SEANCE DU 28 MARS 2001
M. le président.
« Art. 2. - Dans la deuxième phrase de l'article L. 2212-1 du même code, les
mots : "avant la fin de la dixième semaine de grossesse" sont remplacés par les
mots : "avant la fin de la douzième semaine de grossesse". »
Sur l'article, la parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers colègues, pour ma part,
j'avais choisi une autre voie qui est traduite dans mon amendement n° 27.
En effet, tout au long des travaux préparatoires à l'élaboration de la loi
Veil auxquels j'ai participé, il a été considéré que tous les moyens de soutien
psychologiques, sociaux et médicaux qui seraient mis en place dès la
promulgation de la loi permettraient d'accueillir avec compassion et chaleur
les femmes enceintes dans la détresse, qui éprouvent bien souvent une grande
solitude.
Or nous savons qu'actuellement un certain nombre de femmes ne parviennent pas,
dans les délais qu'elles voudraient respecter, à obtenir rendez-vous et
intervention.
Ces femmes ne sont donc pas coupables mais victimes, le dépassement du délai
étant dû principalement aux dysfonctionnements reconnus des services de l'Etat,
tant en ce qui concerne l'application de la loi de 1976 sur la contraception,
sur l'éducation, sur l'information qui est restée pratiquement lettre morte,
qu'en ce qui concerne l'application de la loi Veil.
La loi Veil prévoyait son propre réexamen dans un délai de cinq ans. Un
amendement prévoyait lui, un délai de trois ans pour que toutes les structures
d'accueil nécessaires soient enfin mises en place pour répondre aux
demandes.
C'est la raison pour laquelle, dans mon amendement n° 27, je propose que le
délai autorisé pour pratiquer l'IVG soit porté à douze semaines de grossesse à
titre transitoire, pendant une période de trois ans à compter de la date de
promulgation de la loi que nous sommes en train d'élaborer aujourd'hui.
M. le président.
La parole est à M. Branger.
M. Jean-Guy Branger.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le principe
de l'interruption volontaire de grossesse est aujourd'hui acquis ; nous n'y
reviendrons pas.
M. Claude Estier.
Tout de même !
M. Jean-Guy Branger.
J'ai été un ardent défenseur de la loi Veil, par conséquent, je suis très à
l'aise pour en parler.
A ce jour, je pose la question de l'allongement légal du délai permettant de
pratiquer l'avortement.
Dans l'article 2 du projet de loi, le Gouvernement a prévu de prolonger ce
délai afin que les femmes puissent demander une IVG jusqu'à douze semaines de
grossesse au lieu de dix actuellement.
Est-ce un moyen de résoudre le cas des 5 000 femmes - en fait c'est de cela
qu'il s'agit - devant se rendre à l'étranger, dans des pays où la législation
est plus souple pour y subir une IVG qui serait devenue illégale en France ?
Certes, allonger le délai permettra d'éviter au moins une partie de ces
voyages forcés, qui ne font qu'ajouter au coût moral et financier de l'IVG.
Cependant, comme notre rapporteur l'a dit tout à l'heure, cet allongement ne
concernera que 3 000 femmes.
M. Raymond Courrière.
Ce n'est déjà pas mal !
M. Jean-Guy Branger.
C'est pourquoi il me semble que le principal aspect du projet du Gouvernement
n'apporte qu'une solution partielle, et non une véritable réponse, à la
détresse des femmes. Elle ne permettra pas de mettre un véritable terme à leur
souffrance.
Tout à l'heure, quelqu'un a parlé d'éthique des femmes, de droit des femmes...
Je dirai à nos collègues femmes que nous, les hommes, sommes aussi concernés
affectivement et en conscience.
Monsieur le ministre, nous avons siégé longtemps ensemble à l'Assemblée
nationale et vous connaissez parfaitement mon point de vue. Moi, je revendique
le droit de dire que les hommes sont autant concernés. Bien sûr, nous sommes
profondément attachés aux droits des femmes, et celles-ci ont le droit de
choisir, elles ont leur éthique. D'ailleurs, la femme, c'est plus grand que
l'homme ! C'est vrai !
