SEANCE DU 29 MARS 2001
POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE
Discussion d'une question orale avec débat
(ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 28 de
M. Jacques Valade à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur la politique
énergétique de la France.
M. Jacques Valade attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie
sur la nécessité de mener et de développer une politique énergétique cohérente.
En effet, aujourd'hui, du fait de l'accroissement des coûts énergétiques marqué
par la flambée du prix des carburants, du fioul domestique et la hausse des
tarifs du gaz, la politique énergétique de la France doit permettre aux
entreprises et aux citoyens d'accéder à l'énergie la plus sûre et la plus
compétitive possible.
La politique énergétique de la France reste à définir ; elle doit garantir la
sécurité de l'approvisionnement national, éviter une trop forte dépendance
énergétique de notre pays et respecter les obligations à l'égard de
l'environnement, telles qu'elles ont été définies dans les accords
internationaux à partir de Kyoto.
Dans ce contexte, il lui demande quelle place le Gouvernement envisage
d'accorder aux différents modes de production d'énergie électrique, sans choix
arbitraire ou passionnel, et dans quelle mesure et par quels moyens le
Gouvernement entend oeuvrer pour concilier les objectifs de sûreté et de
compétitivité.
Je rappelle que cette discussion intervient dans le cadre de l'ordre du jour
réservé.
La parole est à M. Valade, auteur de la question.
M. Jacques Valade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Sénat a toujours porté intérêt aux problèmes énergétiques et a souhaité voir le
Gouvernement préciser sa position sur ce secteur clef du développement. Nous
n'avons à cet égard jamais obtenu satisfaction.
Par chance, la Commission européenne a pris l'heureuse initiative de lancer un
vaste débat, ouvert à l'occasion de la diffusion d'un « Livre vert » sur la
sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union européenne.
Le Parlement, et singulièrement la Haute Assemblée, fort des réflexions et des
réponses aux questions du Livre vert formulées dans un récent rapport du groupe
d'études de l'énergie, présidé par notre collègue Henri Revol, ne pouvait être
absent d'un débat aussi essentiel pour notre pays. Il est en effet dans son
rôle de donner à nos concitoyens et à tous les acteurs concernés tous les
éléments de jugement sur des questions aussi fondamentales que celles qui
concernent la stratégie énergétique de l'Europe pour les décennies
prochaines.
Je tiens d'ailleurs, ici, en mon nom personnel et au nom du groupe du
Rassemblement pour la République, à saluer le courage de Mme Loyola de Palacio,
commissaire européen à l'énergie et aux transports, qui a su conduire cette
réflexion avec réalisme et objectivité. Je ne doute pas que tous apprécient
cette initiative particulièrement opportune.
Sa réflexion rejoint celle que le Sénat a menée avec la commission d'enquête
sur la politique énergétique de la France, que j'ai eu l'honneur de présider et
dont le rapport, rendu public en mai 1998, conclut que « l'indépendance
énergétique doit rester une priorité et qu'elle nécessite à la fois la sécurité
d'approvisionnement, le respect et la protection de l'environnement, et la
compétitivité des entreprises ».
Ces conclusions sont aujourd'hui confirmées par les récentes secousses du
marché pétrolier, qui sont venues nous rappeler, s'il en était besoin,
l'importance de l'énergie pour la croissance économique de la France et, plus
largement, de l'Europe. Notre taux d'indépendance énergétique national est
d'ailleurs repassé depuis deux ans en dessous de la barre symbolique des 50 %,
malgré notre équipement électronucléaire exceptionnel, qui assure près de 80 %
de la fourniture de l'électricité. Notre facture énergétique du premier
semestre 2000 est estimée à 70 milliards de francs, soit près de 90 % de la
facture totale de l'année précédente !
A défaut d'obtenir du Gouvernement un débat au Sénat sur la politique
énergétique, nous avons pris l'initiative de l'inscrire à l'ordre du jour
réservé de notre Haute Assemblée.
C'est la raison pour laquelle je me réjouis aujourd'hui d'une telle rencontre,
monsieur le secrétaire d'Etat, car elle doit être pour nous l'occasion de
dresser un bilan de la politique énergétique menée par le Gouvernement depuis
1997, par référence aux options courageuses et efficaces du passé, et de juger
dans quelle mesure celle-ci nous prépare réellement aux défis que nous avons à
relever : défi environnemental, défi européen, eu égard, en particulier, au
nouveau contexte concurrentiel dans les secteurs électrique et gazier, et défi
de la sécurité de l'approvisionnement en matériaux énergétiques, ce qui pose le
problème à la fois de la pérennité des ressources fossiles, mais surtout du
renouvellement de notre parc de centrales, de la gestion des déchets et du
recours aux énergies renouvelables.
Ce débat doit être aussi pour nous l'occasion de définir les contours d'une
politique qui réponde objectivement au problème crucial que constitue la
dépendance énergétique croissante de l'Union européenne. Selon le Livre vert,
celle-ci passera, si rien n'est fait, de 50 % à 70 % d'ici à 2020 : il s'agit
donc de savoir dans quelle mesure et par quels moyens la France et l'Europe
décideront de répondre à ce défi majeur du xxie siècle.
Ces réflexions doivent ainsi nous conduire à repenser la politique énergétique
confrontée à un dilemme : la continuité d'une politique qui a porté ses fruits
et la nécessaire évolution liée au nouveau contexte international et à l'avenir
préoccupant de la planète.
A ce titre, dans le contexte de mondialisation, d'ouverture à la concurrence
et de progrès techniques pour la production d'énergie, force est de constater
que le principe fort d'indépendance énergétique a été parfois perdu de vue ou
mal compris, comme le démontrent, malheureusement, certains choix politiciens
du Gouvernement depuis près de quatre ans. En effet, la participation des Verts
au Gouvernement, dont la conception en matière d'énergie est radicalement en
rupture avec les options jusqu'à présent soutenues sans relâche par les
gouvernements successifs, nous amène à nous interroger sur la définition de la
politique énergétique future, car des doutes apparaissent sur sa lisibilité, sa
cohérence et son équilibre.
Nous n'oublions pas que, dès 1997, la décision très controversée d'arrêt et de
démantèlement du surgénérateur Superphénix a été une décision éminemment
politique, liée à l'équilibre de « la majorité plurielle », et sans débat
d'aucune sorte devant le Parlement. Le Sénat a très largement analysé et
critiqué cet abandon dans le cadre de la commission d'enquête sur la politique
énergétique de la France.
Je regrette toujours cette décision, car il n'a pas été raisonnable de
fragiliser ainsi l'avenir de la filière nucléaire, à la fois sûre, compétitive
et seule respectueuse des impératifs environnementaux, ainsi que la crédibilité
et la compétitivité de nos industries nationales.
Le rapport de M. Jean-Michel Charpin de juillet 2000 confirme d'ailleurs cette
évidence en concluant que « l'énergie nucléaire a encore de beaux jours devant
elle, y compris dans un contexte de libéralisation du marché européen ».
Cela est d'autant plus regrettable et préoccupant qu'il devient urgent
d'assurer la continuité et la pérennité de la filière nucléaire. A cet égard,
je déplore, une fois encore, que le Gouvernement tarde à prendre les décisions
qui s'imposent en ce qui concerne le renouvellement du parc nucléaire.
Je pense ici, tout particulièrement, au REP 2000, prochain standard des
centrales nucléaires d'EDF, destiné à succéder à l'actuel palier et qui devrait
être équipé du réacteur franco-allemand EPR. Le projet est prêt et il nécessite
une décision rapide afin de ne pas retarder la mise en oeuvre toujours longue
des centrales de deuxième génération.
Il est tout aussi essentiel de poursuivre activement les programmes de
recherche engagés au niveau européen dans le domaine de la fusion nucléaire,
mode de production d'énergie qui ne produit pas de déchets. Or je m'inquiète
des difficultés d'obtention de crédits suffisants dans le cadre du sixième
programme européen de recherche et développement.
Contrairement aux récentes déclarations de la « frange verte » de votre
majorité plurielle - il est vrai un peu plus épaisse depuis les résultats des
dernières élections municipales - l'Europe ne pourra se passer d'aucune source
d'énergie, y compris l'électricité d'origine nucléaire.
L'heure n'est plus aux tergiversations. Il était, encore récemment, de bon ton
- dans certains milieux et certains pays - d'accompagner, voire d'amplifier, la
diabolisation de l'énergie nucléaire, engendrant dans la population des
craintes qui semblent devenir légitimes alors qu'elles ne sont que
passionnelles.
Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, le vent a tourné. La raison
reprend le dessus, comme le démontre le Livre vert de la Commission européenne,
et nombre de pays jouent la carte de la complémentarité et de la
diversification des sources d'énergie. De telles décisions s'imposent si l'on
veut réellement être en mesure de répondre au défi climatique et de respecter
les engagements internationaux en la matière qu'il faut, sans cesse, rappeler
et confirmer.
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, contrairement au titre racoleur d'un grand
quotidien national daté de lundi dernier, la bataille nucléaire n'est pas en
route, pas plus que la bataille du charbon, du lignite ou du gaz, ou encore des
éoliennes pour tel ou tel pays.
Tous les acteurs et décideurs européens raisonnables savent, en effet,
pertinemment que l'énergie nucléaire présente des avantages en termes tant de
sécurité d'approvisionnement que de compétitivité ou d'environnement. Sa
production s'accompagne certes de déchets qu'il faut et que l'on peut traiter
ou stocker dans des conditions parfaitement rigoureuses et sûres. A titre
d'anecdote, je rappellerai que la totalité des déchets ultimes produits depuis
le début de l'exploitation du parc électronucléaire français représente « un
volume que contiendrait une piscine olympique ».
A ce titre, il est important d'améliorer la gestion du cycle. La France
dispose d'outils industriels exceptionnels, dont le Gouvernement lui-même a
favorisé la réorganisation par le biais de la création du nouvel ensemble
actuellement dénommé TOPCO. Il faut protéger cet ensemble, unique au monde, en
choisissant les bonnes stratégies nationales et internationales.
N'oublions pas, comme l'ont souligné encore récemment nos collègues M.
Jean-François Le Grand, Mme Anne Heinis et M. Jean Bizet, tous sénateurs de la
Manche, que l'usine de La Hague retraite chaque année plus de 85 % des
combustibles utilisés par EDF.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, j'attends du
Gouvernement qu'il nous dise clairement aujourd'hui s'il entend défendre les
intérêts de l'usine de La Hague qui est, depuis plusieurs années, et tout
particulièrement ces dernières semaines, la cible des écologistes qui ont pour
seul objectif d'obtenir sa fermeture, ou s'il entend, dans cette affaire, à
nouveau, céder aux exigences de « la frange verte de sa majorité », plutôt que
de rassurer l'opinion publique française qui, naturellement, commence à être
fortement inhibée par les craintes qui sont ainsi soulevées.
Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, l'indépendance énergétique de notre pays,
largement fondée sur son excellence technologique, doit être plurielle... comme
votre majorité !
(Sourires.)
Mais la France ne saurait renoncer aux
principes qui ont inspiré sa politique et aux succès qu'elle a remportés dans
le domaine nucléaire.
Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, l'Europe aura besoin de toutes les sources
d'énergie, y compris, naturellement, les énergies renouvelables, car elles ne
peuvent que contribuer à la diversité, et donc à la sécurité, de
l'approvisionnement énergétique. Elles représentent un potentiel réel sur
certains territoires, comme énergie d'appoint grâce au développement de réseaux
locaux adaptés aux besoins.
Toutefois, ne soyons pas dupes, leur contribution au bilan énergétique restera
limitée et ne trompons pas nos concitoyens en leur laissant penser, comme le
Gouvernement se laisse parfois aller à le faire, que les énergies renouvelables
pourraient se substituer aux énergies conventionnelles.
La politique en matière d'économies d'énergie doit, quant à elle, apporter sa
contribution et des efforts financiers doivent lui être consacrés. Cette
politique doit être intelligente : il s'agit non pas de diminuer la
consommation d'énergie, mais d'optimiser son utilisation. En effet, l'énergie
la moins chère est bien celle que l'on ne consomme pas. Le remplacement de
l'alimentation des feux de croisement de la communauté urbaine de Bordeaux -
vous me pardonnerez cet exemple local - par une alimentation en énergie basse
tension a permis d'économiser, depuis dix ans, 60 % de la consommation
électrique. Cet exemple peut être multiplié.
Le secteur du bâtiment et le secteur des transports doivent faire l'objet
d'efforts particuliers, tant quantitatifs par rapport à l'énergie que
qualitatifs par rapport à l'environnement.
A cet égard, je souhaite notamment que les biocarburants et autres carburants
de substitution occupent toute leur place dans le cadre de politiques
nationales et européennes volontaristes. Sur ce point, là encore, la politique
du Gouvernement est loin d'être exemplaire. Je pense ici, tout
particulièrement, à l'obligation d'utilisation de carburants de substitution
dans les transports publics et au remboursement d'équipements non polluants
pour les transports en commun, deux dispositions prévue dans la loi sur l'air
de décembre 1996 qui sont restées lettre morte, le Gouvernement n'ayant pas
jugé bon de faire paraître les décrets d'application.
Par ailleurs, je déplore le paradoxe qui fait que, dans les enceintes
internationales, on confie aux seuls ministres de l'environnement la
responsabilité des problèmes énergétiques et environnementaux. Réagissez,
monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie !
M. Ladislas Poniatowski.
Mais bien sûr !
M. Jacques Valade.
Comment ces questions peuvent-elles, dans ces conditions, être étudiées avec
toute l'objectivité et la sérénité nécessaires ?
S'agissant de la libéralisation de notre secteur énergétique, là aussi les
ambiguïtés et les contradictions du Gouvernement fragilisent considérablement
la position française.
Pour reprendre une formulation chère à M. Laurent Fabius, « l'
a priori
idéologique » du Gouvernement a malheureusement inspiré la transposition de la
directive européenne sur l'électricité, et avec plus d'un an de retard. Quant
au secteur du gaz, l'échéance du 10 août 2000 n'a pas non plus été respectée,
contraignant l'entreprise publique à des acrobaties juridiques pour faire face
à une concurrence déjà existante.
A ce titre, le répit que vous venez d'arracher à Stockholm pour l'accès à
notre marché énergétique, monsieur le secrétaire d'Etat, est loin de me
rassurer ; il laisse d'ailleurs perplexes ceux de nos partenaires européens qui
vous reprochaient hier votre volonté de protéger le plus longtemps possible
EDF, dont le marché restait fermé en France, mais qui profitait néanmoins de la
concurrence ouverte à l'étranger.
Il ne faut pas rêver : cela ne pourra pas durer. Les Premiers ministres
espagnol et, ce matin, italien ne viennent-ils pas de menacer de fermer leur
pays aux ambitions de notre opérateur public ?
La Commission européenne a d'ailleurs été chargée de veiller à ce que « les
entreprises qui conservent une situation de monopole sur leur marché national
ne profitent pas indûment de cette situation ».
