SEANCE DU 7 FEVRIER 2002
PROTECTION DE LA PRÉSOMPTION
D'INNOCENCE
Discussion d'une proposition de loi déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 194,
2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
complétant la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes. [Rapport n° 208
(2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 15 juin 2000 est considérée par
tous, à juste raison, comme une grande loi. Elle renforce l'application, à tous
les stades de l'enquête pénale, d'un principe fondamental de notre procédure
pénale : le principe du contradictoire.
L'entretien avec un avocat dès le début de la garde à vue, le double regard
sur le placement en détention provisoire, les recours contre les décisions de
cour d'assises, la judiciarisation de l'exécution des peines permettent, à
chaque étape de l'enquête et du procès pénal, de faire valoir les moyens de
défense des personnes mises en cause.
Il n'est pas question aujourd'hui d'abandonner la mise en oeuvre de ces droits
ou de la restreindre d'une quelconque façon, particulièrement à la suite d'une
réforme d'une telle ampleur, à laquelle le Sénat a pris une part aussi
importante.
L'introduction de ces droits dans notre code de procédure pénale nous a permis
de mettre notre procédure au niveau de celle qu'appliquent nos voisins
européens. Elle nous met en conformité avec la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, elle
donne plus de force encore aux preuves recueillies par les services
d'enquête.
Cette proposition de loi vise à tirer les conséquences de difficultés
d'application mises en évidence par les services d'enquête.
Dès la fin de l'année 2000, j'ai été soucieuse des conditions d'application de
cette loi.
Lors de l'élaboration de la loi, en effet, l'institution judiciaire souffrait
de façon chronique d'une insuffisance d'effectifs et de moyens.
Cela ne devait pas empêcher le Gouvernement d'engager les réformes
nécessaires, mais il fallait veiller à ce que ces dernières soient aussitôt
accompagnées des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre.
Le Gouvernement s'est tenu à cette règle en adaptant le budget des années 2001
et 2002 aux procédures créées par la loi du 15 juin 2000.
Les moyens permettant l'application des réformes contenues dans le projet
initial, qui comptait 40 articles, avaient été prévus.
C'est ainsi qu'étaient déjà créés les 108 postes de juge des libertés et de la
détention ainsi que les 96 emplois de greffier devant accompagner la
réforme.
Mais le Gouvernement ne pouvait évidemment financer par anticipation les
réformes issues des débats parlementaires, qui ont considérablement enrichi le
texte.
C'est la raison pour laquelle les moyens ont été pris dans le budget pour
2001. Ce dernier a engagé 338,7 millions de francs pour la seule mise en oeuvre
de la loi. Plus des deux tiers des postes créés en 2001 ont été dédiés à la loi
du 15 juin 2000 et ont été localisés là où les besoins étaient les plus forts ;
80 emplois de magistrat créés au budget pour 2002 sont encore consacrés à la
mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000.
Je rappelle enfin que, depuis le début de la législature, le ministère de la
justice a connu 7 273 créations d'emploi, tous services confondus, dont 1 049
créations d'emploi de magistrat, contre 727 au cours des dix-sept années
précédentes.
Ce renforcement des moyens nous a permis d'appliquer la loi sans voir survenir
le bogue judiciaire qui nous avait été annoncé. En particulier, l'application
de la loi du 15 juin 2000 n'a pas provoqué l'effondrement des délais de
traitement des affaires, civiles ou pénales, que certains disaient redouter.
Mais les difficultés sont apparues ailleurs, du côté des services de police et
de gendarmerie.
Elles ne sont, à mon avis, que partiellement liées au contenu même de la loi
du 15 juin 2000.
Sur certains points - je pense en particulier à la définition des personnes
qui peuvent être placées en garde à vue - le malaise exprimé par les enquêteurs
tenait plus à un manque d'explications qu'à des imperfections juridiques.
Mais ces difficultés ne sont néanmoins que trop réelles.
Notre attachement aux principes fondamentaux renforcés par la loi du 15 juin
2000 exigeait que les modifications nécessaires à leur application quotidienne
soient identifiées puis introduites dans une loi.
C'est le travail de qualité qu'a fait Julien Dray en écoutant les policiers
avec beaucoup d'attention et en proposant un ensemble de mesures dont certaines
seulement relèvent de la loi. Le rapport qu'il a rendu est l'expression fidèle
de leurs préoccupations.
C'est le travail qu'a fait avec beaucoup de rigueur et de pertinence Christine
Lazerges dans son rapport sur la loi du 15 juin 2000 intitulé
Une chance
pour la justice
.
C'est le travail que j'ai fait en diffusant, le 10 janvier 2002, aux
procureurs généraux et, par leur intermédiaire, à l'ensemble des magistrats du
parquet et des enquêteurs, une circulaire qui expliquait, à la lumière de la
jurisprudence de la Cour de cassation, les modalités d'application de la loi
durant la période de garde à vue.
Cette circulaire aborde les modalités d'avis au procureur en début de garde à
vue, de notification des droits des personnes gardées à vue et rappelle que, si
les enquêteurs sont tenus d'accomplir les actes nécessaires à la mise en oeuvre
de ces droits, la procédure qu'ils dressent ne se trouve pas annulée par
l'absence d'exercice de ces droits.
Elle exprime donc très clairement que les enquêteurs ne sont pas,
contrairement à ce qu'ils craignaient, tenus par une « obligation de résultat »
dans la mise en oeuvre des droits de la personne gardée à vue.
Cependant, l'application de la loi du 15 juin 2000 réclamait aussi des
ajustements, qui ne pouvaient être faits que par une loi.
C'est l'objet de la proposition de loi que vous allez examiner.
Cette proposition de loi ne vise ni la judiciarisation des peines ni les
droits des victimes. Elle n'aborde que certaines dispositions de la loi du 15
juin 2000 portant sur la garde à vue et sur l'appel des décisions de Cour
d'assises.
Sur ce dernier point, les deux parlementaires qui ont étudié l'application de
la loi, Julien Dray et Christine Lazerges, ont l'un et l'autre proposé une
évolution, afin que les décisions de cette juridiction, si lourdes de
conséquences pour les victimes comme pour les accusés, puissent faire l'objet
d'un appel du parquet.
Dans le souci de ne pas alourdir les charges des magistrats du parquet, les
députés ont souhaité limiter l'obligation de visiter les locaux de garde à vue,
en fixant à un an la périodicité du contrôle de ces locaux.
La définition des personnes susceptibles d'être placées en garde à vue a été
précisée en reprenant la définition qu'en donne la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
L'article 1er vise à remplacer dans les dispositions du code de procédure
pénale relatives au placement en garde à vue et à la rétention des témoins les
mots : « des indices faisant présumer » par les mots : « une ou plusieurs
raisons plausibles de soupçonner » que la personne a commis ou tenté de
commettre une infraction.
Quelle est la portée de cette modification ?
Le rapport Dray a montré que l'expression « indices faisant présumer » posait
parfois des problèmes d'interprétation aux enquêteurs.
De nombreuses questions étaient posées : qu'est-ce qu'un indice ? Dans quel
cas peut-on placer une personne en garde à vue ? Qu'est-ce qu'un suspect ou un
témoin ? Voilà autant de difficultés que les policiers voulaient voir
éclaircies et qu'ils ressentaient comme des obstacles à leur action.
Il a donc fallu clarifier cette notion. Tel a été l'objectif de la circulaire
du 10 janvier, précisant le contenu de la notion d'« indices faisant présumer »
et indiquant qu'elle ne faisait que mettre en oeuvre le critère défini à
l'article 5.1.c. de la convention européenne des droits de l'homme.
En effet, au sens de la convention européenne des droits de l'homme, la
privation de liberté d'une personne n'est possible que s'il y a des « raisons
plausibles de soupçonner » qu'elle a commis l'infraction.
Mais, si la circulaire est venue clarifier la notion d'« indices faisant
présumer », il est utile que la loi vienne consacrer cette interprétation, afin
de mettre définitivement fin à toute difficulté.
Telle est la portée de cette proposition : préciser les textes actuels en
consacrant l'interprétation déjà existante et en l'inscrivant dans le code de
procédure pénale.
Les articles 63 et 77 du code de procédure pénale relatifs au placement en
garde à vue par l'officier de police judiciaire et au contrôle exercé par le
procureur de la République ont été revus. La proposition de loi revient à la
rédaction antérieure à la loi du 15 juin 2000 quant au délai dans lequel le
procureur de la République doit être avisé. Elle répond très exactement aux
exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision d'août
1993.
La définition du droit au silence a été précisée ; pour ce faire, on s'est
rapproché de la rédaction de l'article 116 du code de procédure pénale relatif
à l'interrogatoire de première comparution devant le juge d'instruction, dont
l'application ne semble présenter aucune difficulté pour les magistrats.
L'objectif, très voisin de celui qu'exprimait le sénateur Haenel dans sa
proposition de loi, est de faire connaître à la personne placée en garde à vue
son droit au silence par une expression qui ne risque pas d'être comprise comme
une incitation à se taire.
Afin de dissiper les craintes et les doutes des enquêteurs quant au délai dont
ils disposent pour mettre en oeuvre le droit des personnes gardées à vue d'être
examinées par un médecin et de faire prévenir leur famille, la proposition de
loi précise que ce délai est de trois heures. En cela, elle reprend les limites
résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation.
La proposition de loi prend en compte la réitération des délits punis d'au
moins deux ans d'emprisonnement pour permettre le placement en détention des
auteurs de ces infractions qui auraient réitéré dans un délai de six mois.
Elle prévoit que peuvent être placées en détention provisoire les personnes
mises en examen pour un délit puni d'une peine d'au moins deux ans
d'emprisonnement lorsqu'elles ont fait l'objet, dans les six mois précédents,
d'une mesure de classement sous condition, de médiation ou de composition
pénale, ou encore si elles sont pénalement poursuivies pour des délits punis
d'au moins deux ans d'emprisonnement.
