SEANCE DU 27 MARS 2001
INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE
ET CONTRACEPTION
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 120, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à
l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. [Rapport n° 210
(2000-2001) et rapport d'information n° 200 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous
savez que, depuis 1997, ce gouvernement s'est engagé avec détermination dans
une politique volontariste en matière de droits des femmes. Nicole Péry et
moi-même avons dressé le bilan de cette action le 8 mars dernier. J'en
rappellerai brièvement les grandes lignes.
D'abord, les femmes peuvent accéder davantage aux responsabilités politiques
grâce à la loi du 6 juin 2000 sur la parité, qui vient de s'appliquer aux
dernières élections municipales. De même, la loi sur l'égalité professionnelle
propose un plan d'accès aux responsabilités dans la fonction publique.
En matière d'égalité d'accès au travail, nous nous sommes fixé pour objectif
que 55 % des bénéficiaires du dispositif de lutte contre le chômage et
l'exclusion soient des femmes. Nous savons que les femmes occupent une place
importante dans le dispositif d'embauche des emplois-jeunes. Par ailleurs,
elles ont bénéficié de nombre d'emplois qui ont été créés par la réduction de
la durée du temps de travail et qui ont permis à beaucoup d'entre elles de
passer du travail partiel subi à des postes de travail durable.
M. Patrick Lassourd.
Et elles bénéficient du travail de nuit...
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous avons également amélioré
les possibilités pour les femmes d'articuler la vie professionnelle et la vie
familiale en créant plus de 40 000 places dans les crèches et en permettant que
l'allocation d'aide à la reprise d'activité soit accordée aux femmes ayant un
enfant de moins de six ans.
Avec le secrétaire d'Etat au logement, nous avons aussi facilité un meilleur
accès aux droits de femmes, en favorisant, dans le cadre des plans
départementaux d'accès au logement des personnes défavorisées, la prise en
compte des demandes des femmes en grande difficulté, notamment des femmes
victimes de violences. Dans le cadre du programme de lutte contre l'exclusion,
je voudrais rappeler la possibilité de cumuler l'allocation de parent isolé
avec un revenu d'activité.
Je voudrais encore citer les travaux qui ont été menés par Nicole Péry
concernant la lutte contre les violences faites aux femmes : l'enquête
nationale qu'elle a lancée - la première du genre - qui a donné lieu à des
assises le 25 janvier dernier, le groupe de travail interministériel sur les
violences au sein du couple qui devrait permettre une nette amélioration de
l'information des femmes à l'égard des violences dans le couple et la prise en
charge des femmes victimes.
S'agissant de la santé des femmes, je voudrais rappeler que le programme de
lutte contre le cancer annoncé en février 2000 va aboutir, à partir de cette
année, au dépistage généralisé du cancer du sein pour les femmes âgées de
cinquante à soixante-quatorze ans, et que la création d'un diplôme d'études
spécialisées de gynécologie obstétrique et médicale va restaurer l'enseignement
spécifique de la gynécologie médicale.
M. Lucien Neuwirth.
Enfin !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Voilà, brièvement résumées, les
actions qui ont été menées ces dernières années en faveur des femmes.
J'ajouterai que le Gouvernement s'est attaché à deux autres priorités dans le
domaine de l'accès aux droits qui font précisément l'objet du projet de loi qui
vous est soumis : je veux parler du développement de la contraception et de
l'accès à l'interruption volontaire de grossesse.
La première priorité de la politique du Gouvernement dans ces domaines a été
de permettre de prévenir les grossesses non désirées en assurant un meilleur
accès à la contraception.
Personne, en effet, ne conteste le fait que la contraception ne soit pas
parvenue à réduire le nombre de grossesses non désirées, bien que plus de deux
Françaises sur trois, entre vingt et quarante-neuf ans, utilisent une méthode
contraceptive.
Malheureusement, les chiffres sont là : plus de 200 000 interruptions
volontaires de grossesse par an, 10 000 grossesses non désirées chez des
adolescentes, dont 7 000 conduisent à une interruption volontaire, et près
d'une femme sur trois confrontée à une telle décision au cours de son
existence.
Les échecs contraceptifs restent encore trop fréquents. Ils ont de multiples
causes, que nous avons cherché à analyser : les accidents de méthode -
préservatifs défectueux, oublis de pilule -, l'infertilité supposée, la méthode
inadéquate prescrite par le médecin, ou encore la contraception comme enjeu
dans les rapports entre homme et femme. N'oublions pas surtout que, pour les
mineurs, plus de 10 % des adolescentes ont leurs premiers rapports sexuels sans
aucune contraception.
A partir de ces constats, nous nous sommes fixé comme objectifs d'améliorer
l'information à la contraception et de faciliter l'accès de toutes les femmes à
tous les contraceptifs disponibles.
Ainsi, nous avons lancé, le 12 janvier dernier, une campagne d'information, à
laquelle nous avons consacré plus de 20 millions de francs. Je rappelle que la
dernière campagne officielle portant spécifiquement sur la contraception
remontait à 1982, et que l'initiative en revenait à Mme Yvette Roudy.
Cette campagne, lancée en janvier dernier, a trois cibles prioritaires, même
si l'ensemble de la population est concerné : d'abord, les jeunes, pour les
inciter à choisir la bonne contraception au bon moment ; ensuite, les
célibataires, pour les amener à mieux gérer une sexualité qui est, pour
certains d'entre eux, plus intermittente ; enfin, les couples, pour simplifier
le choix d'une contraception concertée.
Non seulement cette campagne sera reconduite cette année, mais elle le sera
régulièrement, ne serait-ce que pour que soit systématiquement touchée toute
nouvelle génération d'adolescents concernée.
Pour cette année, avec une nouvelle dotation de 20 millions de francs, la
campagne aura trois enjeux principaux. Il s'agit, d'abord, de favoriser une
utilisation effective de la contraception par les femmes et par leur
partenaire. Il s'agit, ensuite, de mobiliser les professionnels de santé et les
principaux relais d'information. Il s'agit, enfin, de valoriser les actions
menées en région l'année dernière et de les renforcer.
Nous avons pris également des dispositions pour faciliter l'accès de toutes
les femmes à tous les contraceptifs disponibles sur le marché, pour tenir
compte du coût de la contraception, de son remboursement et de l'évolution des
méthodes.
C'est ainsi que nous avons obtenu une réduction du prix du stérilet, dont le
remboursement est plus important depuis le 29 août 2000, avec une prise en
charge à 100 % pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle.
De la même façon, actuellement, seules les pilules oestroprogestatives de
première et de deuxième génération et les pilules progestatives sont
remboursables à 65 %.
C'est la raison pour laquelle nous avons entamé les démarches nécessaires pour
la mise sur le marché d'une pilule de troisième génération à un prix accessible
et remboursable dans les prochains mois.
M. Charles Descours.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Enfin, nous avons mis sur le
marché les premières pilules du lendemain : le Tétragynon en décembre 1998 et
le NorLevo en juin 1999. Il s'agit d'efforts qui sont loin d'être négligeables
et qui doivent être poursuivis. Vous avez été nombreux à nous interpeller pour
que les efforts soient démultipliés en matière d'éducation à la sexualité et de
facilité d'accès à la contraception. Certains d'entre vous estiment, et ils ont
raison, que trop peu de temps est consacré à ce sujet dans les écoles, les
collèges et les lycées. D'autres considèrent que les intervenants chargés de
ces enseignements ne sont pas toujours les bons ou ne sont pas suffisamment
formés. M. Neuwirth avait beaucoup insisté sur ce point, notamment en
commission. C'est un sujet sur lequel nous reviendrons sans doute au cours de
la discussion. Je rappelle que l'article 16 du projet de loi prévoit au moins
trois séances obligatoires d'éducation dans les collèges et dans les lycées.
Il convient également de renforcer la formation des professionnels de santé
afin que le dialogue qu'ils engagent avec les femmes soit mieux adapté à la
demande et aux attentes d'aujourd'hui.
Il faut aussi mieux associer les professionnels de santé aux campagnes
d'information - c'est l'un des objectifs de la campagne de cette année - pour
qu'ils servent de relais auprès des jeunes. Voilà ce que je tenais à dire en ce
qui concerne les efforts en faveur de l'accès à la contraception, de la
diffusion de l'information et de l'éducation à la sexualité.
La seconde priorité du Gouvernement est d'améliorer, quand il n'y a pas
d'autre choix, l'accès à l'interruption volontaire de grossesse.
Il ne faut pas que cette épreuve, car c'en est une, soit rendue encore plus
difficile à vivre par les conditions qui permettent d'accéder à l'IVG, par les
délais d'intervention et par les conditions d'accueil et d'information.
Pour parvenir à améliorer les conditions d'accès à l'interruption volontaire
de grossesse, nous avons pris plusieurs mesures.
D'abord, nous avons amélioré l'information. Comme vous le savez, nous avons
mis en place, depuis le 1er juillet 2000, des permanences téléphoniques dans
chaque région destinées à accueillir les femmes, à les informer sur toutes les
questions qu'elles se posent et à les orienter en direction du planning de
permanence des hôpitaux en matière d'IVG. Ces permanences, grâce à des
financements publics, seront désormais pérennisées. Les commissions régionales
de la naissance sont chargées de veiller à leur bon fonctionnement et à leur
bonne coordination avec le réseau de structures régionales, à la fois publiques
et privées, qui prennent en charge les interruptions volontaires de
grossesse.
Cette information n'est évidemment pas exclusive de l'information due à toute
femme enceinte qui le souhaite sur les aides dont elle peut bénéficier si elle
veut poursuivre sa grossesse. Beaucoup ont insisté sur ce point : je partage
leur souci. Le souhait du Gouvernement n'est pas de favoriser l'information
relative à l'IVG aux dépens de l'information destinée aux femmes qui veulent
poursuivre leur grossesse. Nous avons bien entendu à mener les deux actions.
Ensuite, nous avons amélioré l'accessibilité des structures susceptibles de
prendre en charge les interruptions volontaires de grossesse. Il s'agit, pour
l'essentiel, de mesures de nature organisationnelle, qui ne relèvent pas du
domaine de la loi mais que la loi viendra compléter.
En premier lieu, il fallait commencer par desserrer la pression s'exerçant sur
les plateaux techniques capables de prendre en charge les IVG, en renforçant
les moyens des équipes hospitalières et médicales. C'est ainsi que 12 millions
de francs ont été consacrés à ces équipes dans le budget 2000 et que 15
millions de francs le seront dans le budget de cette année.
Des mesures ont été prises aussi pour faciliter l'accès de toutes les femmes à
toutes les techniques d'interruption volontaire de grossesse, y compris
médicamenteuses, quel que soit le centre d'interruption volontaire sollicité.
Une circulaire en ce sens a été adressée le 17 novembre 1999 à tous les
directeurs d'établissement.
Par ailleurs, il a été demandé à l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé d'examiner les possibilités d'élargir les indications de la
Mifegyne, dite RU 486. Celle-ci ne peut aujourd'hui s'utiliser que jusqu'au
quarante-neuvième jour ; son extension jusqu'au soixante-troisième jour est à
l'étude.
L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, a aussi
été sollicitée pour élaborer, à l'intention des professionnels, des
recommandations de bonnes pratiques en matière d'interruption volontaire de
grossesse et pour intégrer aux critères d'accréditation des établissements le
bon fonctionnement de leur activité d'interruption volontaire de grossesse.
Ces deux volets de l'action gouvernementale, que je viens de rappeler, seront
évidemment poursuivis dans les prochains mois.
J'en viens au projet de loi qui vous est soumis.
Le texte initial du Gouvernement contient trois modifications principales
apportées à la législation actuelle. Il s'agit, d'abord, de l'allongement du
délai légal pour recourir à l'IVG : celui-ci passerait de dix semaines à douze
semaines de grossesse. Il s'agit, ensuite, de l'aménagement de l'obligation
d'autorisation parentale pour les mineurs qui souhaitent avoir recours à l'IVG.
Il s'agit, enfin, de la suppression des sanctions pénales liées à la propagande
et à la publicité en faveur de l'IVG.
Ce projet de loi a déjà été examiné en première lecture à l'Assemblée
nationale, où il a été l'occasion de débats de bonne tenue, même s'ils n'ont
pas permis de réduire tous les clivages. Je vais donc revenir brièvement sur
les dispositions du projet de loi initial.
J'examinerai, d'abord, l'allongement du délai légal de recours de dix à douze
semaines de grossesse. L'objectif de cette disposition est d'éviter que des
femmes qui ont pris la décision de recourir à une interruption volontaire de
grossesse ne soient contraintes, parce qu'elles sont hors délai, de partir pour
l'étranger ou d'avoir recours à une interruption médicale de grossesse. Il est
évident que le seul allongement du délai de deux semaines ne réglera pas le
problème de toutes les femmes, bien sûr. Il permettra cependant d'apporter une
solution à environ 80 % d'entre elles, d'après l'estimation du rapport Nisand,
sur les cinq mille qui, dans des conditions douloureuses et inacceptables,
traversent chaque année nos frontières pour réaliser une interruption
volontaire de grossesse. N'oublions pas non plus que cet allongement du délai
n'est pas la seule solution proposée et qu'elle s'inscrit dans l'ensemble de la
politique de prévention que je viens de rappeler.
S'agissant des obstacles en termes médicaux et de sécurité sanitaire qui ont
été mis en avant par certains, l'avis de l'Agence nationale d'accréditation et
d'évaluation en santé que nous avons sollicité - vous avez d'ailleurs
auditionné son président, M. Michel Tournaire - est clair : ces obstacles
n'existent pas. Le taux des risques de complication est actuellement de 1 % ;
il serait de 1,5 %. Par ailleurs, en février dernier, un rapport de votre
assemblée a fait une lecture comparée très instructive des dispositifs
législatifs qui existent en Europe. Nous savons que la plupart des pays
européens vont au-delà de dix semaines. Comme vous l'a dit, je crois, le
docteur Danielle Gaudry, les médecins français ne sont pas moins compétents sur
le plan technique que leurs confrères des Pays-Bas ou de Grande-Bretagne pour
réaliser des interruptions de grossesse à douze semaines.
Evidemment, il faut être attentif et prendre toutes les précautions
nécessaires pour prévenir les risques, aussi minimes soient-ils. Je pense
notamment - et je suppose que nous reviendrons au cours du débat sur ce point
qui a été abordé par l'Assemblée nationale - aux risques de dérives
eugéniques.
Vous connaissez l'avis du Comité consultatif national d'éthique à cet égard.
Son président a déclaré que c'est « effectivement faire injure aux femmes que
de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite
ou son arrêt ne tiendrait qu'à la seule connaissance ou du sexe ou des
anomalies du foetus ». En tout cas, ce que nous n'avons pas voulu, c'est
remettre en cause l'esprit de la loi Veil : jusqu'à douze semaines, c'est à la
femme d'exercer librement le choix d'interrompre ou non sa grossesse.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
L'IVG est un droit jusqu'à
douze semaines, et non plus jusqu'à dix semaines seulement. L'interruption
volontaire de la grossesse dans ce cas découle de la seule volonté de la femme
et elle répond à une situation de détresse liée au refus de la grossesse pour
différentes causes, qu'il appartient évidemment à chaque femme d'apprécier.
Personne ne peut ni juger ni décider à la place d'une femme qui se trouve dans
une telle situation.
J'en viens aux dispositions relatives à l'aménagement de l'obligation
d'autorisation parentale pour les mineures. Les mesures proposées affirment que
l'autorisation parentale reste la règle, mais elles ouvrent une possibilité de
dérogation à cette règle. On ne peut en effet ignorer certaines situations de
détresse, liées à des incompréhensions familiales. Il y a des cas où la mineure
ne peut pas envisager de parler d'une IVG à ses parents. Il y a des cas où les
parents s'y opposent. Enfin, il y a des situations où les parents sont
injoignables.