En outre, les conclusions du dernier sommet européen indiquent que cette
question des échéances devra être réexaminée « en vue de mettre en oeuvre dès
que possible l'objectif d'ouverture du marché ». Les experts rappellent
d'ailleurs que la France a certes obtenu un répit politique, mais qu'elle doit
garder à l'esprit que, dans le secteur de l'énergie, une décision sera
désormais prise à la majorité qualifiée dans le cadre du Conseil des ministres
européens chargé de statuer sur les prochaines étapes.
Sur ce point essentiel, monsieur le secrétaire d'Etat, votre erreur
stratégique a été de vous battre sur la forme, et non sur le fond. En effet, la
France avait l'opportunité à Stockholm de défendre une troisième voie, une voie
originale.
Pour être crédible dans ce domaine, encore aurait-il fallu que la France
prouve à ses partenaires européens sa volonté de faire réellement évoluer son
marché. Une occasion a malheureusement été manquée lors de l'examen de la loi
dite de modernisation et de développement du service public de l'électricité,
qui limite l'évolution du marché français. A cet égard, monsieur le secrétaire
d'Etat, je souhaite que vous me donniez acte, ici au Sénat, des efforts que
nous avons accomplis ensemble afin d'améliorer ce texte. Malheureusement,
malgré notre accord, entre vous et nous, notre contribution a été négligée et
nous avons constaté qu'il y avait deux langages : l'un ici au Sénat,
raisonnable et consensuel, l'autre là-bas, doctrinaire et passionnel. Je ne
vous cache pas que nous gardons un peu d'amertume en ce qui concerne tant la
nature de nos relations que le résultat.
Les perspectives que vous ouvrez ne sont pas meilleures : votre projet de loi
relatif à la modernisation du service public du gaz défend une ouverture
a
minima
et ne dit rien sur la nécessaire évolution du statut de GDF,
question pourtant capitale pour l'avenir et le développement de l'entreprise
dans un secteur très concurrentiel. Ce n'est pas le président Gadonneix qui me
contredira ! En effet, la France ne peut continuer à faire cavalier seul dans
un marché mondial énergétique en pleine ébullition et marqué par de fortes
évolutions structurelles et commerciales chez les acteurs du secteur, rendant
indispensables les fusions-acquisitions et, éventuellement, les extensions
d'activités.
Ne voyez pas dans mes propos, monsieur le secrétaire d'Etat, la défense d'un
modèle anglo-saxon en la matière. A cet égard, l'Union européenne et
singulièrement la France peuvent parfaitement trouver l'équilibre qui leur
convient.
L'analyse des causes de la crise énergétique que connaît aujourd'hui la
Californie, utile « contre-exemple » de dérégulation ratée, est instructive.
Mais ne nous y trompons pas : les situations américaine et européenne n'ont que
peu en commun. Aussi, il serait absurde de s'abriter derrière « l'alibi
californien » pour maintenir le
statu quo
chez nous.
Je crois, en effet, qu'entre le monopole et la dérégulation sans borne
l'Europe doit continuer à rechercher et à poursuivre une troisième voie.
L'Union européenne disposant d'ores et déjà de nombreux leviers pour agir à la
fois sur la demande et sur l'offre énergétique, il lui appartient d'assurer
prioritairement la cohérence et la coordination de l'ensemble des
politiques.
L'examen de votre projet de loi sur le gaz, s'il a lieu pendant cette
législature - ce qui ne me paraît pas certain - et s'il se défait de l'«
a
priori
idéologique » que j'évoquais précédemment, devrait être l'occasion
pour nous, au-delà de nos clivages politiques, de définir cette nouvelle
voie.
En effet, la transposition de la directive relative au marché intérieur du gaz
offre à la France une double opportunité : d'une part, compte tenu des
négociations et des accords en cours, réserver une place plus importante au gaz
naturel dans la couverture des besoins énergétiques de notre pays, qui n'est
aujourd'hui que de 14 %, alors qu'elle s'élève à 21 % en moyenne au sein de
l'Union européenne ; d'autre part, permettre l'émergence d'une énergie plus
compétitive pour les clients éligibles comme pour le consommateur captif.
Cet objectif ne sera atteint que si différentes conditions sont réunies,
conditions que nous aurons l'occasion d'évoquer ultérieurement. Or, en l'état
actuel de votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, ces conditions
sont loin d'être réunies.
Que dire, en effet, de l'ouverture du capital de GDF, sur laquelle votre texte
reste muet, alors que son président vient de choisir une banque conseil à cette
fin ? Que dire encore de l'ouverture
a minima
du marché quand on sait,
par exemple, que seule une éligibilité totale de la cogénération permettra à la
France de rattraper, dans ce secteur, son retard sur ses partenaires européens
et de contribuer ainsi au développement de ce mode de production décentralisée
bénéficiant d'atouts énergétiques et environnementaux ?
Plus largement, et bien que les directives européennes n'imposent pas, pour
l'instant, d'harmonisation communautaire sur des sujets qui relèvent de la
subsidiarité, comme la tarification du transport de l'électricité ou la
fiscalité de l'énergie, le marché intérieur européen devrait rapidement
conduire à l'uniformisation souhaitable des pratiques nationales.
S'agissant plus particulièrement de la fiscalité énergétique, l'harmonisation
communautaire est indispensable, notamment dans le domaine des diverses taxes
fiscales nationales sur les carburants.
Sur ce point, là encore, le mécanisme, incompréhensible pour nos concitoyens
et nos partenaires européens, dit « TIPP flottante », présenté par le
Gouvernement et adopté dans la loi de finances de 2001, n'est malheureusement
pas exemplaire.
En effet, je suis dubitatif quant à la justification économique et écologique
d'une baisse artificielle du prix des produits pétroliers qui fait perdre tout
repère au consommateur et ne l'incite pas à réduire sa consommation.
Comment expliquer à nos concitoyens qu'on augmente le prix à la pompe lorsque
le prix du pétrole baisse ? Cela défie toute logique ! Les baisses des prix de
l'essence annoncées à l'automne dernier par le Gouvernement n'étaient
finalement qu'un leurre. Quelques mois après, les hausses reprennent, alors que
le prix du pétrole à la production a baissé de plus de 20 %.
M. François Gerbaud.
Eh oui !
M. Jacques Valade.
S'agissant de la mise en place d'une éventuelle écotaxe au niveau européen, il
paraît cohérent qu'une telle taxe soit proportionnelle au contenu en carbone
des matériaux énergétiques, puisque ce sont eux qui sont polluants, et que son
produit soit principalement affecté à l'amélioration de l'environnement.
Mais, là encore, la politique du Gouvernement en ce domaine n'est pas
exemplaire : non seulement le dispositif de la taxe générale sur les activités
polluantes, la TGAP, ne taxe pas efficacement les activités polluantes mais, de
surcroît, son produit est affecté au financement d'une partie du coût de la
réduction du temps de travail.
Pire, ce dispositif constitue un véritable dévoiement de la fiscalité
écologique. Heureusement que, dans sa décision du 28 décembre 2000, le Conseil
constitutionnel a condamné l'extension de cette taxe à l'électricité et aux
produits énergétiques fossiles comme ne respectant pas le principe de l'égalité
devant l'impôt.
Conformément à la mise en garde de la Haute Assemblée à l'époque, le Conseil
constitutionnel a donc censuré un dispositif qui ne répond en rien aux
objectifs assignés par le Gouvernement, puisqu'il n'intègre pas dans son
assiette l'ensemble des activités émettant des gaz à effet de serre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
définition d'une politique énergétique européenne entraînera une globalisation
des conséquences des choix et une diversité de réponses qui ne peuvent plus
être fondées sur une seule source d'énergie. Les solutions devront être un «
mix », un mélange souple, évolutif et adaptable pour prendre en compte les
réalités technologiques, l'évolution générale des prix et des marchés.
Je confirme ici, solennellement, que nous sommes favorables à la pluralité des
sources d'énergie. Toutes seront nécessaires. Le nucléaire n'est pas la seule
réponse, mais il n'y a, sans aucun doute, pas de réponse sans lui.
A ce titre, je crois qu'il est essentiel de prévoir, comme je l'avais demandé
dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale, une loi de programmation
pluriannuelle, afin de formaliser nos choix en matière énergétique.
Une telle démarche permettrait d'éviter les calculs, les hésitations et les
doutes politiciens. Car sur un sujet stratégique, l'intérêt partisan doit
s'effacer devant l'intérêt de la France et de nos concitoyens ; il doit viser
plus la continuité et le long terme que les intérêts particuliers et le court
terme.
Le général de Gaulle avait déclaré : « La politique de la France ne se fait
pas à la corbeille ». Il ne faut pas que la politique énergétique de la France
se développe à partir d'officines politiciennes.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Besson.
M. Jean Besson.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
débat, organisé sur l'initiative de notre collègue Jacques Valade, est tout à
fait bienvenu,
Le Parlement n'a guère l'opportunité, en effet, de débattre de la politique
énergétique de la France. Certes, chaque année, l'examen du projet de loi de
finances, tout particulièrement celui qui est consacré à l'énergie, dont j'ai
l'honneur d'être le rapporteur au nom de la commission des affaires
économiques, nous en donne l'occasion.
Nous avons par ailleurs débattu longuement, notamment au Sénat, de la loi
relative à la modernisation et au développement du service public de
l'électricité. Et nous aurons, je l'espère, à débattre prochainement du projet
de loi relatif à la modernisation du service public du gaz naturel et au
développement des entreprises gazières.
Il est vrai, cependant, qu'en tant que parlementaires nous exerçons surtout un
travail de contrôle et d'information qui s'opère essentiellement au sein des
groupes d'études, des commissions et des offices, mais rarement en séance
publique. Dans tous les cas, monsieur le secrétaire d'Etat, vous faites
toujours preuve de grande disponibilité et je vous en remercie.
La politique énergétique menée par la France depuis le premier choc pétrolier
de 1973 a donné des résultats plutôt satisfaisants. Le recours au nucléaire
pour la production d'électricité nous a permis d'asseoir notre indépendance, de
diversifier notre approvisionnement et d'être parmi les pays les moins
émetteurs de dioxyde de carbone : trois fois moins que les Etats-Unis par
habitant.
Le bilan mérite toutefois d'être nuancé : au fil du temps, la politique de
maîtrise de l'énergie s'est relâchée, la question de l'aval du cycle nucléaire
n'a pas été résolue et, enfin, les besoins croissants en matière de transports
ont maintenu une forte dépendance de notre pays à l'égard de l'extérieur.
Par ailleurs, de nouvelles préoccupations ont vu le jour : la lutte contre
l'effet de serre et, plus généralement, la nécessité de protéger
l'environnement, la demande à plus de transparence pour le nucléaire.
Enfin, l'organisation du secteur énergétique s'est profondément modifiée. Les
secteurs de l'électricité et du gaz se sont ouverts à la concurrence, tandis
que le paysage industriel évoluait considérablement.
A partir de ce constat, le Gouvernement a défini les grandes orientations de
notre politique énergétique, qui ont d'ailleurs été débattues à l'Assemblée
nationale, mais il est vrai, pas au Sénat. Comme vous l'avez indiqué, monsieur
le secrétaire d'Etat, celles-ci reposent sur trois piliers essentiels : la
recherche de la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité de notre
économie et la prise en compte des impératifs environnementaux. Enfin, elles
prennent en considération trois préoccupations fortes : l'emploi, la solidarité
et les missions de service public.
Ces orientations sont bonnes ; j'y souscris pleinement. Elles permettent à la
France d'avoir une politique équilibrée. Je n'y reviendrai donc pas dans le
détail, préférant centrer mon propos sur l'actualité européenne : le Livre vert
sur la sécurité d'approvisionnement publié récemment par la Commission
européenne et les conclusions du sommet de Stockholm.
Le Livre vert est tout à fait intéressant car, pour la première fois, est
lancé au niveau européen un débat global sur les enjeux de notre politique
énergétique. Le constat est assez grave : si rien n'est fait pour infléchir la
tendance actuelle, l'Union européenne verra sa dépendance énergétique atteindre
70 % dans les vingt années à venir. Ses engagements internationaux pris dans le
cadre du protocole de Kyoto seront difficilement tenus.
Sans proposer de solutions fermes, le Livre vert avance plusieurs propositions
qui pourraient constituer une stratégie pour l'Union en vue d'assurer la
sécurité de son approvisionnement. Je vais commenter certaines d'entre
elles.
Le Livre vert recommande de diversifier nos sources d'énergie en faisant le
pari des énergies renouvelables. Pour cela, l'Europe s'engage à porter la part
d'électricité verte à 22,1 % de la consommation à l'horizon 2010. A ce propos,
je salue l'action de la présidence française, qui a permis d'obtenir l'adhésion
unanime de tous nos partenaires. Vous connaissez tous notre souci de promouvoir
ces énergies.
Pour la France, l'objectif est ambitieux : la part d'électricité produite à
partir d'énergies renouvelables doit en effet passer de 15 à 21 %. J'aimerais,
monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous fassiez le point sur les moyens
que le Gouvernement entend mobiliser pour atteindre cet objectif.
Le Livre vert, s'il met l'accent sur ces énergies, laisse cependant des
options ouvertes ; en disant cela, je pense au nucléaire.
Pour l'heure, il est incontestable que les énergies renouvelables ne peuvent
offrir de production de masse. Sans l'électricité d'origine nucléaire, il
serait difficile de tenir nos engagements contre l'effet de serre, d'assurer
correctement la sécurité de nos approvisionnements et de préserver notre tissu
économique des variations du cours du pétrole. Le Livre vert le reconnaît.
L'énergie nucléaire doit donc rester le pilier de la politique énergétique
française. Néanmoins, si nous voulons que le nucléaire demeure une filière
d'avenir, nous devons tout d'abord répondre au souci de transparence revendiqué
par nos concitoyens. Des progrès ont été accomplis, mais ce n'est pas
suffisant.
Il faut que nous traitions la question de l'aval du cycle nucléaire. La « loi
Bataille » a fixé un cadre. Il faut s'y tenir. Il ne faut négliger aucune
piste. Il y a un travail d'explication et de concertation à faire.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement prépare
attentivement l'avenir du nucléaire français. La recomposition de notre pôle
nucléaire en un ensemble clair et cohérent le prouve.
Le Livre vert insiste aussi sur la nécessité de relancer la politique de
maîtrise de l'énergie. Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie. Je crois
que nous devons faire un effort important dans le secteur du bâtiment. C'est un
enjeu environnemental, mais aussi social : la nouvelle « réglementation
thermique » fera baisser les charges des logements des ménages en réduisant les
dépenses énergétiques.
La Commission européenne souhaite par ailleurs parvenir en 2005 à une
libéralisation totale du secteur électrique et gazier, y compris pour les
consommations domestiques. A cet égard, je me réjouis de la détermination de M.
le Premier ministre, qui, lors du récent Conseil européen de Stockholm, les 23
et 24 mars derniers, s'est opposé à la fixation d'une date effective.
