les délinquants titulaires de l'autorité parentale.
Toute personne ayant commis un acte grave est un délinquant, voire un criminel. Il ne s'agit aucunement de ne pas mettre un délinquant en détention provisoire. Nous l'avions déjà dit, mais sans être entendus.
Une heureuse disposition concerne la purge des nullités. Elle ne peut que renforcer l'efficacité de la procédure pénale. (M. Badinter sourit.) Cela obligera chaque partie, la défense et la magistrature, à faire son travail, à vérifier en permanence que les dossiers sont bien en l'état.
Enfin, le dernier point porte sur l'appel du parquet en cas d'acquittement. Ce point a été longuement discuté lors de nos précédents débats. Certains de nos collègues y ont d'ailleurs largement participé.
A la lumière de quelques décisions récentes, cet appel paraît justifié, sans doute au niveau du procureur général, comme le propose la commission. Je vois déjà M. Badinter se réjouir d'une discussion sur ce sujet.
Telles sont les observations qui justifient le soutien de mon groupe à ce qui constitue, hélas ! une énième réforme - je me demande si l'on en est pas à 106 ou à 107 - de la procédure pénale depuis deux décennies. Quand cesserons-nous de modifier les textes en permanence, de créer de nouvelles inculpations, de nouvelles infractions, etc ? Il serait temps de faire une pause.
Sans renier aucun des principes de protection de la présomption d'innocence, les modifications proposées permettent de lui donner une meilleure efficacité. Souhaitons qu'elles contribuent à donner aux acteurs de la justice une meilleure connaissance de la difficulté mais aussi de la noblesse de leur mission. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes invités à discuter d'un texte que nous avons déjà longuement travaillé. M. Hyest n'avait donc pas tort de comparer le travail du législateur en matière de procédure pénale à celui de Pénélope.
Sauf erreur de ma part, nous devons en être à la quatorzième ou à la quinzième réforme de l'instruction depuis vingt ans ! C'est dire à quel point la tâche de ceux qui ont à l'appliquer n'est pas facile. Je comprends donc bien des irritations.
S'agissant plus précisément du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, je dirai d'emblée que je me demande si cette ultime - je l'espère - péripétie à propos de cette grande loi est indispensable. Je n'en suis pas absolument convaincu.
Je fonderai mon argumentation sur une considération générale : il est évident qu'il n'y a pas de grande loi de procédure qui n'appelle, après quelques années, sinon une remise en chantier, du moins un retour pour vérification afin de prendre en compte des effets que l'on n'avait pas nécessairement pu prévoir. C'est ainsi pour tous les nouveaux modèles, pour tous les prototypes. Il n'y a aucune raison qu'il en soit différemment en matière législative.
Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de le constater pour d'autres textes. Je me souviens ainsi qu'à l'époque où je l'enseignais le droit des sociétés avait connu, de 1966 à 1980, douze réformes, sauf erreur de ma part, ce qui était aussi beaucoup.
Quoi qu'il en soit, s'agissant de cette matière importante, je crois que l'on aurait pu attendre encore avant de tenter de remédier par un nouveau texte à telle ou telle difficulté de mise en oeuvre pratique, voire à tel ou tel effet imprévisible, sinon pervers.
Une période d'adaptation est nécessaire. Celle que nous avons connue est-elle suffisante ? Il n'y a pas de texte nouveau sans difficultés d'adaptation ! Il n'y a pas de texte nouveau sans une certaine irritation du corps judiciaire, qui réclame toujours des réformes, mais qui a naturellement du mal à s'y habituer.
A propos de la présomption d'innocence, je dois dire avec regret que l'on a assisté à une surprenante et tout à fait excessive levée de boucliers, d'autant que, comme vous, monsieur le rapporteur, et comme, je pense, la totalité d'entre nous, je considère qu'il s'agit d'une loi nécessaire et, pour l'essentiel, d'une bonne loi.
On a parfois mis en cause la loi à l'occasion de décisions, certes fâcheuses et quelquefois aberrantes, mais qui avaient été rendues sous le régime de la loi antérieure et ne pouvaient donc, de ce fait, être la conséquence de cette nouvelle loi. On a déclaré que certaines formalités - il est vrai assez complexes - devaient disparaître alors qu'elles sont dictées, en réalité, par le nécessaire respect de la garantie des libertés individuelles et que la pratique permet d'alléger le fardeau de la police judiciaire.
