SEANCE DU 27 MARS 2001
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'interruption volontaire de
grossesse et à la contraception.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, rarement le jugement de Montesquieu
selon lequel « les lois inutiles affaiblissent les nécessaires » n'a été aussi
justifié que pour le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui.
« Inutile », le texte l'est à l'évidence. Il fait presque totalement l'impasse
sur les facteurs qui expliquent le nombre élevé d'IVG pratiquées en France et
sur la situation des 4 000 à 5 000 femmes qui doivent se rendre à l'étranger
pour avorter. Faute d'en analyser les causes, le texte n'y apporte comme
réponse, outre la prolongation du délai, que la contraception par
stérilisation.
Une loi inutile affaiblissant les nécessaires, c'est à craindre, car la mise
en oeuvre et les conséquences de la prolongation de deux semaines du délai «
légal » de l'IVG risquent d'aller à l'encontre du but que l'on cherche à
atteindre.
La loi est inutile car, comme le souligne Israël Nisand, « si des difficultés
subsistent, la loi de 1975 est globalement bien appliquée ».
Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la
santé, dans la réponse qu'il a adressée au président de notre assemblée qui
l'avait saisi, consacre une page sur cinq à des réflexions pertinentes dont le
Gouvernement ferait bien de tirer profit : « Le nombre et la proportion de
femmes qui recourent à l'IVG dans notre pays sont supérieurs à ceux d'autres
pays d'Europe... ce qui est inacceptable et blesse tant l'esprit que la lettre
de la loi de 1975... »
Le Comité suggère que tout soit fait « pour faciliter, dans un cadre éducatif,
institutionnel ou associatif l'accès à la connaissance de la vie affective et
sexuelle, du sens de la relation, de la maternité et de la paternité ».
Il souligne ainsi que « le recours excessif à l'IVG met en évidence avec force
les insuffisances du maniement et de la mise à disposition de la contraception
en France » et conclut que « le Comité consultatif national d'éthique considère
que le débat éthique se situe en amont et non seulement dans l'allongement du
délai prévu par la loi ».
La composition pluraliste du Comité et la pertinence de ses avis devraient
indiquer au Gouvernement la marche à suivre pour répondre à l'échec patent de
la politique de contraception menée depuis des années, échec souligné à juste
titre par notre excellent rapporteur M. Francis Giraud.
En matière d'éducation sexuelle, l'exemple des Pays-Bas est révélateur : le
nombre d'IVG a diminué du jour où une éducation sexuelle précoce a été mise en
oeuvre.
Quant à la politique d'information sur la contraception, elle ne saurait se
borner à des campagnes médiatiques, ne s'inscrivant pas dans une stratégie
cohérente de communication et ne servant somme toute que de faire-valoir à tel
ou tel ministre.
Monsieur le ministre, je m'empresse de vous dire que ce n'est pas vous qui
êtes visé !
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Nous avons une responsabilité et un honneur collectifs
à défendre.
(Nouveaux sourires.)
M. Claude Huriet.
Les campagnes en faveur du préservatif ont été particulièrement mal ciblées,
la prévention contre le sida ayant été privilégiée au détriment de la
contraception. J'en veux pour preuve un sondage récemment publié par
Sciences et Vie junior
et
L'Express
: « 26 % des garçons et 19 %
des filles estiment "qu'on n'a pas besoin de préservatif quand on est depuis
longtemps avec la même personne" ». Une même constatation apparaît dans
l'enquête GINE menée par l'INSERM l'an dernier.
A l'éducation sexuelle défaillante, à l'information sur la contraception
insuffisante, le projet du Gouvernement n'apporte aucune réponse. Heureusement,
un amendement de l'Assemblée nationale et un amendement de la commission des
affaires sociales du Sénat y pourvoient !
Un troisième facteur intervient, pouvant expliquer les recours tardifs à l'IVG
: c'est l'insuffisance des moyens actuels. Israël Nisand regrette la réponse
insuffisante du service public tant en quantité - difficultés de recrutement
des professionnels, contingentement des IVG - qu'en qualité - accueil parfois
inadapté, faible disponibilité de l'IVG médicamenteuse. Par ailleurs, le CCNE
constate que « le fonctionnement des structures pratiquant l'IVG ne reçoit pas
(...) des pouvoirs publics l'attention et l'aide matérielle suffisantes ».
Chacun devrait convenir qu'il eût été logique d'apporter d'abord des solutions
à de telles insuffisances. Le Gouvernement en a décidé autrement.
« Une loi inutile affaiblissant les nécessaires », ai-je dit.
Pour apporter une réponse à un peu plus de 1 %, sur 210 000 IVG selon
l'enquête de l'INSERM - des femmes « hors délai », le projet de loi dispose
dans son article 2 que l'interruption de la grossesse ne peut être pratiquée
qu'« avant la fin de la douzième semaine de grossesse ».
M. le rapporteur souligne que la prolongation de deux semaines du délai d'IVG
ne pose pas de questions éthiques ou morales différentes par rapport aux
dispositions actuelles de la loi. On peut en convenir.
En revanche, obnubilé par des considérations idéologiques et politiques, le
Gouvernement fait fi des conséquences médicales et logistiques qui risquent
d'aller à l'encontre du but qu'il s'est fixé.
Les mises en garde ne lui ont pourtant par manqué. L'Académie de médecine et
l'ordre des médecins ont insisté sur la nécessité de précautions médicales
renforcées, l'existence d'un plateau technique chirurgical, la compétence des
intervenants et le recours à la discipline d'anesthésie-réanimation.
Pour le CCNE, « les interruptions tardives nécessitent l'aménagement de moyens
hospitaliers adéquats, actuellement insuffisants dans notre pays ».
Mme Martine Aubry a émis une contre-vérité qu'a reprise à son compte Mme
Guigou lorsqu'elle a déclaré, en juillet, que, selon les experts de l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, « il n'y a pas de
justification de santé publique à prévoir un environnement technique et médical
particulier, spécifiquement lié à la période de dix à douze semaines ».
C'est faux, monsieur le ministre. L'avis rendu par l'ANAES indique, en effet -
qui pourrait le contester ? - que les interruptions de grossesse dans les
treizième et quatorzième semaine d'aménorrhée relèvent de la technique
chirurgicale et précise que la technique médicale n'est pas recommandée, sauf
cas particulier. Il prescrit également certaines contraintes d'organisation :
une hospitalisation conventionnelle, une anesthésie péridurale ou une
anesthésie générale, une révision utérine, etc.
Je ne comprends donc pas que deux ministres prononcent des contre-vérités en
se référant à l'ANAES, dont l'autorité dans ce domaine est pourtant
reconnue.
Outre la nécessité de disposer d'un plateau technique chirurgical, le conseil
scientifique de l'ANAES précise que « deux semaines supplémentaires de
grossesse ne sont pas anodines, en particulier pour l'IVG médicamenteuse ». Le
taux de rétentions placentaires justifiant la réalisation d'une évacuation
chirurgicale de l'utérus sous anesthésie générale atteint pratiquement 10 %.
En ce qui concerne les IVG chirurgicales, le conseil scientifique de l'ANAES
ajoute ceci : « Du fait du volume foetal, la simple aspiration du contenu
utérin n'est pas toujours possible et il peut alors être nécessaire d'avoir
recours à des pinces spécifiques. »
Enfin, le professeur Nisand préconise dans son rapport de maintenir le délai
actuel et de désigner dans chaque région une structure hospitalière
spécifiquement habilitée à recevoir les patientes dépassant le délai légal. La
suite de mon propos lui donnera d'ailleurs amplement raison.
Concrètement, ces mises en garde devraient imposer au Gouvernement des
dispositions qui nécessiteront des moyens financiers supplémentaires, une
nouvelle organisation des centres d'orthogénie qui, tous, ne pourront accéder à
un niveau d'équipement suffisant pour assurer la « sécurité sanitaire » des
patientes, et des mesures permettant de répondre rapidement à la pénurie de
gynécologues et d'anesthésistes réanimateurs, deux spécialités médicales
actuellement considérées comme sinistrées.
Afin d'appréhender plus directement les conditions actuelles de fonctionnement
des centres d'orthogénie et de connaître les réactions et les intentions des
équipes pratiquant l'IVG, j'ai pris deux initiatives que je souhaite vous faire
connaître, monsieur le ministre, mes chers collègues.
J'ai interrogé, dans les conditions que je vais préciser dans un instant, les
« équipes lorraines » effectuant des IVG, tant publiques que privées - et non
pas, je le souligne, des médecins opposés à l'IVG - puis les représentants d'un
grand nombre de centres répartis sur tous l'hexagone.
Le 26 janvier, j'ai convié à Nancy des représentants des centres d'IVG de
Lorraine. La plupart d'entre eux étaient présents ou représentés.
Je souhaite vous donner lecture de la lettre d'un confrère pratiquant des IVG
qui n'avait pu se libérer mais dont la position résume clairement ce que j'ai
entendu dire à ses confrères présents.
« Cette loi est mauvaise pour plusieurs raisons.
« Premièrement, après douze semaines d'aménorrhée révolues, il nous semble que
le système nerveux de l'enfant est déjà bien formé et nous sommes convaincus,
intuitivement, que l'interruption volontaire de grossesse, surtout par la
méthode instrumentale, provoque à cet enfant des douleurs atroces qu'on
pourrait comparer chez l'adulte à l'écartèlement avec arrachement des membres,
et dilacération du tronc. C'est une réalité anatomique que personne ne pourra
contester. A noter que cette vérité choquera tout le monde parce qu'un déni
collectif sur la gravité de l'IVG s'est installé, pour contourner la difficulté
morale de l'acte, que ce soit pour la patiente, pour le médecin, pour la
famille ou pour les politiciens. C'est ce déni qui fait que le passage de douze
à quatorze semaines paraît peu de choses, alors qu'il y a une différence énorme
: la souffrance physique de l'enfant.
« Deuxièmement, après douze semaines d'aménorrhée, l'IVG devient un geste
dangereux pour la patiente, en particulier sur le plan hémorragique : nombre de
centres d'IVG avisés refuseront de pratiquer ce geste et transféreront la
patiente en CHU, surtout en raison de la centralisation des moyens
transfusionnels.
« Troisièmement, cette loi a été proposée et votée sans prendre en compte
l'avis du corps médical... Cette attitude va aggraver l'idée, parfaitement
fausse et absurde, que le médecin n'a pas son mot à dire dans les décisions en
matière d'IVG et que son rôle se limite à exécuter la décision de la patiente.
Or la loi actuelle est mal appliquée parce que le corps médical a abdiqué, dans
la pratique quotidienne, sa responsabilité dans la décision en matière d'IVG.
»
J'ajouterai ces remarques d'un autre confrère : « A quatorze semaines,
l'aspiration simple est impossible. L'IVG nécessite un protocole
d'hospitalisation de trente-six heures avec péridurale, voire quanrante-huit
heures. Une décision d'interruption de grossesse est difficile à prendre. Cela
génère un "effet seuil" visant à "tarder" jusqu'à la proximité de la date
limite la réalisation de l'acte. Ainsi, actuellement, l'essentiel des IVG
réalisées sont âgées de neuf à onze semaines. Porter la date butoir à quatorze
semaines va amener beaucoup de patientes à quatorze semaines, un grand nombre
d'actes techniques difficiles, à hospitaliser quarante-huit heures, ce que nous
n'avons pas les moyens de faire. »
Voici la principale conclusion de cette rencontre : « Si les délais
d'interruption de grossesse sont prolongés de deux semaines, nous ne pourrons
pas prendre en charge ces IVG tardives et nous les transférerons vers des
centres équipés. »
Une telle attitude unanime, je le répète, lors de la réunion de Nancy, pouvant
constituer une « exception lorraine », j'ai pensé qu'il était souhaitable
d'étendre le champ de mes investigations, ce que j'ai fait en interrogeant par
courrier deux cent vingt centres d'IVG répartis à travers toute la France.
Les questions étaient les suivantes : « Si le délai d'IVG est porté à douze
semaines, poursuivrez-vous normalement votre activité ? Assurerez-vous les IVG
au-delà de dix semaines ? Transférerez-vous les IVG tardives dans un centre
mieux équipé ? »
Le nombre de réponses à ce questionnaire très simple est déjà, par lui-même,
révélateur.
Sur un retour de 132 questionnaires sur les 220 qui ont été adressés, il
ressort que 45 centres poursuivront normalement leur activité - tout en
soulignant, pour nombre d'entre eux, les réserves d'une partie des équipes, le
besoin de moyens matériels et humains renforcés, la nécessité de former les
médecins à des techniques différentes et les risques supplémentaires encourus
par les patientes -, et 84 centres poursuivront les IVG jusqu'à la dixième
semaine, mais n'assureront pas les IVG au-delà. Sur ces 84 centres, 47
envisagent de transférer à un centre « mieux équipé » les IVG tardives. Cela
signifie, monsieur le ministre, que deux centres sur trois refusent de
pratiquer des IVG au-delà de la dixième semaine.
Les raisons de ce refus sont multiples et se conjuguent le plus souvent au
pluriel pour les centres qui ont motivé leur réponse.
Pour nombre d'équipes, la loi de 1975 était une loi équilibrée - M. le
rapporteur l'a souligné - et qui fonctionnait correctement : l'allongement du
délai est donc vécu comme une déstabilisation des équipes et du fonctionnement
actuel. La grande crainte est que, « pour permettre à quelque 5 000 personnes
qui se font avorter à l'étranger... et qui, de toute façon, dépasseront le
délai quel qu'il soit, on va mettre en l'air toute l'IVG en France ».
Le facteur risque est un facteur déterminant. « Le délai "le meilleur" est de
six à huit semaines de grossesse : il faut une information pour le dire et ne
pas faire croire que tout est normal et facile », selon un extrait d'une
réponse du centre hospitalier du Mans. « Le terme de la dixième semaine de
grossesse nous paraît être une limite largement suffisante. Au-delà, la taille
du foetus impose une technique différente, l'aspiration par une canule est
impossible, l'ossification de la tête du foetus et du corps rend le geste
médical aussi délicat techniquement que psychologiquement », selon un extrait
d'une réponse du centre hospitalier de La Ciotat. Parole de médecin, parole de
sage-femme : je voudrais citer également cette sage-femme de Lorraine, pourtant
volontaire au centre d'IVG de la maternité régionale de Nancy « pour aider les
femmes » : « c'est de la boucherie », dit-elle.
Le risque hémorragique pour la femme est largement souligné.
Le problème éthique est aussi mentionné : « A douze semaines d'aménorrhée, le
diagnostic de sexe est possible en échographie vaginale ; on pourra entendre
alors en consultation : "si c'est un garçon, je n'en veux pas" », selon le
centre d'Evry.
Il sera impossible de confier à des médecins vacataires non expérimentés un
acte techniquement plus difficile.
Pour les établisements privés se pose aussi la question de la cotation
annuelle de l'IVG. « Après dix semaines, la cotation misérable n'est pas en
rapport avec la difficulté et la responsabilité de l'acte », selon une clinique
privée de Quimper.
De nombreuses équipes plaident pour une prise en charge des IVG tardives au
cas pas cas, au besoin par une commission départementale
ad hoc
ou par
un centre référent.
Monsieur le ministre, pour que vous n'ayez pas le sentiment que j'ai tiré de
mon imagination les réponses que je viens de donner et les citations que je
vous ai imposées, je tiens à vous faire remettre par un huissier les deux tomes
contenant les réponses dont je viens de faire état, distinguant celles des
établissements qui accepteront de prendre en charge les IVG après dix semaines
- avec les conditions qui y sont suggérées - et celles - deux sur trois - des
établissements qui n'accepteront pas de le faire.
(Les documents sont remis
à M. le ministre).
Mme Odette Terrade.
Si la loi l'impose, ils seront obligés de l'accepter !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Les médecins ne sont pas des instruments !
M. Claude Huriet.
Trois constatations s'imposent.
Première constatation : aucune initiative comparable à la mienne n'a été prise
par les pouvoirs publics en vue de l'élaboration du projet de loi. Le
Gouvernement s'en est remis exclusivement aux exigences d'un lobby, enfermé
dans son idéologie, coupé des réalités du terrain et refusant même de prendre
en compte l'expérience et les inquiétudes des militants de la première heure de
l'IVG.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Claude Huriet.
Ce sont les mêmes qui ont accusé, sur la chaîne Public Sénat, le professeur
Nisand d'avoir trahi leur cause parce qu'il avait en conscience fait part de
quelques interrogations et de quelques réserves quant aux conditions de mise en
oeuvre et aux conséquences de la prolongation du délai de l'IVG. Parmi les
réponses dont j'ai fait état, la remarque : « C'est bien la première fois qu'on
nous consulte ! » revient comme un leitmotiv.
Deuxième constatation : les équipes les plus engagées dans la pratique de
l'IVG expriment un certain sentiment de lassitude. Elles affirment qu'une IVG
tardive, au-delà des particularités techniques qu'elle comporte, entraîne, pour
ceux qui la pratiquent, une charge psychologique et émotionnelle très lourde,
qui devient vite épuisante.
Troisième constatation : l'insuffisance des moyens humains et matériels
actuels est considérée comme incompatible avec la réalisation d'IVG au-delà de
dix semaines dans les deux tiers des centres interrogés. Cela signifie que la
démarche qui s'imposera consistera à transférer les femmes dans des centres
spécialement équipés. La prise en charge technique nécessitera impérativement
des moyens qu'il eût été bien préférable de dégager avant de légiférer. La
concentration d'un nombre important de ces IVG tardives sera une épreuve pour
les soignants des centres concernés et retentira inéluctablement sur l'accueil
et la prise en charge de ces patientes.
De ces constatations, une conclusion s'impose : monsieur le ministre, je vous
en conjure, ne succombez pas aux pressions idéologiques qui se sont exercées
depuis quelques mois. Bien que je tienne à votre disposition tous les éléments
que j'ai pu recueillir et que je viens de vous communiquer à l'instant, si vous
n'avez pas confiance dans un parlementaire de l'opposition, interrogez
vous-même les praticiens : à défaut de l'avoir fait plus tôt, menez une enquête
auprès des centres d'orthogénie. Vous disposerez rapidement des résultats. Ayez
le courage politique de surseoir à une décision qui va - j'en suis désormais
convaincu - à l'encontre du but que vous vous êtes fixé.
Il va de soi qu'en ce qui nous concerne, nous, membres du groupe de l'Union
centriste, nous voterons contre l'allongement du délai d'IVG.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vingt-cinq
ans après l'adoption de la loi Veil, le Parlement se réunit pour examiner la
proposition du Gouvernement d'allonger la durée légale pour l'interruption
volontaire de grossesse.
Une telle question, qui met en cause notre conception de la personne humaine,
son rapport avec la société, le sens de son existence, méritait que plus de
temps soit consacré à la préparation du débat, ne serait-ce que pour mettre la
réforme de l'IVG en perspective avec deux autres réformes tout aussi
importantes : celle de la loi sur la bioéthique et celle du droit de la
famille.
Au lieu de cela, le Gouvernement a choisi de recourir à la procédure
d'urgence. M. Delaneau, président de la commission des affaires sociales, l'a
parfaitement expliqué cet après-midi. Ce choix est d'autant plus regrettable
que le texte qui nous parvient de l'Assemblée nationale a été sensiblement
modifié, perturbant l'équilibre de la loi Veil.
En effet, des dispositions - et non des moindres - ont été ajoutées par voie
d'amendement ; je songe notamment à la stérilisation à visée contraceptive qui
mériterait de faire, avec la contraception, le sujet d'une loi.
Pour l'heure, il nous appartient de répondre à la question suivante : la
prolongation de dix à douze semaines du délai légal de l'IVG résoudrait-elle
les problèmes rencontrés par les femmes enceintes en situation de détresse ? Si
nous voulons traiter de cette question au fond, il nous faut, je crois, laisser
de côté certaines hypocrisies.
La première consiste à brandir l'étendard de la modernité pour justifier je ne
sais quel clivage. Il ne saurait y avoir, d'un côté, les vieux démons du
patriarcat, pourfendeurs des droits de la femme devant l'Eternel, et, de
l'autre, les modernes, qui font de l'IVG un fondement essentiel de la liberté
de la femme. Une caricature en chasse souvent une autre. Prenons-y garde si
nous voulons avoir un dialogue utile.
La deuxième hypocrisie est celle qui pourrait conduire certains à chercher
dans les arguments scientifiques matière à nourrir leurs certitudes. Une
certitude, c'est une conviction que l'on oublie de confronter à la réalité.
Pour ma part, je n'ai que des doutes, et rien ne me gêne plus que la référence
systématique faite aux avis de telles institutions ou aux rapports de telle
personnalité. Si autorisés soient-ils, ils ne doivent pas se substituer à la
décision politique que nous avons à prendre en conscience.
La dernière hypocrisie - à mes yeux la principale - est celle qui voudrait
nous faire croire que le débat sur l'IVG a été tranché en 1975, par crainte
sans doute de raviver la querelle. Or la seule querelle qui vaille, n'est-elle
pas celle de l'homme ? Si l'on entend par là que personne ici ne propose de
remettre en cause l'IVG, alors soit. Si l'on croit, en revanche, que son
application ne pose plus de problème, alors on se trompe lourdement.
Monsieur le ministre, je n'étais pas parlementaire en 1975, mais j'aurais voté
la loi Veil. Une chose est claire : certaines circonstances doivent nous
conduire à faire preuve d'humilité devant la détresse des femmes et à ne pas
les juger.
Après la loi Neuwirth de 1967, cette loi, adoptée, on l'oublie, sur
l'initiative du gouvernement Chirac et du président Giscard d'Estaing, a mis un
terme à une situation dans laquelle des femmes mouraient dans des conditions
inacceptables parce qu'elles n'avaient pas l'argent nécessaire pour se faire
avorter à l'étranger. C'est pourquoi je suis, sans équivoque, favorable à la
loi Veil.
En revanche, je crois que nous n'avons pas la même lecture de la loi que le
gouvernement et la majorité auxquels vous appartenez, sans doute parce que nous
n'avons pas la même conception de la personne humaine.
Ainsi, vous affirmez que le Parlement a décidé de faire de l'avortement un
droit. Or, pas plus dans les attendus de la loi que dans le débat et dans
l'argumentation de Mme Veil, il n'a été question de « droit » à
l'avortement.
Que précisait la loi du 17 janvier 1975 dans son article 1er ? « La loi
garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne
saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les
conditions définies par la loi. »
La loi Veil visait à éviter les avortements clandestins, dont un certain
nombre avaient des conséquences dramatiques sur la santé des femmes. Elle avait
posé en préambule le respect de toute vie. C'est pourquoi elle avait instauré
des mesures destinées à aider les femmes en difficulté à poursuivre leur
grossesse si elles le souhaitaient. Supprimer ces références à l'accueil de la
vie relèverait d'un choix purement idéologique.