Mme Hélène Luc.
Si, c'est vrai, il faut la laisser choisir !
M. Jean-Guy Branger.
Cela étant, nous sommes à même de partager, à la fois sur un plan affectif et
du point de vue de l'éthique, les préoccupations des femmes. Cela, je tenais à
le dire ici en cet instant.
Le Gouvernement nous propose d'aider certaines femmes, mais son texte ne
s'attaque pas au problème de fond, et celui-ci reviendra de manière récurrente
devant nos assemblées.
J'ai entendu ce que vous avez répondu tout à l'heure à M. Huriet, monsieur le
ministre. A votre place, je dirais certainement la même chose, j'en conviens.
Mais convenez qu'à la mienne vous tiendriez exactement les mêmes propos que
ceux que je tiens en cet instant.
Il ne fait pas de doute que, dans quelques années, la question d'un
allongement de deux semaines supplémentaires - voire plus - se posera à
nouveau, et cela selon l'avis même des médecins.
(Protestations sur les
travées socialistes.)
Mais si, mes chers collègues ! Je sais bien que ce n'est pas facile à
accepter, mais c'est la vérité ! En fin de compte, rien, ou presque, n'aura été
fait pour réduire le nombre colossal d'avortements pratiqués chaque année en
France.
Pourquoi adopter une disposition qui ne révèle qu'une fuite en avant, comme
l'a souligné très justement Francis Giraud, notre excellent rapporteur ?
Donnons donc plutôt de réels moyens pour que le dispositif mis en place par la
loi Veil soit enfin appliqué ! Sur ce point, nous sommes tous responsables. Je
ne critique pas tel gouvernement plutôt que tel autre : tous les gouvernements
ont échoué dans l'application de la loi Veil.
La plupart des praticiens entendus par la commission ont mis l'accent sur ce
manque évident de moyens, à la fois en matière de structures d'accueil,
d'équipement et de personnels pratiquant les IVG.
C'est ainsi qu'un certain nombre d'IVG tardives résultent des difficultés que
connaissent divers centres d'orthogénie pour accueillir et prendre en charge
rapidement les femmes concernées.
Un autre point est également à souligner. Les médecins s'accordent à dire que
la nature de l'intervention change au-delà de dix semaines. Des aménagements
techniques et une formation adaptée des personnels médicaux et non médicaux
seront donc nécessaires. Mais surtout, l'acte chirurgical deviendra moralement
plus éprouvant pour le praticien. Il ne sera pas étonnant, dès lors, de
constater une désaffection des jeunes médecins - on l'observe dès à présent
monsieur le ministre, vous le savez - pour cette activité déjà peu valorisante,
parfois même méprisée, alors qu'elle est pourtant nécessaire pour que la loi
soit appliquée.
Que faire si des médecins qui pratiquent aujourd'hui des IVG mettent en avant,
demain, la clause de conscience pour refuser d'intervenir sur des grossesses de
douze semaines ? Une pénurie de praticiens pourrait créer des difficultés
supplémentaires, voire - et je ne le souhaite absolument pas ! - être à
l'origine d'avortements tardifs.
M. Raymond Courrière.
Comment font-ils, alors, dans les autres pays ?
M. Jean-Guy Branger.
Plutôt que de demander aux parlementaires d'adopter ce nouveau délai, il
appartient au Gouvernement et aux pouvoirs publics d'une manière générale de
renforcer les moyens mis en oeuvre par la loi Veil, afin qu'elle puisse être
appliquée dans toute - je dis bien toute - sa dimension.
M. le président.
Je suis saisi de quatre amendements pouvant faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par M. Francis Giraud, au nom de la
commission.
L'amendement n° 59 est présenté par M. Carle.
Tous deux tendent à supprimer l'article 2.