Par conséquent, avant toute chose, le médecin prendra le temps du dialogue. Il
tentera de convaincre la jeune fille qu'il serait préférable pour elle que ses
parents puissent l'accompagner dans cette période difficile de son existence.
Si la jeune fille persiste dans son souhait de garder le secret ou si, malgré
son souhait, elle ne peut obtenir le consentement de ses parents, son seul
consentement, exprimé librement en tête-à-tête avec le médecin, emportera la
décision. Cette décision vaut pour tous les actes qui sont liés à
l'interruption de grossesse, par exemple pour l'anesthésie.
Afin que la jeune fille ne reste pas seule tout au long de cette période
difficile, elle pourra choisir, après en avoir discuté au cours de l'entretien
préalable, un adulte pour l'accompagner, cet adulte pouvant être soit l'un des
professionnels du centre qu'elle a déterminé pour avoir recours à l'IVG, soit
un adulte de son entourage proche.
S'agissant de la responsabilité du médecin en cas de dommages consécutifs à
l'IVG, je tiens à préciser d'emblée que ce sont les règles générales de la
responsabilité médicale qui s'appliquent.
Pour ce qui est de la responsabilité de l'accompagnant - ce point a également
fait l'objet de débats à l'Assemblée nationale - j'ai saisi, comme je m'y étais
engagée, la ministre de la justice. Je vous livre le sens de sa réponse, qui
rejoint les propos que j'avais moi-même tenus devant l'Assemblée nationale :
aucune responsabilité civile ou pénale de la personne désignée ne saurait être
engagée par la mineure ou les titulaires de l'autorité parentale pour des faits
se rattachant à la mission d'accompagnement. Le consentement à l'interruption
volontaire de grossesse ne lui appartient pas ; elle n'intervient en rien dans
l'organisation de l'IVG et dans sa réalisation. C'est un acte médical qui est
donc soumis au régime normal de la responsabilité médicale.
Le troisième volet du projet de loi initial du Gouvernement concerne les
sanctions pénales.
Le texte prévoit la suppression des sanctions liées à la propagande et à la
publicité pour l'IVG, devenues obsolètes, ainsi que l'abrogation de la
disposition du décret-loi de 1939 relatif à la famille et à la natalité
française, qui prévoit une automaticité d'interdiction professionnelle pour les
médecins ayant pratiqué des IVG.
Les députés ont par ailleurs transposé du code pénal au code de la santé
publique, sans les modifier, les sanctions applicables au fait d'interrompre
une grossesse en dehors des délais fixés par la loi, ou de pratiquer une IVG
sans être médecin ou dans un lieu non habilité, ainsi qu'au délit de fourniture
de moyens à une femme pour une IVG sur elle même, en précisant que la femme ne
peut être considérée comme complice de ce délit. Il s'agit bien d'une simple
transposition du code pénal au code de la santé publique et les sanctions sont
évidemment maintenues.
Les députés ont également aménagé les éléments constitutifs du délit d'entrave
à l'IVG dans un souci de meilleure protection des femmes et des personnes qui
les aident et afin de voir réprimées les nouvelles formes de commandos
anti-IVG.
Je souhaite maintenant appeler votre attention sur trois autres modifications
retenues sur l'initiative des députés.
La première modification concerne la suppression de l'entretien obligatoire
pour les femmes majeures. Le Gouvernement ne s'est pas opposé à cette
proposition. Il a été sensible au fait que le maintien de l'obligation
d'entretien pour les femmes majeures pouvait paraître remettre en cause leur
légitimité à décider seules de leurs actes.
Les professionnels que la commission des affaires sociales a auditionnés ont,
dans leur grande majorité, approuvé ce choix.
Martine Le Roy, présidente de la Confédération du mouvement français pour le
planning familial, a indiqué, pour sa part, que l'obligation n'a pas de raison
d'être et n'apporte qu'un caractère répressif à l'entretien.
C'est ce que vous a dit également Bernard Maria, président du collège national
des gynécologues-obstétriciens français : « plus de 90 % des patientes qui
viennent faire une IVG sont forcément décidées dès la première consultation ».
Il est donc préférable, à son avis, que cet entretien soit « à la carte ». Le
dialogue, pour exister, doit être spontané ; s'il est imposé, son contenu est
différent.
Je veux encore citer le docteur Paul Cesbron, président de l'Association
nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception, ou le
docteur Bernard Bourreau.
La deuxième modification retenue a trait à l'introduction d'une procédure
collégiale pour toute décision d'interruption médicale de grossesse, l'IMG, en
faisant intervenir une commission pluridisciplinaire.
Le dispositif proposé permet la mise en oeuvre d'une procédure collégiale
d'expertise en ce qui concerne les deux situations permettant une IMG : la
poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ; il existe
une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une
particulière gravité.
S'agissant des interruptions médicales de grossesse envisagées en raison d'une
anomalie embryonnaire ou foetale, les nouvelles dispositions suggérées
complètent le dispositif qui fonctionne actuellement dans le cadre des centres
pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, dont les modalités sont fixées par
le décret n° 97-578 du 28 mai 1997. La commission créée disposera, pour valider
l'indication d'une IMG, des avis diagnostiques émis dans le cadre de la
concertation pluridisciplinaire menée au sein des structures précitées, qui
rassemblent toutes les compétences cliniques et biologiques dans le domaine du
diagnostic prénatal.
S'agissant des IMG envisagées lorsque la poursuite de la grossesse met en
péril grave la santé de la femme, la mise en place d'une commission d'expertise
pluridisciplinaire permet d'instaurer une concertation préalable nécessaire à
une prise de décision difficile. Cette concertation permet d'éviter toute
dérive et de préserver une appréciation des indications d'interruption de
grossesse fondée sur des critères médicaux stricts. Cette instance d'expertise
devra faire appel aux praticiens dont la qualification est requise par le grave
problème de santé de la femme.
Ces dispositions font l'objet de plusieurs propositions d'amendements de la
part de votre assemblée.
Les uns visent à préciser que lorsque la cause d'IMG est liée à un péril grave
pour la santé de la mère, la santé comprend la santé physique et psychique.
Cette précision nous apparaît inopportune : le terme « santé » couvre tous les
problèmes de santé sans distinction.
Les autres amendements visent à élargir le cadre de l'interruption médicale de
grossesse aux situations à caractère psychosocial. Je vous rappelle que nous
n'avons pas souhaité revenir sur l'esprit de la loi de 1975. En effet, ce qui
est déterminant pour l'interruption « volontaire » de grossesse, c'est la
démarche d'une femme à qui il revient, et à elle seule, de juger des raisons
personnelles affectives ou morales qui la conduisent à vouloir ne pas
poursuivre sa grossesse.
L'interruption « médicale » de la grossesse est une autre démarche : elle
concerne une grossesse qui ne peut être menée à son terme en raison des risques
qui menacent la santé de la mère ou celle de l'enfant.
La troisième modification retenue a trait à l'encadrement de la stérilisation
à visée contraceptive.
Ces dispositions tendent à encadrer le recours à la stérilisation volontaire
masculine et féminine pour les personnes capables et pour les personnes
incapables majeures.
Pour ce qui est des personnes majeures capables, la ligature des trompes ou
des canaux déférents ne peut être pratiquée que si la personne intéressée a
exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d'une
information claire et complète sur ses conséquences.
Cet acte chirurgical ne peut être pratiqué que dans un établissement de santé
et après une consultation auprès d'un médecin.
L'objectif est de mettre en évidence le seul fondement d'une telle
intervention, à savoir un choix libre, éclairé et motivé de la personne
intéressée, en prenant bien évidemment des garanties, c'est-à-dire un
consentement écrit après un délai de réflexion.
La commission des affaires sociales envisage de limiter ce droit aux personnes
âgées de plus de trente ans ou aux personnes qui ne peuvent bénéficier d'une
contraception autre. Ce n'est pas le choix des députés, que nous avons
soutenu.
Cependant, si le délai de réflexion de deux mois apparaît trop court, il
pourrait être prolongé.
Pour les personnes protégées, des conditions sont posées par le texte : une
contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une
impossibilité avérée de les mettre en oeuvre ; l'autorisation du juge des
tutelles, après audition des personnes utiles et avis d'un comité d'experts.
Plusieurs amendements visant à améliorer la rédaction de l'article 20 méritent
d'être débattus. Ils concernent notamment la saisine du juge des tutelles, les
personnes susceptibles d'être entendues et la composition de la commission.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler devant la Haute
Assemblée avant que nous n'engagions la discussion sur le texte tel qu'il est
proposé par le Gouvernement et amendé par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR
et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc.
Vous applaudissez alors que vous ne savez pas encore ce qu'il va dire !
M. Paul Blanc.
C'est par sympathie pour lui, parce qu'on le connaît bien !
M. Jean Chérioux.
Parce qu'il a notre estime !
M. Francis Giraud,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un quart
de siècle après le vote de la loi du 17 janvier 1975, le Parlement se trouve
conduit à réexaminer le cadre juridique régissant l'interruption volontaire de
grossesse.
Il s'agit d'un sujet de société difficile qui engage la conscience de chacun
de nous. Il concerne des situations humaines douloureuses, des détresses qui
imposent de nous garder de tout
a priori
idéologique ou moral.
A cet égard, la commission a analysé ce texte de manière sereine, avec
essentiellement des préoccupations de santé, au sens le plus large du terme,
pour toutes les femmes concernées.
La loi Veil du 17 janvier 1975 était nécessaire. Elle a permis de mettre fin à
cette honte collective que constituaient les décès de femmes souvent jeunes,
consécutifs à des avortements clandestins. Interne des hôpitaux, j'ai été
témoin de ces drames : je ne peux l'oublier.
La loi Veil est une loi courageuse, équilibrée, réfléchie. Ce n'est que
justice de rendre hommage à Simone Veil et à notre collègue Lucien Neuwirth
qui, quelques années auparavant, avait ouvert la voie à une contraception
maîtrisée.
(Applaudissements.)
Le Gouvernement propose aujourd'hui un certain nombre de modifications de la
loi Veil, consistant essentiellement à allonger de deux semaines le délai légal
pour pratiquer une IVG, soit à passer de dix à douze semaines de grossesse.
Avant d'analyser cette disposition, qui constitue le point le plus important
de ce projet de loi, quelques remarques s'imposent.
La commission des affaires sociales regrette la déclaration d'urgence dont le
Gouvernement a assorti la discussion du projet de loi. Un tel sujet aurait
nécessité réflexion et concertation entre les deux assemblées.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
MM. Jacques Machet et Jean Chérioux.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Le problème moral soulevé par l'interruption de la grossesse
a été abordé au fond et largement débattu lors du vote de la loi de 1975, puis
lors de son réexamen en 1979. De ce point de vue, il n'y a, à l'évidence,
aucune différence entre un avortement réalisé à huit, dix ou douze semaines de
grossesse. Le projet de loi n'ouvre pas de nouveau le débat sur
l'avortement.
Le constat du nombre d'IVG dans notre pays est accablant. Il est celui d'un
échec collectif dont la responsabilité est partagée par toutes les majorités
politiques qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans. En 1976, il y avait 250
000 IVG par an en France ; en 1998, il y en avait encore 214 000 !
Le comité consultatif d'éthique est sévère à ce propos. Il qualifie ce nombre
d'« inacceptable »...
M. Jacques Machet.
Il a raison !
M. Francis Giraud,
rapporteur
... et souligne : « Une société mieux éclairée dans son mode
de contraception subirait dans une moindre mesure la violence de l'interruption
de grossesse ».
La persistance d'un nombre élevé d'IVG témoigne, à l'évidence, d'une carence
dramatique dans une éducation qui devrait rendre les adolescents et les adultes
responsables de leur sexualité et de leur reproduction. L'exemple des Pays-Bas
montre qu'une politique d'éducation sexuelle précoce permet de réduire
significativement le nombre des IVG.
Elle témoigne aussi d'une carence dans l'enseignement médical concernant la
contraception, malgré quelques améliorations dans les programmes.
J'en viens maintenant à l'allongement de deux semaines du délai légal pour
pratiquer une IVG.
Cette modification de la loi Veil est jugée nécessaire pour répondre à la
situation de femmes dont le nombre est estimé à 5 000 par an et qui, ayant
dépassé le terme des dix semaines de grossesse, sont contraintes de se rendre à
l'étranger pour obtenir une IVG dans des pays où le terme légal est plus
éloigné.
Nul ne peut naturellement rester insensible à la détresse de ces femmes et
chacun, je crois, s'accordera à considérer que cela est véritablement
inacceptable.
On notera cependant que ces 5 000 femmes ne représentent que 2,3 % du nombre
d'IVG pratiquées chaque année en France. Le législateur s'interroge
nécessairement sur le bien-fondé de la modification d'une règle générale
respectée par 98 % des femmes concernées, pour traiter des situations certes
dramatiques, mais qui n'en concernent que 2 %.
On pourrait toutefois concevoir une modification des principes définis en 1975
si cet allongement du délai était de nature à résoudre les problèmes évoqués.
Ce n'est malheureusement pas le cas.
En effet, en pratique, seule la moitié des femmes - 2 000 à 3 000 selon les
estimations les plus fiables - seraient susceptibles de bénéficier de ces deux
semaines supplémentaires. L'autre moitié dépasse, de toute façon, le délai de
douze semaines de grossesse. Dans l'immédiat, qu'adviendra-t-il de ces femmes
enceintes ? Le projet de loi reste muet sur ce point : pour elles, ce sera
donc, comme aujourd'hui, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou l'Espagne !
Comment s'en satisfaire ?
De plus, un allongement du délai en conduira inévitablement un certain nombre,
de manière bien compréhensible s'agissant d'une décision aussi douloureuse, à
attendre davantage qu'elles ne font aujourd'hui.
Il y a fort à craindre que, demain, ce ne soient 5 000 femmes, et non plus 2
000 ou 3 000, qui se trouvent au-delà du délai légal de douze semaines de
grossesse. Faudra-t-il alors changer encore la loi pour passer à quatorze
semaines, puis à seize semaines de grossesse ?
Pourquoi un certain nombre de femmes sont-elles contraintes de partir à
l'étranger ? Les raisons sont de trois ordres.
Il y a, tout d'abord, l'insuffisante formation de nos concitoyens sur les
mécanismes de la transmission de la vie. Il n'est pas normal que des jeunes
filles se retrouvent hors délai tout simplement parce que personne ne leur a
expliqué qu'elles pouvaient être enceintes. La contraception est largement
répandue dans notre pays mais trop souvent mal maîtrisée.
Il y a, ensuite, les fréquentes difficultés rencontrées par les femmes pour
accéder à l'IVG dans les délais légaux. Les nombreuses auditions auxquelles
notre commission a procédé ont montré les dysfonctionnements que connaissent
les structures chargées d'accueillir les femmes et de pratiquer les IVG :
manque de personnels médicaux et paramédicaux en raison des difficultés de
recrutement, moyens insuffisants, accueil parfois inadapté des femmes, etc.
Il y a, enfin, des situations particulières de détresse extrême qui conduisent
à un dépassement des délais. Il s'agit souvent de femmes isolées, en situation
de précarité, parfois victimes de viols, voire d'incestes.
A toutes ces difficultés, le texte de loi répond par un allongement du délai
légal, qui ne portera pas remède à l'ignorance de certains de nos concitoyens
sur les mécanismes essentiels de la transmission de la vie, qui n'améliorera
pas et risquera même de dégrader le fonctionnement quotidien du service public
de l'IVG, qui, enfin, ne résoudra en rien les situations particulières de
détresse évoquées à l'instant.
Outre qu'il n'apporte aucune solution au problème posé, l'allongement du délai
comporte un certain nombre de risques qui sont loin d'être négligeables.
S'est-on sérieusement interrogé sur les raisons qui ont poussé le législateur
de 1975 à choisir la période de dix semaines pour le délai légal au-delà duquel
l'IVG n'était plus autorisée ?
