SEANCE DU 29 MARS 2001
DOUBLEMENT DU FRET FERROVIAIRE. POLITIQUE DE L'UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE
TRANSPORTS
Suite de la discussion
de deux questions orales européennes avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la question orale européenne avec débat n°
QE-12 de M. Pierre Lefebvre à M. le ministre de l'équipement, des transports et
du logement sur le doublement du fret ferroviaire d'ici à 2010 et de la
question orale européenne avec débat n° QE-10 de M. Jacques Oudin à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement sur les objectifs et
moyens de la politique de l'Union européenne en matière de transports.
Dans la suite du débat, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je vous
remercie, monsieur le président, d'avoir reporté mon intervention à cet
après-midi. Cela me permet de faire au Sénat une réponse plus complète.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, la loi tendant à
habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances afin de rattraper le
retard pris dans la transposition de nombreux textes communautaires comportait
un article important traitant du financement des infrastructures de
transport.
Je m'étais alors engagé à venir devant vous afin de poursuivre le débat et
avoir un échange plus complet sur le contenu même des dispositions du projet
d'ordonnance de transposition que j'ai présenté hier au conseil des
minisres.
J'aurais préféré que nous ayons cet échange plus tôt, mais la date
initialement retenue en janvier n'a pu être tenue du fait des retards pris par
votre assemblée dans l'examen du projet de loi concernant l'inversion du
calendrier électoral.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Grand sujet
!
M. Pierre Hérisson.
Nous allons y revenir !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Aujourd'hui,
nous pouvons enfin discuter de cette question importante.
Je tiens tout d'abord à remercier tous les orateurs qui sont intervenus ce
matin et qui ont, je crois, au cours d'un débat sérieux, argumenté et
approfondi, montré l'intérêt qu'ils portent, comme nous tous, à la politique
nationale et européenne des transports.
Pour MM. Oudin et Hérisson, même s'il existe quelques nuances entre leurs
points de vue, la libéralisation constituerait plutôt un moyen de développer le
fret ferroviaire.
Pour M. Lefebvre, au contraire, la coopération entre pays européens et entre
entreprises est un moyen de faire progresser l'Europe des transports et de
construire un véritable projet politique européen.
M. Bellanger s'interroge, lui, sur la signification de la libéralisation si
les entreprises concernées ne sont pas capables de financer les investissements
nécessaires à leur développement et si elles ne peuvent trouver les capitaux
qui leur manquent auprès des collectivités publiques, pour des raisons
budgétaires, ou auprès des investisseurs, pour des raisons de faible
rentabilité.
M. Haenel, pour sa part, a mis en garde contre l'ultralibéralisme, tout comme
M. Gerbaud. Monsieur Haenel, à chaque fois que vous faisiez une critique, j'ai
remarqué que vous utilisiez toujours le préfixe « ultra » devant le terme «
libéralisme » !
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai envie de vous dire : ne tournons pas
autour du pot ; deux conceptions s'affrontent en Europe en ce qui concerne les
services publics, et c'est vrai concernant les transports. On l'a bien vu
encore au sommet de Stockholm.
D'un côté, il y a ceux qui, au nom du marché unique, de la libéralisation,
veulent en fait des privatisations, la mise en cause des acquis, la concurrence
fondée sur les seuls critères de la rentabilité financière, allant parfois
jusqu'au dumping économique et social, que vous avez évoqué, monsieur Gerbaud.
Libéralisation et harmonisation sociale par le haut ne peuvent pas faire bon
ménage !
Ces pressions sont terribles ; elles sont également présentes dans notre pays,
pourtant plus attaché que d'autres - tous les orateurs l'ont dit - au service
public et à l'intérêt général. Je peux vous assurer et, en cette journée
d'action à la SNCF, assurer les cheminots que je suis résolument opposé à toute
évolution vers la privatisation, à toute mise en cause de l'unicité du système
ferroviaire et de la SNCF, à toute velléité de considérer le social, la
sécurité, les droits, l'environnement comme de simples résidus de
l'économie.
De l'autre côté, il y a donc ceux qui, au Gouvernement, au Parlement et sur le
terrain refusent cette dérive libérale, s'opposent à ce prétendu progrès d'une
mondialisation et d'une européanisation uniquement guidées par la loi exclusive
des marchés financiers.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Ceux qui
refusent cette logique destructrice pour l'humanité ont de sérieux arguments.