Bien évidemment, les poursuites qui ont entraîné un non-lieu, une relaxe ou un
acquittement ne peuvent être prises en compte pour un placement en détention
provisoire.
La proposition de loi, conformément à une suggestion de Christine Lazerges,
modifie l'article 145-5 relatif aux enquêtes sociales devant être ordonnées
lorsque le juge d'instruction envisage le placement en détention du père ou de
la mère d'un enfant âgé de moins de dix ans.
La nouvelle mesure concerne désormais les parents de mineurs âgés de seize ans
au plus.
En outre, elle centre l'enquête sociale sur les dispositions à prendre pour
que l'enfant ne soit pas mis en danger par l'incarcération de son père ou de sa
mère.
Enfin, son champ d'application est restreint au placement en détention des
parents exerçant leur autorité parentale à titre exclusif.
Cette situation particulière doit être connue au plus tard lors de
l'interrogatoire de première comparution. Cette disposition figurait en partie
dans la proposition de loi de M. Haenel.
Le parquet se voit donner la possibilité de faire appel des arrêts
d'acquittement.
Enfin, les deux derniers articles répondent à une situation mise en évidence
par le procès de Francis Dils : le mineur, devenu majeur au jour de l'ouverture
des débats devant la cour d'assises ou devant le tribunal pour enfants peut
demander que l'audience soit publique.
Cette disposition était nécessaire pour mettre notre droit en conformité avec
l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales, qui prévoit que toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue publiquement, en excluant les cas dans lesquels la salle
peut être interdite au public lorsque l'intérêt des mineurs l'exige.
La proposition de loi qui vous est soumise est un texte modeste, mais elle
traduit un objectif plus ambitieux : l'application effective des principes que
nous souhaitons introduire dans notre droit.
Pour que les enquêteurs et les magistrats traduisent au quotidien ces
principes essentiels dans leurs pratiques professionnelles, ils doivent être
guidés par des textes clairs et adaptés à la réalité des faits. C'est cette
oeuvre de vérité et d'authenticité que je vous demande d'accomplir aujourd'hui,
mesdames, messieurs les sénateurs.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi sur la présomption
d'innocence est une bonne loi. C'est une loi utile et c'était une loi
nécessaire.
Pourtant, nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale complétant - le terme ne manque pas de saveur - la loi
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, ainsi que la proposition de notre collègue Hubert Haenel aménageant
la loi du 15 juin 2000.
Il n'est pas inintéressant de se demander comment nous en sommes arrivés
là.
Je rappelle que, pour l'essentiel, la loi sur la présomption d'innocence est
entrée en vigueur voilà un an. Cette loi a permis une adaptation de notre droit
aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme. Elle a procédé
à des réformes fondamentales telles que celle de la peine en matière
criminelle.
Son entrée en vigueur n'a pas provoqué la paralysie des juridictions, malgré
les craintes de certains. En revanche, son application soulève quelques
difficultés et provoque du découragement chez ceux qui sont chargés de mettre
en oeuvre la procédure pénale, notamment les enquêteurs. Ce découragement n'est
peut-être que partiellement lié à cette loi, mais nous devons l'entendre.
Quelles sont les causes de ces difficultés d'application ?
D'abord, les moyens pour mettre en oeuvre cette loi demeurent insuffisants.
Oui, les crédits du ministère de la justice ont augmenté ! Non, ils ne sont
pas suffisants pour que la loi soit bien appliquée !
A ce propos, j'ai été surpris d'entendre dire que l'insuffisance des moyens
était due aux ajouts apportés par le Parlement au projet de loi initial. Je
rappelle donc que c'est le Gouvernement qui, seul, a fixé les délais d'entrée
en vigueur de la loi.
Quoi qu'il en soit, les moyens ne sont pas à la hauteur du texte.
Par ailleurs, il faut bien admettre que certaines dispositions de la loi
soulèvent des difficultés. Ainsi, l'interdiction du placement en garde à vue
des témoins est une bonne chose, mais elle implique que soient précisées
clairement les conditions dans lesquelles les témoins peuvent néanmoins être
entendus.
D'une manière générale, l'équilibre nécessaire entre les droits de la personne
et l'efficacité de la procédure a été quelque peu négligé ; nous l'avions
d'ailleurs souligné lors de la discussion du projet de loi renforçant la
protection de la présomption d'innocence.
Parallèlement à l'extension des droits des personnes mises en cause, nous
devions renforcer les moyens d'enquête afin de maintenir l'efficacité de notre
système. L'équilibre n'a pas été totalement respecté.
Dans ces conditions, un débat s'est développé sur l'opportunité de modifier
certaines dispositions de la loi.
Dans un premier temps, le Gouvernement n'a su dire qu'une seule chose : la loi
a été votée sans opposition.
Reconnaissons que l'argument est mince et que cette loi méritait d'être mieux
défendue.
Si l'opposition s'oppose, elle est « stérile », c'est bien connu ! Si, après
avoir amendé, discuté, obtenu des avancées, elle décide de ne pas s'opposer,
alors elle n'aurait plus le droit que de se taire ! C'est une conception,
convenons-en, un peu réductrice du rôle de l'opposition !
Bref, le Gouvernement a d'abord dit qu'il ne fallait rien faire. Ensuite, il a
- pratiquement dans le même temps - commandé deux rapports d'évaluation : l'un,
dirigé par Mme Lazerges, a conclu qu'il ne fallait pas modifier la loi, et
l'autre, déposé par M. Dray, a démontré qu'il fallait modifier la loi !
Finalement, une proposition de loi a donc été déposée en catastrophe et
discutée en urgence. Mais cela devient une habitude : on ne discute plus qu'en
urgence !
Curieusement, alors qu'elle avait été adoptée sans modification par la
commission des lois de l'Assemblée nationale, en séance publique, des
amendements ont été votés sur l'initiative même des auteurs de la proposition
!
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est une méthode !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il n'est jamais trop tard pour bien faire !
Il reste qu'une telle façon de travailler n'est peut-être pas, c'est le moins
que l'on puisse dire, le meilleur moyen de faire une bonne loi.
A l'inverse, la démarche de notre collègue Hubert Haenel paraît pleine de
sagesse. Dès le 28 novembre 2001, il a déposé un texte mesuré, dans lequel il
proposait des ajustements ponctuels, ne remettant en cause aucun des principes
de la loi sur la présomption d'innocence, mais tendant à atteindre cet
équilibre si fragile dont je parlais à l'instant, entre droits individuels et
efficacité de la procédure.
Avant de vous présenter la position de la commission des lois, permettez-moi
de rappeler brièvement le contenu de la proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale. Elle prévoit notamment : une limitation du nombre de
visites des locaux de garde à vue par le procureur ; la modification des
critères de placement en garde à vue, les indices devenant des raisons
plausibles ; un avertissement du parquet « aussi rapidement que possible », et
non plus « dès le début » de la garde à vue ; un délai de trois heures donné
aux officiers de police judiciaire pour l'avertissement de la famille et
l'examen par un médecin ; une modification du droit au silence, pour que la
personne soit informée qu'elle peut se taire, répondre aux questions ou faire
des déclarations ; la possibilité de placer en détention provisoire un «
réitérant » qui encourt deux ans d'emprisonnement pour une infraction contre
les biens ; une modification des conditions de l'enquête sociale préalable au
placement en détention provisoire du parent d'un jeune enfant ; enfin, la
possibilité d'appel du parquet en cas d'acquittement.
Que penser de ce texte ? Je dois avouer, mes chers collègues, que certaines de
ses dispositions me laissent perplexe.
Ainsi, la proposition tend à modifier les critères de placement en garde à vue
pour remplacer les indices par des raisons plausibles. Qu'est-ce à dire ? Ainsi
que vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, vous venez d'adresser aux
procureurs une circulaire, aux termes de laquelle, tout compte fait, les
indices pouvaient être entendus comme des raisons plausibles.
Dans ces conditions, je m'interroge, et je ne suis probablement pas le seul :
si c'est la même chose, pourquoi changer les mots ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Exactement !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Et si ce n'est pas la même chose, quelle est exactement la
différence ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Voilà !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Mais d'autres dispositions de la proposition sont encore plus
troublantes.
Désormais, le procureur serait averti d'une garde à vue « aussi rapidement que
possible », et non plus « dès le début ».
M. Hubert Haenel.
C'est inadmissible !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Mais que signifie « aussi rapidement que possible » par
rapport à « dès le début » ?
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est la même chose !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Pas forcément !
En outre, est-il normal que l'on appelle l'avocat « dès le début » et que le
procureur soit prévenu « aussi rapidement que possible » ?
M. Hubert Haenel.
C'est inadmissible !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
C'est une question - je le dis plaisamment parce qu'il faut
garder une certaine sérénité, une certaine distance - qui va beaucoup plus loin
qu'il n'y paraît...
Je rappelle, en effet, que l'autorité judiciaire est gardienne des libertés
individuelles et que le procureur dirige l'activité des officiers de police
judiciaire.
M. Hubert Haenel.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je dois avouer que, dans mon esprit, en cas de garde à vue,
l'avertissement d'un magistrat doit être la priorité des priorités.
M. Hubert Haenel.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Il arrive, c'est vrai, que des fax arrivent dans des bureaux
vides. Réfléchissons alors aux moyens de mieux organiser les parquets, mais ne
prenons pas une disposition dont nous ne savons pas ce qu'elle signifie !
Une autre mesure peut soulever des difficultés.
La proposition de loi tend à permettre le placement en détention provisoire
des « réitérants » de petits délits contre les biens punis de deux ans
d'emprisonnement.
Je rappelle que, pour les atteintes aux biens, le seuil de la détention
provisoire est de cinq ans de peine encourue et de trois ans si la personne a
déjà été condamnée à un an d'emprisonnement.