Par amendement n° 27, M. Neuwirth propose de rédiger comme suit l'article 2
:
« L'article L 2212-1 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
«
Art. L. 2212-1. -
La femme enceinte que son état placerait dans une
situation de détresse peut demander à un médecin l'interruption de sa
grossesse, qui ne peut être pratiquée qu'avant la fin de la dixième semaine de
grossesse. Le délai pourra être porté à douze semaines de grossesse, à titre
transitoire, pendant une période de trois ans à compter de la date de
promulgation de la loi n° du relative à l'interruption volontaire de
grossesse et à la contraception et de la mise en oeuvre complète des articles
L. 2214-2 et L. 2311-3 du présent code. Entre la dixième et la douzième
semaine, l'interruption de grossesse ne peut intervenir que dans les services
pratiquant des actes de chirurgie gynécologique. »
Par amendement n° 45, Mmes Campion, Dieulangard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent :
A. - De compléter l'article 2 par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - Le même article est complété par un second alinéa ainsi rédigé :
« L'interruption volontaire d'une grossesse peut être pratiquée au-delà de
douze semaines si la femme enceinte en a, pendant le délai légal, déjà formulé
la demande auprès du personnel d'un établissement médical, social ou
d'information et d'éducation familiale. »
B. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Nous nous sommes largement exprimés sur cet article dans le
rapport de la commission des affaires sociales et dans la discussion générale.
Je n'y reviens donc pas.
Je me permettrai toutefois d'interroger M. le ministre : quelle signification
donne-t-il à l'association qu'il a faite entre l'interruption volontaire de
grossesse et la notion de progrès ? Si dans son esprit, l'IVG correspond à un
progrès, dans le mien, elle correspond plutôt à la nécessité de secourir les
femmes en détresse. Autrement dit, si, pour le Gouvernement, l'allongement ne
pose pas en soi de problème, pourquoi n'a-t-il pas d'emblée proposé quatorze
semaines pour traiter, au moins, les cas de légitime détresse des femmes qui
dépassent les délais ?
Pour sa part, la commission des affaires sociales, confrontée à un problème, a
essayé de le traiter en termes de santé, de santé publique et surtout de santé
de chaque femme concernée. Voilà pourquoi nous proposons de supprimer l'article
2.
M. le président.
La parole est à M. Carle, pour défendre l'amendement n° 59.
M. Jean-Claude Carle.
J'ai eu l'occasion de développer mon argumentation lors de la discussion
générale.
Cependant, je souhaite répondre à M. Lagauche, qui, d'une certaine manière,
m'a mis en cause.
Certes, en 1975, je n'étais pas parlementaire ; mais, si je l'avais été,
j'aurais voté la loi Veil. C'est pourquoi, aujourd'hui, je souhaite, comme M.
le rapporteur, qu'elle soit appliquée dans toute sa dimension, ainsi que l'a
dit M. Branger.
Notre position s'appuie sur des convictions profondes, que nous manifestons
dans un combat permanent visant à concilier l'éthique et la prise en compte de
la réalité.
L'éthique veut que toutes les femmes soient égales devant la vie et le droit
de la donner ou non.
La réalité, c'est que, en fonction des origines sociales, culturelles ou
ethniques, ce droit est très souvent bafoué.
Voilà le fondement de mes convictions, et peu m'importe d'être traité de
progressiste ou de conformiste !
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth, pour défendre l'amendement n° 27.
M. Lucien Neuwirth.
Je l'ai pratiquement défendu tout à l'heure en intervenant sur l'article.
Je propose que le délai puisse être porté à douze semaines de grossesse à
titre transitoire pendant une période de trois ans à compter de la promulgation
de la loi, étant entendu que, entre la dixième et la douzième semaine,
l'interruption de grossesse ne peut intervenir que dans les services pratiquant
des actes de chirurgie gynécologiques, tant il est vrai que, à partir de la
dixième semaine, l'acte médical change de nature, car l'on passe de l'état
embryonnaire à l'état foetal.
M. le président.
La parole est à Mme Printz, pour défendre l'amendement n° 45.
Mme Gisèle Printz.
En exposant cet amendement, je pense à ce que peuvent vivre dans leur tête,
dans leur corps et dans leur vie quotidienne certaines femmes lorsqu'elles se
dirigent vers une interruption volontaire de grossesse.