La France n'entend pas s'opposer au processus d'ouverture ; elle entend
seulement qu'il soit progressif, maîtrisé et socialement acceptable. Comme le
soulignait à juste raison le Premier ministre, la libéralisation ne saurait
être appréhendée au travers du seul prisme de la baisse des prix ; elle doit
prendre en compte les obligations de service public : sécurité
d'approvisionnement, continuité sur l'ensemble du territoire et égalité d'accès
pour tous les citoyens.
Pour autant, si le communiqué final du sommet de Stockholm ne comporte aucune
date, le Conseil approuve cependant l'objectif d'ouvrir dès que possible les
marchés. La commission est invitée à évaluer la situation de ces secteurs dans
le rapport qu'elle présentera au prochain Conseil européen, afin de permettre
l'adoption de nouvelles mesures.
Partant de là, je souhaiterais connaître, monsieur le secrétaire d'Etat, la
position que la France entend adopter lors des prochaines réunions des
ministres de l'énergie. Peut-elle véritablement faire infléchir le point de vue
de la Commission ?
Il est un autre domaine stratégique : les transports. Le Livre vert insiste
sur ce point. Je regrette cependant que les solutions proposées s'articulent
essentiellement sur l'ouverture à la concurrence des transports ferroviaires.
Les exemples étrangers devraient inciter à plus de vigilance, notamment du côté
de nos amis anglais. Je pense à ce propos aux déboires du chemin de fer anglais
privatisé. Il faudrait, en revanche, une mobilisation financière de l'Union
européenne bien plus grande qu'actuellement, notamment pour résorber les
goulets d'étranglement, notamment dans la vallée du Rhône.
S'agissant de la France, d'ici à 2010, la progression de la consommation
énergétique liée au transport devrait s'accroître de 1,6 % en moyenne et 40 %
des gaz à effet de serre auront pour origine les transports. En outre, le
secteur des transports dépend pour 95 % du pétrole importé. C'est dire l'enjeu
de mener une politique ambitieuse dans ce domaine.
Même s'il est opportun de s'efforcer d'améliorer les carburants, les
performances des véhicules et la réglementation technique pour lutter contre
cette évolution, ce n'est pas suffisant. Il faut désormais promouvoir une autre
politique des transports, moins axée sur le « tout routier ». C'est un point
fort de la politique du Gouvernement et de sa majorité, et je m'en réjouis.
La notion de « développement durable » est désormais au coeur de nos choix
d'aménagement du territoire et d'urbanisme. Les schémas de services collectifs
des transports en cours d'élaboration s'inscrivent dans cette démarche. La
nouvelle génération de contrats de plan Etat-région répond aussi à ces
objectifs : 8,7 milliards de francs sont consacrés aux transports ferroviaires,
soit dix fois plus que pour le XIe Plan, comme l'a expliqué tout à l'heure M.
le ministre de l'équipement, des transports et du logement. Nous ne devons pas
non plus relâcher notre effort en faveur des transports les moins polluants
dans les agglomérations urbaines.
Voilà, de manière résumée, les points que je souhaitais exposer. Sachez,
monsieur le secrétaire d'Etat, que vous avez le soutien des sénateurs du groupe
socialiste pour mener à bien une politique énergétique au service de la
compétitivité de notre économie et du développement durable de notre
territoire, une politique solidaire au service de l'emploi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
parce que, d'un point de vue global, il concerne un sujet des plus délicats,
l'indépendance énergétique de notre pays, le débat auquel nous prenons part
aujourd'hui revêt un caractère d'extrême importance.
La question posée par notre collègue M. Jacques Valade circonscrit son champ
d'étude à l'énergie électrique, alors que sa contribution aux réponses du Livre
vert de la Communauté européenne nous avait particulièrement intéressés. Pour
autant, elle nous offre la possibilité d'un débat de plus en plus
nécessaire.
En ce domaine, la situation de la France paraît des plus enviables. Premier
producteur d'Europe pour l'énergie nucléaire et pour les énergies renouvelables
la France dispose d'une autonomie confortable. Produite pour 75 % à partir du
nucléaire, pour 18 % à partir d'énergies renouvelables et pour seulement 8 % à
partir des combustibles fossiles, ce mode de production de l'électricité a
l'avantage de ne contribuer que très faiblement à l'émission de gaz à effet de
serre. Par ailleurs, les nouvelles technologies et les recherches en cours
devraient permettre de trouver à terme des solutions optimales quant au
retraitement des déchets radioactifs.
Il n'en demeure pas moins que la décision récente de certains Etats membres de
la Communauté d'abandonner le nucléaire suscite quelques interrogations quant à
la réelle capacité et à la volonté française de maintenir, de développer cette
filière. La France dispose, en ce domaine, d'un réel savoir-faire et de
compétences certaines qui méritent d'être préservés, d'autant que la
consommation d'électricité ne cesse de croître et que l'énergie nucléaire
constitue une réponse appropriée pour faire en partie face à cette
augmentation. Pour répondre aux besoins nouveaux, aux besoins de proximité par
exemple que les tempêtes de décembre 1999 ont mis en évidence, pour assurer les
missions de service public, au premier rang desquelles se situe l'indépendance
énergétique française en matière d'électricité, nous devons, dès aujourd'hui,
programmer les investissements en infrastructures, parmi lesquels figurent ceux
qui permettront de renouveler notre parc nucléaire. Je pense plus
particulièrement au projet EPR, qui présente des avancées incontestables en
matière de sûreté nucléaire.
Nous maintenons notre souhait de voir le Gouvernement s'engager dans cette
voie, qu'il soit animé par la ferme volonté de diversifier les sources
énergétiques en accordant leur place aux énergies « vertes », comme
l'hydraulique, la biomasse, l'éolien, mais aussi le gaz, tout en maintenant le
nucléaire.
Mais permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, d'émettre quelques doutes
voire d'éprouver quelques craintes quant à la compatibilité entre les objectifs
que vous vous êtes fixés et la libéralisation des secteurs de l'électricité et
du gaz engagée depuis les directives de 1997 et 1998. Les propositions récentes
du commissaire européen à l'énergie d'accélérer ce processus ne font que
renforcer ces doutes et ces craintes, tandis que l'analyse que vous me
permettrez de vous exposer les confirme et les justifie.
Je commencerai par une brève incursion historique en rappelant un certain
nombre de faits que l'idéologie libérale a trop tendance à nous faire
oublier.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France était fortement dépendante
en matière énergétique. Comment ne pas souligner que les progrès réalisés en ce
domaine, nous les devons à l'héritage des forces politiques de l'époque, issues
du Comité national de la Résistance, conscientes de la faillite des économies
de marché des années vingt et trente, qui ont constaté l'impossible régulation
par le marché ? Maîtriser l'avenir, élaborer des projets à long terme passait
pour ces hommes et ces femmes par la substitution de l'économie planifiée à
l'économie de marché.
Au sein du plan français, cette organisation unique, capable de garantir aux
industriels un horizon d'anticipation à long terme dégagé des contraintes de
rentabilité à court terme, ce « réducteur d'incertitudes », selon la judicieuse
expression de Pierre Massé, le secteur de l'énergie occupa une place
particulière. La notion de service public y joua un rôle primordial, que ce
soit en matière d'aménagement du territoire, d'électrification des zones
rurales et d'obligation de desserte, de péréquation tarifaire, d'indépendance
énergétique ou encore d'emploi.
Les énormes besoins de financement liés au développement des infrastructures
en matière hydroélectrique puis nucléaire furent satisfaits grâce à l'appui du
système bancaire et du Trésor public.
EDF, monopole public, devint le fer de lance d'une politique visant à assurer
à la France son indépendance énergétique. Les résultats furent performants et à
la hauteur des ambitions, que ce soit du point de vue de la sécurité à long
terme et de l'efficacité technique, des critères écologiques ou tarifaires.
Au regard de ce bref rappel historique des principales conditions qui ont
permis le développement de notre industrie énergétique, le contexte actuel de
déréglementation à tout crin ne semble guère compatible avec les besoins
nouveaux qui se font jour.
La précipitation actuelle de Bruxelles visant l'accélération de la réalisation
d'un marché intérieur de l'énergie par extension du domaine d'égibilité des
secteurs de l'électricité et du gaz à tout consommateur - ménages compris -
nous semble particulièrement dangereuse.
La nouvelle directive intégrerait dans le droit européen des exigences de
service public. Pour autant, la notion européenne de « service universel »
n'est toujours pas clairement définie et semble, en conséquence, relever plus
du domaine de la rhétorique que de celui de la contrainte, qui garantirait
l'exercice des missions de service public parmi lesquelles figurent le droit à
l'énergie pour tous et l'indépendance énergétique.
La précédente directive sur l'électricité laissait l'opportunité de mettre en
oeuvre une véritable politique industrielle visant le long terme en considérant
que, « pour certains Etats membres, l'imposition d'obligations de service
public pouvait être nécessaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement, la
protection du consommateur et la protection de l'environnement que, selon eux,
la libre concurrence, à elle seule, ne pouvait pas nécessairement garantir »,
et que « la planification à long terme pouvait être un des moyens de remplir
lesdites obligations de service public ».
Le changement d'orientation opéré par la Commission pourrait se traduire dans
les faits par la soumission du secteur énergétique à une régulation de type
boursier, qui serait génératrice de multiples incertitudes : incertitude sur
les prix, soumis à la volatilité des marchés à court terme, les marchés « spot
» du kilowattheure, incertitude sur les débouchés, les clients ayant la
possibilité de changer de fournisseurs ou d'exiger des rabais par leur mise en
concurrence, incertitude, enfin, sur la sécurité d'approvisionnement du fait de
la réduction de la durée des contrats d'approvisionnement, comme on le constate
aujourd'hui dans la plupart des pays ayant libéralisé le secteur
énergétique.
Depuis l'ouverture partielle à la concurrence et pour faire face à la perte
éventuelle de clients, EDF a dû consentir des baisses de prix importantes en
faveur de ses clients éligibles. Sur l'année 2000, les rabais accordés aux
industriels varient, selon les cas, de 5 % à 30 %, avec une moyenne de l'ordre
de 15 %. Cette baisse, résultat de la pression sur les prix que peuvent
désormais exercer les clients éligibles, à laquelle s'ajoute la perte d'environ
17 % de ses clients industriels, a provoqué une diminution des recettes et une
fragilisation de la situation financière de l'entreprise. L'éligibilité
universelle souhaitée par Bruxelles et inscrite dans le contrat de groupe
risque de contraindre EDF à consentir de nouvelles diminutions de prix.
Cette déflation est, en premier lieu, salariale. La diminution des coûts
salariaux passe d'abord par la réduction de la masse salariale par le biais des
suppressions d'emplois et par l'augmentation de la productivité et de
l'intensité du travail.
Elle porte, en second lieu, sur la recherche d'une diminution des coûts des
matières premières, par pression sur les prix des fournisseurs.
A titre d'exemple, dans le secteur énergétique, tandis qu'Electrabel annonce
la suppression de 10 % de son effectif pour faire face à l'accélération de
l'ouverture du marché, EDF s'engage à réduire de 30 % ses frais hors
main-d'oeuvre par le biais d'une diminution de ses frais d'achats et en
imposant à ses salariés des efforts de productivité.
Au niveau européen, le secteur énergétique aura perdu, selon la Confédération
européenne syndicale, 300 000 emplois sur la dernière décennie. Et les
prévisions actuelles tablent sur une baisse de 25 % de l'emploi à l'horizon
2010.
Tandis que la Commission européenne se félicite de la baisse des prix liée à
la réalisation du marché intérieur parce qu'elle bénéficierait en dernière
instance au consommateur, nous continuons de nous interroger sur les vertus de
ce que l'on a qualifié à partir des années soixante-dix de « retour du marché »
qui s'apparente plutôt au retour de formes de concurrence non maîtrisées.
Pourquoi substituer au « monopole naturel » qui a fait preuve par le passé de
son efficacité une forme primaire de concurrence qui est loin, elle, d'avoir
fait ses preuves ?
Le risque est grand qu'EDF ne puisse pas faire face aux lourds investissements
qu'il devient urgent de programmer. Ce sont les financements qui risquent de
lui faire défaut dans un contexte d'orthodoxie monétaire et financière, de
course à la taille critique et de diminution des recettes, qui grèvent d'autant
les ressources financières.
Est-il raisonnable de penser, comme le fait l'actuel président d'EDF, qu'un
taux de retour sur investissement de 10 % puisse être atteint ? Ce taux
satisferait-il les marchés financiers, pourvoyeurs de fonds rémunérateurs ?
Il satisfera sans doute ceux des capitaux qui rêvent depuis longtemps de
pénétrer dans le monopole public.
Alors que la question qui nous est posée est celle de l'indépendance
énergétique de notre pays, la réponse apportée par l'intermédiaire de la
concurrence à tout crin semble nous éloigner encore plus de la solution
recherchée.
M. le président.
La parole est à M. Vial.
M. Jean-Pierre Vial.
Monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président, mes chers collègues, «
une voiture individuelle émet en moyenne, par personne transportée et compte
tenu du taux d'occupation, trois fois plus de dioxyde de carbone qu'un autobus,
tandis que train, métro, tramway et bicyclette génèrent des émissions beaucoup
plus faibles ». C'est avec cette formule, qui ressemble un peu au libellé d'une
épreuve arithmétique du brevet des collèges, que le rapport de la mission
interministérielle sur l'effet de serre attire notre attention sur un postulat
essentiel de toute politique énergétique et environnementale : les
consommations énergétiques globales sur un territoire donné sont principalement
la résultante d'actions et de comportements individuels. Mais ce rapport montre
aussi, en contrepartie, que les choix publics sont essentiels pour limiter et
encadrer les impacts sociétaux et environnementaux des dépenses
énergétiques.
Dans les grands enjeux politiques, la question énergétique est certainement
l'un des domaines dans lesquels la politique peut reprendre tout son sens.
C'est en effet aux décideurs publics, à tous les échelons de compétence et en
association étroite avec tous les acteurs, de définir, de stimuler, d'inciter
des actions concrètes en faveur d'une politique énergétique ambitieuse, qui
nous permettra de mieux maîtriser notre destin collectif.
Voilà pourquoi le thème du débat que nous avons aujourd'hui ensemble et que
nous devons mener sans exclusion ni exclusive est crucial pour notre avenir,
aux niveaux national, européen et, bien sûr, mondial. Il est au coeur de la
problématique du développement durable, de la préservation des ressources
naturelles, mais aussi des questions de santé publique et de développement
économique.
A ce titre, je remercie nos collègues, Jacques Valade, notre rapporteur, ainsi
que Henri Revol, président de notre groupe d'étude sur l'énergie, pour la
qualité de leur travail et pour l'occasion qu'ils nous donnent d'aborder ce
sujet déterminant pour les décennies à venir.
Lorsque l'on se penche sur le thème central de l'énergie, il faut bien avoir
conscience des enjeux majeurs qui le sous-tendent. Toute politique en la
matière doit être élaborée à la lumière de deux sortes de préoccupations, qui
sont à placer sur des plans différents.
La première est d'ordre stratégique et géopolitique. Notre collègue Jacques
Valade en a très bien décrit toutes les implications dans son rapport et son
intervention. Il s'agit de la dépendance énergétique des pays développés - et
plus particulièrement de l'Europe et de la France en ce qui nous concerne.
