SEANCE DU 28 NOVEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 15
bis
. - Les personnes âgées de soixante cinq ans au 1er
janvier de l'année d'exigibilité de la redevance pour droit d'usage d'un
appareil récepteur de télévision, non imposées à l'impôt sur le revenu au titre
de l'avant dernière année précédant l'année d'exigibilité ni passibles de
l'impôt de solidarité sur la fortune, sont exonérées de la redevance applicable
aux appareils récepteurs de télévision de première catégorie. »
L'amendement n° I-32, présenté par M. Marini, au nom de la commission des
finances, est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 15
bis.
»
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La commission vous propose la suppression de cet
article issu de l'Assemblée nationale, non pas qu'elle soit opposée à une
mesure qui se veut sociale à l'égard d'une catégorie de redevables, mais parce
qu'elle estime que c'est mettre un cautère sur une jambe de bois, que c'est
considérer le problème par le petit bout de la lorgnette.
Comme nous l'avons déjà dit, le service de la redevance va être maintenu
inchangé, avec l'ensemble du personnel qui le constitue, alors que,
progressivement, si l'on suit l'avis, d'ailleurs tout à fait estimable, du
rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, on va
vider progressivement la redevance d'une part très importante de sa
substance.
Votre commission des finances, mes chers collègues, est d'un avis différent.
Elle estime que la redevance doit être remise en cause dans son principe.
Peut-être doit-elle être fusionnée avec d'autres dispositifs de fiscalité ?
Peut-être serait-elle, dans le cadre d'une réforme à venir des finances
locales, une ressource localisable à transférer aux collectivités territoriales
?
Après tout, la logique qui préside à la redevance est proche de celle qui
régit la taxe d'habitation, laquelle vient abonder le budget des communes et
autres collectivités territoriales.
Bref, ayons le courage de concevoir une véritable réforme ! Ne nous laissons
pas aller à cette technique de la feuille d'artichaut qui ne règle rien, qui
consiste à faire des cadeaux opportuns aux bons moments, mais à maintenir en
l'état les problèmes de fond, lesquels, les faits étant têtus, se vengeront
rapidement et contraindront à des remises en cause plus douloureuses.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-32.
M. Paul Loridant.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
J'ai apprécié à sa juste mesure la présentation de l'amendement de la
commission par M. le rapporteur général.
Vous remarquerez, mes chers collègues, que M. le rapporteur général ne vous a
jamais expliqué la véritable raison d'être de l'article 15
bis.
Cet article 15
bis
a été introduit par l'Assemblée nationale à la suite
de l'adoption d'un amendement, présenté par mes collègues du groupe communiste,
tendant à exempter de la redevance audiovisuelle les personnes âgées de plus de
soixante-cinq ans qui ne sont pas imposées sur le revenu.
Jusqu'à présent, l'exonération s'appliquait aux personnes âgées de plus de
soixante-dix ans.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Pourquoi pas soixante ans ou cinquante-cinq ans ?
M. Paul Loridant.
Mais, sous prétexte de soulever le débat sur le bien-fondé de la redevance de
télévision, ce qui est parfaitement louable - on peut en effet se poser la
question de l'utilité du maintien de cette redevance et du coût de sa collecte
- on supprime un petit avantage qui a été obtenu pour des personnes âgées de
plus de soixante-cinq ans non assujetties à l'impôt sur le revenu.
Or, mes chers collègues, souvenez-vous, lors de la discussion des premiers
articles du présent projet de loi de finances, des mesures fiscales bien plus
intéressantes ont été proposées ! Mais, évidemment, elles ne s'appliquaient pas
à la même catégorie de contribuables ; ceux-ci étaient un peu plus aisés,
n'est-ce pas monsieur le rapporteur général ? On ne fait jamais d'idéologie
dans cet hémicycle, vous le savez bien, mes chers collègues !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous, vous n'en faites jamais !
M. Paul Loridant.
En tout cas, mes chers collègues, je vous invite, y compris mes chers
collègues de la majorité sénatoriale, à bien réfléchir au vote que vous allez
émettre sur cet amendement, parce que, demain, on pourra vous reprocher de vous
désintéresser des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans non assujetties
à l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Et oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Après la « vignette croupion », on aura la «
redevance croupion » !