Le système qui nous est proposé revient donc à être plus sévère avec une
personne déjà poursuivie mais pas condamnée qu'avec une personne qui a été déjà
condamnée ! Le principe de proportionnalité ne saurait en être satisfait.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
En revanche, la proposition de loi contient des dispositions
utiles et nécessaires, en particulier la possibilité, pour le ministère public,
de faire appel d'une décision d'acquittement en assises.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, quelle est la position de votre
commission des lois ?
D'abord, je crois devoir rappeler que notre assemblée avait pris une part
active à l'élaboration de la loi sur la présomption d'innocence.
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Ce travail, qu'il s'agisse de l'appel en matière criminelle
ou de la réforme de la libération conditionnelle, le Gouvernement n'en parlait
pas quand la loi était portée aux nues. Maintenant qu'elle est contestée, il
s'en souvient !
Je crois que, pour notre part, nous ne devons pas nous renier ; nous n'avons
d'ailleurs aucune raison de nous renier !
M. Jean-Jacques Hyest.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le fait que
les dispositions qui posent aujourd'hui un problème, notamment en ce qui
concerne la garde à vue, ne figuraient pas dans le projet de loi sur la
présomption d'innocence déposé par le Gouvernement et qu'elles n'y ont pas été
insérées par le Sénat.
Pour autant, je crois que nous devons, encore une fois sans nous renier,
envisager des adaptations destinées non à porter atteinte à la loi sur la
présomption d'innocence mais, au contraire, à la conforter en faisant en sorte
qu'elle ne nuise pas à l'efficacité de notre procédure.
Dans ces conditions, je propose que nous corrigions le texte de l'Assemblée
nationale dans ce qu'il peut avoir de contestable et que nous le complétions
pour qu'il ne soit pas un texte de pur affichage, qui ne pourrait, n'en doutons
pas, que créer des désillusions plus fâcheuses encore que la situation que nous
connaissons actuellement.
Pour ce faire, nous disposons de la proposition de loi de notre collègue
Hubert Haenel, dont le contenu tranche, il faut le dire, avec le texte de
l'Assemblée nationale par son caractère concret, technique, précis.
La commission propose d'abord de lever une ambiguïté fort dommageable : pour
le placement en garde à vue, à la notion de raison plausible, nous préférons
celle d'indice parce que la jurisprudence en a, nous semble-t-il, parfaitement
défini les contours. Quand on dit « indice », on sait exactement de quoi on
parle !
La commission propose ensuite de maintenir l'avis au parquet « dès le début »
d'une garde à vue. Je ne crois pas que nous puissions transiger sur une
question aussi importante et beaucoup plus lourde de conséquences qu'il ne
semble : ce n'est pas seulement de la sémantique.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
En ce qui concerne la détention provisoire des réitérants,
nous proposons une correction pour éviter que ceux-ci soient traités plus
sévèrement que les récidivistes.
S'agissant, maintenant, des compléments que nous pourrions apporter au texte,
la commission vous propose : de clarifier le régime d'audition des témoins sans
pour autant rétablir la garde à vue de ces témoins ; de prévoir une possibilité
- naturellement encadrée et contrôlée - de prolonger la durée des enquêtes de
flagrance ; de permettre, sous le contrôle et sur autorisation écrite du juge
des libertés, des perquisitions au cours des enquêtes préliminaires ; de
prévoir régulièrement une purge des nullités pendant les instructions ; ...
MM. Hubert Haenel et Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
... de permettre, dans certains cas, une prolongation
exceptionnelle de la détention provisoire.
En ce qui concerne les cours d'assises, la commission propose, après mûre
réflexion, de réserver l'appel des arrêts d'acquittement au procureur général.
Ce choix peut permettre une harmonisation des politiques pénales. Il peut aussi
éviter la multiplication des appels, notamment dans les affaires où la
probabilité d'un deuxième acquittement est très forte.
Nous proposons également de prévoir un enregistrement audiovisuel facultatif
des débats d'assises, qui pourrait être utilisé en appel. Pour les victimes, le
fait de répéter une nouvelle fois en appel tout ce qu'elles ont déjà dit peut
être particulièrement douloureux, notamment en matière d'infractions
sexuelles.
L'enregistrement ne remplacera pas la comparution, l'oralité des débats étant
un principe général de notre droit, mais il peut permettre d'alléger la
déposition dans certaines circonstances. Nous ne pouvons pas ne pas tenir
compte de cet élément : nous devons entendre la douleur des victimes.
En définitive, je crois, mes chers collègues que, sans nous renier, nous
pouvons parvenir à un texte concret et efficace, qui ne soit pas une loi
d'affichage dans le contexte que nous connaissons. Nous pouvons améliorer
fortement le texte de l'Assemblée nationale, afin de conforter la protection de
la présomption d'innocence et de veiller - c'est fondamental - à l'équilibre
entre les droits des personnes et l'efficacité de la procédure.
Les propositions que nous vous faisons sont en pleine conformité avec les
positions que le Sénat a défendues pendant l'élaboration de la loi sur la
présomption d'innoncence. Puisse ce message de cohérence et d'équilibre être
entendu dans la suite de la procédure législative !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis tenté
d'employer la fameuse formule : « ni cet excès d'honneur, ni cette indignité »
en ce qui concerne tant la loi sur la présomption d'innocence elle-même que les
ajustements qui nous sont proposés par la commission des lois.
Je crois en effet qu'une loi de cette nature, qui bouleverse à ce point la
procédure et la culture des différents acteurs de l'enquête de police
judiciaire, du parquet et de l'instruction, ainsi que du contrôle de ceux-ci,
devait nécessairement faire l'objet d'ajustements au moins techniques pour
tirer les conséquences des premières difficultés d'application rencontrées. Tel
était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi que j'ai déposée le 28
novembre 2001.
Du reste, le temps d'une réflexion et d'une concertation en vue de la mise au
point d'ajustements aurait, à mon avis, dû être inscrit dans la loi. Il aurait
fallu prévoir un délai pour apprécier les éventuels dysfonctionnements. Je
suggère d'y réfléchir de manière qu'à l'avenir il puisse être procédé tout à
fait normalement, presque automatiquement, en tout cas dans la sérénité, aux
nécessaires mises au point qu'implique un dispositif de cette ampleur.
La loi du 15 juin 2000, après dix-huit mois d'application pour certaines
dispositions, un an pour d'autres, a maintenant produit ses effets. Nous avons
pu en mesurer quelques défauts, qui ne nécessitent certainement pas une remise
en cause mais qui appellent tout au plus quelques ajustements. C'est l'objet
des propositions que nous soumet notre éminent collègue M. Schosteck, au nom de
la commission des lois.
Dois-je rappeler, madame la ministre, que les textes lourds à la fois de sens
et de conséquences, qui nécessitent une mobilisation substantielle de moyens,
qui bouleversent les habitudes, doivent être précédés - donc en amont de leur
discussion au Parlement et même de leur examen par le Conseil d'Etat - d'une
véritable étude d'impact, conduite par un organisme indépendant du Gouvernement
? Une telle étude d'impact permettrait de mesurer pleinement, au moment de la
discussion du texte, ses conséquences directes sur la législation et la
réglementation, ainsi que ses implications en termes de moyens.
Il me semble d'ailleurs qu'au cours des débats à l'Assemblée nationale et au
Sénat la commission des finances et le rapporteur de la commission saisie au
fond devraient pouvoir donner un avis sur les moyens d'application, dans les
juridictions, des dispositions en discussion.
L'étude d'impact qui serait systématiquement réalisée, après quelques mois
d'application, en concertation avec tous ceux qui sont chargés de l'application
du texte permettrait, quant à elle, d'apporter en temps utile et en toute
sérénité les ajustements nécesaires.
C'est ce qu'a fait M. Schosteck en auditionnant un certain nombre de
personnalités, notamment des membres de la haute magistrature de l'ordre
judiciaire - le premier président de la Cour de cassation, le président de la
chambre criminelle de la Cour de cassation, entre autres - ainsi que des
policiers et des gendarmes.
En l'espèce, de quoi s'agit-il ?
M. Schosteck a eu raison de le rappeler, il ne s'agit pas d'une remise en
cause des principes acquis à l'occasion de la loi du 15 juin 2000, qui sont
autant d'avancées dans le domaine de la protection de la liberté
individuelle.
Certains avocats sont montés au créneau pour s'opposer à tout « réglage » du
texte, comme s'ils étaient les seuls garants protecteurs de la liberté
individuelle et des libertés publiques, se situant en quelque sorte au-dessus
de l'autorité judiciaire et même du Parlement.
Les avocats sont, certes, des acteurs éminents, essentiels même du procès, du
procès pénal en particulier. Mais à qui la Constitution confère-t-elle le soin
de veiller au respect de cette liberté ? A l'autorité judiciaire, « gardienne
de la liberté individuelle », selon les termes de son article 66.
L'application qu'il convient de faire de ce principe constitutionnel a été
précisée à de nombreuses reprises par le Conseil constitutionnel lui-même.
C'est pourquoi l'on ne peut admettre que, dans le cadre du contrôle de la garde
à vue, le parquet ne soit informé qu'après l'avocat, ce qui paraît signifier
que le rôle du parquet serait « inférieur » à celui de la défense.
Venons-en maintenant au fond du débat.
Après avoir été imprudemment qualifiée par certains de « plus grande réforme
de la procédure pénale depuis 1958 », la loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes - on oublie souvent la
seconde partie de cet intitulé - est aujourd'hui critiquée de toutes parts.
Elle l'a été, surtout, à la fin de l'année dernière, et il est vrai qu'elle
l'est un peu moins aujourd'hui que les esprits se sont apaisés. Cela ne
signifie pas, cependant, qu'il faille ne rien faire. Une réforme était
nécessaire, notamment pour mettre notre droit en conformité avec la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Le texte adopté en 2000 comporte nombre d'évolutions utiles qui avaient été
trop longtemps différées, ce qui s'explique peut-être par le fait que le
Parlement, à l'occasion de la discussion, a fait admettre un certain nombre
d'avancées à force d'amendements.