La seconde est, bien évidemment, d'ordre environnemental, et ses enjeux
croissants constituent un fait de société pris désormais unanimement en
considération, en même temps qu'une préoccupation politique incontournable.
Au coeur de ces deux préoccupations se trouve la question des sources
énergétiques et principalement de la part trop importante laissée, dans notre
bilan, aux énergies fossiles, particulièrement aux hydrocarbures. Au niveau des
Quinze, l'équilibre de la consommation énergétique s'établit très nettement en
faveur de ces énergies fossiles puisque nous consommons près de 40 % de
pétrole, plus de 20 % de gaz naturel et au-delà de 15 % de combustibles solides
- charbon et lignite en particulier.
Comment, dès lors, ne pas faire le parallèle, au regard de ces chiffres, entre
les graves conséquences écologiques et la question de la dépendance ? A
l'épicentre se trouvent les combustibles fossiles, principales sources
d'émission de CO 2 et objet premier de nos importations. C'est donc vers la
réduction de leur poids dans notre dépense énergétique globale que nous devons
tendre, sans quoi nous risquerions de perdre sur tous les fronts. La
prospective établie par le Livre vert de la Commission à l'horizon 2030 est à
ce titre révélatrice. L'étude comparative devrait également intégrer les
conséquences liées à l'exploitation, au transport et au stockage des
différentes énergies, dont les coûts et l'impact sur l'environnement ne peuvent
être ignorés.
La sécurité des populations, la qualité des écosystèmes aquatiques et
terrestres, essentiels au développement et au bien-être de nos sociétés,
dépendent des choix d'ampleur que nous ferons concernant la politique
énergétique et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Là
encore, la réalité est incontestable et la science se trouve devant un nouveau
champ d'observation et d'investigation telles les variations climatiques et
hydrologiques que nous ne pouvons que constater. Même si la réalité est
complexe, l'effet de serre se sera développé de plus de 30 % depuis le début de
la révolution industrielle, augmentant ainsi la température moyenne du fait
essentiellement de l'exploitation de combustibles fossiles.
C'est la raison pour laquelle, conformément à nos engagements internationaux
pris à l'occasion de la convention de Rio de 1992 et du protocole de Kyoto de
1997, nous devons nous fixer des objectifs clairs, audacieux et quantifiés pour
réduire nos émissions de CO 2, qui constituent 70 % des rejets de gaz à effet
de serre. Cela doit devenir une réelle priorité nationale qui, au-delà du seul
principe de précaution, parfois trop timide, réponde à une conception
clairvoyante et volontariste des choix de société à venir.
Vers cette finalité, qui passe par le recul sensible de la consommation
d'énergies fossiles, je distinguerai nettement deux objectifs essentiels.
Il est avant tout indispensable de changer l'axe de notre politique en la
fondant plus sur les besoins réels, la demande, que sur l'offre d'énergie.
C'est sur cette variable que nous pouvons et devons tenter d'influer. Cette
orientation nous permettrait de mettre en place, avec l'ensemble des
partenaires, une politique drastique d'économies d'énergies.
L'autre priorité consiste à diversifier les sources d'énergies ainsi que les
sources d'approvisionnement, afin non seulement de donner une place réfléchie
et assumée au nucléaire, mais aussi de promouvoir et de soutenir l'émergence de
débouchés industriels pour les énergies renouvelables.
Pour épanouir ces deux dimensions de la politique globale, les pouvoirs
publics se doivent de multiplier les efforts d'information, de communication et
de sensibilisation à tous les échelons.
Sur ces différents points, qu'en est-il aujourd'hui de la politique du
Gouvernement ? J'aurai tendance à dire que, si le discours est généreux, la
réalité est plus discrète, voire confidentielle.
En 1997, lorsque Lionel Jospin confia un grand ministère de l'environnement et
de l'aménagement du territoire à Dominique Voynet, nous avions des raisons
d'espérer, en dehors de tout préjugé partisan, que puisse être mise sur pied
une vaste politique générale de maîtrise énergétique et de promotion des
technologies nouvelles. Mais nous sommes loin des perspectives enthousiasmantes
de la politique affichée par le Gouvernement ! Il est tout d'abord nécessaire
de souligner l'ambiguïté, voire l'absence de cohérence, de l'attitude du
Gouvernement à l'égard du bilan énergétique français et plus particulièrement
du nucléaire.
Alors que l'Allemagne de Gerhard Schröder a fait le choix d'abandonner
progressivement la production nationale d'énergie nucléaire tout en se donnant
les moyens de préparer une alternative crédible, en faveur des énergies
renouvelable, notamment, alors que des partenaires comme le Danemark prévoient
que, d'ici à 2010, 50 % de leur production énergétique sera d'origine éolienne,
la France continue, malgré les déclarations de principe, de naviguer entre
affirmation et hésitation, ne favorisant au final aucune stratégie
particulière. Quelles suites peut-on donner au discours tenu par le Premier
ministre, lorsque celui-ci annonçait, à Lyon, le 11 septembre dernier, qu'un
plan général d'économie d'énergie touchant l'ensemble des secteurs d'activité
serait mis en place avant la fin de l'année 2000 ?
Plus inquiétant encore, il me faut souligner devant vous l'éparpillement de la
législation actuelle et notre absence d'anticipation en la matière.
Non seulement il n'y a pas eu de grandes lois regroupant un ensemble cohérent
de mesures en faveur de l'efficacité énergétique et de la diversification des
sources depuis la loi sur l'air - que la précédente majorité avait adoptée en
1993 et qui reste, à bien des égards, sans textes d'application, c'est le cas
pour les dispositions en faveur des carburants alternatifs - mais, de plus,
aucun texte de transposition n'a encore été soumis au Parlement pour les
directives européennes Electricité et Gaz. De même avons-nous anticipé le
projet de directive Parlement-Conseil, d'avril dernier, concernant la promotion
de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelable sur le
marché intérieur.
Enfin, et c'est sans doute ce qui est le moins acceptable, les rares
innovations éparses, couvertes par un affichage médiatique considérable, ont
été proposées dans des buts détournés par rapport à ceux que nous devrions
normalement chercher à atteindre.
Qui n'a pas présent à l'esprit l'échec subi devant notre assemblée puis devant
le Conseil constitutionnel par le projet d'extension de l'assiette de la TGAP ?
Non seulement il n'était, dans le fondement même de cette taxe, fait aucune
distinction entre l'électricité-propre et l'électricité-carbone, puisqu'elle
frappe indiféremment les deux, mais surtout les montants perçus étaient
destinés à financer l'application des 35 heures et non une quelconque politique
d'économie et de diversification énergétique !
N'en a t-il pas été de même de la taxe hydraulique qui, paradoxalement, vient
frapper l'énergie renouvelable la plus propre ?
Plus grave encore, les seules avancées apportées par la loi de finances pour
2001 l'ont été sur l'initiative du Parlement, que l'on songe à l'application
d'un taux réduit de TVA en faveur des équipements pour les énergies
renouvelables ou à leur éligibilité à la procédure d'amortissement
accélérée.
Pourtant, quelques signes encourageants ont été émis ces dernières années.
Le premier d'entre eux fut de relancer la dynamique de l'Agence de
l'environnement et de la maîtrise de l'énergie en renforçant son budget de
fonctionnement et en assurant davantage son enracinement régional. Les efforts
sont néanmoins loin d'être suffisants et les besoins de cette structure en
moyens financiers et surtout humains se font cruellement sentir. Sans qu'il
soit nécessaire de développer les interrogations qu'il soulève, les conclusions
de notre collègue Philippe Adnot, chargé par la commission des finances de
veiller au bon emploi des crédits de l'environnement, illustrent, là encore,
l'absence d'une politique claire et lisible.
Or, comme le rappelle le Livre vert de la Commission européenne, il est
désormais temps de passer du stade de la réflexion à celui de l'action, faute
de quoi la France se trouvera, d'ici à 2010, dans l'impossibilité de réduire
ses émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990.
Je ne suis pas le seul à considérer qu'il est nécessaire, comme préliminaire à
toute définition ambitieuse d'une politique énergétique globale, de se mettre
d'accord clairement sur quelques postulats.
Sur la forme tout d'abord, il ne faut pas se dissimuler derrière le paravent
de la fiscalité pour éviter d'avoir à mettre en oeuvre une véritable politique
structurelle d'accompagnement et d'émulation en faveur d'une énergie efficace
et diversifiée. La fiscalité doit rester un moyen, un outil qui fournit des
moyens ou qui corrige des déséquilibres. A ce titre, il serait primordial, dans
un premier temps, de réduire le différentiel de TIPP.
Sur le fond surtout, on ne peut plus faire aujourd'hui l'économie d'un vrai
débat serein sur le nucléaire, sans passion ni préjugé idéologique. Il faut
dédramatiser un cadre psychologique marqué, d'un côté, par une position « tout
nucléaire » associée historiquement à l'idée d'indépendance nationale et, de
l'autre, par une tendance réactive renforcée par l'après Tchernobyl.
Nous devons être capables de dresser un véritable bilan coût/avantages de la
filière nucléaire, car une vraie politique de l'énergie passe par une politique
de vérité.
Ainsi, pour apprécier la place qui doit revenir au nucléaire, il faut
continuer nos efforts et le concevoir comme un investissement de long terme à
faible impact écologique, générateur d'une énergie abondante et peu coûteuse
qui doit être préservée.
Dans la lutte contre l'effet de serre, la priorité, je le répète, est à donner
à la diminution de la part des combustibles fossiles dans notre consommation
globale. Le maintien et l'approfondissement de l'option nucléaire y contribue.
Mais cette filière ne se justifie qu'intégrée dans une politique d'ensemble en
faveur de l'efficacité et de la diversité des sources d'énergie.
L'efficacité tient dans le choix fait en direction d'une gestion économe et
rationnelle des dépenses et des ressources énergétiques. Encore faut-il
distinguer les secteurs de l'activité humaine fortement consommateurs d'énergie
et, en retour, émetteurs de CO2. Ces émissions se répartissent essentiellement
entre les transports, l'habitat, l'industrie et les services publics comme
privés. Pour les transports, par exemple, qui représentent 35 % des émissions,
mon introduction montrait à elle seule à quel point il est urgent de réduire la
place de la voiture, en ville notamment. Un tel impératif passe par le
développement des transports collectifs urbains en améliorant la qualité de
l'offre de transports en commun.
Le transport routier de marchandises est de loin le mode le plus énergivore,
puisqu'il émet environ trois fois plus de CO2 que le rail. Ainsi faut-il
essayer de valoriser un transfert massif de la route vers le rail, organiser
des modes de transports combinés et intermodaux, comme le ferroutage, par une
véritable ambition française et européenne. Cela a été longuement évoqué dans
le débat de ce matin.
Concerné directement et personnellement, en qualité d'élu rhône-alpin, par le
projet de liaison Lyon-Turin, j'ai pu constater et m'inquiéter, malgré les
discours, de l'absence d'une vraie ambition de transport ferroviaire. Et je ne
change pas mon propos malgré les déclarations de M. Gayssot dans cette enceinte
voilà un instant.
Dans ces domaines comme dans bien d'autres, il existe déjà des technologies
permettant d'atteindre de très bons rendements - je pense à celle qui s'appuie
sur le principe de la cogénération par exemple. La cogénération permet, en
effet, de produire de l'électricité et de récupérer ou d'utiliser la chaleur
produite par le processus de la conversion.
Dans un esprit assez proche, les réseaux de chaleur auxquels les particuliers
comme les bâtiments collectifs peuvent se raccorder permettent de partager à
plusieurs une énergie thermique produite sur un seul site. Les turbines à gaz à
cycle combiné sont un autre exemple qui montre l'intérêt de mobiliser les
moyens nécessaires à l'évolution de technologies maîtrisées. C'est une ambition
tout aussi forte qu'il nous faut afficher dans le développement de technologies
à fort potentiel, comme celles de la pile à combustible.
La diversification et la complémentarité des sources nécessitent la
mobilisation de toutes les énergies propres dont les débouchés industriels, du
fait de leur efficacité intrinsèque et des attentes sociales, sont indéniables.
Elles concernent le recours à l'éolien et à la biomasse, qui est sans doute
l'une des plus prometteuses, sans négliger la capacité de la petite hydraulique
et, surtout, des différentes formes d'énergies issues du solaire qui, là
encore, nécessitent des engagements forts. Qu'il me soit permis de saluer la
volonté de l'ADEME sur ce point.
En un mot, ces objectifs d'économie et de diversification exigent des pouvoirs
publics une attitude exemplaire.
Sur le plan national tout d'abord, le Gouvernement devrait émettre des signes
forts et inciter les services déconcentrés de l'Etat à montrer l'exemple en
terme d'économies d'énergies. Pour ce faire, la constitution d'un secrétariat
d'Etat à la maîtrise de l'énergie, rattaché au ministère de l'industrie et
interlocuteur unique de tous les acteurs des différentes filières, serait une
initiative d'ampleur, gage de coordination, de continuité et de suivi des
différentes politiques menées en la matière.
L'Etat se doit aussi de soutenir des programmes de recherche et développement
ambitieux et dotés de véritables moyens dans le domaine des nouvelles
technologies de l'énergie, tout en les crédibilisant par des filières de
formation. C'est sur cette base que pourraient reposer les conditions du
développement d'un marché intérieur et d'une industrie des équipements pour
l'efficacité et la diversité énergétique.
Si l'engagement politique et l'orientation générale dépendent du niveau
national, les décideurs publics peuvent, par leur choix, avoir une influence
considérable en matière d'aménagement et d'urbanisme qui détermine en grande
partie les consommations d'énergie. De même, la maîtrise des déplacements par
le biais de plans de déplacements urbains notamment, la gestion des déchets et
celle des équipements publics sont des instruments efficaces de réduction.
Pour étayer mon propos, vous voudrez bien me permettre d'évoquer une
expérience locale qui me tient particulièrement à coeur et qui montre bien les
richesses et les potentiels de terrain qu'une bonne coordination et beaucoup de
ténacité peuvent permettre d'exploiter dans ce domaine.
Sensibilisées depuis longtemps sur le thème des énergies renouvelables, la
Savoie et plus largement la région Rhône-Alpes ont mis en place des politiques
incitatives qui font qu'aujourd'hui la région dispose du plus grand nombre
d'installations solaires thermiques et photovoltaïques en France.
Profitant de cette expérience, de cette tradition, et voulant faire fructifier
les efforts entrepris depuis des années, les différents acteurs du secteur de
l'énergie solaire se mobilisent, sous l'égide du conseil général de la Savoie,
autour d'un projet fédérateur qui est le fruit d'une ardente collaboration et
qui permettra de mobiliser l'ensemble des forces nécessaires depuis la
recherche en amont en passant par la qualification, l'ingénierie et
l'information.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Vial.