A cet égard, ne confondons pas l'IVG et la contraception. Dans votre texte, il
est révélateur que le titre Ier porte sur l'IVG et le titre II sur la
contraception. Ne devrait-ce pas être l'inverse ?
Je comptais déposer un amendement pour rétablir un ordre plus conforme à la
réalité : d'abord l'éducation sexuelle et l'information dans le cadre de la
prévention ; ensuite la contraception ; puis l'accompagnement des femmes
enceintes ; enfin, et enfin seulement, l'IVG comme ultime solution. On m'a
expliqué que c'était difficile à envisager, sauf à réécrire le texte. Soit. Il
n'empêche que la présentation et l'ordre des arguments dans une loi n'est
jamais neutre.
Autant la contraception fonde l'autonomie de la femme qui fait le choix d'être
mère quand elle le veut - et c'est une liberté fondamentale que personne ne lui
conteste - autant l'IVG doit rester une mesure d'exception à un droit
fondamental, le droit à la vie.
Grâce à la contraception, la femme dispose de son corps, mais de son corps
seulement. Le problème évolue quand la femme porte en elle un enfant, personne
distincte, dont le devenir dépend de sa mère. Cette dépendance crée autant de
devoirs que de droits. C'est toute la différence d'approche entre nous.
Vous considérez la femme en tant qu'individu, jouissant de ses droits,
indépendante dans ses choix, assumant seule les conséquences de ses décisions.
A travers la femme, nous considérons plutôt la personne humaine qui trouve sa
dignité dans les responsabilités qu'elle contracte librement à l'égard des
autres, à commencer par son enfant.
« Querelle philosophique dépassée », me direz-vous. Je ne le crois pas. Ce que
je viens d'évoquer a des répercussions concrètes.
Par exemple, une chose me frappe dans ce débat, comme à la lecture de la loi :
c'est l'absence de l'homme, du père, du géniteur - appelez-le comme vous le
voudrez.
Je sais, j'ai l'air de découvrir une évidence. Quand une femme est conduite à
avorter, c'est souvent parce qu'elle est seule pour porter son fardeau. Mais ce
n'est pas toujours le cas.
Où qu'il soit, l'homme est aussi responsable de la grossesse. On parle sans
cesse, actuellement, de la parentalité, du projet parental. Qu'est-ce que cela
signifie si la loi fait reposer l'entière responsabilité de la décision sur la
femme ? Comment parler d'autorité parentale si nous ignorons la responsabilité
de l'homme ? Si nous sommes attachés à préserver l'autorité parentale, remise
en cause dans ce texte, c'est bien pour cette raison.
Je ne suis pas aveugle et je sais que, dans bien des cas, l'autorité des
parents ne trouve plus à s'exercer là où des jeunes, privés de leur enfance,
ont appris depuis longtemps à vivre par eux-mêmes. Est-ce une raison pour nous
résigner devant cette dérive ?
N'est-ce pas plutôt une bonne raison pour mettre en oeuvre une politique
familiale qui aide aussi les parents à remplir leur rôle ?
Comment ne pas percevoir une contradiction entre la politique que vous
préconisez, qui fait son deuil de l'autorité parentale, et celle que Mme Royal
s'efforce de mettre en oeuvre, justement pour restaurer cette autorité ?
Le texte que vous proposez ne répond pas à ces questions. Loin d'apporter une
solution aux difficultés des femmes enceintes, son application risque de poser
de nouveaux problèmes.
Que se passera-t-il pour les femmes qui auront dépassé la douzième semaine de
grossesse ? Allons-nous les abandonner à leur sort et nous défausser vers les
pays voisins où elles seront contraintes d'aller avorter, si elles en ont les
moyens financiers ? Dans quelques semaines ou dans quelques mois, n'allez-vous
pas, monsieur le ministre, nous saisir d'un nouveau texte pour reporter à
nouveau le délai ?
Nous pensons que, avant d'étendre le champ de la loi Veil, il vaudrait mieux
s'attaquer à toutes les carences et dysfonctionnements qui empêchent la loi
d'être appliquée correctement et qui expliquent que des femmes enceintes
dépassent le délai légal.
Repousser ce délai de deux semaines n'y changera rien.
Si l'application de ce texte pose un problème pour les femmes, il en posera
également pour les médecins et le personnel qui les assistent.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit quant au changement de nature de
l'acte au-delà de dix semaines, d'autant que cette question soulève des avis
contrastés dans le monde médical. Mais je constate que nombre de médecins font
jouer la clause de conscience, ce qui est leur droit le plus strict. J'observe
que l'acte d'IVG reste un acte marginalisé dont l'exécution requiert des
personnels formés, qui font aujourd'hui défaut. Si, dans nombre d'hôpitaux les
chefs de service imposent l'anesthésie générale quel que soit le stade de
grossesse, ce n'est pas un hasard.
Derrière cette réticence, c'est bien sûr la responsabilité médicale qui est en
cause, mais plus encore la conscience de porter atteinte à la vie quand on a
vocation à donner la vie.
Un problème se pose enfin pour les parents susceptibles d'être confrontés à un
choix délicat, choix que favorise le diagnostic prénatal au stade de la onzième
semaine.
Pour ma part, je n'agiterai pas l'épouvantail de l'eugénisme pour suggérer de
remettre en cause l'IVG et priver la femme de sa liberté de choix. Je dirai
simplement que, à partir du moment où les parents prennent conscience des
perspectives que leur ouvrent les progrès de la science, ils peuvent être
tentés de se dire : après un enfant si je veux, un enfant quand je veux, un
enfant tel que je le veux.
Le législateur ne peut pas ignorer ce risque. C'est tout le problème du combat
entre l'éthique et la réalité, notre combat permanent.
L'éthique veut que nous soyons tous égaux devant la vie et le droit ou non de
donner la vie. Les réalités économiques, sociales, culturelles bafouent souvent
cette éthique.
Il n'y a pas de choix éthique sans tension morale. C'est une tension entre,
d'une part, notre éthique de conviction, avec nos valeurs métaphysiques,
religieuses, personnelles, et, d'autre part, cette éthique de responsabilité
qui fait que légiférant, nous essayons de faire une loi pour tous.
Quand on parle de bioéthique et de diagnostic prénatal, c'est tout le sort des
handicapés dans notre société qui est sous-jacent. Quel regard allons-nous
porter sur eux, comment allons-nous accueillir les plus fragiles ?
Mettrons-nous le doigt dans l'engrenage de la recherche, d'abord, de l'enfant
normal, puis de l'enfant parfait ?
Comme vous, j'ai été choqué par les conclusions de la Cour de cassation dans
l'affaire Perruche. Quelle était la signification de l'arrêt rendu ? La
naissance d'un enfant handicapé constitue en soi un préjudice dès lors que l'on
pouvait avoir connaissance du handicap pendant la grossesse.
Imagine-t-on, demain, une société dans laquelle les enfants se retourneraient
contre leurs parent au moif que ceux-ci auraient eu tort de les laisser naître
handicapés ?
Sans doute me suis-je laissé entraîner dans une digression, mais, si tel est
le cas, c'est bien parce que l'allongement de la durée légale de l'IVG est
directement lié dans ses conséquences aux progrès en matière de bioéthique.
C'est aussi parce que cette dimension renvoie à notre conception de la personne
humaine, dont la dignité se fonde sur son autonomie et sur sa
responsabilité.
Au nom de cette conception, nous réclamons une politique alternative qui donne
le choix aux femmes et permette à celles qui le souhaitent de garder leur
enfant. L'IVG doit rester l'ultime recours.
La France enregistre 210 000 avortements par an, soit environ une grossesse
interrompue sur cinq. Treize à quinze Françaises sur 1 000 ont recours chaque
année à l'avortement, alors que le chiffre n'est que de huit en Allemagne, où
le délai est pourtant de douze semaines, et de six aux Pays-Bas, où il est de
vingt-deux semaines.
Personne sur nos travées ne considère comme satisfaisants ces chiffres, qui
témoignent tristement d'une exception française.
C'est pourquoi je rejoins tout à fait la proposition de la commission
d'afficher clairement dans la loi comme objectif de santé publique la
diminution du nombre d'avortements. C'est un effort dans la durée dont il
s'agit, notamment en matière de prévention, et il n'apparaît pas dans votre
texte.
Pour atteindre cet objectif, il convient d'abord de déployer une vraie
politique d'accès à la contraception. C'est non pas en érigeant des barrières
légales que la question sera résolue mais en facilitant l'accès à la
connaissance de la vie affective et sexuelle, au sens de la relation, de la
maternité et de la paternité.
Avant toute chose, il faut un nouveau regard de la société sur la
sexualité.
Il importe notamment de développer une éducation à la sexualité et à la
contraception en direction des jeunes. Je fais plus particulièrement référence
aux jeunes en lycée professionnel et en apprentissage, qui reçoivent
l'éducation à la sexualité et à la contraception la plus déficiente. C'est dans
ces filières courtes que les filles sont le plus exposées à des grossesses non
désirées, d'autant que l'âge du premier rapport sexuel est plus précoce.
Un effort doit être porté sur les centres d'information à la contraception et
à la sexualité, surtout dans les quartiers en difficulté.
Pour cela, les compétences de l'Etat, du département, des caisses d'assurances
maladie doivent être harmonisées. Il n'est pas normal, par exemple, que le
département soit chargé de l'information en matière de maladies sexuellement
transmissibles alors que l'Etat est responsable de l'information sur le virus
du sida. Dans le cadre de ses compétences sociales et scolaires, pourquoi ne
pas envisager de regrouper la protection maternelle et infantile et la santé
scolaire sous une même responsabilité ?
S'agissant de l'information des femmes et des jeunes filles enceintes, comment
ne pas réagir lorsqu'est remis en cause le caractère obligatoire de l'entretien
préalable ? Nombreux - le planning familial en tête - sont ceux qui le disent :
l'entretien préalable avec la psychologue, le travailleur social ou la
sage-femme, les moments de dialogue sont utiles aux femmes enceintes qui
hésitent. Ils lui donnent la possibilité de prendre sa décision en étant mieux
informée.
Encore faut-il créer les conditions d'accueil et d'écoute nécessaires. Or le
projet de loi passe cette question sous silence ; vous partez du postulat que
ces femmes ont déjà décidé d'avorter. Heureusement, ce n'est pas toujours le
cas ! Pour notre part, nous pensons que l'avortement n'est pas la seule réponse
à leur détresse. Les droits de la femme enceinte doivent être respectés.
La remise d'un dossier-guide par le médecin ne suffit pas pour aider les
personnes concernées, et cela d'autant moins que certaines d'entre elles savent
à peine lire et ne peuvent donc s'en servir.
L'intitulé du dossier-guide actuellement distribué n'a trait qu'à
l'interruption volontaire de grossesse alors qu'il s'adresse théoriquement à
toutes les femmes enceintes en difficulté.
Votre majorité est allée encore plus loin en supprimant toute mention aux
aides dont peuvent bénéficier les femmes qui veulent garder leur enfant.
Reste le problème de l'accompagnement des femmes enceintes en difficulté.
Le planning familial accomplit un travail considérable. A ce titre, il
bénéficie d'un soutien financier important de l'Etat. Peut-on espérer que les
associations qui aident les femmes en difficultés à avoir leur enfant reçoivent
le même soutien ? Ce serait assurer l'égalité des chances.
L'IVG est toujours le résultat d'un échec : échec personnel, mais aussi échec
de la société, qui n'a pas su protéger, comprendre, accompagner. Il arrive
alors que l'avortement soit la moins mauvaise des solutions.
Dans ce cadre, il faut que la loi Veil puisse être appliquée correctement pour
permettre de traiter les cas extêmes de manière aussi digne que possible. A
cette fin, avons-nous besoin d'étendre le délai légal ?
En France, il n'y a pas de délai limite applicable aux interruptions médicales
de grossesse réalisées pour un motif grave tenant à la femme ou au foetus. Dès
lors, pourquoi ne pas aménager le cadre de l'interruption médicale de grossesse
comme l'a proposé notamment le professeur Jean-François Mattei ?
Après la dixième semaine, l'interruption médicale de grossesse se
substituerait à l'IVG. Chaque cas serait alors soigneusement examiné au cours
d'une consultation pluridisciplinaire, selon des procédures accréditées
respectant la situation des femmes.
M. le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Veil fait
aujourd'hui partie des lois de la République. J'en approuve et j'en respecte le
principe dans la mesure où elle laisse intacte la liberté de choix de la femme
et de la mère.
Au demeurant, monsieur le ministre, je ne peux voter votre texte. Pour
expliquer mon choix, j'ai développé plusieurs raisons. Mais s'il n'en fallait
qu'une, ce serait la suivante : la solution que vous nous soumettez reflète une
vision désenchantée de la vie. Voter votre projet de loi, c'est faire de
l'avortement un postulat, une fin en soi, sans autre issue. C'est concéder que
la loi et l'Etat sont impuissants à faire évoluer la société. C'est renoncer
tout simplement à appliquer la loi Veil, et je m'y refuse.
Ce texte n'est qu'un palliatif aux insuffisances de notre société. Sous
couvert d'humanité, de tolérance et de modernité, vous confondez solidarité et
compassion, autonomie et indépendance, liberté et responsabilité. Ce n'est pas
ma conception de la société.
Aussi, je voterai les propositions de la commission, excellemment rapportées
par notre collègue Francis Giraud.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une semaine
après l'entrée de 38 000 femmes dans les conseils municipaux, nous pouvons être
fiers, parlementaires de la majorité plurielle, d'avoir, aux côtés du
Gouvernement, fait franchir un pas décisif à l'égalité hommes-femmes dans ce
pays ; Mme Elisabeth Guigou le rappelait cet après-midi.
Le sujet dont nous débattons aujourd'hui est une conquête encore plus majeure
pour les femmes puisqu'il s'agit de consolider, de renforcer ce droit
fondamental qui conditionne presque tous les autres : le droit de maîtriser sa
fécondité.
Plus de vingt-cinq ans après la loi Veil, ce projet de loi doit permettre de
faire respecter pleinement le droit à l'avortement et d'améliorer les
conditions d'exercice de ce droit, en particulier pour les femmes les plus
défavorisées ou pour les plus jeunes.
Aujourd'hui, 5 000 Françaises par an vont avorter à l'étranger parce qu'elles
ont dépassé le délai de dix semaines de grossesse, ce qui ajoute problèmes
financiers et angoisse d'un voyage vers l'inconnu à la détresse humaine.
Aujourd'hui, 10 000 mineures se retrouvent enceintes sans l'avoir désiré. Pour
certaines d'entre elles - au moins 10 % - en raison d'un contexte social ou
familial, cette grossesse est inavouable et les conséquences en sont
dramatiques, qu'il s'agisse de fugue, d'avortement clandestin dans les pires
conditions ou même d'accouchement sous X.
Notre objectif est de répondre aux situations de détresse que le système
actuel ne permet pas de traiter. Par ailleurs, l'exercice de cette liberté doit
être mieux protégé et ses entraves, avouées ou souterraines, mieux
sanctionnées.
Naturellement, contrairement à ce que voudrait nous faire croire la majorité
sénatoriale, l'intention du Gouvernement n'est pas de banaliser l'interruption
volontaire de grossesse ou, pire, d'inciter les femmes à en faire un mode de
contraception.
(MM. Flandre et Lorrain s'exclament.)
Les femmes qui ont avorté savent combien l'avortement est un choix difficile,
un événement douloureux, parfois traumatisant.
Mme Elisabeth Guigou le rappelait cet après-midi : « Il ne faut pas rendre
cette épreuve encore plus difficile à vivre par des conditions d'accès inégales
ou insuffisantes, qu'il s'agisse des délais d'intervention ou des conditions
d'accueil et d'information. »
Premier objectif : il faut traiter le problème des délais.
Le projet de loi propose d'abord d'allonger le délai légal autorisé pour
pratiquer l'interruption volontaire de grossesse de dix à douze semaines.
M. Hilaire Flandre.
En attendant !
Mme Danièle Pourtaud.
Je l'ai dit à l'instant, 5 000 femmes, chaque année, sont obligées de fuir la
France pour les pays voisins : l'avortement est autorisé jusqu'à quatorze
semaines de grossesse en Allemagne et en Belgique, seize semaines en
Grande-Bretagne et vingt-deux semaines aux Pays-Bas.
Il s'agit d'ailleurs de mettre fin à une hypocrisie, puisque de nombreux
médecins, que je tiens à saluer, préfèrent braver la loi plutôt que
d'abandonner à leur sort les femmes les plus démunies. Les centres de Roubaix,
Créteil, Colombes, Grenoble, les Lilas et, à Paris, les Bleuets, se sont
volontairement mis dans l'illégalité pour accueillir les femmes qui ont dépassé
les délais.
Je ne comprends pas l'obstination de la droite sénatoriale à rejeter cette
réforme majeure...
M. Patrick Lassourd.
Qu'en savez-vous ?
Mme Danièle Pourtaud.
... ou, plutôt, je devine les non-dits.
M. Paul Blanc.
Allons donc !
Mme Danièle Pourtaud.
Je vous ai écoutés ; à vous maintenant de me laisser parler !
(Murmures sur
les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Vous invoquez, mes chers collègues, des « risques graves » pour la santé des
femmes, et l'inexpérience des médecins. Mais, si cette intervention ne pose
aucun problème technique dans la majorité des pays de l'Union europénne, et
cela bien au-delà de dix semaines - jusqu'à vingt-deux semaines aux Pays-Bas,
je le répète - pourquoi mettrait-elle en danger la santé des Françaises ?
Soupçonneriez-vous, par hasard, nos médecins d'incompétence ? Le corps médical
appréciera !
Autre argument : vous nous parlez d'« eugénisme » d'avortement de confort. Il
est vrai que les progrès de la science sont considérables : à partir de dix
semaines, il est aujourd'hui possible de connaître les caractéristiques
chromosomiques d'un foetus. Tant mieux si l'on peut ainsi limiter le nombre des
naissances avec handicaps très lourds, mais vous en concluez que les femmes ou
les couples vont désormais se comporter, vis-à-vis de la paternité ou de la
maternité, comme des consommateurs, choisissant sexe, couleur des yeux ou des
cheveux de leur progéniture. Ce n'est pas sérieux, et vous le savez. Avoir un
enfant est d'abord un acte d'amour qui engage profondément, et cela n'a rien à
voir avec l'achat d'une voiture.
Monsieur le ministre, permettez-moi cependant de regretter l'absence de
solution pour ces quelque 2 000 Françaises qui, au-delà de douze semaines, se
retrouveront encore hors délais.
M. Paul Blanc.
Nous y voilà !
Mme Danièle Pourtaud.
Quelles que soient leurs raisons, il ne nous appartient pas de les juger. Il
me semble impossible de ne pas leur venir en aide.
Certes, il existe, pour des cas extrêmement limités, l'interruption médicale
de grossesse. La droite sénatoriale nous propose d'ailleurs d'élargir son accès
aux femmes dont « la santé psychique » est menacée. Mais, comme surpris par sa
propre hardiesse, le rapporteur propose aussitôt de limiter ce cas « au risque
avéré de suicide, à un état de détresse consécutif à un viol ou à un inceste
».
Je souhaite profondément que « les femmes en détresse », dont vous vous
souciez tant, ne puissent jamais tenir entre leurs mains ce texte que vous
voulez leur imposer. Faudra-t-il demain faire une tentative de suicide pour
avoir le droit de faire un choix qui engage toute une vie ?
M. Jean-Louis Lorrain.
N'importe quoi !
Mme Danièle Pourtaud.
Quoi qu'il en soit, il ne me semble pas acceptable de placer les femmes sous
la tutelle d'un comité d'experts pour une décision qui leur appartient si
intimement. Nous pensons que les femmes sont responsables ; vous voulez les
infantiliser. Nous voulons garantir la venue d'un enfant dans les meilleures
conditions, favoriser les enfants désirés, les « heureux événements ».
Je crois mes chers collègues, que vous avez peur de donner aux femmes leur
pleine autonomie, leur entière liberté.
M. Patrick Lassourd.
Sûrement !
M. Jean-Louis Lorrain.
Ben voyons !
Mme Danièle Pourtaud.
Je m'associe totalement à la proposition de mon collègue et ami Serge Lagauche
de créer des établissements spécialisés, formés à la pratique des IVG au-delà
des douze semaines. Si ce n'est pas le dispositif idéal, c'est une solution
humaine. Nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.
J'en viens à la deuxième situation de détresse à laquelle le projet de loi
vise à remédier : les jeunes filles mineures qui ne peuvent, en aucun cas,
compter sur le soutien de leur famille.
Je l'ai dit, 10 000 adolescentes se trouvent enceintes chaque année, et 7 000
d'entre elles avorteront.
Dans l'état actuel de notre droit, l'avortement pour les mineures nécessite
une autorisation parentale. Mais nous savons que, dans certains quartiers, dans
certaines familles, la culture et la religion interdisent toute sexualité hors
mariage. Une grossesse est susceptible de provoquer la peur panique d'une
déchéance sociale, d'un banissement, voire d'une punition physique pouvant
aller jusqu'à l'assassinat. Ne rien faire pour ces adolescentes reviendrait à
fermer les yeux sur des situations extrêmement dramatiques. Personne dans cet
hémicycle ne peut nier de bonne foi cette évidence.
M. Paul Blanc.
Personne ne la nie !
Mme Danièle Pourtaud.
Le Gouvernement propose à cet égard un régime dérogatoire, à savoir la
possibilité de recourir à un « adulte référent ». Mais la commission s'est
ingéniée à compliquer la mise en oeuvre de ce dispositif en réintroduisant la
responsabilité de l'adulte.
Pour ma part, avec mon collègue Serge Lagauche, sans remettre en cause
l'accompagnement de la mineure par un adulte si elle le désire, je défends une
position plus radicale, centrée sur la notion de majorité sanitaire. Une jeune
fille mineure peut aujourd'hui, mes chers collègues, accoucher sous X et se
voir ainsi reconnaître le droit d'abandonner son enfant. Est-il cohérent qu'on
ne lui reconnaisse pas la pleine capacité de décider, seule, de son avortement
? Nous y reviendrons dans la discussion des articles.