Il ne s'agissait ni de philosophie ni de morale ; il s'agissait de
considérations anatomiques et embryologiques liées aux développement de la vie
et au passage de l'état d'embryon à celui de foetus.
A dix semaines, il y a un seuil qui modifie notoirement l'acte médical
nécessaire à l'interruption de grossesse.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Si une aspiration simple peut être pratiquée avant dix
semaines, car l'embryon a encore une consistance liquide ou gélatineuse, après
ce délai, sa formation est avancée et le foetus a commencé à s'ossifier.
Dans ces conditions, on comprend la nécessité de l'intervention
médico-chirurgicale, qui se traduit le plus souvent par une anesthésie générale
et une fragmentation foetale pour permettre curetage et aspiration dans des
conditions beaucoup plus difficiles.
La compétence et l'expérience requises sont alors différentes. Des
complications plus graves peuvent survenir.
Sur ce problème strictement médical, lors des auditions, des points de vue
variés ont été exposés.
Pour la commission, ce débat a été arbitré par le texte émanant conjointement
de l'Académie nationale de médecine et de l'ordre national des médecins : «
Ayant pour unique objectif la sécurité et la qualité des soins et après avoir
pris l'avis du collège national des gynécologues obstétriciens français,
l'Académie nationale de médecine de l'ordre national des médecins rappellent
que plus on s'éloigne des premières semaines de grossesse, plus le risque de
complications devient grand. »
M. Jacques Machet.
Eh oui !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
« Dans l'intérêt de la santé des femmes, ils demandent que
toutes les précautions médicales requises dans cette éventualité soient mises
en place. Celles-ci devront être différentes de celles jusqu'alors utilisées
dans les centres d'orthogénie : les moyens devront être intégrés dans une
structure disposant d'un plateau technique chirurgical ; ils devront concerner
non seulement les équipements et les locaux, mais aussi la compétence des
intervenants et le recours habituel à la discipline d'anesthésie-réanimation.
»
Comment réagiront les médecins et les personnels médicaux des centres
d'orthogénie placés dans cette nouvelle situation ?
Lors des auditions, la commission a perçu des réticences, voire des refus, ce
que confirme l'enquête réalisée par notre collègue Claude Huriet.
Allonger le délai de deux semaines aura aussi des répercussions sur le
diagnostic prénatal.
Les échographies se font, dans notre pays, à la onzième semaine. Or, les
progrès stupéfiants de l'imagerie médicale permettent de déceler tel ou tel
défaut éventuel plus ou moins grave. Cela signifie qu'en reculant le délai pour
l'avortement et en remontant de plus en plus tôt la date de l'examen prénatal
du foetus on augmente le nombre d'IVG qui, majoritairement, ne correspondraient
pas à des anomalies graves de l'enfant. Selon l'expression du professeur
Nisand, le croisement de ces deux courbes est « mortifère ».
Bien entendu, on ne peut en aucun cas parler d'eugénisme collectif ou d'Etat,
et ce serait faire injure aux femmes de penser qu'un avortement se décide sans
raison majeure. Mais on met en place, sans l'avoir voulu, les instruments de la
sélection individuelle des enfants à naître.
(Applaudissements sur les
travées du RPR. - Mme Pourtaud proteste.)
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Votre rapporteur, de ce point de vue, sait de quoi il parle,
puisque, dans le département de génétique médicale qu'il a dirigé à Marseille,
il a créé, en 1984, avec le professeur Jean-François Mattei, un centre de
diagnostic prénatal.
La vérité impose de tenir compte des progrès médicaux. Comment réagira une
femme enceinte de onze semaines à qui l'on apprend qu'une légère modification
de la nuque de son foetus nécessite, à la dix-huitième semaine, d'autres
examens pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une trisomie 21 ? Acceptera-t-elle
ce risque ou cette incertitude, alors qu'elle peut avorter légalement sans
justification jusqu'à douze semaines ?
En définitive, l'allongement du délai légal constitue une réponse inadaptée à
un problème réel.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Cette mesure est une fuite en avant qui revient à déplacer
les frontières de l'échec.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
Donnant la priorité à l'impératif de santé publique, la commission a donc fait
le choix de s'opposer à l'allongement du délai légal et de formuler,
parallèlement, six propositions de nature à apporter une solution effective aux
difficultés rencontrées.
Première proposition : se doter des moyens d'appliquer correctement les lois
existantes.
La commission ne peut que rappeler qu'il est aujourd'hui de la responsabilité
du Gouvernement de mettre enfin en place les moyens nécessaires au bon
fonctionnement du service public de l'IVG.
Si ces moyens en personnels formés et disponibles, en structures proches et
accessibles, avaient pu être dégagés ou pouvaient l'être aujourd'hui, le projet
de loi perdrait sa raison d'être dans ses dispositions essentielles.
De même est-il également de la responsabilité du Gouvernement de définir une
politique ambitieuse d'éducation responsable à la sexualité et d'information
sur la contraception, qui mobilise autant le corps enseignant que le corps
médical et ouvre le dialogue au sein des familles.
Deuxième proposition : permettre la prise en charge des situations les plus
douloureuses dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse, l'IMG.
La commission propose que ces situations puissent être prises en charge dans
le cadre de l'interruption médicale de grossesse. Chaque cas serait alors
examiné par une commission pluridisciplinaire comprenant un médecin choisi par
la femme, un médecin gynécologue obstétricien et une personne qualifiée
non-médecin, qui pourrait être une conseillère conjugale, une psychologue ou
encore une assistante sociale. Cela représenterait, en moyenne, un cas par
département et par semaine ; notre pays a, à l'évidence, les moyens d'organiser
une telle prise en charge.
L'interruption médicale de grossesse, comme le prévoit la loi Veil, peut être
pratiquée à tout moment si la poursuite de la grossesse met en péril la santé
de la femme ou s'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit
atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au
moment du diagnostic. Ici, aucun changement.
De plus, la commission propose que la référence à la santé de la femme inclue
sa santé psychique, appréciée notamment au regard de risques avérés de suicide
ou d'un état de détresse consécutif à un viol ou un inceste. Cette précision
permettrait la prise en charge des situations les plus douloureuses, qui
constituent souvent l'essentiel des cas de dépassement de délais.
La troisième proposition vise à maintenir le caractère obligatoire de
l'entretien social préalable.
Cet entretien est aujourd'hui l'occasion pour la femme d'exposer ses
difficultés personnelles, conjugales, familiales, d'être informée des aides et
soutiens dont elle peut bénéficier, de parler de la contraception et de
préparer ainsi l'avenir.
Contrairement à ce que semblent croire les députés, « obligatoire » ne
signifie pas « dissuasif ». S'il est exact que la grande majorité des femmes
qui demandent une IVG ont déjà arrêté leur décision, en quoi cet entretien
serait-il préjudiciable ? La femme serait-elle moins libre parce qu'elle serait
mieux informée ?
Rendre cet entretien facultatif aboutira à ce qu'un bon nombre de femmes n'en
bénéficient pas, surtout celles pour lesquelles il pourrait être le plus
utile.
M. Dominique Braye.
C'est évident !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
La quatrième proposition tend à entourer de garanties la
difficile question de l'accès des mineures à l'IVG.
Si le projet de loi réaffirme que l'autorisation parentale reste la règle en
matière d'IVG des mineures, il ouvre cependant une possibilité de dérogation à
ce principe.
Si la jeune fille persiste dans son souhait de garder le secret ou si, malgré
son souhait, elle ne peut obtenir le consentement de ses parents. Elle pourra
finalement prendre seule la décision de demander une IVG. Elle choisira alors
une personne majeure pour l'accompagner dans sa démarche.
Chacun comprendra que cette disposition législative est symboliquement lourde
et que ses conséquences juridiques sont graves. Après avoir longement réfléchi,
la commission vous propose cependant d'en accepter le principe. En effet, si,
dans la très grande majorité des cas, la mineure obtient l'accord de l'un de
ses deux parents, il est des situations où le consentement parental paraît
impossible à obenir, soit pour des raisons culturelles, soit pour des raisons
simplement matérielles. Il est des cas où la simple annonce d'une grossesse
mettrait en danger la vie de la jeune fille. Le recours au juge des enfants
paraît alors inadapté.
Si la commission propose d'accepter cette dérogation, elle souhaite entourer
cette possibilité d'un certain nombre de garanties : il n'est pas envisageable,
en effet, que la mineure puisse être livrée à elle-même ou qu'elle soit, comme
le prévoit le projet de loi, simplement « accompagnée » par une personne de son
choix qui pourrait être n'importe qui.
Elle propose par conséquent que cette personne ne se limite pas à accompagner
la mineure, concept qui n'a aucune signification juridique, mais l'assiste, par
référence aux dispositions du code civil qui prévoient, dans certaines
situations, l'assistance d'un mineur par une personne adulte. Cette
modification terminologique a naturellement des conséquences juridiques
puisqu'elle suppose l'exercice d'une responsabilité à l'égard de la mineure. La
responsabilité de la personne référente ne pourrait cependant pas être mise en
cause par les parents de la mineure puisque la loi lui confie cette mission.
Il s'agit aussi de réaffirmer la nécessité d'un suivi médical de la
contraception. Le projet de loi supprime l'obligation d'une prescription
médicale pour la délivrance de contraceptifs hormonaux, obligation qui résulte
de la loi Neuwirth de 1967. Ces contraceptifs pourraient ainsi être mis en
vente libre si l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
jugeait qu'ils ne présentent aucun danger.
Le Gouvernement fait valoir que la modification qu'il propose ne changera rien
dans la pratique puisque aucun contraceptif hormonal, à l'exception du NorLevo,
contraceptif d'urgence, ne remplit aujourd'hui les conditions pour être mis en
vente libre.
La modification proposée vise donc à modifier le droit actuel pour préparer un
avenir hypothétique : celui où apparaîtraient sur le marché des contraceptifs
hormonaux qui ne présenteraient absolument aucun danger pour la santé.
Favorable à tout ce qui peut développer la contraception, qui est le meilleur
garant de la diminution des IVG, la commission s'oppose pourtant à cette
disposition, en particulier en ce qui concerne la première prescription.
En effet, une information sur la contraception mieux développée, mieux
comprise et mieux acceptée permettrait de diminuer sensiblement le nombre des
IVG. Or, la diffusion d'une contraception bien comprise suppose un
accompagnement médical. Comme l'a souligné l'Académie nationale de médecine, à
condition d'être l'objet d'un suivi médical, la contraception ne comporte que
de très faibles risques pour la santé. »
En effet, l'obligation de prescription permet un bilan et un suivi médical de
la femme et un dépistage précoce de certaines pathologies. Le dialogue entre le
médecin et la femme est indispensable pour assurer une bonne compréhension et
un bon usage d'une contraception efficace ; il assure en outre le choix d'une
contraception adaptée à la situation de chaque femme.
Au regard des impératifs de santé publique, et quand bien même apparaîtraient
des contraceptifs hormonaux sans danger pour la santé, il paraît nécessaire à
la commission des affaires sociales de maintenir l'obligation de prescription
médicale pour ces contraceptifs.
Notre dernière proposition vise à encadrer la pratique de la stérilisation à
visée contraceptive.
La commission regrette que l'Assemblée nationale ait cru bon d'introduire dans
ce projet de loi, par voie d'amendement et de manière un peu précipitée, un
important volet relatif à la stérilisation à visée contraceptive, comportant
deux articles additionnels.
La stérilisation constitue, à l'évidence, un acte grave qui méritait à tout le
moins une réflexion préalable approfondie et un véritable débat.
Si la commission reconnaît la nécessité de donner un cadre légal à la pratique
de la stérilisation à visée contraceptive, elle a souhaité encadrer cette
possibilité afin de protéger la santé des personnes et d'éviter que des excès
ne puissent être commis. Il serait en effet dommageable que la loi puisse par
exemple autoriser une stérilisation sur une femme âgée de vingt-cinq ans, sans
descendance et sans contre-indication à la contraception.
Elle vous propose par conséquent de n'autoriser la stérilisation à visée
contraceptive que dans deux cas : si la personne est âgée de trente ans au
moins, cet âge pouvant naturellement donner lieu à débat, ou lorsqu'il existe
une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une
impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement. La personne doit, en
outre, être informée du caractère généralement définitif de cette opération.
S'agissant de la stérilisation des majeurs sous tutelle, elle vous propose de
prévoir qu'elle ne peut être pratiquée qu'à la demande des parents ou du
représentant légal de la personne concernée et que, si la personne concernée
est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être systématiquement
recherché. Il ne peut être passé outre à son refus ou à la révocation de son
consentement.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, les orientations que la commission des affaires
sociales vous propose d'adopter sur ce texte.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Raymond Courrière.
Bonjour la liberté !
Mme Hélène Luc.
Vous n'avez pas beaucoup évolué, à droite !
M. le président.
La parole est à Mme Terrade, au nom de la délégation aux droits des femmes et
à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Odette Terrade,
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les hommes et les femmes.
Monsieur le président, madame la ministre,
madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la délégation aux droits des
femmes a été saisie, à sa demande, par le président de la commission des
affaires sociales, du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de
grossesse et à la contraception.
La délégation a examiné, il y a quelques semaines, un rapport d'information
présentant les raisons qui sont à l'origine de l'examen de ce texte, le
contexte dans lequel il s'inscrit et ses conséquences pratiques. Elle a ensuite
approuvé à une voix de majorité le projet de recommandations que je lui avais
soumis, certaines de ces recommandations ayant tout de même été approuvées à
l'unanimité.
A titre liminaire, je souhaite faire observer que le droit à la maîtrise de
leur fécondité par la contraception et, éventuellement, par l'IVG, a constitué,
pour les femmes, un acquis majeur pour leur émancipation et une condition
favorable à l'égalité de leurs chances avec les hommes au sein de la
société.
Cet acquis a, avant tout, résulté de luttes importantes des femmes, mais aussi
de l'engagement de certaines personnalités. A ce sujet, je voudrais saluer la
détermination, l'action et le courage politique de notre collègue Lucien
Neuwirth dans la prise en compte de ces luttes par la loi de 1967 sur la
contraception qui porte son nom. Je souhaitais, au-delà de nos divergences
politiques, lui rendre hommage avec beaucoup de sincérité.
(Applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyens, sur les travées
socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR.)
La maîtrise de leur fécondité par la contraception et, éventuellement, par
l'IVG constitue un droit essentiel pour les femmes, disais-je. Pour autant, le
recours à l'IVG est un droit dont chacun voudrait qu'aucune femme ne soit
placée dans l'obligation de l'exercer, parce qu'il est vécu douloureusement la
plupart du temps. Tout le monde regrette que plus de 220 000 femmes y recourent
chaque année en France, alors que d'autres pays comparables au nôtre et à la
législation parfois plus libérale ne connaissent pas de tels chiffres.
Dès lors, si le droit à l'IVG doit être préservé et renforcé, des
améliorations doivent dans le même temps être apportées au droit à la
contraception, précisément parce qu'il doit contribuer à réduire naturellement
le nombre des IVG.
A cet égard, le rapport d'information de la délégation insiste délibérément
sur le volet « contraception » du projet de loi, considérant comme nécessaire
d'engager un effort accru en faveur de l'information et de l'accès à la
contraception.
La première partie de ce rapport dresse un état de la situation actuelle du
droit des femmes à la maîtrise de leur fécondité, résultat d'un siècle de
luttes mais qui est encore loin d'être satisfaisante. Les droits obtenus par
les femmes depuis trente ans doivent ainsi faire l'objet d'une grande vigilance
car leur exercice n'est pas toujours facilité, quand ils ne sont pas tout
simplement combattus.