Que ceux qui pensent - et ils le disent parfois - qu'il est aisé d'avorter,
allant jusqu'à insinuer qu'une femme pourrait abuser de ce droit, prenne la
peine, au moins une fois dans leur vie, d'être les témoins silencieux de ce que
représente cette démarche.
S'engager dans cette voie pour une femme relève, dans nombre de cas, d'un
véritable parcours du combattant, où il faut surmontr les obstacles les uns
après les autres et surtout aller vite, car les délais courent. Dans ce
parcours, la prise de décision et la demande ne constituent que les toutes
premières étapes.
Bien évidemment, plus une femme est fragilisée ou dans une situation
socialement défavorisée, plus les difficultés à affronter seront lourdes. Car
il existe toute une série d'interrogations et de conditions matérielles qui
peuvent rendre malaisé l'accomplissement des démarches obligatoires dans les
délais prévus par la loi : où se diriger ? Où se renseigner ? Comment se
déplacer ? Comment se libérer de son travail pour se rendre aux consultations ?
Comment s'organiser pour que ses enfants soient gardés pendant l'intervention
?
A ces difficultés s'ajoutent les carences et les dysfonctionnements du service
public hospitalier : longue attente pour obtenir un rendez-vous, périodes
critique de saturation des services...
Pour toutes ces raisons, et pour éviter que des femmes ne soient les victimes
d'éléments matériels qui les conduiraient à dépasser le délai légal, nous
proposons, par cet amendement, qu'elles soient prises en charge dès lors
qu'elles en auront fait la demande pendant ce délai.
Nous avons bien conscience que le texte présenté par le Gouvernement
apporterait, s'il était convenablement appliqué, des améliorations remarquables
tant au regard de la contraception qu'à celui de l'amélioration de l'accès à
l'IVG. Cependant, lorsqu'on entend ce qui se dit sur ces travées et lorsqu'on
sait les réticences et les blocages qui persistent, on ne peut s'empêcher
d'éprouver quelques appréhensions.
Pour cette raison, nous demandons au Gouvernement qu'il nous rassure sur les
points que nous avons évoqués et sur la bonne mise en oeuvre du projet de
loi.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 59, 27 et 45 ?
M. Francis Giraud,
rapporteur.
La commission est évidemment favorable à l'amendement n°
59.
En ce qui concerne l'amendement n° 27, la commission proposant de supprimer
l'article, ce qui revient à maintenir le délai légal à dix semaines, si elle
est suivie par le Sénat, cet amendement n'aura plus d'objet.
S'agissant de l'amendement n° 45, nous souhaitons entendre l'avis du
Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 3 et 59
ainsi que sur les amendements n°s 27 et 45 ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Sur les amendements n°s 3 et 59, je crois que tout a
été dit. La messe est dite !
(Sourires.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Nous en sommes aux vêpres !
(Nouveaux
sourires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Plus sérieusement, je voudrais répondre à M. le
rapporteur à propos du progrès.
Je me suis mal exprimé. Je pense que l'on peut effectivement considérer comme
un progrès social, mais un progrès en quelque sorte malencontreux, le fait
d'étendre - temporairement, je l'espère - de dix à douze semaines le délai
légal pour pratiquer une IVG. Ce n'est évidemment pas un progrès au sens plein
du terme. Le progrès véritable, ce serait une utilisation plus large de la
contraception dans notre pays. Ce serait surtout que les femmes n'aient plus à
recourir à une intervention qui est très pénible pour elles, mais aussi pour
ceux qui la pratiquent, et j'en sais quelque chose, je vous l'ai dit hier
soir.
M. Jean-Guy Branger.
Très juste !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Cependant, il n'est pas de la seule responsabilité des
femmes que ce « progrès » disparaisse. Où sont les hommes dans cette affaire ?
Quelle est leur responsabilité dans la grossesse ?
Mmes Hélène Luc et Odette Terrade.