Tous les grands maux que nous connaissons aujourd'hui, depuis la maladie de la
vache folle jusqu'aux drames intervenus dans les secteurs des transports
terrestres et maritimes, montrent que la seule logique du profit tue l'humain,
la qualité de la vie, l'environnement et même l'entreprise.
Je peux vous assurer, mesdames et messieurs les sénateurs, qu'au poste où je
suis je ferai tout, avec le Gouvernement, pour combattre cela, dans l'intérêt
de nos entreprises, de notre pays, de l'Europe des transports et d'une
mondialisation plus humaine et plus juste.
En juin 1997, le Gouvernement a fait le choix d'une politique des transports
fondée sur la complémentarité entre les différents modes, marquant une rupture
avec les choix antérieurs.
En écoutant MM. Lefebvre et Oudin présenter les évolutions intervenues depuis
une trentaine d'années, on pouvait mesurer que nous sommes entrés dans une
démarche de rupture par rapport au passé, même si tout ce qui s'est passé
depuis vingt ou trente ans, parfois plus, pèse lourdement sur les évolutions à
venir. On ne change pas les choses comme cela. Vous avez parlé, messieurs, de 4
000 kilomètres de rails et de milliers de gares supprimés. Dans les mentalités,
le transport de marchandises ferroviaire est devenu en quelque sorte le parent
pauvre de la politique de la SNCF.
Pour changer cela, je vous assure, il ne suffit pas de claquer des doigts ni
même d'exprimer une volonté. Mais pour changer la donne, il faut cette
volonté.
Cette volonté s'est donc traduite à la fois par des prises de décisions et
dans le projet de schémas de services collectifs de transports de voyageurs et
de marchandises actuellement soumis à la consultation des régions, volonté qui,
contrairement à ce qu'affirme M. Oudin, s'inscrit dans la politique plus
globale des transports de l'Union européenne.
Notre démarche répond à un souci de rééquilibrage absolument indispensable,
faute de quoi nous sommes sûrs d'aller droit dans le mur. Tout le prouve.
L'évolution des transports, qu'il s'agisse des personnes ou des marchandises,
se traduira obligatoirement, dans les dix années, les vingt années ou les
trente années à venir, par une croissance. Laisser les choses aller au fil de
l'eau - si je puis utiliser cette expression à propos des transports ! - ou
comme par le passé, entraînerait à coup sûr une hypertrophie des transports
routiers, c'est-à-dire une asphyxie, un blocage. La société le refuse.
Notre démarche est donc tout autre.
Vos interventions, medames, messieurs les sénateurs, ont marqué, m'a-t-il
semblé, un certain consensus en faveur du rééquilibrage intermodal au profit du
rail, tout particulièrement en matière de fret. Je dis « du rail », mais je
n'oublie ni les transports fluviaux, qu'il ne s'agit pas d'abandonner, au
contraire, ni le cabotage maritime, tout à fait indispensable.
L'objectif affiché par le Gouvernement de doubler le fret ferroviaire en dix
ans est ainsi partagé par un grand nombre d'entre vous.
Permettez-moi de faire une remarque à ce propos.
Quand je parle de doubler le fret ferroviaire en dix ans, cela ne signifie pas
que c'est l'objectif final. Dans certains secteurs - je pense en particulier
aux zones sensibles - il devra plus que doubler avant dix ans. Par ailleurs, de
manière générale, il ne faudra pas s'arrêter au doublement du fret ferroviaire
si nous y parvenons avant dix ans ou au terme de cette période. Si l'on veut,
dans le contexte de croissance générale des transports, parvenir à une
véritable reconquête du transport ferroviaire, il faudra aller au-delà.
Seul M. Oudin, qui a pourtant dressé un état intéressant de la situation,
insiste sur les coûts que représente l'intermodalité pour conclure, comme à son
habitude, sur la nécessité de ne pas abandonner le « tout routier » ou le «
tout autoroutier », qu'il a toujours appelé de ses voeux. En ce sens, il est
fidèle à sa démarche. Reconnaissons-lui le mérite de la constance, mais qu'il
nous permette de penser qu'une meilleure conjugaison des avantages respectifs
des différents modes est plus efficace et préférable à tout point de vue.
M. Oudin ne se trouve pas dans l'hémicycle ; ce n'est pas qu'il boude mon
intervention, c'est parce qu'il devait se rendre à Nantes et que, à cause de la
grève, il a été obligé de partir plus tôt. Vous lui ferez part de mes
propos.