Troisième avancée que prévoit le texte du Gouvernement : mieux garantir
l'exercice de cette liberté qu'est l'avortement. Le rapport Nisand a dénoncé un
vrai scandale : les hôpitaux publics limitent volontairement les IVG à 25 % des
interventions chirurgicales dans les services d'obstétrique. A Paris, en
particulier, le service public ne réalise qu'un tiers des IVG, alors qu'en
province il en assure en moyenne les deux tiers. Plus de la moitié des grands
hôpitaux parisiens ferment leur centre d'IVG trois semaines au mois d'août et
92 % des femmes sont alors contraintes à se tourner vers les cliniques privées
!
Par ailleurs - nous ne pouvons plus l'ignorer - l'interruption volontaire de
grossesse est une pratique très dévalorisée dans le milieu médical. La moitié
des médecins travaillant en centre d'IVG sont volontaires et vacataires,
rémunérés au temps de travail, 200 francs la demi-journée. Je sais que le
Gouvernement réfléchit à ce problème, monsieur le ministre. J'espère que des
mesures seront rapidement mises en oeuvre.
Soyons clairs : il ne s'agit pas de remettre en cause la clause de conscience,
mais obligation doit être faite aux médecins de réorienter les femmes vers l'un
de leur confrère.
M. Jean-Louis Lorrain.
C'est ce qu'ils font !
Mme Danièle Pourtaud.
Autre garantie essentielle : la sanction du délit d'entrave, instauré par la
loi Neiertz de 1993, que mes collègues députées ont élargi à toute forme de «
pressions morales et psychologiques ». Dans le même esprit, le groupe
socialiste du Sénat défendra un amendement obligeant les directeurs
d'établissement à porter plainte, de manière que les commandos anti-IVG, dont
les membres sont depuis longtemps connus des services de police, soient enfin
poursuivis et condamnés.
Quant à l'entretien préalable obligatoire, il était nécessaire de mieux
l'adapter à la réalité des besoins des femmes. Beaucoup trop de femmes l'ont
vécu comme la remise en cause de leur décision. Il faut cesser de culpabiliser
les femmes en les obligeant à se justifier. Nous savons aussi que certaines
femmes ont besoin d'une écoute et demandent un véritable soutien psychologique.
C'est pourquoi nous souhaitons non supprimer cet entretien, mais le rendre
facultatif, ...
M. Hilaire Flandre.
Et voilà !
Mme Danièle Pourtaud.
... et cela, avant comme après un avortement.
Je ne saurais achever mon propos sans souligner l'apport de l'Assemblée
nationale à travers le vote d'un amendement qui n'a rien de symbolique. En
sortant les dispositions relatives aux pratiques illégales de l'interruption
volontaire de grossesse du code pénal pour les transférer dans le code de la
santé, nos collègues députées ont conforté l'instauration d'un « droit à
l'avortement ».
Avant de conclure, je soulignerai le rôle essentiel que doit jouer l'Etat en
matière de prévention et d'information. Nous l'avons tous constaté, le nombre
d'avortements a trop faiblement diminué en vingt-cinq ans, passant de 250 000
en 1976 à 214 000 en 1998. Il aurait même fortement augmenté chez les mineures
depuis 1990.
A l'opposé, les Pays-Bas, avec le délai le plus long de tout le continent pour
pratiquer une IVG, ont le plus faible taux d'avortements d'Europe : on y
dénombre ainsi trois fois moins d'IVG qu'en France, et cela grâce à une
politique de sensibilisation à la sexualité et à la contraception dès le plus
jeune âge.
M. Hilaire Flandre.
C'est par là qu'il faut commencer !
Mme Danièle Pourtaud.
Tout à fait !
Il est clair que l'éducation sexuelle en France, limitée à une heure annuelle
au collège, en classe de biologie, doit devenir une priorité absolue, comme le
prévoit d'ailleurs ce projet de loi.
Nous aurons aussi à nous battre contre l'ignorance. Il est anormal
qu'aujourd'hui encore un tiers des femmes n'utilisent aucun moyen contraceptif.
Il est tout autant anormal que 15 % des filles de moins de dix-huit ans n'en
utilisent pas lors de leur premier rapport sexuel. Trop d'adolescentes ne
savent pas ce qu'est un planning familial et 60 % des femmes demandant une IVG
ne connaissent pas la contraception d'urgence.
Nous devons également conbattre certains clichés. Non, il n'est pas vrai que «
la pilule fait grossir », en tout cas pas la pilule de la troisième génération.
Non ce n'est pas « l'association pilule-tabac » qui est dangereuse pour la
santé ; c'est bel et bien la consommation excessive de tabac !
Il reste que certains contraceptifs sont encore trop chers. Une pilule de
troisième génération remboursée sera enfin mise sur le marché dans quelques
mois. Vous nous l'avez confirmé cette après-midi, madame la ministre, et je
crois qu'il faut en féliciter le Gouvernement.
Mes chers collègues, l'ambition du Gouvernement est triple : développer la
prévention, dédramatiser l'IVG et garantir son accès à toute les femmes.
Nous ne sommes pas une académie de morale : nous sommes au Parlement ! Ce
texte a pour ambition de mieux garantir une liberté essentielle des femmes de
ce pays. J'espère que la droite sénatoriale ne se trompera pas de combat et
aura à coeur de nous suivre dans cette démarche.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, en préalable, je dois vous préciser que je m'exprime ici à
titre tout à fait personnel et non pas au nom de mon groupe.
Il aurait été plus conforme à la nature des choses que, dans ce texte, la
conception et la contraception viennent avant la grossesse. Peut-être
faudrait-il que la politique, enfin, retrouve un peu de logique, sinon
d'humanité !
Une fois de plus, je vais dire que l'avortement n'est pas une forme de
contraception. La contraception est un acte volontaire, réfléchi, un acte
d'amour qui concrétise l'union de deux êtres, lesquels ajoutent à leur projet
de vie celui d'un enfant désiré, souhaité, dont ils veulent le bonheur. C'est
aussi la manifestation de la liberté et de la maîtrise de la sexualité de
chacun. Cependant, l'accomplissement de l'acte sexuel n'implique une naissance
que si chacun a la volonté qu'il en soit ainsi.
J'évoquerai d'abord ce qui aurait dû constituer la première partie de votre
texte.
Transmettre la vie est un acte considérable. Ce doit être un acte lucide,
l'exercice d'une véritable responsabilité vis-à-vis de l'être appelé à naître.
On ne peut mettre au monde cet être sans envisager quelle sera sa place, ses
chances, sans savoir s'il aura un berceau, une famille, un avenir. Que diable !
Nous sommes entrés dans le xxie siècle ! On pourrait en douter ! Ne serait-il
pas temps de sortir de l'irresponsabilité ? C'est un choix à faire. Encore
faut-il avoir la capacité de le faire.
Malheureusement, dans notre pays - et on le voit au nombre d'interruptions
volontaires de grossesse -, les adolescentes comme les adolescents n'ont pas
reçu une information, une éducation concernant ce pouvoir créateur qui est le
leur, celui de transmettre la vie.
Je sais que l'on bute encore sur la difficulté, voire le malaise qu'éprouvent,
pour des raisons de pudeur, certains parents à expliquer que cette transmission
de la vie tient à deux facteurs indissociables qui sont la sexualité et la
fécondité, alors même que l'une et l'autre sont désormais totalement
maîtrisables, pour peu que l'on soit bien informé.
Mais ces adolescents, qui les a mis en garde en temps utile ? Qui leur a
expliqué simplement, naturellement, ce processus de la transmission de la vie,
lequel, depuis la nuit des temps, immuablement, assure la survie de l'humanité
?
N'est-ce pas, dans notre pays, un problème culturel ?
C'est pourquoi il n'y a rien de plus urgent que de remédier à l'insuffisance
criante de cette information, de cette éducation, qui relève à la fois des
parents et de l'école. Un effort conjoint et coordonné entre les deux est
nécessaire, sinon indispensable. J'ai déposé un amendement à ce sujet.
Je pense qu'aujourd'hui tout le monde est d'accord pour reconnaître que, dans
un tel domaine, l'information ne peut se résumer en quelques images
télévisuelles, quelles que soient les qualités de la société de communication ;
la transmission de la vie ne peut s'expliquer seulement à la façon dont on
lance une marque de fromage !
Par ailleurs, il convient de guider les jeunes filles vers un suivi médical et
gynécologique, étape indispensable à un double titre : d'abord, pour la
connaissance de son propre corps, ensuite pour la sécurité par le dépistage,
car on sait quels ravages produisent des cancers féminins. C'est pourquoi je
pense que, en tout état de cause, une première visite s'impose, même si les
contraceptifs sont en vente libre. C'est une question de protection et
d'hygiène de vie. Mes chers collègues, avant d'acheter une première voiture, il
n'est pas inutile d'apprendre comment fonctionne la mécanique !
Quant à la deuxième partie de ce texte, elle n'est pas la révision des
législations précédentes. Sur le fond, le débat a eu lieu. La loi Veil a réglé
le problème : le concept de vie n'est plus en question. A la phase
philosophique succède aujourd'hui la phase thérapeutique, qui ne peut être la
révision de la première.
En réalité, ce projet de loi se voudrait être la tentative de résolution des
troubles de la société par une morale pragmatique. Cet essai peut-il réussir
tel quel et, si j'ose m'exprimer ainsi, « brut de décoffrage » ? Je ne le pense
pas.
C'est pourquoi je suis de ceux qui regrettent que l'urgence ait été déclarée
et qu'il n'y ait pas de navette entre nos deux assemblées. Je suis certain que
le résultat aurait été positif.
(Applaudissements sur certaines travées du
RPR et de l'Union centriste.)
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
C'est l'habitude !
M. Lucien Neuwirth.
Tout d'abord, il est établi que l'Etat a failli deux fois à ses devoirs. Il a
failli une première fois dans la mise en oeuvre de la contraception, et j'ai
hurlé dans le désert pendant vingt ans. Il a failli une seconde fois en
n'assurant pas la réalisation des missions prescrites par la loi au délai des
dix semaines prévues.
En effet, les articles 13 et 14 de la loi Veil du 17 janvier 1975, qui sont
devenus les articles L. 2214-2 et L. 2311-3 du code de la santé publique sont
clairs.
L'article L. 2214-2 est ainsi rédigé : « En aucun cas l'interruption
volontaire de la grossesse ne doit constituer un moyen de régulation des
naissances. A cet effet, le Gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires
pour développer l'information la plus large possible sur la régulation des
naissances, notamment par la création généralisée, dans les centres de
protection maternelle et infantile, de centres de planification ou d'éducation
familiale et par l'utilisation de tous les moyens d'information.
« La formation initiale et la formation permanente des médecins, des
sages-femmes, ainsi que des infirmiers et des infirmières, comprennent un
enseignement sur la contraception. »
Quant à l'article L. 2311-3, il est ainsi libellé : « Chaque centre de
planification ou d'éducation familiale constitué dans les centres de protection
maternelle et infantile sera doté des moyens nécessaires pour informer,
conseiller et aider la femme qui demande une interruption volontaire de
grossesse. »
Les auditions auxquelles notre excellent rapporteur, Francis Giraud, a procédé
ont révélé les dysfonctionnements, que je connaissais déjà et qui étaient
repérés depuis longtemps, dans les structures chargées d'accueillir les femmes
en demande d'IVG : manque de personnels médicaux et paramédicaux - soit dit en
passant, sous-indemnisés, souvent critiqués, voire menacés -, délais
d'entretiens trop longs à obtenir...
Mme Odette Terrade.
Absolument !
M. Lucien Neuwirth.
Je vous le demande, mes chers collègues, comment condamner à comparaître
devant une commission pluridisciplinaire...
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Lucien Neuwirth.
... des femmes qui auront dépassé de moins de quatorze jours le délai légal,
alors que ce dépassement est dû principalement aux dysfonctionnements établis
des services dont l'Etat a la responsabilité ?
MM. Patrick Lassourd et Paul Blanc.
Très bien !
Mme Danièle Pourtaud.
Voilà !
M. Lucien Neuwirth.
Tant qu'il n'aura pas été remédié en priorité à ces dysfonctionnements, dans
l'état actuel de notre législation, les femmes devront-elles être une fois de
plus les victimes expiatoires de nos propres insuffisances ?
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Très bien !
M. Lucien Neuwirth.
Les dix semaines prévues dans la loi Veil, au terme de minutieuses réflexions
et consultations, auxquelles j'ai participé, étaient accompagnées par la
certitude - c'est important - que tous les moyens de soutien psychologique,
social et médical seraient mis en place dès la promulgation de la loi. Dérision
! En vingt-six ans, laxisme, irresponsabilité et imprévisions budgétaires nous
ont conduits à la situation présente.
M. Claude Huriet.
Eh oui !
M. Lucien Neuwirth.
La loi Veil, prudente, prévoyait son réexamen dans un délai de cinq ans. Mon
amendement, plus modestement encore, prévoit un délai de trois ans - c'est un
problème d'autorité de l'Etat et de volonté de l'administration ; on se demande
d'ailleurs, quelquefois, si la France est gouvernée ou administrée ! -...
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre.
C'est bien dit !
M. Lucien Neuwirth.
... un délai de trois ans, donc, pour qu'enfin toutes les structures d'accueil
indispensables soient mises en place et que puisse être respecté le délai de
dix semaines convenu depuis vingt-six ans, étant entendu que le dispositif que
propose le rapporteur du Sénat au-delà, en cas de dépassement, sera mis en
oeuvre.
Lorsque ces dysfonctionnements auront été corrigés, lorsque le délai de dix
semaines pourra être respecté, on peut penser logiquement que les choses
rentreront dans l'ordre : aucune femme n'ira par plaisir vers les douze
semaines, et donc vers une chirurgie gynécologique : au-delà de dix semaines,
l'embryon devenant foetus, l'acte change en effet de nature.
Mais commençons par le commencement, même si ce que nous avons à entendre
n'est pas plaisant : le trop grand nombre d'IVG dans notre pays nous
interpelle, et la France a mauvaise conscience. Elle le peut !
A l'époque où la République avait encore du souffle, deux lois qui allaient à
contre-courant des idées reçues furent votées : d'abord, la loi de 1967 sur la
contraception, puis, sept ans plus tard, la loi Veil concernant l'interruption
de grossesse en cas de détresse ; les deux textes sont complémentaires. Les
débats furent denses, parfois pathétiques, mais, finalement, le Parlement en
admit les principes et nous n'y reviendrons pas.
Mais comment respecter une loi quand on ne lui donne pas les moyens d'exister
?
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Un sénateur de l'Union centriste.
Tout à fait d'accord !
M. Lucien Neuwirth.
En réalité - et qui pourrait prétendre le contraire ? -, le problème de la
grossesse non désirée se situe en amont, c'est-à-dire au moment de la
conception.
Je m'exprimerai sur les autres thèmes du projet de loi lors de la discussion
des articles.
Madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'humanité a
connu au fil des siècles l'infanticide, l'abandon et le sort peu enviable de
ceux qu'on appelait les « bâtards », puis l'avortement.
Aujourd'hui, la connaissance, la contraception, nous permettent d'accueillir
dans la sécurité le petit de l'homme, ce petit de l'homme du xxie siècle qui,
si nous le voulons bien, marchera dans la lumière d'un nouvel humanisme.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, il n'est pas anodin de prendre la parole après M. Lucien Neuwirth.
C'est pour moi un honneur et un devoir d'humilité.
Dans notre société, le droit à l'interruption volontaire de la grossesse est
désormais acquis, et les membres de mon groupe n'ont nullement l'intention de
le remettre en cause. Le combat des femmes et de leurs associations a permis de
conquérir un droit plein et entier à l'avortement.
Le projet de loi qui est soumis aujourd'hui à notre approbation par le
Gouvernement avait pour objectif initial d'aménager la loi Veil afin de tenir
compte, d'une part, de la détresse des 5 000 femmes qui, chaque année, se
trouvent hors délais et doivent se rendre à l'étranger pour y subir une IVG et,
d'autre part, de celle des jeunes filles mineures qui ne peuvent obtenir le
consentement parental.
Mais les discussions en séance publique à l'Assemblée nationale, en novembre
dernier, ont abouti à modifier profondément le texte du projet de loi initial.
En effet, d'un aménagement de la loi Veil, on est passé à une réécriture
complète de celle-ci, ce qui, en réalité, en transforme complètement
l'équilibre et la logique.
En fait, deux conceptions de l'IVG s'opposent : d'un côté, l'affirmation d'un
droit absolu de la femme, de l'autre, la reconnaissance d'un devoir de la
société, celui de répondre à la détresse de certaines femmes confrontées à une
grossesse non désirée.
L'Assemblée nationale et sa majorité plurielle ont donc transformé un devoir
de la société à l'égard des femmes en détresse en un droit absolu des femmes à
disposer de leur corps. Plusieurs amendements, adoptés par l'Assemblée
nationale sur proposition de la commission, modifient radicalement l'équilibre
de la loi : ainsi, les références à l'aide apportée aux femmes enceintes
désirant poursuivre leur grossesse ont été supprimées du dossier guide, tandis
que l'entretien préalable à toute intervention a été rendu facultatif, sauf -
il faut le reconnaître - pour les mineures.
L'IVG est donc devenue un droit absolu ne supportant aucune entrave. Par là
même, le Gouvernement fait de l'affirmation de ce droit un combat idéologique,
prétendument dans l'intérêt des femmes.
Or, l'affirmation de ce droit est, semble-t-il, contraire à l'esprit de la loi
Veil, dont l'article 1er réaffirmait le respect de tout être humain dès le
commencement de la vie. L'IVG constituait une exception à ce droit fondamental,
mais une exception nécessaire au regard de la prise en compte par la société de
la détresse de certaines femmes.
La liberté des femmes, c'est de prendre leur décision de façon éclairée en
ayant bénéficié de toutes les informations. Or, la suppression du caractère
obligatoire de l'entretien préalable restreindra ces possibilités d'information
et, surtout, de dialogue. L'entretien préalable représentait l'occasion pour la
femme de mettre en mots sa souffrance, de dénouer des situations difficiles,
pour pouvoir ensuite mieux assumer son choix. Plutôt que de le supprimer, il
eût été préférable d'améliorer la formation de ceux qui l'assurent et
d'augmenter les structures d'accueil dont la défaillance est connue.
L'IVG est toujours une situation de détresse où la femme - voire le couple,
car, souvent, les jeunes hommes accompagnent les jeunes filles aux
consultations - est aux prises avec des émotions tout à fait contradictoires.
L'entretien préalable est souvent la première possibilité de parler de soi de
façon personnelle et approfondie, il apporte une aide psychologique dans une
situation de crise, un soutien à la réflexion et à la décision : il n'est en
rien une tentative de dissuasion ou de banalisation. C'est en tout cas ce qui
ressort des différents entretiens que j'ai pu obtenir.
Les conseillères conjugales sont des femmes exceptionnelles qui sont là pour
informer, conseiller, soutenir, aider, enfin, pour accompagner lorsque la
décision d'IVG est prise. Leur rôle est essentiel aussi bien avant qu'après.
Pour la très grande majorité des femmes, le recours à l'avortement est
accidentel. Elles ont donc besoin d'un accompagnement moral pour traverser
cette épreuve.
La liberté de choisir des femmes, c'est aussi qu'elles aient la possibilité de
poursuivre leur grossesse si elles le désirent. En supprimant toute référence
aux aides apportées aux femmes enceintes en difficulté désirant poursuivre leur
grossesse, le projet de loi va, à mes yeux, à l'encontre de la liberté des
femmes, qui exige qu'elles puissent bénéficier de la totalité des solutions et
non pas seulement d'une partie.
En supprimant les références à l'accueil de la vie, l'Assemblée nationale a
complètement dénaturé la loi et placé le texte hors des préoccupations réelles
des femmes, qui ont besoin d'être écoutées et entourées. Il ne s'agit pas
d'exercer sur elles des pressions dans un sens ou dans l'autre, la loi Veil est
claire sur ce point, il s'agit de donner le choix. Et souvent, les références
que nous avons entendues sur ce sujet, en particulier au sein de la délégation
aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes, émanaient de prestataires qui, pour partie, avaient été choisis de
manière tout de même très orientée, si bien que nous avons constaté un certain
déséquilibre dans les avis entendus. Les personnes que nous avons auditionnées
étaient généralement, c'est vrai, des spécialistes nationaux sélectionnés - Mme
la ministre l'a rappelé dans son préambule - mais qui confondaient souvent
militantisme et expertise.
Les femmes qui ont décidé d'avorter doivent pouvoir le faire le plus tôt
possible. Or, cela exige que soient mis en place des moyens supplémentaires en
matière d'accès aux soins. Mais - d'autres l'ont dit avant moi - rien n'est
prévu en matière de revalorisation du montant de la vacation ou du statut du
praticien pour tenir compte de la pénibilité du travail.
Il faut également permettre aux femmes de choisir la méthode d'intervention.
L'IVG médicamenteuse est encore trop peu utilisée : dans 20 % des cas
seulement. Alors que l'association de la voie médicamenteuse et de la voie
intravaginale peut être utilisée jusqu'à la dixième semaine, la plupart des
médecins préfèrent encore utiliser des anesthésies générales.
Je voudrais également faire observer que le coût d'un test de grossesse en
pharmacie est exorbitant, puisqu'il s'élève à 150 francs environ. Cela ne
facilite pas les choses, même si là n'est pas le fond du problème !
La vraie liberté de la femme n'est-elle pas de maîtriser sa fécondité et de ne
pas avorter ?
L'accès à la contraception doit être facilité, et chacun est d'accord sur ce
point. La suppression de la prescription médicale qui est envisagée pour les
contraceptifs hormonaux suscite un certain nombre d'inquiétudes ; cela justifie
que la prescription soit maintenue, au même titre que pour les contraceptifs
intra-utérins.
Par ailleurs, la consultation médicale, vous le savez, permet au médecin de
procéder à divers examens, dans une démarche de prévention. Il s'agit non pas
de les multiplier à tout va, mais de les concentrer plus particulièrement sur
le tabac, le cholestérol et l'hypertension, ou encore sur le dépistage du
cancer du sein et du col de l'utérus. De plus, l'entretien entre le médecin et
la femme est l'occasion de définir la contraception la mieux adaptée et la
mieux supportée.
Nous sommes d'accord : le nombre des IVG - 220 000 par an, soit une pour trois
naissances - reste trop élevé dans notre pays. Le faire baisser ne relève pas
d'une mission impossible. Aux Pays-Bas, nous dit-on, sont pratiqués trois fois
moins d'avortements qu'en France ; mais ajoute-t-on que, si les cliniques y
sont aussi florissantes, c'est qu'elles font payer ce type d'interventions ?
Précise-t-on que la stérilisation y est beaucoup plus répandue qu'ailleurs ?
Les comparaisons entre pays peuvent être interprétées de bien différentes
façons !
