SEANCE DU 7 FEVRIER 2002
RAPPORTS CONVENTIONNELS ENTRE
LES PROFESSIONS DE SANTÉ LIBÉRALES
ET LES ORGANISMES
D'ASSURANCE MALADIE
Rejet d'une proposition de loi déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par
l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant rénovation des
rapports conventionnels entre les professions de santé libérales et les
organismes d'assurance maladie (n° 171, 2001-2002). Rapport de M. Alain
Vasselle, au nom de la commission des affaires sociales.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Alain
Vasselle, rapporteur.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers
collègues, ainsi donc il me revient l'honneur de parler le premier. Est-ce à
dire, madame la ministre, que vous souhaitez prendre des distances à l'égard
d'une proposition de loi socialiste dont chacun sait qu'elle n'est pas une
initiative parlementaire ?
Cette proposition de loi portant rénovation des rapports conventionnels entre
les professions de santé libérales et les organismes d'assurance maladie,
adoptée par l'Assemblée nationale le 10 janvier dernier, n'est que la reprise,
presque à l'identique, de l'article 18 de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2002, censuré, chacun s'en souvient, par le Conseil
constitutionnel le 18 décembre 2001.
C'est dire que le Sénat est pour beaucoup dans le dépôt et l'examen de ce
texte, puisque le Conseil constitutionnel, pour annuler cette disposition,
s'est appuyé sur l'argumentation des sénateurs auteurs de la saisine. Ceux-ci
avaient en effet estimé que l'article 18 avait été adopté à l'issue d'une
procédure irrégulière, qui n'aurait tendu qu'à contourner la jurisprudence du
Conseil constitutionnel relative à l'introduction de dispositions nouvelles
après la réunion de la commission mixte paritaire.
Je vous rappelle les faits tels que le Conseil constitutionnel en a rendu
compte dans sa décision.
Le Conseil constitutionnel a considéré que l'article 18 du projet de loi de
financement de la sécurité sociale ne présentait de relation directe qu'avec
l'un des articles introduits dans le texte en première lecture, numéroté 10 A
en cours d'examen, article qui était issu d'un amendement gouvernemental déposé
la veille de son adoption par l'Assemblée nationale et qui n'évoquait que de
façon vague et succincte des « engagements collectifs et individuels, le cas
échéant pluriannuels, portant notamment sur l'organisation des soins, sur
l'évolution des pratiques et de l'activité des professions concernées ».
Le Conseil constitutionnel a fait valoir que l'amendement insérant l'article
10 A dans le texte de la loi avait été présenté par le Gouvernement lui-même
comme un « amendement d'esquisse » dont la portée serait déterminée à une étape
ultérieure de la procédure législative, et que ce n'était qu'en nouvelle
lecture, à la suite d'un amendement déposé par le Gouvernement devant
l'Assemblée nationale, que le contenu de l'article 10 A avait été présenté.
Le Conseil constitutionnel a dès lors estimé que l'article 10 A avait été
remplacé après la réunion de la commission mixte paritaire par des dispositions
qui, compte tenu de leur portée et de leur ampleur, devaient être considérées
comme nouvelles et que son adoption n'était dictée ni par la nécessité de
respecter la Constitution ni par celle d'assurer une coordination avec d'autres
textes en cours d'examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle.
Il a, par conséquent, déclaré l'article 10 A, devenu l'article 18, contraire à
la Constitution.
MM. Jean Le Garrec, Jean-Marc Ayrault et Claude Evin ont alors déposé, deux
jours à peine après la décision du Conseil constitutionnel, la présente
proposition de loi, de sorte que, ni sous la forme d'amendement, ni sous la
forme de proposition de loi, le texte qui nous occupe n'a été délibéré en
conseil des ministres, pas plus qu'il n'a été soumis à l'examen du Conseil
d'Etat.
Examiné par la commission le 9 janvier, le texte a été inscrit par le
Gouvernement à l'ordre du jour prioritaire du 10 janvier et adopté par
l'Assemblée nationale. Que de célérité et de sollicitude de la part du
Gouvernement pour une simple « proposition de loi » !
Au Sénat, le Gouvernement a d'ailleurs déployé toutes les prérogatives de
l'ordre du jour prioritaire pour inscrire un texte qu'il n'avait cependant pas
souhaité signer.
Lors de la conférence des présidents du 15 janvier, il a demandé l'inscription
de cette proposition de loi à l'ordre du jour du 22 janvier ; le 29 janvier, il
réitérait une demande d'inscription pour le 1er février, avant de se rabattre
sur la date du 6 février ; le 5 février, enfin, c'est-à-dire avant-hier, il
confirmait l'inscription pour aujourd'hui même.
Le texte témoigne ainsi d'un curieux acharnement du Gouvernement et d'une
conception pour le moins autoritaire des relations avec les professionnels de
santé.
L'annulation de l'article 18 du projet de loi de financement de la sécurité
sociale aurait pu, en effet, donner au Gouvernement le temps nécessaire pour
procéder à une véritable concertation avec les professionnels de santé. Il n'en
a rien été.
Il s'agit, à l'évidence, pour le Gouvernement, de passer en force, au mépris
de toute concertation.
Cette concertation n'avait naturellement pas pu avoir lieu au moment de
l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, puisque
l'amendement avait été déposé le 20 novembre, soit la veille de son adoption en
séance publique à l'Assemblée nationale.
Le Gouvernement avait, certes, fait valoir que la concertation se poursuivrait
avec les professionnels de santé, mais c'est une curieuse concertation que
celle qui consiste à consulter sur une disposition déjà votée par l'Assemblée
nationale !
Outre qu'il révèle une méthode détestable, ce texte soulève de vraies
interrogations de fond.
Le dispositif proposé par le Gouvernement retient l'idée d'une architecture
conventionnelle à trois niveaux, avec un socle conventionnel commun à toutes
les professions, des conventions collectives par profession, auxquels
s'ajouteraient ensuite des contrats individuels que pourraient négocier les
médecins désireux de s'engager dans une démarche d'amélioration de la qualité
des soins - comme si tous les médecins n'avaient pas pour objectif permanent
d'améliorer la qualité des soins ! - en échange de rémunérations forfaitaires.
Peut-être voudrait-on simplement nous faire croire qu'ils ne seraient prêts à
le faire qu'en échange de rémunérations forfaitaires complémentaires !
La proposition de loi comporte six articles. Seuls les articles 2 et 5 ont été
modifiés, de manière marginale, par l'Assemblée nationale.
L'article 1er crée un accord-cadre regroupant les dispositions communes aux
différentes professions. Cet accord-cadre sera signé par le Centre national des
professions de santé, le CNPS, mais ne sera applicable à une profession donnée
que si au moins une organisation syndicale représentative de cette profession y
adhère. Bien que cet accord-cadre soit censé fixer les « dispositions communes
à l'ensemble des professions », son contenu n'est toutefois pas clairement
défini.
On notera que l'article 1er mentionne explicitement le Centre national des
professions de santé, ce qui confère ainsi, et de manière assez surprenante, un
rôle quasi institutionnel à cette organisation.
L'objectif politique est limpide : il s'agit d'obtenir ainsi le soutien du
CNPS à cette réforme. Le résultat est pour le moins décevant si l'on en juge
aux dernières déclarations du docteur Reignault, président du CNPS, dans
Le
Quotidien du médecin
du 5 février. Il y explique comment le Gouvernement
s'est trompé en voulant engager une réforme de fond des soins de ville alors
que la première attente des professionnels portait sur leurs honoraires.
L'article 2 traite du contenu des conventions professionnelles. Celles-ci
devront définir le niveau des tarifs ainsi que les engagements collectifs et
individuels des professionnels en matière d'organisation des soins, de respect
des bonnes pratiques, d'évolution des pratiques ou de l'activité. Elles
pourront mettre en place un fonds de modernisation.
Dans ce nouveau cadre, il est prévu que les modifications tarifaires feront
désormais l'objet d'une appréciation globale, incluant l'ensemble des
professions, ainsi que les modifications de nomenclature envisagées par les
partenaires conventionnels.