On a fait de la loi une sorte de bouc émissaire, lui reprochant de ne pas accorder suffisamment de moyens et d'organiser les services de police et de justice ainsi que leurs relations d'une manière peu rationnelle. Mais pour répondre à ces critiques, il faudrait plutôt un ingénieur en recherche opérationnelle que des dispositions législatives !
Bref, nous avons entendu tumultes et imprécations bien au-delà du nécessaire. De ce fait, M. le Premier ministre a eu parfaitement raison de confier à un parlementaire très concerné par ces problèmes, M. Dray, un rapport sur la mise en oeuvre de la loi.
Après avoir écouté les intéressés, il a réfléchi aux améliorations pratiques qui pouvaient être apportées au texte. Il s'est acquitté de cette tâche avec talent. Il a remis le rapport que nous connaissons, dans lequel il suggère des modifications, pour la plupart de nature pratique ou réglementaire, et que l'on ne peut qu'approuver.
Devait-on aller au-delà et procéder à une modification législative immédiate ? Je vous dis très simplement, madame le garde des sceaux, ma réponse est non. Après avoir lu attentivement votre circulaire du mois de janvier 2002 envoyée au parquet, circulaire peu connue et peu médiatisée - témoignage et hommage vous en soit rendu en ce temps - la modification n'était pas indispensable. Mais la machine législative était déjà en route !
M. Dray considérait sans doute que la simple amélioration des procédés, des formalités, l'amélioration des techniques et le renforcement nécessaire des moyens matériels auraient dû suffire. Mais nous nous trouvons maintenant devant un texte et nous nous devons de le rendre le plus utile possible.
Dans quel esprit le groupe socialiste aborde-t-il cette discussion ? Les choses sont simples et claires, pour nous. La loi du 15 juin 2000, présentée quelquefois avec un excès d'honneur, est une bonne loi, même si elle ne constitue pas une réforme fondamentale de la procédure pénale française.
Elle comporte des adjonctions, des innovations et des améliorations qui sont très substantielles et qui étaient attendues depuis longtemps.
Celui qui vous parle en cet instant, madame la garde des sceaux, demandait déjà, il y a dix-huit ans maintenant, que les libérations conditionnelles soient confiées à un tribunal de l'exécution des peines et déposait un projet de loi qui a véritablement beaucoup attendu.
Comment ne pas se réjouir, de la même façon, que nous ayons enfin le second degré de juridiction de cour d'assises ? Ce problème a préoccupé des générations successives de législateurs et de gardes des sceaux, avant d'aboutir - heureusement ! - à une décision du Parlement qui constitue un progrès important et qui résulte principalement, je tiens à le rappeler, d'un apport de notre excellent collègue M. Jolibois, qui, hélas ! n'est plus parmi nous aujourd'hui.
S'agissant des garanties des justiciables, nous avons apporté des clarifications, des précisions, et nous avons procédé à des harmonisations nécessaires avec le droit européen, dont je ne vais pas reprendre le détail.
Permettez-moi de rappeler - ce n'est pas indifférent à ce stade de notre discussion - que nous avons été cinq ou six, au sein de la commission des lois, à rechercher pendant des jours - M. Ulrich s'en souvient très bien - un équilibre, qui était nécessaire, entre la condition de témoin lorsqu'il n'existe aucun indice ni charge, la situation de gardé à vue, et, partant, la définition du témoin assisté, pour finir par le mis en examen.
Sur tous ces points, les travaux parlementaires ont été marqués d'une volonté de progrès et d'un souci de répondre à l'objectif de la loi véritablement remarquables, je dois le souligner, et ont abouti à des résultats qui me paraissent précieux.
Puisque j'évoque ce passé récent, je tiens à rendre hommage à votre prédécesseur, Mme Guigou - je le lui avais dit. Même si le texte de la loi ne reflète pas la totalité du projet initial à la suite d'importantes adjonctions parlementaires - mais il est important et satisfaisant qu'il en ait été ainsi - c'est tout de même grâce à Mme Guigou, à son caractère, à son énergie, à sa compétence et à sa force de conviction que nous sommes arrivés heureusement au port, et je trouve légitime que la loi porte son nom, même si toutes les dispositions n'émanent pas de l'autorité ministérielle.