Le Sénat, pour sa part - vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le
rapporteur - aura été notamment à l'origine de l'appel en matière criminelle et
de la réforme de la libération conditionnelle, qui ne figuraient pas dans le
projet de loi initial.
Utile et nécessaire, la loi renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes est pourtant remise en cause un an après
l'entrée en vigueur de ses principales dispositions. En fait, l'équilibre entre
liberté et sécurité, entre respect des droits de la défense et efficacité de la
répression, a été quelque peu rompu - il faut admettre ce léger déséquilibre -
l'idéologie ayant parfois pris le pas sur la volonté de moderniser nos
procédures.
Après un an d'application, il n'était guère besoin d'études approfondies,
d'évaluations au long cours, pour constater que quelques dispositions de la loi
nuisent à l'efficacité de la procédure pénale et en découragent les acteurs,
singulièrement les enquêteurs.
Au cours de la discussion, nous avions mis en garde le Gouvernement contre les
difficultés que pouvaient soulever certaines mesures introduites dans le texte
par l'Assemblée nationale, mais nous n'avons pas été entendus.
Ainsi, en matière de durée de la détention provisoire, notre assemblée a
préconisé, en première comme en deuxième lecture, que les délais butoirs
introduits par l'Assemblée nationale soient atténués par une possibilité de
prolongation exceptionnelle en cas de risque pour la sécurité des personnes et
des biens.
L'Assemblée nationale a écarté ce dispositif, que notre ancien collègue M.
Charles Jolibois, avocat de son état et rapporteur du projet de loi, qualifiait
lui-même de « soupape ».
De même, lors de l'adoption du projet de loi, M. Jolibois avait souligné
combien les avancées en matière de droits de la défense ne pouvaient avoir de
sens que si elles s'accompagnaient d'un renforcement parallèle des moyens
d'enquête : « S'il est important, disait-il, d'améliorer les droits de la
défense au stade de l'enquête, il conviendrait également de se préoccuper des
moyens de la police judiciaire. Il semble qu'il y ait encore beaucoup à faire
pour faciliter le travail de la police. » Une fois encore, le Sénat n'a pas été
entendu.
Malgré ses réserves - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur - le Sénat a
voté cette réforme.
Nous ne renions pas notre vote, loin de là : notre assemblée a en effet permis
- de haute lutte - des avancées importantes dont le principe n'est remis en
cause par personne, qu'il s'agisse de l'appel en matière criminelle ou de la
réforme de la libération conditionnelle. Il faut toutefois se rappeler que la
garde des sceaux avait été opposée à l'époque à la proposition sénatoriale
d'instaurer un recours en matière criminelle, avant de s'y rallier lors de
l'examen du texte par l'Assemblée nationale.
Des corrections doivent aujourd'hui être apportées à cette loi, afin que le
renforcement nécessaire des droits de la défense ne soit pas source d'une
nouvelle injustice que subiraient les victimes et la société.
C'est pourquoi j'ai souhaité contribuer à ce débat en déposant une proposition
de loi. Elle n'est pas révolutionnaire, madame la ministre, convenez-en, mais
elle a pour objet de tenter de retrouver cet équilibre si indispensable au bon
fonctionnement de notre procédure pénale.
Trois des mesures que j'ai proposées ont été reprises par l'Assemblée
nationale dans le texte qu'elle a adopté, et je ne peux que m'en réjouir : la
limitation du nombre de visites des procureurs dans les locaux de garde à vue,
l'encadrement de l'enquête sociale préalable au placement en détention
provisoire des parents de jeunes enfants et enfin, la possibilité pour le
parquet de faire appel des arrêts d'acquittement.
Sur ce dernier point, je me souviens avoir été l'un des rares, à l'époque, à
ne pas comprendre pourquoi la défense et le ministère public ne disposaient pas
des mêmes armes. Il m'avait été répondu que ce n'était pas tout à fait un
appel, que c'était une dernière chance. Or, une dernière chance, cela n'existe
pas encore en procédure pénale ! Nous avons donc eu tort d'admettre cette
disposition, reconnaissons-le, et nous avons vu les difficultés qui pouvaient
se poser - souvenez-vous : nous avons tous des exemples à l'esprit - lorsque
tel accusé est acquitté et que tel autre est condamné. Admettons-le donc
simplement, sereinement, avec toute l'humilité dont il convient de faire preuve
quand on légifère.
La proposition de la commission des lois consistant à réserver les appels
d'arrêts d'acquittement aux procureurs généraux me paraît particulièrement
pertinente et sage. Un dialogue s'établira entre le procureur et le procureur
général, et je crois que les décisions seront ainsi prises plus sereinement.
Par ailleurs, je suis persuadé depuis longtemps - mais c'est un autre débat -
qu'il serait utile d'affirmer davantage le rôle des procureurs généraux dans la
conduite de l'action publique. La proposition de notre collègue Jean-Pierre
Schosteck ne peut qu'y contribuer.
Dans ma proposition de loi, je suggérais de prendre un certain nombre d'autres
mesures.
J'avais ainsi pensé qu'il convenait de préciser les termes de la notification
du droit au silence. Le droit au silence existe, mais reconnaissons que la
notification de ce droit par l'officier de police judiciaire au début de la
garde à vue n'est pas le plus sûr moyen de faire émerger la vérité.
La Grande-Bretagne elle-même a modifié il y a peu sa législation sur ce point
: les enquêteurs britanniques précisent désormais aux personnes gardées à vue
qu'elles peuvent garder le silence, mais que cette attitude peut nuire à leur
défense si elles font état, à l'audience, de faits qu'elles auraient tus au
cours de la garde à vue.
Il me semble que, quand on essaie de copier un système étranger, il faut
regarder l'ensemble du système et pas seulement certains de ses aspects.
M. Michel Caldaguès.
Très bien !
M. Hubert Haenel.
J'avais donc pensé qu'il serait utile qu'une personne placée en garde à vue
sache que son silence pouvait être contraire à ses intérêts. Je me rallie
volontiers sur ce point à la position prise par la commission des lois, qui
améliore le texte actuel.
En ce qui concerne les témoins, la loi sur la présomption d'innocence a
supprimé toute possibilité de les placer en garde à vue. C'est une bonne chose,
mais il convient de préciser plus clairement les conditions dans lesquelles les
témoins peuvent être entendus.
J'avais proposé de prévoir une possibilité de les retenir - et rétention ne
signifie pas garde à vue, dans mon esprit - pour quatre heures, conformément au
système prévu en matière de vérifications d'identité.
La commission a choisi une autre solution et a adopté une mesure plus limitée,
consistant à permettre aux officiers de police judiciaire de contraindre
eux-mêmes un témoin à comparaître en cas de flagrance. C'est un système simple
qui évitera certaines difficultés rencontrées actuellement par les officiers de
police judiciaire, et, pour ma part, j'y souscris.
Je remercie la commission d'avoir repris deux des mesures relatives aux
enquêtes que j'ai cru utile de présenter : d'abord, la possibilité de prolonger
la durée des enquêtes de flagrance ; ensuite, la possibilité d'effectuer des
perquisitions en enquête préliminaire, sous le contrôle du juge des libertés,
bien entendu.
Ces mesures peuvent faciliter la tâche des acteurs de la procédure pénale dans
le sens de cet équilibre dont j'ai déjà parlé.
En ce qui concerne les durées de détention provisoire, la commission a accepté
la proposition de prolongation exceptionnelle que j'ai formulée, mais elle
pouvait difficilement faire autrement puisque j'avais moi-même pris cette
position au cours des travaux de la commission.
J'ai aussi proposé de permettre une limitation des comparutions personnelles
des détenus qui formulent sans cesse des demandes de mise en liberté.
Tous ceux qui président une chambre de l'instruction aujourd'hui le savent
bien : on abuse de ces demandes de mise en liberté, notamment pendant les
vacances judiciaires, quand on sait que le greffier n'est pas le greffier de la
chambre et que le président et les assesseurs de remplacement ne sont pas
habitués à ces procédures chausse-trape, ce qui explique parfois ce scandale
que constitue la mise en liberté de certains prévenus.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui !
M. Hubert Haenel.
Si les détenus savent qu'ils ne feront plus cette balade qui va les amener de
leur lieu de détention au siège de la cour d'appel, peut-être formuleront-ils
moins de demandes de mise en liberté ! Et je ne parle pas ici du problème des
escortes de gendarmerie et de police.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah oui !
M. Hubert Haenel.
En effet, les gendarmes ou les policiers assurent ces escortes, qui n'ont
parfois guère de sens, et il faut essayer de les soulager un peu de ces
contraintes. Voilà un moyen de le faire.
Enfin, j'avais proposé de prévoir une purge régulière des nullités pendant les
instructions, afin d'éviter que des années de procédure ne s'effondrent au
moment du renvoi devant la juridiction de jugement. Je remercie la commission
d'avoir amélioré le système que je proposais.
Vous le voyez, madame la ministre, mes chers collègues, les propositions que
j'ai formulées et celles que vous propose la commission des lois, auxquelles je
souscris pleinement, sont des améliorations ponctuelles et techniques qui n'ont
pas du tout pour objet de remettre en cause les principes et l'équilibre de la
loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes.
En revanche, certaines dispositions adoptées par l'Assemblée nationale posent
des problèmes de principe.
Si le texte prévoit que le procureur est non pas la dernière roue de la
charrette mais la deuxième ou la troisième, après l'avocat, le Conseil
constitutionnel risque de censurer cette disposition ! L'avocat, contrairement
au procureur, ne contrôle pas la garde à vue ! Mais, sur ce point, M. Badinter
pourra peut-être nous donner davantage d'explications tout à l'heure. J'espère
en tout cas que nous serons entendus et que nous remettrons le procureur à sa
juste place.