L'article 3 vise, selon le Gouvernement, à donner une nouvelle dynamique à des
dispositifs incitatifs créés par la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2000 : les accords de bon usage des soins sont élargis à l'ensemble des
professions. Il est prévu qu'ils peuvent donner lieu, comme les contrats de
bonne pratique, à des rémunérations forfaitaires. Le III de cet article
habilite l'Etat à proposer à l'adhésion individuelle des professionnels de
santé des accords de bon usage des soins ou des contrats de bonne pratique
lorsque les partenaires conventionnels ne l'ont pas fait ou en l'absence de
convention nationale.
L'article 4 crée des contrats de santé publique qui, étant complémentaires des
dispositions de l'accord-cadre ou de la convention professionnelle, permettront
aux professionnels qui adhéreront de percevoir des rémunérations forfaitaires
en contrepartie des engagements qu'ils prendront en matière d'actions de
prévention ou d'amélioration de la coordination et de la permanence des
soins.
L'article 5 tire les conséquences des modifications précédentes en supprimant
le pouvoir unilatéral des caisses de prendre des mesures pour les professions
placées sous une convention. Le système des lettres clés flottantes reste
cependant applicable aux professions qui n'ont pas signé la convention.
L'article 6 tire, dans les textes qui leur sont applicables, les conséquences
rédactionnelles de l'extension du dispositif commun aux transporteurs
sanitaires privés. Il comporte une disposition transitoire afin que les
partenaires conventionnels assurent avant le 31 décembre 2002 la mise en
conformité des conventions en vigueur avec les nouvelles dispositions
législatives. Il valide, enfin, tous les actes pris en application de la
convention nationale des masseurs-kinésithérapeutes, de ses annexes et
avenants.
Le dispositif proposé présente des faiblesses évidentes.
S'il retient bien l'idée d'une architecture conventionnelle à trois niveaux,
il ne tranche cependant ni la question du mode de régulation des dépenses, ni
celle des responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance maladie dans
cette régulation.
Ainsi, et c'est le principal reproche que l'on puisse formuler à son égard, il
laisse subsister, pour les professions non signataires d'une convention, le
mécanisme pervers des lettres clés flottantes institué par le Gouvernement dans
la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, que le Sénat a déjà
supprimé à de nombreuses reprises.
Cela explique d'ailleurs que, à l'exception de MG France, les syndicats de
médecins se soient déclarés hostiles à cette réforme, certains jugeant que le
maintien du mécanisme des sanctions collectives allait les forcer à négocier «
le revolver sur la tempe ». Le CNPS lui-même, par la voix de son président,
prend aujourd'hui ses distances par rapport à cette réforme.
Aux yeux de la commission, la suppression du dispositif de régulation par les
lettres clés flottantes constitue pourtant un préalable indispensable à la
reprise du dialogue avec les professionnels de santé et à l'ouverture d'une
véritable négociation sur une nouvelle architecture conventionnelle et sur un
nouveau dispositif de régulation des dépenses.
En outre, la réforme proposée ne résout pas le problème récurrent des
relations entre l'Etat et l'assurance maladie.
L'Etat conserve en effet la haute main sur le dispositif : c'est le
Gouvernement qui devra approuver les conventions ; c'est encore lui qui pourra,
dans certains cas, refuser les éventuelles revalorisations de tarifs proposées
par les caisses, c'est-à-dire par les partenaires sociaux ; c'est toujours lui
qui, en l'absence de convention, définira la règle du jeu et les sanctions
collectives.
Dans un avis adopté à l'unanimité le 20 novembre 2001, le conseil
d'administration de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs
salariés, la CNAMTS, a d'ailleurs fait part des fortes réserves que lui
inspirait ce texte. Ces réserves constituent autant de critiques sévères de la
politique menée depuis cinq ans par le Gouvernement.
La CNAMTS commence par condamner explicitement le système de régulation des
dépenses institué par le Gouvernement. Elle souligne ainsi « qu'il était
nécessaire de revoir le cadre législatif actuel des conventions nationales afin
d'offrir aux partenaires conventionnels la possibilité de s'extraire de la
régulation collective mécanique via les lettres clés flottantes et affirmer du
même coup que la régulation relève bien pour l'essentiel du champ conventionnel
».
Elle ajoute : « L'amendement proposé par le Gouvernement ne peut, certes, pas
être regardé comme une réforme achevée - elle appellera nécessairement de
substantiels prolongements - non seulement parce qu'il s'inscrit dans le cadre
inchangé des relations entre l'Etat et l'assurance maladie, mais aussi parce
qu'il ne modifie en rien le fait que la fixation annuelle de l'ONDAM ne repose
pas sur des priorités sanitaires clairement affichées ni même sur le contenu
médical identifiable, pas plus qu'il ne met fin au cloisonnement entre soins
hospitaliers et soins ambulatoires ou honoraires et prescriptions
pharmaceutiques, cloisonnement qui s'est avéré inopérant en termes d'efficacité
économique et ne correspond pas aux besoins des patients qui demandent, à
l'inverse, une approche plus cohérente et mieux coordonnée de leur prise en
charge par l'ensemble des acteurs, professionnels et établissements de santé,
assurance maladie obligatoire et complémentaire ».
La CNAMTS conclut ainsi : « Néanmoins, l'absence de réforme, même inachevée,
du cadre juridique condamnerait non seulement les partenaires conventionnels à
prendre le risque de ne pas pouvoir mettre en oeuvre les accords auxquels leurs
négociations aboutiront, mais laisserait également perdurer le mécanisme
quadrimestriel actuel de régulation des dépenses.
« Aussi, tout en regrettant les conditions d'élaboration de ce projet, le
conseil d'administration de la CNAMTS considère que la présentation par le
Gouvernement de l'amendement constitue une première étape et une opportunité
qui ouvre les perspectives auxquelles il appartiendra aux partenaires
conventionnels de donner corps, dans l'intérêt des patients. »
S'ensuit une liste de propositions de modifications du dispositif dont aucune
n'a, naturellement, été reprise par le Gouvernement, madame la ministre.
Nous sommes dès lors amenés à nous interroger sur la signification que peut
revêtir un texte qui, s'il est adopté, sera vraisemblement le dernier de la
législature et qui semble ne pas recueillir l'adhésion des acteurs concernés. A
l'évidence, chacun l'a compris, cette réforme n'a pas vocation à être mise en
oeuvre.
L'acharnement du Gouvernement a faire adopter cette proposition de loi ne peut
se comprendre que si l'on tient compte du contexte particulier dans lequel
s'inscrit l'examen de ce texte.
Notre pays a beau être régulièrement présenté comme le meilleur du monde dans
le domaine de la santé, notre système de santé traverse aujourd'hui - chacun
peut le constater - une crise grave.
Le monde de la santé est dans un état de profond désarroi : les grèves et les
mouvements revendicatifs se multiplient et touchent à la fois les soins de
ville et les établissements de santé.
S'agissant des soins de ville, on mesure les effets pernicieux du mécanisme
des lettres clés flottantes, qui a mis fin, en pratique, au fonctionnement du
système conventionnel et fait disparaître toute véritable possibilité de
régulation et de négociation conventionnelle.
Les établissements de santé subissent de plein fouet le choc d'un passage aux
35 heures qui n'a été ni préparé ni véritablement financé.
Notre système de santé est, en outre, menacé par la persistance de lourds
déficits de l'assurance maladie qui s'élèvent à 14,7 milliards de francs en
1998, à 4,8 milliards de francs en 1999, à 17,2 milliards de francs en 2000 et
à 11,5 milliards de francs en 2001.
Le simple prolongement des tendances enregistrées ces deux dernières années en
matière de dépenses de soins de ville amènerait le déficit du régime général à
près de 30 milliards de francs à la fin de l'année 2002, soit un déficit cumulé
sur cinq ans approchant 80 milliards de francs.
On mesure à cette aune l'effectivité du « redressement de la sécurité sociale
», dont, madame la ministre, vous aimez vous targuer régulièrement.
Il apparaît dès lors assez paradoxal de constater que l'assurance maladie, qui
constitue la branche déficitaire par excellence, se voit néanmoins ponctionnée
à un double titre, pour assurer le financement des 35 heures et la charge
financière qu'elle va supporter au titre des emplois créés dans les
hôpitaux.
A l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2002, la commission des affaires sociales a vivement condamné les
prélèvements opérés par le Gouvernement sur les recettes de la branche maladie
pour financer la coûteuse politique des 35 heures.