Face à ce texte, quelle sera aujourd'hui la position que nous adopterons ? Je ne vais pas à l'avance énoncer ce qu'elle sera, mais je tiens à définir l'esprit dans lequel nous interviendrons : un esprit constructif et ouvert.
Nous partons du principe que cette loi n'est pas destinée à accroître l'efficacité de la police judiciaire. Cette loi, dont l'inspiration initiale revient - il faut le rappeler - au Président de la République, qui a été reprise par le Gouvernement et mise en oeuvre par la garde des sceaux de l'époque, tend à renforcer les garanties de la présomption d'innocence et des droits des victimes.
Profiter du retour en cale sèche, si j'ose dire, pour apporter des adjonctions qui relèvent souvent de vues intéressantes et peut-être nécessaires, mais qui ne s'inscrivent pas directement, à ce stade, dans le texte que nous connaissons, n'est pas, me semble-t-il du bon travail législatif. Nous serons par conséquent très prudents et nous ne manquerons de dire ce qui nous paraît aller dans le bon sens, apporter une précision utile, voire remédier à un défaut éventuel, ou, au contraire, ce qui sort du cadre de la loi et donc ce vers quoi nous ne pouvons pas aller.
Je terminerai en vous disant, avec le sentiment de reprendre la conclusion qui avait été la mienne au terme des travaux de la loi du 15 juin 2000, que nous sommes parvenus, j'en suis convaincu, au moment ultime - nous avons connu de tels moments dans l'histoire de notre droit - où un ancien système va disparaître et où un nouveau est en train de naître. C'est d'ailleurs ce qui explique les difficultés que nous connaissons, y compris pour certaines formulations que je critiquerai comme notre excellent rapporteur, concernant l'apparition de certains termes qui relèvent plus d'une conception anglo-saxonne que de notre procédure pénale.
En vérité, nous connaissons un mouvement irrésistible et qui n'existait pas antérieurement : la fin de la souveraineté juridique nationale, dans le domaine de la procédure pénale tout particulièrement, lieu d'exercice privilégié historiquement de la souveraineté. C'est ainsi ! Pour moi, le jour marqué d'une pierre blanche, le plus heureux de mon ministère avec le 8 octobre 1981, c'est celui où l'on a levé les réserves à Strasbourg concernant le recours devant la Cour européenne des droits de l'homme des justiciables français. A partir de ce moment-là, j'ai su - mais je n'étais pas le seul - que ce levier changerait tout et beaucoup plus aisément que la seule volonté politique.
Ces principes qui sont inscrits dans la convention européenne des droits de l'homme, qui sont développés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et qui sont, pour une grande part, comme vous l'avez à juste titre rappelé, à l'origine des dispositions que nous avons adoptées, sont maintenant communs à l'ensemble des pays européens, et leur respect est contrôlé par une juridiction qui s'assure précisément qu'ils sont suivis par tous.
Ce mouvement d'européanisation - il ne s'agit pas ici de la mondialisation, pas encore ! -, est irrésistible pour une raison simple : nous ne pouvons pas nous permettre d'être - je le dis en riant - des « multirécidivistes » de condamnations par Strasbourg. Nous y remédions et nous ne sommes pas les seuls ; il suffit de voir ce qui s'est passé en Grande-Bretagne. Dieu sait qu'il n'y a pas plus attachés à leur justice pénale traditionnelle que nos amis britanniques, convaincus qu'ils ont, depuis des siècles, le meilleur système du monde ! Il n'empêche qu'ils ont introduit dans leur droit interne la convention européenne des droits de l'homme pour éviter d'avoir à subir les condamnations répétées de la Cour européenne des droits de l'homme.
Lorsque vous examinez ce mouvement, vous constatez que toute l'Europe souhaite consacrer dans sa législation nationale des principes qui nous sont communs. A partir de ces principes communs, garantis par un contrôle juridictionnel très précis, s'est mise inévitablement en place une harmonisation, prélude à une unification ô combien nécessaire et souhaitable.
Vous avez beaucoup oeuvré ces temps-ci, madame le garde des sceaux, non sans difficultés, face à quelques réticences transalpines, en faveur d'un mandat d'arrêt européen. Là aussi se profilent les lignes de l'avenir.