En conclusion, j'approuve, naturellement, les propositions de la commission,
dont je remercie les membres - particulièrement son président et son rapporteur
- et j'espère, madame la ministre, que certains de nos amendements trouveront
grâce à vos yeux.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'encre du
Journal officiel
à peine séchée, et alors qu'elle n'était même pas
entrée en application, certains, par conservatisme inavoué ou par opportunisme,
dénonçaient le caractère prétendument laxiste de la loi du 15 juin 2000
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes. Sur une affaire précise, d'ailleurs, ce n'était pas la loi qui était
en cause : on lui imputait ce qui ne relevait pas d'elle.
Nous avons pu voir, à partir de quelques exemples regrettables révélant de
graves dysfonctionnements de certains juridictions et des faits souvent
inadmissibles, ceux-là même qui parfois critiquaient le caractère archaïque de
la procédure pénale antérieure réclamer la révision de la loi, voire son
abrogation pure et simple. Je n'ose pas dire que certains de ceux qui l'avaient
votée se joignaient à ces réclamations !
Si l'on ajoute à ce contexte un profond malaise des forces de police et de
gendarmerie face à la montée de la délinquance et de la violence dont elles
sont également, hélas ! les victimes - nous avons vu combien de policiers et de
gendarmes avaient été victimes de la grande délinquance - les conditions
étaient réunies pour que le chaudron politico-médiatique bouillonne, et que le
pouvoir s'affole !
Dans l'urgence, qui est souvent mauvaise conseillère, le Gouvernement confiait
à un, puis à deux parlementaires le soin de faire des propositions pour calmer
les esprits, sans d'ailleurs que soient analysées avec précision les causes des
ratés de l'application de la loi.
Bientôt, plus personne, sur les bancs de nos assemblées, n'aurait osé dire
qu'il avait voté la loi, même si, sur certains points particuliers, on l'a
noté, les compromis de la commission mixte paritaire ne sont pas toujours les
meilleurs.
Certaines mises en garde auraient dû être entendues. Devant l'ampleur de la
réforme de la procédure pénale résultant de la loi du 15 juin 2000, nous
avions, entre autres, émis des doutes sérieux sur son application correcte en
raison du manque manifeste de moyens qui l'accompagnait, mais en vain. Cela
reste vrai, madame la garde des sceaux, malgré les rattrapages des deux
derniers budgets.
Avant d'en venir aux propositions équilibrées que nous soumet la commission
des lois sur la base du texte voté par l'Assemblée nationale et de la
proposition de loi de notre excellent collègue Hubert Haenel, dont
l'antériorité est incontestable, il est indispensable de rappeler les principes
de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits
des victimes, loi que le Sénat, dans sa très grande majorité, avait soutenue
avec conviction et sérieux, me semble-t-il en réalité, j'en suis sûr, car j'ai
relu les débats de notre assemblée sur ce sujet.
L'honneur du Parlement est certainement non pas de se désavouer en permanence
- comment le croirait-on encore ? - mais d'accepter, lorsqu'il s'agit de textes
complexes, d'en analyser l'application pratique pour apporter les améliorations
nécessaires à une meilleure efficacité, sans les dénaturer.
Qui n'a, dans le passé, dénoncé les milliers de mises en détention provisoire,
parfois fort longues et marquées par l'absence de véritables mesures
d'instruction, qui ont été suivies d'un non-lieu ou d'un acquittement ? Combien
de vies, de réputations brisées sur la base de dénonciations parfois anonymes
?
Après plusieurs tentatives infructueuses, allant d'une meilleure motivation
des ordonnances des juges d'instruction jusqu'à deux ou trois reprises, la
séparation des fonctions de juge d'instruction et de juge de la mise en
détention, il était temps de sortir enfin de l'ornière qui ramenait à une
présomption de culpabilité, quelles que soient les modifications sémantiques
apportées aux textes sur ce sujet.
Davantage de contradictoire, des délais d'instruction plus clairement définis,
est-ce vraiment scandaleux et attentatoire à l'efficacité de la justice ?
Certes non, d'autant que les infractions faisant l'objet d'une instruction ne
représentent que 8 % des procédures devant les juridictions pénales. L'amalgame
entre ce qui concerne la délinquance de voie publique, qui est la plus
inquiétante par sa progression, et la loi du 15 juin 2000 est, de ce point de
vue, peu pertinent, voire, dans certains cas, scandaleux !
Le second thème de nos débats a été l'appel en matière criminelle.
Les possibilités de révision - la solution avait été envisagée à un moment
donné, mais elle supposait aussi des moyens nouveaux - n'ont pas été ouvertes
suffisamment largement. Le Parlement, sous la législature précédente, a certes
inscrit à son ordre du jour une telle réforme. Il aurait suffit de reporter son
application de quelques mois pour permettre sa mise en oeuvre dans les
juridictions. Il n'est donc pas utile d'insister sur le caractère déterminant
de l'apport du Sénat sur ces questions.
Parmi les très nombreux points abordés par la loi du 15 juin 2000 figurait le
difficile problème de la garde à vue.
Les débats s'étaient focalisés, à l'époque, sur la présence de l'avocat dès la
première heure de garde à vue, processus annonciateur, pour certains, de
catastrophes, étant précisé que, lorsque cette présence intervenait à la
vingtième heure, les mêmes disaient la même chose !
Sans doute avons-nous ajouté et surajouté des éléments de procédure tatillonne
qui ont été ressentis par beaucoup d'officiers de police judiciaire comme une
suspicion à leur encontre, ces éléments nouveaux risquant, en outre, de nuire à
l'efficacité du dispositif.
Mais, outre les principes constitutionnels qui justifient que l'ensemble du
dispositif ne soit pas remis en cause, ce que j'ai évoqué pour la détention
provisoire pourrait s'appliquer
mutatis mutandis
à cette phase de la
procédure.
C'est pourquoi il convient de réaffirmer, comme notre rapporteur l'a fait très
justement, que la réforme de la procédure pénale était indispensable. Le Sénat
a apporté une contribution majeure à ce travail, notamment en ce qui concerne
les conditions de mise en oeuvre de la réforme de la procédure criminelle ou de
la libération conditionnelle, qui avait été préparée, je le rappelle, par la
commission Farge. A l'époque, on nous disait : « On verra demain ». Maintenant,
on nous dit : « Faisons-le aujourd'hui ».
Il convient également de remédier aux difficultés d'application de la réforme,
tout en rappelant qu'il s'agit avant tout d'une question de moyens.
Dans la discussion générale, et s'agissant de points certes importants mais
sur lesquels nous aurons à revenir lors de l'examen des articles, il ne saurait
être question de reprendre l'ensemble des propositions de la commission des
lois. M. le rapporteur et M. Haenel l'ont fait excellemment.
Sur les droits des personnes placées en garde à vue, rien ne doit être modifié
en ce qui concerne l'information du parquet, qui a l'impérieuse nécessité de
s'organiser à cet effet - là encore, c'est une question d'organisation, donc de
moyens - mais il n'est pas question de déroger à ce principe qui a été approuvé
par l'ensemble du Parlement.
Les autres améliorations prévues, qui ne remettent pas en cause les principes,
notamment en ce qui concerne les diligences prévues par les articles 63-2 et
63-3 du code de procédure pénale, sont essentiellement d'ordre pratique.
Quant à la notification du droit de se taire, fort paradoxale, elle était mal
comprise par les enquêteurs. Alors qu'on vient de vous prendre sur le fait et
de vous arrêter, vous auriez le droit de ne rien dire !
La formule retenue par la commission des lois est plus équilibrée, tout comme
les règles prévues pour les témoins en cas de crimes ou de délits flagrants. Il
en est de même pour les dispositions prévues lors des enquêtes pour les
perquisitions et les flagrances.
Auparavant, les douaniers, qui avaient à peu près tous les droits, étaient
chargés de ces missions, le code des douanes étant beaucoup plus libéral que le
code de procédure pénale. Ils étaient également chargés d'ouvrir les coffres de
voitures. Mais aujourd'hui, en application des nouvelles règles relatives à la
lutte contre les actes terroristes, les policiers peuvent, eux aussi, ouvrir
les coffres des voitures.
S'agissant de la détention provisoire, la cohérence conduit à permettre le
placement en détention provisoire des « réitérants » lorsqu'ils encourent trois
ans d'emprisonnement. Ce traitement doit demeurer en rapport avec celui qui
s'applique aux récidivistes. On ne peut pas faire deux poids deux mesures.
Je comprends aussi la nécessité de prévoir, à titre exceptionnel et en
l'entourant de garanties sérieuses, la prolongation de la détention provisoire.
Je souhaite cependant que la chambre de l'instruction ne soit pas une chambre
d'enregistrement des demandes, comme cela a été trop souvent le cas dans le
passé pour les chambres d'accusation.
A cet égard, puisque le dispositif actuel est étrange, en ce qu'il met sur le
même plan l'autorité parentale et les nécessités de l'instruction - nous
l'avons dit à plusieurs reprises - j'approuve les propositions de M. le
rapporteur concernant les délinquants titulaires de l'autorité parentale.
Toute personne ayant commis un acte grave est un délinquant, voire un
criminel. Il ne s'agit aucunement de ne pas mettre un délinquant en détention
provisoire. Nous l'avions déjà dit, mais sans être entendus.
Une heureuse disposition concerne la purge des nullités. Elle ne peut que
renforcer l'efficacité de la procédure pénale.
(M. Badinter sourit.)
Cela obligera chaque partie, la défense et la
magistrature, à faire son travail, à vérifier en permanence que les dossiers
sont bien en l'état.
Enfin, le dernier point porte sur l'appel du parquet en cas d'acquittement. Ce
point a été longuement discuté lors de nos précédents débats. Certains de nos
collègues y ont d'ailleurs largement participé.
A la lumière de quelques décisions récentes, cet appel paraît justifié, sans
doute au niveau du procureur général, comme le propose la commission. Je vois
déjà M. Badinter se réjouir d'une discussion sur ce sujet.