Cette politique creusant les déficits de la branche maladie et alourdissant
son endettement demeure incompréhensible et rend illusoire toute action tendant
à demander un quelconque effort de maîtrise des équilibres aux différents
acteurs de notre système de santé, tels que les gestionnaires des caisses, les
établissements, les professionnels de santé, voire les assurés sociaux.
Aujourd'hui, le Gouvernement estime qu'il appartient à la CNAMTS de négocier
avec les généralistes en grève. La démarche serait acceptable si elle ne
s'inscrivait pas dans une politique qui a gravement affaibli le principe même
de la gestion paritaire des caisses et qui a accru la confusion des
responsabilités dans le domaine de l'assurance maladie.
La démarche serait compréhensible si elle n'intervenait pas quelques semaines
après la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale, qui
comporte un objectif national des dépenses d'assurance-maladie voté
solennellement, sinon par le Parlement, du moins par l'Assemblée nationale.
Madame la ministre, le bilan de cette législature apparaît, en définitive,
désastreux : le monde de la santé est en ébullition permanente ; privée de
pilote, l'assurance maladie est devenue une sorte de bateau ivre.
Dans ce contexte, la proposition de loi paraît en complet décalage avec les
attentes des professionnels de santé et avec les défis auxquels notre système
de santé est confronté. Elle ne peut contribuer à dissiper les inquiétudes
légitimes qui se font jour chez les professionnels et les patients
eux-mêmes.
La proposition de loi n'a au fond pour objet que de répondre au souhait du
Gouvernement d'afficher une réforme des relations conventionnelles dont il sait
pertinemment qu'elle ne sera pas appliquée avant les prochaines échéances
électorales.
A l'évidence, cette proposition de loi relève de la gesticulation politique et
vise, avant tout, à masquer les échecs et l'impuissance du Gouvernement en
matière d'assurance maladie et de politique de la santé.
En annulant l'article 18, qui était censé être la réponse apportée par le
Gouvernement à l'inquiétude des professionnels de santé, le Conseil
constitutionnel avait sanctionné une gesticulation introduite en dernière
lecture de la dernière loi de financement de la sécurité sociale de la
législature.
Je propose au Sénat de sanctionner à son tour cette nouvelle gesticulation
dans ce qui sera peut-être la dernière loi promulguée de la législature, en
rejetant solennellement ce texte par l'adoption d'une motion opposant la
question préalable, à moins que l'exposé de Mme la ministre ne parvienne à nous
convaincre de l'intérêt d'une telle proposition.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord rappeler ce qu'il
en est de cette proposition de loi, après la présentation qui vient d'en être
faite par votre rapporteur et président de la commission des affaires sociales,
M. About.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est issue d'une
concertation approfondie avec les professionnels de santé et les partenaires
sociaux. Elle résulte en effet de travaux qui ont été menés pendant un an dans
le cadre du « Grenelle de la santé », au cours duquel, je le rappelle, j'ai
réuni, à partir du 15 janvier 2001, l'ensemble des professionnels libéraux.
Nous avons travaillé pendant six mois.
Au mois de juillet 2001, les propositions ont été rassemblées et nous les
avons soumises au Parlement, à la fois dans la loi de financement de la
sécurité sociale, dans la loi relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé, dont vous avez achevé l'examen cette nuit, et, pour ce qui
concerne la réforme des études médicales, dans la loi de modernisation
sociale.
La proposition de loi dont nous débattons est un élément de cet ensemble de
propositions destinées à améliorer la qualité et les conditions d'exercice de
la médecine de ville.
Ce texte a d'ailleurs recueilli, le 20 novembre 2001, l'approbation unanime du
conseil d'administration de la CNAMTS, lequel a souligné qu'il constituait la
première étape d'une réforme d'ensemble que, bien entendu, il conviendrait de
poursuivre.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que des dispositions identiques
à celles que comporte cette proposition de loi avaient été adoptées à
l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Elles ont été censurées par le Conseil constitutionnel, pour des raisons de
procédure, et non de fond car sinon un tel texte n'aurait, bien évidemment, pu
vous être soumis. Quoi qu'il en soit, ces dispositions ont donc déjà fait
l'objet de discussions approfondies, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Il ne s'agit pas, pour vous, d'une découverte.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est relative à notre
système de santé solidaire. En dépit de la présentation quelque peu
caricaturale que vous en avez fait tout à l'heure, monsieur About
(M. le
rapporteur s'exclame),
le succès de ce dernier est indéniable. Il est classé comme le meilleur du
monde - au point que des pays voisins, qui n'ont pas notre chance, nous
envoient leurs patients - parce qu'il allie la liberté et la solidarité : la
liberté du patient d'accéder, quel que soit son âge, à l'hôpital et au médecin
de ville, la liberté du médecin dans son exercice, sa prescription, son
installation et son mode de rétribution, le paiement à l'acte prévalant dans la
majorité des cas, la solidarité grâce, bien sûr, à l'édifice de la sécurité
sociale, consolidé par la couverture maladie universelle, que ce gouvernement a
instituée. Cet ensemble fait que, heureusement, dans notre pays, le malade peut
se faire soigner en présentant sa carte Vitale et non pas une carte de crédit
!
Dans ce système, un équilibre est assuré entre les intérêts des professionnels
et ceux des assurés, par le biais du contrat, c'est-à-dire de la convention. Je
rappelle que ce contrat prévoit que les professionnels bénéficient de la prise
en charge par les assurés sociaux d'une partie de leurs cotisations sociales.
Pour un généraliste, cela représente en moyenne 8 000 euros par an, soit
l'équivalent de plus de deux euros par consultation. Un tarif est négocié, et
le résultat de cette négociation profite à tous les professionnels, mais
s'impose aussi à eux : c'est un élément du contrat.
Ce n'est évidemment pas un système à l'anglaise, dans lequel les médecins de
ville seraient salariés par la sécurité sociale, mais c'est un contrat passé
entre les professionnels de santé et la collectivité. On peut certes souhaiter
instaurer un autre dispositif, mais il faut alors exposer clairement ce que
l'on veut. Or, bien que je vous aie écouté attentivement, monsieur About, je ne
vous ai pas entendu proposer une solution de remplacement.
M. Robert Bret.
Ils n'en ont pas !
M. Gilbert Barbier.
Nous ne sommes pas là pour ça !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
A moins que - cela
transparaissait parfois dans vos propos, mais pas d'une façon très nette - vous
ne souhaitiez instituer un système à l'américaine, fondé sur la concurrence
entre les assurances et l'absence de garanties pour les plus pauvres,
c'est-à-dire un système de santé à deux vitesses où seuls les riches sont bien
soignés !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Encore le MEDEF ! « Le poumon, vous dis-je ! »
M. Gilbert Barbier.
C'est caricatural !
M. Jean Chérioux.
Il ne faut pas exagérer !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je crois profondément, pour ma
part, à notre système mixte,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je suis, moi aussi, pour la mixité !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... fondé sur la solidarité et
le contrat. Pour rénover le dialogue que la société, qui assure le financement
collectif du système de soins, entretient avec les médecins et les professions
paramédicales, un nouveau pacte de confiance est indispensable. Je compte sur
l'engagement des professionnels pour construire ensemble un cadre qui permettra
les évolutions nécessaires.
A cette fin, nous devons évoluer vers un système de régulation qui prenne
mieux en compte les engagements collectifs et individuels des professionnels.
Nous devons, en outre, redonner des espaces de liberté aux partenaires
conventionnels, afin que, dans le cadre des principes généraux définis par le
législateur, ils puissent adapter le système de soins de ville aux nouvelles
exigences du système de soins.
C'est la raison pour laquelle nous travaillons depuis un an sur les conditions
d'exercice des professionnels de santé libéraux. Vous avez adopté, mesdames,
messieurs les sénateurs, un certain nombre de propositions que M. Kouchner et
moi-même avons présentées à l'occasion de l'examen du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2002, alors que d'autres ont été
intrégrées, en première lecture, dans le projet de loi relatif aux droits des
malades et à la qualité du système de santé. Nous avons ensuite engagé la
concertation sur les textes réglementaires nécessaires à la mise en oeuvre de
ces dispositions.