En définitive, je souhaite, pour ma part, que nous arrêtions là les réformes, les ajustements, les révisions, les avancées suivies de retour de la procédure pénale, et particulièrement s'agissant de la procédure préparatoire à l'audience elle-même. Il n'est que temps que nous procédions enfin à une réflexion commune nécessaire pour dégager, à partir des principes définis qui unifient l'Europe, ce qui devra être la procédure pénale de demain, et je souhaite que nous soyons les premiers à mettre au point le modèle européen. Ce n'est pas du tout hors de notre portée. Nous savons très bien comment combiner ce que l'on appelle, par des formules réductrices, l'accusatoire et l'inquisitoire, pour dégager ce modèle qui prendra le meilleur de l'un et de l'autre. D'ailleurs, on va déjà dans ce sens.
C'est vrai, on le sait, au niveau des tribunaux pénaux internationaux, nous aurons l'occasion d'en reparler. C'est encore plus remarquable s'agissant de la Cour pénale internationale, puisque le règlement a cette fois-ci été élaboré par des juristes venant de nombreux pays, et ils sont tombés d'accord sur un modèle qui, en effet, recueille beaucoup de l'accusatoire, mais aussi le meilleur de notre procédure traditionnelle, avec le contrôle au niveau de l'instruction que l'on connaît.
C'est donc dans cette direction qu'il faut aller. Aujourd'hui, j'ose espérer que c'est la dernière scène avant que le rideau se lève sur le prochain acte. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je dois exprimer aujourd'hui la profonde déception que j'éprouve à me trouver dans cette enceinte pour discuter de la révision de la loi du 15 juin 2000 à quinze jours de l'interruption de la session.
Comme je l'avais déjà indiqué à l'occasion du vote du budget de la justice en décembre 2000, je ne puis que regretter un aménagement de la loi qui me semble, tant sur le fond que sur la forme, discutable.
Il ne s'agit pas de « fétichisme » à l'égard de la loi - ce n'est pas mon genre. Mais lorsqu'on parle de procéder à une modification de loi, loi saluée par tous comme un progrès nécessaire permettant de placer la France au niveau des standards européens, on est en droit de se poser des questions. C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit d'une loi retouchée quelques mois seulement après son adoption et entrée en application voilà à peine un an, sept mois pour ce qui est de l'application des peines.
Il n'est pas question pour les sénateurs communistes d'occulter les difficultés que rencontrent tant l'institution judiciaire que les forces de police et de gendarmerie dans l'exercice de leurs missions.
Une part de ces difficultés tient certainement au changement de « culture » qu'entraîne la loi. On constatera d'ailleurs que les juges d'instruction sont eux-mêmes confrontés à un alourdissement de leurs tâches consécutif aux nouvelles obligations vis-à-vis des victimes, notamment sur le plan de l'information.
Pour difficiles qu'ils soient, ces changements, ne l'oublions pas, ont été voulus par le Parlement dans sa très large majorité ; il ne saurait donc être question de les remettre en cause, d'autres l'ont dit, sauf à contester le rôle même du législateur. Il convient d'ailleurs d'observer que, loin du « bogue judiciaire » annoncé, les acteurs ont montré leur capacité à s'adapter de façon à permettre l'entrée en application immédiate de la réforme.
Si certains points névralgiques subsistent, on notera que la circulaire du 10 janvier 2001 a utilement permis un allégement pratique des contraintes - je pense en particulier aux formulaires simplifiés - et joué ainsi un rôle fondamental d'accompagnement de la réforme.
C'est d'ailleurs sur la base de la circulaire qu'ont été proposées les modifications visées à l'article 1er, s'agissant des personnes susceptibles de faire l'objet d'une mesure de garde à vue, puisque celle-ci indiquait déjà que la notion d'indices devait être comprise comme « l'existence d'une raison plausible permettant de soupçonner » que la personne est liée à l'infraction.
Convenons encore que la plupart des difficultés recensées n'ont pas grand-chose à voir avec la loi elle-même, sauf à être les révélateurs de dysfonctionnements plus profonds. Le rapport Lazerges a su montrer, de ce point de vue, combien la loi a rendu nécessaire une réflexion de fond sur les méthodes de travail, notamment des magistrats.
On doit ainsi regretter que la cristallisation autour de la loi du 15 juin 2000, devenue bouc-émissaire commode du mécontentement policier, aboutisse à occulter la question autrement plus importante des moyens matériels et humains, à l'heure où l'état des locaux de police et de gendarmerie donne la mesure de l'effort financier nécessaire et où, dans un pays qui compte pourtant l'un des ratios policier-habitant le plus fort, le déficit en officiers de police judiciaire devient problématique.