Enumérant les problèmes existants, le rapport cite notamment les lacunes de
l'information des adultes et des jeunes sur les méthodes contraceptives, la
trop faible participation du corps médical à cette information, faute notamment
d'une formation initiale et permanente suffisante, le désintérêt relatif des
chercheurs pour l'amélioration des produits contraceptifs, le mauvais
remboursement des produits les plus efficaces. Il relève également les actions
illégales et condamnables visant à empêcher les services d'orthogénie de
fonctionner ou à interdire aux femmes de s'y rendre, l'usage extensif de la
clause de conscience par certains médecins qui empêche nombre de femmes
d'accéder à l'IVG dans les meilleurs délais, ainsi que la diminution
inquiétante du nombre des médecins pratiquant l'IVG, activité éprouvante
n'offrant guère de motifs de satisfaction et, comme telle, relativement
méprisée par le corps médical.
La seconde partie du rapport est consacrée au contenu du projet de loi que Mme
la ministre vient de présenter. Je vous indique simplement que la délégation
est favorable à ce projet de loi et que, dans le corps de son analyse, elle
fait état des pistes qu'elle suggère de suivre dans ses recommandations pour,
de son point de vue, améliorer le dispositif d'accès à la contraception et à
l'IVG.
Enfin, dans la dernière partie de son rapport, la délégation a jugé impératif
que des moyens accompagnent ces avancées législatives, qu'un engagement plus
prononcé des pouvoirs publics en faveur d'une véritable politique de la
contraception soit affirmé et que les dispositifs d'accueil des femmes qui
demandent une IVG soient renforcés.
Parmi les pistes que suggère le rapport figurent l'information de nos
concitoyens et de nos concitoyennes, particulièrement des jeunes, sur la
contraception, l'implication plus grande des médecins, conditionnée par une
réflexion sur leur formation, la reprise de la recherche en matière de
traitements contraceptifs, un meilleur remboursement de ceux-ci, un
renforcement des moyens budgétaires pour les centres d'IVG, une réflexion sur
le recrutement, le statut, la rémunération et l'avenir des professionnels,
notamment des médecins, et, enfin, la planification de l'ouverture des centres
pendant la période estivale et l'institution de « numéros verts » régionaux.
J'en viens, pour conclure, aux recommandations adoptées par la délégation.
A la majorité d'une voix, elle s'est déclarée favorable au dispositif du
projet de loi, ayant déjà exprimé, à l'occasion de l'examen de la proposition
de loi relative à la contraception d'urgence, son soutien de principe à toute
mesure de nature à diminuer le nombre des grossesses non désirées et, par
conséquent, celui des interruptions volontaires de grossesse, qui demeure
encore important.
Elle a estimé en particulier indispensable de promouvoir une véritable
politique publique en faveur de la contraception qui, à terme, devrait
permettre de ramener le nombre d'IVG en France à un niveau comparable à celui
de ses principaux partenaires européens.
A l'unanimité, la délégation s'est félicitée des engagements pris en faveur de
la pérennisation des campagnes publiques d'information sur la contraception et
des efforts entrepris par le ministère de l'éducation nationale pour assurer
aux adolescents des séquences d'éducation à la sexualité tout au long de leur
scolarité, mais elle a relevé que des moyens suffisants devront être dégagés
pour garantir l'efficacité de ces méthodes de sensibilisation.
Elle a observé, à l'unanimité, que cette information et cette éducation, qui
concernent tout autant les hommes que les femmes, pourraient être mieux
relayées auprès de ces dernières par le corps médical, et tout spécialement les
médecins généralistes, qui crédibiliseraient ainsi le discours public.
Elle a, dès lors, recommandé un renforcement et une amélioration de la
formation des étudiants en médecine sur la contraception et ses méthodes, et
sur les façons d'aborder ces questions avec leurs patientes.
S'agissant plus particulièrement du projet de loi, la délégation, à la
majorité d'une voix, a considéré que ses dispositions étaient propres à
faciliter l'accès à la contraception. Elle s'est déclarée favorable à la
suppression de l'accord parental pour la délivrance aux mineures de méthodes et
de traitements contraceptifs ainsi qu'à l'institution d'un dispositif de
gratuité pour la contraception des mineures, à l'instar de celui qui a été mis
en place, sur l'initiative du Sénat, pour la contraception d'urgence.
Par ailleurs, concernant la légalisation de la stérilisation volontaire à
visée contraceptive, notre délégation a recommandé à la majorité d'une voix la
prise en charge totale de ces opérations par la sécurité sociale.
Elle s'est cependant interrogée sur les financements qui devraient accompagner
l'ensemble des mesures relatives à la contraception pour les rendre pleinement
effectives.
La délégation a, à la même majorité d'une voix, considéré comme indispensable
que les pouvoirs publics oeuvrent, par tous les moyens dont ils disposent, à
favoriser les progrès de la recherche en matière de techniques contraceptives,
notamment en termes de sûreté et d'allégement des contraintes, et pour les
rendre accessibles à toutes et à tous par leur remboursement total par la
sécurité sociale.
Elle a estimé que, loin de susciter des dépenses supplémentaires, une telle
politique serait au contraire globalement économe des deniers publics et
sociaux, la charge collective, directe et induite, du recours important à l'IVG
devant en effet, grâce à elle, être rapidement réduite.
En ce qui concerne l'IVG, la délégation a été, toujours à la majorité d'une
voix, favorable à la prolongation de deux semaines du délai légal
d'intervention, qui devrait permettre de diminuer le nombre de femmes
contraintes de se rendre à l'étranger ou de poursuivre une grossesse qu'elles
ne désirent pas.
A l'unanimité, la délégation a toutefois recommandé plusieurs actions.
Il s'agit, d'abord, d'accroître les moyens humains, matériels et financiers
des centres d'orthogénie, d'améliorer le statut des personnels médicaux et non
médicaux, et de renforcer leur formation afin de favoriser un meilleur accueil
des patientes, de parvenir à une réduction générale des délais d'intervention
et d'organiser les interruptions de grossesse au-delà de la dixième semaine
dans des conditions de sécurité maximales.
Il s'agit ensuite d'instituer, dans chaque département, des « numéros verts »
offrant des renseignements pratiques - adresses, coordonnées téléphoniques,
horaires d'ouverture - sur les centres de planification, les centres
d'orthogénie et les associaitons susceptibles de recevoir et de délivrer aux
femmes, en particulier aux adolescentes, des informations sur la contraception,
sur l'IVG et sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
Par ailleurs, la délégation a recommandé d'apprécier le motif médical
susceptible de permettre une interruption médicale de grossesse au-delà de la
douzième semaine de grossesse conformément aux prescriptions de l'Organisation
mondiale de la santé, qui définit la santé comme un « état de bien-être
physique, mental et social ».
Enfin, à la majorité d'une voix, la délégation a également recommandé
d'accélérer, sur le fondement de la disposition du projet de loi donnant une
base légale au développement des IVG en médecine ambulatoire, la mise en oeuvre
de l'engagement du Gouvernement de favoriser, au cours des cinq premières
semaines de la grossesse, le recours aux méthodes médicamenteuses
d'interruption de la grossesse.
S'agissant des jeunes filles mineures, la délégation a observé, à la majorité
d'une voix, que le dispositif du projet de loi institué pour leur permettre, si
le consentement des parents n'a pas pu être recherché ou obtenu, de subir une
IVG dans le secret devra, pour être applicable, être précisé en ce qui concerne
la responsabilité tant du corps médical que de l'adulte référent. Cette
majorité a, en outre, souligné l'attention toute particulière qu'il conviendra
de porter à l'accompagnement post-IVG de ces jeunes filles en détresse,
lorsqu'elles ne pourront compter sur le soutien affectif de leur famille.
Enfin, la délégation a recommandé, à la majorité d'une voix, d'étendre le
délit d'entrave à la pratique légale des IVG aux pressions, menaces et actes
d'intimidation exercés à l'encontre de l'entourage des personnels médicaux et
non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés à l'article L.
2212-2 du code de la santé publique.
Tels ont été, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les travaux et
les recommandations de la délégation aux droits des femmes. Ce fut un plaisir
et un l'honneur pour moi de rapporter un projet de loi relatif à l'IVG et à la
contraception, qui est un volet majeur des droits des femmes et de leur
émancipation, et qui, je sais, est attendu par des milliers de femmes dans
notre pays.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après l'exposé tout à fait
important et je crois juste de notre rapporteur, M. Francis Giraud, et les
propos de Mme Terrade, je voudrais faire un certain nombre d'observations et,
peut-être, mettre en garde le Gouvernement sur la voie dans laquelle il tente
d'entraîner le Parlement.
Lorsque nous avons abordé ce projet de loi, nous nous sommes demandé s'il ne
s'agissait pas tout simplement d'une loi d'imitation, tant était mise en avant
la situation dans certains pays voisins où, en effet, les délais légaux
d'interruption de grossesse sont beaucoup plus longs.
Il se trouve que j'ai rapporté la loi de 1979, qui visait à pérenniser la loi
de 1975, dite loi Veil : nous nous étions déjà posé la question de savoir s'il
fallait dépasser le délai de dix semaines qui était préconisé.
Les motivations qui nous ont amenés à maintenir ce délai n'ont pas changé :
Francis Giraud l'a dit, elles sont d'ordre non pas éthique, mais médical. Sans
doute ne proposerons-nous pas, au gré des tenants du discours que nous
entendons ici ou là, une loi politiquement correcte ; ce qui nous importe,
c'est qu'elle soit médicalement correcte.
(Tout à fait ! sur les travées du RPR.)
Je pense, en effet, que le rôle
du législateur n'est pas de suivre l'air du temps. Dans un domaine comme
celui-ci, il est de veiller à ce que la décision qu'il prend n'entraîne pas
pour la santé publique, donc pour les citoyens, en l'occurrence les citoyennes,
des difficultés dont il serait, en tant que législateur, responsable.
M. le rapporteur l'a indiqué tout à l'heure, nous sommes dans une procédure
d'urgence ; c'est la première fois qu'un tel texte est proposé en urgence, et
il l'a été dès le départ.
Je lisais tout à l'heure une déclaration du président de l'Assemblée
nationale, M. Raymond Forni, qui, après avoir constaté que le Sénat avait mis
un certain temps pour traiter du problème du calendrier électoral, a dit que
nous aurions mieux fait de consacrer notre temps à étudier l'allongement du
délai de l'IVG et les textes restés en souffrance... Pour qui nous prend-on
?
Le projet de loi relatif à l'IVG et à la contraception a été déposé en octobre
2000 et a été examiné en première lecture par nos collègues députés le 30
novembre 2000. Nous ne discutions pas encore du calendrier électoral. Or, dès
son examen par l'Assemblée nationale, il a été assorti de la déclaration
d'urgence. Comment imaginer que, pour un texte de cette importance et auquel
vous êtes légitimement attachée, madame le secrétaire d'Etat, on puisse
déclarer l'urgence, c'est-à-dire empêcher les deux assemblées de dialoguer ?
Tout cela au bénéfice de quoi ? D'un texte qui était une proposition de loi,
que le Gouvernement pouvait inscrire à l'ordre du jour prioritaire mais qu'il
pouvait également décider de retirer pour permettre la discussion du texte
relatif à l'interruption volontaire de grossesse. Il ne l'a pas fait : ce n'est
donc pas le Sénat qui est responsable de ce retard ou du recours à l'urgence.
L'urgence avait été déclarée avant et le Gouvernement avait toute latitude de
faire en sorte que nous puissions discuter de l'IVG. La commission était prête,
les rapports étaient rédigés. Je voudrais donc que l'on n'impute pas au Sénat
un retard qui n'est nullement de sa responsabilité.
Un certain nombre d'autres points méritent également réflexion. Tout à
l'heure, notre collègue Claude Huriet fera état du résultat de l'enquête qu'il
a réalisée. Elle est très instructive en ce qui concerne la presque totalité
des centres d'interruption volontaire de grossesse et les inquiétudes, les
réticences, voire les refus des médecins de s'engager dans un débat qui
reviendrait finalement à dire : « Que les femmes se débrouillent ! ».
Nous devons faire attention, quand nous légiférons dans ce domaine-là, de ne
pas faire une loi d'hommes, c'est-à-dire une loi faite par des hommes qui
dégageraient leur responsabilité sous le prétexte que les femmes, dont nous
respectons la décision, sont responsables de leur corps et, par conséquent,
libres de demander une interruption volontaire de grossesse, ce que nous avions
prévu en 1974 et confirmé en 1979. Que la femme se débrouille donc jusqu'à dix
semaines, douze semaines ; il lui suffit de savoir qu'elle peut solliciter une
interruption volontaire de grossesse !
Non ! Une grossesse commence à deux, et son interruption est une décision
grave, même si elle peut paraître facile à prendre. Dans le dispositif que nous
proposons, il y a un certain partage de la décision, même s'il est vrai qu'au
bout du compte la femme doit pouvoir décider. Je m'attendais par conséquent
plus à être taxé de laxisme que considéré comme adoptant des positions
rétrogrades ou sans lien avec la modernité.
Or, cette responsabilité, c'est aussi celle des médecins. On peut dire, comme
Mme le ministre l'a fait tout à l'heure, que les médecins sont protégés en
l'occurrence comme ils le sont pour tout acte médical, sauf que la loi ne les
oblige pas à pratiquer cet acte-là. Ils acceptent de le faire, ce qui n'est pas
tout à fait la même chose que de répondre à l'obligation d'apporter les
meilleurs soins possibles au malade et de consacrer les meilleurs moyens à son
traitement.
Ainsi, on leur demande d'être volontaires et il ne me semble pas possible
qu'il puisse en aller autrement. On ne peut pas « instrumentaliser » le médecin
et lui dire : « prenez la canule et la curette et arrêtez les grossesses
jusqu'à douze semaines ! »
Le médecin qui accomplit cet acte engage donc sa responsabilité au-delà de ce
qu'exigent le code de déontologie et la loi. D'ailleurs, nous aussi nous
engageons notre responsabilité, comme vous, madame le secrétaire d'Etat.
Les propos qui seront tenus au cours de ces deux journées, trop courtes, comme
je l'ai dit au ministre chargé des relations avec le Parlement, seront lus un
jour, non pas par les hagiographes de certains d'entre nous ni par les
sociologues - le débat sera largement dépassé d'ici là ! - mais par les avocats
et les magistrats qui auront à traiter d'incidents, voire d'accidents qui
seront survenus dans le cadre des dispositions qui nous viennent de l'Assemblée
nationale. Nos concitoyens cherchant de plus en plus, lorsque quelque chose ne
fonctionne pas bien, à trouver des responsables, on verra alors que des mises
en garde avaient été faites, mises en garde qui n'auront pas été prises en
compte.
Bien d'autres sujets mériteraient un développement. Mais, pour ne pas allonger
le débat, je ne les aborderai pas maintenant. Nous en discuterons lors de
l'examen des articles.
En tout cas, je pense que les propositions mesurées que nous ferons
permettront, mieux que les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, de
trouver une solution à un certain nombre de situations ; je pense notamment, à
cet égard, aux femmes qui auront dépassé la douzième semaine de grossesse.
Je me rappelle que, en 1979, Pierre Simon, qui travailla sur la contraception
avec Lucien Neuwirth, avant d'être le conseiller de Simone Veil, lors de
l'élaboration de la loi de 1975, considérait qu'il était certes possible
d'autoriser l'interruption volontaire de la grossesse au-delà de la dixième
semaine, mais que les risques de dérives imposaient que l'on en reste là.
Notre ambition n'est pas aujourd'hui de marquer un arrêt à une pratique qui
est entrée dans les moeurs, au sens sociologique du terme. Nous n'avons
aucunement l'intention de revenir en arrière. Mais, si nous acceptons d'aller
plus loin, nous voulons que ce soit avec toutes les précautions nécessaires
pour mettre les femmes à l'abri d'un certain nombre de difficultés.