En matière d'information, tout est à faire, et les quelques dispositions
prévues par le projet de loi sont malheureusement bien timides. Les jeunes
doivent pouvoir bénéficier d'une éducation répétitive à la sexualité qui soit
dispensée de préférence en milieu scolaire, milieu beaucoup plus favorable que
les centres de planification et d'éducation familiale : en effet, il faut aller
chercher les jeunes là où ils se trouvent, dans leur univers, dans leur
quotidien, et ne pas leur demander de faire eux-mêmes la démarche de se rendre
dans un centre de planning, car on sait très bien qu'ils ne le feront pas.
La responsabilité des adolescents à l'égard de leur sexualité passe par une
information de qualité dans une démarche de prévention. Or, comme nombre
d'entre nous l'ont dit, l'éducation sexuelle reste particulièrement
insuffisante dans notre pays. De plus, elle doit faire face - il faut le dire -
à une réticence du corps enseignant ainsi qu'à une insuffisance de moyens :
elle est donc souvent réduite à quelques heures au cours de la scolarité, ce
qui, au fond, ne rime pas à grand-chose.
Pour être efficace, l'éducation sexuelle doit être précoce, continue et faite
par des professionnels. Seul un temps suffisant consacré à l'éducation et à la
santé avec des interlocuteurs ayant eu la formation requise et avec des
intervenants extérieurs à l'établissement, comme les centres de planification,
permet d'initier à la sexualité et à la contraception.
Quant aux méthodes contraceptives, elles restent trop chères et sont encore
peu diversifiées. La grande majorité des femmes ont recours à la pilule, alors
qu'il s'agit d'une méthode relativement contraignante, qui n'est pas forcément
adaptée à toutes les femmes, notamment aux jeunes filles qui ont une sexualité
irrégulière, voire intermittente. De fait, la grande majorité des IVG est
encore due à un échec de la contraception.
L'allongement des délais, proposé par le Gouvernement, ne peut constituer
qu'une solution partielle. S'agit-il d'une loi idéologique ? Peut-être. Ou bien
cherche-t-on à évacuer le problème du manque de moyens, notamment la pénurie de
praticiens et d'anesthésistes, qui amène nombre de femmes à se retrouver hors
délais faute d'avoir pu trouver à temps les réponses appropriées ?
Plutôt que de se donner les moyens pour assurer la mise en oeuvre dans les
meilleures conditions de la loi Veil, le Gouvernement semble nous proposer une
fuite en avant. En effet, loin de résoudre la situation de cinq mille femmes
hors délai, cette solution risque en réalité d'aggraver les difficultés
qu'elles peuvent rencontrer en matière d'accès aux soins.
M. Paul Blanc.
Absolument !
M. Jean-Louis Lorrain.
En effet, de par le changement de nature de l'intervention, qui devient
chirurgicale à partir de douze semaines, certains médecins qui pratiquent
aujourd'hui des IVG ne se sentiront pas capables de procéder à cette
intervention au-delà du délai actuel de dix semaines.
A ce propos, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse s'agissant d'un organisme
que je respecte beaucoup et qui est de grande qualité : il s'agit de l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Si j'en crois un
journaliste du
Quotidien du médecin
, cet organisme, qui a rédigé un
rapport relatif aux risques sur le plan physique que représente l'IVG au-delà
du délai légal, émet quelques timides réserves quant à l'avortement de type
médicamenteux. De surcroît, le journaliste, quelque peu impertinent, écrit que,
si les sénateurs veulent faire de l'obstruction à l'IVG, c'est parce qu'ils
n'ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. Mais nous ne voulons pas faire
d'obstruction à l'IVG ! Cependant, nous aurions souhaité que l'ANAES soit un
peu plus objective en ce qui concerne les risques liés au prolongement du délai
légal pour l'IVG. Certes, il est précisé que l'IVG de type médicamenteux n'est
pas anodine, mais la pratique est en quelque sorte banalisée. On peut dire que
nous émettons simplement quelques réserves, affirme un expert de l'ANAES, selon
le
Quotidien du médecin
en date du 31 janvier 2001. Monsieur le
ministre, malgré d'autres sources dont vous disposez, votre information sur ce
point méritait mieux. Il est dangereux de modifier la nature des
interventions.
M. Huriet, en nous faisant part de statistiques, a poussé un cri de vérité
s'agissant de ce que pensent les médecins. Dans la région de Mulhouse, 1 200
IVG sont pratiquées par an, soit plus qu'à Strasbourg. Les équipes sont dans un
état de souffrance alors qu'elles jouent particulièrement le jeu.
L'un de nos collègues vantait les mérites des équipes d'IVG de Colombes, qui
font bien leur travail. Selon le journal que je citais voilà quelques instants,
certains membres de centres d'IVG affirment de façon terrible : « Nous sommes
des avorteuses heureuses. » Quelques lignes plus loin, on parle d'une équipe
d'intervention de la région de Colombes. Si j'ai pris cet exemple parmi les
dizaines d'articles que nous avons pu lire, c'est parce que ces équipes disent
qu'elles ne sont pas en état de souffrance lorsqu'elles font des IVG. Or, je
puis vous assurer que la majorité de ceux qui pratiquent des IVG sont en état
de souffrance. Il est tout de même des références que l'on pourrait éviter !
Sur les 5 000 femmes hors délais qui se rendent à l'étranger pour pratiquer
une IVG, près de 60 % se retrouvent déjà au-delà de douze semaines.
L'allongement de deux semaines ne va donc en rien régler le problème. En effet,
on laisse de côté celles qui ont le plus besoin d'aide, qui sont dans la plus
grande détresse.
Par ailleurs, l'allongement des délais va créer de nouveaux risques
d'interférences avec le diagnostic prénatal ; mais je n'irai pas plus loin et
je ne parlerai pas d'eugénisme. En effet, en France, contrairement à ce qui se
fait chez nos voisins européens, la première échographie se pratique de manière
quasi systématique à partir de la dixième semaine de grossesse, et de manière
systématique à partir de la onzième.
Lors de l'échographie, dans au moins 5 % des cas, soit 40 000 grossesses par
an, le praticien soupçonne des pathologies potentielles, qui disparaissent
souvent par la suite, mais dont il a le devoir d'informer le couple. Imaginez
la réaction du couple à qui on communique une information de ce type !
Si la loi est adoptée, les médecins envisagent de reculer d'autant la première
échographie, ce qui aurait d'autres incidences médicales.
Enfin, s'agissant de la question de l'aménagement de l'autorisation parentale
pour les mineures, de nombreuses incertitudes subsistent. En effet, la question
de la responsabilité de l'adulte référent n'est toujours pas réglée et pose un
grand nombre de problèmes, notamment juridiques. Le Gouvernement s'est contenté
d'affirmer que cette question, pourtant essentielle, serait traitée dans le
cadre de la réforme de l'aléa thérapeutique. Or, cette réforme est loin d'être
achevée et elle a déjà été plusieurs fois repoussée. Cela risque d'aller à
l'encontre des jeunes filles, car certaines personnes seront peut-être
réticentes pour assumer la responsabilité d'adulte référent en l'absence de
cadre juridique clair. J'ai bien entendu ce qui a été dit par Mme la ministre.
Malgré toutes ses assurances, je ne suis pas convaincu, notamment en cas d'IVG
pratiquée après dix semaines, puisqu'il s'agira alors d'un acte chirurgical
avec anesthésie et ses aléas.
Par ailleurs, l'interruption volontaire de grossesse est une épreuve
particulièrement douloureuse pour une mineure, qui doit pouvoir bénéficier du
soutien de ses parents, tout au moins de l'un de ses parents. Cette épreuve
peut être l'occasion de renforcer des liens entre les parents et leur fille.
Souvent, au début, la situation semble bloquée et dramatique. Or, après un
contact, après des rapports humains très forts, on peut, par le dialogue,
libérer le noeud qui s'est constitué.
La loi Veil pose le principe de l'obligation du consentement de l'un des
titulaires de l'autorité parentale pour la jeune mineure qui veut subir une
IVG, comme pour n'importe quelle intervention médicale, sauf en cas
d'urgence.
Malheureusement, il existe des situations où la jeune fille ne peut pas en
parler à ses parents : soit parce qu'il y a démission parentale, soit parce que
les parents ne sont pas là et ne peuvent donc assumer leur responsabilité
parentale. Mais il est aussi des situations, certes peu nombreuses, mais
toujours extrêmement douloureuses, dans lesquelles la santé physique et
psychologique de la mineure serait sérieusement en danger si les parents
étaient consultés. Il s'agit là de situations de détresse et elles doivent bien
sûr être prises en compte et réglées au cas par cas. Ces situations ne
représentent pas la majorité des cas, mais - il ne faut pas le nier - ils
existent. Cependant, est-il judicieux de légiférer pour une petite minorité, au
détriment de l'ensemble ? En tout état de cause, il est essentiel d'obtenir le
consentement de l'un des deux parents dans le propre intérêt de la jeune
fille.
Pour terminer, j'évoquerai les amendements de la commission des affaires
sociales de l'Assemblée nationale, adoptés en séance publique en novembre
dernier, relatifs à la stérilisation à visée contraceptive des personnes
majeures et des handicapés mentaux. Il s'agit là d'un sujet extrêmement
sensible qui soulève un certain nombre d'enjeux éthiques et médicaux, et non
pas moraux, comme on l'a encore entendu cet après-midi ! Cela aurait mérité un
vrai débat et la consultation de spécialistes. Le principal intérêt de la
stérilisation est d'éviter les IVG après trente-cinq ans, qui représentent 21 %
des IVG. C'est un chiffre important. On cherchait une façon de réduire les IVG
; c'est une manière de le faire.
De plus, la charte européenne des droits fondamentaux, qui vient d'être
adoptée au sommet de Nice, sous présidence française, interdit toute
discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur et le handicap, à
l'article 21 ; elle reconnaît le droit des personnes handicapées non seulement
à leur intégration sociale et professionnelle, mais aussi, dans son article 26,
à leur participation à la vie de la communauté.
Telles sont les raisons pour lesquelles les membres de mon groupe et moi-même
sommes très réservés sur les dispositions adoptées. Environ 30 000
stérilisations ont lieu en France chaque année, en dépit d'un encadrement
juridique peu clair, qui laisse la porte ouverte à de possibles dérives.
Le consentement des personnes handicapées devra donc systématiquement être
recherché ; à défaut, la stérilisation sera décidée par le juge des tutelles.
Il semble, à nos yeux, pourtant essentiel que le juge entende auparavant les
parents ou le représentant légal de la personne.
Je voudrais, avec les membres du groupe de l'Union centriste, rendre hommage
au travail de la commission des affaires sociales et à son rapporteur, notre
collègue Francis Giraud, avec lequel nous avons pu travailler pendant plusieurs
semaines. M. Giraud a su dépassionner le débat et proposer à notre assemblée
les meilleures réponses possibles à l'ensemble de nos interrogations, avec,
croyez-le, beaucoup d'humanité et de clairvoyance.
Notre groupe apportera donc son soutien aux amendements de la commission qui
permettent de rétablir la logique et l'équilibre de la loi présentée voilà
vingt-cinq ans par Mme Veil, à laquelle je souhaite d'ailleurs rendre hommage
aujourd'hui à cette tribune. Si un aménagement de la loi de 1975 apparaît
désormais nécessaire, il ne faut pas pour autant, comme veulent le faire le
Gouvernement et sa majorité, changer radicalement l'esprit de cette loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, vers quel destin personnel avancent les deux cent vingt mille femmes
qui ont recours à l'avortement chaque année ? Chacune parviendra-t-elle à
construire un avenir serein, débarrassé de toute détresse pour elle-même ? Qui
les gardera de s'enfoncer dans une spirale de détresses accumulées ? Quel peut
être simultanément le destin collectif de la société qui ne les retient pas sur
cette pente, si même elle ne les y incite pas indirectement ? Où cette société
trouvera-t-elle demain la garantie de la paix pour elle-même quand l'Etat
organise le pouvoir unilatéral d'avorter, sans défendre l'être humain
embryonnaire ? Qui la protégera de ses propres contradictions et de
l'anéantissement qui ne peut qu'en résulter ? Où sont les signes d'un mouvement
en sens inverse fondateur d'un véritable espoir en l'avenir ? Pouvons-nous en
effet espérer sérieusement croître en liberté en prétendant guérir des
détresses par la suppression des vies humaines ? L'avortement n'est pas
seulement un drame personnel, c'est aussi un malheur collectif. On le répète
mais on ne le prend pas suffisamment au sérieux. Aujourd'hui encore, avec ce
texte, la progression dans le drame se confirme, sous prétexte d'éviter
d'autres malheurs !
Depuis près de trente ans, inexorablement, pas à pas, l'opinion est
progressivement conduite à la passivité et à consentir à repousser les
frontières de l'intolérable. Les délais se distendent, les techniques se
raffinent pour surmonter les difficultés qui croissent avec l'âge du foetus
pour l'avorter. Aujourd'hui douze semaines. Demain un peu plus, jusqu'à couvrir
toute la grossesse, n'en doutons pas, après le franchissement de ce seuil
décisif. La recherche aurait-elle besoin de foetus de douze semaines, et demain
de foetus encore plus âgés ? On doit s'inquiéter de voir l'indifférence croître
et le lien social se distendre tandis que progresse la négation de l'être
humain au commencement de sa vie. Il n'y a pas, quoi qu'on en dise, de
progression de la liberté avec l'avortement, puisqu'il sera toujours le
résultat de la contrainte et de la violence.
Le principe de précaution, de plus en plus invoqué ailleurs, n'est ici jamais
soulevé alors que le sujet l'imposerait. Ne s'agit-il pas d'une intervention
délibérée et irréversible sur la vie humaine ? Qui peut encore croire que la
société et la qualité de son humanisme survivront à nos comportements en ces
domaines ? Qui ne voit le parallélisme entre toutes les formes de violence dans
la société ? Où se trouvent les forces pour arrêter cette dynamique du malheur,
cet engrenage nihiliste ? La dénonciation ne peut suffire. Il faut des actes.
Le premier concerne la mémoire et nous incite à nous remémorer le destin des
civilisations qui n'ont pas su enrayer les enchaînements de cette nature. Le
deuxième acte est de courage intellectuel et consiste à penser que l'avortement
n'est pas inéluctable. Il faut ensuite arrêter la fuite en avant où nous sommes
entraînés. Il convient enfin de développer une éducation affective et sexuelle
formatrice de la responsabilité et du respect du corps de l'autre, parce qu'il
est le siège d'une personnalité appelée à se construire elle-même et à
construire son histoire et celle d'une famille.
La contraception atteint également dans ce texte son stade indépassable et la
négation absolue de la vie par la stérilisation des personnes. Vers quel type
de société nous conduit en définitive cet individualisme absolu qui veut
s'affranchir de tout don de la vie pour ne retenir que la vie consommée ?
La femme risque d'y être de plus en plus malheureuse, quels que soient par
ailleurs les progrès de son statut institutionnel et juridique, car
l'irresponsabilité masculine semble à l'abri de toute mise en cause. La plus
grande puissance de la femme ne réside-t-elle pas dans la maternité ? Or tout
est fait pour la dissuader de s'y aventurer. On parle d'éducation sexuelle dans
les écoles. De quoi s'agit-il en fait, sinon de prévention de la maternité ? Où
trouvera-t-on un enseignement sur la responsabilité paternelle pour les garçons
?
On nous propose aussi, dans ce texte, de supprimer l'entretien préalable, qui
serait une contrainte insupportable. Mais qui dira l'abîme de la solitude ? Qui
pourra la rompre sinon par une forme d'amicale ingérence ? Où trouver quelqu'un
de confiance qui dissuade d'avorter, dans une société qui a déjà renoncé à son
avenir ? Comment trouver la personne pour encourager et aider à résister à la
tentation de l'irréparable ? L'avortement serait-il déjà et presque partout
posé comme inéluctable ? Nouvel impératif catégorique des temps modernes.
Nouveau contrat social garantissant à chacun l'isolement spirituel. Décidément,
le contexte existentiel de la sexualité libertine paraît bien carcéral, quand
chacun construit ainsi sa propre prison et celle du voisin.
C'est toute une conception de la vie qui est en cause, et même peut-être plus
encore, sans nous en douter, une fascination de la mort, comme il y a la
tentation du vide. La défense de la vie humaine menacée par les excès de
l'individualisme absolu est inséparable du combat pour la paix sociale
elle-même.
Le respect mutuel est indivisible et ne peut pas tenir en dehors de son champ
une partie des êtres humains, fussent-ils au stade embryonnaire. La solidarité
ne peut pas être sélective par principe.
Nous devons relever l'un des plus grands défis de tous les temps auquel nos
pays de vieille civilisation sont confrontés. Ayons le courage de le faire,
avec la douceur et l'humilité qui conviennent. Notre rapporteur Francis Giraud
a fait un excellent travail dans ce sens, et je tiens à lui rendre hommage.
J'approuverai la plupart de ses amendements, tout en les complétant ou en
proposant quelques nouvelles dispositions.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le texte que nous examinons vise à améliorer la situation des femmes
et des couples qui souhaitent maîtriser leur procréation. Il leur propose un
accès dédramatisé et plus digne à l'IVG. Il favorise l'accès à la
contraception.
Mon propos portera essentiellement sur la suppression du caractère obligatoire
de l'entretien social préalable à l'IVG, qui est imposé aux femmes, et sur
l'inscription de la stérilisation dans notre législation.
Il convient de replacer ces deux questions dans le contexte de la loi de 1975.
Celle-ci a permis d'éviter des avortements clandestins. Elle a mis fin aux
risques graves pour la santé et à la réelle détresse psychologique des femmes,
enceintes sans avoir désiré mettre au monde un enfant, alors que celles et ceux
qui les aidaient encouraient des sanctions pénales lourdes.
Ces objectifs sont-ils parfaitement atteints ? Oui, pour les femmes qui ont
utilisé cette loi. Mais nous ne devons pas ignorer les cinq mille femmes qui,
chaque année, dépassent le délai de dix semaines pour une IVG, et qui se
trouvent contraintes d'aller à l'étranger. C'est pourquoi le texte que nous
allons examiner porte cette limite à douze semaines. Nous pourrions envisager
une solution pour les femmes qui, malgré elles, auraient dépassé ce nouveau
délai. Il s'agit souvent de personnes en grande difficulté sociale ou qui se
heurtent à de nombreux problèmes d'intégration. Il faut les aider et ne pas
accroître les inégalités en ce qui les concerne, elles ou leur famille, qui,
souvent, doit supporter une partie des frais d'un voyage à l'étranger.
Pour qui est opposé à l'avortement et pour qui prétend se substituer à la
femme concernée pour lui indiquer qu'elle doit mener à terme sa grossesse,
l'avortement sera toujours une mauvaise solution. Faut-il rouvrir ce débat ? Il
est déjà résolu et ceux qui veulent y revenir expriment bruyamment des
positions très marginales, en fait. Le droit de la femme ou du couple à
accueillir un enfant quand il l'a souhaité a été reconnu et acquis par la loi.
Nous n'accepterons pas qu'il soit remis en question, d'autant moins qu'il
s'ajuste et ne s'oppose en aucune façon, comme certains voudraient le laisser
entendre, à celui de l'enfant qui, lui, a le droit de naître en ayant été
désiré et non rejeté, et en ayant fait l'objet d'un projet parental.
Chaque femme, comme chaque homme et comme chaque couple, a son projet de vie,
dont notre République garantit la libre détermination. Confrontant sa situation
sociale, qu'elle y adhère ou qu'elle la subisse, avec son projet de vie, la
femme est conduite à accepter ou non sa grossesse. Il en est de cette démarche,
qui consiste à vouloir continuer ou changer, comme pour tous les actes de la
vie. Dénier à la femme la faculté de faire ce choix, qui exprime la libre
maîtrise de son corps, c'est-à-dire d'elle-même, c'est limiter le champ de sa
vie et donc amoindrir sa dignité d'être humain.
En 1975, dans un souci d'apaiser les tensions, quelques concessions avaient
été faites, dans la loi, aux opposants à l'IVG. Sous prétexte d'aider les
femmes, on avait ménagé les moyens de leur faire sentir que la société se
défiait d'un choix fait par elle, en conscience. L'un de ces moyens est
l'obligation faite à la femme d'un entretien social préalable à
l'accomplissement de l'IVG.
Il faut distinguer obligation et nécessité. Nous approuvons tout à fait que
cet entretien ait lieu, car il peut être nécessaire et souhaité, mais nous
sommes choqués qu'il soit imposé.
Certaines femmes ne souhaitent pas cet entretien. Qu'il leur soit imposé leur
donne le sentiment de subir une brimade qui s'ajoute aux aspects traumatisants
de l'IVG. C'est particulièrement odieux : cet entretien est paradoxalement
présenté comme un avantage tel qu'il serait inconvenant et, finalement, illégal
de s'y dérober. Faut-il rappeler que, face à la diversité des existences, le
bonheur ne se décrète pas et que les tentatives allant dans ce sens ont,
historiquement, douloureusement marqué les sociétés ? Il faut donc supprimer
sans remords cette obligation-là.
Mais je veux m'attarder plus longuement sur les femmes qui souhaitent et
apprécient cet entretien, pour lesquelles il est utile et pour lesquelles il
constitue un moment privilégié au cours de la démarche de l'interruption de
grossesse. Il est bien évident que, si cet entretien est proposé, elles
l'accepteront. La Belgique peut ici être citée en exemple. Alors, pourquoi dire
que si cette obligation disparaît les femmes fuiront cet entretien ? C'est
absurde ! Si obligation il doit y avoir, il faut non pas qu'elle soit faite à
la femme, mais qu'elle porte sur les moyens pour les professionnels, afin que
ceux-ci soient en mesure de satisfaire la demande de toute femme qui
souhaiterait bénéficier de ce dialogue.
N'étant plus obligatoire, l'entretien se fera de façon moins mécanique. Les
professionnels auront plus de temps et d'attention à consacrer aux patientes
qui auront accepté cet entretien. Celles qui en ressentiront le besoin,
appréciation qui incombe à leur liberté, bénéficieront donc d'un service de
meilleure qualité. Les professionnels seront plus motivés, sachant leurs
compétences recherchées.
Je tiens à rappeler que nous disposons pour cela du fruit de l'expérience de
professionnels consciencieux qui ont mis en place des entretiens avec le réel
souci d'être utiles aux femmes, de les faire bénéficier d'une écoute et d'un
accompagnement adéquats.
Ce qui est fondamental, c'est le contact humain qui permet cet entretien avec
des professionnels participant à un travail d'équipe, l'écoute et
l'accompagnement ne pouvant être proposés que par des intervenants formés et
reconnus dans leur statut. Il faut donc parfaitement définir celui-ci.