M. Jacques Valade.
Nous le ferons ; vous pouvez compter sur nous !
M. le président.
Il lira le compte rendu des débats.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Oui, mais il ne
pourra pas entendre le ton avec lequel je m'exprime.
M. le président.
Le
Journal officiel
ne reproduit certes pas votre accent, monsieur le
ministre.
(Sourires.)
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
En tout cas, le
coût financier des infrastructures ferroviaires et fluviales n'est-il pas
largement compensé par les économies externes qu'elles génèrent en termes de
pollution, d'accidents, de congestion du réseau routier et autoroutier ?
Cela est d'autant plus vrai que la technique de l'adossement pour financer les
nouvelles sections n'est plus possible aujourd'hui.
L'ordonnance réformant le régime d'exploitation de certaines sociétés
concessionnaires d'autoroutes, qui doit nous permettre de pallier cette
difficulté, a été examinée hier en conseil des ministres.
Sur le plan législatif, elle transpose en droit interne le principe de
non-discrimination des péages en fonction de l'origine des poids lourds prévu
par la directive du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds et
elle allonge, après un accord obtenu après de longues négociations avec la
Commission, la durée des concessions de six SEMCA de douze à quinze ans tout en
supprimant la garantie de l'Etat ; de la sorte, toutes les sociétés seront
mises sur un pied d'égalité pour répondre aux appels d'offres. Cette procédure
est déjà mise en oeuvre.
M. Oudin, ainsi que MM. Hérisson et Bellanger ont longuement et à juste raison
évoqué la politique européenne en matière de transport et le bilan de la
présidence française, qu'ils ont trouvé positif, tout comme MM. Haenel et
Lefebvre. On peut en effet soutenir que, du point de vue de mon département
ministériel, la présidence française a permis des avancées.
Le conseil des ministres Transports avait inscrit à son ordre du jour durant
la présidence française cinq dossiers majeurs pour la construction européenne,
majeurs par leur dimension politique et citoyenne ; il s'agissait : de la
sécurité dans l'aviation civile, de la sécurité maritime, de la mise en place
d'une véritable politique ferroviaire européenne avec le paquet ferroviaire, de
l'harmonisation sociale dans les transports routiers, ainsi que du projet
Galileo.
L'adoption, le 22 novembre dernier, des trois projets de directive constituant
le paquet ferroviaire a concré- tisé l'accord politique réalisé au conseil des
ministres Transports de décembre 1999 sous présidence finlandaise, accord qui
doit beaucoup à la France, je puis vous l'assurer.
Cette décision permettra de développer le trafic international de marchandises
sur le réseau transeuropéen de fret ferroviaire - le RTEFF - dont le droit
d'accès sera garanti, pour le fret international, aux entreprises ferroviaires
titulaires d'une licence, dans un cadre tarifaire adapté et avec une définition
de normes de sécurité élevées. Cela prouve bien qu'il n'est pas indispensable
de libéraliser et de privatiser et qu'il est possible de réaliser une
harmonisation, une intermodalité ou une interopérabilité dans le domaine du
transport tout en défendant le secteur public, comme c'est le cas de la
France.
Dans le transport routier, la présidence française a contribué à des avancées
importantes. Cela faisait des années que la question de l'harmonisation de la
durée du temps de travail était posée par les organisations de salariés et,
dans notre pays, par les organisations professionnelles. Ces dernières
critiquaient en quelque sorte les meilleures conditions de travail accordées
aux salariés en France, invoquant un déséquilibre des conditions de
compétitivité.
En la matière, deux manières de voir s'affrontent : la première, celle que
défend le Gouvernement, consiste à favoriser l'harmonisation mais en faisant
avancer le social par le haut ; la seconde consiste à promouvoir la
libéralisation, chacun faisant ce qu'il veut dans son coin ; il s'agit là, en
fait, d'une harmonisation par le bas, dans laquelle la loi du plus fort domine,
c'est le
dumping
économique et social qui l'emporte.
Nous avons donc obtenu qu'une position comune soit prise sur la directive
relative aux conditions de travail des salariés, de façon que des conditions de
concurrence équitables existent entre les entreprises.
Ainsi, nous pourrons disposer d'une définition claire et précise du temps de
travail, dont la durée hebdomadaire moyenne sera limitée à quarante-huit
heures. Quand je dis « temps de travail », il ne s'agit pas seulement du temps
de conduite, il s'agit du temps global. Le texte définit en outre les
dispositions relatives au travail de nuit.