Quelles sont-elles ?
Il s'agit, en premier lieu, de la mise en place d'une aide à l'installation,
pour prendre en compte les difficultés rencontrées en matière de recrutement,
de maintien et de remplacement de médecins et d'infirmiers dans certaines zones
rurales et dans certains quartiers urbains désertifiés. Cette première mesure,
extrêmement importante, était très attendue, naturellement, par l'ensemble des
professionnels libéraux, tant par les médecins que par les infirmiers.
Il s'agit, en deuxième lieu, d'une disposition elle aussi très importante, qui
a déjà été votée par le Parlement : l'amélioration du fonctionnement de la
permanence des soins assurée en ville par les professionnels libéraux. Cette
mesure doit permettre de trouver des solutions à l'échelon départemental pour
assurer une meilleure organisation des gardes, par exemple en favorisant les
maisons de garde ou en promouvant d'autres dispositifs adaptés aux différents
territoires, notamment aux zones rurales. La loi de financement de la sécurité
sociale prévoit des moyens pour soutenir la mise en place de ces différents
modes d'organisation de garde, en particulier les maisons de garde.
Il s'agit, en troisième lieu, de l'instauration de financements pérennes et
d'une harmonisation des procédures à l'échelon régional pour favoriser le
développement des réseaux, qui permettent une prise en charge
multidisciplinaire des patients : réseaux de professionnels libéraux, réseaux
reliant ces derniers à l'hôpital.
Il s'agit, en quatrième lieu, de la création de l'Observatoire de la
démographie et des métiers, qui sera prochainement officialisée lors d'une
journée de la démographie médicale que M. Kouchner animera le 4 mars
prochain.
Enfin, l'institution d'un Haut Conseil de santé chargé de constituer une
ressource d'expertise et de propositions pour le Gouvernement est également
votée.
Nous avons donc élaboré un dispositif...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Pas encore !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... fondé sur la négociation et
destiné à rendre plus efficace le système de santé par la définition
d'objectifs partagés d'amélioration de la qualité des soins.
Je vous rappelle, à cet égard, que M. Bernard Kouchner et moi-même avons
invité l'ensemble des syndicats de médecins libéraux à étudier avec nous, le 11
février prochain, comment nous pourrions appliquer ces dispositions extrêmement
importantes, qui ont trait à l'organisation de la vie quotidienne et de la
pratique des professionnels. J'espère que tous participeront à cette importante
réunion, au cours de laquelle nous présenterons les travaux techniques qui ont
déjà été réalisés et les expérimentations qui ont été conduites dans plusieurs
régions, et que nous pourrons ainsi progresser.
Quoi qu'il en soit, je crois profondément que la convention doit redevenir
l'instrument d'une meilleure reconnaissance du rôle des professionnels libéraux
dans le système de soins, et tel est bien l'objet de cette proposition de
loi.
Le dialogue est ainsi privilégié, qu'il s'agisse du montant des honoraires ou
des avancées nécessaires à l'amélioration des conditions d'exercice des
métiers, mais ce dialogue n'est pas possible sans une nouvelle règle du jeu, et
c'est bien ce à quoi vise ce texte, qui résulte des discussions qui ont été
menées lors des « Grenelle de la santé ».
Il s'agit de fournir aux partenaires conventionnels un nouveau cadre pour la
régulation du système de soins de ville. A cet égard, le dispositif présenté
comporte quatre orientations.
La première a trait à l'élaboration d'un accord-cadre applicable à l'ensemble
des professions qui permette de définir des règles communes à ces dernières
pour améliorer la qualité et la coordination des soins ou pour promouvoir des
actions de santé publique.
La deuxième orientation tient à la rénovation du dispositif de régulation, sur
le fondement de l'engagement réciproque des professionnels et des caisses
d'assurance maladie. Ces engagements collectifs et individuels prendront la
forme d'accords sur le bon usage des soins, conclus à l'échelon national ou
régional, de contrats de bonne pratique à adhésion individuelle ou de
dispositifs spécifiques à chaque profession. Ces engagements pourront faire
l'objet d'une rémunération forfaitaire. Je rappelle que, à l'occasion de la
concertation, les professionnels ont marqué leur attachement au cadre collectif
de leur exercice. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous n'avons pas
prévu la mise en place de contrats individuels hors du cadre conventionnel.
La troisième orientation vise à donner aux professionnels la possibilité, en
complément des dispositions de l'accord-cadre et des conventions
professionnelles, de s'engager, dans le cadre d'accords de santé publique, dans
des actions de prévention ou d'amélioration de la permanence des soins.
Enfin, la quatrième orientation, évidemment très importante, concerne
l'exonération du mécanisme des lettres clés flottantes pour les professionnels
qui s'engagent dans un dispositif conventionnel. Ces lettres clés flottantes
seront donc supprimées dès lors que la pratique s'inscrira dans le cadre d'un
contrat.
Avec ce texte, nous tournons le dos au système répressif institué par les
ordonnances Juppé.
(M. le rapporteur sourit.)
Nous proposons aux médecins un nouveau pacte
de confiance, qui mettra fin aux sanctions financières et à la maîtrise
comptable instaurée par les précédents gouvernements, celle-ci étant remplacée
par la maîtrise médicalisée des dépenses.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Vous avez mis le temps, quand même !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Peut-être, mais nous l'avons
fait,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Pas encore !
M. Jean Chérioux.
Ce sont des mots !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... alors que vous aviez fait
l'inverse ! Par conséquent, c'est une évolution salutaire, et il conviendra
certainement de poursuivre dans cette voie. Certes, je conçois que cela vous
gêne et que vous soyez quelque peu embarrassés !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Pas du tout !
M. Jean Chérioux.
Absolument pas !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En tout cas, c'est une
évolution que nous décidons d'engager et qui résulte de travaux approfondis. Il
ne s'agit, bien entendu, que d'une première étape, mais cette réforme va dans
le bon sens,...
M. Jean Chérioux.
Forcément, cela vient de vous !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... et n'est pas régressive,
comme celle que vous aviez mise en oeuvre voilà cinq ans.
Ce texte s'inscrit dans une démarche nouvelle de rénovation de nos relations
avec les professionnels de ville. Outre ce que je viens de rappeler sur les
conditions d'exercice des professions médicales et paramédicales, nous avons
décidé de soutenir l'accord qui vient d'intervenir entre la caisse nationale
d'assurance maladie et un syndicat de médecins généralistes,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Minoritaire !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... car il marque, même s'il ne
permet pas de répondre à toutes les demandes qui avaient été formulées par
l'ensemble des syndicats, en tout cas par le deuxième d'entre eux - lui aussi
minoritaire, j'en profite pour le souligner - une avancée substantielle en vue
d'une meilleure rémunération de la médecine de ville.
En effet, il se traduira, la première année, par une augmentation des
honoraires à hauteur de 2 300 francs par mois, et, après trois ans, à
l'échéance de ce plan pluriannuel, cette augmentation aura atteint l'équivalent
d'un SMIC.
Par ailleurs, des dispositions très importantes visent à modifier les
conditions d'exercice du métier. Elles permettront notamment une meilleure
rémunération des visites de nuit, dont le tarif est porté à soixante euros. En
outre, une rémunération forfaitaire est prévue pour les médecins de garde, même
en l'absence d'appels, et nous avons étendu le champ de la visite à trente
euros - ce tarif s'applique déjà, j'en profite pour le souligner, s'agissant
des personnes âgées dépendantes - à toutes les personnes qui ne peuvent se
déplacer, soit parce qu'elles sont handicapées, soit parce qu'elles sortent de
la clinique ou de l'hôpital.
Je crois qu'il s'agit là de mesures de grande portée, que l'on ne peut
certainement pas traiter par le mépris, comme cela a quelquefois été le cas.
Elles constituent une avancée tout à fait substantielle ; d'autres seront sans
doute nécessaires, mais elles s'accompagnent en tout cas de mesures
structurelles visant à améliorer les conditions d'exercice du métier de
médecin. Les professionnels sont d'ailleurs les premiers à affirmer que les
questions d'argent ne représentent pas l'essentiel.