On entend tous les jours actuellement, à la radio, à la télévision, invoquer
le principe de précaution : belle invention, fort utile, qui permet aux
responsables de tous ordres d'ouvrir des parapluies successifs au-dessus d'eux
!
Est-ce vraiment faire preuve de responsabilité que de laisser une jeune fille
prendre une pilule pour la première fois de sa vie sans prescription médicale
?
N'est-ce pas oublier que, dès douze ans, une jeune fille peut avoir un cancer
de l'ovaire ? Ainsi, on laisserait une jeune fille s'engager dans un traitement
hormonal répété, au risque de s'apercevoir, peut-être un an après, que ce n'est
pas la pilule qui lui convient et qu'il faut modifier le traitement ! Sachant
qu'il n'y aura pas eu de consultation médicale à l'origine, qui sera
responsable ? La jeune fille ? Certes pas ; elle n'aura fait que suivre
éventuellement le conseil d'une « copine ».
J'estime donc nécessaire de maintenir le principe de la première prescription
par un médecin, pour éviter les contre-indications évidentes. Je ne vise pas,
bien sûr, les renouvellements de traitement.
Permettez-moi enfin de relever l'incohérence qu'il y a à entourer d'un certain
nombre de précautions l'interruption de grossesse des mineures alors que, pour
la vie sexuelle, si l'on peut dire, la majorité est fixée à quinze ans, dans la
mesure où le détournement de mineur n'est caractérisé que lorsque la personne
concernée a moins de quinze ans. N'y-a-t-il pas là quelque chose d'anormal ? Ne
pourrait-on définir une majorité sanitaire qui permettrait de faire en sorte
que, dès quinze ans, une jeune femme ou un jeune homme soient libres de
consulter un médecin quand ils le veulent, de prendre un certain nombre de
médicaments, sans pour autant solliciter systématiquement l'accord de leurs
parents ?
Voilà, monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les quelques observations que je souhaitais formuler en ce début de
discussion.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 74 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 48 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 45 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 33 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant
toute chose, je tiens à dire à quel point je mesure le caractère délicat de
toute intervention dans un domaine aussi sensible que celui dont nous débattons
aujourd'hui.
En pareille matière, seuls ont droit de cité, ce qui n'a pas toujours été le
cas à l'Assemblée nationale, des propos mesurés, fussent-ils appelés à traduire
des convictions qui ne le sont pas.
Très brève, ma démarche s'attachera tout d'abord à exprimer ma réaction face
au texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, puis à la prolonger par une
réflexion de caractère plus général sur la philosophie qui sous-tend
l'initiative gouvernementale, aggravée au Palais-Bourbon.
Il n'apparaît pas inutile de s'interroger, dès l'abord, sur ce qui a constitué
le fondement de la loi à laquelle demeurera attaché le nom de Mme Simone Veil.
Et quoi de plus probant, en pareille matière, que de se référer aux paroles
mêmes qu'elle prononçait le 26 novembre 1974 à l'Assemblée nationale pour
défendre le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse ? « Je le
dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime
recours pour des situations sans issue. »
Et Mme Veil d'ajouter : « Tout d'abord, l'interruption de grossesse ne peut
être que précoce parce que ses risques physique et psychique deviennent trop
sérieux après la dixième semaine qui suit la conception pour permettre aux
femmes de s'y exposer. »
Or, dès le premier abord, il est patent que le texte dont nous sommes saisis
relève d'un tout autre registre qu'une loi qui se voulait - et je reprends ici
les termes dont se servait alors le ministre de la santé - « dissuasive » et «
protectrice », car la notion d'ultime recours s'efface aujourd'hui devant celle
d'ouverture d'un droit socialement garanti.
De la dixième semaine, l'on en vient à la douzième...
Aussi bien est-ce à juste titre qu'a été mis en lumière le changement de
nature à ce stade de l'acte chirurgical, à ce point ressenti par les personnels
de santé que nombre de praticiens endurcis, parmi ceux-là mêmes qui pratiquent
couramment des IVG, avertissent qu'ils refuseront de s'y livrer, en raison du
caractère mutilant d'une intervention réalisée au moment où l'embryogenèse est
achevée.
A cette objection tenant au traumatisme lié à l'acte lui-même, s'ajoutent
celles qu'appellent des dispositions annexes dont il est légitime de penser
qu'elles ont pour seul objet de dissuader certaines femmes de garder leur
enfant.
Ainsi en va-t-il de la suppression prévue dans le « dossier-guide » remis à
une femme, lors de la première consultation médicale pré-IVG, de l'énumération
des droits, des aides et des avantages garantis par la loi aux mères et à leur
enfant.
Aussi en va-t-il de la suppression, dans ce document, des passages consacrés
aux possibilités offertes par l'adoption et de la liste des organismes
susceptibles d'apporter une aide morale ou matérielle.
Ainsi en va-t-il de l'abandon, pour les personnes majeures, du caractère
obligatoire de la consultation sociale préalable.
Et que dire du transfert, dans le code de la santé publique, de certaines des
dipositions du code pénal relatives à la pratique illégale des IVG ?
Que dire de l'intrusion subreptice, par voie d'amendement lors de la
discussion à l'Assemblée nationale, de deux articles relatifs à la
stérilisation à visée contraceptive ?
Que dire - et je regrette que Mme le ministe de l'emploi et de la solidarité
ait quitté l'hémicycle - de l'aberration, identique à celle qui a vicié la loi
sur la présomption d'innocence malgré les avertissements du Sénat, consistant à
étendre le champ d'application de l'IVG, alors même que le manque de moyens
pour appliquer la loi de 1975 apparaît patent ?
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
Comment qualifier, enfin, le fait que le Gouvernement ait cru pouvoir, sur un
sujet aussi grave et complexe, imposer une discussion en urgence quand on sait
la valeur ajoutée qu'apporte, en tout domaine, une seconde lecture ? On ne
saurait, dès lors, trop se féliciter du travail effectué par la commission des
affaires sociales, qui vient d'inviter le Sénat, par la voix de son rapporteur,
puis par celle de son président, tantôt à écarter, tantôt à corriger certaines
des mesures figurant dans le projet de loi et certains des ajouts qu'a cru bon
d'y introduire l'Assemblée nationale.
Cela étant, le texte me paraît appeler, au-delà même de sa rédaction, et sur
un plan plus général, des réserves de deux ordres.
La première a trait à la multiplication des textes de circonstance tendant à
valider des situations particulières, en fonction de l'air du temps et de
l'humeur des groupes de pression.
Tout problème rencontré paraît appeler une loi, et la notion même de loi se
trouve alors détournée : ainsi le projet qui nous occupe aujourd'hui
intéresse-t-il environ 2000 femmes selon les experts, soit 1 % des IVG
pratiquées chaque année en France, 2000 femmes dont bon nombre relèvent, à n'en
pas douter, de l'interruption médicale de grossesse, ouverte, sans condition de
délai, par la législation existante aux cas de détresse authentique, que
celle-ci ait une origine physique ou un fondement moral, générateur de pulsions
suicidaires.
De loi en loi, d'assouplissement en assouplissement, on en vient à laisser
croire à des adolescents fragiles - et pas seulement à eux - que tout est
flexible. Et le professeur Nisand de nous mettre en garde : « Si nous laissons
le texte tel qu'il est actuellement, nous y reviendrons encore et encore. »
La seconde réserve à l'endroit de ce projet de loi tient au fait qu'il ouvre,
peut-être inconsciemment, mais à coup sûr dangereusement, la voie à des
pratiques de nature à remettre en cause les assises mêmes de notre société.
L'allongement de la période jusqu'à un stade où les images échographiques en
trois dimensions sont devenues extrêmement précises risque de faire naître la
tentation de la recherche cauchemardesque et mortifère d'un enfant parfait.
Chef du service de gynécologie obstétrique à l'hôpital Antoine-Béclère, le
professeur René Frydman - pourtant peu suspect, on le sait, d'être hostile à la
pratique des IVG - n'a pas hésité à énoncer cette phrase saisissante : « Le
dépistage précoce est, en France, le gage de meilleures chances pour la vie. Il
sera, dans ces conditions-là, un arrêt de mort. »
Lorsque le discours dominant véhicule des images ambivalentes sur la question
du respect de la vie, aujourd'hui à propos de l'enfant à naître, demain,
peut-être, comme aux Pays-Bas, à travers une euthanasie présentée, elle aussi,
dans un premier temps - avant sa banalisation - comme le remède à une situation
de détresse de malades ou de vieillards, comment s'étonner du mépris de
l'existence d'autrui que manifestent de plus en plus de jeunes, et de plus en
plus jeunes ?
Symptomatique d'une législation privilégiant la prise en compte de la
fluctuation des moeurs par rapport au fondement même d'une civilisation, le
projet, puise en réalité sa source dans la philosophie libertaire de certain
mois de mai où Moustaki pouvait chanter : « Tout est permis, tout est possible
! »
Pour ma part, indifférent au vent qui souffle en tempête dans le sens d'une
transgression des interdits et du primat, sur toute règle, des droits de
l'individu, je tiens, à l'instar de notre éminent collègue le professeur
Mattei, président d'un groupe à l'Assemblée nationale, « qu'on gagne parfois à
rester soi-même, accroché à ses valeurs, en dépit des modes et des convenances
».
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
démarche du Gouvernement est pour le moins paradoxale : il demande au Parlement
de légiférer à nouveau sur des sujets pour lesquels des dispositions ont déjà
été votées et alors même que la validité de celles-ci n'est contestée par
personne ; ce qui pèche, c'est l'application qui en est faite. Ainsi, plutôt
que de s'atteler à la mise en oeuvre des possibilités qu'offrent les textes
déjà en vigueur, le Gouvernement nous propose, pour remédier aux carences en
termes de moyens, d'élargir les marges d'accès. Le thème deviendra récurrent
puisque les causes de dépassement des délais ne sont pas traitées au fond.
Alors que deux ou trois décennies se sont écoulées depuis le vote des deux
lois fondamentales auxquelles se réfère le projet de loi que nous discutons
aujourd'hui, il convient de faire le point.
Dans un pays où le vote des femmes est intervenu tardivement et où celles-ci
ont dû attendre plus longtemps encore pour se voir accorder la faculté d'ouvrir
un compte en banque, notre collègue Lucien Neuwirth a su entendre une demande
et faire valoir ses convictions afin que les Françaises soient en mesure
d'assumer des maternités voulues. La loi en question date de décembre 1967,
soit six mois avant qu'il soit « interdit d'interdire » : les résistances
étaient alors plus fortes !
Huit ans plus tard, la loi Veil autorisait l'interruption volontaire de
grossesse. Des échanges passionnés eurent lieu en 1975, mais les réactions que
provoquent le texte proposé aujourd'hui montrent que le débat n'est pas près
d'être clos. Toutefois, l'observation de la réalité montrait, d'une part, que
des départs avaient lieu vers des pays étrangers qui pratiquaient l'IVG et que
ces voyages étaient réservés à celles qui en avaient les moyens, d'autre part,
que les progrès médicaux avaient fait reculer considérablement les décès liés
aux accouchements alors que les pratiques clandestines d'IVG présentaient tous
les risques.
Ces deux initiatives fondent tout particulièrement la parité entre les hommes
et les femmes : maîtrise de la fécondité, d'abord, et possibilité
d'interrompre, en dernier recours, une grossesse impossible.
La vérité m'oblige à rappeler que ces textes ont été déposés sous les
présidences du général de Gaulle et de Valéry Giscard d'Estaing.
Ainsi, les dispositifs existent, mais la volonté de les mettre en oeuvre
manque, tout comme les moyens.
Tout d'abord, qu'en est-il de l'information sur la contraception ?
J'ai interrogé des élèves de seconde, de première et de terminale de mon
département. Tous et toutes ont déclaré n'avoir fait l'objet d'aucune
sensibilisation particulière sur la contraception au sein de leurs
établissements scolaires. Il y a bien une ou des affiches à l'infirmerie, mais
encore faut-il s'y rendre...
Ce qu'ils ont retenu des campagnes récentes, c'est essentiellement la
prévention contre le sida, non la maîtrise de la fécondité.
De plus, si, en ce qui concerne les maladies sexuellement transmissibles,
filles et garçons se sentent concernés au même titre, pour ce qui est de la
transmission de la vie, les garçons considèrent la plupart du temps qu'ils ne
sont pas les premiers impliqués.
L'école et la famille sont les lieux privilégiés de sociabilisation ; or elles
ont l'une et l'autre failli. La pilule du lendemain est de trop récente
introduction en milieu scolaire pour que l'on puisse disposer de données
chiffrées sur les demandes enregistrées. Toutefois, en dehors de cas liés à des
conditions exceptionnelles, le recours à cette pratique montrera bien l'échec
de la prévention, échec dû non à l'inefficacité de celle-ci, mais à son
absence.
S'agissant des familles, il paraît étonnant que les mères des adolescents
d'aujourd'hui, qui avaient à peu près dix ans lors de la promulgation de la loi
Neuwirth et qui ont donc toujours vécu avec la possibilité d'accéder aux moyens
contraceptifs ne jouent pas vis-à-vis de leurs enfants le rôle d'éducateurs
qu'on serait en droit d'attendre d'elles. Preuve est ainsi faite que ces moyens
n'ont pas été intégrés ; sinon, on aurait constaté la transmission des
pratiques par les femmes, comme cela se fait dans toutes les sociétés.
Autre preuve de cet échec : le nombre d'IVG pratiquées annuellement en France
est beaucoup plus important que dans des pays voisins qui ont su développer une
politique publique d'éducation sexuelle ; aux Pays-Bas, par exemple, le taux
d'IVG a été significativement réduit.
Ce droit, qui est peut-être le seul qu'une femme souhaiterait n'avoir jamais à
exercer, se révèle, dans la pratique, difficile à faire valoir ; temps de
réponse trop longs, réticences des structures d'accueil - quand elles existent
-, manque de formation des personnels sont autant de facteurs d'allongement des
délais.
Si les dysfonctionnements ne sont pas traités à la racine, il ne sert à rien
d'accorder quinze jours de plus pour placer un acte dans la légalité. Cette
nouvelle échéance apparaîtra toujours comme léonine à qui aura à pâtir de
lenteurs inexpliquées.
Néanmoins, il convient de considérer les cas de dépassement limité par rapport
aux demandes traitées. La proposition de la commission des affaires sociales
émise par la voix de son excellent rapporteur, M. Francis Giraud, en prévoyant
le recours à une commission pluridisciplinaire qualifiée qui statuera sur
chaque dossier, me paraît répondre à des situations qui ne sauraient être
ignorées. Toutefois, il conviendra que cette commission pluridisciplinaire ne
tarde pas à prendre sa décision, faute de quoi elle manquera à sa vocation.
A la fuite en avant je préfère une éducation des conduites par une solide
information précoce et la possibilité d'exercer librement des droits inscrits.
Cela suppose une volonté nationale soutenue par des moyens appropriés.
Prenons les choses dans l'ordre logique.
La diminution du nombre des IVG passe par l'éducation des jeunes. Le milieu le
mieux contrôlé pour l'implantation d'unités de sensibilisation est constitué
par les établissements scolaires. Pourquoi ne pas introduire, au sein de
ceux-ci, des antennes du Planning familial ou, si le statut de cette structure
ne le permet pas, quelque chose d'analogue ? L'accès à ces lieux s'inscrira
dans une démarche facile et quotidienne, en dehors des moments programmés de
diffusion de l'information.
Pour cela, il convient de prévoir un personnel ayant reçu une formation
adaptée. Certes, les infirmières pourraient être les intervenants désignés.
Toutefois, comme ceux des médecins scolaires, leurs effectifs sont très en
dessous des besoins. J'en veux pour preuve un lycée de Vesoul qui est contraint
d'appeler régulièrement les sapeurs-pompiers, son infirmerie n'étant pas
ouverte tous les jours.