Telles sont les observations qui justifient le soutien de mon groupe à ce qui
constitue, hélas ! une énième réforme - je me demande si l'on en est pas à 106
ou à 107 - de la procédure pénale depuis deux décennies. Quand cesserons-nous
de modifier les textes en permanence, de créer de nouvelles inculpations, de
nouvelles infractions, etc ? Il serait temps de faire une pause.
Sans renier aucun des principes de protection de la présomption d'innocence,
les modifications proposées permettent de lui donner une meilleure efficacité.
Souhaitons qu'elles contribuent à donner aux acteurs de la justice une
meilleure connaissance de la difficulté mais aussi de la noblesse de leur
mission.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous
sommes invités à discuter d'un texte que nous avons déjà longuement travaillé.
M. Hyest n'avait donc pas tort de comparer le travail du législateur en matière
de procédure pénale à celui de Pénélope.
Sauf erreur de ma part, nous devons en être à la quatorzième ou à la quinzième
réforme de l'instruction depuis vingt ans ! C'est dire à quel point la tâche de
ceux qui ont à l'appliquer n'est pas facile. Je comprends donc bien des
irritations.
S'agissant plus précisément du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui,
je dirai d'emblée que je me demande si cette ultime - je l'espère - péripétie à
propos de cette grande loi est indispensable. Je n'en suis pas absolument
convaincu.
Je fonderai mon argumentation sur une considération générale : il est évident
qu'il n'y a pas de grande loi de procédure qui n'appelle, après quelques
années, sinon une remise en chantier, du moins un retour pour vérification afin
de prendre en compte des effets que l'on n'avait pas nécessairement pu prévoir.
C'est ainsi pour tous les nouveaux modèles, pour tous les prototypes. Il n'y a
aucune raison qu'il en soit différemment en matière législative.
Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de le constater pour d'autres textes. Je
me souviens ainsi qu'à l'époque où je l'enseignais le droit des sociétés avait
connu, de 1966 à 1980, douze réformes, sauf erreur de ma part, ce qui était
aussi beaucoup.
Quoi qu'il en soit, s'agissant de cette matière importante, je crois que l'on
aurait pu attendre encore avant de tenter de remédier par un nouveau texte à
telle ou telle difficulté de mise en oeuvre pratique, voire à tel ou tel effet
imprévisible, sinon pervers.
Une période d'adaptation est nécessaire. Celle que nous avons connue est-elle
suffisante ? Il n'y a pas de texte nouveau sans difficultés d'adaptation ! Il
n'y a pas de texte nouveau sans une certaine irritation du corps judiciaire,
qui réclame toujours des réformes, mais qui a naturellement du mal à s'y
habituer.
A propos de la présomption d'innocence, je dois dire avec regret que l'on a
assisté à une surprenante et tout à fait excessive levée de boucliers, d'autant
que, comme vous, monsieur le rapporteur, et comme, je pense, la totalité
d'entre nous, je considère qu'il s'agit d'une loi nécessaire et, pour
l'essentiel, d'une bonne loi.
On a parfois mis en cause la loi à l'occasion de décisions, certes fâcheuses
et quelquefois aberrantes, mais qui avaient été rendues sous le régime de la
loi antérieure et ne pouvaient donc, de ce fait, être la conséquence de cette
nouvelle loi. On a déclaré que certaines formalités - il est vrai assez
complexes - devaient disparaître alors qu'elles sont dictées, en réalité, par
le nécessaire respect de la garantie des libertés individuelles et que la
pratique permet d'alléger le fardeau de la police judiciaire.
On a fait de la loi une sorte de bouc émissaire, lui reprochant de ne pas
accorder suffisamment de moyens et d'organiser les services de police et de
justice ainsi que leurs relations d'une manière peu rationnelle. Mais pour
répondre à ces critiques, il faudrait plutôt un ingénieur en recherche
opérationnelle que des dispositions législatives !
Bref, nous avons entendu tumultes et imprécations bien au-delà du nécessaire.
De ce fait, M. le Premier ministre a eu parfaitement raison de confier à un
parlementaire très concerné par ces problèmes, M. Dray, un rapport sur la mise
en oeuvre de la loi.
Après avoir écouté les intéressés, il a réfléchi aux améliorations pratiques
qui pouvaient être apportées au texte. Il s'est acquitté de cette tâche avec
talent. Il a remis le rapport que nous connaissons, dans lequel il suggère des
modifications, pour la plupart de nature pratique ou réglementaire, et que l'on
ne peut qu'approuver.
Devait-on aller au-delà et procéder à une modification législative immédiate ?
Je vous dis très simplement, madame le garde des sceaux, ma réponse est non.
Après avoir lu attentivement votre circulaire du mois de janvier 2002 envoyée
au parquet, circulaire peu connue et peu médiatisée - témoignage et hommage
vous en soit rendu en ce temps - la modification n'était pas indispensable.
Mais la machine législative était déjà en route !
M. Dray considérait sans doute que la simple amélioration des procédés, des
formalités, l'amélioration des techniques et le renforcement nécessaire des
moyens matériels auraient dû suffire. Mais nous nous trouvons maintenant devant
un texte et nous nous devons de le rendre le plus utile possible.
Dans quel esprit le groupe socialiste aborde-t-il cette discussion ? Les
choses sont simples et claires, pour nous. La loi du 15 juin 2000, présentée
quelquefois avec un excès d'honneur, est une bonne loi, même si elle ne
constitue pas une réforme fondamentale de la procédure pénale française.
Elle comporte des adjonctions, des innovations et des améliorations qui sont
très substantielles et qui étaient attendues depuis longtemps.
Celui qui vous parle en cet instant, madame la garde des sceaux, demandait
déjà, il y a dix-huit ans maintenant, que les libérations conditionnelles
soient confiées à un tribunal de l'exécution des peines et déposait un projet
de loi qui a véritablement beaucoup attendu.
Comment ne pas se réjouir, de la même façon, que nous ayons enfin le second
degré de juridiction de cour d'assises ? Ce problème a préoccupé des
générations successives de législateurs et de gardes des sceaux, avant
d'aboutir - heureusement ! - à une décision du Parlement qui constitue un
progrès important et qui résulte principalement, je tiens à le rappeler, d'un
apport de notre excellent collègue M. Jolibois, qui, hélas ! n'est plus parmi
nous aujourd'hui.
S'agissant des garanties des justiciables, nous avons apporté des
clarifications, des précisions, et nous avons procédé à des harmonisations
nécessaires avec le droit européen, dont je ne vais pas reprendre le détail.
Permettez-moi de rappeler - ce n'est pas indifférent à ce stade de notre
discussion - que nous avons été cinq ou six, au sein de la commission des lois,
à rechercher pendant des jours - M. Ulrich s'en souvient très bien - un
équilibre, qui était nécessaire, entre la condition de témoin lorsqu'il
n'existe aucun indice ni charge, la situation de gardé à vue, et, partant, la
définition du témoin assisté, pour finir par le mis en examen.
Sur tous ces points, les travaux parlementaires ont été marqués d'une volonté
de progrès et d'un souci de répondre à l'objectif de la loi véritablement
remarquables, je dois le souligner, et ont abouti à des résultats qui me
paraissent précieux.
Puisque j'évoque ce passé récent, je tiens à rendre hommage à votre
prédécesseur, Mme Guigou - je le lui avais dit. Même si le texte de la loi ne
reflète pas la totalité du projet initial à la suite d'importantes adjonctions
parlementaires - mais il est important et satisfaisant qu'il en ait été ainsi -
c'est tout de même grâce à Mme Guigou, à son caractère, à son énergie, à sa
compétence et à sa force de conviction que nous sommes arrivés heureusement au
port, et je trouve légitime que la loi porte son nom, même si toutes les
dispositions n'émanent pas de l'autorité ministérielle.
Face à ce texte, quelle sera aujourd'hui la position que nous adopterons ? Je
ne vais pas à l'avance énoncer ce qu'elle sera, mais je tiens à définir
l'esprit dans lequel nous interviendrons : un esprit constructif et ouvert.
Nous partons du principe que cette loi n'est pas destinée à accroître
l'efficacité de la police judiciaire. Cette loi, dont l'inspiration initiale
revient - il faut le rappeler - au Président de la République, qui a été
reprise par le Gouvernement et mise en oeuvre par la garde des sceaux de
l'époque, tend à renforcer les garanties de la présomption d'innocence et des
droits des victimes.
Profiter du retour en cale sèche, si j'ose dire, pour apporter des adjonctions
qui relèvent souvent de vues intéressantes et peut-être nécessaires, mais qui
ne s'inscrivent pas directement, à ce stade, dans le texte que nous
connaissons, n'est pas, me semble-t-il du bon travail législatif. Nous serons
par conséquent très prudents et nous ne manquerons de dire ce qui nous paraît
aller dans le bon sens, apporter une précision utile, voire remédier à un
défaut éventuel, ou, au contraire, ce qui sort du cadre de la loi et donc ce
vers quoi nous ne pouvons pas aller.
Je terminerai en vous disant, avec le sentiment de reprendre la conclusion qui
avait été la mienne au terme des travaux de la loi du 15 juin 2000, que nous
sommes parvenus, j'en suis convaincu, au moment ultime - nous avons connu de
tels moments dans l'histoire de notre droit - où un ancien système va
disparaître et où un nouveau est en train de naître. C'est d'ailleurs ce qui
explique les difficultés que nous connaissons, y compris pour certaines
formulations que je critiquerai comme notre excellent rapporteur, concernant
l'apparition de certains termes qui relèvent plus d'une conception
anglo-saxonne que de notre procédure pénale.
En vérité, nous connaissons un mouvement irrésistible et qui n'existait pas
antérieurement : la fin de la souveraineté juridique nationale, dans le domaine
de la procédure pénale tout particulièrement, lieu d'exercice privilégié
historiquement de la souveraineté. C'est ainsi ! Pour moi, le jour marqué d'une
pierre blanche, le plus heureux de mon ministère avec le 8 octobre 1981, c'est
celui où l'on a levé les réserves à Strasbourg concernant le recours devant la
Cour européenne des droits de l'homme des justiciables français. A partir de ce
moment-là, j'ai su - mais je n'étais pas le seul - que ce levier changerait
tout et beaucoup plus aisément que la seule volonté politique.
Ces principes qui sont inscrits dans la convention européenne des droits de
l'homme, qui sont développés par la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme et qui sont, pour une grande part, comme vous l'avez à juste
titre rappelé, à l'origine des dispositions que nous avons adoptées, sont
maintenant communs à l'ensemble des pays européens, et leur respect est
contrôlé par une juridiction qui s'assure précisément qu'ils sont suivis par
tous.
Ce mouvement d'européanisation - il ne s'agit pas ici de la mondialisation,
pas encore ! -, est irrésistible pour une raison simple : nous ne pouvons pas
nous permettre d'être - je le dis en riant - des « multirécidivistes » de
condamnations par Strasbourg. Nous y remédions et nous ne sommes pas les seuls
; il suffit de voir ce qui s'est passé en Grande-Bretagne. Dieu sait qu'il n'y
a pas plus attachés à leur justice pénale traditionnelle que nos amis
britanniques, convaincus qu'ils ont, depuis des siècles, le meilleur système du
monde ! Il n'empêche qu'ils ont introduit dans leur droit interne la convention
européenne des droits de l'homme pour éviter d'avoir à subir les condamnations
répétées de la Cour européenne des droits de l'homme.
Lorsque vous examinez ce mouvement, vous constatez que toute l'Europe souhaite
consacrer dans sa législation nationale des principes qui nous sont communs. A
partir de ces principes communs, garantis par un contrôle juridictionnel très
précis, s'est mise inévitablement en place une harmonisation, prélude à une
unification ô combien nécessaire et souhaitable.
Vous avez beaucoup oeuvré ces temps-ci, madame le garde des sceaux, non sans
difficultés, face à quelques réticences transalpines, en faveur d'un mandat
d'arrêt européen. Là aussi se profilent les lignes de l'avenir.
En définitive, je souhaite, pour ma part, que nous arrêtions là les réformes,
les ajustements, les révisions, les avancées suivies de retour de la procédure
pénale, et particulièrement s'agissant de la procédure préparatoire à
l'audience elle-même. Il n'est que temps que nous procédions enfin à une
réflexion commune nécessaire pour dégager, à partir des principes définis qui
unifient l'Europe, ce qui devra être la procédure pénale de demain, et je
souhaite que nous soyons les premiers à mettre au point le modèle européen. Ce
n'est pas du tout hors de notre portée. Nous savons très bien comment combiner
ce que l'on appelle, par des formules réductrices, l'accusatoire et
l'inquisitoire, pour dégager ce modèle qui prendra le meilleur de l'un et de
l'autre. D'ailleurs, on va déjà dans ce sens.
C'est vrai, on le sait, au niveau des tribunaux pénaux internationaux, nous
aurons l'occasion d'en reparler. C'est encore plus remarquable s'agissant de la
Cour pénale internationale, puisque le règlement a cette fois-ci été élaboré
par des juristes venant de nombreux pays, et ils sont tombés d'accord sur un
modèle qui, en effet, recueille beaucoup de l'accusatoire, mais aussi le
meilleur de notre procédure traditionnelle, avec le contrôle au niveau de
l'instruction que l'on connaît.
C'est donc dans cette direction qu'il faut aller. Aujourd'hui, j'ose espérer
que c'est la dernière scène avant que le rideau se lève sur le prochain acte.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je
dois exprimer aujourd'hui la profonde déception que j'éprouve à me trouver dans
cette enceinte pour discuter de la révision de la loi du 15 juin 2000 à quinze
jours de l'interruption de la session.
Comme je l'avais déjà indiqué à l'occasion du vote du budget de la justice en
décembre 2000, je ne puis que regretter un aménagement de la loi qui me semble,
tant sur le fond que sur la forme, discutable.
Il ne s'agit pas de « fétichisme » à l'égard de la loi - ce n'est pas mon
genre. Mais lorsqu'on parle de procéder à une modification de loi, loi saluée
par tous comme un progrès nécessaire permettant de placer la France au niveau
des standards européens, on est en droit de se poser des questions. C'est
encore plus vrai lorsqu'il s'agit d'une loi retouchée quelques mois seulement
après son adoption et entrée en application voilà à peine un an, sept mois pour
ce qui est de l'application des peines.
Il n'est pas question pour les sénateurs communistes d'occulter les
difficultés que rencontrent tant l'institution judiciaire que les forces de
police et de gendarmerie dans l'exercice de leurs missions.
Une part de ces difficultés tient certainement au changement de « culture »
qu'entraîne la loi. On constatera d'ailleurs que les juges d'instruction sont
eux-mêmes confrontés à un alourdissement de leurs tâches consécutif aux
nouvelles obligations vis-à-vis des victimes, notamment sur le plan de
l'information.
Pour difficiles qu'ils soient, ces changements, ne l'oublions pas, ont été
voulus par le Parlement dans sa très large majorité ; il ne saurait donc être
question de les remettre en cause, d'autres l'ont dit, sauf à contester le rôle
même du législateur. Il convient d'ailleurs d'observer que, loin du « bogue
judiciaire » annoncé, les acteurs ont montré leur capacité à s'adapter de façon
à permettre l'entrée en application immédiate de la réforme.
Si certains points névralgiques subsistent, on notera que la circulaire du 10
janvier 2001 a utilement permis un allégement pratique des contraintes - je
pense en particulier aux formulaires simplifiés - et joué ainsi un rôle
fondamental d'accompagnement de la réforme.
C'est d'ailleurs sur la base de la circulaire qu'ont été proposées les
modifications visées à l'article 1er, s'agissant des personnes susceptibles de
faire l'objet d'une mesure de garde à vue, puisque celle-ci indiquait déjà que
la notion d'indices devait être comprise comme « l'existence d'une raison
plausible permettant de soupçonner » que la personne est liée à
l'infraction.
Convenons encore que la plupart des difficultés recensées n'ont pas
grand-chose à voir avec la loi elle-même, sauf à être les révélateurs de
dysfonctionnements plus profonds. Le rapport Lazerges a su montrer, de ce point
de vue, combien la loi a rendu nécessaire une réflexion de fond sur les
méthodes de travail, notamment des magistrats.
On doit ainsi regretter que la cristallisation autour de la loi du 15 juin
2000, devenue bouc-émissaire commode du mécontentement policier, aboutisse à
occulter la question autrement plus importante des moyens matériels et humains,
à l'heure où l'état des locaux de police et de gendarmerie donne la mesure de
l'effort financier nécessaire et où, dans un pays qui compte pourtant l'un des
ratios policier-habitant le plus fort, le déficit en officiers de police
judiciaire devient problématique.
Pourtant, il faut le souligner, l'augmentation du budget de la justice n'a pas
d'équivalent sous les précédentes législatures, mais le retard est tellement
important que l'effort paraît parfois dérisoire. En tout état de cause, il ne
saurait être question, par manque de moyens, de rogner sur les libertés.
Que la délinquance augmente, c'est un fait. Que les comportements violents se
multiplient, notamment chez les plus jeunes, il n'est pas question de le nier.
Que le sentiment d'insécurité soit exacerbé, c'est évident, même si les données
statistiques mériteraient un examen plus attentif.
D'ailleurs, cette réalité trouve-t-elle un début d'explication dans le vote de
la loi du 15 juin 2000 ? C'est la question qui est posée en filigrane. Cela
reste à démontrer, alors que certains manient avec allégresse un syllogisme
pour le moins étonnant : l'insécurité augmente ; la loi du 15 juin est mise en
accusation par les personnels de police et de gendarmerie chargés de la lutte
contre l'insécurité ; donc la loi est responsable de l'insécurité.
Vous avouerez que le raisonnement est pour le moins contestable, et j'attends
encore que l'on me démontre le lien entre la loi et l'insécurité. Je donne
acte, de ce point de vue, à la commission des lois d'avoir souligné que la
plupart des difficultés rencontrées n'avaient que peu à voir avec la loi du 15
juin 2000.
Car ce n'est pas à coup de réformes de la procédure pénale que l'on conduit
une politique de lutte contre la délinquance et l'insécurité. Celle-ci ne peut
passer que par une réflexion globale sur la délinquance, réflexion qui ne
pourrait se limiter à la stigmatisation des quartiers difficiles. La réalité de
l'insécurité est autrement plus complexe, et les gardiens de la paix, qui, eux,
sont sur le terrain, le savent bien. Elle tient à un ensemble de facteurs
touchant tous les domaines de la vie sociale, politique et économique. Elle
appelle donc des réponses qui dépassent largement le champ du pénal et du
répressif. Il ne peut y avoir de réponse unique. Trouver des solutions exige
des solidarités, des moyens en personnels, en infrastructures, et un dialogue
social. Mais cela prend du temps, exige de la détermination et une réflexion de
fond, et non du spectaculaire, dangereux, inefficace et porteur de
déceptions.
J'ai suivi comme vous avec attention les débats de l'Assemblée nationale à la
fin du mois de janvier dernier et je dois dire que la lecture du
Journal
officiel
m'a laissé une impression de malaise : à force d'entendre dire sur
l'ensemble des bancs que la loi est une bonne loi et qu'il ne faut pas la
remettre en cause, on finit par se demander pourquoi il convient de la
modifier, et le citoyen finit par ne plus comprendre grand-chose.
La commission des lois de notre Haute Assemblée n'échappe pas à la
contradiction : elle redit avec force la nécessité de la loi et son utilité, en
rappelant d'ailleurs la contribution du Sénat, tout en s'inscrivant dans la
logique de réforme.