Exactement !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Que se passe-t-il lorsqu'ils s'en lavent les mains et
qu'ils laissent ces femmes, souvent issues de familles en difficulté, se
débrouiller dans la solitude la plus effrayante, avec au mieux, de temps en
temps, une amie et aussi, bientôt peut-être, ce fameux adulte pour les aider
?
(Mme Printz applaudit.)
Non, ce n'est pas un progrès ! C'est une nécessité en quelque sorte morale,
sociale, mais que ce « progrès » disparaisse, et j'en serai le premier
satisfait, tout comme vous. Je m'étais donc mal fait comprendre.
Le progrès ne sera pas de prolonger le délai jusqu'à vingt-deux semaines,
comme c'est le cas en Hollande ; mais il est vrai, répétons-le, que la
politique de contraception est un succès dans ce pays.
Je suis d'accord avec votre amendement n° 27, monsieur Neuwirth. Je vous le
dis sincèrement, bien que j'en sois un peu gêné, car, théoriquement, je devrais
dire le contraire !
(Sourires.)
Simplement, à la dernière phrase de l'amendement : « Entre la
dixième et la douzième semaine, l'interruption de grossesse ne peut intervenir
que dans les services pratiquant des actes de chirurgie gynécologique »,
j'avais envie d'ajouter : « à proximité », en prévision d'incidents possibles.
Mais ce serait encore une manière d'édulcorer votre texte ! Il est nécessaire,
compte tenu des difficultés qui peuvent intervenir entre la dixième et la
douzième semaine, de donner véritablement à ces femmes, au moins, toutes les
garanties de sécurité.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, en réponse à Claude Huriet, il doit être
possible de trouver suffisamment de services comptant la chirurgie
gynécologique au nombre de leurs spécialités pour assurer un avortement de ce
type par semaine et par département - répartition géographique bien sûr très
théorique !
Personnellement, je recommande donc la sagesse dans l'appréciation de
l'amendement n° 27.
En revanche, l'amendement n° 45, présenté par Mme Printz, me gêne beaucoup.
Certes, je comprends très bien ce que vous voulez dire, madame le sénateur. Si
la femme, consciente de l'ensemble du problème, a fait cette démarche dans un
délai raisonnable, peut-être même avant dix semaines, alors, effectivement,
pourquoi la pénaliser ? Mais il faudrait insister avec force auprès des centres
orthogéniques pour que ce type de cas soient traités dans les temps. Le risque
de dérive pourrait en effet être terrible : aujourd'hui, on dira douze
semaines, demain quatorze, puis seize ou vingt... On risquerait d'aboutir à une
situation qui serait contraire à ce que souhaite le Gouvernement.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
C'est ce que nous nous tuons à dire !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Pardonnez-moi, madame Printz, mais je demande le rejet
de l'amendement n° 45.
M. le président.
L'amendement n° 45 est-il maintenu, madame Printz ?
Mme Gisèle Printz.
Compte tenu des éléments que nous a apportés M. le ministre, je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 45 est retiré.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 3 et 59.
M. Serge Lagauche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
M. le ministre a évoqué les difficultés qui se posent lorsqu'on veut allonger
le délai de dix à douze semaines ; il a également abordé le problème des
hommes, qui ne prennent pas suffisamment leurs responsabilités, celui de
l'attitude de l'Etat, qui, depuis tant d'années, ne consacre pas suffisamment
de moyens à la contraception et ne propose pas d'accueil adapté aux femmes qui
souhaitent subir une interruption volontaire de grossesse.
M. Carle et M. le rapporteur ont insisté sur une autre difficulté : pourquoi
faire passer le délai légal de dix à douze semaines alors que certaines femmes
continueront de se rendre à l'étranger pour y subir une IVG ? Ce n'est pas
juste.
Pour ma part, je vous proposerai une solution - dont les modalités
d'application restent à déterminer - pour sortir du débat stérile sur les
délais légaux et réfléchir à une différenciation des structures en fonction des
différents délais médicaux, afin d'adapter celles-ci à la technique médicale
utilisée. Cette logique a commencé d'être introduite dans le texte par la
mesure prévoyant dans un futur proche la délivrance du RU 486 en
ambulatoire.