M. Jean-Pierre Vial.
Ce projet devra également valoriser les compétences fortes du département et
de la région en matière de micro-hydraulique, de piles à combustibles, d'éolien
grâce au travail de synergie déjà effectué. De cette entreprise, nous attendons
des retombées positives en termes d'attractivité pour les chercheurs, mais
aussi de compétitivité internationale sur le marché des énergies
renouvelables.
Pour conclure, je dirai que, en dynamisant le processus d'innovation et en
organisant des débouchés concrets pour les résultats de la recherche, il
convient que le secteur des énergies renouvelables, associé à une politique
clairvoyante d'économie énergétique et à une stratégie nucléaire reconsidérée
puisse être une réponse aux exigences environnementales et géopolitiques que
nous rencontrons. Encore faut-il que les pouvoirs publics, à tous les niveaux,
jouent leur rôle d'impulsion et d'incitation, dans le cadre d'une vraie
ambition nationale !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en
préambule, je reviendrai très brièvement sur les enjeux de la politique
énergétique de demain, au niveau tant national qu'européen.
Dans les récents travaux qu'ils ont effectués, au nom de la commission des
affaires économiques, nos collègues Revol et Valade l'ont fort bien souligné :
la dépendance croissante de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie est
devenue préoccupante.
Face à ce phénomène, nous devons agir à la fois sur l'offre et sur la demande
: sur l'offre, en assurant l'ouverture des marchés nationaux de l'énergie dans
les délais impartis par l'Union européenne, ce qui implique une redéfinition
progressive du statut et de la place des différents acteurs du marché, publics
et privés ; sur la demande, en favorisant un véritable changement de
comportement des consommateurs et en développant les énergies nouvelles et
renouvelables, mais cela sans démagogie, en reconnaissant les limites et les
capacités de l'énergie renouvelable.
Mon propos portera, en fait, sur le premier point - le rééquilibrage de la
politique de l'offre - et ce un an après l'adoption du projet de loi relatif à
la modernisation du secteur public de l'électricité et alors que le Parlement
devrait être saisi prochainement d'un texte de même inspiration concernant le
secteur du gaz. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez bien, nous sommes
fort intéressés par ce sujet.
S'agissant de l'électricité, au nom du groupe de l'Union centriste, j'avais
regretté l'année dernière, à cette même tribune, l'échec de la commission mixte
paritaire et le caractère à la fois tardif et trop timide de la transposition
de la directive européenne de 1996 relative à l'ouverture du marché.
En imaginant que notre pays pourrait se contenter de quelques modestes
aménagements, le Gouvernement a sous-estimé la réalité de la concurrence
mondiale actuelle. Il s'agit d'un manque de lucidité et de courage qui joue au
détriment de l'intérêt national.
L'évolution des événements, ces derniers mois, semble confirmer,
malheureusement, cet état de fait.
Je n'insisterai pas sur le retard pris dans les décrets d'application de la
loi du 10 février 2000. Le premier décret d'application n'est-il pas intervenu
quatre mois après le vote de la loi et moins de quatre ans et demi après
l'adoption de la directive ? Plus regrettable encore est évidemment la
transposition
a minima
de la directive, qui a valu à la France une mise
en demeure de la part de la Commission européenne.
Celle-ci a ainsi estimé que l'article de la loi qui impose une durée minimum
de trois ans pour tout cadre contractuel de fourniture d'électricité «
constitue un obstacle manifeste à la libre circulation de l'électricité et à la
prestation de services d'électricité ».
Cette disposition de la loi de février 2000 visait, je le rappelle, à
interdire les contrats conjoncturels entre gros utilisateurs et producteur
privés.
Or, comme le note la Commission européenne, la directive n'impose aucune
limite de temps pour l'accès au réseau et, en conséquence, « il ne peut être
question d'empêcher la fourniture d'électricité au coup par coup ».
D'autre part, la loi du 20 février 2000 a clairement restreint la possibilité
de
trading
, c'est-à-dire les achats ou ventes en gros d'électricité. La
possibilité est ouverte aux seuls producteurs établis sur le territoire
national, dans une limite ne pouvant excéder 20 % de leur production
annuelle.
Il ne peut y avoir de bourse de l'électricité en France à l'heure actuelle.
Cette restriction peut paraître contraire au principe d'égalité des chances
entre opérateurs en favorisant excessivement EDF.
Une telle situation peut paraître d'autant plus absurde que le
trading
connaît un essor important en Europe. Des bourses de l'électricité se sont
ainsi créées en Scandinavie, en Grande-Bretagne, plus récemment en Espagne ou
aux Pays-Bas, sans oublier l'Allemagne, qui s'est dotée de deux bourses, à
Leipzig et à Francfort. EDF, plus soucieuse que jamais de sa présence à
l'étanger, ne s'y est d'ailleurs pas trompée en créant EDF-Trading, une société
détenue à près de 70 % par l'opérateur public et dont la vocation est de
couvrir à terme l'ensemble de l'Europe.
La même frilosité caractérise la démarche adoptée par le Gouvernement français
à l'égard de la directive sur la libéralisation du marché du gaz, qui aurait dû
être transposée en droit français le 10 août dernier.
Le projet de loi adopté, le 17 mai 2000, en conseil des ministres n'a toujours
pas été examiné par le Sénat. Paradoxe de cette situation : une deuxième et
nouvelle directive européenne, d'inspiration plus libérale encore, est
actuellement sur le bureau de la Commission de Bruxelles. Cela augure mal de
l'avenir alors que le Gouvernement français a pris le parti d'une transposition
a minima
des nouvelles normes européennes.
Ainsi en est-il, par exemple, de la définition des consommateurs dits «
éligibles », disposant de la liberté d'approvisionnement, c'est-à-dire les plus
gros consommateurs industriels et les producteurs d'électricité. Le projet de
loi adopte une définition restrictive très favorable à GDF, alors même que la
nouvelle directive prévoit l'ouverture totale du marché industriel et
commercial au 1er janvier 2004 et celle du marché des particuliers au 1er
janvier 2005.
Le même décalage existe à propos de la question de l'accès des tiers au
stockage du gaz, fonction qui est un quasi-monopole de GDF. Le projet de loi ne
prévoit pas l'accès des tiers alors que la nouvelle directive le prévoit s'il
est techniquement nécessaire.
De même, le nouveau texte communautaire comporterait une séparation juridique
et non pas seulement comptable, entre l'activité de négoce et l'activité de
transport, ce qui remet en cause, à terme, l'unité même de Gaz de France.
A ce propos, on peut légitimement s'interroger sur l'évolution du statut de
Gaz de France : de façon fort surprenante, le projet de loi n'aborde pas le
sujet qui est pourtant essentiel pour l'avenir même de l'entreprise
publique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, voilà près d'un an, vous aviez expliqué que
vous procédiez en deux temps : à la transposition de la directive, que nous
attendons toujours, d'une part, à une réflexion avec la majorité plurielle sur
le statut de GDF, d'autre part, nous aimerions savoir où en est cette
concertation, alors même que la direction de Gaz de France souhaite plus que
jamais trouver des partenaires industriels et financiers. Cela implique le
passage au statut de société anonyme, solution préconisée dès l'automne 1999
par des personnalités proches du Gouvernement ; je pense à Nicole Bricq,
député, socialiste ou à Charles Fiterman, membre du Conseil économique et
social.
Nul doute que nous aurons l'occasion d'aborder ces sujets dans le cadre de
l'examen d'un projet de loi qui apparaît malheureusement déjà en grande partie
obsolète.
Le débat de ce jour intervient de façon très opportune alors que le marché
européen de l'énergie est engagé désormais dans un processus de transformation
inéluctable.
Je n'aborderai pas le sujet de l'énergie nucléaire, qui a été traité de
manière remarquable par M. Valade. A l'hommage que je lui rends, j'associerai
M. Revol : les initiatives conjointes de nos deux collègues sont
l'aboutissement d'un travail de réflexion particulièrement remarquable et
approfondi. J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous pourrez
l'utiliser à bon escient.
Pour l'instant, je souhaite que vous nous apportiez toutes les informations
nécessaires sur les différentes questions que j'ai abordées. Nous vous en
remercions à l'avance.
(Applaudissements sur les travées du l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants).
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
permettez-moi, tout d'abord, de remercier Jacques Valade de l'initiative qu'il
a prise et de la qualité des conclusions qu'il vient de nous présenter.
La publication du Livre vert de la Commission européenne constitue, en effet,
une excellente occasion pour faire le point sur les orientations de la
politique énergétique française. A ce titre, je souhaiterais développer devant
vous trois thèmes plus spécifiques, au nom de mon groupe et en ma qualité de
rapporteur du projet de loi de transposition de la directive sur la
libéralisation du marché gazier, que je suis tenté, monsieur le secrétaire
d'Etat, de baptiser « l'Arlésienne » à force de l'attendre et de ne jamais le
voir venir.
En effet, le retard pris par le Gouvernement pour transposer la directive, qui
est juridiquement applicable depuis le 10 août 2000, la question irrésolue de
l'évolution du statut de Gaz de France et la négociation de la nouvelle
directive libéralisant les marchés du gaz et de l'électricité méritent d'être
évoqués.
Les dispositions de la directive de juin 1998 relative à la libéralisation du
marché gazier auraient dû être transposées avant le 10 août 2000. Or, que se
passe-t-il depuis lors ? Rien !
Avec la faconde et l'habileté que nous vous connaissons, monsieur le
secrétaire d'Etat à l'industrie, vous indiquez régulièrement que cette
transposition est imminente.
Je me souviens que, à l'occasion de l'examen du projet de budget pour l'an
2000, vous disiez devant le Sénat, le 7 décembre 1999, que « le Gouvernement
proposerait d'examiner le projet de loi de transposition avant la date limite
du 10 août 2000 ». Un an plus tard, le 8 décembre 2000, vous nous indiquiez que
la transposition interviendrait au printemps 2001. Récemment, vous précisiez
devant la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale que la
directive serait examinée « prochainement ».
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Ce n'est pas contradictoire !
M. Ladislas Poniatowski.
Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne manquerez pas de me répondre
que Gaz de France a mis en oeuvre, à compter d'août dernier, un tarif
provisoire d'accès au réseau gazier. Hélas pour vous, monsieur le secrétaire
d'Etat, notre Constitution ne prévoit pas que le Gouvernement puisse déléguer
sa compétence à un établissement public, s'agissant notamment de la
transposition d'une directive européenne !
Dès lors, permettez-moi de vous demander, à mon tour et après les orateurs
précédents, dans quels délais vous transposerez cette directive ?
Sachant que le Gouvernement a eu besoin de deux ans pour transposer la
directive Electricité et quelle que soit l'inventivité que nous vous
connaissons, on peut estimer que la transposition n'interviendra, au plus tôt,
qu'au début de l'année prochaine.
Je crains d'ailleurs qu'une autre circonstance, je veux parler de la campagne
pour l'élection présidentielle, ne vous conduise à différer une nouvelle fois
cette réforme. Je serais d'ailleurs curieux de connaître, sur ce point, la
position de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
Permettez-moi d'en venir au second thème de mon intervention, je veux parler
de la nécessaire modernisation du statut de GDF, déjà évoqué par MM. Valade,
Hérisson et Vial.
Chacun s'accorde à penser que le statut d'établissement public d'Etat est
désormais inapproprié pour cette entreprise. Gaz de France ne dispose pas des
moyens de se développer. Actuellement, il ne produit que 5 % du gaz qu'il
commercialise.
Or, le marché gazier est caractérisé par des bouleversements qui conduisent
les distributeurs à renforcer leurs positions dans l'amont et la production de
gaz.
J'en veux pour preuve la récente acquisition par Shell de l'opérateur gazier
américain Barett, pour 2,2 milliards de dollars. Je rappellerai également qu'en
janvier dernier l'agence de notation financière Standard and Poor's a annoncé
son intention d'abaisser la notation de Gaz de France à la suite de la décision
d'accélérer le programme d'acquisition de notre établissement public,
considérant que ce programme pourrait entraîner un endettement significatif.
Le diagnostic est clair : il faut donner les moyens de son développement à Gaz
de France !
Or que fait la majorité plurielle ? Pour un pas en avant, deux pas en arrière
!
Elle émet en tout cas des signaux contradictoires, dont la presse se fait
régulièrement l'écho. Il semble, en effet, que les banques-conseil destinées à
permettre l'ouverture du capital de GDF et que les détenteurs de ce capital -
je veux parler d'EDF et de TotalFina-Elf - aient déjà été choisis ; j'aimerais
que vous nous le confirmiez, monsieur le secrétaire d'Etat.
Dans le même temps, des membres éminents de la commission de la production et
des échanges de l'Assemblée nationale manifestent, pour leur part, les plus
vives réserves à l'égard de ce projet.
J'observe, en outre, que certaines organisations représentatives du personnel
ont manifesté leur opposition à toute privatisation, partielle ou totale, de
GDF.
Dès lors, monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaiterais connaître la nature
du projet industriel que vous poursuivez. Je crois, par ailleurs, utile de vous
rappeler que, pour mener à bien ce projet industriel, il vous faudra d'abord
déposer un projet de loi !
Mes collègues le savent bien, le projet de loi de transposition de la
directive Gaz ne dit rien du changement de statut de Gaz de France. Quelle
procédure choisirez-vous ?
Aurez-vous recours à un amendement de dernière minute, comme celui que vous
avez déposé pour modifier le statut de l'Institut de protection et de sûreté
nucléaire ? Déposerez-vous une lettre modificative relative au projet de loi de
transposition qui attend, depuis mai 2000, sur le bureau de l'Assemblée
nationale son hypothétique discussion ?
La procédure que vous avez choisie ne nous dit rien qui vaille ! Le statut de
GDF mérite mieux que le dépôt improvisé d'un projet de loi rectifié, concocté
dans une antichambre ministérielle ! Il faut - et je le dis, j'en suis
persuadé, au nom de tous - un vrai débat, car il ne saurait être question de
privatiser GDF en catimini !
Permettez-moi d'observer au passage que, si ce projet de loi ne permet pas de
diversifier les partenariats de GDF - qui doit renforcer ses positions dans le
monde entier pour diversifier ses approvisionnements - je considère qu'il aura
manqué son objet.
Je souhaiterais, avant de conclure, évoquer les derniers soubresauts
européens.
Quelles que soient les manoeuvres obliques utilisées par le Gouvernement pour
anesthésier l'opinion publique et éviter de parler des sujets « qui fâchent »
avant l'élection présidentielle, il se heurtera au caractère incontournable de
la réalité, notamment en ce qui concerne la nouvelle directive relative à la
libéralisation totale des marchés européens de l'électricité et du gaz.
Je vous rappelle que, le mardi 13 mars dernier, la Commission européenne avait
adopté une communication préconisant une libéralisation totale des marchés de
l'électricité et du gaz à l'horizon 2005. La commissaire chargée de l'énergie
avait proposé qu'au 1er janvier 2003 toutes les entreprises disposent de la
liberté de choisir leurs fournisseurs d'électricité et qu'au 1er janvier 2004
elles choisissent librement leurs fournisseurs de gaz, tous les consommateurs
européens devant jouir, quant à eux, de la même faculté à compter de 2005.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez été « sauvé par le gong », tout au
moins par les efforts conjugués du Président de la République et du Premier
ministre, qui ont obtenu à Stockholm un délai supplémentaire, notamment pour
fixer un nouvel échéancier. Bien entendu, je ne veux pas dire par là qu'un
effort conjoint du Président de la République et du Premier ministre équivaut à
un coup de gong !