J'ai reçu, comme la plupart d'entre nous, de nombreux courriers de
professionnels pratiquant ces entretiens qui craignent de voir disparaître un
outil qu'ils ont construit avec sérieux et loyauté vis-à-vis des femmes. Ils
ont des idées claires sur ce qui pourrait être renforcé en termes de moyens ou
précisé par voie réglementaire.
Sans doute convient-il même de s'appuyer sur d'autres expériences
d'accompagnement développées pour d'autres circonstances. Je pense, notamment,
à certains protocoles développés pour l'accouchement sous X. Dans le même
temps, ce souci d'accompagnement devrait être généralisé à l'ensemble de
l'univers médical où, trop souvent, chacun a le sentiment d'être confronté trop
exclusivement à un froid appareillage technique.
Peut-être qu'à l'occasion d'un entretien choisi des femmes seront conduites à
décider qu'elles mèneront à terme leur grossesse. Nous ne pourrons que nous en
féliciter.
S'il ne saurait être question d'empêcher la femme d'avoir recours à l'IVG dans
le cadre légal, mieux vaut promouvoir en tout état de cause les moyens lui
permettant d'éviter une grossesse non désirée. Il faut donc faire porter
l'effort sur la contraception. Les dispositions du texte que nous allons
examiner permettront un meilleur accès à la connaissance et aux techniques de
contraception. Sans doute conviendrait-il d'aller plus loin et d'inscrire
l'éducation sexuelle dans les programmes de l'éducation nationale. Pourquoi ne
pas donner aussi aux enseignants, à l'occasion de leur formation continue, et
aux collégiens ou aux lycéens qui l'acceptent, les informations nécessaires
pour leur permettre de faire face avec justesse et sûreté à certaines
situations dont ils peuvent avoir connaisance ?
Aux Pays-Bas, souvent cités depuis le début de cette discussion générale, où
l'IVG est autorisée jusqu'à vingt-deux semaines de grossesse mais où son taux
est faible, l'éducation sexuelle se fait dès l'école. La société néerlandaise
s'était fixé des objectifs ambitieux dans le domaine de la contraception. En
assouplissant les conditions d'accès à l'IVG, elle admet donc sa responsabilité
en aidant les femmes pour lesquelles sa politique aurait été un échec.
Je souhaite ici dire un mot sur le nombre encore élevé d'IVG pratiquées en
France. L'une des explications - ce n'est pas la seule - réside paradoxalement
dans le développement des méthodes de contraception. En effet, en même temps
que la société s'approprie de plus en plus les méthodes contraceptives, elle
devient de moins en moins tolérante aux échecs de la contraception. Ce que je
veux dire, c'est que toute politique ambitieuse en matière de contraception,
contrairement à ce que l'on peut parfois entendre, va de pair avec un accès
facilité à l'IVG.
Je voudrais maintenant concentrer la fin de mon propos sur une forme ultime de
contraception : la stérilisation.
Il y a actuellement, dans notre pays, un vide juridique en ce qui concerne la
stérilisation. Cette pratique semble assez répandue. Elle doit bénéficier d'un
encadrement précis. Statistiquement, le taux de succès de la réversibilité
semble plutôt important : 1 à 10 % des femmes stérilisées souhaitent redevenir
fécondes. Selon les auteurs, 60 % à 90 % le redeviennent effectivement. Mais,
au cas par cas, la réversibilité ne peut être garantie et il convient donc de
faire comme si elle n'était pas possible.
Je reviendrai dans quelques instants sur le problème que soulève le cas des
personnes handicapées mentales, mais je veux d'abord bien mettre en évidence
l'importance, pour la personne concernée, homme ou femme, d'être parfaitement
éclairée sur les conséquences de l'intervention.
La stérilisation est une pratique bien admise dans de nombreux pays, qui l'ont
codifiée dans des législations dont nous pouvons nous inspirer. En France,
chaque année, trente mille stérilisations seraient pratiquées. Parce qu'il
s'agit en fait d'une mutilation, non encore reconnue comme un acte médical, les
médecins ont pris toutes les précautions pour s'entourer des garanties
nécessaires. Celles-ci résident dans la responsabilisation et la satisfaction
la meilleure possible du patient. Là encore, le présent texte ne fait que
transposer dans notre législation le fruit d'une solide expérience de
terrain.
Il s'agit de recevoir la personne une première fois, de s'entretenir avec
elle, de lui remettre un dossier d'information et de lui imposer un délai de
réflexion qui tient au caractère
a priori
irréversible de
l'intervention. Puis il convient de la revoir pour une ultime confirmation.
L'objectif de ces précautions est double. D'abord, elles permettent de
s'assurer que, psychologiquement, la stérilisation ne posera pas de problème
dans la mesure où elle pourrait être vécue comme une atteinte à l'intégrité
féminine ou masculine, qui provoquerait un véritable traumatisme.
Ensuite, il convient de s'assurer que le non-désir d'enfant est aussi
irréversible que peut l'être l'opération. Là, des éléments objectifs et
subjectifs interviennent. C'est pourquoi la stérilisation telle qu'elle est
pratiquée, sauf cas particuliers, s'adresse à des personnes d'un certain âge et
ayant déjà eu des enfants. En effet, toute situation de couple peut évoluer :
pour diverses raisons, des séparations peuvent se produire, auxquelles peuvent
succéder de nouvelles rencontres et de nouveaux projets de vie pouvant inclure
le désir d'enfant. Ce sont ces données qu'il convient de bien intégrer.
Encore une fois, je crois qu'il doit s'agir d'une pratique ultime et non pas
d'une solution de facilité, et que l'information doit être la plus complète et
la plus sincère possible entre le patient et le médecin.
En ce qui concerne les personnes handicapées mentales, tout le monde est
unanime pour reconnaître que le problème est majeur et grave. L'aborder fait
peur pour des raisons à la fois philosophiques et historiques. Pour autant,
faut-il fermer les yeux ? Ce n'est pas possible. L'affaire des disparues de
l'Yonne est là pour nous rappeler que les personnes handicapées mentales, quand
elles sont en difficulté, le sont d'abord à cause de l'indifférence.
Recensons avec lucidité ce qui pose problème et ce qui nous conduit à nous
interroger.
Même s'il y a différents degrés de handicap mental, ce qui pose d'abord
problème, c'est l'incapacité de la personne à bien évaluer les conséquences de
l'intervention.
Ces personnes ont droit à une vie sexuelle, à une vie sexuelle conforme à la
dignité de tout être, faut-il préciser, c'est-à-dire qui ne soit ni interdite
ni forcée. Dès lors qu'il y a des relations sexuelles, il y a la possibilité
biologique, sauf dans des cas particuliers, que la femme handicapée mentale ait
une grossesse. D'où une série de questions.
C'est là, je crois, l'un des points de repère essentiels du débat. On sait
trop comment le régime nazi s'est identifié sur cette question. Mais que doit
faire une société démocratique et républicaine, respectueuse des droits de
l'homme, face à la sexualité, souvent revendiquée, des personnes handicapées
mentales ?
La première réaction peut être de ne pas admettre que la question se pose.
Mais les faits sont là : des personnes handicapées mentales sont stérilisées.
Or, il n'y a pas eu un débat public suffisant.
Pour aborder cette question, nous devons reconnaître que chaque cas est
particulier. C'est une façon d'approcher le sujet qui, culturellement, nous
sépare des régimes totalitaires, qui nient l'humanité en proposant une solution
unique là où il n'y a pas deux situations identiques.
Les questions philosophiques et les termes du débat général doivent être
ramenés à la situation concrète de chaque personne handicapée, qui, comme toute
autre, a droit à la liberté, à l'égalité, à la fraternité. C'est donc dans le
rapport de la personne handicapée mentale à son environnement social, familial,
affectif, qu'il faut examiner l'enjeu de la stérilisation. Je parle d'« enjeu
», car ce qui est en cause, c'est le bonheur de la personne.
Encore faut-il que la situation de la personne handicapée mentale soit
envisagée dans le contexte de l'entourage qui assume plus ou moins bien son
handicap. Il faut que l'entourage bénéficie lui-même du soutien de la
solidarité nationale ou locale, en termes aussi bien matériels que
juridiques.
Avec le problème de la stérilisation, ce qui est donc en jeu, c'est la
question de la possibilité et du choix, pour une personne handicapée mentale,
d'avoir un enfant et d'avoir une vie sexuelle. Pour la clarté de la réflexion,
il faut bien identifier ces deux aspects.
Concernant le fait d'avoir des enfants, on sait bien que, dans la réalité, il
n'en est pratiquement pas question. Pourtant, si l'on pose la question de
savoir si humainement une personne handicapée mentale peut avoir un enfant, la
réponse est « oui ». Toute considération eugénique doit ici être fermement
condamnée. Le risque que l'enfant soit lui-même handicapé mental est faible et
une IMG est toujours possible grâce aux diagnostics prénataux.
Dans la pratique, la personne handicapée mentale peut être tenue pour
incapable d'élever son enfant par son entourage. La question est de savoir si
l'entourage est en mesure de prendre en charge l'enfant, s'il en a le désir,
s'il a celui de gérer la potentialité d'une naissance. Par « entourage »,
j'entends l'univers familial, mais aussi l'univers médico-social et juridique ;
il doit mener ce débat, et la loi doit être son partenaire pour encadrer sa
délibération.
Notons ici que la naissance n'est pas un événement ponctuel, qu'elle implique
un engagement durable auprès de l'enfant. Une personne ou un couple doit
normalement assurer cette continuité. Dans le cas d'une personne handicapée
mentale dépendante de son entourage, la continuité temporelle de l'engagement
est problématique.
On sait qu'un des plus grands malaises des parents de personnes handicapées
mentales réside dans l'angoisse de ce qu'il adviendra de leur enfant après leur
mort. Cette angoisse est multipliée par la perspective que leur enfant pourrait
lui-même avoir des enfants.
On peut donc circonscrire en partie le problème à la capacité de l'entourage à
assumer un choix dont la crédibilité soulève des difficultés. Se pose ici la
question de savoir en fonction de quoi une personne est considérée comme
handicapée mentale : est-ce celle qui est incapable de faire des choix motivés
et de les assumer ou celle qu'on a mise dans ce statut de handicapé mental par
commodité ?
La difficulté à définir au cas par cas un handicap mental ne peut être
contournée longtemps si l'on veut vraiment avancer dans la réflexion. D'où
l'importance de tenir compte de l'entourage, de le responsabiliser, mais de ne
pas l'accabler non plus de charges qu'il ne pourrait pas assumer.
Symétriquement au désir de parentalité, peut-on connaître la réalité du
souhait d'être stérilisé ? Si le consentement de la personne est nécessaire,
reconnaissons que les personnes handicapées mentales sont plus vulnérables à
une présentation tendancieuse de leur intérêt, mais également que la question
de la stérilisation prend aussi une dimension passionnelle parce qu'il s'agit
d'une mutilation pratiquée sur une personne déjà fragilisée physiquement et qui
tendrait à le devenir encore plus.
L'autre aspect à prendre en compte, moins lourd à gérer que la question de la
parentalité, mais plus commun, est le droit des personnes handicapées mentales
à la vie sexuelle. Une personne handicapée mentale est-elle en mesure d'avoir
des relations avec un partenaire réellement désiré et qui la respecte ? On sait
les abus. Il ne faut pas qu'une stérilisation, en permettant d'éviter les
conséquences d'abus sexuels, fasse que l'on ferme plus facilement les yeux sur
les abus eux-mêmes ou que la personne ne bénéficie plus d'un réel suivi en
matière de dépistage.
J'ai beaucoup évoqué l'entourage, qui est là pour pallier le handicap mental
et qui l'assume, en fait. Nous croyons que c'est ensemble que tous ces acteurs
- parents, médecins, magistrats, experts, etc. - qui forment l'entourage d'une
personne handicapée mentale prise individuellement doivent décider.
C'est donc aussi en tenant compte de l'entourage qu'il faut légiférer, en
maintenant la personne handicapée le plus possible dans le droit commun.
Ainsi, il faut bien prendre conscience que notre volonté de légiférer sur la
stérilisation des personnes handicapées mentales, contrairement à ce qui s'est
historiquement et tragiquement passé, part de la volonté de protéger ces
personnes contre l'indifférence de la société et que les contraintes de ce qui
pourra être demain la loi pèsent en fait sur la société.
Pour conclure, l'article du texte que nous examinons, sur le sujet, a été
introduit par l'Assemblée nationale. Il nous semble qu'il ne donne pleinement
satisfaction ni à ceux qui voudraient que la stérilisation des personnes
handicapées mentales ne soit pas admise, ni à ceux qui, en fonction d'une
situation particulière, souhaitent de bonne foi que la stérilisation des
personnes handicapées mentales soit possible.
Encore une fois, n'oublions pas qu'elle se pratique, actuellement, hors de la
légalité. S'il faut légiférer, si le droit existant n'est pas suffisant, ou mal
appliqué, faisons-le après un large débat public...
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
... dans lequel se seront exprimées les grandes autorités éthiques de notre
pays et dans lequel auront été analysées les pratiques et les législations en
cours dans d'autres pays.
Chacun doit s'approprier les termes du débat pour faire qu'il ait lieu au plus
près des personnes concernées. Autour de chaque cas doit émerger un véritable
lieu de parole qui donne un sens positif au fait d'entourer la personne.
La société doit s'interroger sur les moyens matériels et juridiques qu'elle
est capable de mettre à la disposition de l'entourage pour mieux accompagner la
sexualité des personnes handicapées mentales et la potentialité de la
parentalité. C'est d'autant plus nécessaire que, dans ce domaine, comme pour
les personnes qui ne sont pas handicapées mentales, il y a de grandes
inégalités sociales.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, je n'apprendrai rien à nombre d'entre vous en déclarant que je suis
un ardent défenseur de la vie et de l'institution familiale. J'ajouterai même
qu'en 1979 je n'ai pas voté le texte qui rendait définitif celui de 1975.
Mais cette loi existe et, comme l'a très justement dit notre collègue
Jean-Claude Carle, elle fait partie de la législation de la République. Par
conséquent, il ne saurait être question de la remettre en cause et de reprendre
le débat sur ce texte, qui est maintenant acquis.
Aujourd'hui, madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez
propose de nouvelles mesures qui vont beaucoup plus loin que celles du texte de
Mme Veil, et comme il a déjà été dit beaucoup de bonnes choses, surtout par
notre excellent rapporteur, je limiterai mon propos à cet aspect des choses.
En effet, contrairement aux arguments que vous avez développés devant la
commission des affaires sociales, madame la ministre, il existe une véritable
rupture - j'insiste sur ce terme - entre la philosophie de la loi de 1975 et
celle de votre texte. L'article 4 - nous y reviendrons plus en détail - est
d'ailleurs l'élément le plus révélateur de ce regrettable état de fait.
Pour bien replacer le débat dans son contexte, il me semble pertinent
d'identifier la finalité principale de la loi de 1975. En fait, cette loi se
voulait dissuasive. Bien sûr, je comprends qu'il vous soit très difficile
d'entendre et d'utiliser ce mot, mais telle est bien la réalité !
Pour s'en convaincre, il suffit d'ailleurs de relire rapidement quelques
extraits de l'exposé des motifs de cette loi : « La décision éventuelle
d'interrompre une grossesse doit être laissée à l'appréciation et à la
responsabilité du couple, et, en dernier ressort, de la femme. Encore faut-il
que, envisageant une décision aussi lourde de conséquence, la femme soit
suffisamment éclairée et aidée afin que, en tout cas, elle ne se détermine pas
sous l'impulsion d'une angoisse irraisonnée ou momentanée.
« C'est pourquoi il est proposé d'instituer une procédure à laquelle devra
obligatoirement se soumettre la femme qui envisage d'interrompre sa grossesse
en raison de la situation de détresse dans laquelle son état la placerait.
Cette procédure prévoit l'intervention de deux conseils successifs : l'un
médical, l'autre social. Le refus de l'enfant à naître est souvent passager. Le
colloque direct avec le médecin suffit parfois à faire prendre conscience à la
femme de son désir profond de donner le jour à son enfant.
« En outre, bien souvent, la femme enceinte ignore les possibilités que lui
assure la législation, qu'il s'agisse de sauvegarder le secret de
l'accouchement ou qu'il s'agisse des aides que la mère peut recevoir après la
naissance de son enfant ou encore la solution que peut dans certains cas
apporter l'adoption.
« Le projet prévoit donc l'instauration obligatoire d'un conseil social...
»
Voilà ce sur quoi vous proposez de revenir. En effet, comme l'a excellemment
dit tout à l'heure notre collègue Bernard Joly, une grande partie de
l'information qu'il était prévu de mettre à la disposition de la femme pour lui
faire connaître tous les moyens de faire face éventuellement à sa grossesse lui
est maintenant refusée dans le projet de loi que vous nous présentez.
(Mme
le ministre fait un signe de dénégation.)
Madame la ministre, tout est dit : le texte de 1975 avait réellement et
légitimement un esprit dissuasif ; aujourd'hui, force est de constater que
l'article 4 de votre projet de loi supprime tout simplement le caractère
obligatoire de l'entretien, obligatoire non seulement pour l'intéressée mais
aussi dans le cadre de la procédure mise en oeuvre dans l'établissement où elle
se rend pour éventuellement faire pratiquer une IVG.
Votre justification repose sur un argument fondamental : le respect de la
liberté de la femme. Cet argument ne me paraît pas recevable pour des raisons
de fait et, de surcroît, il m'apparaît pernicieux. Pourquoi ? Soyons francs,
madame la ministre, une femme en détresse est-elle vraiment libre ? Son libre
arbitre gouverne-t-il ses actes ? Je suis, pour ma part, loin d'en être
persuadé. Ne perdons tout de même pas de vue que la panique peut mener à des
actes irréfléchis et irréversibles. Voilà pourquoi il faut venir en aide à
cette femme, tout simplement !
M. Philippe Nogrix.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
La liberté, ce n'est pas décider quelque chose quand on n'est pas capable de
le faire en toute responsabilité.
En agissant de la sorte, le Gouvernement et sa majorité plurielle commettent
une faute grave, qui s'apparente à la non-assistance à personne en danger.
Alors que vous êtes face à une personne en état de panique, en sérieuse
difficulté, vous ne voulez pas lui permettre d'examiner toutes les possibilités
qui lui sont offertes de surmonter la situation difficile dans laquelle elle se
trouve.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
Eh oui, il a raison !
M. Jean Chérioux.
En effet, cette consultation auprès d'un organisme social a pour objet d'«
écouter la femme ou le couple, s'il y en a un, de lui laisser exprimer sa
détresse, de l'aider à obtenir des aides si cette détresse est financière, de
lui faire prendre conscience de la réalité des obstacles qui s'opposent ou
semblent s'opposer à l'accueil d'un enfant. »
Bien des femmes apprendront ainsi, à l'occasion de cette consultation,
qu'elles peuvent accoucher anonymement et gratuitement à l'hôpital et que
l'adoption éventuelle de leur enfant peut constituer une solution.
Les différentes phrases qui mettent l'accent à juste titre sur le rôle
pédagogique de cet entretien, madame la ministre, sont non pas de moi, mais de
Mme Veil elle-même. Relisez les débats de l'époque, et vous verrez que nous
sommes à 100 000 lieues de l'esprit de la loi de 1975.
A l'évidence, refuser à ces femmes en difficulté cette bouée de
sauvetage...
Mme Hélène Luc.
Un enfant qui n'est pas désiré, est-ce le bonheur de l'enfant et des parents
?
M. Jean Chérioux.
Je ne vous ai pas interrompue, madame, et laissez-moi donc parler ! Il ne
s'agit pas de les obliger, il s'agit de leur donner toutes les possibilités de
faire face à leur situation !
Mme Hélène Luc.
Il faut que ces femmes puissent choisir !
M. Jean Chérioux.
Il n'y a pas d'obligation de résultat, il y a une obligation de moyen :
l'entretien obligatoire !
Je suis le premier à reconnaître que l'efficacité de ces entretiens a pu se
révéler, dans la pratique, décevante. Le plus souvent, c'est parce que le
caractère obligatoire de la loi a pu être contourné, ce qui est d'autant plus
regrettable que l'expérience a montré que cet entretien préalable pouvait se
révéler efficace.
La loi a été contournée. Je connais même des cas où la loi a été violée
puisqu'il n'y a pas eu d'entretien du tout. Pourtant, il n'y a pas eu de
sanction, et c'est malheureux.
Pour illustrer mon propos, je citerai l'exemple de Paris. A Paris - je connais
particulièrement bien cette situation pour de nombreuses raisons - pendant des
années, la ville a développé, pour venir en aide à ces femmes, une coopération
étroite entre ses services sociaux et une association spécialisée. Elle avait
mis en place le « service des urgences familiales ».
Tout à l'heure, quelqu'un a parlé d'un « numéro vert » qui pourrait être
utilisé par les femmes en détresse. C'était un peu cela.
Lorsque, au cours des entretiens que pratiquait cette association, il
apparaissait que des femmes avaient des difficultés matérielles, des problèmes
de logement, des problèmes administratifs à régler, on s'adressait directement
au service des urgences familiales de la ville de Paris - il fonctionnait en
permanence - et l'on trouvait la solution.
Le constat a été positif, et plusieurs dizaines de vies ont ainsi pu être
sauvées chaque année. Certes, ce n'est pas glorieux, mais c'est important, une
vie. Et ces vies ont été sauvées non pas parce qu'on a imposé aux femmes de
conserver leur enfant, mais parce qu'on leur a donné les moyens de faire face à
leur situation.
Vous savez, accepter que l'IVG soit une solution, c'est un peu une lâcheté de
la part de la collectivité. La collectivité se défausse de ses responsabilités.
Or, il y a des moments où la collectivité doit pouvoir faire face à ses
responsabilités et aider la femme qui est en détresse. C'est ce que nous avions
fait à Paris.
M. Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Malheureusement, madame la ministre, monsieur le ministre, vos amis
politiques, aidés par un certain nombre d'autres membres de l'assemblée
parisienne, ont supprimé la subvention qui était accordée à cette association -
il n'y a pas très longtemps, à peine deux ans - et ce malgré mon opposition.
Ils ont eu bien tort.
On a, à ce moment-là, fait une campagne de désinformation en prétendant que
cette association violait la loi de 1975. Ce n'était pas du tout le cas :
l'association entrait absolument dans le cadre de la loi ; elle n'obligeait ni
ne dissuadait, coûte que coûte ; elle essayait de donner les moyens aux femmes
de faire face à une situation difficile.