Certes, le Gouvernement et les initiateurs de la réforme nous disent qu'il ne
s'agit que d'aménagements mineurs, destinés à « sauver » la loi, pour reprendre
les propos de M. Dray, propos qui auraient plutôt tendance à nous inquiéter -
la loi se trouve-t-elle en si grand danger ? - si le catastrophisme n'avait pas
toujours été de mise en la matière.
Cette situation « critique » justifierait l'urgence de la réforme. Et
pourtant, dans l'affaire, la précipitation est pour le moins contestable.
Tout d'abord, elle laisse de côté un certain nombre de points importants. La
question de la procédure d'appel des décisions de cour d'assises en est une
bonne illustration.
Cette disposition est certainement la moins contestée des deux propositions de
loi, bien que j'aie eu la surprise de constater qu'elle rencontrait de fortes
réticences chez les avocats : mettant en avant le caractère très imparfait de
ce « second examen », qui, comme chacun le sait, n'est pas fondamentalement un
appel, ils s'étonnent de cette « session de rattrapage » accordée au
parquet.
En la matière, les praticiens soulignent certains problèmes que je n'ai guère
entendu évoquer. Je pense notamment à l'absence de procès-verbal des débats,
dont on sait qu'elle pose un double problème, à la fois du point de vue des
victimes, appelées une nouvelle fois à comparaître, sur la même base, lors du
procès devant la seconde cour d'assises, avec toute la souffrance que cela
implique, mais également parfois aux jurés eux-mêmes, qui peuvent être étonnés
des écarts de réquisitions du parquet, que la presse s'empresse pour sa part de
rappeler, jouant en quelque sorte le rôle de greffier.
Lorsqu'on sait, à la lumière des premières expériences, que 80 % des appels
portent non pas sur le verdict de culpabilité mais sur le
quantum
de la
peine, on comprend que la commission des lois se soit saisie de la question.
Elle nous propose un système d'enregistrement des débats. Je ne suis pas
certaine que l'institution d'un procès-verbal n'aurait pas plus d'intérêt.
En tout cas, au vu de cet exemple, on peut mesurer combien il est regrettable
de ne pas avoir pris le temps de procéder à une réelle évaluation des
procédures. On court ainsi le risque d'additionner les modifications
successives - d'autres l'ont dit - ce qui, du point de vue de la sécurité
juridique, n'est franchement pas satisfaisant.
Car ce que nous contestons, ce n'est pas le principe même d'une évaluation.
Comme vous le soulignez, monsieur Schosteck, « il est normal que le législateur
- majorité et opposition confondues - soit attentif aux conditions de mise en
oeuvre des textes qu'il adopte et soit, le cas échéant, prêt à améliorer les
lois lorsque les difficultés se font jour ».
Pour qu'une évaluation soit effective, ne convient-il pas de privilégier le
regard objectif et serein que seul donne le recul du temps ? En l'espèce, il
faut déplorer que l'on ait procédé à partir de faits divers qui posent
problème, mais qui donnent au rapport de Julien Dray un caractère éminemment
circonstanciel. Si ledit rapport a le grand mérite de dresser le bilan des
mécontentements policiers et des blocages et difficultés pratiques - je ne le
conteste pas -, il semble difficile de parler d'évaluation.
D'ailleurs, vous le savez sans doute, les avocats et les magistrats n'ont pas
bien compris pourquoi ils n'étaient pas associés au processus.
Dès lors que l'ambiguïté a présidé à la rédaction de la proposition de loi à
l'Assemblée nationale, on comprend que le résultat soit décevant et confine
pour certains à l'affichage.
La commission des lois nous propose des modifications à double facette. Elle
apparaît, dans un sens, très scrupuleuse de la garantie des droits s'agissant
des principes fondamentaux de notre procédure pénale. Ainsi propose-t-elle des
modifications que nous aurions pu, sans conteste, faire nôtres.
Ainsi en est-il du retour à la notion d'indices comme critère de placement en
garde à vue, tant il est vrai que les termes « raisons plausibles », s'ils
renvoient à la convention européenne des droits de l'homme, sont cependant très
étrangers à notre droit, qui repose sur la présence d'éléments matériels. Les
termes « raisons plausibles » nous font, au contraire, entrer dans le règne du
subjectif, qui érige le soupçon en élément d'appréciation. En la matière, comme
le souligne notre rapporteur, il est important de privilégier la clarté.
Il en est de même pour la disposition qui rétablit l'information sans délai du
procureur. Cette position de la commission des lois nous paraît tout à fait
fondamentale. Toute autre position nous mettrait en contradiction avec
l'article 66 de la Constitution, qui fait de l'autorité judiciaire la gardienne
de la liberté individuelle. En application de ce principe, l'activité de la
police judiciaire est placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, et
spécialement lorsqu'elle implique une restriction de la liberté d'aller et
venir que sous-entend la garde à vue. Il n'est donc pas admissible de prévoir,
pour des raisons matérielles, dans un texte de loi, une altération de nos
principes fondamentaux.
L'ironie veut d'ailleurs que ces deux amendements aboutissent à revenir à la
rédaction initiale. En d'autres termes, une fois qu'on s'est aligné sur les
exigences de la convention européenne des droits de l'homme, on mesure combien
il est malaisé de revenir dessus.
Sur ces points, la circulaire aurait, en réalité, largement suffi : elle
aurait permis de préciser l'interprétation des dispositions législatives
lorsque leur application s'avère difficile du fait des circonstances.
On doit regretter que la commission des lois n'ait pas fait preuve de la même
rigueur s'agissant de ce que l'on appelle communément le « droit au silence ».
L'ajout que le prévenu prend la décision de se taire « sous sa responsabilité »
revient à dire que le silence peut lui être préjudiciable. On se trouve donc
dans le même cas de figure que la rédaction initiale de la proposition de loi,
dont les députés communistes avaient montré qu'elle n'était guère conforme à la
convention européenne des droits de l'homme.
Par ailleurs, si l'institution d'un délai de trois heures pour
l'accomplissement de certaines formalités, s'il a pu paraître « réaliste »,
elle peut être discutée. Il aurait mieux valu ne pas fixer dans la loi un délai
précis, car celui-ci sera forcément fonction des circonstances, lesquelles
peuvent d'ailleurs nous amener au-delà du délai de trois heures dans certains
cas. La mention du délai de trois heures aurait dû ressortir de la circulaire à
titre indicatif.
Quant à la question de la mise en détention des parents d'enfant de moins de
dix ans, je rappellerai que notre groupe avait appelé l'attention sur les
difficultés pratiques d'une telle disposition lors du vote de la loi ; il avait
suggéré une rédaction plus souple qui prenne en compte non seulement l'âge,
mais également l'état de santé ; on peut penser notamment aux enfants
handicapés, pour lesquels la référence à l'âge de dix ans apparaît peu
pertinente.
Les rédactions retenues, tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat,
videront, on le sait, de tout intérêt la disposition, spécialement si l'on se
réfère au texte relatif à l'autorité parentale que nous allons examiner par la
suite et qui rend très exceptionnels les cas d'autorité parentale exclusive. En
tout cas, nous sommes hostiles à son extension dans le domaine de la libération
conditionnelle, car nous ne sommes pas du tout dans la même logique que pour la
mise en détention provisoire. Je regrette vivement que la commission des lois
ait souhaité retoucher à ce chapitre de la loi qui est le moins contesté.
Au-delà, on doit déplorer que la majorité de la commission des lois ait mis
une nouvelle fois en musique son « programme anti-délinquants ». Mais il est
vrai que la réforme précipitée s'y prêtait.
Déjà, la question des réitérants a ouvert la boîte de Pandore, en permettant
au débat sur la sécurité et la lutte contre la délinquance de faire irruption
dans une question qui, à l'origine, n'était destinée qu'à remédier à certains
dysfonctionnements pratiques. On se souvient de la parabole de la madeleine du
député Tourret à l'Assemblée nationale, selon laquelle celui qui vole une
madeleine et la mange est punissable du délit de vol et du délit de recel et
pourrait être concerné par ces dispositions !
La commission des lois ne dit pas autre chose quand elle observe que l'on
finit, avec une telle mesure, par réprimer plus sévèrement le réitérant que le
récidiviste, qui a déjà fait l'objet d'une condamnation. Néanmoins, en
proposant de fixer à trois ans, au lieu de deux, la peine encourue pour la mise
en détention provisoire en cas de plusieurs délits, elle reste dans la même
logique d'augmentation des cas de détention provisoire.
En additionnant cette disposition avec la possibilité donnée à la chambre de
l'instruction d'augmenter les délais de la détention provisoire, on finit par
revenir sur la logique qui a présidé au vote de la loi, qui, se fondant en
partie sur les rapports parlementaires d'enquête sur les prisons, avait estimé
qu'il convenait de faire de la détention préventive une exception. On
remarquera d'ailleurs que, dans les faits, le recours à la détention
provisoire, après avoir chuté, est remonté, pour atteindre les seuils
antérieurs à la loi du 15 juin 2000.
La majorité de la commission des lois va même plus loin en proposant de
bouleverser l'état du droit en matière d'enquête préliminaire et de flagrance
ainsi que de nullité de procédure. Nous ne pouvons la suivre sur ce terrain.
Au regard des modifications qui devraient être votées, je reste aussi
dubitative que mes collègues de l'Assemblée nationale : si certaines vont dans
le bon sens en revenant sur des dispositions dont la constitutionnalité
apparaissait douteuse, d'autres confinent néanmoins, une fois de plus, à
l'affichage répressif, et nous ne pouvons les accepter.
Reste, sur le plan des signaux que l'on souhaite donner aujourd'hui, que les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent adhérer à la
logique qui a présidé à la révision de la loi du 15 juin 2000. D'autres ont dit
la même chose que moi ici. Mais, compte tenu des arguments que je viens de
développer, nous avons choisi de nous abstenir.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, je demande
une brève suspension de séance afin que la commission puisse examiner les
amendements qui lui sont parvenus juste avant la discussion générale.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le président.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-huit
heures dix.)