Pourtant, il faut le souligner, l'augmentation du budget de la justice n'a pas d'équivalent sous les précédentes législatures, mais le retard est tellement important que l'effort paraît parfois dérisoire. En tout état de cause, il ne saurait être question, par manque de moyens, de rogner sur les libertés.
Que la délinquance augmente, c'est un fait. Que les comportements violents se multiplient, notamment chez les plus jeunes, il n'est pas question de le nier. Que le sentiment d'insécurité soit exacerbé, c'est évident, même si les données statistiques mériteraient un examen plus attentif.
D'ailleurs, cette réalité trouve-t-elle un début d'explication dans le vote de la loi du 15 juin 2000 ? C'est la question qui est posée en filigrane. Cela reste à démontrer, alors que certains manient avec allégresse un syllogisme pour le moins étonnant : l'insécurité augmente ; la loi du 15 juin est mise en accusation par les personnels de police et de gendarmerie chargés de la lutte contre l'insécurité ; donc la loi est responsable de l'insécurité.
Vous avouerez que le raisonnement est pour le moins contestable, et j'attends encore que l'on me démontre le lien entre la loi et l'insécurité. Je donne acte, de ce point de vue, à la commission des lois d'avoir souligné que la plupart des difficultés rencontrées n'avaient que peu à voir avec la loi du 15 juin 2000.
Car ce n'est pas à coup de réformes de la procédure pénale que l'on conduit une politique de lutte contre la délinquance et l'insécurité. Celle-ci ne peut passer que par une réflexion globale sur la délinquance, réflexion qui ne pourrait se limiter à la stigmatisation des quartiers difficiles. La réalité de l'insécurité est autrement plus complexe, et les gardiens de la paix, qui, eux, sont sur le terrain, le savent bien. Elle tient à un ensemble de facteurs touchant tous les domaines de la vie sociale, politique et économique. Elle appelle donc des réponses qui dépassent largement le champ du pénal et du répressif. Il ne peut y avoir de réponse unique. Trouver des solutions exige des solidarités, des moyens en personnels, en infrastructures, et un dialogue social. Mais cela prend du temps, exige de la détermination et une réflexion de fond, et non du spectaculaire, dangereux, inefficace et porteur de déceptions.
J'ai suivi comme vous avec attention les débats de l'Assemblée nationale à la fin du mois de janvier dernier et je dois dire que la lecture du Journal officiel m'a laissé une impression de malaise : à force d'entendre dire sur l'ensemble des bancs que la loi est une bonne loi et qu'il ne faut pas la remettre en cause, on finit par se demander pourquoi il convient de la modifier, et le citoyen finit par ne plus comprendre grand-chose.
La commission des lois de notre Haute Assemblée n'échappe pas à la contradiction : elle redit avec force la nécessité de la loi et son utilité, en rappelant d'ailleurs la contribution du Sénat, tout en s'inscrivant dans la logique de réforme.
Certes, le Gouvernement et les initiateurs de la réforme nous disent qu'il ne s'agit que d'aménagements mineurs, destinés à « sauver » la loi, pour reprendre les propos de M. Dray, propos qui auraient plutôt tendance à nous inquiéter - la loi se trouve-t-elle en si grand danger ? - si le catastrophisme n'avait pas toujours été de mise en la matière.
Cette situation « critique » justifierait l'urgence de la réforme. Et pourtant, dans l'affaire, la précipitation est pour le moins contestable.
Tout d'abord, elle laisse de côté un certain nombre de points importants. La question de la procédure d'appel des décisions de cour d'assises en est une bonne illustration.
Cette disposition est certainement la moins contestée des deux propositions de loi, bien que j'aie eu la surprise de constater qu'elle rencontrait de fortes réticences chez les avocats : mettant en avant le caractère très imparfait de ce « second examen », qui, comme chacun le sait, n'est pas fondamentalement un appel, ils s'étonnent de cette « session de rattrapage » accordée au parquet.