Ce qu'il aurait fallu faire à l'occasion de votre texte, c'est prendre des
mesures permettant une réelle application de la loi de 1975, en exigeant que
les entretiens soient effectivement organisés - hélas ! bien souvent, ils ne le
sont pas - et réalisés et, éventuellement, appliquer les sanctions prévues par
cette loi.
Les sanctions sont prévues, mais elles n'ont jamais été prises. C'est pourquoi
on a souvent abandonné l'entretien.
Deux pistes auraient pu être privilégiées.
La première tendait à exiger que ces entretiens soient organisés, et dans de
bonnes conditions, cette obligation devant légitimement s'accompagner d'un
volet « sanction » si les spécialistes concernés n'accomplissaient pas leur
mission. Cet entretien aussi est en effet une obligation non pas seulement pour
l'intéressé, mais pour ceux qui sont amenés à mettre en oeuvre la procédure de
l'IVG.
La seconde piste visait à donner l'agrément à des associations présentant
toutes les garanties de jouer loyalement leur rôle de conseil. Il conviendrait
alors peut-être d'écarter certaines d'entre elles qui, quasi systématiquement,
recommandent aux femmes l'IVG - cela existe malheureusement.
Si la loi Veil n'a peut-être pas évité assez d'avortements, c'est peut-être
parce que tout ce qui avait été bien prévu n'a pas été mis en oeuvre. S'il en
avait été autrement, au lieu d'enregistrer 215 000 à 220 000 IVG par an, il y
en aurait eu beaucoup moins.
Madame la ministre, en campant sur vos positions idéologiques, vous ne
contribuez pas à servir la cause des femmes auxquelles vous prétendez apporter
une nouvelle liberté, loin s'en faut !
Je pense donc qu'il convient, autant que faire se peut, de s'en tenir aux
dispositions législatives actuellement en vigueur. C'est pourquoi je
m'opposerai à toutes les modifications que vous voulez apporter à celles-ci.
C'est la raison pour laquelle, malgré quelques divergences avec certaines
propositions de notre excellent rapporteur, le professeur Giraud, divergences
que j'ai notamment concrétisées sous forme d'un amendement et d'un
sous-amendement, je soutiendrai sa position avec ardeur.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc.
Heureusement que les femmes ne vous ont pas attendu pour conquérir leur
liberté, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux.
Je ne vois pas pourquoi vous vous permettez de m'attaquer sur ce point ! J'ai
fait tout ce que j'ai pu pour aider les femmes en tant que membre de la
commission des affaires sociales, et j'en suis très fier !
Mme Hélène Luc.
C'est scandaleux !
M. Jean Chérioux.
Ce qui est scandaleux, c'est votre attitude !
M. le président.
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, une société s'honore lorsqu'elle est capable de lever le voile de
l'hypocrisie. C'est la raison pour laquelle, si j'avais été parlementaire en
1975, j'aurais voté la loi Veil.
Depuis vingt-cinq ans, cette loi a permis à la femme, au couple, à la famille,
de résoudre de nombreuses situations de détresse en supprimant les drames de la
clandestinité, en déculpabilisant les intéressés, en assurant une sécurité
médicale et une plus grande justice sociale.
L'objectif principal de la loi de 1975 - celui que poursuivait ses auteurs -
était non pas de légaliser l'avortement, mais d'en réduire le nombre et
l'importance dans notre société.
C'est la raison pour laquelle je voudrais aujourd'hui rendre hommage à Mme
Simone Veil pour son courage, son humanité et pour la dignité avec laquelle
elle a su mener à bien cette loi dans des conditions particulièrement
difficiles et hostiles.
Certes, le débat philosophique et moral sur l'avortement restera encore
longtemps ouvert. C'est un débat auquel chacun doit répondre personnellement,
individuellement, en fonction de ses croyances, de son éthique, en fonction
aussi de son souci de comprendre les autres.
L'interruption volontaire de grossesse reste néanmoins un acte grave, une
souffrance et en aucun cas elle ne doit être considérée comme banale. Elle doit
rester un ultime recours.
Il faut dire également que l'avortement, tel qu'on l'appelait autrefois, est
une pratique aussi ancienne que l'humanité et qu'elle est tenace dans tous les
pays. Toutes les sociétés ont connu les deuils de l'avortement et toutes, à un
moment de leur histoire, ont dû chercher une réponse à cette situation
dramatique.
Le législateur a pour mission de fixer les règles de la vie sociale. Pour
cela, s'il doit tenir compte des grands principes qui ont fondé notre
civilisation, il ne peut, il ne doit ignorer la réalité.
Aujourd'hui encore, dans les pays où il n'a pas été médicalisé, l'avortement
clandestin est une des principales causes de mortalité des femmes en âge
d'avoir des enfants.
La France, pour sa part, au terme d'une réflexion rigoureuse et largement
ouverte, a choisi, voilà vingt-cinq ans, la voie de la raison.
Aujourd'hui, le projet de loi qui est soumis au vote du Sénat dénature
profondément la logique de la loi Veil, comme l'a rappelé mon collègue Jean
Chérioux.
En effet, le 5 décembre dernier, l'Assemblée nationale a adopté, dans
l'urgence, selon le souhait du Gouvernement, un projet de loi dont les mesures
phares sont : l'allongement des délais légaux de dix à douze semaines pour une
IVG et l'aménagement de l'autorisation parentale avec la possibilité pour une
mineure de faire appel à un adulte référent.
Par ailleurs, plusieurs amendements de la commission des affaires sociales de
l'Assemblée nationale ont été adoptés, dont certains modifient radicalement
l'équilibre de la loi Veil.
Ainsi, les références à l'aide apportée aux femmes enceintes désirant
poursuivre leur grossesse ont été supprimées du dossier guide, tandis que
l'entretien préalable à toute intervention a été rendu facultatif, j'en
reparlerai.
De même, des amendements retirant du code pénal plusieurs infractions pour les
transférer dans le code de la santé publique ont été adoptés, certains
d'ailleurs contre l'avis du Gouvernement. Il s'agit des IVG pratiquées hors
délais, celles qui sont réalisées dans des établissements non agréés et le fait
de fournir à une femme les moyens d'un auto-avortement.
Je me permettrai de regretter que l'amendement qui avait été présenté et
défendu par notre collègue député du groupe UDF de l'Assemblée nationale Mme
Marie-Thérèse Boisseau, prévoyant une solution alternative à l'allongement du
délai légal de deux semaines, ait été repoussé par le Gouvernement. Cet
amendement avait pour objet, afin de répondre à la détresse des 5 000 femmes
qui se trouvent chaque année hors délais et sont obligées de partir pour
l'étranger, d'élargir le recours à l'interruption médicale de grossesse à des
motifs psychosociaux d'une particulière gravité.
Dans ce cas, l'intéressée serait prise en charge par une équipe
pluridisciplinaire qui pourrait l'accompagner dans sa démarche et l'aider à
trouver la réponse la plus adaptée à sa situation, et ce en toute liberté,
puisqu'elle aurait connaissance des choix à faire.
Cet amendement a été repoussé au nom du droit absolu des femmes à choisir
seules. Ce faisant, le Gouvernement refuse de prendre en compte la détresse des
femmes qui ont dépassé le délai de douze semaines - elles sont estimées à 3 000
-, détresse à laquelle l'amendement de Marie-Thérèse Boisseau avait apporté une
réponse.
S'agissant de la levée de l'obligation du consentement parental à l'IVG des
mineures, cela constitue à mes yeux une mauvaise réponse à un vrai problème.
S'il est vrai que certaines jeunes filles ne peuvent sans danger recueillir le
consentement de leurs parents, leur situation doit évidemment être prise en
compte. Mais faut-il pour autant rompre le lien parents-enfant dans ce moment
dramatique en autorisant une mineure à avorter à la seule condition d'être
accompagnée d'un « adulte référent » ?
D'autres solutions, qui ne remettent pas en cause le lien parental, sont
possibles et doivent être étudiées. Pourquoi, en effet, ne pas traiter les
situations exceptionnelles dans le cadre d'une procédure spécifique permettant
à la mineure en danger d'être exemptée du consentement parental, par une
personne dont ce serait la mission ?
S'agissant de la suppression du caractère obligatoire de l'entretien
préalable, je voudrais, là aussi, m'opposer à la décision des députés de la
majorité plurielle.
En effet, l'entretien préalable constitue une aide psychologique essentielle
dans une situation de crise et un soutien dans la réflexion et dans la
décision. Elle ne constitue nullement une tentative de dissuasion ou de
banalisation.
Le caractère obligatoire de cet entretien permet à toutes les femmes, malgré,
parfois, un premier réflexe de réticence, d'être écoutées avec respect et
neutralité, de nommer leurs angoisses, leurs désirs contradictoires, leurs
conflits relationnels, de chercher du sens à leur grossesse au sein de leur
histoire, enfin, de s'approprier les informations sur la fécondité et la
contraception.
L'écoute spécifique de la conseillère ouvre souvent un meilleur dialogue avec
le compagnon, concerné par la grossesse, et avec les parents, notamment pour
les jeunes.
Cette démarche demande, certes, un effort, mais les femmes expriment le plus
souvent, en fin d'entretien, « combien cela fait du bien d'avoir pu en parler
». Supprimer le caractère obligatoire de l'entretien préalable, sous prétexte
d'éviter une contrainte, serait, en fait, « déshumaniser » les démarches d'IVG,
qui ne peuvent être réduites à l'aspect purement médical.
Par ailleurs, l'entretien post-IVG est aussi important. L'article L. 162-9 de
la loi Veil du 15 janvier 1975 dispose que « tout établissement dans lequel est
pratiquée l'IVG doit assurer, après l'intervention, l'information de la femme
en matière de régulation des naissances ».
En réalité, cette information est très peu diffusée. La pratique montre que
l'entretien préalable est un moment psychologiquement mal choisi pour aborder
cette question. Cet accueil et cet entretien post-IVG devraient rendre
impossible toute récidive. C'est là un point capital à mon sens.
Egalement nécessaire est l'application de la loi du 28 décembre 1967, dite loi
Neuwirth, prônant une véritable éducation sexuelle, et dont l'objet n'est pas
réduit à la contraception. Je tiens aussi à rendre hommage à notre collègue
Lucien Neuwirth, qui siège parmi nous, à sa grande tolérance et à sa profonde
humanité. Il avait, dans sa loi, prévu, en nombre suffisant, des établissements
d'information, des consultations et des conseillers familiaux ainsi que des
centres de planification afin de promouvoir les responsabilités de chacun.
Je dirai, en conclusion, qu'il est temps de s'attaquer au vrai problème,
c'est-à-dire à la diffusion de la contraception et des moyens des centres
d'IVG. En clair, cela signifie qu'il faut donner aux lois existantes - les lois
Neuwirth et Veil - leur véritable ampleur pour qu'elles soient appliquées avec
une véritable volonté politique, avec peut-être quelques aménagements, ce qui
est normal puisqu'il s'agit de lois qui ont déjà vingt-six et trente-quatre
années de vécu.
Sur les 100 000 femmes partant avorter à l'étranger, la moitié environ
dépassent douze semaines de grossesse ; pour celles-là, le projet du
Gouvernement ne change rien.
Ce qu'il faut, c'est une vraie politique pour mettre fin à cette situation,
d'une part, en rattrapant notre retard en matière de diffusion de la
contraception, qui est la meilleure prévention au drame de l'avortement, et,
d'autre part, en donnant aux équipes des centres d'IVG les moyens qui leur
manquent cruellement pour assurer dignement et efficacement leur mission.
L'interruption de grossesse ne doit être que l'ultime recours pour des
situations extrêmes. Elle doit garder son caractère exceptionnel et surtout ne
pas devenir un moyen de contraception.
C'est la raison pour laquelle le développement de l'information sur les
méthodes contraceptives limitera le nombre d'avortements, cet acte restant
toujours un échec sur les plans tant individuel que social.
Pour toutes ces raisons, je voterai le texte amendé par la commission en
m'opposant à celui qui est présenté par le Gouvernement qui illustre
véritablement une dérive d'une société sans autres valeurs fondamentales que
celles de l'égoïsme, de l'épanouissement individuel et de l'isolement
conduisant à des choix sans issue.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, l'interruption volontaire de grossesse est non pas une permission
accordée généreusement par la société à certaines femmes, mais une réponse au
droit des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur fécondité. Elle
n'est jamais un acte banal ni un acte vécu comme anodin, mais je m'insurge
contre le discours qui consiste à en faire systématiquement un drame et,
finalement, à culpabiliser de manière indirecte, voire inconsciente, les
femmes.
Non, les femmes qui avortent ne sont pas condamnées à en souffrir toute leur
vie ! Chaque interruption volontaire de grossesse relève d'une histoire
personnelle, intime, qu'on ne peut pas dissoudre dans les 220 000 IVG
annuelles. Alors arrêtons les généralisations abusives et culpabilisantes.
Certaines femmes qui avortent le vivent bien, n'en déplaise à ceux qui ne
peuvent entendre cette vérité, parce que cette interruption volontaire de
grossesse, avec le recul, n'est plus vécue seulement comme un échec ; elle
prend sens dans leur parcours de vie. Et ce n'est pas banaliser l'avortement
que de dire qu'il peut être un passage dans la sexualité et la matenité des
femmes.
Notre responsabilité est avant tout d'apporter une réponse à toutes les femmes
qui ont décidé d'interrompre leur grossesse. Nous ne pouvons pas continuer à
laisser partir des femmes pour l'étranger, fût-ce un pays européen, pour une
IVG, parce qu'elles sont « hors délai », même avec un délai légal à douze
semaines de grossesse, d'autant que ce sont bien souvent les femmes les plus
fragiles, dans les situations les plus délicates, qui sont amenées à dépasser
le délai. Souvent, elles ne comprennent pas pourquoi, du fait de leur
situation, elles se retrouvent dans l'illégalité et la clandestinité, et
doivent, pour celles qui le peuvent, partir pour l'étranger. Psychologiquement,
cela est forcément traumatisant.
Nous nous devons de prendre en compte la situation de ces femmes en instaurant
un dispositif de prise en charge au-delà de la douzième semaine. Je vous
présenterai donc, avec plusieurs de mes collègues, un amendement en ce sens.
La majorité sénatoriale, de son côté, propose un aménagement du cadre de
l'IMG, l'interruption médicale de grossesse très restrictif.
En premier lieu, ce n'est pas la solution adaptée au cas de ces femmes. Elles
ne peuvent pas être mises sur le même plan que des femmes qui ont un projet
parental, un désir d'enfant concrétisé dans une grossesse voulue et acceptée.
Ce n'est fondamentalement pas la même démarche. Et, surtout, la décision ne
revient pas à la même personne. Nous ne pouvons laisser la décision aux
professionnels quand il s'agit du droit des femmes à disposer de leur corps.
C'est à la femme, et non aux médecins, de choisir en toute connaissance des
risques ; l'interruption volontaire de grossesse n'est pas une liberté
conditionnelle sous tutelle médicale.
En second lieu, les motifs psychiques invoqués pour une IMG sont proprement
scandaleux : « risques avérés de suicide ou état de détresse consécutif à un
viol ou un inceste ». Messieurs de la majorité sénatoriale, savez-vous que,
sans vivre des situations aussi dramatiques, une femme peut se trouver
facilement hors délai, ne serait-ce que si elle croit avoir eu ses règles ou si
elle a un cycle irrégulier et que, pour elle, tomber enceinte est tout
bonnement inimaginable ? Sous couvert de médicalisation et de santé publique,
la majorité sénatoriale cache une opposition de fond au droit à l'interruption
volontaire de grossesse.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Paul Blanc.
Ce n'est pas vrai !
M. Serge Lagauche.
Concernant les mineures, elles peuvent déjà accomplir seules certains actes :
accoucher sous X, abandonner ou reconnaître leur enfant. Dans ces trois cas,
elles sont considérées comme capables. Je ne vois pas en vertu de quelle
logique notre droit leur accorde une autonomie en cas de poursuite de leur
grossesse, mais non dans le cas d'une interruption volontaire de grossesse.
C'est pourquoi nous pouvons estimer que la jeune fille doit être considérée
comme capable, à partir du moment où elle est enceinte, pour tout acte
concernant l'interruption de grossesse et la contraception.
Je m'attarderai un instant sur l'abrogation de l'interdiction de publicité et
de propagande en faveur de l'avortement, qui constitue une avancée
essentielle.
Elle permettra enfin une meilleure information, ce qui est indispensable pour
garantir à toutes les femmes un droit égal d'accès à l'IVG. Je ne doute pas
d'ailleurs que le Gouvernement réfléchisse déjà aux actions à mettre en place
pour développer l'information sur l'IVG.
Nous allons enfin pouvoir combattre ouvertement les contrevérités de la
propagande des anti-IVG. Il est inadmissible et surtout périlleux de les
laisser dire que « les contraceptifs hormonaux sont tous abortifs », que « plus
il y a de contraception, plus il y a d'avortements » ou que « l'avortement et
la contraception sont des aliénations utilisées à des fins de contrôle
politique ! »
Il est intolérable que des associations ouvertement anti-avortement obtiennent
un agrément pour dispenser des entretiens pré-IVG. D'ailleurs, elles se sont
beaucoup mobilisées pour le maintien de l'obligation de cet entretien,
important vecteur de leur propagande.
Pour ma part, je suis tout à fait favorable à ce que l'entretien soit
systématiquement proposé, mais non imposé : il ne peut pas être un vrai lieu de
parole si la parole est obligée et s'il est vécu comme une autorisation à
avorter. Mais il est vrai aussi que, souvent, la conseillère conjugale est la
seule personne susceptible de mettre des paroles positives sur ce qu'est en
train de vivre la femme, de faire surgir le sens de cette grossesse-là, à ce
moment-là, dans son histoire personnelle. C'est bien pour cela qu'il doit être
systématiquement proposé.
Enfin, j'insisterai, comme nombre de mes collègues, sur l'éducation à la
sexualité et l'information sur la contraception.
C'est l'éducation à la sexualité et le développement de la contraception qui
doivent être une priorité de santé publique, et non la réduction du nombre des
IVG, qui ne peut être qu'une conséquence indirecte. Cette inversion de la
démarche par la majorité sénatoriale est symptomatique de sa vision
moralisatrice de l'IVG. En outre, elle passe complètement à côté des normes
socioculturelles de la sexualité, telles que l'acceptation sociale et la
reconnaissance de la sexualité des jeunes par exemple.
La contraception est au coeur de la relation homme-femme, relation qui reste
marquée par la domination masculine. Pour tous les hommes, aimer une femme,
cela devrait être partager avec elle des sentiments, du plaisir, mais aussi les
responsabilités, et toujours veiller à respecter sa liberté, quelle que puisse
en être la difficulté. Et l'on se heurte bien là à la limite des politiques
publiques et à la limite de la réduction du nombre des IVG.
La violence faite aux femmes dans tous les domaines, et plus particulièrement
dans celui de la sexualité, est un véritable problème de société auquel nous
devons nous attaquer.
Nous nous devons d'être plus offensifs en matière d'éducation à la sexualité.
Elle doit être adaptée à chaque âge, commencer le plus tôt possible, dès
l'école maternelle, et apporter à l'enfant la connaissance et le respect de son
corps et de celui de l'autre. Elle doit être, enfin, continue durant tout le
parcours scolaire. Les campagnes d'information sur la contraception et la
sexualité doivent être pérennes, beaucoup plus visibles, et toucher tous les
âges de la population.
La contraception reste aussi très médicalisée, ce qui participe à déposséder
certaines femmes du véritable choix d'une contraception appropriée à leurs
besoins et à leur mode de vie. Il faut élargir l'offre de contraception et son
accessibilité. A cet égard, pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre,
quand la pilule générique de troisième génération sera en vente ?
En conclusion, je souhaite que l'on trouve une solution satisfaisante pour les
femmes qui dépasseront le délai de douze semaines de grossesse, afin de n'en
laisser aucune sur le bord du chemin. C'est à cette condition, notamment, que
ce projet de loi sera une avancée majeure pour le droit des femmes, bien plus
fondamentale dans leur vie quotidienne que la parité homme-femme en politique.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, je voudrais d'abord féliciter et surtout remercier notre rapporteur
de son excellent travail. En effet, le document qu'il a réalisé me semble
constituer la pièce maîtresse du débat que nous avons aujourd'hui.
Je voudrais ensuite souligner le caractère éminemment éthique du débat sur
l'intervention volontaire de grossesse qui nous réunit ce soir. Il ne s'agit
pas, en effet, d'un sujet neutre, d'un banal sujet de société. Sont engagées
ici la conscience et les convictions de chacun. Il convient donc d'aborder avec
respect et humilité ces enjeux si importants qui concernent la vie humaine,
l'équilibre et la liberté des femmes, leur choix de donner ou non la vie.
Le vrai problème qui nous alarme tous, ce sont les chiffres inquiétants de
l'avortement en France. Ils sont nettement supérieurs à ceux de nos voisins
européens : 220 000 avortements par an pour 730 000 naissances, soit un
avortement pour 3,5 naissances. C'est trop ! De treize à quinze Françaises sur
mille ont recours chaque année à l'IVG, contre huit en Allemagne et six aux
Pays-Bas.
Ce constat révèle que la loi Veil, votée en 1975, n'a pas tenu ses promesses
en termes d'information, de prévention et d'accès à la contraception. Cette loi
pionnière, qui visait essentiellement à mettre un terme aux avortements
clandestins, dangereux pour la vie des femmes, n'a donc pas fait baisser de
manière significative le nombre des avortements dans notre pays.
M. Lucien Neuwirth.
On ne lui en pas donné les moyens !
M. Patrick Lassourd.
L'espoir suscité n'a pas été tenu. Pourtant, les bases d'une information sur
la contraception étaient jetées. Mais la loi Veil, loi sanitaire, n'a été ni
pleinement ni correctement appliquée.
Un toilettage de cette loi s'imposait donc, vingt-cinq ans après, afin de
rendre plus performants les outils de la prévention et d'offrir aux femmes la
possibilité d'échapper à ce dernier recours, toujours douloureux, de l'IVG.
Or, que nous propose le Gouvernement ? Il nous propose une loi technique et
quantitative, manifestement inadaptée, visant essentiellement à allonger le
délai légal de dix à douze semaines. C'est une réponse partielle, lacunaire,
décalée et qui dénature la philosophie et l'humanité mêmes de la loi de 1975
!
Réponse partielle, car l'allongement du délai à douze semaines ne concerne que
2 000 femmes sur les 5 000 hors délai, qui partent chaque année avorter à
l'étranger.
Quid
des trois mille femmes ainsi laissées pour compte ? En
outre, comment croire raisonnablement que le seul report de délai suffira à
réduire le nombre d'avortements ? Quand on sait, à l'expérience, que de
nombreuses femmes se décident au dernier moment, ce report peut signifier pour
elles deux semaines supplémentaires de doutes, de souffrances, de risques pour
aboutir à une IVG plus délicate à réaliser à ce stade de la gestation.
Réponse lacunaire, ensuite, car le projet de loi ne porte pas l'effort sur les
causes réelles du nombre élevé d'avortements. Alors qu'il fallait agir en amont
et chercher à rendre plus performants les outils de la prévention - éducation
sexuelle et accès à la contraception - vous ignorez, madame la ministre, la
nécessité de mettre en place une véritable éducation à la sexualité précoce et
complète auprès des jeunes, vous négligez l'accompagnement des femmes en
détresse, vous ne résolvez pas les problèmes de moyens médicaux - un certain
nombre de femmes se retrouvent hors délai à la suite des lenteurs et des
réponses tardives de l'administration - et, surtout, vous ne privilégiez pas la
contraception.
J'insiste sur l'importance de l'éducation sexuelle qui - on peut le constater
à la lumière des chiffres - joue un rôle vital dans la prévention de l'IVG : la
plus forte augmentation des femmes ayant recours à l'IVG concerne les 18-19 ans
; sur dix mille adolescentes enceintes par an, 6 500 subissent une IVG et 60 %
des femmes qui demandent l'IVG ne connaissent pas la contraception d'urgence.
Des idées fausses continuent de circuler sur les risques de stérilité, de
cancer, de prise de poids attribués à la pilule. Peu de jeunes femmes savent ce
qu'est le planning familial.
Cet échec de l'éducation devrait faire réagir un gouvernement responsable ! Il
est du devoir des pouvoirs publics que les adultes de demain que sont les
adolescents soient informés, mais aussi responsabilisés à l'importance d'un
contexte affectif, sensibilisés au respect de leur corps et de celui de
l'autre, notions essentielles, actuellement absentes des plaquettes «
biologiques » navrantes établies par l'éducation nationale !
Il faudrait également étendre l'aide de l'Etat dans le cadre du mouvement
familial.
On le voit, le problème central, qu'il fallait prendre à bras-le-corps, c'est
l'ignorance qui entoure la vie sexuelle des jeunes filles, particulièrement
dans notre pays !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Et la sexualité des jeunes hommes ?
M. Patrick Lassourd.
Réponse décalée, enfin, que révèle l'intitulé même du projet de loi relatif à
l'IVG et à la contraception ! Dans une confusion affligeante, vous placez le
mal et le remède sur le même plan. La contraception ne saurait en aucun cas
constituer une alternative à l'IVG, car elle est un élément de sa prévention.
C'est l'esprit de la loi Veil qui se trouve ainsi totalement détourné.
Cette loi ne posait-elle pas, dans son article 1er, que la loi « garantit le
respect de tout être humain, dès le commencement de la vie » ? L'ennemi n° 1 de
la femme, comme de l'enfant, c'est bien l'avortement !
Or la loi que vous nous présentez supprime précisément toutes les garanties
destinées à encadrer cet acte grave qu'est une IVG, aux conséquences
psychologiques souvent désastreuses dans le coeur des femmes ! Je veux parler
notamment de la suppression de l'accord parental, du caractère obligatoire de
l'entretien préalable, du dossier-guide incitatif vidé de son rôle informatif
sur les voies autres que l'IVG.
Tout concourt désormais à laisser la femme dans la plus grande des solitudes à
un moment où elle aurait précisément besoin d'être rassurée, écoutée,
conseillée, informée.
A ce titre, je voudrais dire combien j'ai été choqué par les discours
féministes militants, totalement obsolètes, qui ont tenus à l'Assemblée
nationale, revendiquant fièrement l'IVG comme une « conquête », un « progrès »,
un « droit de disposer de son corps » ! Triste progrès ! L'IVG - c'est
incontestable et tous les témoignages concordent - est toujours un échec, une
épreuve, une souffrance, un acte grave qui altère l'histoire de celles qui
l'ont vécu ! L'IVG n'est jamais une victoire, c'est un ultime recours. Si elle
peut correspondre pour certaines à un droit, encore que l'on puisse en
discuter, cette IVG doit néanmoins rester une exception.
La vraie conquête, ce serait celle d'une maîtrise parfaite de la fécondité
qui, bien évidemment, écarterait définitivement le recours à l'IVG. La première
des libertés, c'est non pas d'avorter mais d'être informé, c'est de savoir !
C'est pourquoi je souhaiterais insister sur le rôle important joué par
l'entretien préalable, dont je déplore la suppression du caractère obligatoire,
c'est-à-dire la suppression tout court
(Mme Dieulangard proteste.)
, car,
ne nous leurrons pas, devenu facultatif, cet entretien va probablement
disparaître ! Vous nous dites que les femmes qui se présentent sont déjà
déterminées. C'est sans doute vrai, mais c'est contestable. L'entretien répond
à un vrai besoin. C'est un moment vital pour écouter, rassurer, expliquer et
informer. C'est un lieu de concertation et d'échange.
On ne soulignera jamais assez le pouvoir libérateur de la parole prononcée, le
pouvoir pacificateur de l'écoute apportée ! Dans cet espace de parole et de
confiance, la femme peut s'exprimer librement, mettre en mots sa détresse,
faire le point sur son parcours, réaliser la portée de sa décision. Tout doit
être fait pour qu'il n'y ait aucun regret et, pour cela, l'information doit
être maximale, c'est-à-dire ouverte sur les autres solutions que l'IVG. Une
femme enceinte en détresse doit connaître les moyens matériels, financiers et
psychologiques dont elle dispose pour mener à terme sa grossesse. Elle doit
recevoir aussi une information complète sur l'avortement et sur ses risques.
Elle doit envisager toutes les voies possibles.
C'est alors seulement que l'on pourra parler de libre arbitre, de décision
réfléchie, prise en pleine connaissance de cause !
Mme Touraine s'est félicitée, à l'Assemblée nationale, de la suppression du
caractère obligatoire de l'entretien, prétendant que cela permet « de bien
établir que ce sont les femmes qui décident pleinement ». C'est tout le
contraire ! On retire ainsi à la femme les moyens d'exercer son libre arbitre.
Où est le libre arbitre, en effet, quand l'information n'est pas complète,
quand la possibilité de ne pas avorter n'est ni évoquée ni proposée ? On
accentue la solitude d'un choix tardif.
La philosophie de la loi me paraît donc dangereuse, terriblement restrictive
et incitative, consistant à refuser à la femme d'autres voies que l'IVG,
banalisant ainsi ce qui ne devrait être qu'un ultime recours !
Dans le même esprit, ajoutons que le dossier-guide remis à toute femme
désireuse d'entamer une procédure d'IVG reste un document froid et impersonnel,
pas toujours bien lu et compris. En outre, y sont supprimées toutes les
informations relatives aux aides dont pourraient bénéficier celles qui
voudraient garder leur enfant. Très insuffisant, il ne saurait en aucun cas
remplacer la dimension humaine de l'écoute et de l'information dispensée par
les conseillers de l'entretien préalable.
L'entretien est donc essentiel pour briser la solitude, pour aider les femmes
à être sûres de leur décision, à exercer leur liberté individuelle dans un lieu
de confiance. Le caractère obligatoire, que je souhaite voir conservé,
correspond non pas à une contrainte, mais à un service que la collectivité a le
devoir de rendre à ces femmes en détresse. Au lieu de supprimer ce caractère
obligatoire, il fallait prendre des mesures pour améliorer la formation des
personnels sociaux qui assurent ces entretiens, moments subtils de transition
entre la sphère privée et la sphère médicale.
Dans ces entretiens, il s'agit non pas d'influencer la femme, mais de
l'accompagner et de lui donner enfin les moyens d'être « pleinement responsable
» de sa décision !
En ce qui concerne les mineures, le complément nécessaire à l'IVG, qui reste
pour elles un acte grave, est l'accord parental. Il est clair, à mes yeux, que
l'exception à cette autorisation doit précisément demeurer une exception ! Le
chef de l'Etat l'a très justement rappelé.
Dans 90 % des cas, nous indiquait le professeur Nisand, les parents sont les
meilleurs protecteurs de l'enfant, et revenir vers eux lors d'un tel événement
est souvent la meilleure solution. La famille reste malgré tout, dans bien des
cas, un lieu naturel de protection, même lorsque le dialogue et l'autorité sont
rompus. La loi doit donc s'employer à encourager l'exercice de la
parentalité.
Dans les cas de détresse où l'intervention de « l'adulte référent » est
néanmoins nécessaire, il me paraît très important de préciser que ce dernier
doit être sérieusement qualifié, issu du milieu éducatif, associatif ou
médical. Une jeune mineure ne peut en effet confier sa décision à un adulte
qui, même proche, ne saura pas lui prodiguer une réelle assistance en termes
d'information et de soutien psychologique. Cette exigence d'un accompagnement
de qualité devrait figurer dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui.
En conclusion, je dirai que cette loi n'apporte pas les réponses adaptées au
problème de l'IVG. Elle n'évoque pas non plus une quelconque existence
juridique de l'embryon. Or je suis convaincu que, dans la perspective des lois
à venir - je pense à la révision des lois sur la bioéthique ou au spectre du
clonage -, on n'échappera pas à la nécessité d'adopter un véritable statut de
l'embryon. Il aurait été pertinent de le faire dès maintenant, pour éviter les
dérives et les abus, comme la commercialisation.
Nous avons beaucoup parlé du droit de la femme à décider de son propre destin.
J'y souscris, mais que devient le droit de l'enfant à naître ? Qui le défend
?
La loi Veil posait comme principe premier le respect de la vie. J'adhère, bien
entendu, tout à fait à ce principe. Légiférer sur l'IVG est donc une
concession, dont je reconnais le bien-fondé, à l'évolution de la société.
Toutefois, pour assurer le respect de ce principe, le droit doit prendre en
compte l'embryon comme « être humain » et lui assurer une existence.
Ainsi, grâce à des mesures énergiques de prévention et d'information, grâce à
l'amélioration de la contraception et grâce à ce statut protecteur, nous
pourrons espérer réduire enfin notablement le nombre des IVG, dans l'intérêt et
pour le bonheur et l'équilibre des femmes de notre pays.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, plus de
vingt-cinq ans après le vote de la loi du 17 janvier 1975, nous voici amenés à
examiner un texte tendant à prolonger de dix à douze semaines de gestation le
délai légal autorisé pour pratiquer l'IVG.
Mes chers collègues, je vais essayer de vous exposer de la façon la plus
claire l'analyse du problème que fait, à la lumière de son expérience, le
praticien de campagne que je suis.
La prolongation de quinze jours du délai légal de l'IVG pose-t-elle des
problèmes moraux nouveaux ou supplémentaires concernant l'avortement lui-même ?
A cette question, je réponds par la négative. Les problèmes moraux liés à
l'avortement ont été largement évoqués en 1975, ainsi qu'en 1979 lors de la
rediscussion de la loi Veil. Il n'est donc pas question d'y revenir
aujourd'hui, contrairement à ce que certains voudraient le laisser entendre.
Je ne vois pas, sur le plan moral, dès lors que la loi de 1975 a posé le
principe d'une interruption possible dans des conditions clairement et
précisément définies, de différence entre des avortements réalisés à dix ou à
douze semaines de grossesse.
La prolongation de quinze jours du délai pose-t-il des problèmes médicaux
spécifiques ? Sur le plan de la sécurité et de la santé de la femme, non ! Des
interruptions médicales de grossesse sont pratiquées en France bien après dix
semaines pour un motif grave tenant à la mère ou au foetus.
En revanche, il faut bien comprendre qu'entre la dixième et la douzième
semaine l'embryon devient foetus, ce qui implique un changement de nature de
l'intervention et des techniques à utiliser : une aspiration simple ne peut
plus être réalisée ; il faut donc recourir à une intervention plus lourde
impliquant le plus souvent une anesthésie générale pour permettre un curetage
et une aspiration par une canule d'un diamètre beaucoup plus important, dans
des conditions beaucoup plus difficiles.
Les praticiens le savent bien : la compétence et l'expérience requises sont
alors différentes ; l'acte peut provoquer des complications plus graves qu'une
simple aspiration. Dès lors, la responsabilité médicale est d'une autre nature
et la femme doit être informée de la façon la plus claire de ce qui va lui être
fait.
Au-delà du problème de la responsabilité médicale au regard des conséquences
éventuelles, le respect de la clause de conscience me paraît s'imposer plus que
jamais. Or le texte qui nous est proposé aborde mal cet aspect, en minimisant
la dimension médicale, en banalisant cet acte grave, alors que la seule
solution serait, à l'inverse, de médicaliser l'intervention.
IVG jusqu'à dix semaines par simple aspiration, laquelle est alors toujours
possible ; IMG au-delà de dix semaines, après une consultation
pluridisciplinaire selon des procédures clairement définies et respectant la
situation des femmes, avec une véritable prise en charge, médicale et
psychologique.
Une prolongation de deux semaines du délai légal d'interruption de grossesse
apporte-t-elle une solution au problème des 5 000 femmes concernées en France
chaque année ? Certainement pas : la loi de 1975 n'est pas appliquée dans les
délais prévus par manque de moyens en structures, équipements et personnels. De
nombreuses femmes se trouvent donc hors délai en raison de l'impossibilité pour
les équipes de les recevoir.
Au lieu d'analyser ces différentes carences et de trouver des solutions en
amont, dans la prévention et l'information, le projet de loi met l'accent sur
la prolongation du délai légal de l'IVG, ce qui, par effet mécanique, va encore
accroître l'ampleur du problème.
Ce n'est pas en érigeant des barrières légales que la question sera résolue ;
c'est plutôt en faisant tout pour faciliter l'accès à la connaissance de la vie
affective et sexuelle, au sens de la relation, de la maternité et de la
paternité.
Arrêtons la fuite en avant et efforçons-nous de renouer le dialogue entre
celles qui sont dans la détresse et les différents moyens d'accueil,
d'accompagnement, de conseil, de prise en charge ; luttons, enfin, contre la
solitude et l'abandon de nos enfants en grande difficulté.
En outre, nombre de femmes se trouvent hors délai parce qu'elles hésitent
jusqu'au dernier moment à prendre une décision. Repousser de quinze jours le
délai ne les aidera pas. Repousser le délai, c'est prendre le risque de
repousser le moment de leur décision.
Enfin, que deviennent les 3 000 femmes qui sont hors délai, au-delà de la
douzième semaine ?
Reprendrons-nous ce débat dans quelques années voire avant, pour prolonger
encore le délai ? Et jusqu'à combien de semaines ? Seize ? Dix-huit ?
La prolongation de deux semaines du délai légal d'interruption de grossesse
n'apporte pas, à mon avis, de solution aux problèmes posés. Et n'en
soulèvera-t-elle pas de nouveaux ?
Les progrès de la médecine prénatale, notamment en matière d'échographie en
trois dimensions, permettent de savoir de façon très précise si le foetus est
porteur d'anomalie plus ou moins grave. Autrement dit, en reculant le délai
pour l'IVG et en effectuant de plus en plus tôt l'examen prénatal du foetus, on
est de fait involontairement en situation de choisir les enfants à naître, avec
toutes les dérives que l'on peut craindre : choix du sexe, eugénisme...
Par ailleurs, des parents ne seront-ils pas poussés vers l'avortement pour
éviter d'être poursuivis en justice par leur enfant devenu adulte alors que les
progrès de la science auraient permis de déceler un risque de handicap ? Songez
à la récente décision de la Cour de cassation.
N'avons-nous pas d'autres solutions que de légiférer pour allonger le délai
légal de l'IVG ? Ne pourrait-on pas, tout simplement, appliquer enfin le volet
« prévention » de la loi Veil ?
Nous savons tous combien un avortement est une expérience dramatique pour
celles qui y ont recours, expérience dont les effets se prolongent
douloureusement, quelquefois pendant de nombreuses années ; j'ai eu de tels cas
à traiter au cours de ma carrière de médecin.
Enfin, pourquoi déclarer l'urgence sur ce texte alors même que nous venons de
voter une loi permettant d'éviter le recours à l'IVG - ce fut une des
justifications avancées - grâce à la « pilule du lendemain » ? Pourquoi ne pas
attendre les premiers résultats de ce nouveau dispositif, dont la mise en
oeuvre ne remonte qu'à quelques semaines et dont les effets n'ont donc pas
encore pu être mesurés ?
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je suivrai les conclusions de la
commission des affaires sociales et de son éminent rapporteur, notre ami
Francis Giraud, que je tiens, à mon tour, à remercier et à féliciter pour le
travail tout à fait remarquable qu'il a accompli.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le débat auquel j'ai assisté, même si je
n'ai pas pu entendre toutes les interventions, en particulier celle du
président Delaneau - mais on me l'a rapportée -, m'a paru, dans l'ensemble, de
bonne tenue, à la hauteur du sujet que nous abordons. Il y a certes eu quelques
caricatures, mais finalement assez peu.
M. Patrick Lassourd.
A gauche surtout !
(Sourires sur les travées du RPR.)
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
On peut constater un large
accord sur toutes les travées de cette assemblée pour dire qu'il faut, d'abord,
privilégier la contraception.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Oui !
M. Paul Blanc.
Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je n'ai entendu personne dire
le contraire. Il n'y a donc pas de procès d'intention à faire à quiconque à cet
égard, et je m'associe évidemment à l'hommage qui a été rendu par plusieurs
orateurs à M. Neuvirth.
De manière corollaire, nous sommes tous d'accord également pour considérer
qu'il ne faut pas banaliser l'IVG.
Cela implique que soit améliorée l'information sur la contraception. Je
rappellerai dans quelques instants les efforts qui ont été accomplis sur ce
point.
Nous sommes aussi tous d'accord sur l'important effort supplémentaire qui doit
être consenti en matière d'éducation sexuelle. Dans ce domaine, nous accusons
un manque évident. Il semble que, dans notre pays, on ne sache pas parler
simplement de sexualité aux enfants et aux adolescents. C'est un problème
culturel qu'il nous faut résoudre. Il va de soi que le fait de parler avec
simplicité de sexualité aux enfants et adolescents est aussi une façon de
faciliter l'accès à la contraception.
Que prévoit le projet présenté par le Gouvernement ?
Dès lors qu'une femme est décidée à recourir à une IVG, il convient de faire
en sorte que cela se passe sans drame, autant qu'il est possible, étant entendu
qu'une IVG est certainement une souffrance, même si M. Lagauche a eu raison de
souligner que, dans beaucoup de cas, celle-ci était surmontée dans le parcours
d'une vie. En tout cas, ce n'est pas un acte anodin.
C'est pourquoi nous devons trouver le moyen de ne plus avoir à enregistrer
dans notre pays ces chiffres tout de même assez effrayants : chaque année, plus
de 200 000 IVG et 10 000 mineures en état de grossesse non désirée. Cela mérite
que nous nous mobilisions !
Je souhaite maintenant répondre à quelques-unes des remarques qui ont été
formulées par plusieurs orateurs, et d'abord en ce qui concerne la décision du
Gouvernement de déclarer l'urgence.
Monsieur le président Delaneau, en commission, vous aviez déjà fait part de
votre point de vue sur cette procédure. Je vous avais répondu que ce problème
dépassait peut-être le seul cas de ce texte.
En tout cas, le Gouvernement n'a pas escamoté le débat. Vous le savez, nous
avons procédé à un long travail préparatoire. De nombreux rapports et de
nombreuses consultations ont précédé le dépôt du projet de loi, en juillet
2000. Un grand débat public a d'ailleurs été ouvert à cette occasion. Puis
l'Assemblée nationale a mené, comme vient de le faire le Sénat, un débat très
approfondi sur ce texte.
Il est vrai que la Haute Assemblée aurait dû discuter ce texte au début du
mois de février. C'est d'ailleurs dans cette perspective que j'avais été
auditionnée par la commission des affaires sociales le 23 janvier. Mais vous
savez mieux que moi, monsieur Delaneau, dans quelles circonstances ce débat a
dû être reporté.
M. Patrick Lassourd.
Ça, c'est la faute du Gouvernement !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est le Sénat lui-même qui,
pour des raisons qui lui sont propres, a considéré que ce texte ne méritait pas
d'être abordé dans les délais prévus, ce qui a d'ailleurs permis à la
commission de bénéficier d'un mois et demi de réflexion supplémentaire,
accroître le nombre des auditions de qualité auxquelles elle a procédé et, au
passage, de mettre au point un nombre important d'amendements.
M. Patrick Lassourd.
Et l'attitude intolérante du Gouvernement ?
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Me permettez-vous de vous interrompre,
madame le ministre ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de Mme
le ministre.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Madame le ministre, je me doutais bien que
vous ne partageriez pas mon interprétation quant à ce déplacement dans l'ordre
du jour.
Je vous rappellerai simplement que la maîtrise de l'ordre du jour prioritaire
est entre les mains du Gouvernement : c'est le Gouvernement qui a décidé que le
Sénat devait continuer à discuter la proposition de loi relative à la
prolongation des pouvoirs de l'Assemblée nationale, ce n'est pas le Sénat
lui-même ! A tout moment, le Gouvernement avait la possibilité d'inscrire de
nouveau le présent texte à l'ordre du jour prioritaire du Sénat. La commission
avait fait son travail. Les rapports étaient publiés, et il ne tenait qu'à vous
que le Sénat puisse discuter ce texte.
Le retard qui a été pris n'est donc absolument pas imputable au Sénat, je l'ai
dit à plusieurs reprises et je le redis aujourd'hui
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je maintiens naturellement ma
propre analyse.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
C'est votre droit, mais vous ne changerez pas
la Constitution ni le règlement du Sénat !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Peut-être, mais je maintiens
l'interprétation que je livre au nom du Gouvernement.
Plusieurs d'entre vous sont intervenus pour souligner l'insuffisance des
moyens et lui imputer le fait que des femmes se retrouvent hors délai.
A cet égard, je rappellerai d'abord que ce gouvernement a été le premier à
augmenter les moyens accordés aux centres d'orthogénie, et cela pour un montant
total de 12 millions de francs en 1999. Ces crédits ont permis la création de
postes de praticien contractuel dans les établissements publics de santé qui ne
parvenaient pas à assurer la prise en charge des IVG. Les régions qui se
heurtaient aux difficultés les plus aiguës ont bénéficié de crédits importants.
C'est ainsi que les régions Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur,
Rhône-Alpes ont été dotées de 1,2 million de francs et l'Ile-de-France, de 2,4
millions de francs.
Cependant, les crédits accordés en 1999 n'ont pas permis de répondre à tous
les besoins constatés. C'est la raison pour laquelle nous avons dégagé une
dotation supplémentaire de 15 millions de francs sur le budget de 2001, afin de
permettre le renforcement des centres en personnel. Ces crédits doivent être
répartis en cours d'année en fonction des résultats de la dernière enquête
annuelle - elle a été effectuée en 2000 - sur l'activité des centres qui
pratiquent les IVG et d'une enquête spécifique réalisée auprès des agences
régionales de l'hospitalisation.
Je vous demande également de ne pas oublier que le projet de loi prévoit un
dispositif qui élargit la prise en charge des IVG médicamenteuses à la médecine
de ville, ce qui va augmenter considérablement l'offre de soins, d'autant plus
que l'IVG médicamenteuse sera, comme je l'ai indiqué dans mon discours
introductif, accessible au-delà du quarante-neuvième jour, sous réserve
toutefois de la confirmation de l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé.
L'expérience des centres d'IVG qui nous est transmise montre que les délais
d'accueil pour l'IVG ne sont pas la cause principale des dépassements. Dans la
plupart des cas, ces derniers sont dus à un retard dans la décision de la
femme. Comme vous l'ont dit Claire-Lise Campion et Odette Terrade,
l'allongement de dix à douze semaines correspond donc à une véritable demande
des femmes.
En outre, je le répète, régler par l'allongement des délais le cas de 4 000
femmes, ce n'est pas rien ! Même si nous ne réglons pas le cas de toutes les
femmes qui se trouvent hors délai, il n'est pas négligeable d'éviter à 4 000
d'entre elles de se rendre à l'étranger pour pouvoir bénéficier d'une
interruption volontaire de grossesse.
En ce qui concerne les risques liés à l'allongement du délai, il est évident
que l'ajout de deux semaines doit conduire à prendre des précautions
supplémentaires ; tous les médecins le disent et nous le ferons donc ; mais
nous ne devons pas non plus en tirer argument pour refuser cet allongement du
délai.
Nombre d'entre vous ont cité l'Académie de médecine ou le Conseil national de
l'ordre des médecins. Je rappelle que ces deux institutions ne se sont pas
opposées à un tel allongement ; elles ont seulement souligné les précautions
techniques qui sont nécessaires.
Le Gouvernement a pris en considération ces observations ainsi que celles de
l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, qui a réuni un
comité d'experts, a réalisé une revue de toute la littérature internationale,
et a conclu à une très faible augmentation des risques.
Je demande donc que l'on fasse confiance aux jugements qu'ont formulés les
médecins. Je rappelle que M. Bernard Maria, président du Collège national des
gynécologues obstétriciens français, a souligné que les étrangers regardaient
les Français en souriant. Ils considèrent en effet que, s'agissant des aspects
techniques de l'IVG, nous nous battons sur de faux problèmes : il suffit
d'observer le tableau qui montre que, dans la plupart des pays européens, le
délai est de douze semaines ou plus et que ces problèmes techniques, qu'il ne
faut pas négliger, ces précautions supplémentaires, qu'il faut prendre, ont pu
être pris en compte de façon satisfaisante !
Je dirai également à M. Huriet que, même s'il est probable qu'une IVG est
toujours un échec et vécue comme tel, il faut parler des situations de
souffrance et de détresse avec mesure. Parler de l'IVG dans des termes qui
l'assimilent à un acte barbare, c'est, je le crois profondément, faire insulte
aux femmes ainsi qu'aux personnels médicaux et non médicaux qui les
accompagnent dans cette épreuve.
M. Claude Huriet.
Madame le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Un instant, s'il vous plaît !
Je termine mon raisonnement, et je vous laisserai volontiers la parole
ensuite.
L'IVG a été reconnue non pas pour contourner la difficulté morale de l'acte,
mais pour mettre fin à la clandestinité et pour garantir la sécurité médicale
aux femmes qui ne désiraient pas leur grossesse.
Mme Odette Terrade.
Absolument !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Quant à laisser entrevoir que
l'on ne trouvera pas de médecins, j'estime qu'il s'agit, là encore, d'un
argument qu'il convient de manier avec beaucoup de précaution, parce que les
médecins, en d'autres circonstances, ont déjà fait la preuve de leur dévouement
et de leurs capacités d'adaptation.
Monsieur le président, si M. Huriet souhaite intervenir, je lui laisse
volontiers la parole maintenant.
M. le président.
La parole est à M. Huriet, avec l'autorisation de Mme le ministre.
M. Claude Huriet.
Bien sûr, vous n'étiez pas en séance au moment où je suis intervenu, madame la
ministre, et mes propos ne vous ont peut-être pas été rapportés fidèlement.
Mais à aucun moment - et le compte rendu de nos travaux pourra en faire foi -
je n'ai assimilé l'IVG à un acte « barbare ». Absolument pas !
On aurait dû vous dire aussi que j'avais procédé par citations de propos tenus
par des médecins et par des sages-femmes qui pratiquent, souvent depuis des
années, les interruptions volontaires de grossesse à la fois en tant que
personnel médical et en tant que militants.
Donc, je récuse les propos que vous m'avez prêtés.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous avez fait une sélection
des citations qui n'était pas anodine, et vous êtes responsable de cette
sélection !
M. Claude Huriet.
Madame la ministre, j'ai remis à M. le ministre délégué l'ensemble des
documents que j'ai reçus en réponse à un questionnaire ; pour ne pas être amené
à mettre en cause la fiabilité du questionnaire, il eût été préférable que le
Gouvernement prenne lui-même l'initiative d'interroger ceux qui pratiquent des
IVG. Cela n'a pas été fait.
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Comme je l'ai dit tout à
l'heure, le Gouvernement a consulté...
M. Claude Huriet.
Non !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... de nombreux médecins avant
de déposer le projet de loi. Martine Aubry l'a fait elle-même.
M. Hilaire Flandre.
Elle a dû aussi les choisir !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous pouvez considérer que
cela n'a pas été suffisant, mais le Gouvernement a procédé à ces
consultations.
M. Claude Huriet.
C'est inexact !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous me dites que c'est inexact
; moi, je dis que c'est exact. On peut continuer ainsi encore pendant un quart
d'heure...
M. Hilaire Flandre.
C'était sélectif !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous avez mené vos propres
consultations. C'est votre droit ! Mais ne dites pas que le Gouvernement n'a
pas consulté de médecins, c'est faux !
M. Hilaire Flandre.
Dans ce cas-là, il aurait dû publier !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
S'agissant de la contraception,
il est clair qu'elle constitue la première des priorités, comme je l'ai dit
dans mon propos introductif, et c'est d'abord ainsi qu'il faut comprendre le
projet de loi.
J'ai rappelé que le Gouvernement avait entrepris de gros efforts et lancé des
campagnes d'information répétées, d'un coût de vingt millions de francs
chacune. Il n'en a pas toujours été ainsi puisque, notamment, aucune campagne
n'a été réalisée entre 1993 et 1997, alors que cela aurait été possible.
Des difficultés ont pu se faire jour dans certains établissements scolaires au
sujet des campagnes sur la contraception ; mais ce que je sais, c'est que le
Gouvernement a diffusé à cinq millions d'exemplaires le guide de poche
extrêmement simple que voici.
(Mme le ministre montre un dépliant.)
Jamais effort semblable n'avait été fait auparavant.
Quant à la mobilisation locale, citons notamment la diversification des
actions régionales de valorisation de la campagne, les conférences de presse,
les émissions sur les radios locales, les émissions de télévision sur France 3,
les articles dans la presse locale, les journées « portes ouvertes », les
rencontres-débats et les tables rondes, les expositions itinérantes, les
expositions dans des locaux publics, les projections de films, ou encore les
stands avec diffusion de documents. L'originalité de ces différentes
initiatives mérite d'être citée.
Toutefois, je le reconnais volontiers, l'effort doit être poursuivi puisque,
manifestement, nous n'obtenons pas encore en la matière les résultats que nous
sommes en droit d'attendre.
En région Aquitaine, sur l'initiative de Mme la secrétaire d'Etat aux droits
des femmes, le lancement de la campagne par vidéoconférence a réuni le 14
janvier 2000 tous les partenaires institutionnels, les acteurs de terrain, les
personnalités qualifiées, au même moment dans chaque département. Nous pouvons
saluer ce type d'initiative.
Il faut, me semble-t-il, nous garder de tirer des conclusions trop hâtives de
l'absence de résultats de ces efforts, car on ne peut les apprécier que dans la
durée. Il nous faut au contraire les poursuivre pendant plusieurs années, si
l'on considère que les Pays-Bas, que tout le monde cite en exemple, ont une
avance de cinquante ans sur nous en matière d'éducation sexuelle et de
promotion de la contraception. Ce sera donc probablement encore assez long, et
c'est là une raison supplémentaire pour persister dans notre effort et
l'intensifier.
S'agissant de l'éducation à la sexualité en milieu scolaire, je suis tout à
fait d'accord, je l'ai dit, avec celles et ceux qui ont insisté sur la
nécessité de faire plus et, surtout, de faire mieux.
L'éducation à la sexualité relève d'un apprentissage complexe qui suppose de
la part des personnels de l'éducation nationale la maîtrise de nombreuses
compétences. C'est la raison pour laquelle, en partenariat avec le ministère
chargé de la santé, la direction de l'enseignement scolaire a mis en place un
dispositif de formation qui prend appui sur deux axes.
D'abord est constitué - c'est le premier axe - un réseau national composé
d'environ deux cents personnes-ressources : médecins, infirmières, assistants
de service social, assistants de sciences de la vie et de la terre, de vie
sociale et professionnelle, conseillers principaux d'éducation. Ces personnels
ont reçu pendant une année une formation interuniversitaire en sexologie
médicale, complétée par une formation en méthodologie et psychopédagogie de
l'éducation à la sexualité. Ils organisent et animent des stages dans les
académies et les départements pour former des équipes d'établissement
volontaires pour développer des actions d'éducation à la sexualité.
Il faut aussi, bien entendu, former les personnels de terrain. Actuellement au
nombre de 8 000, ils sont amenés à prendre en charge des séquences d'éducation
à la sexualité pour les élèves.
Par ailleurs - et c'est le deuxième axe - pour développer une culture commune,
le ministère de l'éducation nationale a élaboré un programme de formation qui
intègre des principes reposant pour l'essentiel sur la relation éducative, les
normes et les valeurs laïques, ainsi que sur le rôle et les limites de
l'école.
Nous avons fait réaliser des documents d'appui pour aider les différents
personnels et donner des repères pour l'éducation à la sexualité et à la vie :
une mallette pédagogique intitulée
Bonheur d'aimer
et le guide de poche
sur la contraception que je vous ai montré, édité à cinq millions
d'exemplaires. On peut raisonnablement reconnaître que nous avons développé les
outils.
Je vous livrerai maintenant quelques réflexions complémentaires sur
l'entretien préalable à l'interruption volontaire de grossesse.
D'abord, je souhaite que l'on ne se méprenne pas sur l'intention des
dispositions du projet de loi : il n'est absolument pas question de refuser de
donner des informations à la femme ; il y a au minimum l'information donnée par
le médecin sur l'interruption volontaire de grossesse, sur les techniques, sur
les méthodes proposées, sur les procédures et sur les risques, puisque telle
est, évidemment, la démarche qui sous-tend l'IVG et que confirme l'article 3
bis
du projet de loi. L'entretien avec le médecin a donc lieu en tous
les cas : il ne faut pas faire, ainsi que je l'ai entendu dans quelques-unes
des interventions, comme s'il n'y avait plus d'entretien du tout si la femme en
décidait ainsi. C'est faux !
Je soulignerai ensuite que le médecin remet à la femme un dossier-guide, mis à
jour au moins une fois par an, qui comporte la liste des lieux où elle peut
accéder à l'IVG et obtenir toutes les autres informations et conseils qui lui
sont nécessaires.
Enfin, l'article 4 précise qu'il est systématiquement proposé aux femmes qui
veulent recourir à l'IVG, à la fois avant et après l'intervention, une
consultation avec une personne qualifiée en conseil familial ou exerçant dans
un service social, un centre de planning familial ou d'éducation familiale.
Cette consultation n'est plus obligatoire, certes, mais elle est proposée
systématiquement, et toute femme qui souhaite l'entretien supplémentaire que je
viens d'évoquer peut l'obtenir : aucune femme qui aurait un doute ne se
verrait, naturellement, empêchée d'y recourir.
J'ajoute que nous n'avons pas décidé de réduire l'information des femmes :
nous avons simplement considéré que les femmes étaient à même, une fois
l'entretien avec le médecin réalisé, l'accès aux documents devenu effectif et
la procédure suivie, de décider si elles avaient besoin d'un entretien
supplémentaire.
Je constate avec satisfaction que l'IVG chez les mineurs n'a pas fait l'objet
de débats trop conflictuels au sein de la Haute Assemblée. J'ai bien entendu
quelques réflexions sur le fait que le lien avec les parents était primordial.
Evidemment ! Personne n'a songé à nier que le rôle de la famille devait être
absolument privilégié et que, chaque fois que c'était possible, il valait mieux
que la jeune fille mineure puisse trouver dans sa propre famille le dialogue
dont elle a besoin pour affronter cette difficulté ! Il n'y a absolument aucune
espèce de doute là-dessus. Mais lorsque ce n'est pas possible - et j'ai cité
des cas dans mon introduction -, il vaut mieux trouver une autre solution. Je
constate avec satisfaction que, finalement, cette disposition a été très peu
contestée.
Enfin, vous avez été nombreux à souligner que les articles relatifs à la
stérilisation qu'a votés l'Assemblée nationale avaient le mérite d'encadrer par
la loi des pratiques qui s'étaient beaucoup répandues et se diffusaient sans
que l'on sache véritablement qui en prenait la décision. Cette inscription dans
la loi me semble en effet importante à la fois pour la protection des personnes
et pour tenir compte de la nécessité de répondre à des difficultés.
Pour la stérilisation des personnes majeures capables, il est primordial
d'insister, comme le fait le projet de loi, sur le consentement libre et
éclairé et sur le temps nécessaire à la réflexion. J'ai indiqué dans mon
discours introductif que, pour ma part, je n'étais pas opposée à ce que l'on
réfléchisse à ce temps nécessaire ; en revanche, je ne suis pas favorable à la
mention de l'âge : pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre ? Mais il est
assurément important de laisser le temps de la réflexion, s'agissant d'une
procédure médicale dont on dit aujourd'hui qu'elle peut être réversible, mais
qui reste un acte chirurgical lourd.
Je reconnais comme vous que la stérilisation des personnes handicapées
mentales est un sujet délicat. Comment définit-on le degré de handicap mental ?
Les amendements que la commission a adoptés me semblent encadrer ce problème de
façon pertinente.
Il est important, à mes yeux, que la stérilisation ne puisse être pratiquée
que si le juge est saisi à la demande des parents ou du représentant légal. Il
est primordial de pouvoir apporter ces précisions.
Il faudra évidemment - mais je m'y engage - assurer un suivi précis de ces
dispositions, en liaison avec toutes les associations concernées. D'ailleurs,
ce suivi pourrait être exposé devant le Comité national des personnes
handicapées, qui se réunit chaque année.
Telles sont les quelques remarques que je voulais formuler. Nous poursuivrons
ce débat demain, avec l'examen des amendements. Vous voyez que le Gouvernement
n'est pas du tout fermé - c'est d'ailleurs le cas pour la plupart des textes
que nous examinons - à des améliorations, mais je tenais à souligner que nous
avions le souci de remédier aux manques, aux échecs - on peut le dire ainsi -
rencontrés depuis l'adoption de la loi Veil : échec sur la généralisation et
l'efficacité des méthodes contraceptives. Nous avons bien sûr le souci de
donner les moyens nécessaires pour que l'allongement de deux semaines du délai
légal de l'interruption volontaire de grossesse se passe dans les meilleurs
conditions possible.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi
que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, avant de formuler quelques brèves remarques, j'exprimerai un
sentiment. Ce débat, qui fut un bon débat, me rappelle celui qui s'était
instauré en 1975, que j'avais suivi avec beaucoup d'attention. Si MM. Neuwirth
et Huriet veulent bien le reconnaître, cela s'était passé ainsi. Oui, on feint
de parler du problème précis, mais on parle d'autre chose. Comme vous l'avez
très bien souligné, il existe en effet un engagement personnel, un problème
moral, une éthique. Il était normal qu'il en soit ainsi ici. Mais souvenez-vous
de ce qui s'est passé en 1975. Certaines personnes qui approuvent cette loi
aujourd'hui l'avaient alors combattue. Souvenez-vous du débat.
Mme Hélène Luc.
Ah oui, on s'en souvient !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Il a fallu bien du courage à Mme Simone Veil pour faire
adopter son texte. Il ne s'agissait pas d'un problème de camp, d'un problème
gauche-droite, quoique un peu quand même. Souvenez-vous de tout cela. Nous
avons reproduit ce débat à propos de l'allongement de deux semaines du délai
légal de l'IVG.
J'aime les propos de M. Blanc. Je ne citerai que lui tout en faisant référence
à d'autres intervenants. A la question : l'allongement de deux semaines du
délai de l'IVG pose-t-il un problème moral ? - si nous avions pu nous passer de
cet allongement nous l'aurions fait volontiers -, M. Blanc a répondu par la
négative. Je partage son sentiment. Il existe un problème moral général dont le
pays a débattu depuis maintenant plus de vingt-cinq ans. Quelle lenteur !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Je l'ai dit en 1979 ! C'est écrit dans mon
rapport !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Bravo ! Je l'ai dit avec vous en 1979. Pour que Mme
Veil puisse le dire, ce qu'elle a fait volontiers, combien de militantes et de
militants ont-ils dû défiler dans les rues ? Comme M. Fischer l'a rappelé, le
manifeste des 343, qui avait fait scandale, est aujourd'hui historique ; et il
y a eu également l'action de M. Neuwirth. Alors, s'il vous plaît, un peu de
mémoire !
Existe-t-il un problème médical ? Non, a répondu M. Blanc. Sur ce point, je ne
suis pas réellement sûr d'être d'accord avec lui. Je remercie M. Huriet de nous
avoir communiqué ces deux gros paquets de réponses à son questionnaire, l'un
étant positif et l'autre négatif. Il a d'ailleurs moins cité celui qui est
négatif. A la première page du tome dans lequel on répond positivement à
l'allongement de deux semaines du délai de l'IVG en ces termes : « Non, cela ne
me pose pas de problème », un grand centre parisien donne la réponse. Je
reconnais pour ma part qu'il existe un problème technique différent, avec, en
effet, quelques risques particuliers. Bien sûr, il existera des risques en
matière d'anesthésie. Selon que l'intervention sera effectuée à dix semaines ou
à douze semaines, les risques ne seront pas exactement les mêmes. Je le répète
: si nous avions pu nous passer de l'allongement du délai de l'IVG, nous
l'aurions fait.
A la première page d'un des deux tomes figure donc la réponse : quelque 5 000
interruptions volontaires de grossesse sont effectuées au-delà du délai de dix
semaines. Comme vous l'avez vous-même calculé, cela représente à l'heure
actuelle treize IVG effectuées au-delà du délai de dix semaines. J'espère que
ce chiffre diminuera. Je déteste les avortements. J'en ai moi-même pratiqué.
C'est en effet une pratique qui marque ; mais elle est nécessaire pour le
progrès de la décision féminine, de l'appropriation féminine de soi-même et
pour éviter des drames qui se déroulaient avant. Cela représente donc,
disais-je, treize IVG par jour, soit quelque quatre-vingt dix par semaine,
c'est-à-dire environ un par département. Comme cela est précisé à la première
page, cela correspond à un centre un peu spécialisé, comme on le demande. Nous
allons devoir examiner en détail ce problème et prendre une décision. Il faut
que dans un endroit très particulier, en effet, mieux équipé en personnel, en
capacité de décision et doté des renforcements indispensables, nous puissions
disposer de la sécurité nécessaire.
Je dirai un mot à propos de la santé publique. Il s'agit bien, là encore, d'un
problème de santé publique. Je m'engage - Mme Guigou vient de le dire - à ce
que nous poursuivions ces campagnes nécessaires, insuffisantes et inachevées en
permanence, en faveur de la contraception. Je prends l'engagement qu'un grand
déploiement, de moyens je l'espère, mais en tout cas de décisions relatives à
l'information sur les actions en santé publique, soit fait sur la question de
la sexualité et de l'information en faveur de la contraception comme une des
grandes lignes des programmes de santé publique.
Mais interrogeons-nous sur les raisons pour lesquelles ce pays très
particulier qui est le nôtre refuse l'éducation sexuelle. Mme Guigou avait
raison de dire que, dans les écoles, des programmes sont mis en oeuvre. Nous
pouvons les renforcer. C'est dans les familles que l'on ne parle jamais ou que
l'on parle très peu de sexualité. Comment se fait-il que plus on va vers le Sud
et moins on en parle ?
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
C'est que nous sommes latins !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
En effet. Tout cela est assez classique. Là est notre
échec. C'est un échec collectif de la société française.
En effet, nous avons renforcé, par rapport à d'autres gouvernements, les
mesures d'information. Souvenez-vous : après 1975, y a-t-il eu des campagnes
d'information en faveur de la contraception ? Pas assez, et beaucoup moins que
ce que nous avons fait. Ce n'est pas un reproche que je ferai à Mme Simone
Veil, c'est un reproche collectif. Cela ne marche pas !
M. Lucien Neuwirth.
C'est culturel !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
C'est en effet culturel. En France, il faut insister
dix fois plus qu'aux Pays-Bas. Voilà la réalité qui a incité le Gouvernement,
parce que l'on dénombre ces 5 000 femmes en détresse, en grande difficulté, qui
n'ont pas la connaissance suffisante et qui n'ont pas non plus les moyens de
faire face à leur situation difficile, à proposer dans le présent projet de loi
cet allongement de deux semaines du délai de l'IVG ; ces deux semaines
supplémentaires ne soulevant ni un problème moral ni un grand problème
médical.
D'ailleurs, y a-t-il beaucoup de médecins qui parlent de contraception avec
les femmes ? Pas assez. Y a-t-il beaucoup de prises en charge élémentaires dans
des associations ? Pas assez ! On en dénombre quelques-unes, qui sont très
bonnes. Je crois que nous pouvons tous nous interroger sur ce point. Qu'il
s'agisse de gouvernements de gauche ou de gouvernements de droite, ce fut un
échec et c'est encore un échec.
Voilà les quelques remarques que je voulais formuler, en vous remerciant de ce
débat.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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