Par ailleurs, le remboursement par la sécurité sociale des contraceptifs doit
être systématique quelle que soit la qualité du prescripteur. Même si leur coût
n'est pas très élevé, il peut être parfois dissuasif. Au demeurant, si l'on
suit un raisonnement purement mathématique, dénué de tout aspect humain, voire
cynique, force est de constater que la dépense sera moins élevée que celle
qu'entraîne une IVG.
Au-delà des jeunes scolarisés, la population qui renouvelle les générations a
également besoin de lieux de proximité où l'on pourra répondre à des questions
qui, visiblement, pour l'instant, n'ont pas trouvé de réponses. Pour que nous
ne nous retrouvions pas, une fois encore, devant une proposition d'allongement
des délais, un effort immédiat et important doit être entrepris.
Malgré tout, il y aura encore des recours à l'IVG, et ce pour des motifs bien
différents. Là encore, il pourraît être satisfait aux exigences de délai si les
structures de prise en charges étaient en nombre suffisant pour permettre
l'accueil correct, et en temps utile, de toutes les demandes.
Sur ce plan-là aussi, la proximité est un facteur favorisant une démarche plus
immédiate et une première consultation dans les premiers jours d'incertitude.
On sait, en effet, que plus l'IVG intervient précocement, plus le risque de
complications est faible et plus le choix des techniques utilisables est
large.
Au sein des établissements, le service qui pratique l'IVG doit bénéficier de
la même signalétique que les autres services. Bien souvent, ce service reste
dissimulé, obligeant à une reconnaissance du parcours d'autant plus difficile
que la démarche est déjà douloureuse. Pourquoi ne pas instituer un « numéro
vert » comme il en existe pour le SAMU social, l'enfance maltraitée et, hélas !
bien d'autres détresses ?
Avant de terminer, je voudrais dénoncer le procès d'intention fait par un
grand quotidien national à notre assemblée : « Certains sénateurs souhaitent
sans l'avouer que tout soit fait pour que les femmes puissent revenir sur leur
décision d'avorter. » Quelle objectivité ! J'ai surtout envie de dire : quel
souci de nuire !
En conclusion, je souhaite que, avant d'envisager un allongement des délais
ouverts pour pratiquer une IVG, on mette en oeuvre tous les moyens pour
l'éviter. C'est pourquoi je suivrai les propositions de la commission des
affaires sociales.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE,
ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la maîtrise de la fécondité par la contraception et
l'interruption volontaire de grossesse sont des éléments essentiels de
l'émancipation féminine qui ont marqué ces dernières décennies.
Rappelons-nous qu'avant de devenir des droits arrachés de haute lutte par les
femmes, ils ont été durement réprimés par la loi. Il a fallu en effet bien des
combats féministes pour que les femmes obtiennent le droit à la maîtrise de
leur corps et de leur fécondité.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
On peut évoquer ici quelques grands moments de ces combats de femmes.
Tout d'abord, il y a le manifeste des « 343 salopes » - le terme n'est pas de
moi, vous l'aurez compris -, paru en avril 1971. Des femmes célèbres, comme
Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Delphine Seyrig,
Jeanne Moreau ou Micheline Presle, se sont jointes à d'autres femmes,
inconnues, pour s'en faire les porte-parole en affirmant avoir recouru à
l'avortement, acte réprimé par la loi jusqu'à l'adoption de la loi Veil en
1975.
En octobre 1972, c'est le cas de Marie-Claire, enceinte à la suite d'un viol,
et de sa mère, poursuivies pour avortement, jugées par le tribunal de Bobigny,
et que Gisèle Halimi défend avec succès.
En mai 1976, 331 médecins, dont quatre prix Nobel, publient à leur tour leur
manifeste, dans lequel ils déclarent avoir pratiqué ou pratiquer encore des
avortements.
Depuis, et sous des formes diverses, les femmes continuent d'exprimer leur
volonté de ne pas être réduites au simple rôle de mères.
Aujourd'hui, de nombreuses associations donnent au féminisme un visage
moderne, l'enracinant dans la réalité du quotidien des femmes. Je pense
notamment à la CADAC, qui coordonne de très nombreuses associations agissant
sur tous les aspects de l'égalité ; je pense également à Mix-Cité, qui
considère que les hommes sont partie prenante du combat pour l'émancipation des
femmes.
Plusieurs décennies après les lois Neuwirth et Veil, nous sommes obligés de
faire le constat que notre pays, en raison de trop nombreux échecs de
contraception et d'un taux d'interruptions volontaires de grossesse toujours
élevé, se doit de faire évoluer sa législation en la matière, afin de prendre
en compte l'évolution des mentalités et des techniques médicales et de répondre
aux dysfonctionnements qui résultent aujourd'hui de l'application de ces
textes.
Le texte que nous examinons aujourd'hui vise à actualiser la loi Neuwirth de
1967 et la loi Veil de 1975, qui représentaient des étapes courageuses et
décisives dans la lutte des femmes. J'ouvre d'ailleurs une parenthèse pour
rendre hommage, au nom de tout mon groupe, au courage politique de notre
collègue Lucien Neuwirth, qui a beaucoup contribué et contribue toujours à
faire que le droit de maîtriser leur fécondité soit reconnu aux femmes, alors
que sa famille politique y était majoritairement opposée. Elle n'a d'ailleurs
guère évolué, si j'en juge par le contre-projet élaboré par la commission des
affaires sociales !
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
Le texte que nous examinons tient compte de l'évolution des mentalités comme
des progrès techniques et médicaux, qui rendent nécessaire l'actualisation de
notre législation.
Que constatons nous ?
Si, en France, plus de deux femmes sur trois âgées de vingt à quarante-neuf
ans utilisent une méthode contraceptive, le nombre de grossesses non désirées
n'a malheureusement pas baissé.
Nous ne pouvons pas, bien évidemment, nous satisfaire des 220 000 IVG
pratiquées chaque année en France : cela représente une interruption volontaire
de grossesse pour trois naissances, contre une pour neuf aux Pays-Bas, qui,
grâce à une législation relative à la contraception et à l'IVG plus libérale
que la nôtre, qui plus est conjuguée avec une éducation sexuelle très précoce,
obtiennent des résultats bien meilleurs dans ce domaine. Nous ne pouvons non
plus nous accommoder du fait que 5 000 femmes soient contraintes chaque année
de se rendre à l'étranger pour y faire pratiquer une IVG parce qu'elles ont
dépassé le délai de dix semaines actuellement en vigueur dans notre pays.
Face à cette situation d'échec, le texte proposé a le mérite d'apporter de
vraies réponses, élaborées dans le cadre d'une réflexion globale, puisqu'il
s'attache à faciliter l'accès à la contraception et à élargir le droit à
l'IVG.
Il nous semble important et très positif que le projet de loi aborde de façon
conjointe la contraception et l'IVG, qui sont les deux volets indissociables de
la prise en compte des problèmes que rencontrent les femmes lorsqu'elles
souhaitent affirmer leur droit à la maîtrise de leur fécondité.
Je n'énumérerai pas de façon exhaustive les nombreuses avancées que le texte
apporte dans le domaine de la reconnaissance du droit des femmes à la
contraception et à l'IVG, ma collègue Odette Terrade les ayant rappelées dans
son intervention au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les femmes et les hommes. Je tiens d'ailleurs à saluer la
qualité de son travail et à remercier la délégation pour la pertinence de son
analyse et de ses recommandations : ses travaux contribuent à donner de notre
assemblée une image en phase avec les réalités de notre temps.
Mmes Odette Terrade et Hélène Luc.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Je m'attarderai seulement sur trois points qui me paraissent constituer une
évolution attendue des lois Neuwirth et Veil.
Tout d'abord, je citerai la mesure phare de ce projet de loi, à savoir
l'allongement du délai légal d'interruption volontaire de la grossesse de dix à
douze semaines.
Comme je vous le disais, 5 000 femmes sont actuellement obligées de se rendre
à l'étranger pour y subir une IVG, car elles ont dépassé le délai légal de dix
semaines en vigueur dans notre pays.
La plupart du temps, ce voyage, dont elles se passeraient fort bien, concerne
les femmes les plus démunies sur le plan social, les plus fragiles
psychologiquement, mais également les plus jeunes.
A la décision d'interrompre une grossesse s'ajoutent les difficultés pour
obtenir des informations sur les établissements étrangers ainsi que le coût
inhérent au voyage et à l'intervention.
Nous ne pouvons plus tolérer qu'un pays comme la France, souvent à la pointe
pour la qualité des soins médicaux, laisse ainsi des milliers de femmes seules
avec leur détresse.
L'allongement de deux semaines du délai légal pour une IVG résoudrait donc la
plupart de ces cas.
Mme Odette Terrade.
Eh oui !
M. Guy Fischer.
Il s'impose comme une évidence, ne serait-ce que pour que la France se mette
au niveau de la législation de bon nombre de ses voisins européens, qui est
souvent plus avancée que la sienne dans ce domaine et leur permet d'obtenir de
meilleurs résultats dans la réduction du nombre d'IVG. En effet, le délai légal
en France pour pratiquer une IVG est actuellement, avec dix semaines, l'un des
plus courts en Europe, où la moyenne se situe à quatorze semaines, l'Espagne,
la Grande-Bretagne et les Pays-Bays ayant même voté, dans des conditions
particulières, en faveur d'un délai de vingt-deux semaines.
D'une part, on constate qu'un allongement du délai légal ne provoque en aucun
cas d'augmentation du nombre d'IVG, puisque la Grande-Bretagne a un taux d'IVG
comparable au nôtre et que l'Espagne et les Pays-Bas présentent des taux bien
inférieurs : pour les femmes âgées de quinze à quarante-quatre ans, le taux
d'IVG est de 15,4 en France, contre 5,7 en Espagne et 6,5 aux Pays-Bas.
D'autre part, cet allongement du délai ne présente aucun danger supplémentaire
pour la santé des femmes, comme la plupart des professionnels fortement
investis dans cette pratique qu'ont auditionnés la délégation et la commission
des affaires sociales nous l'ont confirmé. Des interruptions de grossesse bien
plus tardives sont d'ailleurs pratiquées, pour des raisons médicales, sans
danger pour les femmes.
En outre, des IVG sont d'ores et déjà pratiquées au-delà de la dixième
semaine, car il existe parfois une imprécision sur la date exacte du début de
la grossesse, le nombre de semaines d'aménorrhée ne correspondant pas
strictement au nombre de semaines de grossesse.
Devons-nous continuer à fermer les yeux, à faire semblant ? Devons-nous
ignorer les IVG déjà pratiquées aujourd'hui au-delà de dix semaines, sous la
responsabilité de médecins confrontés à l'extrême détresse de certaines femmes
qui n'ont pas les moyens d'aller à l'étranger ? Non !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Ah !
M. Guy Fischer.
Le même problème se pose pour les jeunes filles mineures n'ayant pu obtenir
l'autorisation de leurs parents, comme cela nous a été confirmé par le Pr
Milliez, gynécologue obstétricien, qui, lors de son audition par la délégation
aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes, s'est réjoui de ce que le projet de loi légalise une situation de fait
en prolongeant le délai de deux semaines.
Mes chers collègues, dans ce domaine comme dans d'autres, le fait s'impose
toujours à la loi.
Au demeurant, contrairement aux craintes que certains ont exprimées, une telle
mesure n'est pas susceptible d'engendrer des dérives eugéniques. Le comité
consultatif national d'éthique, saisi par M. le président du Sénat, est
d'ailleurs très clair sur ce point et affirme dans son avis qu'« invoquer cette
connaissance facilitée du sexe ou de l'existence d'une anomalie mineure pour
empêcher la prolongation du délai légal apparaîtrait excessif et, d'une
certaine façon, attentatoire à la dignité des femmes et des couples. Ce serait,
en effet, leur faire injure et les placer en situtation d'accusés potentiels
que de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa
poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à cette connaissance ».
Cette prolongation du délai ne pose pas de problème d'éthique ; en revanche,
il répond à un problème de santé publique et, surtout, permet de respecter les
droits des femmes.
La seconde évolution législative que l'on nous propose, et qui me paraît
primordiale, concerne l'aménagement de l'obligation pour les mineures demandant
une IVG d'obtenir l'autorisation parentale. En cela, le projet prend en compte
les cas encore trop nombreux - 6 700 par an - de mineures confrontées à ce
douloureux problème.
L'autorité parentale n'est pas remise en cause ; elle demeure la règle,
puisque le consentement parental sera toujours recherché. Cependant, le texte
permet à une mineure d'avoir recours à l'IVG lorsque le consentement parental
est impossible à obtenir ou lorsqu'elle souhaite conserver le secret.
C'est pourquoi, dans l'esprit qui a prévalu lors de l'adoption unanime de la
proposition de loi relative à la contraception d'urgence, une jeune fille
mineure pourra également se voir prescrire, délivrer et administrer des
contraceptifs sans l'aval de l'autorité parentale.
Toutes ces avancées sont de nature à élargir le droit à la contraception et à
l'IVG. C'est loin d'être négligeable, quand on sait que 60 % des premiers
rapports sexuels des mineures se dérouleraient sans aucune contraception et que
notre pays compte encore 10 000 grossesses non désirées par an chez les
mineures, dont les deux tiers aboutissent à une interruption volontaire de
grossesse.
Tout doit être mis en oeuvre pour favoriser la diffusion la plus large
possible de la contraception, en particulier auprès des jeunes, car ils n'ont
pas toujours une bonne connaissance du fonctionnement de leur corps.
Faciliter l'accès à la contraception devrait donc être une exigence partagée
par nous tous, mes chers collègues, même si, je le sais bien, certains d'entre
vous y voient, comme ils l'ont déclaré en novembre dernier, lors du débat
relatif à la contraception d'urgence, un risque de « banalisation de l'acte
sexuel », et même si d'autres craignent - ils l'avaient exprimé lors du même
débat - que la facilité d'utilisation du NorLevo ne banalise la contraception
d'urgence.
J'évoquerai enfin un dernier point : la suppression du caractère obligatoire
de l'entretien social préalable à l'IVG, qui constitue, à nos yeux, un progrès
important attendu par de très nombreuses femmes. L'évolution en cours témoigne,
comme le marque le terme même d'« interruption volontaire de grossesse », que
la décision d'avoir recours à un tel geste appartient à la femme, et à elle
seule.
Le projet de loi nous paraît donc extrêmement positif puisqu'il indique qu'un
entretien sera systématiquement proposé avant et après l'IVG.
Mais, pour de très nombreuses femmes, cet entretien est encore vécu, il faut
bien le reconnaître, comme une contrainte, comme une pression psychologique
visant plus à les culpabiliser qu'à les aider.
M. Jean-Louis Lorrain.
C'est faux !
M. Guy Fischer.
Le caractère facultatif de cet entretien est, selon nous, de nature à
dédramatiser la démarche conduisant à une IVG et permettra aux femmes de
choisir librement, de discuter de leur intention bien souvent irrévocable
d'interrompre leur grossesse. En revanche, l'obligation pour les établissements
de le proposer et de l'organiser, dans l'intérêt des femmes, doit être
maintenue.
Ce moment de dialogue, pour peu qu'on en définisse mieux le contenu et qu'on
reconnaisse, au travers d'un véritable statut, la qualité des personnels
chargés de l'assumer, permettra, pour les femmes qui auront accepté librement
d'en bénéficier, de déceler leurs difficultés, voire d'éventuelles violences
dont elles auraient pu être victimes.
Ce projet de loi constitue donc un vrai pas en avant en matière d'accès à la
contraception et à l'IVG. Il s'inscrit dans une logique de reconnaissance du
droit, car il s'agit du droit des femmes à décider elles-mêmes, et elles
seules, du moment où elles désirent leur maternité.
Contrairement à ce que pensent certains de nos collègues, les femmes ne sont
pas des êtres irresponsables qui ne seraient pas aptes à prendre des décisions
les concernant.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Charles Descours.