Ce que nous avons fait pour les médecins, nous comptons le faire pour les
infirmières, car il est indispensable que les infirmières libérales, qui
exercent un métier extrêmement éprouvant, qui, comme les médecins de famille,
sont présentes auprès des malades et remplissent un rôle social extrêmement
important, puissent être, elles aussi, rémunérées correctement et bénéficier
d'indemnités kilométriques correspondant un peu mieux à leurs frais réels.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Les pauvres malheureuses !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pour ma part, je les ai
entendues, monsieur About !
M. Jean Chérioux.
Comment faites-vous pour les entendre ? Vous n'entendez jamais personne !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il est très important que ces
infirmières libérales aient les moyens d'exercer leur métier difficile dans de
meilleures conditions.
Enfin, je rappelle tout ce que le Gouvernement a fait pour l'hôpital. Tout à
l'heure, vous avez évoqué la mise en oeuvre des 35 heures. J'y ai vu le rappel
de votre hostilité, tenace, patiente sur ce point,... mais c'est votre
droit.
M. Jean Chérioux.
Heureusement que vous l'admettez !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les 35 heures à l'hôpital, ce
sont 45 000 emplois créés sur trois ans. Par ailleurs, nous avons revalorisé,
comme jamais cela n'a été fait précédemment,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout va bien, alors !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... les rémunérations de
l'ensemble des 757 000 agents hospitaliers, qu'il s'agissse des personnels
médicaux ou paramédicaux, des personnels techniques ou des personnels
administratifs. Cela résulte des protocoles signés en mars 2000 par Mme Aubry
et en mars 2001 par moi-même.
En outre, nous avons triplé l'augmentation annuelle de l'enveloppe à
l'hôpital.
Si nous avons pu faire tout cela - et il reste certainement encore beaucoup à
faire - c'est parce que nous avons en effet rétabli l'excédent du régime
général de la sécurité sociale. Je rappelle que cet excédent existe aujourd'hui
et sur l'ensemble de la législature, alors qu'en 1997 le déficit cumulé
s'élevait à plus de 200 milliards de francs.
M. Jean Chérioux.
Il venait de 1993 !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le « trou » de la sécurité
sociale n'existe plus. C'est la raison pour laquelle nous pouvons faire cet
effort légitime - qu'il faudra continuer et accentuer - pour notre système de
santé.
Quant au reste, votre position sur les 35 heures,...
M. Claude Domeizel.
Ils sont contre !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... cela relève d'un autre
débat, que nous saurons avoir à l'occasion des futures échéances
électorales.
M. Claude Domeizel.
Bien sûr !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous verrons alors le jugement
qui sera porté par le peuple français.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Permettez-moi, monsieur le président, de faire un bref
rappel, que l'on pourrait qualifier de rappel au règlement.
Dans son intervention, Mme la ministre a indiqué, à trois reprises, que le
projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de
santé avait été adopté par le Parlement. Oserai-je lui rappeler que ce texte
n'est pas adopté, pas plus que ne l'a été le Haut conseil ? Ce texte est
aujourd'hui en navette, et il sera examiné en commission mixte paritaire cet
après-midi.
Je tiens à signaler à Mme la ministre que, le Gouvernement nous ayant
contraint à siéger ce matin pour examiner la proposition de loi portant
rénovation des rapports conventionnels entre les professions de santé libérales
et les organismes d'assurance maladie, je prépare en ce moment-même cette
commission mixte paritaire.
Je vous laisse imaginer ce que peut être une commission mixte paritaire
préparée dans ces conditions, alors que je suis en séance au banc de la
commission. Cela montre la considération que Mme la ministre a pour le texte
dont elle considère qu'il est voté. Encore une fois, il ne l'est pas puisque la
commission mixte paritaire se réunira cet après-midi.
M. Robert Bret.
Il le sera !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Nous verrons ! A aller trop vite, le Conseil constitutionnel
sanctionne !
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne
reviendrai pas sur la décision du Conseil constitutionnel,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Vous avez tort !
M. Bernard Cazeau.
... qui a annulé, exclusivement pour des questions de procédure, l'article 18
de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002. Je ne commenterai
pas cette décision, car je ne veux engager aucune polémique sur ce point.
Voyons plutôt, dans cette décision, l'aspect positif, celui qui nous permet
aujourd'hui, madame la ministre, de centrer nos débats sur l'indispensable
rénovation du cadre conventionnel mais aussi, plus globalement, sur
l'obligation de redéfinir la place des professionnels de santé dans
l'organisation du système de soins.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, je le sais, vous ne voulez pas de
ce débat. Vous arguez que l'on travaille dans la précipitation - vous venez de
le faire, monsieur le rapporteur -...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Et pour cause !
M. Bernard Cazeau.
... et dans l'urgence.
MM. Bernard Fournier et Jean-Pierre Schosteck.
En effet !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Il est sûr que ce ne sont pas les meilleures conditions pour
travailler !
M. Bernard Cazeau.
Cela vaut également pour l'opposition sénatoriale !
Vous arguez aussi - c'est peut-être moins vrai - de l'absence de
concertation.
M. Nicolas About,
rapporteur.
« Peut-être moins vrai » : c'est un aveu !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Saluons cette avancée !
M. Bernard Cazeau.
Faut-il vous rappeler que ces dispositions font suite à la concertation qui
s'est tenue tout au long de l'année 2001 ? Je vous remercie d'ailleurs, madame
la ministre, car c'est dès votre arrivée que vous avez décidé de lancer cette
concertation, qui, c'est vrai, avait un peu tardé. Il y a eu deux réunions, que
l'on appelle communément « Grenelle de la santé », et la concertation a eu
lieu.
La situation actuelle - j'y reviendrai plus tard dans mon propos - confirme la
nécessité d'une véritable discussion pour rétablir très vite - d'où la
déclaration d'urgence - le texte censuré et lui donner force de loi avant
l'interruption de nos travaux d'ici à quelques jours.
Notre dispositif conventionnel national unique organise, depuis trente ans, la
participation des caisses d'assurance maladie au remboursement des soins et
prescriptions délivrés par les professionnels de santé. Il vise ainsi à
concilier les deux caractéristiques dont la coexistence fait l'une des
spécificités du système français de protection sociale : d'une part, l'exercice
libéral de la médecine et des professions paramédicales, assorti du libre accès
à leurs soins et prescriptions ; d'autre part, une assurance maladie
obligatoire.
Initialement limitées à la fixation d'un tarif unique à l'échelon national
pour l'ensemble des professionnels de santé, elles ont évolué pour aboutir à la
régulation collective des systèmes de soins et à l'évolution qualitative des
pratiques individuelles.
Nous savons tous, ici, que cette ambition a ses limites. La situation actuelle
et le conflit des généralistes nous interpellent sur l'état déliquescent du
système conventionnel.
(M. Giraud opine.)
Il est l'aboutissement d'une détérioration progressive d'un système qui n'a
cependant jamais été épargné depuis sa création par toutes sortes de
péripéties. Cette détérioration en est arrivée à un point où, notamment en
raison de l'extrême fragilité juridique des instruments conventionnels, un
simple ravaudage ne saurait suffire.
Une réforme d'ensemble est devenue indispensable. Aujourd'hui, nous voulons
discuter de cette réforme. Dans ce débat, comme dans d'autres, on ne peut pas
avoir un double langage, monsieur About.
On ne peut, tout à la fois déplorer la situation actuelle, reconnaître le
malaise profond des professions médicales, vouloir sauver notre système de
santé, reconnaître que les médecins sont investis de missions nouvelles et
refuser de débattre d'une réforme en profondeur qui rompt définitivement avec
la logique de la maîtrise comptable des dépenses de santé et qui prévoit un
cadre conventionnel adapté à l'évolution des professions de santé. A moins que
certains n'aient intérêt à élargir une plaie qui pourrait très vite se
surinfecter !
L'objectif du dispositif proposé est de redonner aux relations entre les
caisses et les professionnels de santé plus de dynamisme, plus de vigueur, plus
d'oxygène, par la mise en place d'un mécanisme à trois étages, que vous avez
évoqué tout à l'heure.
Le premier niveau, c'est l'accord-cadre. C'est vrai, toutes ces professions -
médecins, infirmières, kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, voire
ambulanciers, car, là aussi, tout se tient ! - vivent des évolutions qu'il
convient de vérifier à l'occasion de cet accord-cadre. A cet égard, je trouve
curieux que le président du Centre national des professions de santé, qui y
était favorable dans un article du
Quotidien du médecin
du mois dernier
ne le soit plus dans un autre article paru ces derniers jours.