(Sourires.)
Ce que vous avez ainsi obtenu, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est pas
une victoire, c'est tout au plus un répit, et M. Valade vous l'a rappelé tout à
l'heure. Ne vous y trompez pas : nos concurrents électriciens et gaziers
européens sauront parfaitement, eux, profiter de ce répit.
Lorsque la France présidait le Conseil des ministres européen, vous n'avez pas
réussi à freiner Bruxelles, qui se proposait d'aller plus vite et plus loin
qu'un texte que le Gouvernement français s'est révélé incapable de transposer
chez lui.
Aujourd'hui, je suis tenté de dire que Stockholm est venu sauver Nice. Mais ce
n'est pas une raison pour vous endormir, monsieur le secrétaire d'Etat. Tout au
contraire, vous avez le devoir de profiter de ce répit pour permettre enfin à
la France de respecter les engagements qu'elle a souscrits vis-à-vis de ses
partenaires. Au risque de me répéter pour la quatrième ou cinquième fois,
j'ajouterai : hâtez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, de transposer la
directive gaz !
L'optimiste que je suis tient à conclure en disant que Stockholm est malgré
tout un grand succès, même si ce n'en est pas un, à mes yeux, dans le domaine
de l'énergie. C'est un succès parce que nous avons vu se reconstituer le couple
franco-allemand, ce couple qui a créé l'Europe, qui a permis l'élargissement
géographique et monétaire de l'Europe, ce couple qui, malheureusement, s'est
désuni et a flanché à Nice. Ce couple, je me réjouis de voir qu'il a serré les
coudes à Stockholm, et je suis sûr qu'il restera incontournable dans les étapes
européennes à venir.
(Applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les choix énergétiques de la France doivent
être examinés à l'aune d'événements récents, nationaux ou internationaux, qui
ont marqué l'esprit de nos concitoyens : la rupture des stocks de carburants en
septembre 2000, conséquence indirecte de l'augmentation drastique du prix du
pétrole ; les coupures d'électricité en Californie, fruit d'un marché libre au
cahier des charges insuffisant ; l'augmentation du prix de l'essence de 1 %
alors que le prix du pétrole baisse, augmentation qui est peut-être un gage
donné aux écologistes mais qui pénalise les revenus les plus modestes, frappant
surtout les habitants des zones rurales, obligés de se déplacer en voiture par
manque de transports en commun.
Ce débat s'inscrit également dans un environnement international en mouvement,
avec une consommation mondiale d'énergie qui sera multipliée par deux en 2050
et les objectifs de limitation d'émission de CO 2 fixés par le protocole de
Kyoto de 1997, même si le président Bush vient d'annoncer qu'il n'honorerait
pas cet engagement international pris par son prédécesseur.
Le Gouvernement français doit décider des types d'énergie à développer et,
bien sûr, se poser la question des économies d'énergie. Dans une société de
consommation qui pousse à dépenser toujours davantage, cette préoccupation peut
sembler paradoxale. Néanmoins, un consensus s'ébauche pour mettre en oeuvre de
nouvelles méthodes, développer les outils appropriés pour aboutir à ces
économies d'énergie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez lancé en décembre un programme
national d'économies d'énergie. Quels en sont les premiers résultats ?
Notre collègue Jacques Valade a mis en relief, avec beaucoup de talent et de
façon très argumentée, la nécessité d'une politique énergétique cohérente pour
notre pays, premier producteur européen d'énergies renouvelables et d'énergie
nucléaire. Malgré ce contexte très favorable, la facture énergétique s'est
alourdie en 2000, pour s'élever à 75 milliards de francs.
Votre voie est étroite, entre une majorité dont les éléments s'opposent
fortement sur la politique énergétique nationale et la nécessité de maintenir
la cohérence de celle-ci.
Chacun, ici et dans le pays, ressent les contraintes qui pèsent sur les choix
du gouvernement auquel vous appartenez, en particulier une contrainte de
politique interne due à la présence écologiste.
Ces écologistes sont fondamentalistes et archaïques, car ils oublient les
progrès réalisés dans le domaine de la sûreté nucléaire. Ils n'ignorent pas
l'effet de serre, mais n'en tirent aucune conclusion pratique quant aux choix
de politique énergétique.
Il n'est pas réaliste d'affirmer que les engagements pris à Kyoto peuvent être
tenus, d'une part, avec les économies d'énergie - qui sont bien entendu très
souhaitables, voire indispensables - et, d'autre part, avec les énergies
renouvelables dont les biocarburants - qu'il faut développer - tout en ignorant
les nuisances des éoliennes - mais il faut néanmoins également favoriser
l'utilisation de cette forme d'énergie - et en refusant les équipements
hydrauliques lourds.
Tout cela n'est pas responsable de la part de membres d'un gouvernement ayant
accepté le protocole de Kyoto.
Je soutiens la ministre de l'environnement lorsqu'elle déclare aujourd'hui
même que « l'attitude unilatérale de M. Bush est un scandale » et que son
comportement est « complètement provocateur et irresponsable. » Mais je ne la
comprends décidément plus lorsqu'elle redevient dogmatique en refusant
d'accepter que l'énergie nucléaire soit développée afin de lutter contre
l'effet de serre. Il faut, je le répète, être cohérent !
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous savons, en tout cas nous l'espérons, que
vous ne partagez pas ce dogmatisme. Alors, bien que les grandes douleurs soient
muettes, exprimez-vous et définissez sans ambiguïté la politique énergétique de
la France !
Je suis convaincu que vous rechercherez la cohérence dans sa définition au
regard de critères objectifs. J'en retiendrai quatre : la sécurité
d'approvisionnement, qui est au coeur de l'attente de nos concitoyens et qui
implique la continuité des livraisons ainsi que la stabilité des prix de
l'énergie distribuée ; l'indépendance énergétique ; la compétitivité
économique, donc le coût de l'énergie ; les nuisances pour la santé et
l'environnement, notamment le bruit des éoliennes, les émissions de CO 2
engendrées par les énergies fossiles et les déchets nucléaires.
Sur votre initiative, et je la trouve excellente, les premières « journées de
l'énergie » se dérouleront du 14 au 20 mai 2001 ; leur objet est de
familiariser le grand public avec ces questions. Monsieur le secrétaire d'Etat,
je vous demande de nouveau si le Gouvernement entend énoncer, à cette occasion,
une position claire sur la politique énergétique de la France dans les années à
venir.
Les marges de manoeuvre sont minces dès lors que sont pris en compte les
quatre critères que j'ai énumérés. Il apparaît que l'énergie nucléaire
constitue l'énergie la moins coûteuse et offre l'avantage d'un
approvisionnement garanti. Si le problème majeur de l'élimination des déchets
n'est pas résolu, du moins est-il circonscrit eu égard à la faiblesse de leur
volume. Il s'agit non de tendre au « tout nucléaire » mais d'intégrer la prise
de conscience de l'effet de serre dans les choix énergétiques français.
Le temps presse. Pour simplement maintenir la part de l'énergie nucléaire dans
la production totale d'énergie, si l'on veut modérer l'effet de serre, il faut
désormais construire de nouvelles centrales nucléaires ou étendre la durée de
vie des centrales existantes. D'ici à 2025, il faudrait construire soixante-dix
réacteurs. Monsieur le secrétaire d'Etat, êtes-vous prêt à prendre cette
décision ? Sera-t-elle prise avant 2002 ? Pour cause unique d'élection
présidentielle, la réponse est non ! Sera-t-elle prise avant 2005, date butoir
pour que la France honore sa signature de Kyoto ?
Je ne développerai pas ce point, mais vous savez combien ces tergiversations
sont désastreuses pour notre avance technologique. Nous étions les premiers
dans le domaine nucléaire, mais, désormais, quels sont les scientifiques et les
ingénieurs qui oseront choisir une carrière dans un secteur dont la pérennité
n'est pas assurée ?
De plus, si nous n'implantons pas chez nous une nouvelle génération de
centrales, il nous sera très difficile d'exporter notre savoir-faire dans les
pays qui ont bien compris que le nucléaire était incontournable.
La France bénéficie en ce moment d'une conjoncture internationale favorable
pour développer sa filière nucléaire.
Le Conseil européen de Stockholm vient de souligner la situation spécifique
des services d'intérêt général, dont ceux du gaz et de l'électricité. Si
l'objectif d'ouverture de ces marchés a été confirmé, les dates ne sont pas
précisées. Ce moratoire doit permettre à la France de poursuivre les recherches
nécessaires pour maintenir son avance technologique et pour lancer l'EPR.
La décision américaine de ne pas respecter le protocole de Kyoto offre à notre
pays l'opportunité de devenir le leader occidental de la lutte contre l'effet
de serre. Elle donne à nos entreprises et à notre diplomatie des atouts
supplémentaires.
Les choix difficiles et courageux faits par la France sous la présidence de M.
Valéry Giscard d'Estaing ont conféré à notre pays une position exceptionnelle.
Ils ont permis à la France d'être moins sensible que les autres pays aux
fluctuations du prix du pétrole, de mieux protéger son environnement et de se
doter d'un potentiel d'exportation considérable.
Je ne peux imaginer, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous préférerez une
facilité politicienne à l'avenir énergétique de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Mesdames les sénatrices, messieurs les
sénateurs, je tiens tout d'abord à saluer la qualité des interventions que nous
venons d'entendre, qualité qu'ont manifestée aussi bien les orateurs de la
majorité que ceux de l'opposition, qualité en vérité habituelle au Sénat.
Le secteur énergétique est en pleine mutation, et ce à un moment où les
questions environnementales revêtent une importance toute particulière.
A cet égard, la France occupe une place originale du fait de ce que l'un
d'entre vous appelait voilà quelques instants le
mix
énergétique. Chacun
sait que nous sommes le premier producteur européen d'électricité nucléaire,
mais on oublie trop souvent que nous sommes également, non seulement parmi les
pays de l'Union européenne mais aussi au sein de l'OCDE, le premier producteur
d'énergies renouvelables.
Nous sommes par ailleurs, avec la Suède, le pays où l'émission de CO 2 par
habitant est la plus faible.
Dans ce contexte, les axes majeurs de la politique énergétique de la France
reposent sur l'idée selon laquelle un développement volontariste des énergies
renouvelables est indispensable à l'équilibre de notre économie énergétique,
parallèlement à la poursuite d'une politique d'utilisation rationnelle de
l'énergie.
Nous devons prendre, et plusieurs orateurs se sont fait l'écho de cette
préoccupation, toute notre place dans l'ouverture des marchés électriques et
gaziers, ouverture que le Gouvernement souhaite avec ses partenaires de
l'Union, en apportant notre contribution originale - celle qui découle de notre
histoire, de notre organisation économique, de l'existence de nos services
publics - à ce mouvement, qu'il ne s'agit pas de contrarier mais auquel il
convient de conserver un aspect maîtrisé et progressif. Je m'en expliquerai
tout à l'heure. Ces axes ne doivent pas nous faire perdre de vue les
fondamentaux solides de notre situation énergétique : le besoin d'une plus
grande sécurité d'approvisionnement, le besoin impératif de compétitivité de
notre économie, qui a des conséquences sur la définition du
mix
énergétique, et enfin, bien sûr - je commencerai par là - les conditions
qui nous permettront, à travers l'activité économique et énergétique, de mieux
protéger notre environnement.
La politique énergétique française actuelle peut s'enorgueillir de son haut
niveau de production d'énergies nouvelles renouvelables. Elle se fixe
d'ailleurs des objectifs très ambitieux en la matière.
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, j'ai
personnellement, je crois, activement contribué à l'élaboration d'un accord
politique, M. Jean Besson le soulignait tout à l'heure, sur le projet de
directive relative aux énergies renouvelables. Cette directive définit pour la
France un objectif très ambitieux qui conduira à faire passer de 15 % à 21 % la
part de l'électricité produite à partir de telles énergies.
Cet objectif - et je rappelle à nouveau la qualité de l'intervention de votre
collègue M. Jean Besson - trouvera sa traduction dans la programmation
pluriannuelle des investissements de production, définie comme un principe et à
laquelle nous travaillons depuis la loi du 10 février 2000, dans l'obligation
d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant des énergies
renouvelables - j'ai fixé il y a quelques semaines un certain nombre de prix de
rachat par EDF de plusieurs types d'énergies nouvelles renouvelables qui
permettront le développement d'une véritable industrie de ces énergies en
France - ainsi que dans le mécanisme d'appel d'offres, qui doit permettre de
satisfaire l'exigence évidente d'équilibre entre l'offre et la demande.
J'ai annoncé mes intentions en ce qui concerne l'esprit des futurs contrats
d'achat et le niveau des tarifs. Les textes correspondants, qui sont en
préparation, font actuellement l'objet d'une large concertation et paraîtront
très vite.
Dans le même esprit, la France a de longue date développé une politique
d'efficacité énergétique. A la demande du Premier ministre, une impulsion
nouvelle a été donnée en 2000 avec le plan national d'amélioration de
l'efficacité énergétique. Il s'agit d'un programme opérationnel comportant des
actions destinées à faire évoluer la demande énergétique, favorisant les
investissements les plus performants sur le plan énergétique et recherchant le
développement d'actions précises, concrètes, engageantes, en particulier dans
les transports et dans l'habitat.
Tels sont, monsieur Vial, monsieur de Montesquiou, les axes essentiels de ce
programme, annoncé par le Premier ministre le 11 septembre dernier à Lyon et
adopté par le Gouvernement le 6 décembre 2000.
C'est le fruit d'un travail collectif auquel j'ai participé, avec mes
collègues Mme Voynet et M. Gayssot. Il vise à remobiliser les ménages et les
petites entreprises autour de l'impératif, un peu oublié depuis quelques années
- il faut le reconnaître collectivement - d'économie d'énergie. Il prévoit un
réseau de proximité et d'information, avec les points « info-énergie », une
campagne de sensibilisation dans les médias en 2001 et la définition de tarifs
d'achat attractifs, dont je viens de vous parler, pour les filières éoliennes
et hydrauliques et pour les UIOM.
Il prévoit également un ensemble de mesures propres à améliorer l'efficacité
énergétique des transports, des bâtiments - mon collègue Jean-Claude Gayssot
évoquait ici ces deux points voilà quelques instants -, de l'industrie - j'agis
beaucoup en ce sens - et l'essor des énergies renouvelables, le développement
des transports collectifs, le fret ferroviaire et l'encouragement à l'achat de
véhicules alternatifs. Ce dernier est assez significatif pour les flottes
captives de véhicules et très significatif pour les particuliers.
Il prévoit encore la mise en oeuvre de la nouvelle réglementation thermique
2000 pour les bâtiments neufs, qui est plus exigeante en matière d'économies
d'énergie, et la création d'un fonds doté de 300 millions de francs pour
financer les projets de maîtrise d'énergie par un apport de quasi-capital - il
s'agit du FIDEME.