Il a été décidé également que les conducteurs indépendants seraient soumis
ultérieurement à la directive, à la suite d'une évaluation effectuée deux ans
après son entrée en application.
Pour lutter plus efficacement contre l'emploi dans des conditions irrégulières
de conducteurs de pays tiers et contre ce fameux
dumping
social, nous
avons réussi à faire également adopter des conclusions sur la proposition de
règlement visant à instaurer ce qu'on appelle une « attestation uniforme du
conducteur », certifiant que celui-ci est employé conformément aux dispositions
légales de l'Etat membre dont relève l'employeur.
Vous le savez, il y avait dans ce domaine un vide juridique tel qu'une
entreprise allemande, par exemple, pouvait employer des salariés venus de pays
extra-communautaires en les payant aux conditions qui ont cours dans ces pays,
et leur faire faire du cabotage en Europe. Eh bien, désormais, l'entreprise
pourra toujours employer des salariés venus d'ailleurs, mais elle devra les
payer aux conditions qui ont cours dans l'Etat membre dont elle relève.
Il s'agit là d'une avancée qui était fortement demandée par les salariés et
que nous avons rendue possible.
J'ajoute que la Commission s'est engagée, sur ma demande insistante, à
présenter rapidement des textes concernant la formation professionnelle des
conducteurs ainsi que le règlement 3820/85 relatif aux temps de conduite et de
repos.
Sur tous ces dossiers, la collaboration entre la présidence française, la
Commission et le Parlement européen a permis de dégager des positions communes
et de faire avancer des textes qui, pour certains, étaient bloqués depuis des
années.
Vous avez été nombreux à m'interroger sur les réseaux transeuropéens de
transport, les RTE. L'inscription d'un axe ferroviaire ou routier sur ce réseau
permet à l'Etat concerné de demander une aide sur le budget européen à ce
titre.
De nombreux projets français sont inscrits au RTE. Il s'agit, en premier lieu,
des projets prioritaires, définis lors du sommet européen d'Essen en 1994.
Trois de ces projets concernent directement la France dans le domaine
ferroviaire. Il s'agit du TGV est-européen, avec ses prolongements vers
l'Allemagne, et du TGV sud-européen, qui doit relier Madrid et Barcelone à
Montpellier, entre Perpignan et Figueras, pour se connecter au réseau
transeuropéen de trains à grande vitesse, mais aussi de la liaison entre Lyon
et Turin, pour laquelle les gouvernements français et italien se sont engagés
par un traité international au dernier sommet de Turin, le 29 janvier dernier.
Je reviendrai tout à l'heure sur ce dernier point pour répondre à M.
Hérisson.
Un quatrième projet prioritaire, le train à grande vitesse intéressant Paris,
Bruxelles, Cologne, Amsterdam et Londres, pour lequel les travaux sont d'ores
et déjà achevés en France, est en cours de développement dans les pays
voisins.
Dans le cadre de l'Agenda 2000, les modalités et le volume de financement des
projets éligibles au réseau transeuropéen de transport sont en cours de
modification. Un montant de 4,17 milliards d'euros - il faut commencer à
s'habituer à faire la multiplication !
(Sourires.)
- de concours a été
proposé pour la période 2000-2006, ce qui constitue un effort non négligeable
puisqu'il représente le double du budget de la période précédente,
1995-1999.
Ce règlement prévoit notamment que les projets ferroviaires, y compris le
transport combiné, bénéficient de 55 % au minimum des crédits disponibles et
que les projets routiers bénéficient, eux, de 25 % au maximum des crédits. On
voit, là encore, la volonté d'aller vers un nouvel équilibre. Les choses sont
donc bien en train d'évoluer.
La Commission doit adopter tout prochainement une procédure de programmation
pluriannuelle des concours européens pour 75 % de l'enveloppe, afin de financer
les projets les plus importants. Ces propositions seront complétées par la
programmation annuelle classique, à laquelle la Commission réserve 25 % de son
enveloppe.
Le taux de concours maximal reste fixé à 10 % du coût total des projets, mais
les concours peuvent atteindre 50 % du coût total des phases d'étude.
