SEANCE DU 29 MARS 2001


POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Discussion d'une question orale avec débat

(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 28 de M. Jacques Valade à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur la politique énergétique de la France.
M. Jacques Valade attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur la nécessité de mener et de développer une politique énergétique cohérente. En effet, aujourd'hui, du fait de l'accroissement des coûts énergétiques marqué par la flambée du prix des carburants, du fioul domestique et la hausse des tarifs du gaz, la politique énergétique de la France doit permettre aux entreprises et aux citoyens d'accéder à l'énergie la plus sûre et la plus compétitive possible.
La politique énergétique de la France reste à définir ; elle doit garantir la sécurité de l'approvisionnement national, éviter une trop forte dépendance énergétique de notre pays et respecter les obligations à l'égard de l'environnement, telles qu'elles ont été définies dans les accords internationaux à partir de Kyoto.
Dans ce contexte, il lui demande quelle place le Gouvernement envisage d'accorder aux différents modes de production d'énergie électrique, sans choix arbitraire ou passionnel, et dans quelle mesure et par quels moyens le Gouvernement entend oeuvrer pour concilier les objectifs de sûreté et de compétitivité.
Je rappelle que cette discussion intervient dans le cadre de l'ordre du jour réservé.
La parole est à M. Valade, auteur de la question.
M. Jacques Valade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat a toujours porté intérêt aux problèmes énergétiques et a souhaité voir le Gouvernement préciser sa position sur ce secteur clef du développement. Nous n'avons à cet égard jamais obtenu satisfaction.
Par chance, la Commission européenne a pris l'heureuse initiative de lancer un vaste débat, ouvert à l'occasion de la diffusion d'un « Livre vert » sur la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union européenne.
Le Parlement, et singulièrement la Haute Assemblée, fort des réflexions et des réponses aux questions du Livre vert formulées dans un récent rapport du groupe d'études de l'énergie, présidé par notre collègue Henri Revol, ne pouvait être absent d'un débat aussi essentiel pour notre pays. Il est en effet dans son rôle de donner à nos concitoyens et à tous les acteurs concernés tous les éléments de jugement sur des questions aussi fondamentales que celles qui concernent la stratégie énergétique de l'Europe pour les décennies prochaines.
Je tiens d'ailleurs, ici, en mon nom personnel et au nom du groupe du Rassemblement pour la République, à saluer le courage de Mme Loyola de Palacio, commissaire européen à l'énergie et aux transports, qui a su conduire cette réflexion avec réalisme et objectivité. Je ne doute pas que tous apprécient cette initiative particulièrement opportune.
Sa réflexion rejoint celle que le Sénat a menée avec la commission d'enquête sur la politique énergétique de la France, que j'ai eu l'honneur de présider et dont le rapport, rendu public en mai 1998, conclut que « l'indépendance énergétique doit rester une priorité et qu'elle nécessite à la fois la sécurité d'approvisionnement, le respect et la protection de l'environnement, et la compétitivité des entreprises ».
Ces conclusions sont aujourd'hui confirmées par les récentes secousses du marché pétrolier, qui sont venues nous rappeler, s'il en était besoin, l'importance de l'énergie pour la croissance économique de la France et, plus largement, de l'Europe. Notre taux d'indépendance énergétique national est d'ailleurs repassé depuis deux ans en dessous de la barre symbolique des 50 %, malgré notre équipement électronucléaire exceptionnel, qui assure près de 80 % de la fourniture de l'électricité. Notre facture énergétique du premier semestre 2000 est estimée à 70 milliards de francs, soit près de 90 % de la facture totale de l'année précédente !
A défaut d'obtenir du Gouvernement un débat au Sénat sur la politique énergétique, nous avons pris l'initiative de l'inscrire à l'ordre du jour réservé de notre Haute Assemblée.
C'est la raison pour laquelle je me réjouis aujourd'hui d'une telle rencontre, monsieur le secrétaire d'Etat, car elle doit être pour nous l'occasion de dresser un bilan de la politique énergétique menée par le Gouvernement depuis 1997, par référence aux options courageuses et efficaces du passé, et de juger dans quelle mesure celle-ci nous prépare réellement aux défis que nous avons à relever : défi environnemental, défi européen, eu égard, en particulier, au nouveau contexte concurrentiel dans les secteurs électrique et gazier, et défi de la sécurité de l'approvisionnement en matériaux énergétiques, ce qui pose le problème à la fois de la pérennité des ressources fossiles, mais surtout du renouvellement de notre parc de centrales, de la gestion des déchets et du recours aux énergies renouvelables.
Ce débat doit être aussi pour nous l'occasion de définir les contours d'une politique qui réponde objectivement au problème crucial que constitue la dépendance énergétique croissante de l'Union européenne. Selon le Livre vert, celle-ci passera, si rien n'est fait, de 50 % à 70 % d'ici à 2020 : il s'agit donc de savoir dans quelle mesure et par quels moyens la France et l'Europe décideront de répondre à ce défi majeur du xxie siècle.
Ces réflexions doivent ainsi nous conduire à repenser la politique énergétique confrontée à un dilemme : la continuité d'une politique qui a porté ses fruits et la nécessaire évolution liée au nouveau contexte international et à l'avenir préoccupant de la planète.
A ce titre, dans le contexte de mondialisation, d'ouverture à la concurrence et de progrès techniques pour la production d'énergie, force est de constater que le principe fort d'indépendance énergétique a été parfois perdu de vue ou mal compris, comme le démontrent, malheureusement, certains choix politiciens du Gouvernement depuis près de quatre ans. En effet, la participation des Verts au Gouvernement, dont la conception en matière d'énergie est radicalement en rupture avec les options jusqu'à présent soutenues sans relâche par les gouvernements successifs, nous amène à nous interroger sur la définition de la politique énergétique future, car des doutes apparaissent sur sa lisibilité, sa cohérence et son équilibre.
Nous n'oublions pas que, dès 1997, la décision très controversée d'arrêt et de démantèlement du surgénérateur Superphénix a été une décision éminemment politique, liée à l'équilibre de « la majorité plurielle », et sans débat d'aucune sorte devant le Parlement. Le Sénat a très largement analysé et critiqué cet abandon dans le cadre de la commission d'enquête sur la politique énergétique de la France.
Je regrette toujours cette décision, car il n'a pas été raisonnable de fragiliser ainsi l'avenir de la filière nucléaire, à la fois sûre, compétitive et seule respectueuse des impératifs environnementaux, ainsi que la crédibilité et la compétitivité de nos industries nationales.
Le rapport de M. Jean-Michel Charpin de juillet 2000 confirme d'ailleurs cette évidence en concluant que « l'énergie nucléaire a encore de beaux jours devant elle, y compris dans un contexte de libéralisation du marché européen ».
Cela est d'autant plus regrettable et préoccupant qu'il devient urgent d'assurer la continuité et la pérennité de la filière nucléaire. A cet égard, je déplore, une fois encore, que le Gouvernement tarde à prendre les décisions qui s'imposent en ce qui concerne le renouvellement du parc nucléaire.
Je pense ici, tout particulièrement, au REP 2000, prochain standard des centrales nucléaires d'EDF, destiné à succéder à l'actuel palier et qui devrait être équipé du réacteur franco-allemand EPR. Le projet est prêt et il nécessite une décision rapide afin de ne pas retarder la mise en oeuvre toujours longue des centrales de deuxième génération.
Il est tout aussi essentiel de poursuivre activement les programmes de recherche engagés au niveau européen dans le domaine de la fusion nucléaire, mode de production d'énergie qui ne produit pas de déchets. Or je m'inquiète des difficultés d'obtention de crédits suffisants dans le cadre du sixième programme européen de recherche et développement.
Contrairement aux récentes déclarations de la « frange verte » de votre majorité plurielle - il est vrai un peu plus épaisse depuis les résultats des dernières élections municipales - l'Europe ne pourra se passer d'aucune source d'énergie, y compris l'électricité d'origine nucléaire.
L'heure n'est plus aux tergiversations. Il était, encore récemment, de bon ton - dans certains milieux et certains pays - d'accompagner, voire d'amplifier, la diabolisation de l'énergie nucléaire, engendrant dans la population des craintes qui semblent devenir légitimes alors qu'elles ne sont que passionnelles.
Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, le vent a tourné. La raison reprend le dessus, comme le démontre le Livre vert de la Commission européenne, et nombre de pays jouent la carte de la complémentarité et de la diversification des sources d'énergie. De telles décisions s'imposent si l'on veut réellement être en mesure de répondre au défi climatique et de respecter les engagements internationaux en la matière qu'il faut, sans cesse, rappeler et confirmer.
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, contrairement au titre racoleur d'un grand quotidien national daté de lundi dernier, la bataille nucléaire n'est pas en route, pas plus que la bataille du charbon, du lignite ou du gaz, ou encore des éoliennes pour tel ou tel pays.
Tous les acteurs et décideurs européens raisonnables savent, en effet, pertinemment que l'énergie nucléaire présente des avantages en termes tant de sécurité d'approvisionnement que de compétitivité ou d'environnement. Sa production s'accompagne certes de déchets qu'il faut et que l'on peut traiter ou stocker dans des conditions parfaitement rigoureuses et sûres. A titre d'anecdote, je rappellerai que la totalité des déchets ultimes produits depuis le début de l'exploitation du parc électronucléaire français représente « un volume que contiendrait une piscine olympique ».
A ce titre, il est important d'améliorer la gestion du cycle. La France dispose d'outils industriels exceptionnels, dont le Gouvernement lui-même a favorisé la réorganisation par le biais de la création du nouvel ensemble actuellement dénommé TOPCO. Il faut protéger cet ensemble, unique au monde, en choisissant les bonnes stratégies nationales et internationales.
N'oublions pas, comme l'ont souligné encore récemment nos collègues M. Jean-François Le Grand, Mme Anne Heinis et M. Jean Bizet, tous sénateurs de la Manche, que l'usine de La Hague retraite chaque année plus de 85 % des combustibles utilisés par EDF.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, j'attends du Gouvernement qu'il nous dise clairement aujourd'hui s'il entend défendre les intérêts de l'usine de La Hague qui est, depuis plusieurs années, et tout particulièrement ces dernières semaines, la cible des écologistes qui ont pour seul objectif d'obtenir sa fermeture, ou s'il entend, dans cette affaire, à nouveau, céder aux exigences de « la frange verte de sa majorité », plutôt que de rassurer l'opinion publique française qui, naturellement, commence à être fortement inhibée par les craintes qui sont ainsi soulevées.
Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, l'indépendance énergétique de notre pays, largement fondée sur son excellence technologique, doit être plurielle... comme votre majorité ! (Sourires.) Mais la France ne saurait renoncer aux principes qui ont inspiré sa politique et aux succès qu'elle a remportés dans le domaine nucléaire.
Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, l'Europe aura besoin de toutes les sources d'énergie, y compris, naturellement, les énergies renouvelables, car elles ne peuvent que contribuer à la diversité, et donc à la sécurité, de l'approvisionnement énergétique. Elles représentent un potentiel réel sur certains territoires, comme énergie d'appoint grâce au développement de réseaux locaux adaptés aux besoins.
Toutefois, ne soyons pas dupes, leur contribution au bilan énergétique restera limitée et ne trompons pas nos concitoyens en leur laissant penser, comme le Gouvernement se laisse parfois aller à le faire, que les énergies renouvelables pourraient se substituer aux énergies conventionnelles.
La politique en matière d'économies d'énergie doit, quant à elle, apporter sa contribution et des efforts financiers doivent lui être consacrés. Cette politique doit être intelligente : il s'agit non pas de diminuer la consommation d'énergie, mais d'optimiser son utilisation. En effet, l'énergie la moins chère est bien celle que l'on ne consomme pas. Le remplacement de l'alimentation des feux de croisement de la communauté urbaine de Bordeaux - vous me pardonnerez cet exemple local - par une alimentation en énergie basse tension a permis d'économiser, depuis dix ans, 60 % de la consommation électrique. Cet exemple peut être multiplié.
Le secteur du bâtiment et le secteur des transports doivent faire l'objet d'efforts particuliers, tant quantitatifs par rapport à l'énergie que qualitatifs par rapport à l'environnement.
A cet égard, je souhaite notamment que les biocarburants et autres carburants de substitution occupent toute leur place dans le cadre de politiques nationales et européennes volontaristes. Sur ce point, là encore, la politique du Gouvernement est loin d'être exemplaire. Je pense ici, tout particulièrement, à l'obligation d'utilisation de carburants de substitution dans les transports publics et au remboursement d'équipements non polluants pour les transports en commun, deux dispositions prévue dans la loi sur l'air de décembre 1996 qui sont restées lettre morte, le Gouvernement n'ayant pas jugé bon de faire paraître les décrets d'application.
Par ailleurs, je déplore le paradoxe qui fait que, dans les enceintes internationales, on confie aux seuls ministres de l'environnement la responsabilité des problèmes énergétiques et environnementaux. Réagissez, monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie !
M. Ladislas Poniatowski. Mais bien sûr !
M. Jacques Valade. Comment ces questions peuvent-elles, dans ces conditions, être étudiées avec toute l'objectivité et la sérénité nécessaires ?
S'agissant de la libéralisation de notre secteur énergétique, là aussi les ambiguïtés et les contradictions du Gouvernement fragilisent considérablement la position française.
Pour reprendre une formulation chère à M. Laurent Fabius, « l' a priori idéologique » du Gouvernement a malheureusement inspiré la transposition de la directive européenne sur l'électricité, et avec plus d'un an de retard. Quant au secteur du gaz, l'échéance du 10 août 2000 n'a pas non plus été respectée, contraignant l'entreprise publique à des acrobaties juridiques pour faire face à une concurrence déjà existante.
A ce titre, le répit que vous venez d'arracher à Stockholm pour l'accès à notre marché énergétique, monsieur le secrétaire d'Etat, est loin de me rassurer ; il laisse d'ailleurs perplexes ceux de nos partenaires européens qui vous reprochaient hier votre volonté de protéger le plus longtemps possible EDF, dont le marché restait fermé en France, mais qui profitait néanmoins de la concurrence ouverte à l'étranger.
Il ne faut pas rêver : cela ne pourra pas durer. Les Premiers ministres espagnol et, ce matin, italien ne viennent-ils pas de menacer de fermer leur pays aux ambitions de notre opérateur public ?
La Commission européenne a d'ailleurs été chargée de veiller à ce que « les entreprises qui conservent une situation de monopole sur leur marché national ne profitent pas indûment de cette situation ».