Toutes ces mesures placent notre effort global national pour la maîtrise de
l'énergie, hors recherche, et donc, notamment, hors PREDIT, le programme de
recherche et de développement pour l'innovation et la technologie dans les
transports terrestres, à un niveau considérable, je le crois sincèrement,
puisque nous lui consacrons chaque année environ 1,5 milliard de francs.
Par ailleurs, les recherches menées par le CEA, monsieur Vial, et par la
COGEMA sur la pile à combustible devraient aboutir dans les prochaines années.
Vous avez eu raison de souligner qu'il s'agit d'un axe fondamental
révolutionnaire que la recherche française doit s'enorgueillir de développer
avec intensité, comme elle le fait. Je voudrais, à ce propos, saluer les
équipes du CEA, qui sont en pointe dans ce domaine et qui forcent l'admiration
par nombre de leurs travaux.
Si le Gouvernement met l'accent sur la nécessité de développer les énergies
nouvelles renouvelables et l'utilisation rationnelle de l'énergie, c'est dans
la perspective d'un nouvel équilibre de la politique énergétique, et non,
monsieur Valade, pour abandonner ce qui fait sa force - je veux répéter avec
clarté cette conviction personnelle -, à savoir le nucléaire.
M. Ladislas Poniatowski.
Il faut le dire à Mme Voynet !
M. Pierre Hérisson.
Et à la presse !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement tout entier est donc attaché non
seulement à maintenir les conditions optimales de fonctionnement du parc
nucléaire actuel, notamment ses exigences, remarquables sur le plan mondial,
qui en font un modèle de sûreté et de compétitivité, j'y reviendrai, mais aussi
- cela est clair et net, et engage le Gouvernement - à laisser ouverte la
possibilité de recourir à cette technologie pour renouveler le parc de
production lorsque la question se posera,...
M. Aymeri de Montesquiou.
Elle se pose !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
... entre 2015 et 2020.
M. Jacques Valade.
Il sera trop tard, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Mais nous prendrons les décisions nécessaires avant,
pour être prêts en 2015 et 2020.
Laissons ouverte la capacité de renouveler ce parc avec la meilleure
technologie qui sera disponible, technologiquement et scientifiquement, à ce
moment-là.
Voilà une définition claire de politique énergétique.
M. Pierre Hérisson.
Poursuivons la recherche !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Pour cela et, je rejoins l'analyse de M. Jean Besson,
plusieurs conditions doivent être réunies.
La société française a des exigences croissantes en matière d'information, de
sécurité, de protection de l'environnement. Je crois, avec sans doute l'immense
majorité de la Haute Assemblée, l'unanimité de la Haute Assemblée, que le
secteur de production de l'énergie électronucléaire a pendant un temps, voilà
plusieurs années, trop négligé cet impératif de transparence,
d'information...
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
... et de mise en avant des impératifs
environnementaux dans sa propre démarche.
Il faut redire ici que la démarche de celles et de ceux qui sont convaincus
d'être dans le vrai lorsqu'ils soutiennent la politique énergétique qui est la
nôtre - mais pas seulement, car elle est celle de plusieurs gouvernements
depuis de longues années - doit être claire. Il faut répéter que cette option
ne craint pas la transparence, bien au contraire, ni l'information du grand
public, bien au contraire ; elle l'appelle de ses voeux pour être plus
pertinente encore et pour sceller le consensus national qui est nécessaire sur
la politique énergétique du pays.
Nous entendons, je crois à juste titre, jouer notre rôle dans l'élaboration
des grandes décisions en matière énergétique pour répondre à ces questions de
la gestion des déchets radioactifs, du démantèlement, dans le futur, des
installations nucléaires, de l'information la plus large du public.
Le Premier ministre a rappelé qu'il n'y avait pas de temps à perdre pour
réaliser l'achèvement du cycle du combustible nucléaire, que, d'ailleurs, la
loi que vous avez votée unanimement, je pense, mesdames, messieurs les
sénateurs, a prescrit. Je parle de la loi du 30 décembre 1991, chacun l'aura
reconnue.
M. Pierre Hérisson.
C'est la loi Bataille !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Le cadre existe donc. La France s'enorgueillit d'avoir
été, parmi les nombreux pays du monde qui disposent d'une industrie nucléaire,
le premier à se doter d'une législation complète en la matière.
Nous nous employons à l'appliquer, je dois le souligner, dans tous ses
aspects, c'est-à-dire selon les trois axes que la loi du 30 décembre 1991
définit. A cet égard, j'ai visité très récemment, et avec un grand intérêt, le
site du laboratoire de Bure, dans la Meuse.
M. Valade a évoqué à ce sujet l'avenir du retraitement et l'avenir de l'usine
de la Hague. Je suis heureux de pouvoir lui répondre avec clarté.
Le retraitement des combustibles usés constitue l'un des moyens de mettre en
oeuvre le premier axe de la loi du 30 décembre 1991. Il permet aussi, dans la
même démarche, de valoriser les ressources énergétiques contenues dans les
combustibles usés et de réduire de 10 % à 15 %, c'est trop souvent oublié, le
volume des déchets les plus radioactifs.
Activité industrielle de très haute technologie et créatrice de richesses et
d'emplois, le retraitement des combustibles usés correspond aussi à une réalité
économique.
M. Pierre Hérisson.
Très bien !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
La volonté des pouvoirs publics de moderniser le cadre
de fonctionnement de l'usine de la Hague a conduit à la mise à l'enquête
publique, l'an dernier, de nouvelles autorisations, ainsi qu'à une réduction
des rejets des installations de la Hague.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette enquête ayant conclu favorablement,
les ministres concernés - notamment votre serviteur - auront bientôt à se
prononcer sur les textes correspondant à ses conclusions.
La qualité et le niveau de contrôle et d'expertise dans le domaine du
nucléaire sont chez nous parmi les plus élevés du monde. Ils peuvent être
améliorés en termes de cohérence d'ensemble, mais aussi en termes de
transparence démocratique. C'est l'objet d'un projet de loi, relatif à
l'information en matière nucléaire, à la sûreté nucléaire et à la protection
contre les rayonnements ionisants, qui vous sera communiqué dans les prochains
mois.
Ce texte a pour objectif, dans la perspective de l'utilisation et du
développement efficace et rationnel de l'énergie nucléaire, de donner un cadre
réglementaire cohérent aux entreprises et organismes exerçant leur activité
dans ce secteur et de prévenir les dangers et inconvénients liés aux
rayonnements ionisants pour l'homme.
La réforme que nous avons engagée a aussi pour objet de rapprocher la sûreté
nucléaire et la radioprotection dans les domaines de l'expertise, d'une part,
et du contrôle, d'autre part.
L'importance du parc nucléaire français en exploitation et les perspectives,
même lointaines, de renouvellement de ce parc nécessitent également que soient
conservés les compétences d'études et les moyens de fabrication les plus
stratégiques. Cet impératif, dont la portée ne vous échappe pas, est au coeur
de la politique industrielle et de la politique énergétique menées par le
Gouvernement. C'est ainsi que la préparation des réacteurs du futur conditionne
le maintien de la compétitivité du nucléaire et la compétence des équipes.
Je voudrais à cette occasion rappeler ce qui est pour moi - comme, je crois,
pour nombre d'entre vous - une évidence : l'importance du programme
European
pressurized reactor
, le programme EPR.
L'échéance du renouvellement du parc se plaçant à l'horizon de 2015-2020, la
décision sur l'EPR - que personnellement, je dis bien personnellement, j'espère
positive - devra donc être prise dans les toutes prochaines années. D'ici là,
il importe que le projet poursuivie son développement et, plus largement, que
notre tissu industriel reste mobilisé au niveau de compétence technologique qui
est le sien - c'est essentiel - et maintienne ce niveau pour être capable de
continuer à assumer la position de leadership mondial de nos ingénieurs, de nos
techniciens et de nos chercheurs dans ce domaine.
M. Jacques Valade.
Ne perdons pas de temps !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
C'est, soyez-en sûr, monsieur Valade, ce à quoi je
m'emploie activement.
Vous avez d'ailleurs, à cet égard, posé la question de la production
d'électricité par fusion. La fusion magnétique contrôlée, le projet ITER,
présente des avantages théoriques très attactifs : un combustible très abondant
sur terre et une production de déchets
a priori
quasi nulle.
Dans ce cadre, le projet ITER-FEAT est présenté comme la prochaine étape de
recherches sur la fusion. ITER est une machine expérimentale dont l'objet est
de démontrer la faisabilité scientifique d'un réacteur de fusion par
confinement magnétique. Il nous faut évidemment vérifier que l'augmentation de
la taille apparaît à ce stade comme une rupture incontournable. Préalablement
au choix de construire la machine expérimentale ITER, nous estimerons le retour
sur investissement qui résultera du projet global qui reste à établir. Le choix
du site d'implantation d'une telle installation sera une décision de nature
scientifique, bien sûr, mais également politique, financière et d'aménagement
du territoire, qui méritera un examen approfondi, notamment des conditions de
cofinancement d'ITER par l'Union européenne.
Un comité de l'énergie atomique a été consacré à ce sujet en septembre 2000.
Un dossier de motivation complet a été demandé au Commissariat à l'énergie
atomique pour présenter les atouts d'une éventuelle implantation à Cadarache. A
la lumière de ces éléments, lorsque l'ensemble du dossier dans ses tenants et
aboutissants, aura bien avancé - il avancera bien-sûr dans la transparence et
le débat - le Gouvernement prendra position sur une éventuelle candidature de
la France à ce programme. Comme vous le voyez, monsieur Valade, puisque vous
avez posé cette question, nous n'écartons pas, bien au contraire, la
possibilité de participer au développement européen de cette perspective
technologique, que je crois très prometteuse.
Vous avez également abordé, messieurs les sénateurs, la question de la
libéralisation des marchés et le cadre que nous avons fixé pour la
modernisation du service public électrique et gazier.
La France s'est donné les moyens, au sein du concert européen, de procéder à
une réelle ouverture des marchés. Les consommateurs éligibles ont d'ailleurs
commencé à en profiter. J'ouvre ici une parenthèse : notre pays, qui est
souvent accusé, en matière électrique par exemple, de ne pas avoir procédé à
l'ouverture de son marché conformément à la directive - j'entends parfois ce
refrain jusque dans certains groupes européens - est en fait beaucoup plus
ouvert, en ce qui concerne les consommateurs éligibles, que certains de nos
partenaires. En effet, dois-je rappeler que certains de ceux-ci, et non des
moindres, présentent aujourd'hui une ouverture concrète, c'est-à-dire une
faculté de leurs consommateurs éligibles à s'approvisionner à l'étranger, égale
ou presque à zéro, alors que, en France, plusieurs dizaines d'entreprises
éligibles, près d'une centaine aujourd'hui, peuvent s'approvisionner auprès du
producteur de leur choix ? Par conséquent, mettons fin résolument à cette idée
- on la rencontre non pas en France, mais, parfois, au travers des comparaisons
internationales au sein de l'Union européenne - selon laquelle la France
n'aurait pas joué franchement et loyalement le jeu de l'ouverture de son marché
en fonction de l'application de la directive européenne. Ce n'est absolument
pas le cas. Il faut mettre fin à ce mauvais procès.
Notre pays entend ouvrir ses marchés de manière réelle, mais, comme je l'ai
dit au début de mon propos, selon une approche maîtrisée, progressive et
prudente, nous permettant d'appliquer et de respecter l'ensemble des directives
européennes, mais uniquement leur contenu.
La préoccupation de sécurité d'approvisionnement, que la Commission partage -
M. Valade a souligné l'excellent Livre vert de Mme Loyola de Palacio et je
rejoins son appréciation - est incontournable. L'exemple de la Californie
montre combien cette préoccupation est justifiée. Au-delà, il convient de
prendre en compte les besoins du développement non agressif à l'égard de
l'environnement.
Dans le domaine électrique, la transposition de la directive est achevée sur
le plan législatif comme sur le plan réglementaire. La quinzaine de décrets
nécessaires pour transposer réglementairement la volonté du législateur,
exprimée dans la loi du 10 février 2000, est désormais publiée ou en voie de
l'être complètement. Je tiens à la disposition des sénateurs qui la
souhaiteraient la liste de ces textes.
A cet égard, M. Hérisson a posé plusieurs questions. Nous avons engagé une
concertation avec les acteurs concernés. Elle était indispensable. La
consultation des organismes, il faut le rappeler au Sénat, est longue, mais
c'est une bonne chose, car elle nous permet d'adapter les textes à la réalité.
Nous avons à consulter le conseil supérieur de l'électricité et du gaz, le
CSEG, au sein duquel le Parlement est représenté, et, bien sûr, le Conseil
d'Etat. Par ailleurs, certains actes doivent être soumis à la commission de
régulation de l'électricité, que vous avez créée, et au Conseil de la
concurrence, que vous avez également créé.
Le débat en amont de la production du texte réglementaire est à la fois
complexe et long, mais c'est un gage de qualité. La quinzaine de décrets que
j'ai évoquée voilà un instant est, je le répète, désormais publiée.
MM. Valade et Hérisson ont également abordé le très important sujet de la loi
gazière. J'ai présenté le projet de loi au conseil des ministres le 17 mai
2000. La directive sur le marché intérieur du gaz naturel conduit à l'ouverture
progressive, là aussi, et maîtrisée des marchés nationaux du gaz en laissant
une place très importante - c'est fondamental pour nous Français - à la
subsidiarité. L'élaboration de la future organisation gazière française a été
le fruit d'une concertation avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais
aussi et bien entendu à titre principal avec le Parlement sur la base d'un
livre blanc intitulé
Vers la future organisation gazière française,
enrichi de très nombreuses consultations. A l'issue de la phase de
concertation engagée, j'ai présenté le projet de loi, comme je viens de
l'indiquer à l'instant. Les ambitions de ce projet de loi sont fortes.
Il s'agit, tout d'abord, d'introduire, de façon contrôlée et progressive, une
concurrence dans le système gazier français, qui sera utile à sa dynamisation
et permettra, monsieur Poniatowski, aux opérateurs français de participer au
marché intérieur européen. Il s'agit, ensuite, monsieur Lefebvre, de conforter
le service public du gaz et de doter la politique énergétique d'outils adaptés
à ce contexte.
Cette transposition est bien entendu nécessaire pour concrétiser les succès
remportés par la France au cours de la négociation européenne - c'est moi qui
ai négocié la directive au nom du Gouvernement français - en particulier pour
assurer les protections souhaitées pour le service public et la politique
énergétique. Je l'indique au groupe socialiste qui est très attaché à la
défense du service public.
Le Parlement sera donc prochainement amené à examiner le projet de loi. «
Prochainement » signifie bien prochainement, monsieur Valade, en fonction bien
sûr des disponibilités de l'agenda parlementaire.