La France a tiré parti des priorités de la Commission pour proposer le
financement des projets prioritaires situés entièrement ou en partie sur le
territoire national. Cela concerne le TGV est-européen, qui devrait bénéficier
du plus important concours européen de la programmation pluriannuelle en valeur
absolue, soit 1,4 milliard de francs environ, mais aussi le TGV sud-européen
entre Montpellier et Barcelone, dont la section internationale entre Perpignan
et Figueras fait l'objet d'une demande coordonnée avec l'Espagne, à hauteur de
10 % environ du coût des travaux.
Cela concerne également le projet Lyon-Turin, dont la France et l'Italie ont
présenté conjointement le programme d'étude des galeries de reconnaissance.
Par ailleurs - et je réponds là en partie à de nombreuses questions sur le
développement du fret ferroviaire -, la France a identifié un ensemble
d'opérations de résorption des goulets d'étranglement sur le réseau classique,
notamment le secteur de Bordeaux, le sillon mosellan en Lorraine, l'artère
nord-est dans le Nord - Pas-de-Calais, ainsi que le noeud lyonnais...
Les concours européens constitueront donc, au cours de la période 2001-2006,
un complément de financement significatif pour les opérations ferroviaires déjà
entamées.
Sur le réseau classique, l'ensemble des projets éligibles permettra de
disposer d'une infrastructure qui s'inscrit dans cette volonté de réussir le
doublement du fret ferroviaire en dix ans, grâce à la résorption des principaux
goulets d'étranglement du réseau ferré national.
Cela étant, il ne suffit pas qu'il y ait le réseau et les sillons ; encore
faut-il les utiliser au mieux, ce qui suppose du matériel et des équipes en
suffisance. De ce point de vue, le fait que nous ayons autorisé la SNCF à
acheter six cent vingt locomotives de fret sur une période de cinq à six ans
contribue à démontrer que notre volonté est réelle et forte, que nous ne nous
contentons pas des discours et que nous passons aux actes.
Compte tenu des orientations communautaires que j'ai décrites, la réalisation
des infrastructures routières dépendra pour l'essentiel des ressources que nous
pourrons mobiliser dans le cadre national, sachant que l'effort porte plutôt
sur le transport ferroviaire.
Je peux vous assurer, monsieur Lefebvre, puisque vous avez insisté sur cette
nécessité de réussir la rupture avec le passé, que la question du fret
ferroviaire est au centre de mes préoccupations.
L'objectif est, je l'ai dit, de doubler le trafic d'ici à 2010.
Pendant une longue période, on a assisté à un recul régulier du trafic de
marchandises sur le rail. Et l'on trouvait toujours d'excellentes explications
à cette évolution, notamment la réduction de certaines activités de production
dans notre pays, mais surtout le fait que, avec la route, tout allait pour le
mieux dans le meilleur des mondes possibles ! Nous avons alors dit qu'il
fallait changer la donne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Renverser la
vapeur !
(Sourires.)
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Ce qui est «
ringard », aujourd'hui, ce n'est pas de développer le fret ferroviaire, c'est
de continuer à faire comme par le passé. Je crois que nous avons réussi à
accréditer ce point de vue dans la société : on est de plus en plus convaincu
que, pour le progrès de notre civilisation, il faut absolument changer la donne
dans le domaine des transports et induire un rééquilibrage en faveur du
rail.
D'ailleurs, la SNCF a renoué avec la croissance. On a tendance à insister sur
ce qui ne va pas, sur les manques, les défauts. Or les problèmes que nous
rencontrons aujourd'hui tiennent surtout à la croissance.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
On est en
surchauffe !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mais il vaut
tout de même mieux se trouver dans cette situation que de fermer des lignes et
des gares, que de supprimer des postes de cheminots. Je rappelle que 87 000
postes ont été supprimés entre 1984 et 1997. A l'inverse, la décision a été
prise d'embaucher sur trois ans 25 000 cheminots, et il semble bien que, dans
certains endroits, les besoins soient très importants.
Cette volonté de développement passe aussi par un effort soutenu en matière
d'accroissement des capacités de l'infrastructure, des capacités de production
pour employer une expression du vocabulaire industriel.
A cet égard, l'engagement de l'Etat et des collectivités publiques dans le
cadre des contrats de plan Etat-région et des grands projets de développement
du réseau ferroviaire est significatif : 120 milliards de francs sur dix ans
sont prévus par RFF, répartis entre les investissements neufs, la modernisation
du réseau classique et la régénération des réseaux existants. Les opérations
qui seront menées permettront de supprimer un certain nombre de zones de
saturation, d'aménager des axes de rechange pour le fret - cela a également été
souhaité - d'investir dans la desserte des ports et les chantiers de transport
combiné.