M. Gérard Miquel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel.
La commission des finances souhaite supprimer l'article 15
bis,
qui a
été adopté par l'Assemblée nationale, afin d'exonérer les personnes âgées de
plus de soixante-cinq ans qui ne payent pas d'impôt sur le revenu et qui ne
sont pas assujetties à l'impôt sur la fortune.
Le moment ne me paraît pas venu de nous lancer dans un énième débat sur la
nature de la redevance ou sur son utilité. Ce que je constate, c'est que le
gouvernement de la gauche plurielle a accepté de faire un effort significatif
pour exonérer du paiement de la redevance de télévision une nouvelle catégorie
de citoyens parmi les plus modestes.
Il a été décidé de prolonger le dispositif instauré par la loi de finances
pour 2001, qui exonérait de la redevance audiovisuelle les personnes âgées de
plus de soixante-dix ans non imposables à l'impôt sur le revenu et à l'ISF. Le
projet de loi de finances pour 2002 va plus loin en étendant l'exonération à
toutes les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans non imposables aux deux
impôts précités, revenant par là même sur un décret Balladur de 1993 et sur un
décret Juppé de 1996 qui avaient supprimé l'exonération de la redevance
audiovisuelle pour les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans non
imposables à l'impôt sur le revenu.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera contre l'amendement
de suppression défendu par le rapporteur général.
M. Pierre Hérisson.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Si l'on veut être vraiment logique et aller au-delà de la simple démagogie, il
faut exonérer toutes les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt sur le
revenu. Pourquoi se limiter à celles qui ont plus de soixante-dix ans ou plus
de soixante-cinq ans ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il y a aussi les jeunes ménages, les étudiants !
M. Pierre Hérisson.
Les personnes les plus modestes ont sûrement plus besoin d'exonération
lorsqu'elles sont en âge d'élever des enfants que lorsqu'elles sont à la
retraite !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et les chômeurs !
M. Pierre Hérisson.
Si vous voulez en faire une mesure à caractère social, vous savez bien que le
problème ne se situe pas essentiellement là où vous le placez !
De plus, curieusement, vous abaissez l'âge d'exonération à un moment où, et
c'est tant mieux, la durée de vie s'allonge.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
La diabolisation, figure de
dialectique utilisée très fréquemment par Paul Loridant, n'a strictement aucun
effet sur moi. J'aurais même tendance à réagir à l'inverse de ce qui est
recherché.
En fait, vous n'avez pas le courage de supprimer cette redevance. Vous la
videz peu à peu de sa substance, au point qu'un jour elle finira par être «
insupprimable » dans la mesure où il ne restera que quelques victimes
condamnées à la payer encore.
Chers collègues de la majorité plurielle, comme il vous reste finalement peu
de temps, vous devriez aller jusqu'au bout !
M. Pierre Hérisson.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Il nous reste peu de temps avant la fin de la législature !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ayez cet élan final qui
donnerait sens à votre volonté et supprimez cette redevance dont tout le monde
a enfin compris qu'elle coûtait plus cher qu'elle ne rapportait.
M. Philippe Marini,
rapporteur général
et
M. Pierre Hérisson.
Très bien !
M. Bernard Angels.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président de la commission des finances, venant de vous, cette
façon de s'exprimer sur un tel sujet me choque.
Vous le savez, j'ai défendu plus d'une fois dans cette enceinte la suppression
de la redevance.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est vrai !
M. Bernard Angels.
Aujourd'hui, alors que nous sommes pratiquement en fin de législature, on peut
commencer à dresser un bilan de l'action du Gouvernement. Si vous n'avez pas en
mémoire toutes les mesures qu'il a prises, je ne manquerai pas, à l'occasion,
de vous les rappeler. En tout cas, il a supprimé bon nombre d'inepties qui
perduraient, comme le droit de timbre sur les permis de conduire. Bien sûr, il
reste quelques scories, et la redevance en est une.