En la matière, les praticiens soulignent certains problèmes que je n'ai guère entendu évoquer. Je pense notamment à l'absence de procès-verbal des débats, dont on sait qu'elle pose un double problème, à la fois du point de vue des victimes, appelées une nouvelle fois à comparaître, sur la même base, lors du procès devant la seconde cour d'assises, avec toute la souffrance que cela implique, mais également parfois aux jurés eux-mêmes, qui peuvent être étonnés des écarts de réquisitions du parquet, que la presse s'empresse pour sa part de rappeler, jouant en quelque sorte le rôle de greffier.
Lorsqu'on sait, à la lumière des premières expériences, que 80 % des appels portent non pas sur le verdict de culpabilité mais sur le quantum de la peine, on comprend que la commission des lois se soit saisie de la question. Elle nous propose un système d'enregistrement des débats. Je ne suis pas certaine que l'institution d'un procès-verbal n'aurait pas plus d'intérêt.
En tout cas, au vu de cet exemple, on peut mesurer combien il est regrettable de ne pas avoir pris le temps de procéder à une réelle évaluation des procédures. On court ainsi le risque d'additionner les modifications successives - d'autres l'ont dit - ce qui, du point de vue de la sécurité juridique, n'est franchement pas satisfaisant.
Car ce que nous contestons, ce n'est pas le principe même d'une évaluation. Comme vous le soulignez, monsieur Schosteck, « il est normal que le législateur - majorité et opposition confondues - soit attentif aux conditions de mise en oeuvre des textes qu'il adopte et soit, le cas échéant, prêt à améliorer les lois lorsque les difficultés se font jour ».
Pour qu'une évaluation soit effective, ne convient-il pas de privilégier le regard objectif et serein que seul donne le recul du temps ? En l'espèce, il faut déplorer que l'on ait procédé à partir de faits divers qui posent problème, mais qui donnent au rapport de Julien Dray un caractère éminemment circonstanciel. Si ledit rapport a le grand mérite de dresser le bilan des mécontentements policiers et des blocages et difficultés pratiques - je ne le conteste pas -, il semble difficile de parler d'évaluation.
D'ailleurs, vous le savez sans doute, les avocats et les magistrats n'ont pas bien compris pourquoi ils n'étaient pas associés au processus.
Dès lors que l'ambiguïté a présidé à la rédaction de la proposition de loi à l'Assemblée nationale, on comprend que le résultat soit décevant et confine pour certains à l'affichage.
La commission des lois nous propose des modifications à double facette. Elle apparaît, dans un sens, très scrupuleuse de la garantie des droits s'agissant des principes fondamentaux de notre procédure pénale. Ainsi propose-t-elle des modifications que nous aurions pu, sans conteste, faire nôtres.
Ainsi en est-il du retour à la notion d'indices comme critère de placement en garde à vue, tant il est vrai que les termes « raisons plausibles », s'ils renvoient à la convention européenne des droits de l'homme, sont cependant très étrangers à notre droit, qui repose sur la présence d'éléments matériels. Les termes « raisons plausibles » nous font, au contraire, entrer dans le règne du subjectif, qui érige le soupçon en élément d'appréciation. En la matière, comme le souligne notre rapporteur, il est important de privilégier la clarté.
Il en est de même pour la disposition qui rétablit l'information sans délai du procureur. Cette position de la commission des lois nous paraît tout à fait fondamentale. Toute autre position nous mettrait en contradiction avec l'article 66 de la Constitution, qui fait de l'autorité judiciaire la gardienne de la liberté individuelle. En application de ce principe, l'activité de la police judiciaire est placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, et spécialement lorsqu'elle implique une restriction de la liberté d'aller et venir que sous-entend la garde à vue. Il n'est donc pas admissible de prévoir, pour des raisons matérielles, dans un texte de loi, une altération de nos principes fondamentaux.
L'ironie veut d'ailleurs que ces deux amendements aboutissent à revenir à la rédaction initiale. En d'autres termes, une fois qu'on s'est aligné sur les exigences de la convention européenne des droits de l'homme, on mesure combien il est malaisé de revenir dessus.
Sur ces points, la circulaire aurait, en réalité, largement suffi : elle aurait permis de préciser l'interprétation des dispositions législatives lorsque leur application s'avère difficile du fait des circonstances.
On doit regretter que la commission des lois n'ait pas fait preuve de la même rigueur s'agissant de ce que l'on appelle communément le « droit au silence ». L'ajout que le prévenu prend la décision de se taire « sous sa responsabilité » revient à dire que le silence peut lui être préjudiciable. On se trouve donc dans le même cas de figure que la rédaction initiale de la proposition de loi, dont les députés communistes avaient montré qu'elle n'était guère conforme à la convention européenne des droits de l'homme.