M. Aymeri de Montesquiou.
Inch Allah !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Comme vous avez évoqué, à propos de la transposition
de la directive sur le gaz, d'autres aspects qui, en effet, participent d'une
conception de politique industrielle et énergétique globale ainsi que d'une
vision industrielle pour Gaz de France, je me dois de fixer quelques lignes
directrices du projet industriel et social ambitieux que nous nourrissons pour
la grande compagnie Gaz de France.
L'acquisition par Gaz de France d'une taille européenne est indispensable dans
un contexte gazier européen et mondial marqué par l'existence d'entreprises
concurrentes de taille considérable, ainsi que par des mutations extrêmement
rapides au plan européen. Cette évolution nécessite la mobilisation de moyens
importants et la recherche d'alliances industrielles, afin d'assurer le
développement stratégique de Gaz de France vers l'amont. M. Poniatowski
signalait tout à l'heure que Gaz de France ne produit que 4 % à 5 % du gaz
qu'il distribue. Nous voulons que Gaz de France soit présent en amont,
c'est-à-dire vers la production de gaz, et qu'il reste important en aval, pour
adapter sa production et son offre aux besoins de ses clients.
La définition d'un projet social ambitieux et d'un projet industriel fort pour
Gaz de France doit tourner autour de la constitution d'un solide pôle public,
naturellement, monsieur Lefebvre, ouvert à des alliances et à des partenariats
privés et publics, mais stables et durables. C'est le moyen le plus approprié
afin de poursuivre une stratégie de développement efficace conciliant
compétitivité industrielle et service public. C'est en tout cas le sentiment
qui a été plusieurs fois exprimé par M. le ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie, et par moi-même, chacun le sait ici.
Il convient donc, dans ce cadre, de donner à Gaz de France les moyens de son
ambition européenne. Cette ambition impose notamment l'obtention d'un accès
direct à la ressource gazière pour une part significative de ses ventes. Elle
comporte aussi l'idée de conforter les liens historiques qui existent entre EDF
et GDF à travers la distribution mixte, qui donne, je crois, entière
satisfaction aux clients.
En tout état de cause, les solutions qui seront retenues ne sauraient remettre
en cause ni l'application du statut des personnels des industries électrique et
gazière, auquel le Gouvernement est fondamentalement attaché, comme il l'a
rappelé lors de la discussion sur la loi électrique, ni les missions de service
public, qui doivent d'ailleurs être enrichies en direction des plus démunis et
des plus modestes de nos concitoyens, ni même, bien sûr, le caractère
majoritairement public de l'entreprise que je pourrais qualifier sans doute,
avec l'accord unanime de la Haute Assemblée, de « magnifique entreprise,
particulièrement performante ».
M. Hérisson a d'ailleurs évoqué, à travers le tableau général d'ouverture des
marchés, l'existence, pour le système électrique français, d'un cadre
contractuel de trois ans qui s'applique et s'appliquera dans le respect du
principe de mutabilité des contrats.
L'« achat pour revente » est prévu par la loi du 10 février 2000, mais il est
réservé aux opérateurs qui produisent de l'électricité. La Commission
européenne a reconnu cette réalité et a abandonné la mise en demeure qu'elle
avait lancée à l'encontre de la France sur ce sujet.
Il faut que la France profite de sa situation géographique centrale en Europe,
car, en ce qui concerne le réseau européen électrique, il s'agit d'une donnée
incontournable. La France doit donc être, à ce titre - je le dis clairement -
le pivot du marché de gros de l'électricité.
Une bourse de l'électricité verra le jour, certainement au mois de juillet
prochain, sur l'initiative d'Euronext. Cela montre au Sénat combien le
Gouvernement est déterminé à progresser sur ces sujets, tout en respectant deux
lignes directrices fondamentales : garantie du service public et garantie de
l'application de la directive européenne sur le gaz. Cette directive - est-il
besoin de le dire ici ? - est appliquée
de facto
depuis le 10 août 2000,
puisque les conditions de publication des tarifs de transport du gaz et celles
d'application générale pour les clients éligibles sont, de fait, rendues
publiques, ce qui permet de fonctionner en attendant que le Parlement transpose
dans la loi la directive européenne, ce qui devrait intervenir
prochainement.
Sur le plan communautaire, la Commission a, en effet, indiqué son intention de
réviser la directive relative au marché intérieur de l'électricité. Le
Gouvernement souhaite s'engager résolument vers un marché communautaire de
l'électricité pleinement opérationnel, comme nous l'avons rappelé encore
récemment par la voie de notre Premier ministre à Stockholm, ce qui ne signifie
pas, dans notre esprit, à ce stade - je suis formel - une ouverture complète
des marchés.
Il convient de rappeler que le degré d'ouverture légale n'a pas de réalité
économique - je le soulignais tout à l'heure en évoquant l'un de nos
partenaires européens à propos de l'électricité - tant que les règles ne sont
pas solidement établies et que le marché n'a pas atteint un certain degré de
maturité. En d'autres termes, il nous faut approfondir la réalité du marché
intérieur européen, plutôt que développer
a priori
un système juridique,
sans véritable concrétisation.
Je le répète, de nombreux pays qui se targuent d'être les meilleurs s'agissant
de l'ouverture de leurs marchés n'ont pas une réalité économique correspondant
à leur affirmation.
MM. Valade, Hérisson, Lefebvre et Besson ont évoqué le Conseil européen de
Stockholm. J'en dirai quelques mots avant de conclure à cet égard.
La France, par la voix du Président de la République et par celle du Premier
ministre, a soutenu une position très claire à Stockholm, que je veux rappeler
de manière cursive en trois points.
Premier point : nous ne sommes pas, par principe, opposés à une plus grande
ouverture de la concurrence. Durant sa présidence, la France s'est d'ailleurs
acquittée de ses obligations, de manière très loyale et remarquable en la
matière, me semble-t-il. Mais nous ne voulons pas « déréguler pour déréguler. »
Ce qui importe, au-delà des dogmes, c'est de réussir l'ouverture réelle à la
concurrence d'un certain nombre d'activités au bénéfice du consommateur car,
lorsque nous parlons d'ouverture des marchés, nous parlons bien de qualité, de
prix et de bénéfice global de la fourniture, qui sera adaptée à la demande des
consommateurs.
Par conséquent, nous disons oui à une plus grande ouverture à la concurrence,
dans des conditions pragmatiques.
Deuxième point : pour atteindre cet objectif, un certain nombre de conditions
préalables doivent être réunies : mise en place d'instruments de régulation,
garantie aux consommateurs en matière de respect de l'obligation du service
universel. Ces deux points me paraissent constitutifs d'une véritable
conception volontaire de l'ouverture des marchés.
Enfin, troisième élément décisif, dont nous avons relevé la pertinence à
Stockholm : l'ouverture à la concurrence doit être progressive et maîtrisée, ce
qui exlut toute fixation prématurée et précipitée d'une date de libéralisation
totale, notamment pour les secteurs de l'électricité et du gaz. M. Poniatowski
a eu raison de souligner la parfaite entente du couple franco-allemand à
l'égard de cette approche et de cette dynamique.
Les conclusions du Conseil européen de Stockholm ont tenu compte très
largement de la position exprimée par notre Président de la République et notre
Premier ministre. Elles ne comportent pas de calendrier irréaliste en vue d'une
accélération de l'ouverture à la concurrence. Elles soulignent, comme nous le
souhaitions, « la nécessité de satisfaire les besoins des consommateurs et
d'assurer la transparence du marché grâce aux outils réglementaires adaptés ».
Il ne s'agit donc pas de « déréguler pour déréguler ».
Ces conclusions invitent la Commission européenne, ce qui est tout à fait
nécessaire, à évaluer la situation de ces secteurs dans le rapport qu'elle
présentera au Conseil européen au printemps 2002, ce qui répond à notre demande
: avant d'avancer plus loin dans l'ouverture à la concurrence de ce secteur, il
nous faut apprécier l'effet de l'ouverture ainsi engagée, évaluer ses effets
positifs et ses effets négatifs, et mesurer l'écart entre les engagements en
faveur de l'ouverture de certains Etats membres et la réalité pratique que l'on
peut constater objectivement dans les mêmes Etats membres.
Au-delà de ces points majeurs, les éléments fondamentaux de notre politique
énergétique restent plus que jamais valables. D'ailleurs, à la demande de M.
Besson, je les mentionnerai - le groupe socialiste les connaît, puisqu'il
soutient activement la politique du Gouvernement : la sécurité
d'approvisionnement, la compétitivité du secteur énergétique et un
développement conforme aux intérêts de l'environnement. Sur le plan de la
sécurité de l'approvisionnement, la France n'est pas dépendante de l'étranger
et des variations des marchés internationaux pour son approvisionnement en
électricité. Le taux d'indépendance énergétique de la France s'est accru
globalement de manière considérable : de 26 % en 1973, il est passé à 50 %
aujourd'hui. La sécurité d'approvisionnement passe également par une politique
délibérée de diversification des sources d'approvisionnement : pétrole, mais
aussi gaz naturel, qui prendra de plus en plus d'importance dans notre paysage
énergétique.
D'un point de vue économique, l'électricité produite en France est
indéniablement très compétitive. Rappelons les chiffres objectifs : en France,
le prix du kilowattheure nucléaire est inférieur à 20 centimes aujourd'hui - et
il continuera à baisser - contre 22 centimes pour le kilowattheure-gaz, malgré
les meilleurs techniques existantes ; je parle du cycle combiné au gaz évoqué
par l'un des orateurs.
Il faut tout de même dire cette réalité économique ; le kilowattheure en base
le moins cher, c'est le kilowattheure nucléaire. Encore faut-il souligner que,
contrairement aux énergies fossiles, le nucléaire prend en compte l'ensemble de
ses coûts présents et futurs. Je pense que M. Vial ne pourra qu'adhérer à ce
propos.
Sur le plan environnemental, enfin, aujourd'hui, la France est l'un des pays
d'Europe, avec la Suède, qui émet le moins de gaz à effet de serre. Nous le
devons à la fois au fait que la France s'est dotée d'une filière nucléaire et
au développement des énergies nouvelles renouvelables, dont j'ai dit une fois,
en répondant à un journaliste, que j'étais un militant de leur promotion et de
l'industrialisation de leur processus. A cet égard, la France se place dans les
tout premiers rangs en Europe.
La production d'électricité actuelle - 75 % en électronucléaire et 15 % en
énergies renouvelables - n'est ainsi à l'origine que de 10 % des émissions
nationales de gaz à effet de serre, contre 40 % sur le plan mondial. Cela est
un résultat remarquable et qualifie l'excellence d'une politique énergétique
qui s'est poursuivie sous plusieurs gouvernements, et dont le Gouvernement
actuel, par ma voix, vient de rappeler les axes fondamentaux.
Je crois pouvoir dire brièvement, pour conclure, que la politique énergétique
de la France est réaliste, qu'elle est équilibrée, qu'elle offre le maximum de
sécurité à notre économie compte tenu des richesses nationales, et qu'elle
prend en compte de manière déterminée les préoccupations actuelles, notamment
en recherchant le développement des modes de production les plus propres, tout
en garantissant la pérennité du savoir-faire de très haut niveau en matière
nucléaire.
Ces axes sont, en même temps, autant d'éléments d'identité nationale. M.
Besson n'en a pas douté, et j'en remercie le groupe socialiste.
M. Valade sait maintenant, je pense, qu'il ne faut pas douter de la clarté et
de la détermination de la politique énergétique française, que je définirai, à
l'intention de l'ensemble des orateurs du Sénat, par trois mots : sécurité -
par la volonté d'assurer notre indépendance énergétique, et de respecter
l'environnement, ce qui est une préoccupation essentielle ; diversité -
équation de Kyoto pourrait s'écrire économies d'énergie, plus nucléaire, plus
énergies nouvelles renouvelables ; compétitivité, enfin, parce qu'il n'y a pas
de politique énergétique qui ne soit fondamentalement une politique économique
au service de la compétitivité de nos entreprises, de nos industries et de
notre économie.
Je pense sincèrement que la France conduit une politique énergétique claire ;
M. le Premier ministre en a souvent rappelé les grandes lignes. Je suis heureux
d'avoir aujourd'hui convaincu le Sénat de cette clarté, de cette détermination
et de la pérennité de cette politique énergétique, qui s'impose d'elle-même et
que le Gouvernement poursuit.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jacques Bellanger.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons suivi avec beaucoup d'attention
votre intervention au cours de laquelle vous avez exposé, de manière très
compétente, les orientations du Gouvernement concernant la politique
énergétique de la France.
Vous avez abordé avec clarté et franchise les grands enjeux à venir et affirmé
avec détermination les priorités gouvernementales. Ces dernières permettent à
la France de conduire une politique équilibrée visant à concilier durablement
des objectifs essentiels comme notre indépendance énergétique et la
compétitivité avec les impératifs environnementaux et les missions de service
public.
Je vous demande d'excuser l'absence de notre collègue M. Besson à la fin de ce
débat qui a dû rejoindre son département. Je tiens cependant à vous assurer,
monsieur le secrétaire d'Etat, que ces orientations recueillent le plein
assentiment du groupe socialiste, que j'ai l'honneur de représenter en cet
instant et qui me charge de vous exprimer son soutien ferme et résolu.
M. Jacques Valade.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade.
Après notre collègue M. Bellanger je m'exprime bien sûr à titre personnel,
mais également au nom de MM. Ladislas Poniatowski, Pierre Hérisson et Aymeri de
Montesquiou.
Monsieur le secrétaire d'Etat, une fois encore, vous avez fait preuve de
sincérité. Je ne mets jamais en doute, vous le savez bien, votre bonne volonté,
je ne mets pas non plus en doute la volonté du Gouvernement que vous
représentez ici. Mais la majorité sénatoriale est préoccupée par votre degré de
liberté du fait des échéances électorales - nous les avons tous évoquées et,
surtout, nous les avons toutes présentes à l'esprit. Elle est également
préoccupée du fait que, en tant qu'animateur de la majorité nationale, il vous
revient aussi de prendre en considération la mixité, dans tous les sens du
terme, de cette majorité.
Votre marge de manoeuvre est faible. Je ne vais pas reprendre le débat sur ce
point, nous l'avons déjà évoqué à plusieurs reprises, ici et ailleurs. Il est
donc clair que la volonté gouvernementale affichée de s'inscrire dans la
continuité des efforts du passé, si nous en acceptons l'augure, risque, à
certains moments de céder devant des pressions non pas externes, mais internes,
politiciennes.
Cela nous est douloureux, car cela met en cause des pans entiers de l'effort
national, et cela nous fait craindre aussi que vous ne manquiez de volonté dans
la mise en oeuvre de la politique que vous avez définie, et à laquelle nous
adhérons globalement, et qui risque d'être soumise à des aléas calendaires qui
ne sont pas supportables.
Je vous donne bien volontiers acte de votre déclaration, monsieur le
secrétaire d'Etat, en regrettant à nouveau qu'il ait fallu une question orale
avec débat.
Je vous réaffirme à la fois notre soutien pour mettre en oeuvre cette
politique et notre extrême vigilance quant aux péripéties que nous pourrions
vivre ensemble.
M. le président.
Le débat est clos.
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