Jusqu'à dix semaines de grossesse - j'en reste à dix semaines, puisque l'on a
des craintes entre la dixième et la douzième semaine -, les IVG seront
pratiquées dans tous les établissements qui les assurent déjà. Au-delà, elles
seront effectuées dans des établissements spécialisés, techniquement adaptés,
volontaires et limités en nombre, par des équipes pluridisciplinaires formées à
cette pratique et également volontaires. Je rejoins là les objectifs formulés
par le Gouvernement. L'habilitation à cette pratique d'un centre d'orthogénie
par grande région permettrait de répondre à la demande de toutes les femmes
hors délais.
Ainsi, les structures répondant à la demande seraient différenciées en
fonction des divers délais médicaux. Le cadre serait donc le suivant : l'IVG
serait pratiquée en ambulatoire par délivrance du RU 486 avant cinq semaines de
grossesse ; l'hospitalisation se ferait dans tout établissement qui pratique
des IVG entre six et dix ou douze semaines de grossesse ; enfin,
l'hospitalisation aurait lieu dans un établissement spécialisé au-delà de dix
ou douze semaines.
L'avortement est un droit pour les femmes : il doit donc être accessible à
toutes celles qui en ont besoin. L'objectif est bien de ne plus laisser sur le
bord du chemin les plus fragiles d'entre elles, qui, pour des raisons diverses,
sont amenées à dépasser le délai légal, qu'il soit fixé à dix ou à douze
semaines de grossesse. Il est inadmissible que l'on continue, y compris après
le vote du présent projet de loi, à les envoyer à l'étranger en toute
hypocrisie et en fermant les yeux sur leurs difficultés ou leur détresse.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Le débat qui s'est instauré depuis une heure et demie est tout à fait
instructif. Tout comme le rapporteur de la commission des affaires sociales,
j'ai été choqué par le terme de « progrès » utilisé par M. le ministre délégué
à la santé, car, vraiment, ce n'est pas un progrès !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Mais je m'en suis expliqué !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Alors que le Gouvernement reconnaît lui-même, comme vous venez de le dire,
monsieur le ministre, que l'allongement du délai de dix à douze semaines ne
règle pas nombre de problèmes et n'apporte que des solutions partielles, tout
en augmentant la gravité médicale de l'acte d'IVG, je me demande pourquoi le
projet de loi qui nous a été soumis n'a pas opté pour une autre voie qui aurait
consisté à élargir ce qui avait déjà été fait dans le cadre de la loi Veil pour
l'interruption de grossesse pratiquée pour motif thérapeutique. On s'est
contenté d'en changer la dénomination et de la qualifier de « médicale ».
La commission a déposé un excellent amendement qui vise à ajouter aux motifs
de l'interruption pour raison médicale la poursuite de la grossesse qui met en
péril la santé de la femme, y compris « la santé psychique, appréciée notamment
au regard de risques avérés de suicide ou d'un état de détresse consécutif à un
viol ou à un inceste ». Ce sont là les cas concrets que nous voyons, nous, les
maires, à notre propre consultation - qui n'est pas médicale ! Ce sont les
sujets et les problèmes que nous abordons.
Plutôt que d'allonger le délai de deux semaines pour toutes les femmes, avec
les risques qui en découlent, il aurait mieux valu travailler sur
l'élargissement du champ d'application de l'article 8
bis
et sur la
possibilité de pratiquer plus d'avortements.
En effet, monsieur le ministre, vous nous présentez un dispositif, que vous
défendez avec le talent que l'on vous reconnaît, mais il s'agit d'un texte que
vous avez repris « au vol » !
M. Hilaire Flandre.
Ce n'est pas son enfant !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Et son grand défaut, c'est que, avec l'allongement du délai légal, avec la
supression de toutes les formalités accessoires, il s'apparente à la
transformation de l'IVG en mode normal de contraception.
Mme Hélène Luc.
Absolument pas !
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est cela qui est insupportable, c'est cela qui ne peut être considéré comme
un progrès, qui est au contraire une déviation !
Si vous aviez davantage travaillé l'idée de l'élargissement de l'avortement
pour motif médical, vous auriez trouvé beaucoup plus facilement un consensus
sur l'ensemble des travées.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Mme Odette Terrade.
Ce sont la commission et le pouvoir médical qui décident !
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
L'observation que je vais faire est sans doute superfétatoire pour expliquer
mon vote, car j'avais déjà bien d'autres raisons de voter l'amendement de la
commission, mais elle me paraît nécessaire.
Je commencerai, à l'instar de quelques-uns de nos collègues - puisque, sur les
bancs de la gauche, il y a parfois des procès en obscurantisme !...
M. Raymond Courrière.
Ah oui ! Et on le maintient !
M. Michel Caldaguès.
... par préciser que, si je n'ai pas voté la loi Veil - je n'étais pas
parlementaire à l'époque - j'ai néanmoins voté moi aussi, ici même, sa
pérennisation.
M. Raymond Courrière.
Quel exploit !
M. Michel Caldaguès.
Je veux ajouter ceci : quand on a écouté le rapporteur, notre ami Francis
Giraud, décrire hier dans des termes médicaux aussi précis que possible dans un
pareil débat, mais aussi en homme sensible, la différence entre dix semaines et
douze semaines de grossesse, comment ne pas être choqué d'entendre le ministre
délégué à la santé qualifier cette même différence de « technique » ! J'ai cru
qu'il avait fait un lapsus. Mais pas du tout, il l'a répété !
Monsieur le ministre, je dois vous dire que ce propos m'a particulièrement
choqué.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je ne comprends pas pourquoi.
M. Raymond Courrière.
Ils ont l'âme et le coeur sensibles !
M. Michel Caldaguès.
L'idée que je me fais du ministre délégué à la santé n'est pas celle d'un
simple mécanicien du corps, elle est celle d'un homme qui doit aussi se situer
au niveau de la morale.
M. Raymond Courrière.
Il faut les ménager, ils sont sensibles !
M. Michel Caldaguès.
Or, il devrait le faire ici, si l'on songe qu'un débat comme celui que nous
menons, quel que soit le sens de notre vote, devrait nous toucher au plus
profond de notre sens moral et de notre sensibilité.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Raymond Courrière.
Tout cela, c'est pour noyer le poisson !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Permettez-moi, monsieur Caldaguès, de ne pas être
d'accord avec vous...
M. Michel Caldaguès.
Je l'espère bien !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
... et de vous le dire avec force.
J'ai fait référence à un débat auquel vous n'avez sans doute pas assisté. Si
vous l'avez fait, corrigez-moi.
Les paroles que je citais étaient celles qu'a prononcées hier soir l'un de vos
collègues, médecin lui-même, M. Paul Blanc. Alors, s'il vous plaît, pour les
reproches que vous avez à faire, adressez-vous à lui, et non pas à moi!
M. Michel Caldaguès.
Vous avez repris ses propos à votre compte !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Non, monsieur ! Je les ai cités parce que je suis
d'accord avec lui, mais il s'agissait d'une citation exacte : « Y a-t-il un
problème moral ? Non ! Y a-t-il un problème médical ? Non ! Y a-t-il un
problème technique ? Oui ! », a dit ce médecin sur vos travées.
Je vous dirai pourquoi c'est vrai - et pas d'accusation d'indignité morale,
s'il vous plaît, ce n'est pas mon genre. J'ai dit suffisamment à quel point il
me déplaisait, en effet, d'avoir ainsi à « progresser » - et, monsieur
Fourcade, je me suis expliqué sur le mot « progrès ».
M. Michel Caldaguès.
On relira le procès-verbal !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Peut-être me suis-je mal fait comprendre. Mais, pour
moi, c'est un progrès nécessaire du point de vue social ; sinon, que faire de
ces femmes ? Ne me mettez pas en colère !
Mme Odette Terrade.
Eh oui !