M. Gilbert Barbier.
Il n'avait pas vu le piège !
M. Bernard Cazeau.
Chacun a le droit d'évoluer, et je le respecte.
Le deuxième niveau concerne le système conventionnel, qui est aujourd'hui dans
un triste état. Chaque discipline devra pouvoir décliner, dans un mécanisme qui
lui sera propre et en fonction de préoccupations particulières, des conventions
permettant de répondre à des préoccupations spécifiques.
Le troisième niveau, c'est le contrat individuel de santé. Nous ne
détaillerons pas. Nous avons terminé seulement hier soir la discussion du
projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de
santé. Je ne sais pas si, cet après-midi, la commission mixte paritaire
parviendra à un accord, monsieur About.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Ce n'est pas certain !
M. Bernard Cazeau.
En tout cas, je le souhaite, comme vous d'ailleurs, et nous l'avons dit tous
les deux hier soir.
Il est incontestable que ces contrats individuels sont nécessaires, car ils
donneront aux médecins qui le souhaitent la possibilité d'avoir une activité
particulière, notamment dans la prévention, et de valoriser ainsi leur exercice
tant sur le plan professionnel que, puisqu'il en est beaucoup question, sur le
plan financier.
Il faudra qu'un jour ces professionnels comprennent que ce n'est pas seulement
dans le paiement à l'acte qu'ils trouveront une véritable revalorisation de
leur revenu, qu'il la trouveront aussi dans des compléments globalisés
résultant d'une action personnelle dans les différents domaines de la santé. Il
est normal qu'à la clé, si je peux m'exprimer ainsi, il y ait la suppression
des lettres clés flottantes pour ceux qui sont conventionnés ; s'il ne le sont
pas, c'est leur choix. Il est naturel que l'on vérifie leur exercice.
Dans ce cadre, je voudrais, pour terminer, évoquer trois réflexions qui me
paraissent aujourd'hui d'actualité dans l'exercice des professions de santé.
La spécificité de la médecine française veut que, tout en conservant un
caractère libéral, elle touche à plus de 90 %, même si cela se fait
indirectement, à la répartition de l'argent public que sont nos cotisations.
Lorsqu'on entend des comparaisons de revenus - par exemple, récemment, à la
radio - entre plombiers ou mécaniciens et médecins, on a envie de poser la
question : le robinet de la salle de bain ou les plaquettes de frein sont-ils
remboursés par la sécurité sociale ? Non, bien sûr !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Ce sont les malades qui sont remboursés, pas les médecins
!
M. Bernard Cazeau.
Il n'y a pas de relation entre l'exercice libéral et concurrentiel du plombier
ou du mécanicien, qui n'ont pas de caisse,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Le plombier est mieux payé, on ne peut pas comparer !
M. Bernard Cazeau.
... et l'exercice libéral concurrentiel, c'est vrai, comme le plombier et le
mécanicien, mais aussi conventionnel, s'il le souhaite, du médecin.
Chaque fois qu'il y a prescription, il y a une incidence sur l'argent public
de nos concitoyens recueilli par le biais des cotisations. Cet aspect implique
une certaine régulation...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Faites un panier de soins ! C'est dû à l'absence de politique
!
M. Bernard Cazeau.
... ne serait-ce que sur les prescripteurs ou les consommateurs déviants - et
la profession en est d'accord - ...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Parmi les prescriptions, certains éléments ne sont pas
remboursés !
M. Bernard Cazeau.
... qui font fi de toute modération dans leur prescription ou leur
consommation. En effet, M. Giraud l'a dit hier, certains consommateurs, sous
prétexte qu'ils ont cotisé, disent : « Je m'en moque, je prends le plus cher !
»
Cela m'amène à ma deuxième réflexion : la nécessité, pour ces professions de
santé, de contractualiser avec l'organisme chargé de la répartition de
l'argent, à savoir les caisses.
On entend dire : on ne veut pas être étatisé à l'anglaise, mais on souhaite
bénéficier des mêmes rapports de discussion que les fonctionnaires, qui, eux,
sont les employés de l'Etat. Si l'on veut discuter avec Mme la ministre ou avec
M. le Premier ministre, on se compare aux fonctionnaires de l'Etat.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Ce n'est pas cela !
M. Bernard Cazeau.
Si ! L'exercice direct a lieu avec le répartiteur des finances qui reçoit les
cotisations, à savoir les caisses.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Quand M. Gayssot reçoit les routiers, reçoit-il pour autant
des fonctionnaires ?
M. Bernard Cazeau.
En l'occurrence, il s'agit d'une négociation menée par Mme la ministre dans le
cadre du Grenelle de la santé. Je vous en prie ! On parle de revalorisation et
de financement, et non de discussions générales.
Il faut, ensuite, avoir de véritables conventions spécifiques par profession.
La pratique de la médecine générale et celle des spécialistes divergent de plus
en plus.
La première, fondée sur la médecine de proximité, l'urgence, le diagnostic et
le suivi, est assise de plus en plus sur la relation extrêmement forte entre le
médecin et le malade et nécessite du temps. Quand j'entends un praticien
annoncer qu'il a fait quarante, cinquante, voire soixante actes en une journée,
je me demande s'il aurait encore la tête suffisamment froide - s'il s'agissait
d'actes normaux, bien sûr - pour établir le diagnostic de la maladie du
soixante et unième patient qui viendrait le consulter en urgence !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Effectivement !
M. Bernard Cazeau.
Je me le demande vraiment !
M. Jean Chérioux.
Nous aussi !
M. Bernard Cazeau.
Quant à la seconde - la médecine des spécialistes - elle repose de plus en
plus sur le plateau technique, à quelques exceptions près, comme les pédiatres,
et tend de plus en plus à se « techniciser ».
Ces modes d'exercice différents doivent engendrer des décisions spécifiques
dans les conventions.
Ainsi, nous estimons que l'acte principal en médecine générale est la
consultation : le taux est de 80 % en ville, et il augmente de plus en plus en
milieu rural. La visite doit être réservée au malade alité et non à celui qui
attend son médecin en regardant le journal télévisé de 20 heures,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Très bien !
M. Bernard Cazeau.
... en sirotant un apéritif anisé - je dis cela pour faire plaisir à nos
collègues du sud de la France.
(Sourires.)
M. Nicolas About,
rapporteur.
C'est vrai ! Et si possible après le match, pour ne pas le
déranger !
M. Bernard Cazeau.
Il est donc nécessaire de revaloriser la consultation en évitant la fuite en
avant qui est en train de se produire sinon les 20 euros d'aujourd'hui
deviendront 22 euros dans un an, 23 euros dans deux ans et 25 euros dans trois
ans, sans pour autant que le problème soit réglé !
Pour toutes ces raisons et bien d'autres que le temps ne nous permet pas de
développer, nous voterons cette proposition de loi, car nous estimons, comme
Mme le ministre, qu'elle constitue un premier pas vers le maintien d'une
pratique originale de la médecine libérale, facteur de la qualité aujourd'hui
reconnue par tous dans le monde entier.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le
Gouvernement nous propose de légiférer dans l'urgence sur la proposition de loi
portant rénovation des rapports conventionnels entre les professions de santé
libérales et les organismes d'assurance maladie. Or, le contexte dans lequel
s'inscrit ce texte paraît - c'est le moins qu'on puisse dire - bien difficile.
Les professionnels de santé sont confrontés à une crise qui pousse un nombre
élevé d'entre eux à suivre un mouvement de grève qui dure maintenant depuis
deux mois et qui touche les soins de la médecine de ville comme ceux de
l'hôpital, notamment les urgences. Ces mouvements, parfois très violents, sont
la conséquence de la politique gouvernementale, fondée sur trois erreurs.
La première erreur tient à l'absence de respect des professionnels de santé,
dont les conditions d'exercice se sont dégradées et qui veulent avoir les
moyens d'exercer dignement leur métier sans être mis en accusation.
La croissance que nous avons connue en France aurait pu améliorer grandement
notre politique de santé et les conditions d'exercice des professionnels.