En outre, les conclusions du dernier sommet européen indiquent que cette question des échéances devra être réexaminée « en vue de mettre en oeuvre dès que possible l'objectif d'ouverture du marché ». Les experts rappellent d'ailleurs que la France a certes obtenu un répit politique, mais qu'elle doit garder à l'esprit que, dans le secteur de l'énergie, une décision sera désormais prise à la majorité qualifiée dans le cadre du Conseil des ministres européens chargé de statuer sur les prochaines étapes.
Sur ce point essentiel, monsieur le secrétaire d'Etat, votre erreur stratégique a été de vous battre sur la forme, et non sur le fond. En effet, la France avait l'opportunité à Stockholm de défendre une troisième voie, une voie originale.
Pour être crédible dans ce domaine, encore aurait-il fallu que la France prouve à ses partenaires européens sa volonté de faire réellement évoluer son marché. Une occasion a malheureusement été manquée lors de l'examen de la loi dite de modernisation et de développement du service public de l'électricité, qui limite l'évolution du marché français. A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite que vous me donniez acte, ici au Sénat, des efforts que nous avons accomplis ensemble afin d'améliorer ce texte. Malheureusement, malgré notre accord, entre vous et nous, notre contribution a été négligée et nous avons constaté qu'il y avait deux langages : l'un ici au Sénat, raisonnable et consensuel, l'autre là-bas, doctrinaire et passionnel. Je ne vous cache pas que nous gardons un peu d'amertume en ce qui concerne tant la nature de nos relations que le résultat.
Les perspectives que vous ouvrez ne sont pas meilleures : votre projet de loi relatif à la modernisation du service public du gaz défend une ouverture a minima et ne dit rien sur la nécessaire évolution du statut de GDF, question pourtant capitale pour l'avenir et le développement de l'entreprise dans un secteur très concurrentiel. Ce n'est pas le président Gadonneix qui me contredira ! En effet, la France ne peut continuer à faire cavalier seul dans un marché mondial énergétique en pleine ébullition et marqué par de fortes évolutions structurelles et commerciales chez les acteurs du secteur, rendant indispensables les fusions-acquisitions et, éventuellement, les extensions d'activités.
Ne voyez pas dans mes propos, monsieur le secrétaire d'Etat, la défense d'un modèle anglo-saxon en la matière. A cet égard, l'Union européenne et singulièrement la France peuvent parfaitement trouver l'équilibre qui leur convient.
L'analyse des causes de la crise énergétique que connaît aujourd'hui la Californie, utile « contre-exemple » de dérégulation ratée, est instructive. Mais ne nous y trompons pas : les situations américaine et européenne n'ont que peu en commun. Aussi, il serait absurde de s'abriter derrière « l'alibi californien » pour maintenir le statu quo chez nous.
Je crois, en effet, qu'entre le monopole et la dérégulation sans borne l'Europe doit continuer à rechercher et à poursuivre une troisième voie. L'Union européenne disposant d'ores et déjà de nombreux leviers pour agir à la fois sur la demande et sur l'offre énergétique, il lui appartient d'assurer prioritairement la cohérence et la coordination de l'ensemble des politiques.
L'examen de votre projet de loi sur le gaz, s'il a lieu pendant cette législature - ce qui ne me paraît pas certain - et s'il se défait de l'« a priori idéologique » que j'évoquais précédemment, devrait être l'occasion pour nous, au-delà de nos clivages politiques, de définir cette nouvelle voie.
En effet, la transposition de la directive relative au marché intérieur du gaz offre à la France une double opportunité : d'une part, compte tenu des négociations et des accords en cours, réserver une place plus importante au gaz naturel dans la couverture des besoins énergétiques de notre pays, qui n'est aujourd'hui que de 14 %, alors qu'elle s'élève à 21 % en moyenne au sein de l'Union européenne ; d'autre part, permettre l'émergence d'une énergie plus compétitive pour les clients éligibles comme pour le consommateur captif.
Cet objectif ne sera atteint que si différentes conditions sont réunies, conditions que nous aurons l'occasion d'évoquer ultérieurement. Or, en l'état actuel de votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, ces conditions sont loin d'être réunies.
Que dire, en effet, de l'ouverture du capital de GDF, sur laquelle votre texte reste muet, alors que son président vient de choisir une banque conseil à cette fin ? Que dire encore de l'ouverture a minima du marché quand on sait, par exemple, que seule une éligibilité totale de la cogénération permettra à la France de rattraper, dans ce secteur, son retard sur ses partenaires européens et de contribuer ainsi au développement de ce mode de production décentralisée bénéficiant d'atouts énergétiques et environnementaux ?
Plus largement, et bien que les directives européennes n'imposent pas, pour l'instant, d'harmonisation communautaire sur des sujets qui relèvent de la subsidiarité, comme la tarification du transport de l'électricité ou la fiscalité de l'énergie, le marché intérieur européen devrait rapidement conduire à l'uniformisation souhaitable des pratiques nationales.
S'agissant plus particulièrement de la fiscalité énergétique, l'harmonisation communautaire est indispensable, notamment dans le domaine des diverses taxes fiscales nationales sur les carburants.
Sur ce point, là encore, le mécanisme, incompréhensible pour nos concitoyens et nos partenaires européens, dit « TIPP flottante », présenté par le Gouvernement et adopté dans la loi de finances de 2001, n'est malheureusement pas exemplaire.
En effet, je suis dubitatif quant à la justification économique et écologique d'une baisse artificielle du prix des produits pétroliers qui fait perdre tout repère au consommateur et ne l'incite pas à réduire sa consommation.
Comment expliquer à nos concitoyens qu'on augmente le prix à la pompe lorsque le prix du pétrole baisse ? Cela défie toute logique ! Les baisses des prix de l'essence annoncées à l'automne dernier par le Gouvernement n'étaient finalement qu'un leurre. Quelques mois après, les hausses reprennent, alors que le prix du pétrole à la production a baissé de plus de 20 %.
M. François Gerbaud. Eh oui !
M. Jacques Valade. S'agissant de la mise en place d'une éventuelle écotaxe au niveau européen, il paraît cohérent qu'une telle taxe soit proportionnelle au contenu en carbone des matériaux énergétiques, puisque ce sont eux qui sont polluants, et que son produit soit principalement affecté à l'amélioration de l'environnement.
Mais, là encore, la politique du Gouvernement en ce domaine n'est pas exemplaire : non seulement le dispositif de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, ne taxe pas efficacement les activités polluantes mais, de surcroît, son produit est affecté au financement d'une partie du coût de la réduction du temps de travail.
Pire, ce dispositif constitue un véritable dévoiement de la fiscalité écologique. Heureusement que, dans sa décision du 28 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a condamné l'extension de cette taxe à l'électricité et aux produits énergétiques fossiles comme ne respectant pas le principe de l'égalité devant l'impôt.
Conformément à la mise en garde de la Haute Assemblée à l'époque, le Conseil constitutionnel a donc censuré un dispositif qui ne répond en rien aux objectifs assignés par le Gouvernement, puisqu'il n'intègre pas dans son assiette l'ensemble des activités émettant des gaz à effet de serre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la définition d'une politique énergétique européenne entraînera une globalisation des conséquences des choix et une diversité de réponses qui ne peuvent plus être fondées sur une seule source d'énergie. Les solutions devront être un « mix », un mélange souple, évolutif et adaptable pour prendre en compte les réalités technologiques, l'évolution générale des prix et des marchés.
Je confirme ici, solennellement, que nous sommes favorables à la pluralité des sources d'énergie. Toutes seront nécessaires. Le nucléaire n'est pas la seule réponse, mais il n'y a, sans aucun doute, pas de réponse sans lui.
A ce titre, je crois qu'il est essentiel de prévoir, comme je l'avais demandé dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale, une loi de programmation pluriannuelle, afin de formaliser nos choix en matière énergétique.
Une telle démarche permettrait d'éviter les calculs, les hésitations et les doutes politiciens. Car sur un sujet stratégique, l'intérêt partisan doit s'effacer devant l'intérêt de la France et de nos concitoyens ; il doit viser plus la continuité et le long terme que les intérêts particuliers et le court terme.
Le général de Gaulle avait déclaré : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Il ne faut pas que la politique énergétique de la France se développe à partir d'officines politiciennes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Besson.
M. Jean Besson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat, organisé sur l'initiative de notre collègue Jacques Valade, est tout à fait bienvenu,
Le Parlement n'a guère l'opportunité, en effet, de débattre de la politique énergétique de la France. Certes, chaque année, l'examen du projet de loi de finances, tout particulièrement celui qui est consacré à l'énergie, dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, nous en donne l'occasion.
Nous avons par ailleurs débattu longuement, notamment au Sénat, de la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Et nous aurons, je l'espère, à débattre prochainement du projet de loi relatif à la modernisation du service public du gaz naturel et au développement des entreprises gazières.
Il est vrai, cependant, qu'en tant que parlementaires nous exerçons surtout un travail de contrôle et d'information qui s'opère essentiellement au sein des groupes d'études, des commissions et des offices, mais rarement en séance publique. Dans tous les cas, monsieur le secrétaire d'Etat, vous faites toujours preuve de grande disponibilité et je vous en remercie.
La politique énergétique menée par la France depuis le premier choc pétrolier de 1973 a donné des résultats plutôt satisfaisants. Le recours au nucléaire pour la production d'électricité nous a permis d'asseoir notre indépendance, de diversifier notre approvisionnement et d'être parmi les pays les moins émetteurs de dioxyde de carbone : trois fois moins que les Etats-Unis par habitant.
Le bilan mérite toutefois d'être nuancé : au fil du temps, la politique de maîtrise de l'énergie s'est relâchée, la question de l'aval du cycle nucléaire n'a pas été résolue et, enfin, les besoins croissants en matière de transports ont maintenu une forte dépendance de notre pays à l'égard de l'extérieur.
Par ailleurs, de nouvelles préoccupations ont vu le jour : la lutte contre l'effet de serre et, plus généralement, la nécessité de protéger l'environnement, la demande à plus de transparence pour le nucléaire.
Enfin, l'organisation du secteur énergétique s'est profondément modifiée. Les secteurs de l'électricité et du gaz se sont ouverts à la concurrence, tandis que le paysage industriel évoluait considérablement.
A partir de ce constat, le Gouvernement a défini les grandes orientations de notre politique énergétique, qui ont d'ailleurs été débattues à l'Assemblée nationale, mais il est vrai, pas au Sénat. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'Etat, celles-ci reposent sur trois piliers essentiels : la recherche de la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité de notre économie et la prise en compte des impératifs environnementaux. Enfin, elles prennent en considération trois préoccupations fortes : l'emploi, la solidarité et les missions de service public.
Ces orientations sont bonnes ; j'y souscris pleinement. Elles permettent à la France d'avoir une politique équilibrée. Je n'y reviendrai donc pas dans le détail, préférant centrer mon propos sur l'actualité européenne : le Livre vert sur la sécurité d'approvisionnement publié récemment par la Commission européenne et les conclusions du sommet de Stockholm.
Le Livre vert est tout à fait intéressant car, pour la première fois, est lancé au niveau européen un débat global sur les enjeux de notre politique énergétique. Le constat est assez grave : si rien n'est fait pour infléchir la tendance actuelle, l'Union européenne verra sa dépendance énergétique atteindre 70 % dans les vingt années à venir. Ses engagements internationaux pris dans le cadre du protocole de Kyoto seront difficilement tenus.
Sans proposer de solutions fermes, le Livre vert avance plusieurs propositions qui pourraient constituer une stratégie pour l'Union en vue d'assurer la sécurité de son approvisionnement. Je vais commenter certaines d'entre elles.
Le Livre vert recommande de diversifier nos sources d'énergie en faisant le pari des énergies renouvelables. Pour cela, l'Europe s'engage à porter la part d'électricité verte à 22,1 % de la consommation à l'horizon 2010. A ce propos, je salue l'action de la présidence française, qui a permis d'obtenir l'adhésion unanime de tous nos partenaires. Vous connaissez tous notre souci de promouvoir ces énergies.
Pour la France, l'objectif est ambitieux : la part d'électricité produite à partir d'énergies renouvelables doit en effet passer de 15 à 21 %. J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous fassiez le point sur les moyens que le Gouvernement entend mobiliser pour atteindre cet objectif.
Le Livre vert, s'il met l'accent sur ces énergies, laisse cependant des options ouvertes ; en disant cela, je pense au nucléaire.
Pour l'heure, il est incontestable que les énergies renouvelables ne peuvent offrir de production de masse. Sans l'électricité d'origine nucléaire, il serait difficile de tenir nos engagements contre l'effet de serre, d'assurer correctement la sécurité de nos approvisionnements et de préserver notre tissu économique des variations du cours du pétrole. Le Livre vert le reconnaît.
L'énergie nucléaire doit donc rester le pilier de la politique énergétique française. Néanmoins, si nous voulons que le nucléaire demeure une filière d'avenir, nous devons tout d'abord répondre au souci de transparence revendiqué par nos concitoyens. Des progrès ont été accomplis, mais ce n'est pas suffisant.
Il faut que nous traitions la question de l'aval du cycle nucléaire. La « loi Bataille » a fixé un cadre. Il faut s'y tenir. Il ne faut négliger aucune piste. Il y a un travail d'explication et de concertation à faire.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement prépare attentivement l'avenir du nucléaire français. La recomposition de notre pôle nucléaire en un ensemble clair et cohérent le prouve.
Le Livre vert insiste aussi sur la nécessité de relancer la politique de maîtrise de l'énergie. Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie. Je crois que nous devons faire un effort important dans le secteur du bâtiment. C'est un enjeu environnemental, mais aussi social : la nouvelle « réglementation thermique » fera baisser les charges des logements des ménages en réduisant les dépenses énergétiques.
La Commission européenne souhaite par ailleurs parvenir en 2005 à une libéralisation totale du secteur électrique et gazier, y compris pour les consommations domestiques. A cet égard, je me réjouis de la détermination de M. le Premier ministre, qui, lors du récent Conseil européen de Stockholm, les 23 et 24 mars derniers, s'est opposé à la fixation d'une date effective.
La France n'entend pas s'opposer au processus d'ouverture ; elle entend seulement qu'il soit progressif, maîtrisé et socialement acceptable. Comme le soulignait à juste raison le Premier ministre, la libéralisation ne saurait être appréhendée au travers du seul prisme de la baisse des prix ; elle doit prendre en compte les obligations de service public : sécurité d'approvisionnement, continuité sur l'ensemble du territoire et égalité d'accès pour tous les citoyens.