Par ailleurs, si l'institution d'un délai de trois heures pour l'accomplissement de certaines formalités, s'il a pu paraître « réaliste », elle peut être discutée. Il aurait mieux valu ne pas fixer dans la loi un délai précis, car celui-ci sera forcément fonction des circonstances, lesquelles peuvent d'ailleurs nous amener au-delà du délai de trois heures dans certains cas. La mention du délai de trois heures aurait dû ressortir de la circulaire à titre indicatif.
Quant à la question de la mise en détention des parents d'enfant de moins de dix ans, je rappellerai que notre groupe avait appelé l'attention sur les difficultés pratiques d'une telle disposition lors du vote de la loi ; il avait suggéré une rédaction plus souple qui prenne en compte non seulement l'âge, mais également l'état de santé ; on peut penser notamment aux enfants handicapés, pour lesquels la référence à l'âge de dix ans apparaît peu pertinente.
Les rédactions retenues, tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat, videront, on le sait, de tout intérêt la disposition, spécialement si l'on se réfère au texte relatif à l'autorité parentale que nous allons examiner par la suite et qui rend très exceptionnels les cas d'autorité parentale exclusive. En tout cas, nous sommes hostiles à son extension dans le domaine de la libération conditionnelle, car nous ne sommes pas du tout dans la même logique que pour la mise en détention provisoire. Je regrette vivement que la commission des lois ait souhaité retoucher à ce chapitre de la loi qui est le moins contesté.
Au-delà, on doit déplorer que la majorité de la commission des lois ait mis une nouvelle fois en musique son « programme anti-délinquants ». Mais il est vrai que la réforme précipitée s'y prêtait.
Déjà, la question des réitérants a ouvert la boîte de Pandore, en permettant au débat sur la sécurité et la lutte contre la délinquance de faire irruption dans une question qui, à l'origine, n'était destinée qu'à remédier à certains dysfonctionnements pratiques. On se souvient de la parabole de la madeleine du député Tourret à l'Assemblée nationale, selon laquelle celui qui vole une madeleine et la mange est punissable du délit de vol et du délit de recel et pourrait être concerné par ces dispositions !
La commission des lois ne dit pas autre chose quand elle observe que l'on finit, avec une telle mesure, par réprimer plus sévèrement le réitérant que le récidiviste, qui a déjà fait l'objet d'une condamnation. Néanmoins, en proposant de fixer à trois ans, au lieu de deux, la peine encourue pour la mise en détention provisoire en cas de plusieurs délits, elle reste dans la même logique d'augmentation des cas de détention provisoire.
En additionnant cette disposition avec la possibilité donnée à la chambre de l'instruction d'augmenter les délais de la détention provisoire, on finit par revenir sur la logique qui a présidé au vote de la loi, qui, se fondant en partie sur les rapports parlementaires d'enquête sur les prisons, avait estimé qu'il convenait de faire de la détention préventive une exception. On remarquera d'ailleurs que, dans les faits, le recours à la détention provisoire, après avoir chuté, est remonté, pour atteindre les seuils antérieurs à la loi du 15 juin 2000.
La majorité de la commission des lois va même plus loin en proposant de bouleverser l'état du droit en matière d'enquête préliminaire et de flagrance ainsi que de nullité de procédure. Nous ne pouvons la suivre sur ce terrain.
Au regard des modifications qui devraient être votées, je reste aussi dubitative que mes collègues de l'Assemblée nationale : si certaines vont dans le bon sens en revenant sur des dispositions dont la constitutionnalité apparaissait douteuse, d'autres confinent néanmoins, une fois de plus, à l'affichage répressif, et nous ne pouvons les accepter.
Reste, sur le plan des signaux que l'on souhaite donner aujourd'hui, que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent adhérer à la logique qui a présidé à la révision de la loi du 15 juin 2000. D'autres ont dit la même chose que moi ici. Mais, compte tenu des arguments que je viens de développer, nous avons choisi de nous abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. René Garrec, président de la commission des lois. Monsieur le président, je demande une brève suspension de séance afin que la commission puisse examiner les amendements qui lui sont parvenus juste avant la discussion générale.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le président.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-huit heures dix.)