Il ne faut pas caricaturer !
M. Jean Chérioux.
Changez votre discours ! Nous n'avons jamais dit cela !
M. Guy Fischer.
J'ai employé le conditionnel. De surcroît, monsieur Chérioux, je ne généralise
pas !
M. Charles Descours.
Gardez de la hauteur au débat !
M. Guy Fischer.
Je suis très modéré !
M. le président.
Monsieur Fischer, ne répondez pas à ceux qui vous interrompent.
M. Guy Fischer.
Le contre-projet issu de la réflexion de la majorité de la commission des
affaires sociales ne vise ni plus ni moins qu'à cantonner les femmes dans un
rôle de mineures et à leur dénier, au bénéfice du corps médical, toute liberté
de décision.
M. Charles Descours.
C'est grotesque !
M. Guy Fischer.
Or, on ne le dira jamais assez, la femme doit, dans les limites du cadre
législatif, être la seule à pouvoir décider de mener ou non une grossesse à son
terme.
M. Hilaire Flandre.
Cela devrait tout de même être décidé en couple !
M. Guy Fischer.
Je vais y venir !
M. Hilaire Flandre.
Ah, tout de même !
M. Guy Fischer.
Mais vous, vous ne parlez jamais du couple !
M. Jean Chérioux.
Si !
M. le président.
Monsieur Fischer, je vous en prie, ne répondez pas aux interruptions !
Poursuivez votre exposé.
M. Guy Fischer.
Si une information objective s'avère indispensable, aucune structure ou
comité, fût-il composé des experts les plus éminents, ne doit décider à la
place des femmes. De toute façon, une femme qui a décidé d'avorter le fera,
parce qu'elle seule sait si elle veut vraiment assumer sa maternité ou pas.
(M. Blanc s'exclame.)
L'autre ambition du texte - on a parfois tendance à l'oublier - est de faire
baisser significativement le nombre d'IVG dans les années à venir.
Il est clair que la prévention doit être développée. Cet objectif ne sera
atteint que par une plus large diffusion de l'éducation sexuelle et un accès
renforcé à la contraception.
Nous présenterons d'ailleurs des amendements en ce sens. Nous proposerons une
meilleure prise en charge par la sécurité sociale du coût des contraceptifs les
plus récents, mieux dosés et mieux tolérés. Il conviendra aussi de systématiser
l'éducation sexuelle, dès l'école primaire,...
M. Hilaire Flandre.
A la maternelle !
M. Guy Fischer.
Il faut le faire intelligemment ! Il conviendra, disais-je, de systématiser
l'éducation sexuelle en proposant un enseignement adapté à l'âge des enfants,
mais aussi mieux doté en termes de fréquence et de volume horaire. Il est
consternant de voir combien les jeunes méconnaissent le fonctionnement de leur
corps et les mécanismes de la fécondité.
Mme Hélène Luc.
Exactement !
M. Guy Fischer.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les pays qui ont le plus développé
l'éducation sexuelle, à tous les niveaux de la scolarité, sont ceux qui ont les
taux d'IVG les plus bas.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
C'est exact !
M. Guy Fischer.
Cela nous amène à réfléchir sur l'implication des hommes dans les domaines de
la contraception et de l'IVG. A notre avis, plus tôt les garçons se sentiront
concernés par les questions liées à la sexualité et à la contraception, plus
responsable sera leur attitude lors des rapports sexuels.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Odette Terrade.
Eh oui !
M. Guy Fischer.
On peut naturellement penser que leur présence et l'accompagnement de leur
partenaire lors d'une IVG en seront renforcés.
Enfin, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, il faudra s'assurer
que toutes les structures chargées de la pratique de l'IVG ont les véritables
moyens humains et matériels de fonctionner correctement. De ce point de vue, le
secteur public a une responsabilité particulière qu'il n'assume pas toujours,
notamment en région parisienne. La loi doit être appliquée partout et pour
tous. L'hôpital public doit donner l'exemple. De trop nombreux centres d'IVG
souffrent d'un déficit de moyens et en personnels tel que leur existence est
menacée, même si nous notons positivement les efforts budgétaires récemment
faits.
Si nous voulons réellement faire chuter le nombre d'IVG, nous ne pouvons faire
l'économie de ces mesures.
Pour ce qui nous concerne, nous aborderons ces débats dans un esprit
constructif. Nous soutiendrons toutes les initiatives qui iront dans le sens
d'un progrès pour les femmes. En revanche, nous nous opposerons sereinement,
mais tout aussi fermement, à toutes les tentatives de remise en question de
leurs droits.
Mme Odette Terrade.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Le contre-projet de la majorité de la commission des affaires sociales ne nous
convient pas, dans la mesure où il s'oppose, à notre avis, aux avancées que
constituaient, pour les droits des femmes, les lois Neuwirth et Veil.
Ce projet de loi nous offre l'opportunité d'actualiser notre législation en
matière de contraception et d'IVG, de la rendre plus complète, plus cohérente,
plus moderne, mieux adaptée et en adéquation avec les réalités et ce que
veulent les femmes. Mes chers collègues, nous débattrons sous leur regard, ne
les décevons pas !
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le XXe siècle restera sans nul doute marqué de l'empreinte des
femmes. Au même titre que l'accès au droit de vote ou à leur capacité juridique
personnelle, le droit à la maîtrise de la fécondité constitue un acquis majeur
qui a permis aux femmes d'assurer en même temps leur fonction d'acteur
économique et social et leur fonction de mère.
Au cours des trente-trois dernières années, l'évolution des moeurs et de la
place de la femme dans notre société ont déjà amené le législateur à effectuer
un recadrage, que ce soit, par exemple, à travers la loi sur la parité ou à
propos de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Nous sommes appelés aujourd'hui à apporter une pierre de plus à l'édifice, en
adaptant la législation, tant dans le domaine de la contraception que dans
celui qui est relatif à l'interruption volontaire de grossesse.
La contraception tout comme l'IVG sont l'expression du droit des femmes à
disposer de leur corps et à maîtriser leur maternité. Elles sont au coeur du
processus historique de l'émancipation de la femme. Mais l'une comme l'autre ne
peuvent être confondues ! En effet, si c'est, de nos jours, une liberté, ne
minimisons pas cet acte ! Il s'agit toujours d'un événement vécu dans la
douleur, souvent dans la solitude et ressenti comme un échec.
La conquête de ces droits est récente. L'IVG a été autorisée en France, sous
certaines conditions, et de façon temporaire, par la loi Veil du 17 janvier
1975, puis, de façon définitive, par la loi Neuwirth du 31 décembre 1979. Mais
son remboursement, pris en charge par l'Etat, n'a été mis en oeuvre qu'en
1983.
Aujourd'hui, toute femme en situation de détresse peut, dans les délais
impartis par la loi, c'est-à-dire jusqu'à dix semaines de grossesse, souhaiter
recourir à une IVG, en en faisant la demande auprès d'un médecin. Après un
entretien social et une semaine de réflexion, elle doit confirmer sa
demande.
Par ailleurs, et compte tenu du nombre et de la qualité des techniques
contraceptives, les femmes ne devraient plus subir de grossesses non
désirées.
Pourtant, comme nous l'avons dit dout à l'heure, le nombre d'IVG n'a pas
diminué depuis plus de vingt ans en France, bien au contraire. Une étude,
publiée en juin 2000 par le ministère de l'emploi et de la solidarité,
comptabilise 214 000 IVG pratiquées en 1998, ce qui représente une augmentation
de 6 % par rapport aux chiffres enregistrés au début des années
quatre-vingt-dix. Le taux a notamment crû pour les jeunes femmes âgées de moins
de vingt-cinq ans : plus 26,7 % pour les dix-huit - dix-neuf ans.
D'après les informations relevées par les centres de planification, on estime
à 5 000 le nombre de femmes contraintes de partir pour l'étranger parce
qu'elles ne trouvent pas de réponse adaptée à leur situation en France. Enfin,
10 000 adolescentes sont confrontées à une grossesse non désirée et 7 000
d'entre elles ont alors recours à l'IVG.
Il ne s'agit nullement aujourd'hui de remettre en question le droit à l'IVG ou
de réécrire les lois en la matière. Ce débat a été longuement ouvert,
confondant les questions de santé publique ainsi que d'égalité sociale liée aux
difficultés financières des femmes souhaitant une IVG et les questions qui
relèvent de l'éthique, et donc du libre choix de l'individu.
A ceux qui relancent le problème de la moralité, je réponds que ce débat est
clos. Il a été abordé au fond et réglé par notre société avec le vote des lois
de 1975 et 1979. Je profite d'ailleurs de l'occasion qui m'est donnée pour
rendre hommage à ces femmes et à ces hommes qui ont permis aux femmes de
maîtriser leur fécondité.
Il s'agit aujourd'hui de discuter de la disposition la plus emblématique de la
loi, à savoir l'allongement du délai légal de l'IVG, puisque la majorité des
situations dites de « délai dépassé » se situe entre la dixième et la douxième
semaine de grossesse.
Le passage de dix à douze semaines est donc conforme à une réalité et répond à
une nécessité. Il répond en outre à une attente : celle de toutes les femmes
qui ne comprennent pas pourquoi elles basculent brutalement dans l'illégalité
parce qu'elles ont dépassé le délai pour pratiquer une IVG. L'allongement
apporte aussi une solution à celles qui, dans cette même situation
d'illégalité, n'ont pas les moyens de partir à l'étranger et n'ont d'autre
possibilité que de poursuivre une grossesse non désirée.
Une politique de santé publique responsable ne pouvait s'exonérer à bon compte
plus longtemps de la question soulevée par le désarroi que connaissent chaque
année des milliers de femmes. En effet, la décision d'interrompre une grossesse
ne se réume pas, loin s'en faut, à l'existence ou non d'un refus d'enfant.
Les travaux de l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche
médicale, montrent à quel point une interruption volontaire de grossesse peut
avoir de multiples origines : la découverte tardive d'une grossesse, une
rupture sentimentale, des difficultés d'accès aux soins. Une interruption
volontaire de grossesse a toujours un coût moral ou psychologique. La décision
est, le plus souvent, un moment de remise en cause personnelle.
Pour ceux qui seraient tentés de relancer le débat éthique en suggérant un
risque d'eugénisme, je ferai référence aux observations du président de
l'Académie de médecine, du président du conseil national de l'ordre des
médecins et du comité consultatif national d'éthique, qui nous ont dit que
l'allongement du délai ne pose pas de problème d'éthique.
M. Jean Chérioux.
Nous n'entendons pas les choses de la même façon !
Mme Claire-Lise Campion.
D'ailleurs, l'exemple des Pays-Bas, sur ce point, est éloquent : le délai
légal d'intervention est de vingt-deux semaines, alors que le taux d'IVG est le
plus bas en Europe, avec 6,5 pour 1 000 femmes.
La crainte de l'eugénisme porte en réalité sur la place et le sens qu'on peut
donner au progrès technique et médical dans notre société et fait l'objet d'un
autre débat.
Enfin, ce serait faire injure aux femmes de penser qu'un avortement se décide
à la légère.
Sur cette nouvelle proposition, le vrai débat, le débat légitime, doit
s'apprécier en termes d'interrogation : cet allongement présente-t-il des
risques pour la santé des femmes ? Non, il ne présente pas de risques notables
supplémentaires. L'avis de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation
en santé est clair. Il est possible, sur le plan matériel et en termes de
sécurité sanitaire, sous réserve de certaines précautions, notamment d'une
formation des personnels avec l'apport de moyens adaptés, de porter le délai de
l'IVG à douze semaines.
Ma seule réserve, quant à ce premier volet, est que toutes les situations de
dépassement du délai ne sont pas couvertes par le texte. Je le regrette.
Je le regrette d'autant plus qu'on pourrait encore aller plus loin, en
bousculant encore plus les certitudes. Mais notre société est telle que
l'évolution du droit des femmes s'est toujours faite pas à pas. On l'a vu pour
le droit de vote, l'avortement, la parité, l'égalité professionnelle entre les
hommes et les femmes. Il nous aura fallu presque vingt ans pour apporter un
nouveau progrès dans la liberté de la femme à recourir à l'IVG.
Aussi, laissons le temps à cette nouvelle loi de produire ses effets, tout en
nous réservant le droit - c'est aussi un devoir - d'y apporter des corrections,
dans un avenir proche, si cela est nécessaire.
D'ailleurs, s'agissant de progrès et d'avancée, le projet de loi prévoit
également un certain nombre de dispositions tendant à supprimer les sanctions
pénales liées à la prohibition de la propagande et de la publicité pour l'IVG,
afin d'assurer une meilleure information dans les démarches à effectuer.
Des mesures sont destinées également à pallier certaines carences du service
public pratiquant les IVG. Un volet est ainsi consacré à l'amélioration de
l'organisation de l'IVG : amélioration de l'accueil des femmes et
diversification des centres de pratique de l'IVG. La réforme législative ouvre,
en effet, la possibilité de pratiquer une IVG médicamenteuse, en ambulatoire,
par des médecins ayant conclu une convention. Cette disposition laisse une plus
grande souplesse à la femme, qui a ainsi la garantie d'une écoute bienveillante
de son médecin.
Afin de lutter contre les difficultés d'accès aux soins, tout en respectant la
clause de conscience dont les médecins peuvent se prévaloir, ce projet de loi,
rappelant que l'IVG est une mission de service public, s'attache également à
encadrer la place et le rôle du médecin en milieu hospitalier. Ce dernier a une
obligation d'information et les chefs de service, en charge de ces
interventions, sont tenus de les organiser dans leur service, même s'ils ne les
pratiquent pas eux-mêmes.
Cependant, je regrette que le principe d'unité fonctionnelle n'ait pas été
retenu comme clef de voûte de l'activité d'orthogénie et d'interruption
volontaire de grossesse. Cette unité de base, ainsi clairement identifiée,
aurait permis de mettre en évidence la nécessité d'un personnel adéquat ayant
reçu une formation spécifique et bénéficiant, de ce fait, d'une meilleure
reconnaissance.
Ne réduisons pas les avancées de ce projet de loi au seul allongement du délai
de l'IVG. Voyons-y encore dans la dérogation à l'obligation de l'autorisation
parentale pour les mineures souhaitant interrompre leur grossesse, lorsqu'elles
sont dans l'impossibilité d'obtenir ce consentement, un progrès dans
l'appréhension de notre société et de ses évolutions.
A ce jour, en effet, une mineure désirant interrompre sa grossesse doit
obtenir le consentement de ses parents. Dans certains cas, cette autorisation
parentale peut finalement permettre de nouer ou de renouer un dialogue
parents-enfant. Cependant, nous connaissons tous la situation de certaines
mineures qui, essentiellement pour des raisons culturelles et religieuses, ne
peuvent aborder cette question avec leurs parents, pour lesquels la révélation
des relations sexuelles de leur fille ne peut déboucher sur une relation plus
confiante entre eux.
Sans remettre en cause l'autorité parentale, le projet de loi permet ainsi,
pour ces jeunes filles, d'être accompagnées dans leur démarche par un adulte
référent auprès de qui elles pourront trouver soutien et conseils.
Les différentes mesures évoquées ci-dessus ne prennent cependant tout leur
sens que si, en amont, tout est mis en oeuvre pour faciliter, dans un cadre
éducatif, institutionnel ou associatif, l'accès à la connaissance de la vie
affective et sexuelle, le sens de la relation, de la maternité et de la
paternité. Surtout, l'accès à l'information doit se doubler d'une réelle
démarche politique favorisant l'accès de toutes les femmes aux méthodes et de
la contraception et de l'IVG.
Selon le collège national des gynécologues, 60 % des femmes qui demandent une
IVG ne connaissent pas la contraception d'urgence. Plus grave encore, le
bulletin de l'ordre des médecins de mai 2000 révèle que 90 % des médecins
généralistes français n'exercent aucune activité de gynécologie courante.
On comprend mieux ainsi pourquoi trop d'adolescentes continuent de croire
qu'un premier rapport sexuel n'est pas fécondant. Trop de femmes de plus de
quarante ans n'ont aucune contraception parce qu'elles pensent qu'à leur âge le
risque est nul. Trop d'accouchées se retrouvent à la sortie de la maternité
sans conseils ni prescription contraceptive.
Pour reprendre l'exemple des Pays-Bas, l'éducation à la sexualité et à la
contraception fait depuis longtemps partie intégrante des actions de santé
publique et des programmes pédagogiques, dès l'école primaire notamment. Nous
aurions tort de ne pas mettre à profit les expériences, menées chez nos voisins
étrangers, qui ont prouvé toute leur efficacité.
Le gouvernement français a déjà amorcé une politique de prévention. Tel est le
sens de la campagne menée l'hiver dernier sur la contraception, ou encore de
celle qui a été lancée par Ségolène Royal dans les établissements scolaires sur
« l'éducation à la sexualité et à la vie ». Nous souscrivons pleinement à ces
campagnes, mais nous souhaitons également une meilleure collaboration entre les
acteurs. Les médecins doivent être impliqués dans les campagnes publicitaires
et l'enseignement, car ils sont les mieux à même de parler avec les jeunes de
ces sujets. Dans le même esprit, un effort de globalisation entre l'Etat et les
conseils généraux doit être accompli.
Les professionnels eux-mêmes doivent être mieux formés. Par exemple,
l'enseignement dispensé en faculté de médecine peut-il ne compter que deux
heures consacrées à la contraception ?
Je terminerai cette présentation générale du projet de loi en évoquant la
stérilisation. Elle est actuellement absente des textes de loi. Or, chaque
année, entre vingt-cinq mille et trente mille femmes y ont recours. Cela
nécessitait donc un encadrement juridique. C'est là un autre élément de
l'esprit novateur de cette loi qui se révèle.
Toutefois, cette législation impose une très grande vigilance. La
stérilisation ne deviendra jamais un acte ordinnaire. Elle ne sera jamais une
contraception banale, car ses conséquences sont quasi irrémédiables quant à la
fécondité des hommes ou des femmes. C'est pourquoi le législateur a tenu à
mettre en place un dispositif permettant de s'assurer que la décision sera
prise en toute connaissance de cause et avec le total consentement de l'homme
ou de la femme. Si l'on peut légitimement adhérer à cette évolution
législative, la stérilisation des personnes handicapées mentales pose, quant à
elle, de nombreuses interrogations éthiques, politiques et économiques.
Je regrette que, face à toutes ces questions difficiles, délicates, il n'y ait
pas eu de réel débat de fond sur le sujet et que le Comité consulatif national
d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé n'ait pas été saisi à ce
propos. Sa seule déclaration remonte à 1996, et, hélas ! reste floue.
En légiférant, notre volonté est d'assurer la protection de ses droits à la
personne handicapée, en tant qu'être humain, sans pour autant refuser
d'affronter la réalité, à savoir les difficultés techniques, matérielles,
humaines qui ne manqueront pas de se présenter pour la personne handicapée
comme pour son entourage.
Il s'agit donc bien, aujourd'hui, de répondre à une évolution de notre société
en matière de contraception et d'interruption volontaire de grossesse. Mais ce
projet de loi n'aura de sens que si le Gouvernement s'engage à poursuivre et à
prolonger la démarche qui est la sienne depuis plus de trois ans sur le plan de
la prévention et de l'information, dans le domaine de la prise en charge
matérielle, technique et humaine des IVG, et par un soutien aux personnes et
aux familles dans le cadre de la stérilisation.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, que dire de plus après l'excellente intervention de notre
rapporteur Francis Giraud ? Je reviendrai simplement sur deux ou trois points
pour y insister.
Je crois que nous devons aborder ce problème - beaucoup d'orateurs l'ont dit -
avec tout le respect qui est dû à un domaine qui est éminemment sensible
puisqu'il s'agit de la transmission de la vie, sujet qui intéresse tout homme
et toute femme. Il faut donc s'efforcer d'éviter tout abord partisan et
idéologique.
Pour quelle raison - ce sera ma première remarque - dans un domaine aussi
sensible et aussi complexe, le Gouvernement a-t-il déclaré l'urgence, alors que
la navette aurait sans doute permis de rapprocher les points de vue ? Ce
problème existe depuis de nombreuses années !
Il faut, et nous sommes tous d'accord sur ce point, me semble-t-il, être à
l'écoute de ces femmes. Pour la majorité d'entre elles, une interruption
volontaire de grossesse reste une décision douloureuse, quelquefois un drame,
qui peut marquer profondément leur vie. C'est la raison pour laquelle nous
devons éviter coûte sur coûte le recours à ce qui ne doit être qu'une solution
extrême, comme le disait Simone Veil lorsqu'elle défendait sa loi et comme le
rappelait tout à l'heure notre collègue Christian Bonnet.
Il eût donc été préférable - et il ne s'agit pas d'une simple nuance
sémantique - que le projet de loi fût intitulé « Contraception et interruption
volontaire de grossesse » et non pas « Interruption volontaire de grossesse et
contraception ». En effet, par cette inversion dans la formulation, on semble
privilégier l'IVG comme moyen de contraception.
(M. le président de la commission fait un signe d'approbation.)
Je tiens à noter que Mme Guigou, lorsqu'elle a défendu le projet de loi tout
à l'heure, a commencé par évoquer longuement la contraception. Je sais que ce
n'est pas elle qui était en fonction lorsque la discussion de ce projet de loi
a commencé, mais il s'agit pour le moins d'une maladresse.
J'ai indiqué que je ne voulais pas polémiquer ; je ne dirai donc pas qu'il
s'agit d'un point de départ idéologique. Toutefois, avoir retenu comme intitulé
du projet de loi « Interruption volontaire de grossesse et contraception » est
une erreur psychologique. En effet, comme tout le monde l'a dit, force est
malheureusement de constater que, dans notre pays, la contraception est un
échec : on compte encore, chacun l'a répété, plus de 200 000 interruptions
volontaires de grossesse contre seulement, si je puis dire, 250 000 voilà
vingt-cinq ans. Par conséquent, on ne constate pas une diminution significative
du nombre d'IVG.
Il est clair que, quelles que soient les majorités, notre pays ne s'est pas
doté d'une véritable politique d'information en matière de sexualité et de
contraception et que le corps médical - et j'en suis - n'a pas, en ce domaine,
pris suffisamment ses responsabilités, pas plus d'ailleurs que les pouvoirs
publics ou l'éducation nationale.
L'un des intervenants déclarait que, dans certains établissements scolaires,
les informations sur la contraception et la sexualité étaient affichées à
l'infirmerie. Il s'agit donc d'une maladie puisque l'on ne se rend en ce lieu
que si l'on est malade ! Tant que les informations en ce domaine seront
dispensées à l'infirmerie, on n'abordera pas les choses dans le bon ordre.
Depuis des centaines de millions d'années, la sexualité est à la base de
l'activité humaine ; il s'agit donc d'une activité normale, sur laquelle nos
concitoyens doivent être informés.
Comme M. le rapporteur l'a souligné, notre pays doit d'abord mettre en place
une politique contraceptive efficace, accessible à tous ; je pense notamment au
remboursement par la sécurité sociale de contraceptifs chimiques ou mécaniques
: les contraceptifs chimiques les moins dosés, c'est-à-dire les moins
dangereux, ne doivent pas, comme aujourd'hui, être peu ou pas remboursés.
Or, aujourd'hui, après le vote de ce texte en première lecture par l'Assemblée
nationale, il apparaît, à tort ou à raison, que la première disposition qui est
soulignée concerne l'allongement de dix à douze semaines du délai légal pour
pratiquer une interruption volontaire de grossesse. De ce fait - et le titre
d'un grand journal du soir le montre - tout le reste est occulté, alors que
c'est précisément tout le reste qui est important. C'est évidemment un non-sens
eu égard à une politique contraceptive que nous n'avons pas pu ou pas su mettre
en place.
Pourquoi sommes-nous hostiles à cette disposition, comme M. le rapporteur l'a
indiqué ? Il est clair que, sur les cinq mille femmes qui dépassent le délai de
dix semaines, à peu près la moitié auront également dépassé le délai de douze
semaines. La mesure envisagée ne résoudra donc pas leur problème.
Il est clair aussi - le chirurgien que j'ai longtemps été le sait, et le
professeur Francis Giraud le sait encore mieux - qu'en passant du stade foetal
au stade embryonnaire on franchit un pas médical, voire chirurgical, notable,
sans parler du risque d'eugénisme qu'on ne peut balayer d'un revers de main.
A cet égard, il faut souligner les réticences des centres d'interruption
volontaire de grossesse, que M. Claude Huriet explicitera mieux que quiconque
tout à l'heure. La majeure partie de ces centres s'inquiètent fortement de
cette prolongation de dix à douze semaines, non pas pour des raisons
philosophiques ou éthiques, mais pour des raisons techniques et de
responsabilité vis-à-vis des femmes qui iront les consulter.
Il convient de rappeler aussi les termes du communiqué du groupe de travail de
l'Académie de médecine, dirigé par M. Sureau : « L'IVG devra être précédée
d'une information complète sur les risques que l'intéressée pourrait encourir
pendant et après l'intervention ». Or, c'est au moment où le délai passe de dix
à douze semaines, sachant que tous les experts s'accordent à dire que, de ce
fait, le risque est plus grand - même s'ils peuvent discuter sur l'évaluation
de son augmentation - que l'on choisit de supprimer l'entretien préalable !
Très justement, M. le rapporteur en demandera le maintien, et je crois que
c'est faire preuve de bon sens.
Dans une société développée comme la nôtre, l'information n'est pas
contradictoire avec la liberté individuelle,...
M. Jean Chérioux.
Au contraire !
M. Charles Descours.
... d'autant qu'elle s'adresse non pas seulement et non pas prioritairement à
toutes celles qui, de par leur savoir, n'apprendront rien au cours de
l'entretien, mais à toutes celles qui, du fait de leur position sociale, n'ont
pas eu accès à ce savoir. Nous savons bien, en effet, pour avoir vu souvent les
femmes qui recourent à l'IVG, qu'il s'agit le plus souvent de jeunes femmes ou
de jeunes filles issues des couches sociales qui n'ont pas accès au savoir.
La maîtrise de la fécondité, individuelle et collective, reste un grand
problème, qui se pose évidemment de façon différente selon les pays où l'on
vit. Il importe cependant de ne jamais oublier les valeurs éthiques
fondamentales sur lesquelles se fonde notre civilisation.
S'agissant d'un problème aussi délicat, la liberté de vote sera, bien sûr, la
règle pour le groupe des Républicains et Indépendants, mais la très grande
majorité de ses membres et moi-même soutiendrons la position équilibrée de M.
le rapporteur.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
vingt-cinq ans après l'adoption de la loi Veil, le 17 janvier 1975, nous
examinons aujourd'hui le projet gouvernemental tendant à réformer
l'interruption volontaire de grossesse. Il contient principalement deux
nouvelles dispositions : d'une part, l'allongement du délai légal de deux
semaines, en autorisant l'avortement jusqu'à douze semaines de grossesse ;
d'autre part, la faculté offerte à toute jeune fille mineure de subir une IVG
en dérogeant à l'autorisation parentale.
Je ferai donc, successivement, diverses observations.
La première concerne l'échec de la loi Veil, qui a conduit notre pays à
détenir le triste record du nombre d'avortements en Europe : plus de 200 000
par an, alors même qu'on estimait, en 1975, si l'on en croit les discours des
parlementaires de l'époque, que la loi devait entraîner une rapide diminution
des avortements grâce à l'information et à l'ensemble des mesures préventives
votées.
Aujourd'hui, madame la secrétaire d'Etat, le Gouvernement nous propose, en
prolongeant de deux semaines la possibilité d'intervention, d'augmenter de cinq
mille à dix mille ce triste chiffre.
A ce projet de loi, je souhaite opposer quelques arguments.
Le premier concerne le respect de l'enfant à naître. La douleur qui frappe un
couple quand il perd accidentellement un enfant, par fausse couche, à trois
mois et demi ou quatre mois, laisse toujours des traces profondes. Alors,
madame la secrétaire d'Etat, comment ne pas imaginer, même si son choix est
délibéré, qu'une jeune maman désireuse de faire disparaître un enfant vivant,
biologiquement constitué, que l'échographie rattache très tôt sentimentalement
à elle, ne puisse, à terme, subir de graves désordres psychologiques ?
Un embryon, puis un foetus, ne sont pas moins « humains » à douze semaines
qu'à dix. Pour moi, ils le sont dès les premières minutes de leur conception et
conservent leur dignité d'être humain tout au long de leur processus de
développement.
Dans ce projet de loi, le Gouvernement nous propose de passer subrepticement
de la « dépénalisation de l'avortement », inscrite dans l'esprit de la loi
Veil, au « droit à l'avortement », dont vous prenez ici la responsabilité
pleine et entière, ce qui, à mes yeux, est inacceptable.
Ma deuxième observation concerne les « dérives inévitables » qu'entraîneront
les dispositions que vous préconisez. Vous venez d'ouvrir toute grande la voie
de la recherche de l'enfant parfait. En facilitant l'avortement et en votant
cette nouvelle disposition légale, on risque bien d'assister à 4 000
avortements supplémentaires tant certaines femmes seront tentées de choisir le
sexe de l'enfant ou d'éliminer l'embryon pour malformations mineures, afin de
favoriser les enfants « bien nés » ou « eugéniquement conçus » ! Le phénomène
est déjà constaté dans plusieurs pays où une « petite erreur de la nature » est
définitivement éliminée par un acte chirurgical.
En retour, madame la secrétaire d'Etat, votre projet de loi est étrangement
muet en ce qui concerne les moyens alloués aux jeunes femmes, mineures ou non,
désireuses de garder leur enfant. En effet, il aurait dû assurer, avant tout,
l'accompagnement des femmes enceintes plongées dans le désarroi par la
perspective d'une grossesse dont elles craignent de ne pouvoir assurer la
charge du fait d'une détresse morale, matérielle ou physique relevant de notre
responsabilité collective. Il convient donc que soient renforcées les
dispositions et les structures d'accueil propres à permettre à une femme
enceinte en détresse qui le désirerait de mener sa grossesse à terme.
Votre texte est aussi étrangement muet en ce qui concerne l'information sur la
contraception, insuffisante puisqu'elle aboutit au constat que nous connaissons
: 20 000 grossesses par an chez les mineures, entraînant 7 000 avortements.
C'est pourquoi j'émets de profondes réserves sur la possibilité offerte aux
mineures de déroger à l'autorisation parentale. La préservation du lien entre
parents et enfants reste en effet primordiale.
Par ailleurs, madame la secrétaire d'Etat, contre l'avis du gouvernement
auquel vous appartenez , vous avez fait voter la « dépénalisation de
l'interruption illégale de grossesse ». Je m'oppose fermement à cette décision,
qui fait sortir les dispositions relatives aux pratiques non autorisées de
l'IVG du code pénal pour les transférer dans le code de la santé publique.
Pour conclure, j'ai la conviction profonde que votre texte n'est, dans votre
esprit, qu'une étape avant l'allongement supplémentaire du « curseur fatal ».
En voulant à tout prix défendre le « droit à l'avortement », vous radicalisez
dangereusement la loi Veil, qui, elle, se voulait protectrice, et vous engagez,
au nom de la « liberté des femmes », notre société dans une dérive coupable.
Votre idéologie est celle de « l'abandon » là où les jeunes auraient besoin
d'un soutien. C'est pourquoi, comme la commission des affaires sociales, je
fais le choix de m'opposer à l'allongement du délai que vous nous proposez.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une
heures trente, sous la présidence de M. Paul Girod.)