Mais n'est-ce pas vous qui dites continuellement que l'Etat ne doit pas
baisser les bras mais qu'il faut réduire le déficit ? Gouverner, c'est faire
des choix, et le Gouvernement a choisi de commencer par supprimer ce qui lui
paraissait le moins justifié au regard de l'égalité sociale.
J'espère que, quel que soit le gouvernement qui succédera à celui-ci, on
viendra à bout de toutes ces taxes qui, j'en suis d'accord avec vous, n'ont
plus de justification.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais, en attendant, vous voulez faire ce petit cadeau
!
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Le talent du rapporteur général est immense...
(Sourires et
exclamations.)
M. Gérard Braun.
Il n'a pas d'égal !
M. Henri de Raincourt.
Mais il est très modeste !
M. Michel Charasse.
... et il sait l'estime que je lui porte. Mais je ne suis pas du tout
convaincu par son coup de billard à quatre bandes.
M. Pierre Hérisson.
A cinq bandes !
M. Michel Charasse.
Disons qu'il y en a au moins quatre !
(Nouveaux sourires.)
Pour soutenir la suppression de la redevance - c'est d'ailleurs une position
qui peut se défendre, et nous n'avons pas, les uns et les autres, attendu cette
année pour aborder le sujet -, il nous propose de nous venger sur ce pauvre
article 15
bis,
dont la rédaction ne me séduit d'ailleurs pas
particulièrement.
La mécanique qui y est décrite est absolument infernale. Par exemple, si j'ai
bien compris, « l'année précédente », cela veut dire que s'il n'était pas
imposable l'année d'avant, il le redevient l'année considérée, mais on dégrève
tout de même !
Heureusement qu'il y a des ordinateurs pour calculer tout cela !
Cela dit, mes chers collègues, soyons un instant intellectuellement honnêtes :
qui va supprimer la redevance ? En paroles, oui, en actes, c'est une autre
paire de manches ! Je m'y suis essayé entre 1988 et 1992, mais j'ai vite remisé
tout cela dans mon tiroir !
D'abord, vous avez tous les plumitifs et intellectuels de France qui
considèrent que c'est enfermer le service public de l'audiovisuel dans une
tutelle politique et porter atteinte à sa liberté et à son indépendance que de
supprimer son financement autonome. Or, chers amis, devant les intellectuels,
notamment parisiens, vous reculez tous !
(Rires. - M. Hérisson
applaudit.)
M. Jean Chérioux.
Hélas !
M. Michel Charasse.
On l'a vu avec l'affaire de la suppression des déductions fiscales : tout le
monde a dérouillé, sauf les journalistes !
Par conséquent, arrêtons les leçons de morale !
Et puis, qui va prendre la responsabilité de fermer les centres de
recouvrement de la redevance ? Parce que le problème est aussi là ! On a, pour
des raisons d'efficacité, regroupé dans deux ou trois centres, les quelque 1
200 personnes qui sont chargées du recouvrement.
M. Henri de Raincourt.
1 400 personnes !
M. Michel Charasse.
Et ce sont des agents de catégorie C, c'est-à-dire pas des super-archevêques
de l'administration ! Alors, qui va aller expliquer à un agent de catégorie C
qui est affecté à Rennes que, subitement, il va être expédié à Strasbourg ou
ailleurs ? Le Gouvernement qui le fera n'est pas encore fabriqué et, s'il
devait l'être, ce sont les assemblées qui l'empêcheraient de le faire. Parce
que les députés et sénateurs de tous bords viendraient en cortège au ministère
des finances pour défendre leur centre et ceux qui y sont employés ! Dans les
circonscriptions concernées, cela représente beaucoup de monde.
Que l'on critique l'article 15
bis,
je peux le comprendre : il est vrai
qu'ajouter des exonérations à des exonérations devient un peu ridicule. Mais il
me paraît beaucoup moins heureux de supprimer l'article 15
bis
pour
lancer un signal en vue de la suppression de la redevance. Permettez-moi de
vous dire que, pour supprimer la redevance, il faudrait reprendre la Bastille
et refaire la Révolution !
M. Pierre Hérisson.
On ne peut rien faire, alors ?
M. Michel Charasse.
Mais, comme un peuple qui a le ventre plein n'est pas prêt à faire la
Révolution, ne rêvons pas trop !
Je voterai, en tout cas, contre l'amendement n° I-32.
(Applaudissements sur
les travées socialistes ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste et
du RPR.)
M. Paul Loridant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Moi, je veux bien que nous entamions un débat sur la redevance, d'autant qu'il
y a matière à discuter, car le sujet est complexe, ainsi que notre collègue
Michel Charasse vient de le démontrer.
Mais je réagis simplement en parlementaire « normal ». Il existe un article 15
bis
, dont l'objet est d'exonérer de la redevance les personnes âgées de
plus de soixante-cinq ans non imposables à l'impôt sur le revenu et à l'ISF.
Jusqu'à présent, pour bénéficier de cette exonération, il fallait avoir
soixante-dix ans.
Je suis peut-être un gagne-petit, monsieur le rapporteur général, mais,
gagne-petit pour gagne-petit, si quelques personnes supplémentaires peuvent
être exonérées, je crois que cela va dans le bon sens. C'est donc au nom du bon
sens que j'invite la Haute Assemblée à rejeter cet amendement.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mes chers collègues, ce débat porte non pas sur
l'exonération mais sur la réforme, et Michel Charasse est intervenu à juste
titre dans ce sens. Si nous avons tenu à vous soumettre cet amendement, mes
chers collègues, c'est bien pour vous inciter à une réflexion de ce type.
Car enfin, va-t-on nous expliquer que, dans ce pays, tout doit rester à
l'identique ? Va-t-on nous expliquer qu'on parviendra à plus de prospérité pour
tous, dans un monde extrêmement évolutif, en conservant des services
administratifs ou comptables beaucoup moins utiles qu'ils ne l'étaient à
l'origine ?
Convenez-en avec moi, il n'est tout de même pas scandaleux, « politiquement
incorrect », de soulever ce problème !
Lorsque l'on occupe des responsabilités, est-ce simplement pour s'asseoir dans
de bons fauteuils et éviter de faire de la peine à qui que ce soit ? Quand on
accède, par la faveur du Prince, au Gouvernement, est-ce simplement pour vivre
sous de beaux lambris, recevoir les uns et les autres et éviter de les choquer
?
Il y a un peu partout - naturellement, ce n'est pas une question de
positionnement politique - des gens plus ou moins courageux, plus ou moins
aventureux, et il est vrai - je lui rends tout à fait cette justice, madame le
secrétaire d'Etat - que mon homologue de l'Assemblée nationale, M. Didier
Migaud, dit depuis des années qu'il est favorable à la suppression de la
redevance. Cette thèse mérite d'être considérée. Je ne dis pas pour autant que
je la fais nécessairement mienne : peut-être existe-t-il d'autres voies ;
peut-être faut-il maintenir la redevance mais supprimer l'administration qui
est spécifiquement chargée de son recouvrement. C'est un dossier qui pourrait
aussi être examiné dans le cadre d'une réforme de la fiscalité locale.
Ecorner simplement la redevance, rendant ainsi son coût de gestion et de
recouvrement plus encore prohibitif, est-ce raisonnable ? Bien sûr, on comprend
qu'il s'agit de faire plaisir, de faire un cadeau préélectoral. Mais doit-on
pour autant approuver la méthode ?
La commission sait très bien que l'Assemblée nationale rétablira son texte.
Mais, en vous conviant à ce vote, mes chers collègues, elle vous adresse ce
message : quelles que soient les circonstances, demain ou après demain, il
faudra changer beaucoup de choses. Ce sera difficile, et il se passera
probablement ce qu'avec son expérience Michel Charasse a fort bien décrit.
Faut-il en rester là ou faut-il, au contraire, avoir une autre conception de
l'Etat et de la République ? Mes chers collègues, c'est la question que vous
pose la commission en vous invitant à voter son amendement.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° I-32, repoussé par le Gouvernement.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, pas
assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président.
En conséquence, l'article 15
bis
est supprimé.
Article 16