M. Guy Fischer.
Ce sont 5 000 femmes !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Dans toutes vos propositions, qu'est-il prévu pour ces
5 000 femmes ?
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Qu'en fait-on ? Où les envoie-t-on
?
C'est très joli d'appliquer les lois. Mais il faut savoir les modifier quand
elles ne sont plus adaptées ; il faut savoir revenir un peu en arrière, ou
aller de l'avant, je ne sais pas, et prendre en charge ces femmes !
M. Guy Fischer.
Ce n'est plus du surplace ! Là, nous reculons d'un quart de siècle !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Le mot « technique », monsieur, n'est pas péjoratif
dans ma bouche. En aucun cas ! Il vous a peut-être choqué parce que vous n'avez
pas compris en quel sens je l'entendais, mais il n'était pas péjoratif.
M. Michel Caldaguès.
Je ne suis pas le seul à avoir été choqué !
Mme Hélène Luc.
C'est tout le projet qui vous choque, nous sommes bien d'accord !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Eh bien, monsieur, vous êtes choqué, et moi, j'insiste
: ce n'est pas choquant.
M. Michel Caldaguès.
Cela ne se résume pas à de la technique !
M. Raymond Courrière.
C'est de l'obscurantisme !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Non, monsieur ! Ce n'est pas choquant, et je vais vous
dire pourquoi : justement, nous entourons cet allongement du délai - et je
viens de tomber d'accord avec M. Neuwirth qu'il fallait le faire - des
précautions nécessaires sur le plan médical, en termes d'anesthésie et de
chirurgie éventuelle. Ce n'est pas choquant ! Il s'agit, en effet, d'un
problème technique qu'il faut résoudre et non pas d'un problème moral pour les
médecins, qui peuvent toujours faire jouer la clause de conscience.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Raymond Courrière.
Très bien ! Continuez, ne vous laissez pas impressionner !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Mon propos sera très bref ; je ne reprendrai
pas la discussion.
Je relèverai simplement, monsieur le ministre, votre non-réponse, à l'instant,
à la demande formulée par Mmes Campion et Dieulangard, qui s'exprimaient au nom
du groupe socialiste, à propos de l'amendement n° 45, sur ce problème de
l'interruption volontaire de grossesse.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Cet amendement a été retiré !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Il l'a été après la réponse ou, plutôt, la
non-réponse de M. le ministre !
M. Raymond Courrière.
Mais, si elles sont satisfaites de cette réponse ?
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Cette non-réponse est un terrible aveu : le
texte tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale conduit à une impasse.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Et c'est parce que nous
avons eu conscience de cette impasse que nous avons cherché le moyen d'en
sortir.
Je le répète, la proposition formulée par la commission des affaires sociales
est meilleure, même si elle n'est pas parfaite. Notre amendement peut
certainement faire l'objet de critiques, mais il a au moins l'avantage d'éviter
l'impasse où mène le texte dans son état actuel.
(M. Jean-Louis Lorrain
applaudit.)
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je ne voterai pas cet amendement. Mais je tiens à dire, monsieur le ministre,
que vous vous êtes laissé emporter, ce qui est rare chez vous, et que vous avez
prononcé des paroles que vous regrettez certainement.
Vous prétendez que la commission des affaires sociales ne répond pas au
problème des 5 000 femmes contraintes, chaque année, de se rendre à l'étranger
pour subir une IVG.
Ce n'est pas vrai : il existe une solution médicale, et vous semblez
l'oublier. Ce n'est pas parce que nous refusons l'IVG telle que vous
l'envisagez et que nous proposons une autre solution que nous rejetons ces
personnes dans les ténèbres extérieures ! C'est pourtant ce que vous avez
laissé entendre.
Par honnêteté vis-à-vis de notre rapporteur, il était nécessaire que je le
souligne.
M. Claude Huriet.
Exact !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 3 et 59, repoussés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 2 est supprimé et l'amendement n° 27 n'a plus
d'objet.
Mme Hélène Luc.
La commission des affaires sociales, qui avait montré un visage un peu
progressiste, vient de faire un progrès à reculons ! C'est très grave !
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