Au lieu de financer les 35 heures, n'aurait-il pas été plus opportun de
consacrer les fruits de la croissance à l'amélioration de la prévention ?
Au lieu de faire financer par l'assurance maladie le plan Biotox pour lutter
contre le terrorisme biologique, qui relevait plus certainement du budget de
l'Etat, n'aurait-il pas été nécessaire de réformer les conditions d'exercice
des professionnels des urgences ?
Depuis cinq ans, aucune amélioration n'a été décidée pour le remboursement des
prothèses, pour les médicaments, pour les actes, pour les consultations, pour
les soins dentaires. Ainsi, la révision de la nomenclature des soins
bucco-dentaires - en particulier des soins conservateurs et des soins précoces
- est sans arrêt repoussée, laissant perdurer une situation scandaleusement
injuste et contre-productive au niveau tant social que sanitaire. Comment
s'étonner alors que les prothèses apparaissent coûteuses, puisqu'elles sont de
moins en moins bien remboursées ?
Le Gouvernement a ainsi privé les Français du supplément de protection sociale
dont ils ont besoin, les professionnels de santé et les établissements de soins
d'une adaptation et d'un renforcement de leurs moyens, et l'innovation
thérapeutique des moyens nécessaires au développement de nouvelles
molécules.
Tout cela traduit l'absence, en France, de politique de santé coordonnée et
structurée. Et cela s'inscrit, de surcroît, dans une philosophie
gouvernementale budgétaire marquée par l'absence de sincérité et l'opacité des
comptes, qui ont prévalu - nous nous en sommes aperçu - lors de l'élaboration
du budget de la sécurité sociale et de celui de la nation.
J'en viens à la deuxième erreur commise par le Gouvernement : celui-ci a fait
preuve en effet d'improvisation et de désinvolture.
Depuis 1997, le Gouvernement a décidé le passage aux 35 heures à l'hôpital. En
catastrophe, fin 2001, il a annoncé la création de 45 000 postes nouveaux alors
que nous étions déjà confrontés à une pénurie d'effectifs, ce qui fait de cette
annonce un pur affichage.
Ce que refusent les hospitaliers, c'est de passer aux 35 heures sans les
moyens nécessaires, pour ne pas mettre en danger le fonctionnement de l'hôpital
et la sécurité des malades.
De lourds déficits de l'assurance maladie se succèdent chaque année et
creusent la dette du système, ainsi menacé dans ses fondements, sans que des
solutions soient recherchées. Le président de la commission des affaires
sociales, M. About, a fort opportunément fait remarquer que, depuis cinq ans,
le déficit cumulé approche les 80 milliards de francs. Le Gouvernement se
contente de se féliciter d'un redressement tout à fait virtuel des comptes !
La troisième erreur du Gouvernement tient à son étatisme et à son
immobilisme.
J'arrive au coeur du sujet qui nous intéresse aujourd'hui. Ce sont précisément
les règles régissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et
les professionnels de santé libéraux, au premier rang desquels les médecins
généralistes, qui sont au coeur de la crise à l'origine des grèves actuelles.
Ce sont ces mêmes règles qui ont poussé le Gouvernement à affirmer que les
revendications des médecins généralistes en matière de revalorisations
d'honoraires étaient excessives.
Finalement, les négociations se sont ouvertes entre la Caisse nationale
d'assurance maladie - pour une fois mise sur le devant de la scène - et les
professionnels de santé. Nous n'étions pas - faut-il le dire ? - habitués à
tant d'attention à l'égard de la caisse, dont le rôle essentiel qu'elle pouvait
jouer et les propositions qu'elle pouvait formuler ont toujours été ignorés par
le Gouvernement.
Ces négociations ont abouti, après diverses péripéties, à un accord signé avec
la fédération française des médecins généralistes, MG France, qui prévoit des
revalorisations d'honoraires et la création d'une consultation approfondie. Or,
ce syndicat est minoritaire, l'autre syndicat des généralistes et celui
représentant les spécialistes ayant, comme vous le savez, refusé de signer cet
accord. Le résultat n'a donc rien de bien victorieux, et la poursuite des
manifestations de protestations des professionnels de santé illustre bien
l'échec de ces négociations.
Pourtant, le dialogue avec les professionnels de santé, et notamment avec les
médecins généralistes, maillon ô combien important de la chaîne de soins, est
vital et nécessaire. Ce manque de volonté de concertation est à l'opposé de
l'idée que nous nous faisons du dialogue social et de la priorité que nous
donnons à la sauvegarde de notre système médico-social, bâti autour du médecin
de famille.
Cela fait maintenant cinq ans que ce gouvernement a la totale responsabilité
de ces dossiers et qu'il dispose de tous les moyens d'oeuvrer pour consolider
notre système médico-social. Comment en êtes-vous arrivée là, madame le
ministre, alors que vous aviez tant critiqué ce qui s'était fait avant vous
?
En réalité, vous proposez de substituer au système de régulation fondé sur un
mécanisme de sanctions, dont on pouvait regretter certaines caractéristiques,
un dispositif de régulation purement comptable, fondé sur un conventionnement
collectif et individuel, sous la menace bien réelle de l'application du système
des lettres clés flottantes.
Vous gardez ainsi la main sur l'ensemble du dispositif : c'est vous qui
approuverez ou non les conventions, c'est vous qui pourrez refuser les
éventuelles revalorisations de tarifs demandées par les professionnels et
proposées par les caisses, c'est encore vous qui, en cas d'absence de signature
d'une convention, ferez appliquer par les caisses la sanction suprême des
lettres clés flottantes.
La Caisse nationale d'assurance maladie n'est guère satisfaite par le rôle que
vous lui réservez. Quant aux professionnels, leur opposition au système ne
peut, me semble-t-il, faire aucun doute.
Il me semble indispensable de jeter un regard nouveau sur les professions de
santé et, en particulier, puisque les médecins sont dans la rue, sur la
médecine générale.
Longtemps considérée comme l'une des professions parmi les plus prestigieuses,
la médecine générale a subi une réelle dévalorisation, comparable à aucune
autre.
D'abord, elle a dû faire face à une dévalorisation financière : le tarif de la
visite à domicile, service qui ne peut être remis en cause, car notre
population y est très attachée, n'a pas été revalorisé depuis 1993.
Elle a également subi une dévalorisation morale : cette profession n'a-t-elle
pas été souvent accusée de coûter trop cher à l'assurance maladie ? Il nous
paraît injuste de faire porter, comme vous le faites, la responsabilité de la
hausse des dépenses uniquement sur le médecin prescripteur et le professionnel
de santé. Ce ne sont évidemment pas les prescripteurs et les soignants qui
créent les maladies et les besoins ; c'est tout simplement l'aspiration
légitime de nos concitoyens au bien-être.
Les médecins sont, en outre, confrontés à une judiciarisation sans cesse plus
accrue. S'il est normal de faire peser sur les professionnels les conséquences
de leur faute, il n'est en revanche pas juste de leur faire supporter les
conséquences d'un préjudice dont ils ne sont pas à l'origine. L'arrêt Perruche,
examiné la semaine dernière, en témoigne.
Dans ce malaise ambiant, il est très maladroit de légiférer aujourd'hui,
surtout pour imposer un tel dispositif aux médecins. La majorité d'entre eux
refuse ce mécanisme complexe à trois étages, qui contient tout ce que les
syndicats médicaux et les médecins dénoncent : la possibilité de leur imposer
ce système avec la signature d'un seul syndicat, même représentatif ;
l'introduction d'une hiérarchie dans la rémunération des actes ; l'application
du système des lettres clés flottantes s'ils n'acceptent pas ce qu'on leur
propose. Voici une bien étrange conception du dialogue social !
En réalité, il faut rechercher dans un véritable système conventionnel
librement négocié entre les partenaires sociaux - caisses et professionnels -
des dispositifs qui non seulement revalorisent les tarifs pour l'acte, quel
qu'il soit, des médecins généralistes et des autres professionnels de santé,
mais qui, en même temps, établissent et confortent les règles de bonne
pratique, de qualité des soins, d'évaluation de formation médicale continue,
librement partagées, conduites, évaluées et identifiées. La fixation de
l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, doit reposer sur
des priorités sanitaires clairement identifiées et discutées au Parlement.