Je veux maintenant répondre à M. Hérisson sur ce que nous allons faire d'ici à
2015 concernant la liaison transalpine. Je précise au passage que nous nous
sommes battus pour que cette échéance de 2015 soit retenue dans l'accord signé
avec nos amis italiens, et il est vrai que cela suppose un effort très
soutenu.
Cela étant, nous n'allons pas nous contenter d'attendre en 2015, de pouvoir
disposer de cette capacité nouvelle, qui offrira en outre un raccourcissement
du temps de trajet pour les voyageurs comme pour les marchandises.
M. Pierre Hérisson.
C'est indispensable !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est
indispensable, mais on ne va pas attendre 2015 : d'ici à 2015, nous allons
travailler, et, dès 2002, monsieur Hérisson, il se passera des choses sur la
ligne classique.
M. Pierre Hérisson.
Bien sûr : il y a des élections législatives !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Dès 2002, nous
allons étudier les moyens de faire passer davantage de camions, dès lors qu'ils
sont du gabarit du tunnel de la ligne historique. Il nous faudra plusieurs
années de travaux, c'est vrai, car nous ne pouvons pas arrêter le trafic sur la
ligne : les travaux ne peuvent se faire qu'entre les passages de train.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Soyons
patients !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Nous allons
faire en sorte que le gabarit du tunnel soit élargi de manière à quasiment
doubler le trafic de marchandises sur cette ligne, et ce d'ici à 2006.
Non, le trafic ne connaîtra donc pas l'asphyxie d'ici à 2015 ! Dès
aujourd'hui, nous nous attaquons au problème de cette liaison-là.
Nous avons donc décidé de lancer à partir de 2002 l'expérience d'autoroute
ferroviaire entre Modane et Turin.
Vous pouvez ainsi constater, monsieur Hérisson, la volonté du Gouvernement de
ne pas figer la situation dans l'attente de la réalisation du nouvel axe
ferroviaire Lyon-Turin.
Vous dites qu'en 2002 il y aura des élections. Mais je vous signale qu'il y en
a presque tous les ans !
(Sourires.)
M. Pierre Hérisson.
Pas pour les sénateurs !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Leur mandat est
plus long !
M. Pierre Hérisson.
Il faudrait y réfléchir, monsieur le ministre !
(Rires.)
M. le président.
Pour nous, c'est tous les trois ans, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Enfin, comme je
l'ai dit tout à l'heure, le « paquet ferroviaire », grâce à la définition du
réseau transeuropéen de fret ferroviaire, va offrir, avec les mesures
d'accompagnement qui seront mises en place, en matière d'interopérabilité
notamment, des possibilités importantes d'accroissement du fret ferroviaire
européen.
Les réflexions de la Commission sur le transport ferroviaire en Europe
devraient trouver leur traduction dans un nouveau Livre blanc. C'est très
important car on sent bien, avec ce Livre blanc, comme cela a été suggéré à
juste titre par plusieurs d'entre vous, notamment par M. Bellanger, que nous
allons rompre avec une logique qui empêche aujourd'hui pratiquement toute
mutualisation.
Par exemple, l'Autriche a été condamnée à Luxembourg parce qu'elle pratiquait
des péages plus élevés au passage des montagnes, ce qui lui permettait
d'affecter les recettes supplémentaires à des réalisations en d'autres points
de son territoire.
Or il semble possible que l'internalisation des coûts externes soit prise en
compte par le Livre blanc. Vous pouvez être rassurés, mesdames, messieurs les
sénateurs : je vais me battre, et la France va se battre en ce sens.
Ce Livre blanc définira les orientations communautaires en matière de
sécurité, de tarification des infrastructures et de rééquilibrage intermodal.
Il devra proposer des réponses aux questions que beaucoup se posent en matière
d'internalisation des coûts externes, comme vous l'avez souligné, monsieur
Bellanger, ou d'amélioration des modes de financement RTE au profit des
infrastructures ferroviaires transeuropéennes les plus importantes.
Au titre de la sécurité, priorité du Gouvernement, je vous rappelle que le
mémorandum français transmis à la Commission après la catastrophe du tunnel du
Mont-Blanc inspire désormais la démarche européenne. En France, nous avons déjà
traduit cette exigence dans une nouvelle instruction technique du 25 août 2000
sur les tunnels routiers du réseau national, la plus sécuritaire au monde si
j'en crois ce que l'on m'en dit. Nous avons obtenu de nos partenaires italiens
qu'elle soit applicable au tunnel du Mont-Blanc, ce qui n'était pas gagné
d'avance s'agissant d'une infrastructure internationale. Plus globalement, un
projet de loi portant sur l'ensemble des infrastructures de transport sera
débattu au Parlement prochainement.
En matière de sécurité routière, sujet que vous avez également évoqué, il
reste beaucoup à faire en France, et nous faisons beaucoup. Nous soutenons,
naturellement, les efforts d'harmonisation qui pourraient être conduits à
l'échelle européenne, mais nous souhaitons aller plus loin.
La France a obtenu, sur ma demande, qu'une étude soit conduite par les
instances européennes sur l'obligation d'installer sur tous les véhicules un
limiteur de vitesse modulable par les conducteurs. Nous avons également obtenu
d'autres acquis, notamment le lancement de campagnes d'information.
Je voudrais revenir un instant sur la réforme des concessions autoroutières,
que j'évoquais au début de mon intervention. Elle s'inscrit pleinement dans la
politique de rééquilibrage entre tous les modes de transport que le
Gouvernement conduit depuis 1997. Elle doit justement permettre de contribuer,
à partir des résultats de l'activité autoroutière des sociétés d'économie mixte
concessionnaires d'autoroute, au financement d'infrastructures ferroviaires.
Cette réforme sera utile pour les routes et pour le rail. Développer le
transport combiné, c'est améliorer les liaisons rail-route, rail-ports ou
route-ports. C'est la politique du transport qui y gagnera. En effet, à partir
du moment où vous allongez la durée de la concession, c'est-à-dire la durée de
l'amortissement, des dividendes accrus sont dégagés. Ces dividendes, utilisés
pour promouvoir une politique intermodale, permettront le développement des
infrastructures routières et ferroviaires aussi bien que de celles d'autres
modes de transports.
Ainsi, le « pôle alpin », décidé par le Premier ministre pour répondre en
partie aux besoins en capacités ferroviaires dans les Alpes, permettra de
financer, quand ce sera nécessaire, les subventions de l'Etat aux nouvelles
concessions autoroutières. D'ores et déjà, je l'ai indiqué tout à l'heure, des
actions sont engagées dans ce sens.
De nombreuses questions restent posées, déterminantes pour l'avenir. Ce sont
celles qui touchent aux outils mis en place depuis 1997 ainsi qu'aux
financements. Elles recueillent parmi tous les orateurs une assez grande
unanimité.
Vous avez été plusieurs à évoquer des points aussi importants que celui du
nécessaire désendettement de RFF. M. Lefebvre, notamment, est intervenu sur
cette question. J'ai eu l'occasion d'indiquer, lors des états généraux du fret
ferroviaire, en décembre dernier, qu'il fallait trouver des solutions pour
régler le problème de la dette de RFF, constituée pour l'essentiel de la dette
historique de la SNCF...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Oui, 200
millions de francs !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement...
lorsqu'elle
supportait la totalité des investissements. J'ai évoqué la possibilité d'un
désendettement progressif. J'indique que je suis prêt à examiner toute solution
allant dans ce sens ou susceptible d'avoir le même effet.
Toujours lors des états généraux du fret ferroviaire, organisés par le Conseil
supérieur du service public ferroviaire, j'ai évalué les sommes qui seraient
nécessaires pour réduire la dette de RFF, soit plusieurs dizaines de milliards
de francs.
Il est nécessaire de préserver les capacités de développement des missions que
nous avons confiées par la loi à RFF, M. Gerbaud a évoqué ce point. Son
endettement limite en effet sa capacité d'investissement et constitue un signal
défavorable en faisant pression dans le sens d'une hausse des péages : il
importe donc de trouver un juste équilibre entre les deux.
La nécessité pour l'Etat de s'engager plus fortement dans le financement des
infrastructures annoncées, vous l'avez suggéré, monsieur Lefebvre, était une
grande question. Depuis 1997, nous avons fortement accru les moyens budgétaires
affectés aux investissements d'infrastructure. Nous sommes ainsi passés de 800
millions de francs en 1997 à 1,7 milliard de francs en 2001. Nous savons que
cet effort est encore insuffisant. La pression sur le budget est importante, je
le sais, mais le développement du ferroviaire est aussi, parmi d'autres, une
des priorité du Gouvernement. Il nous faudra imaginer d'autres sources de
financement pour l'avenir. Nous y travaillons dans le cadre, que j'ai évoqué
tout à l'heure, de la réforme autoroutière et du pôle alpin.
Pour y parvenir, nous savons qu'il faudra modifier la directive européenne sur
les péages autoroutiers, dite « directive euro-vignette », afin de permettre
une plus grande mutualisation entre les financements routiers et ferroviaires,
à l'image de ce qui a été fait en Suisse, plusieurs intervenants l'ont rappelé
en s'appuyant sur la nécessité d'internaliser les coûts externes des
transports.
J'ai confié au Conseil supérieur du service public ferroviaire la mission
d'évaluer la réforme ferroviaire de 1997. J'attends cette évaluation pour l'été
prochain. Celle-ci sera décisive pour l'avenir des entreprises ferroviaires.
Bien sûr, nous en reparlerons ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, le
moment venu.
Pour terminer, je dirai, avec M. Hérisson, qui a, lui aussi beaucoup
d'admiration pour la Suisse,...
M. Pierre Hérisson.
Je suis président du groupe parlementaire d'amitié France-Suisse !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Il est
haut-savoyard, c'est un voisin !
M. Pierre Hérisson.
Frontalier, en plus !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est donc bien
compréhensible !
En tout cas, dans le domaine du transport ferroviaire, les Suisses se sont
engagés dans une démarche volontariste très efficace.
J'ajouterai que la perspective de la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, à
l'automne prochain, nous place devant nos responsabilités : au dernier sommet
franco-italien, les décisions ont porté simultanément sur le mode ferroviaire,
c'est-à-dire la ligne Lyon-Turin, et sur le mode routier, c'est-à-dire le
tunnel du Mont-Blanc et le tunnel du Fréjus. On retrouve donc la
complémentarité et la régulation.
Je soulignerai à ce propos que, souvent, on ne retient de la déclaration du
sommet franco-italien de Turin que les mots suivants : « Les gouvernements
demandent aux entreprises de réunir les conditions pour la réouverture en
septembre... » ; mais la phrase se poursuit ainsi : « ... dans des conditions
de sécurité et de régulation acceptées par les parties ». Il ne faut pas
l'oublier !
M. Pierre Hérisson.
C'est vrai !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
S'agissant de la
question de la sécurité, j'ai presque envie de répondre à ceux qui disent que
l'on ne peut plus rouvrir le trafic aux poids lourds que nous ne pouvons pas
ignorer la situation du tunnel du Fréjus et la réalité de nos échanges avec les
Italiens. Nous ne pouvons pas faire comme si les autres n'existaient pas !
Comment ne pas le comprendre quand, depuis des décennies, on a pour ainsi dire
laissé le trafic des poids lourds prendre le pas sur tout le reste ? Une
logique a prévalu et aujourd'hui les gens n'en peuvent plus.
Il faudra, je le répète, que la réouverture se fasse dans de bonnes conditions
de sécurité et de régulation : on ne va pas laisser repartir des milliers de
camions par jour ! C'est vrai pour le tunnel du Mont-Blanc, mais aussi pour
celui du Fréjus.
En même temps, j'y insiste, nous développerons le transport ferroviaire de
marchandises dès 2002, afin de pouvoir faire transiter par le rail bien plus de
marchandises qu'aujourd'hui. Par « bien plus », j'entends que soit multiplié
par quatre, d'ici à 2015, le trafic de marchandises par le rail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux encore vous remercier pour la
qualité de ce débat et le contenu de vos interventions. Ce sujet est très
important ; il est difficile, complexe, parce que l'on part avec des
pesanteurs. Il s'agit peut-être aussi - je pense à la construction européenne -
de l'un des secteurs où le quotidien de chacune de nos sociétés, mais aussi le
développement de l'Europe peuvent trouver leur compte si nous savons faire
mieux et plus que par le passé, sans perdre de vue ni les hommes ni l'activité
et en considérant l'environnement et la sécurité non pas comme des résidus de
l'économie, mais comme des facteurs essentiels à toute activité humaine.
(Applaudissements.)
M. le président.
Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous savions qu'il vous fallait du
temps pour répondre. Je suis convaincu que chacun de nous aura apprécié la
tonalité et la qualité de vos réponses.
Le débat est clos.
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