Pour autant, si le communiqué final du sommet de Stockholm ne comporte aucune date, le Conseil approuve cependant l'objectif d'ouvrir dès que possible les marchés. La commission est invitée à évaluer la situation de ces secteurs dans le rapport qu'elle présentera au prochain Conseil européen, afin de permettre l'adoption de nouvelles mesures.
Partant de là, je souhaiterais connaître, monsieur le secrétaire d'Etat, la position que la France entend adopter lors des prochaines réunions des ministres de l'énergie. Peut-elle véritablement faire infléchir le point de vue de la Commission ?
Il est un autre domaine stratégique : les transports. Le Livre vert insiste sur ce point. Je regrette cependant que les solutions proposées s'articulent essentiellement sur l'ouverture à la concurrence des transports ferroviaires. Les exemples étrangers devraient inciter à plus de vigilance, notamment du côté de nos amis anglais. Je pense à ce propos aux déboires du chemin de fer anglais privatisé. Il faudrait, en revanche, une mobilisation financière de l'Union européenne bien plus grande qu'actuellement, notamment pour résorber les goulets d'étranglement, notamment dans la vallée du Rhône.
S'agissant de la France, d'ici à 2010, la progression de la consommation énergétique liée au transport devrait s'accroître de 1,6 % en moyenne et 40 % des gaz à effet de serre auront pour origine les transports. En outre, le secteur des transports dépend pour 95 % du pétrole importé. C'est dire l'enjeu de mener une politique ambitieuse dans ce domaine.
Même s'il est opportun de s'efforcer d'améliorer les carburants, les performances des véhicules et la réglementation technique pour lutter contre cette évolution, ce n'est pas suffisant. Il faut désormais promouvoir une autre politique des transports, moins axée sur le « tout routier ». C'est un point fort de la politique du Gouvernement et de sa majorité, et je m'en réjouis.
La notion de « développement durable » est désormais au coeur de nos choix d'aménagement du territoire et d'urbanisme. Les schémas de services collectifs des transports en cours d'élaboration s'inscrivent dans cette démarche. La nouvelle génération de contrats de plan Etat-région répond aussi à ces objectifs : 8,7 milliards de francs sont consacrés aux transports ferroviaires, soit dix fois plus que pour le XIe Plan, comme l'a expliqué tout à l'heure M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement. Nous ne devons pas non plus relâcher notre effort en faveur des transports les moins polluants dans les agglomérations urbaines.
Voilà, de manière résumée, les points que je souhaitais exposer. Sachez, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous avez le soutien des sénateurs du groupe socialiste pour mener à bien une politique énergétique au service de la compétitivité de notre économie et du développement durable de notre territoire, une politique solidaire au service de l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parce que, d'un point de vue global, il concerne un sujet des plus délicats, l'indépendance énergétique de notre pays, le débat auquel nous prenons part aujourd'hui revêt un caractère d'extrême importance.
La question posée par notre collègue M. Jacques Valade circonscrit son champ d'étude à l'énergie électrique, alors que sa contribution aux réponses du Livre vert de la Communauté européenne nous avait particulièrement intéressés. Pour autant, elle nous offre la possibilité d'un débat de plus en plus nécessaire.
En ce domaine, la situation de la France paraît des plus enviables. Premier producteur d'Europe pour l'énergie nucléaire et pour les énergies renouvelables la France dispose d'une autonomie confortable. Produite pour 75 % à partir du nucléaire, pour 18 % à partir d'énergies renouvelables et pour seulement 8 % à partir des combustibles fossiles, ce mode de production de l'électricité a l'avantage de ne contribuer que très faiblement à l'émission de gaz à effet de serre. Par ailleurs, les nouvelles technologies et les recherches en cours devraient permettre de trouver à terme des solutions optimales quant au retraitement des déchets radioactifs.
Il n'en demeure pas moins que la décision récente de certains Etats membres de la Communauté d'abandonner le nucléaire suscite quelques interrogations quant à la réelle capacité et à la volonté française de maintenir, de développer cette filière. La France dispose, en ce domaine, d'un réel savoir-faire et de compétences certaines qui méritent d'être préservés, d'autant que la consommation d'électricité ne cesse de croître et que l'énergie nucléaire constitue une réponse appropriée pour faire en partie face à cette augmentation. Pour répondre aux besoins nouveaux, aux besoins de proximité par exemple que les tempêtes de décembre 1999 ont mis en évidence, pour assurer les missions de service public, au premier rang desquelles se situe l'indépendance énergétique française en matière d'électricité, nous devons, dès aujourd'hui, programmer les investissements en infrastructures, parmi lesquels figurent ceux qui permettront de renouveler notre parc nucléaire. Je pense plus particulièrement au projet EPR, qui présente des avancées incontestables en matière de sûreté nucléaire.
Nous maintenons notre souhait de voir le Gouvernement s'engager dans cette voie, qu'il soit animé par la ferme volonté de diversifier les sources énergétiques en accordant leur place aux énergies « vertes », comme l'hydraulique, la biomasse, l'éolien, mais aussi le gaz, tout en maintenant le nucléaire.
Mais permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, d'émettre quelques doutes voire d'éprouver quelques craintes quant à la compatibilité entre les objectifs que vous vous êtes fixés et la libéralisation des secteurs de l'électricité et du gaz engagée depuis les directives de 1997 et 1998. Les propositions récentes du commissaire européen à l'énergie d'accélérer ce processus ne font que renforcer ces doutes et ces craintes, tandis que l'analyse que vous me permettrez de vous exposer les confirme et les justifie.
Je commencerai par une brève incursion historique en rappelant un certain nombre de faits que l'idéologie libérale a trop tendance à nous faire oublier.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France était fortement dépendante en matière énergétique. Comment ne pas souligner que les progrès réalisés en ce domaine, nous les devons à l'héritage des forces politiques de l'époque, issues du Comité national de la Résistance, conscientes de la faillite des économies de marché des années vingt et trente, qui ont constaté l'impossible régulation par le marché ? Maîtriser l'avenir, élaborer des projets à long terme passait pour ces hommes et ces femmes par la substitution de l'économie planifiée à l'économie de marché.
Au sein du plan français, cette organisation unique, capable de garantir aux industriels un horizon d'anticipation à long terme dégagé des contraintes de rentabilité à court terme, ce « réducteur d'incertitudes », selon la judicieuse expression de Pierre Massé, le secteur de l'énergie occupa une place particulière. La notion de service public y joua un rôle primordial, que ce soit en matière d'aménagement du territoire, d'électrification des zones rurales et d'obligation de desserte, de péréquation tarifaire, d'indépendance énergétique ou encore d'emploi.
Les énormes besoins de financement liés au développement des infrastructures en matière hydroélectrique puis nucléaire furent satisfaits grâce à l'appui du système bancaire et du Trésor public.
EDF, monopole public, devint le fer de lance d'une politique visant à assurer à la France son indépendance énergétique. Les résultats furent performants et à la hauteur des ambitions, que ce soit du point de vue de la sécurité à long terme et de l'efficacité technique, des critères écologiques ou tarifaires.
Au regard de ce bref rappel historique des principales conditions qui ont permis le développement de notre industrie énergétique, le contexte actuel de déréglementation à tout crin ne semble guère compatible avec les besoins nouveaux qui se font jour.
La précipitation actuelle de Bruxelles visant l'accélération de la réalisation d'un marché intérieur de l'énergie par extension du domaine d'égibilité des secteurs de l'électricité et du gaz à tout consommateur - ménages compris - nous semble particulièrement dangereuse.
La nouvelle directive intégrerait dans le droit européen des exigences de service public. Pour autant, la notion européenne de « service universel » n'est toujours pas clairement définie et semble, en conséquence, relever plus du domaine de la rhétorique que de celui de la contrainte, qui garantirait l'exercice des missions de service public parmi lesquelles figurent le droit à l'énergie pour tous et l'indépendance énergétique.
La précédente directive sur l'électricité laissait l'opportunité de mettre en oeuvre une véritable politique industrielle visant le long terme en considérant que, « pour certains Etats membres, l'imposition d'obligations de service public pouvait être nécessaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement, la protection du consommateur et la protection de l'environnement que, selon eux, la libre concurrence, à elle seule, ne pouvait pas nécessairement garantir », et que « la planification à long terme pouvait être un des moyens de remplir lesdites obligations de service public ».
Le changement d'orientation opéré par la Commission pourrait se traduire dans les faits par la soumission du secteur énergétique à une régulation de type boursier, qui serait génératrice de multiples incertitudes : incertitude sur les prix, soumis à la volatilité des marchés à court terme, les marchés « spot » du kilowattheure, incertitude sur les débouchés, les clients ayant la possibilité de changer de fournisseurs ou d'exiger des rabais par leur mise en concurrence, incertitude, enfin, sur la sécurité d'approvisionnement du fait de la réduction de la durée des contrats d'approvisionnement, comme on le constate aujourd'hui dans la plupart des pays ayant libéralisé le secteur énergétique.
Depuis l'ouverture partielle à la concurrence et pour faire face à la perte éventuelle de clients, EDF a dû consentir des baisses de prix importantes en faveur de ses clients éligibles. Sur l'année 2000, les rabais accordés aux industriels varient, selon les cas, de 5 % à 30 %, avec une moyenne de l'ordre de 15 %. Cette baisse, résultat de la pression sur les prix que peuvent désormais exercer les clients éligibles, à laquelle s'ajoute la perte d'environ 17 % de ses clients industriels, a provoqué une diminution des recettes et une fragilisation de la situation financière de l'entreprise. L'éligibilité universelle souhaitée par Bruxelles et inscrite dans le contrat de groupe risque de contraindre EDF à consentir de nouvelles diminutions de prix.
Cette déflation est, en premier lieu, salariale. La diminution des coûts salariaux passe d'abord par la réduction de la masse salariale par le biais des suppressions d'emplois et par l'augmentation de la productivité et de l'intensité du travail.
Elle porte, en second lieu, sur la recherche d'une diminution des coûts des matières premières, par pression sur les prix des fournisseurs.
A titre d'exemple, dans le secteur énergétique, tandis qu'Electrabel annonce la suppression de 10 % de son effectif pour faire face à l'accélération de l'ouverture du marché, EDF s'engage à réduire de 30 % ses frais hors main-d'oeuvre par le biais d'une diminution de ses frais d'achats et en imposant à ses salariés des efforts de productivité.
Au niveau européen, le secteur énergétique aura perdu, selon la Confédération européenne syndicale, 300 000 emplois sur la dernière décennie. Et les prévisions actuelles tablent sur une baisse de 25 % de l'emploi à l'horizon 2010.
Tandis que la Commission européenne se félicite de la baisse des prix liée à la réalisation du marché intérieur parce qu'elle bénéficierait en dernière instance au consommateur, nous continuons de nous interroger sur les vertus de ce que l'on a qualifié à partir des années soixante-dix de « retour du marché » qui s'apparente plutôt au retour de formes de concurrence non maîtrisées. Pourquoi substituer au « monopole naturel » qui a fait preuve par le passé de son efficacité une forme primaire de concurrence qui est loin, elle, d'avoir fait ses preuves ?
Le risque est grand qu'EDF ne puisse pas faire face aux lourds investissements qu'il devient urgent de programmer. Ce sont les financements qui risquent de lui faire défaut dans un contexte d'orthodoxie monétaire et financière, de course à la taille critique et de diminution des recettes, qui grèvent d'autant les ressources financières.
Est-il raisonnable de penser, comme le fait l'actuel président d'EDF, qu'un taux de retour sur investissement de 10 % puisse être atteint ? Ce taux satisferait-il les marchés financiers, pourvoyeurs de fonds rémunérateurs ?
Il satisfera sans doute ceux des capitaux qui rêvent depuis longtemps de pénétrer dans le monopole public.
Alors que la question qui nous est posée est celle de l'indépendance énergétique de notre pays, la réponse apportée par l'intermédiaire de la concurrence à tout crin semble nous éloigner encore plus de la solution recherchée.
M. le président. La parole est à M. Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président, mes chers collègues, « une voiture individuelle émet en moyenne, par personne transportée et compte tenu du taux d'occupation, trois fois plus de dioxyde de carbone qu'un autobus, tandis que train, métro, tramway et bicyclette génèrent des émissions beaucoup plus faibles ». C'est avec cette formule, qui ressemble un peu au libellé d'une épreuve arithmétique du brevet des collèges, que le rapport de la mission interministérielle sur l'effet de serre attire notre attention sur un postulat essentiel de toute politique énergétique et environnementale : les consommations énergétiques globales sur un territoire donné sont principalement la résultante d'actions et de comportements individuels. Mais ce rapport montre aussi, en contrepartie, que les choix publics sont essentiels pour limiter et encadrer les impacts sociétaux et environnementaux des dépenses énergétiques.
Dans les grands enjeux politiques, la question énergétique est certainement l'un des domaines dans lesquels la politique peut reprendre tout son sens. C'est en effet aux décideurs publics, à tous les échelons de compétence et en association étroite avec tous les acteurs, de définir, de stimuler, d'inciter des actions concrètes en faveur d'une politique énergétique ambitieuse, qui nous permettra de mieux maîtriser notre destin collectif.
Voilà pourquoi le thème du débat que nous avons aujourd'hui ensemble et que nous devons mener sans exclusion ni exclusive est crucial pour notre avenir, aux niveaux national, européen et, bien sûr, mondial. Il est au coeur de la problématique du développement durable, de la préservation des ressources naturelles, mais aussi des questions de santé publique et de développement économique.
A ce titre, je remercie nos collègues, Jacques Valade, notre rapporteur, ainsi que Henri Revol, président de notre groupe d'étude sur l'énergie, pour la qualité de leur travail et pour l'occasion qu'ils nous donnent d'aborder ce sujet déterminant pour les décennies à venir.
Lorsque l'on se penche sur le thème central de l'énergie, il faut bien avoir conscience des enjeux majeurs qui le sous-tendent. Toute politique en la matière doit être élaborée à la lumière de deux sortes de préoccupations, qui sont à placer sur des plans différents.
La première est d'ordre stratégique et géopolitique. Notre collègue Jacques Valade en a très bien décrit toutes les implications dans son rapport et son intervention. Il s'agit de la dépendance énergétique des pays développés - et plus particulièrement de l'Europe et de la France en ce qui nous concerne.
La seconde est, bien évidemment, d'ordre environnemental, et ses enjeux croissants constituent un fait de société pris désormais unanimement en considération, en même temps qu'une préoccupation politique incontournable.
Au coeur de ces deux préoccupations se trouve la question des sources énergétiques et principalement de la part trop importante laissée, dans notre bilan, aux énergies fossiles, particulièrement aux hydrocarbures. Au niveau des Quinze, l'équilibre de la consommation énergétique s'établit très nettement en faveur de ces énergies fossiles puisque nous consommons près de 40 % de pétrole, plus de 20 % de gaz naturel et au-delà de 15 % de combustibles solides - charbon et lignite en particulier.
Comment, dès lors, ne pas faire le parallèle, au regard de ces chiffres, entre les graves conséquences écologiques et la question de la dépendance ? A l'épicentre se trouvent les combustibles fossiles, principales sources d'émission de CO 2 et objet premier de nos importations. C'est donc vers la réduction de leur poids dans notre dépense énergétique globale que nous devons tendre, sans quoi nous risquerions de perdre sur tous les fronts. La prospective établie par le Livre vert de la Commission à l'horizon 2030 est à ce titre révélatrice. L'étude comparative devrait également intégrer les conséquences liées à l'exploitation, au transport et au stockage des différentes énergies, dont les coûts et l'impact sur l'environnement ne peuvent être ignorés.
La sécurité des populations, la qualité des écosystèmes aquatiques et terrestres, essentiels au développement et au bien-être de nos sociétés, dépendent des choix d'ampleur que nous ferons concernant la politique énergétique et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Là encore, la réalité est incontestable et la science se trouve devant un nouveau champ d'observation et d'investigation telles les variations climatiques et hydrologiques que nous ne pouvons que constater. Même si la réalité est complexe, l'effet de serre se sera développé de plus de 30 % depuis le début de la révolution industrielle, augmentant ainsi la température moyenne du fait essentiellement de l'exploitation de combustibles fossiles.
C'est la raison pour laquelle, conformément à nos engagements internationaux pris à l'occasion de la convention de Rio de 1992 et du protocole de Kyoto de 1997, nous devons nous fixer des objectifs clairs, audacieux et quantifiés pour réduire nos émissions de CO 2, qui constituent 70 % des rejets de gaz à effet de serre. Cela doit devenir une réelle priorité nationale qui, au-delà du seul principe de précaution, parfois trop timide, réponde à une conception clairvoyante et volontariste des choix de société à venir.
Vers cette finalité, qui passe par le recul sensible de la consommation d'énergies fossiles, je distinguerai nettement deux objectifs essentiels.
Il est avant tout indispensable de changer l'axe de notre politique en la fondant plus sur les besoins réels, la demande, que sur l'offre d'énergie. C'est sur cette variable que nous pouvons et devons tenter d'influer. Cette orientation nous permettrait de mettre en place, avec l'ensemble des partenaires, une politique drastique d'économies d'énergies.
L'autre priorité consiste à diversifier les sources d'énergies ainsi que les sources d'approvisionnement, afin non seulement de donner une place réfléchie et assumée au nucléaire, mais aussi de promouvoir et de soutenir l'émergence de débouchés industriels pour les énergies renouvelables.
Pour épanouir ces deux dimensions de la politique globale, les pouvoirs publics se doivent de multiplier les efforts d'information, de communication et de sensibilisation à tous les échelons.
Sur ces différents points, qu'en est-il aujourd'hui de la politique du Gouvernement ? J'aurai tendance à dire que, si le discours est généreux, la réalité est plus discrète, voire confidentielle.
En 1997, lorsque Lionel Jospin confia un grand ministère de l'environnement et de l'aménagement du territoire à Dominique Voynet, nous avions des raisons d'espérer, en dehors de tout préjugé partisan, que puisse être mise sur pied une vaste politique générale de maîtrise énergétique et de promotion des technologies nouvelles. Mais nous sommes loin des perspectives enthousiasmantes de la politique affichée par le Gouvernement ! Il est tout d'abord nécessaire de souligner l'ambiguïté, voire l'absence de cohérence, de l'attitude du Gouvernement à l'égard du bilan énergétique français et plus particulièrement du nucléaire.
Alors que l'Allemagne de Gerhard Schröder a fait le choix d'abandonner progressivement la production nationale d'énergie nucléaire tout en se donnant les moyens de préparer une alternative crédible, en faveur des énergies renouvelable, notamment, alors que des partenaires comme le Danemark prévoient que, d'ici à 2010, 50 % de leur production énergétique sera d'origine éolienne, la France continue, malgré les déclarations de principe, de naviguer entre affirmation et hésitation, ne favorisant au final aucune stratégie particulière. Quelles suites peut-on donner au discours tenu par le Premier ministre, lorsque celui-ci annonçait, à Lyon, le 11 septembre dernier, qu'un plan général d'économie d'énergie touchant l'ensemble des secteurs d'activité serait mis en place avant la fin de l'année 2000 ?
Plus inquiétant encore, il me faut souligner devant vous l'éparpillement de la législation actuelle et notre absence d'anticipation en la matière.
Non seulement il n'y a pas eu de grandes lois regroupant un ensemble cohérent de mesures en faveur de l'efficacité énergétique et de la diversification des sources depuis la loi sur l'air - que la précédente majorité avait adoptée en 1993 et qui reste, à bien des égards, sans textes d'application, c'est le cas pour les dispositions en faveur des carburants alternatifs - mais, de plus, aucun texte de transposition n'a encore été soumis au Parlement pour les directives européennes Electricité et Gaz. De même avons-nous anticipé le projet de directive Parlement-Conseil, d'avril dernier, concernant la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelable sur le marché intérieur.
Enfin, et c'est sans doute ce qui est le moins acceptable, les rares innovations éparses, couvertes par un affichage médiatique considérable, ont été proposées dans des buts détournés par rapport à ceux que nous devrions normalement chercher à atteindre.
Qui n'a pas présent à l'esprit l'échec subi devant notre assemblée puis devant le Conseil constitutionnel par le projet d'extension de l'assiette de la TGAP ? Non seulement il n'était, dans le fondement même de cette taxe, fait aucune distinction entre l'électricité-propre et l'électricité-carbone, puisqu'elle frappe indiféremment les deux, mais surtout les montants perçus étaient destinés à financer l'application des 35 heures et non une quelconque politique d'économie et de diversification énergétique !
N'en a t-il pas été de même de la taxe hydraulique qui, paradoxalement, vient frapper l'énergie renouvelable la plus propre ?
Plus grave encore, les seules avancées apportées par la loi de finances pour 2001 l'ont été sur l'initiative du Parlement, que l'on songe à l'application d'un taux réduit de TVA en faveur des équipements pour les énergies renouvelables ou à leur éligibilité à la procédure d'amortissement accélérée.
Pourtant, quelques signes encourageants ont été émis ces dernières années.
Le premier d'entre eux fut de relancer la dynamique de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie en renforçant son budget de fonctionnement et en assurant davantage son enracinement régional. Les efforts sont néanmoins loin d'être suffisants et les besoins de cette structure en moyens financiers et surtout humains se font cruellement sentir. Sans qu'il soit nécessaire de développer les interrogations qu'il soulève, les conclusions de notre collègue Philippe Adnot, chargé par la commission des finances de veiller au bon emploi des crédits de l'environnement, illustrent, là encore, l'absence d'une politique claire et lisible.
Or, comme le rappelle le Livre vert de la Commission européenne, il est désormais temps de passer du stade de la réflexion à celui de l'action, faute de quoi la France se trouvera, d'ici à 2010, dans l'impossibilité de réduire ses émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990.
Je ne suis pas le seul à considérer qu'il est nécessaire, comme préliminaire à toute définition ambitieuse d'une politique énergétique globale, de se mettre d'accord clairement sur quelques postulats.
Sur la forme tout d'abord, il ne faut pas se dissimuler derrière le paravent de la fiscalité pour éviter d'avoir à mettre en oeuvre une véritable politique structurelle d'accompagnement et d'émulation en faveur d'une énergie efficace et diversifiée. La fiscalité doit rester un moyen, un outil qui fournit des moyens ou qui corrige des déséquilibres. A ce titre, il serait primordial, dans un premier temps, de réduire le différentiel de TIPP.
Sur le fond surtout, on ne peut plus faire aujourd'hui l'économie d'un vrai débat serein sur le nucléaire, sans passion ni préjugé idéologique. Il faut dédramatiser un cadre psychologique marqué, d'un côté, par une position « tout nucléaire » associée historiquement à l'idée d'indépendance nationale et, de l'autre, par une tendance réactive renforcée par l'après Tchernobyl.
Nous devons être capables de dresser un véritable bilan coût/avantages de la filière nucléaire, car une vraie politique de l'énergie passe par une politique de vérité.
Ainsi, pour apprécier la place qui doit revenir au nucléaire, il faut continuer nos efforts et le concevoir comme un investissement de long terme à faible impact écologique, générateur d'une énergie abondante et peu coûteuse qui doit être préservée.
Dans la lutte contre l'effet de serre, la priorité, je le répète, est à donner à la diminution de la part des combustibles fossiles dans notre consommation globale. Le maintien et l'approfondissement de l'option nucléaire y contribue. Mais cette filière ne se justifie qu'intégrée dans une politique d'ensemble en faveur de l'efficacité et de la diversité des sources d'énergie.
L'efficacité tient dans le choix fait en direction d'une gestion économe et rationnelle des dépenses et des ressources énergétiques. Encore faut-il distinguer les secteurs de l'activité humaine fortement consommateurs d'énergie et, en retour, émetteurs de CO2. Ces émissions se répartissent essentiellement entre les transports, l'habitat, l'industrie et les services publics comme privés. Pour les transports, par exemple, qui représentent 35 % des émissions, mon introduction montrait à elle seule à quel point il est urgent de réduire la place de la voiture, en ville notamment. Un tel impératif passe par le développement des transports collectifs urbains en améliorant la qualité de l'offre de transports en commun.
Le transport routier de marchandises est de loin le mode le plus énergivore, puisqu'il émet environ trois fois plus de CO2 que le rail. Ainsi faut-il essayer de valoriser un transfert massif de la route vers le rail, organiser des modes de transports combinés et intermodaux, comme le ferroutage, par une véritable ambition française et européenne. Cela a été longuement évoqué dans le débat de ce matin.
Concerné directement et personnellement, en qualité d'élu rhône-alpin, par le projet de liaison Lyon-Turin, j'ai pu constater et m'inquiéter, malgré les discours, de l'absence d'une vraie ambition de transport ferroviaire. Et je ne change pas mon propos malgré les déclarations de M. Gayssot dans cette enceinte voilà un instant.
Dans ces domaines comme dans bien d'autres, il existe déjà des technologies permettant d'atteindre de très bons rendements - je pense à celle qui s'appuie sur le principe de la cogénération par exemple. La cogénération permet, en effet, de produire de l'électricité et de récupérer ou d'utiliser la chaleur produite par le processus de la conversion.
Dans un esprit assez proche, les réseaux de chaleur auxquels les particuliers comme les bâtiments collectifs peuvent se raccorder permettent de partager à plusieurs une énergie thermique produite sur un seul site. Les turbines à gaz à cycle combiné sont un autre exemple qui montre l'intérêt de mobiliser les moyens nécessaires à l'évolution de technologies maîtrisées. C'est une ambition tout aussi forte qu'il nous faut afficher dans le développement de technologies à fort potentiel, comme celles de la pile à combustible.
La diversification et la complémentarité des sources nécessitent la mobilisation de toutes les énergies propres dont les débouchés industriels, du fait de leur efficacité intrinsèque et des attentes sociales, sont indéniables. Elles concernent le recours à l'éolien et à la biomasse, qui est sans doute l'une des plus prometteuses, sans négliger la capacité de la petite hydraulique et, surtout, des différentes formes d'énergies issues du solaire qui, là encore, nécessitent des engagements forts. Qu'il me soit permis de saluer la volonté de l'ADEME sur ce point.
En un mot, ces objectifs d'économie et de diversification exigent des pouvoirs publics une attitude exemplaire.
Sur le plan national tout d'abord, le Gouvernement devrait émettre des signes forts et inciter les services déconcentrés de l'Etat à montrer l'exemple en terme d'économies d'énergies. Pour ce faire, la constitution d'un secrétariat d'Etat à la maîtrise de l'énergie, rattaché au ministère de l'industrie et interlocuteur unique de tous les acteurs des différentes filières, serait une initiative d'ampleur, gage de coordination, de continuité et de suivi des différentes politiques menées en la matière.
L'Etat se doit aussi de soutenir des programmes de recherche et développement ambitieux et dotés de véritables moyens dans le domaine des nouvelles technologies de l'énergie, tout en les crédibilisant par des filières de formation. C'est sur cette base que pourraient reposer les conditions du développement d'un marché intérieur et d'une industrie des équipements pour l'efficacité et la diversité énergétique.
Si l'engagement politique et l'orientation générale dépendent du niveau national, les décideurs publics peuvent, par leur choix, avoir une influence considérable en matière d'aménagement et d'urbanisme qui détermine en grande partie les consommations d'énergie. De même, la maîtrise des déplacements par le biais de plans de déplacements urbains notamment, la gestion des déchets et celle des équipements publics sont des instruments efficaces de réduction.
Pour étayer mon propos, vous voudrez bien me permettre d'évoquer une expérience locale qui me tient particulièrement à coeur et qui montre bien les richesses et les potentiels de terrain qu'une bonne coordination et beaucoup de ténacité peuvent permettre d'exploiter dans ce domaine.
Sensibilisées depuis longtemps sur le thème des énergies renouvelables, la Savoie et plus largement la région Rhône-Alpes ont mis en place des politiques incitatives qui font qu'aujourd'hui la région dispose du plus grand nombre d'installations solaires thermiques et photovoltaïques en France.
Profitant de cette expérience, de cette tradition, et voulant faire fructifier les efforts entrepris depuis des années, les différents acteurs du secteur de l'énergie solaire se mobilisent, sous l'égide du conseil général de la Savoie, autour d'un projet fédérateur qui est le fruit d'une ardente collaboration et qui permettra de mobiliser l'ensemble des forces nécessaires depuis la recherche en amont en passant par la qualification, l'ingénierie et l'information.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Ce projet devra également valoriser les compétences fortes du département et de la région en matière de micro-hydraulique, de piles à combustibles, d'éolien grâce au travail de synergie déjà effectué. De cette entreprise, nous attendons des retombées positives en termes d'attractivité pour les chercheurs, mais aussi de compétitivité internationale sur le marché des énergies renouvelables.
Pour conclure, je dirai que, en dynamisant le processus d'innovation et en organisant des débouchés concrets pour les résultats de la recherche, il convient que le secteur des énergies renouvelables, associé à une politique clairvoyante d'économie énergétique et à une stratégie nucléaire reconsidérée puisse être une réponse aux exigences environnementales et géopolitiques que nous rencontrons. Encore faut-il que les pouvoirs publics, à tous les niveaux, jouent leur rôle d'impulsion et d'incitation, dans le cadre d'une vraie ambition nationale ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en préambule, je reviendrai très brièvement sur les enjeux de la politique énergétique de demain, au niveau tant national qu'européen.
Dans les récents travaux qu'ils ont effectués, au nom de la commission des affaires économiques, nos collègues Revol et Valade l'ont fort bien souligné : la dépendance croissante de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie est devenue préoccupante.
Face à ce phénomène, nous devons agir à la fois sur l'offre et sur la demande : sur l'offre, en assurant l'ouverture des marchés nationaux de l'énergie dans les délais impartis par l'Union européenne, ce qui implique une redéfinition progressive du statut et de la place des différents acteurs du marché, publics et privés ; sur la demande, en favorisant un véritable changement de comportement des consommateurs et en développant les énergies nouvelles et renouvelables, mais cela sans démagogie, en reconnaissant les limites et les capacités de l'énergie renouvelable.
Mon propos portera, en fait, sur le premier point - le rééquilibrage de la politique de l'offre - et ce un an après l'adoption du projet de loi relatif à la modernisation du secteur public de l'électricité et alors que le Parlement devrait être saisi prochainement d'un texte de même inspiration concernant le secteur du gaz. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez bien, nous sommes fort intéressés par ce sujet.
S'agissant de l'électricité, au nom du groupe de l'Union centriste, j'avais regretté l'année dernière, à cette même tribune, l'échec de la commission mixte paritaire et le caractère à la fois tardif et trop timide de la transposition de la directive européenne de 1996 relative à l'ouverture du marché.
En imaginant que notre pays pourrait se contenter de quelques modestes aménagements, le Gouvernement a sous-estimé la réalité de la concurrence mondiale actuelle. Il s'agit d'un manque de lucidité et de courage qui joue au détriment de l'intérêt national.
L'évolution des événements, ces derniers mois, semble confirmer, malheureusement, cet état de fait.
Je n'insisterai pas sur le retard pris dans les décrets d'application de la loi du 10 février 2000. Le premier décret d'application n'est-il pas intervenu quatre mois après le vote de la loi et moins de quatre ans et demi après l'adoption de la directive ? Plus regrettable encore est évidemment la transposition a minima de la directive, qui a valu à la France une mise en demeure de la part de la Commission européenne.
Celle-ci a ainsi estimé que l'article de la loi qui impose une durée minimum de trois ans pour tout cadre contractuel de fourniture d'électricité « constitue un obstacle manifeste à la libre circulation de l'électricité et à la prestation de services d'électricité ».
Cette disposition de la loi de février 2000 visait, je le rappelle, à interdire les contrats conjoncturels entre gros utilisateurs et producteur privés.
Or, comme le note la Commission européenne, la directive n'impose aucune limite de temps pour l'accès au réseau et, en conséquence, « il ne peut être question d'empêcher la fourniture d'électricité au coup par coup ».
D'autre part, la loi du 20 février 2000 a clairement restreint la possibilité de trading , c'est-à-dire les achats ou ventes en gros d'électricité. La possibilité est ouverte aux seuls producteurs établis sur le territoire national, dans une limite ne pouvant excéder 20 % de leur production annuelle.
Il ne peut y avoir de bourse de l'électricité en France à l'heure actuelle. Cette restriction peut paraître contraire au principe d'égalité des chances entre opérateurs en favorisant excessivement EDF.
Une telle situation peut paraître d'autant plus absurde que le trading connaît un essor important en Europe. Des bourses de l'électricité se sont ainsi créées en Scandinavie, en Grande-Bretagne, plus récemment en Espagne ou aux Pays-Bas, sans oublier l'Allemagne, qui s'est dotée de deux bourses, à Leipzig et à Francfort. EDF, plus soucieuse que jamais de sa présence à l'étanger, ne s'y est d'ailleurs pas trompée en créant EDF-Trading, une société détenue à près de 70 % par l'opérateur public et dont la vocation est de couvrir à terme l'ensemble de l'Europe.
La même frilosité caractérise la démarche adoptée par le Gouvernement français à l'égard de la directive sur la libéralisation du marché du gaz, qui aurait dû être transposée en droit français le 10 août dernier.
Le projet de loi adopté, le 17 mai 2000, en conseil des ministres n'a toujours pas été examiné par le Sénat. Paradoxe de cette situation : une deuxième et nouvelle directive européenne, d'inspiration plus libérale encore, est actuellement sur le bureau de la Commission de Bruxelles. Cela augure mal de l'avenir alors que le Gouvernement français a pris le parti d'une transposition a minima des nouvelles normes européennes.
Ainsi en est-il, par exemple, de la définition des consommateurs dits « éligibles », disposant de la liberté d'approvisionnement, c'est-à-dire les plus gros consommateurs industriels et les producteurs d'électricité. Le projet de loi adopte une définition restrictive très favorable à GDF, alors même que la nouvelle directive prévoit l'ouverture totale du marché industriel et commercial au 1er janvier 2004 et celle du marché des particuliers au 1er janvier 2005.
Le même décalage existe à propos de la question de l'accès des tiers au stockage du gaz, fonction qui est un quasi-monopole de GDF. Le projet de loi ne prévoit pas l'accès des tiers alors que la nouvelle directive le prévoit s'il est techniquement nécessaire.
De même, le nouveau texte communautaire comporterait une séparation juridique et non pas seulement comptable, entre l'activité de négoce et l'activité de transport, ce qui remet en cause, à terme, l'unité même de Gaz de France.
A ce propos, on peut légitimement s'interroger sur l'évolution du statut de Gaz de France : de façon fort surprenante, le projet de loi n'aborde pas le sujet qui est pourtant essentiel pour l'avenir même de l'entreprise publique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, voilà près d'un an, vous aviez expliqué que vous procédiez en deux temps : à la transposition de la directive, que nous attendons toujours, d'une part, à une réflexion avec la majorité plurielle sur le statut de GDF, d'autre part, nous aimerions savoir où en est cette concertation, alors même que la direction de Gaz de France souhaite plus que jamais trouver des partenaires industriels et financiers. Cela implique le passage au statut de société anonyme, solution préconisée dès l'automne 1999 par des personnalités proches du Gouvernement ; je pense à Nicole Bricq, député, socialiste ou à Charles Fiterman, membre du Conseil économique et social.
Nul doute que nous aurons l'occasion d'aborder ces sujets dans le cadre de l'examen d'un projet de loi qui apparaît malheureusement déjà en grande partie obsolète.
Le débat de ce jour intervient de façon très opportune alors que le marché européen de l'énergie est engagé désormais dans un processus de transformation inéluctable.
Je n'aborderai pas le sujet de l'énergie nucléaire, qui a été traité de manière remarquable par M. Valade. A l'hommage que je lui rends, j'associerai M. Revol : les initiatives conjointes de nos deux collègues sont l'aboutissement d'un travail de réflexion particulièrement remarquable et approfondi. J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous pourrez l'utiliser à bon escient.
Pour l'instant, je souhaite que vous nous apportiez toutes les informations nécessaires sur les différentes questions que j'ai abordées. Nous vous en remercions à l'avance. (Applaudissements sur les travées du l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants).
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, de remercier Jacques Valade de l'initiative qu'il a prise et de la qualité des conclusions qu'il vient de nous présenter.
La publication du Livre vert de la Commission européenne constitue, en effet, une excellente occasion pour faire le point sur les orientations de la politique énergétique française. A ce titre, je souhaiterais développer devant vous trois thèmes plus spécifiques, au nom de mon groupe et en ma qualité de rapporteur du projet de loi de transposition de la directive sur la libéralisation du marché gazier, que je suis tenté, monsieur le secrétaire d'Etat, de baptiser « l'Arlésienne » à force de l'attendre et de ne jamais le voir venir.
En effet, le retard pris par le Gouvernement pour transposer la directive, qui est juridiquement applicable depuis le 10 août 2000, la question irrésolue de l'évolution du statut de Gaz de France et la négociation de la nouvelle directive libéralisant les marchés du gaz et de l'électricité méritent d'être évoqués.
Les dispositions de la directive de juin 1998 relative à la libéralisation du marché gazier auraient dû être transposées avant le 10 août 2000. Or, que se passe-t-il depuis lors ? Rien !
Avec la faconde et l'habileté que nous vous connaissons, monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, vous indiquez régulièrement que cette transposition est imminente.
Je me souviens que, à l'occasion de l'examen du projet de budget pour l'an 2000, vous disiez devant le Sénat, le 7 décembre 1999, que « le Gouvernement proposerait d'examiner le projet de loi de transposition avant la date limite du 10 août 2000 ». Un an plus tard, le 8 décembre 2000, vous nous indiquiez que la transposition interviendrait au printemps 2001. Récemment, vous précisiez devant la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale que la directive serait examinée « prochainement ».
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Ce n'est pas contradictoire !
M. Ladislas Poniatowski. Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne manquerez pas de me répondre que Gaz de France a mis en oeuvre, à compter d'août dernier, un tarif provisoire d'accès au réseau gazier. Hélas pour vous, monsieur le secrétaire d'Etat, notre Constitution ne prévoit pas que le Gouvernement puisse déléguer sa compétence à un établissement public, s'agissant notamment de la transposition d'une directive européenne !
Dès lors, permettez-moi de vous demander, à mon tour et après les orateurs précédents, dans quels délais vous transposerez cette directive ?
Sachant que le Gouvernement a eu besoin de deux ans pour transposer la directive Electricité et quelle que soit l'inventivité que nous vous connaissons, on peut estimer que la transposition n'interviendra, au plus tôt, qu'au début de l'année prochaine.
Je crains d'ailleurs qu'une autre circonstance, je veux parler de la campagne pour l'élection présidentielle, ne vous conduise à différer une nouvelle fois cette réforme. Je serais d'ailleurs curieux de connaître, sur ce point, la position de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
Permettez-moi d'en venir au second thème de mon intervention, je veux parler de la nécessaire modernisation du statut de GDF, déjà évoqué par MM. Valade, Hérisson et Vial.
Chacun s'accorde à penser que le statut d'établissement public d'Etat est désormais inapproprié pour cette entreprise. Gaz de France ne dispose pas des moyens de se développer. Actuellement, il ne produit que 5 % du gaz qu'il commercialise.
Or, le marché gazier est caractérisé par des bouleversements qui conduisent les distributeurs à renforcer leurs positions dans l'amont et la production de gaz.
J'en veux pour preuve la récente acquisition par Shell de l'opérateur gazier américain Barett, pour 2,2 milliards de dollars. Je rappellerai également qu'en janvier dernier l'agence de notation financière Standard and Poor's a annoncé son intention d'abaisser la notation de Gaz de France à la suite de la décision d'accélérer le programme d'acquisition de notre établissement public, considérant que ce programme pourrait entraîner un endettement significatif.
Le diagnostic est clair : il faut donner les moyens de son développement à Gaz de France !
Or que fait la majorité plurielle ? Pour un pas en avant, deux pas en arrière !
Elle émet en tout cas des signaux contradictoires, dont la presse se fait régulièrement l'écho. Il semble, en effet, que les banques-conseil destinées à permettre l'ouverture du capital de GDF et que les détenteurs de ce capital - je veux parler d'EDF et de TotalFina-Elf - aient déjà été choisis ; j'aimerais que vous nous le confirmiez, monsieur le secrétaire d'Etat.
Dans le même temps, des membres éminents de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale manifestent, pour leur part, les plus vives réserves à l'égard de ce projet.
J'observe, en outre, que certaines organisations représentatives du personnel ont manifesté leur opposition à toute privatisation, partielle ou totale, de GDF.
Dès lors, monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaiterais connaître la nature du projet industriel que vous poursuivez. Je crois, par ailleurs, utile de vous rappeler que, pour mener à bien ce projet industriel, il vous faudra d'abord déposer un projet de loi !
Mes collègues le savent bien, le projet de loi de transposition de la directive Gaz ne dit rien du changement de statut de Gaz de France. Quelle procédure choisirez-vous ?
Aurez-vous recours à un amendement de dernière minute, comme celui que vous avez déposé pour modifier le statut de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire ? Déposerez-vous une lettre modificative relative au projet de loi de transposition qui attend, depuis mai 2000, sur le bureau de l'Assemblée nationale son hypothétique discussion ?
La procédure que vous avez choisie ne nous dit rien qui vaille ! Le statut de GDF mérite mieux que le dépôt improvisé d'un projet de loi rectifié, concocté dans une antichambre ministérielle ! Il faut - et je le dis, j'en suis persuadé, au nom de tous - un vrai débat, car il ne saurait être question de privatiser GDF en catimini !
Permettez-moi d'observer au passage que, si ce projet de loi ne permet pas de diversifier les partenariats de GDF - qui doit renforcer ses positions dans le monde entier pour diversifier ses approvisionnements - je considère qu'il aura manqué son objet.
Je souhaiterais, avant de conclure, évoquer les derniers soubresauts européens.
Quelles que soient les manoeuvres obliques utilisées par le Gouvernement pour anesthésier l'opinion publique et éviter de parler des sujets « qui fâchent » avant l'élection présidentielle, il se heurtera au caractère incontournable de la réalité, notamment en ce qui concerne la nouvelle directive relative à la libéralisation totale des marchés européens de l'électricité et du gaz.
Je vous rappelle que, le mardi 13 mars dernier, la Commission européenne avait adopté une communication préconisant une libéralisation totale des marchés de l'électricité et du gaz à l'horizon 2005. La commissaire chargée de l'énergie avait proposé qu'au 1er janvier 2003 toutes les entreprises disposent de la liberté de choisir leurs fournisseurs d'électricité et qu'au 1er janvier 2004 elles choisissent librement leurs fournisseurs de gaz, tous les consommateurs européens devant jouir, quant à eux, de la même faculté à compter de 2005.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez été « sauvé par le gong », tout au moins par les efforts conjugués du Président de la République et du Premier ministre, qui ont obtenu à Stockholm un délai supplémentaire, notamment pour fixer un nouvel échéancier. Bien entendu, je ne veux pas dire par là qu'un effort conjoint du Président de la République et du Premier ministre équivaut à un coup de gong ! (Sourires.)
Ce que vous avez ainsi obtenu, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est pas une victoire, c'est tout au plus un répit, et M. Valade vous l'a rappelé tout à l'heure. Ne vous y trompez pas : nos concurrents électriciens et gaziers européens sauront parfaitement, eux, profiter de ce répit.
Lorsque la France présidait le Conseil des ministres européen, vous n'avez pas réussi à freiner Bruxelles, qui se proposait d'aller plus vite et plus loin qu'un texte que le Gouvernement français s'est révélé incapable de transposer chez lui.
Aujourd'hui, je suis tenté de dire que Stockholm est venu sauver Nice. Mais ce n'est pas une raison pour vous endormir, monsieur le secrétaire d'Etat. Tout au contraire, vous avez le devoir de profiter de ce répit pour permettre enfin à la France de respecter les engagements qu'elle a souscrits vis-à-vis de ses partenaires. Au risque de me répéter pour la quatrième ou cinquième fois, j'ajouterai : hâtez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, de transposer la directive gaz !
L'optimiste que je suis tient à conclure en disant que Stockholm est malgré tout un grand succès, même si ce n'en est pas un, à mes yeux, dans le domaine de l'énergie. C'est un succès parce que nous avons vu se reconstituer le couple franco-allemand, ce couple qui a créé l'Europe, qui a permis l'élargissement géographique et monétaire de l'Europe, ce couple qui, malheureusement, s'est désuni et a flanché à Nice. Ce couple, je me réjouis de voir qu'il a serré les coudes à Stockholm, et je suis sûr qu'il restera incontournable dans les étapes européennes à venir. (Applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le secrétaire d'Etat, les choix énergétiques de la France doivent être examinés à l'aune d'événements récents, nationaux ou internationaux, qui ont marqué l'esprit de nos concitoyens : la rupture des stocks de carburants en septembre 2000, conséquence indirecte de l'augmentation drastique du prix du pétrole ; les coupures d'électricité en Californie, fruit d'un marché libre au cahier des charges insuffisant ; l'augmentation du prix de l'essence de 1 % alors que le prix du pétrole baisse, augmentation qui est peut-être un gage donné aux écologistes mais qui pénalise les revenus les plus modestes, frappant surtout les habitants des zones rurales, obligés de se déplacer en voiture par manque de transports en commun.
Ce débat s'inscrit également dans un environnement international en mouvement, avec une consommation mondiale d'énergie qui sera multipliée par deux en 2050 et les objectifs de limitation d'émission de CO 2 fixés par le protocole de Kyoto de 1997, même si le président Bush vient d'annoncer qu'il n'honorerait pas cet engagement international pris par son prédécesseur.
Le Gouvernement français doit décider des types d'énergie à développer et, bien sûr, se poser la question des économies d'énergie. Dans une société de consommation qui pousse à dépenser toujours davantage, cette préoccupation peut sembler paradoxale. Néanmoins, un consensus s'ébauche pour mettre en oeuvre de nouvelles méthodes, développer les outils appropriés pour aboutir à ces économies d'énergie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez lancé en décembre un programme national d'économies d'énergie. Quels en sont les premiers résultats ?
Notre collègue Jacques Valade a mis en relief, avec beaucoup de talent et de façon très argumentée, la nécessité d'une politique énergétique cohérente pour notre pays, premier producteur européen d'énergies renouvelables et d'énergie nucléaire. Malgré ce contexte très favorable, la facture énergétique s'est alourdie en 2000, pour s'élever à 75 milliards de francs.
Votre voie est étroite, entre une majorité dont les éléments s'opposent fortement sur la politique énergétique nationale et la nécessité de maintenir la cohérence de celle-ci.
Chacun, ici et dans le pays, ressent les contraintes qui pèsent sur les choix du gouvernement auquel vous appartenez, en particulier une contrainte de politique interne due à la présence écologiste.
Ces écologistes sont fondamentalistes et archaïques, car ils oublient les progrès réalisés dans le domaine de la sûreté nucléaire. Ils n'ignorent pas l'effet de serre, mais n'en tirent aucune conclusion pratique quant aux choix de politique énergétique.
Il n'est pas réaliste d'affirmer que les engagements pris à Kyoto peuvent être tenus, d'une part, avec les économies d'énergie - qui sont bien entendu très souhaitables, voire indispensables - et, d'autre part, avec les énergies renouvelables dont les biocarburants - qu'il faut développer - tout en ignorant les nuisances des éoliennes - mais il faut néanmoins également favoriser l'utilisation de cette forme d'énergie - et en refusant les équipements hydrauliques lourds.
Tout cela n'est pas responsable de la part de membres d'un gouvernement ayant accepté le protocole de Kyoto.
Je soutiens la ministre de l'environnement lorsqu'elle déclare aujourd'hui même que « l'attitude unilatérale de M. Bush est un scandale » et que son comportement est « complètement provocateur et irresponsable. » Mais je ne la comprends décidément plus lorsqu'elle redevient dogmatique en refusant d'accepter que l'énergie nucléaire soit développée afin de lutter contre l'effet de serre. Il faut, je le répète, être cohérent !
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous savons, en tout cas nous l'espérons, que vous ne partagez pas ce dogmatisme. Alors, bien que les grandes douleurs soient muettes, exprimez-vous et définissez sans ambiguïté la politique énergétique de la France !
Je suis convaincu que vous rechercherez la cohérence dans sa définition au regard de critères objectifs. J'en retiendrai quatre : la sécurité d'approvisionnement, qui est au coeur de l'attente de nos concitoyens et qui implique la continuité des livraisons ainsi que la stabilité des prix de l'énergie distribuée ; l'indépendance énergétique ; la compétitivité économique, donc le coût de l'énergie ; les nuisances pour la santé et l'environnement, notamment le bruit des éoliennes, les émissions de CO 2 engendrées par les énergies fossiles et les déchets nucléaires.
Sur votre initiative, et je la trouve excellente, les premières « journées de l'énergie » se dérouleront du 14 au 20 mai 2001 ; leur objet est de familiariser le grand public avec ces questions. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande de nouveau si le Gouvernement entend énoncer, à cette occasion, une position claire sur la politique énergétique de la France dans les années à venir.
Les marges de manoeuvre sont minces dès lors que sont pris en compte les quatre critères que j'ai énumérés. Il apparaît que l'énergie nucléaire constitue l'énergie la moins coûteuse et offre l'avantage d'un approvisionnement garanti. Si le problème majeur de l'élimination des déchets n'est pas résolu, du moins est-il circonscrit eu égard à la faiblesse de leur volume. Il s'agit non de tendre au « tout nucléaire » mais d'intégrer la prise de conscience de l'effet de serre dans les choix énergétiques français.
Le temps presse. Pour simplement maintenir la part de l'énergie nucléaire dans la production totale d'énergie, si l'on veut modérer l'effet de serre, il faut désormais construire de nouvelles centrales nucléaires ou étendre la durée de vie des centrales existantes. D'ici à 2025, il faudrait construire soixante-dix réacteurs. Monsieur le secrétaire d'Etat, êtes-vous prêt à prendre cette décision ? Sera-t-elle prise avant 2002 ? Pour cause unique d'élection présidentielle, la réponse est non ! Sera-t-elle prise avant 2005, date butoir pour que la France honore sa signature de Kyoto ?
Je ne développerai pas ce point, mais vous savez combien ces tergiversations sont désastreuses pour notre avance technologique. Nous étions les premiers dans le domaine nucléaire, mais, désormais, quels sont les scientifiques et les ingénieurs qui oseront choisir une carrière dans un secteur dont la pérennité n'est pas assurée ?
De plus, si nous n'implantons pas chez nous une nouvelle génération de centrales, il nous sera très difficile d'exporter notre savoir-faire dans les pays qui ont bien compris que le nucléaire était incontournable.
La France bénéficie en ce moment d'une conjoncture internationale favorable pour développer sa filière nucléaire.
Le Conseil européen de Stockholm vient de souligner la situation spécifique des services d'intérêt général, dont ceux du gaz et de l'électricité. Si l'objectif d'ouverture de ces marchés a été confirmé, les dates ne sont pas précisées. Ce moratoire doit permettre à la France de poursuivre les recherches nécessaires pour maintenir son avance technologique et pour lancer l'EPR.
La décision américaine de ne pas respecter le protocole de Kyoto offre à notre pays l'opportunité de devenir le leader occidental de la lutte contre l'effet de serre. Elle donne à nos entreprises et à notre diplomatie des atouts supplémentaires.
Les choix difficiles et courageux faits par la France sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing ont conféré à notre pays une position exceptionnelle. Ils ont permis à la France d'être moins sensible que les autres pays aux fluctuations du prix du pétrole, de mieux protéger son environnement et de se doter d'un potentiel d'exportation considérable.
Je ne peux imaginer, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous préférerez une facilité politicienne à l'avenir énergétique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à saluer la qualité des interventions que nous venons d'entendre, qualité qu'ont manifestée aussi bien les orateurs de la majorité que ceux de l'opposition, qualité en vérité habituelle au Sénat.
Le secteur énergétique est en pleine mutation, et ce à un moment où les questions environnementales revêtent une importance toute particulière.
A cet égard, la France occupe une place originale du fait de ce que l'un d'entre vous appelait voilà quelques instants le mix énergétique. Chacun sait que nous sommes le premier producteur européen d'électricité nucléaire, mais on oublie trop souvent que nous sommes également, non seulement parmi les pays de l'Union européenne mais aussi au sein de l'OCDE, le premier producteur d'énergies renouvelables.
Nous sommes par ailleurs, avec la Suède, le pays où l'émission de CO 2 par habitant est la plus faible.
Dans ce contexte, les axes majeurs de la politique énergétique de la France reposent sur l'idée selon laquelle un développement volontariste des énergies renouvelables est indispensable à l'équilibre de notre économie énergétique, parallèlement à la poursuite d'une politique d'utilisation rationnelle de l'énergie.
Nous devons prendre, et plusieurs orateurs se sont fait l'écho de cette préoccupation, toute notre place dans l'ouverture des marchés électriques et gaziers, ouverture que le Gouvernement souhaite avec ses partenaires de l'Union, en apportant notre contribution originale - celle qui découle de notre histoire, de notre organisation économique, de l'existence de nos services publics - à ce mouvement, qu'il ne s'agit pas de contrarier mais auquel il convient de conserver un aspect maîtrisé et progressif. Je m'en expliquerai tout à l'heure. Ces axes ne doivent pas nous faire perdre de vue les fondamentaux solides de notre situation énergétique : le besoin d'une plus grande sécurité d'approvisionnement, le besoin impératif de compétitivité de notre économie, qui a des conséquences sur la définition du mix énergétique, et enfin, bien sûr - je commencerai par là - les conditions qui nous permettront, à travers l'activité économique et énergétique, de mieux protéger notre environnement.
La politique énergétique française actuelle peut s'enorgueillir de son haut niveau de production d'énergies nouvelles renouvelables. Elle se fixe d'ailleurs des objectifs très ambitieux en la matière.
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, j'ai personnellement, je crois, activement contribué à l'élaboration d'un accord politique, M. Jean Besson le soulignait tout à l'heure, sur le projet de directive relative aux énergies renouvelables. Cette directive définit pour la France un objectif très ambitieux qui conduira à faire passer de 15 % à 21 % la part de l'électricité produite à partir de telles énergies.
Cet objectif - et je rappelle à nouveau la qualité de l'intervention de votre collègue M. Jean Besson - trouvera sa traduction dans la programmation pluriannuelle des investissements de production, définie comme un principe et à laquelle nous travaillons depuis la loi du 10 février 2000, dans l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant des énergies renouvelables - j'ai fixé il y a quelques semaines un certain nombre de prix de rachat par EDF de plusieurs types d'énergies nouvelles renouvelables qui permettront le développement d'une véritable industrie de ces énergies en France - ainsi que dans le mécanisme d'appel d'offres, qui doit permettre de satisfaire l'exigence évidente d'équilibre entre l'offre et la demande.
J'ai annoncé mes intentions en ce qui concerne l'esprit des futurs contrats d'achat et le niveau des tarifs. Les textes correspondants, qui sont en préparation, font actuellement l'objet d'une large concertation et paraîtront très vite.
Dans le même esprit, la France a de longue date développé une politique d'efficacité énergétique. A la demande du Premier ministre, une impulsion nouvelle a été donnée en 2000 avec le plan national d'amélioration de l'efficacité énergétique. Il s'agit d'un programme opérationnel comportant des actions destinées à faire évoluer la demande énergétique, favorisant les investissements les plus performants sur le plan énergétique et recherchant le développement d'actions précises, concrètes, engageantes, en particulier dans les transports et dans l'habitat.
Tels sont, monsieur Vial, monsieur de Montesquiou, les axes essentiels de ce programme, annoncé par le Premier ministre le 11 septembre dernier à Lyon et adopté par le Gouvernement le 6 décembre 2000.
C'est le fruit d'un travail collectif auquel j'ai participé, avec mes collègues Mme Voynet et M. Gayssot. Il vise à remobiliser les ménages et les petites entreprises autour de l'impératif, un peu oublié depuis quelques années - il faut le reconnaître collectivement - d'économie d'énergie. Il prévoit un réseau de proximité et d'information, avec les points « info-énergie », une campagne de sensibilisation dans les médias en 2001 et la définition de tarifs d'achat attractifs, dont je viens de vous parler, pour les filières éoliennes et hydrauliques et pour les UIOM.
Il prévoit également un ensemble de mesures propres à améliorer l'efficacité énergétique des transports, des bâtiments - mon collègue Jean-Claude Gayssot évoquait ici ces deux points voilà quelques instants -, de l'industrie - j'agis beaucoup en ce sens - et l'essor des énergies renouvelables, le développement des transports collectifs, le fret ferroviaire et l'encouragement à l'achat de véhicules alternatifs. Ce dernier est assez significatif pour les flottes captives de véhicules et très significatif pour les particuliers.
Il prévoit encore la mise en oeuvre de la nouvelle réglementation thermique 2000 pour les bâtiments neufs, qui est plus exigeante en matière d'économies d'énergie, et la création d'un fonds doté de 300 millions de francs pour financer les projets de maîtrise d'énergie par un apport de quasi-capital - il s'agit du FIDEME.
Toutes ces mesures placent notre effort global national pour la maîtrise de l'énergie, hors recherche, et donc, notamment, hors PREDIT, le programme de recherche et de développement pour l'innovation et la technologie dans les transports terrestres, à un niveau considérable, je le crois sincèrement, puisque nous lui consacrons chaque année environ 1,5 milliard de francs.
Par ailleurs, les recherches menées par le CEA, monsieur Vial, et par la COGEMA sur la pile à combustible devraient aboutir dans les prochaines années. Vous avez eu raison de souligner qu'il s'agit d'un axe fondamental révolutionnaire que la recherche française doit s'enorgueillir de développer avec intensité, comme elle le fait. Je voudrais, à ce propos, saluer les équipes du CEA, qui sont en pointe dans ce domaine et qui forcent l'admiration par nombre de leurs travaux.
Si le Gouvernement met l'accent sur la nécessité de développer les énergies nouvelles renouvelables et l'utilisation rationnelle de l'énergie, c'est dans la perspective d'un nouvel équilibre de la politique énergétique, et non, monsieur Valade, pour abandonner ce qui fait sa force - je veux répéter avec clarté cette conviction personnelle -, à savoir le nucléaire.
M. Ladislas Poniatowski. Il faut le dire à Mme Voynet !
M. Pierre Hérisson. Et à la presse !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement tout entier est donc attaché non seulement à maintenir les conditions optimales de fonctionnement du parc nucléaire actuel, notamment ses exigences, remarquables sur le plan mondial, qui en font un modèle de sûreté et de compétitivité, j'y reviendrai, mais aussi - cela est clair et net, et engage le Gouvernement - à laisser ouverte la possibilité de recourir à cette technologie pour renouveler le parc de production lorsque la question se posera,...
M. Aymeri de Montesquiou. Elle se pose !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... entre 2015 et 2020.
M. Jacques Valade. Il sera trop tard, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Mais nous prendrons les décisions nécessaires avant, pour être prêts en 2015 et 2020.
Laissons ouverte la capacité de renouveler ce parc avec la meilleure technologie qui sera disponible, technologiquement et scientifiquement, à ce moment-là.
Voilà une définition claire de politique énergétique.
M. Pierre Hérisson. Poursuivons la recherche !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Pour cela et, je rejoins l'analyse de M. Jean Besson, plusieurs conditions doivent être réunies.
La société française a des exigences croissantes en matière d'information, de sécurité, de protection de l'environnement. Je crois, avec sans doute l'immense majorité de la Haute Assemblée, l'unanimité de la Haute Assemblée, que le secteur de production de l'énergie électronucléaire a pendant un temps, voilà plusieurs années, trop négligé cet impératif de transparence, d'information...
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... et de mise en avant des impératifs environnementaux dans sa propre démarche.
Il faut redire ici que la démarche de celles et de ceux qui sont convaincus d'être dans le vrai lorsqu'ils soutiennent la politique énergétique qui est la nôtre - mais pas seulement, car elle est celle de plusieurs gouvernements depuis de longues années - doit être claire. Il faut répéter que cette option ne craint pas la transparence, bien au contraire, ni l'information du grand public, bien au contraire ; elle l'appelle de ses voeux pour être plus pertinente encore et pour sceller le consensus national qui est nécessaire sur la politique énergétique du pays.
Nous entendons, je crois à juste titre, jouer notre rôle dans l'élaboration des grandes décisions en matière énergétique pour répondre à ces questions de la gestion des déchets radioactifs, du démantèlement, dans le futur, des installations nucléaires, de l'information la plus large du public.
Le Premier ministre a rappelé qu'il n'y avait pas de temps à perdre pour réaliser l'achèvement du cycle du combustible nucléaire, que, d'ailleurs, la loi que vous avez votée unanimement, je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, a prescrit. Je parle de la loi du 30 décembre 1991, chacun l'aura reconnue.
M. Pierre Hérisson. C'est la loi Bataille !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le cadre existe donc. La France s'enorgueillit d'avoir été, parmi les nombreux pays du monde qui disposent d'une industrie nucléaire, le premier à se doter d'une législation complète en la matière.
Nous nous employons à l'appliquer, je dois le souligner, dans tous ses aspects, c'est-à-dire selon les trois axes que la loi du 30 décembre 1991 définit. A cet égard, j'ai visité très récemment, et avec un grand intérêt, le site du laboratoire de Bure, dans la Meuse.
M. Valade a évoqué à ce sujet l'avenir du retraitement et l'avenir de l'usine de la Hague. Je suis heureux de pouvoir lui répondre avec clarté.
Le retraitement des combustibles usés constitue l'un des moyens de mettre en oeuvre le premier axe de la loi du 30 décembre 1991. Il permet aussi, dans la même démarche, de valoriser les ressources énergétiques contenues dans les combustibles usés et de réduire de 10 % à 15 %, c'est trop souvent oublié, le volume des déchets les plus radioactifs.
Activité industrielle de très haute technologie et créatrice de richesses et d'emplois, le retraitement des combustibles usés correspond aussi à une réalité économique.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. La volonté des pouvoirs publics de moderniser le cadre de fonctionnement de l'usine de la Hague a conduit à la mise à l'enquête publique, l'an dernier, de nouvelles autorisations, ainsi qu'à une réduction des rejets des installations de la Hague.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette enquête ayant conclu favorablement, les ministres concernés - notamment votre serviteur - auront bientôt à se prononcer sur les textes correspondant à ses conclusions.
La qualité et le niveau de contrôle et d'expertise dans le domaine du nucléaire sont chez nous parmi les plus élevés du monde. Ils peuvent être améliorés en termes de cohérence d'ensemble, mais aussi en termes de transparence démocratique. C'est l'objet d'un projet de loi, relatif à l'information en matière nucléaire, à la sûreté nucléaire et à la protection contre les rayonnements ionisants, qui vous sera communiqué dans les prochains mois.
Ce texte a pour objectif, dans la perspective de l'utilisation et du développement efficace et rationnel de l'énergie nucléaire, de donner un cadre réglementaire cohérent aux entreprises et organismes exerçant leur activité dans ce secteur et de prévenir les dangers et inconvénients liés aux rayonnements ionisants pour l'homme.
La réforme que nous avons engagée a aussi pour objet de rapprocher la sûreté nucléaire et la radioprotection dans les domaines de l'expertise, d'une part, et du contrôle, d'autre part.
L'importance du parc nucléaire français en exploitation et les perspectives, même lointaines, de renouvellement de ce parc nécessitent également que soient conservés les compétences d'études et les moyens de fabrication les plus stratégiques. Cet impératif, dont la portée ne vous échappe pas, est au coeur de la politique industrielle et de la politique énergétique menées par le Gouvernement. C'est ainsi que la préparation des réacteurs du futur conditionne le maintien de la compétitivité du nucléaire et la compétence des équipes.
Je voudrais à cette occasion rappeler ce qui est pour moi - comme, je crois, pour nombre d'entre vous - une évidence : l'importance du programme European pressurized reactor , le programme EPR.
L'échéance du renouvellement du parc se plaçant à l'horizon de 2015-2020, la décision sur l'EPR - que personnellement, je dis bien personnellement, j'espère positive - devra donc être prise dans les toutes prochaines années. D'ici là, il importe que le projet poursuivie son développement et, plus largement, que notre tissu industriel reste mobilisé au niveau de compétence technologique qui est le sien - c'est essentiel - et maintienne ce niveau pour être capable de continuer à assumer la position de leadership mondial de nos ingénieurs, de nos techniciens et de nos chercheurs dans ce domaine.
M. Jacques Valade. Ne perdons pas de temps !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. C'est, soyez-en sûr, monsieur Valade, ce à quoi je m'emploie activement.
Vous avez d'ailleurs, à cet égard, posé la question de la production d'électricité par fusion. La fusion magnétique contrôlée, le projet ITER, présente des avantages théoriques très attactifs : un combustible très abondant sur terre et une production de déchets a priori quasi nulle.
Dans ce cadre, le projet ITER-FEAT est présenté comme la prochaine étape de recherches sur la fusion. ITER est une machine expérimentale dont l'objet est de démontrer la faisabilité scientifique d'un réacteur de fusion par confinement magnétique. Il nous faut évidemment vérifier que l'augmentation de la taille apparaît à ce stade comme une rupture incontournable. Préalablement au choix de construire la machine expérimentale ITER, nous estimerons le retour sur investissement qui résultera du projet global qui reste à établir. Le choix du site d'implantation d'une telle installation sera une décision de nature scientifique, bien sûr, mais également politique, financière et d'aménagement du territoire, qui méritera un examen approfondi, notamment des conditions de cofinancement d'ITER par l'Union européenne.
Un comité de l'énergie atomique a été consacré à ce sujet en septembre 2000. Un dossier de motivation complet a été demandé au Commissariat à l'énergie atomique pour présenter les atouts d'une éventuelle implantation à Cadarache. A la lumière de ces éléments, lorsque l'ensemble du dossier dans ses tenants et aboutissants, aura bien avancé - il avancera bien-sûr dans la transparence et le débat - le Gouvernement prendra position sur une éventuelle candidature de la France à ce programme. Comme vous le voyez, monsieur Valade, puisque vous avez posé cette question, nous n'écartons pas, bien au contraire, la possibilité de participer au développement européen de cette perspective technologique, que je crois très prometteuse.
Vous avez également abordé, messieurs les sénateurs, la question de la libéralisation des marchés et le cadre que nous avons fixé pour la modernisation du service public électrique et gazier.
La France s'est donné les moyens, au sein du concert européen, de procéder à une réelle ouverture des marchés. Les consommateurs éligibles ont d'ailleurs commencé à en profiter. J'ouvre ici une parenthèse : notre pays, qui est souvent accusé, en matière électrique par exemple, de ne pas avoir procédé à l'ouverture de son marché conformément à la directive - j'entends parfois ce refrain jusque dans certains groupes européens - est en fait beaucoup plus ouvert, en ce qui concerne les consommateurs éligibles, que certains de nos partenaires. En effet, dois-je rappeler que certains de ceux-ci, et non des moindres, présentent aujourd'hui une ouverture concrète, c'est-à-dire une faculté de leurs consommateurs éligibles à s'approvisionner à l'étranger, égale ou presque à zéro, alors que, en France, plusieurs dizaines d'entreprises éligibles, près d'une centaine aujourd'hui, peuvent s'approvisionner auprès du producteur de leur choix ? Par conséquent, mettons fin résolument à cette idée - on la rencontre non pas en France, mais, parfois, au travers des comparaisons internationales au sein de l'Union européenne - selon laquelle la France n'aurait pas joué franchement et loyalement le jeu de l'ouverture de son marché en fonction de l'application de la directive européenne. Ce n'est absolument pas le cas. Il faut mettre fin à ce mauvais procès.
Notre pays entend ouvrir ses marchés de manière réelle, mais, comme je l'ai dit au début de mon propos, selon une approche maîtrisée, progressive et prudente, nous permettant d'appliquer et de respecter l'ensemble des directives européennes, mais uniquement leur contenu.
La préoccupation de sécurité d'approvisionnement, que la Commission partage - M. Valade a souligné l'excellent Livre vert de Mme Loyola de Palacio et je rejoins son appréciation - est incontournable. L'exemple de la Californie montre combien cette préoccupation est justifiée. Au-delà, il convient de prendre en compte les besoins du développement non agressif à l'égard de l'environnement.
Dans le domaine électrique, la transposition de la directive est achevée sur le plan législatif comme sur le plan réglementaire. La quinzaine de décrets nécessaires pour transposer réglementairement la volonté du législateur, exprimée dans la loi du 10 février 2000, est désormais publiée ou en voie de l'être complètement. Je tiens à la disposition des sénateurs qui la souhaiteraient la liste de ces textes.
A cet égard, M. Hérisson a posé plusieurs questions. Nous avons engagé une concertation avec les acteurs concernés. Elle était indispensable. La consultation des organismes, il faut le rappeler au Sénat, est longue, mais c'est une bonne chose, car elle nous permet d'adapter les textes à la réalité. Nous avons à consulter le conseil supérieur de l'électricité et du gaz, le CSEG, au sein duquel le Parlement est représenté, et, bien sûr, le Conseil d'Etat. Par ailleurs, certains actes doivent être soumis à la commission de régulation de l'électricité, que vous avez créée, et au Conseil de la concurrence, que vous avez également créé.
Le débat en amont de la production du texte réglementaire est à la fois complexe et long, mais c'est un gage de qualité. La quinzaine de décrets que j'ai évoquée voilà un instant est, je le répète, désormais publiée.
MM. Valade et Hérisson ont également abordé le très important sujet de la loi gazière. J'ai présenté le projet de loi au conseil des ministres le 17 mai 2000. La directive sur le marché intérieur du gaz naturel conduit à l'ouverture progressive, là aussi, et maîtrisée des marchés nationaux du gaz en laissant une place très importante - c'est fondamental pour nous Français - à la subsidiarité. L'élaboration de la future organisation gazière française a été le fruit d'une concertation avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi et bien entendu à titre principal avec le Parlement sur la base d'un livre blanc intitulé Vers la future organisation gazière française, enrichi de très nombreuses consultations. A l'issue de la phase de concertation engagée, j'ai présenté le projet de loi, comme je viens de l'indiquer à l'instant. Les ambitions de ce projet de loi sont fortes.
Il s'agit, tout d'abord, d'introduire, de façon contrôlée et progressive, une concurrence dans le système gazier français, qui sera utile à sa dynamisation et permettra, monsieur Poniatowski, aux opérateurs français de participer au marché intérieur européen. Il s'agit, ensuite, monsieur Lefebvre, de conforter le service public du gaz et de doter la politique énergétique d'outils adaptés à ce contexte.
Cette transposition est bien entendu nécessaire pour concrétiser les succès remportés par la France au cours de la négociation européenne - c'est moi qui ai négocié la directive au nom du Gouvernement français - en particulier pour assurer les protections souhaitées pour le service public et la politique énergétique. Je l'indique au groupe socialiste qui est très attaché à la défense du service public.
Le Parlement sera donc prochainement amené à examiner le projet de loi. « Prochainement » signifie bien prochainement, monsieur Valade, en fonction bien sûr des disponibilités de l'agenda parlementaire.
M. Aymeri de Montesquiou. Inch Allah !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Comme vous avez évoqué, à propos de la transposition de la directive sur le gaz, d'autres aspects qui, en effet, participent d'une conception de politique industrielle et énergétique globale ainsi que d'une vision industrielle pour Gaz de France, je me dois de fixer quelques lignes directrices du projet industriel et social ambitieux que nous nourrissons pour la grande compagnie Gaz de France.
L'acquisition par Gaz de France d'une taille européenne est indispensable dans un contexte gazier européen et mondial marqué par l'existence d'entreprises concurrentes de taille considérable, ainsi que par des mutations extrêmement rapides au plan européen. Cette évolution nécessite la mobilisation de moyens importants et la recherche d'alliances industrielles, afin d'assurer le développement stratégique de Gaz de France vers l'amont. M. Poniatowski signalait tout à l'heure que Gaz de France ne produit que 4 % à 5 % du gaz qu'il distribue. Nous voulons que Gaz de France soit présent en amont, c'est-à-dire vers la production de gaz, et qu'il reste important en aval, pour adapter sa production et son offre aux besoins de ses clients.
La définition d'un projet social ambitieux et d'un projet industriel fort pour Gaz de France doit tourner autour de la constitution d'un solide pôle public, naturellement, monsieur Lefebvre, ouvert à des alliances et à des partenariats privés et publics, mais stables et durables. C'est le moyen le plus approprié afin de poursuivre une stratégie de développement efficace conciliant compétitivité industrielle et service public. C'est en tout cas le sentiment qui a été plusieurs fois exprimé par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et par moi-même, chacun le sait ici.
Il convient donc, dans ce cadre, de donner à Gaz de France les moyens de son ambition européenne. Cette ambition impose notamment l'obtention d'un accès direct à la ressource gazière pour une part significative de ses ventes. Elle comporte aussi l'idée de conforter les liens historiques qui existent entre EDF et GDF à travers la distribution mixte, qui donne, je crois, entière satisfaction aux clients.
En tout état de cause, les solutions qui seront retenues ne sauraient remettre en cause ni l'application du statut des personnels des industries électrique et gazière, auquel le Gouvernement est fondamentalement attaché, comme il l'a rappelé lors de la discussion sur la loi électrique, ni les missions de service public, qui doivent d'ailleurs être enrichies en direction des plus démunis et des plus modestes de nos concitoyens, ni même, bien sûr, le caractère majoritairement public de l'entreprise que je pourrais qualifier sans doute, avec l'accord unanime de la Haute Assemblée, de « magnifique entreprise, particulièrement performante ».
M. Hérisson a d'ailleurs évoqué, à travers le tableau général d'ouverture des marchés, l'existence, pour le système électrique français, d'un cadre contractuel de trois ans qui s'applique et s'appliquera dans le respect du principe de mutabilité des contrats.
L'« achat pour revente » est prévu par la loi du 10 février 2000, mais il est réservé aux opérateurs qui produisent de l'électricité. La Commission européenne a reconnu cette réalité et a abandonné la mise en demeure qu'elle avait lancée à l'encontre de la France sur ce sujet.
Il faut que la France profite de sa situation géographique centrale en Europe, car, en ce qui concerne le réseau européen électrique, il s'agit d'une donnée incontournable. La France doit donc être, à ce titre - je le dis clairement - le pivot du marché de gros de l'électricité.
Une bourse de l'électricité verra le jour, certainement au mois de juillet prochain, sur l'initiative d'Euronext. Cela montre au Sénat combien le Gouvernement est déterminé à progresser sur ces sujets, tout en respectant deux lignes directrices fondamentales : garantie du service public et garantie de l'application de la directive européenne sur le gaz. Cette directive - est-il besoin de le dire ici ? - est appliquée de facto depuis le 10 août 2000, puisque les conditions de publication des tarifs de transport du gaz et celles d'application générale pour les clients éligibles sont, de fait, rendues publiques, ce qui permet de fonctionner en attendant que le Parlement transpose dans la loi la directive européenne, ce qui devrait intervenir prochainement.
Sur le plan communautaire, la Commission a, en effet, indiqué son intention de réviser la directive relative au marché intérieur de l'électricité. Le Gouvernement souhaite s'engager résolument vers un marché communautaire de l'électricité pleinement opérationnel, comme nous l'avons rappelé encore récemment par la voie de notre Premier ministre à Stockholm, ce qui ne signifie pas, dans notre esprit, à ce stade - je suis formel - une ouverture complète des marchés.
Il convient de rappeler que le degré d'ouverture légale n'a pas de réalité économique - je le soulignais tout à l'heure en évoquant l'un de nos partenaires européens à propos de l'électricité - tant que les règles ne sont pas solidement établies et que le marché n'a pas atteint un certain degré de maturité. En d'autres termes, il nous faut approfondir la réalité du marché intérieur européen, plutôt que développer a priori un système juridique, sans véritable concrétisation.
Je le répète, de nombreux pays qui se targuent d'être les meilleurs s'agissant de l'ouverture de leurs marchés n'ont pas une réalité économique correspondant à leur affirmation.
MM. Valade, Hérisson, Lefebvre et Besson ont évoqué le Conseil européen de Stockholm. J'en dirai quelques mots avant de conclure à cet égard.
La France, par la voix du Président de la République et par celle du Premier ministre, a soutenu une position très claire à Stockholm, que je veux rappeler de manière cursive en trois points.
Premier point : nous ne sommes pas, par principe, opposés à une plus grande ouverture de la concurrence. Durant sa présidence, la France s'est d'ailleurs acquittée de ses obligations, de manière très loyale et remarquable en la matière, me semble-t-il. Mais nous ne voulons pas « déréguler pour déréguler. » Ce qui importe, au-delà des dogmes, c'est de réussir l'ouverture réelle à la concurrence d'un certain nombre d'activités au bénéfice du consommateur car, lorsque nous parlons d'ouverture des marchés, nous parlons bien de qualité, de prix et de bénéfice global de la fourniture, qui sera adaptée à la demande des consommateurs.
Par conséquent, nous disons oui à une plus grande ouverture à la concurrence, dans des conditions pragmatiques.
Deuxième point : pour atteindre cet objectif, un certain nombre de conditions préalables doivent être réunies : mise en place d'instruments de régulation, garantie aux consommateurs en matière de respect de l'obligation du service universel. Ces deux points me paraissent constitutifs d'une véritable conception volontaire de l'ouverture des marchés.
Enfin, troisième élément décisif, dont nous avons relevé la pertinence à Stockholm : l'ouverture à la concurrence doit être progressive et maîtrisée, ce qui exlut toute fixation prématurée et précipitée d'une date de libéralisation totale, notamment pour les secteurs de l'électricité et du gaz. M. Poniatowski a eu raison de souligner la parfaite entente du couple franco-allemand à l'égard de cette approche et de cette dynamique.
Les conclusions du Conseil européen de Stockholm ont tenu compte très largement de la position exprimée par notre Président de la République et notre Premier ministre. Elles ne comportent pas de calendrier irréaliste en vue d'une accélération de l'ouverture à la concurrence. Elles soulignent, comme nous le souhaitions, « la nécessité de satisfaire les besoins des consommateurs et d'assurer la transparence du marché grâce aux outils réglementaires adaptés ». Il ne s'agit donc pas de « déréguler pour déréguler ».
Ces conclusions invitent la Commission européenne, ce qui est tout à fait nécessaire, à évaluer la situation de ces secteurs dans le rapport qu'elle présentera au Conseil européen au printemps 2002, ce qui répond à notre demande : avant d'avancer plus loin dans l'ouverture à la concurrence de ce secteur, il nous faut apprécier l'effet de l'ouverture ainsi engagée, évaluer ses effets positifs et ses effets négatifs, et mesurer l'écart entre les engagements en faveur de l'ouverture de certains Etats membres et la réalité pratique que l'on peut constater objectivement dans les mêmes Etats membres.
Au-delà de ces points majeurs, les éléments fondamentaux de notre politique énergétique restent plus que jamais valables. D'ailleurs, à la demande de M. Besson, je les mentionnerai - le groupe socialiste les connaît, puisqu'il soutient activement la politique du Gouvernement : la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité du secteur énergétique et un développement conforme aux intérêts de l'environnement. Sur le plan de la sécurité de l'approvisionnement, la France n'est pas dépendante de l'étranger et des variations des marchés internationaux pour son approvisionnement en électricité. Le taux d'indépendance énergétique de la France s'est accru globalement de manière considérable : de 26 % en 1973, il est passé à 50 % aujourd'hui. La sécurité d'approvisionnement passe également par une politique délibérée de diversification des sources d'approvisionnement : pétrole, mais aussi gaz naturel, qui prendra de plus en plus d'importance dans notre paysage énergétique.
D'un point de vue économique, l'électricité produite en France est indéniablement très compétitive. Rappelons les chiffres objectifs : en France, le prix du kilowattheure nucléaire est inférieur à 20 centimes aujourd'hui - et il continuera à baisser - contre 22 centimes pour le kilowattheure-gaz, malgré les meilleurs techniques existantes ; je parle du cycle combiné au gaz évoqué par l'un des orateurs.
Il faut tout de même dire cette réalité économique ; le kilowattheure en base le moins cher, c'est le kilowattheure nucléaire. Encore faut-il souligner que, contrairement aux énergies fossiles, le nucléaire prend en compte l'ensemble de ses coûts présents et futurs. Je pense que M. Vial ne pourra qu'adhérer à ce propos.
Sur le plan environnemental, enfin, aujourd'hui, la France est l'un des pays d'Europe, avec la Suède, qui émet le moins de gaz à effet de serre. Nous le devons à la fois au fait que la France s'est dotée d'une filière nucléaire et au développement des énergies nouvelles renouvelables, dont j'ai dit une fois, en répondant à un journaliste, que j'étais un militant de leur promotion et de l'industrialisation de leur processus. A cet égard, la France se place dans les tout premiers rangs en Europe.
La production d'électricité actuelle - 75 % en électronucléaire et 15 % en énergies renouvelables - n'est ainsi à l'origine que de 10 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, contre 40 % sur le plan mondial. Cela est un résultat remarquable et qualifie l'excellence d'une politique énergétique qui s'est poursuivie sous plusieurs gouvernements, et dont le Gouvernement actuel, par ma voix, vient de rappeler les axes fondamentaux.
Je crois pouvoir dire brièvement, pour conclure, que la politique énergétique de la France est réaliste, qu'elle est équilibrée, qu'elle offre le maximum de sécurité à notre économie compte tenu des richesses nationales, et qu'elle prend en compte de manière déterminée les préoccupations actuelles, notamment en recherchant le développement des modes de production les plus propres, tout en garantissant la pérennité du savoir-faire de très haut niveau en matière nucléaire.
Ces axes sont, en même temps, autant d'éléments d'identité nationale. M. Besson n'en a pas douté, et j'en remercie le groupe socialiste.
M. Valade sait maintenant, je pense, qu'il ne faut pas douter de la clarté et de la détermination de la politique énergétique française, que je définirai, à l'intention de l'ensemble des orateurs du Sénat, par trois mots : sécurité - par la volonté d'assurer notre indépendance énergétique, et de respecter l'environnement, ce qui est une préoccupation essentielle ; diversité - équation de Kyoto pourrait s'écrire économies d'énergie, plus nucléaire, plus énergies nouvelles renouvelables ; compétitivité, enfin, parce qu'il n'y a pas de politique énergétique qui ne soit fondamentalement une politique économique au service de la compétitivité de nos entreprises, de nos industries et de notre économie.
Je pense sincèrement que la France conduit une politique énergétique claire ; M. le Premier ministre en a souvent rappelé les grandes lignes. Je suis heureux d'avoir aujourd'hui convaincu le Sénat de cette clarté, de cette détermination et de la pérennité de cette politique énergétique, qui s'impose d'elle-même et que le Gouvernement poursuit. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) M. Jacques Bellanger. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons suivi avec beaucoup d'attention votre intervention au cours de laquelle vous avez exposé, de manière très compétente, les orientations du Gouvernement concernant la politique énergétique de la France.
Vous avez abordé avec clarté et franchise les grands enjeux à venir et affirmé avec détermination les priorités gouvernementales. Ces dernières permettent à la France de conduire une politique équilibrée visant à concilier durablement des objectifs essentiels comme notre indépendance énergétique et la compétitivité avec les impératifs environnementaux et les missions de service public.
Je vous demande d'excuser l'absence de notre collègue M. Besson à la fin de ce débat qui a dû rejoindre son département. Je tiens cependant à vous assurer, monsieur le secrétaire d'Etat, que ces orientations recueillent le plein assentiment du groupe socialiste, que j'ai l'honneur de représenter en cet instant et qui me charge de vous exprimer son soutien ferme et résolu.
M. Jacques Valade. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Après notre collègue M. Bellanger je m'exprime bien sûr à titre personnel, mais également au nom de MM. Ladislas Poniatowski, Pierre Hérisson et Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le secrétaire d'Etat, une fois encore, vous avez fait preuve de sincérité. Je ne mets jamais en doute, vous le savez bien, votre bonne volonté, je ne mets pas non plus en doute la volonté du Gouvernement que vous représentez ici. Mais la majorité sénatoriale est préoccupée par votre degré de liberté du fait des échéances électorales - nous les avons tous évoquées et, surtout, nous les avons toutes présentes à l'esprit. Elle est également préoccupée du fait que, en tant qu'animateur de la majorité nationale, il vous revient aussi de prendre en considération la mixité, dans tous les sens du terme, de cette majorité.
Votre marge de manoeuvre est faible. Je ne vais pas reprendre le débat sur ce point, nous l'avons déjà évoqué à plusieurs reprises, ici et ailleurs. Il est donc clair que la volonté gouvernementale affichée de s'inscrire dans la continuité des efforts du passé, si nous en acceptons l'augure, risque, à certains moments de céder devant des pressions non pas externes, mais internes, politiciennes.
Cela nous est douloureux, car cela met en cause des pans entiers de l'effort national, et cela nous fait craindre aussi que vous ne manquiez de volonté dans la mise en oeuvre de la politique que vous avez définie, et à laquelle nous adhérons globalement, et qui risque d'être soumise à des aléas calendaires qui ne sont pas supportables.
Je vous donne bien volontiers acte de votre déclaration, monsieur le secrétaire d'Etat, en regrettant à nouveau qu'il ait fallu une question orale avec débat.
Je vous réaffirme à la fois notre soutien pour mettre en oeuvre cette politique et notre extrême vigilance quant aux péripéties que nous pourrions vivre ensemble. M. le président. Le débat est clos.

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