C'est dans cet esprit, et non pas avec des méthodes autoritaires, que l'on
pourra trouver des solutions.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République ne peut
qu'être favorable à la motion tendant à opposer la question préalable, déposée
par la commission.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si, ces
dernières semaines, nous avons réussi à débattre sereinement du projet de loi
relatif aux droits des malades, nécessaire pour adapter notre système de santé
aux évolutions de notre société, je crains que, ce matin, nous ne parvenions
pas à discuter de la proposition de loi portant rénovation des rapports
conventionnels entre les professions de santé et les caisses de sécurité
sociale. La majorité sénatoriale s'apprête en effet à voter une question
préalable, déposée par le rapporteur de la commission des affaires sociales.
Il est assez paradoxal que vous refusiez, mes chers collègues, d'examiner le
dispositif proposé portant refonte du système conventionnel, alors que vous
n'avez pas de mots assez durs pour fustiger ses modalités actuelles.
Vous dénoncez le « bilan désastreux » de cette législature, l'absence de
mesures ou l'inadéquation de celles qui ont été décidées en matière de
protection sociale au regard des attentes des professionnels, des défis
auxquels notre système de santé est confronté, en oubliant quelque peu les
patients eux-mêmes. Mais, faute sans doute d'être en mesure de présenter des
propositions alternatives, excepté bien sûr la privatisation de la sécurité
sociale, vous avez choisi d'esquiver le débat !
L'argumentation développée est similaire à celle que les députés de droite ont
avancée pour soutenir avec force et virulence leur motion tendant à opposer la
question préalable à cette proposition de loi.
Certes, cela n'a échappé à personne, le climat social est particulier. De
toute part, le monde de la santé exprime ses difficultés. Les agents
hospitaliers continuent de se mobiliser, non contre la réduction du temps de
travail, mais contre l'organisation nouvelle du travail qui découle de l'accord
signé par des organismes minoritaires et de l'insuffisance des efforts
budgétaires consentis, alors que les besoins en personnel sont déjà,
actuellement, notoirement insuffisants.
Les infirmières, les dentistes, les urgentistes, les spécialistes, les
médecins généralistes, eux non plus, ne désarment pas.
Au-delà des revendications catégorielles, des demandes légitimes de
revalorisation des honoraires, d'amélioration des conditions d'exercice, nous
sommes tous conscients du malaise profond qui secoue tant la médecine libérale
que le secteur hospitalier.
Ces manques de reconnaissance, de considération ne peuvent être comblés par de
simples mesures financières.
C'est de perspectives nouvelles, de mesures structurelles pour sortir de
l'impasse liée à l'impossible maîtrise comptable des dépenses de santé que les
professionnels de santé ont besoin.
Aujourd'hui, mesdames, messieurs, vous soutenez du bout des lèvres les
médecins qui rejettent l'accord tarifaire passé avec la CNAM et qui ont décidé
de continuer leur grève.
Vous faites vôtre le préalable posé par les syndicats non signataires pour
accepter à nouveau de dialoguer : la suppression du mécanisme pervers des
lettres clés flottantes.
Vous reprochez au Gouvernement ce que vous estimez être son mépris pour le
dialogue social, son autoritarisme et, dans le même temps, le fait qu'il laisse
à la CNAM le soin de négocier avec les acteurs de notre système de santé.
Il faut être sérieux : on ne peut vouloir une chose et son contraire.
En tout cas, nous ne pouvons pas vous laisser dire que le Gouvernement serait
seul responsable de la détérioration des rapports conventionnels.
Certes, en ne tournant pas définitivement le dos à la réforme initiée par M.
Juppé,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Encore Juppé ! Heureusement que vous l'avez !
M. Roland Muzeau.
... en ne proposant pas de solution alternative à la maîtrise comptable des
dépenses de santé, en ne réformant pas le financement de la protection sociale,
le Gouvernement n'a pas pu anticiper les dysfonctionnements actuels.
Pour autant, et même si la droite semble avoir changé de discours sur les
dépenses de santé, après que MM. Juppé et Barrot eurent admis que « la
régulation comptable et collective était une erreur »,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
On en revient à Mathusalem !
M. Roland Muzeau.
... il convient de rappeler que c'est la mise en oeuvre par la CNAM de la
maîtrise purement comptable des dépenses de santé et de l'activité des
médecins, l'application des sanctions financières instituées par les
ordonnances du plan Juppé, que vous avez créées et votées, qui sont à l'origine
de la grave crise que nous connaissons.
La grande majorité des médecins s'est montrée hostile à la réduction de leur
activité au mépris des besoins de santé des Français.
La croissance des dépenses de santé, pourtant nécessaire en raison du
vieillissement de la population, des progrès techniques, a été contenue.
Résultat - le constat du haut comité de santé publique en témoigne : en matière
de réduction des inégalités sociales de santé, la France fait moins bien que
ses partenaires européens ; le niveau de prise en charge des assurés ne s'est
pas sensiblement amélioré et l'hôpital public est au bord de l'asphyxie.
Prenant acte de l'impasse dans laquelle se trouve le système conventionnel,
des syndicats de médecins, des organisations syndicales, ainsi que le mouvement
mutualiste se sont engagés pour le rétablir entre l'assurance maladie et les
médecins libéraux, avec une convention unique.
Les pistes de travail du groupe des Sept, rejoint depuis par d'autres
organisations, me semblaient à ce titre fort intéressantes.
Le projet de réforme de l'assurance maladie qu'il propose est ambitieux. Il a
le mérite de garantir aux assurés sociaux un libre et égal accès à des soins de
qualité et d'offrir aux professionnels des conditions d'exercice
satisfaisantes. Je regrette ce rendez-vous manqué.
A l'issue des concertations que vous avez menées au cours de l'année 2001, le
« Grenelle de la santé », et du rapport des sages, vous avez, madame la
ministre, formulé treize propositions pour réformer les soins de ville.
Concernant la place des professionnels dans l'organisation des soins, leurs
conditions d'exercice, un certain nombre de propositions ont été traduites
législativement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale de
cette année ou dans le projet de loi relatif aux droits des malades ; je pense
à la formation médicale, à l'observatoire de la démographie et des métiers, au
développement des réseaux de santé.
Concernant la restauration du cadre conventionnel, question majeure, dans le
projet de loi de financement de la sécurité sociale, une nouvelle architecture
à trois niveaux, reprenant la philosophie des propositions du groupe des
Quatorze, avait été introduite.
Je rappelle que les sénateurs communistes s'étaient abstenus, faute de
précisions suffisantes - la rédaction d'alors n'était qu'une ébauche de
dispositif - et parce qu'ils avaient le souci de laisser les négociations
s'approfondir.
Je ne m'étendrai pas sur le sort de l'article 18, qui a été censuré par le
Conseil constitutionnel. Nous devrons à nouveau légiférer sur ce point.
Bien sûr, on peut regretter les conditions d'élaboration de ce texte. On peut
déplorer qu'il renforce de manière trop limitée le pouvoir des caisses et que
l'accord-cadre - 1er niveau - puisse être valable même s'il est signé par une
seule organisation syndicale minoritaire.
Toutefois, nous pensons, comme la CNAMTS l'a affirmé dans l'avis qu'elle a
adopté à l'unanimité le 20 novembre 2001, que cela « constitue une première
étape et une opportunité qui ouvre des perspectives auxquelles il appartiendra
aux partenaires conventionnels de donner corps, dans l'intérêt des patients
».
A l'évidence, des garanties devront être posées afin d'éviter toute
individualisation des relations conventionnelles.
Par ailleurs, les relations entre l'Etat et les caisses de sécurité sociale
doivent impérativement être clarifiées si nous souhaitons éviter deux écueils :
la privatisation ou l'étatisation.
La composition des conseils d'administration - le mode de désignation des
administrateurs, le rétablissement de leur élection - devra, elle aussi,
trouver une réponse.
Vous le voyez, mes chers collègues, il y a encore beaucoup à faire pour
consolider notre système de protection sociale et assurer une gestion solidaire
des risques !
Vous aurez noté également combien notre groupe revendique un débat au fond sur
l'ensemble de ces questions.
Dès lors, vous comprendrez que les sénateurs du groupe communiste républicain
et citoyen votent contre la motion opposant la question préalable.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable