SEANCE DU 27 MARS 2001


INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE
ET CONTRACEPTION

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 120, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. [Rapport n° 210 (2000-2001) et rapport d'information n° 200 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez que, depuis 1997, ce gouvernement s'est engagé avec détermination dans une politique volontariste en matière de droits des femmes. Nicole Péry et moi-même avons dressé le bilan de cette action le 8 mars dernier. J'en rappellerai brièvement les grandes lignes.
D'abord, les femmes peuvent accéder davantage aux responsabilités politiques grâce à la loi du 6 juin 2000 sur la parité, qui vient de s'appliquer aux dernières élections municipales. De même, la loi sur l'égalité professionnelle propose un plan d'accès aux responsabilités dans la fonction publique.
En matière d'égalité d'accès au travail, nous nous sommes fixé pour objectif que 55 % des bénéficiaires du dispositif de lutte contre le chômage et l'exclusion soient des femmes. Nous savons que les femmes occupent une place importante dans le dispositif d'embauche des emplois-jeunes. Par ailleurs, elles ont bénéficié de nombre d'emplois qui ont été créés par la réduction de la durée du temps de travail et qui ont permis à beaucoup d'entre elles de passer du travail partiel subi à des postes de travail durable.
M. Patrick Lassourd. Et elles bénéficient du travail de nuit...
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous avons également amélioré les possibilités pour les femmes d'articuler la vie professionnelle et la vie familiale en créant plus de 40 000 places dans les crèches et en permettant que l'allocation d'aide à la reprise d'activité soit accordée aux femmes ayant un enfant de moins de six ans.
Avec le secrétaire d'Etat au logement, nous avons aussi facilité un meilleur accès aux droits de femmes, en favorisant, dans le cadre des plans départementaux d'accès au logement des personnes défavorisées, la prise en compte des demandes des femmes en grande difficulté, notamment des femmes victimes de violences. Dans le cadre du programme de lutte contre l'exclusion, je voudrais rappeler la possibilité de cumuler l'allocation de parent isolé avec un revenu d'activité.
Je voudrais encore citer les travaux qui ont été menés par Nicole Péry concernant la lutte contre les violences faites aux femmes : l'enquête nationale qu'elle a lancée - la première du genre - qui a donné lieu à des assises le 25 janvier dernier, le groupe de travail interministériel sur les violences au sein du couple qui devrait permettre une nette amélioration de l'information des femmes à l'égard des violences dans le couple et la prise en charge des femmes victimes.
S'agissant de la santé des femmes, je voudrais rappeler que le programme de lutte contre le cancer annoncé en février 2000 va aboutir, à partir de cette année, au dépistage généralisé du cancer du sein pour les femmes âgées de cinquante à soixante-quatorze ans, et que la création d'un diplôme d'études spécialisées de gynécologie obstétrique et médicale va restaurer l'enseignement spécifique de la gynécologie médicale.
M. Lucien Neuwirth. Enfin !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Voilà, brièvement résumées, les actions qui ont été menées ces dernières années en faveur des femmes.
J'ajouterai que le Gouvernement s'est attaché à deux autres priorités dans le domaine de l'accès aux droits qui font précisément l'objet du projet de loi qui vous est soumis : je veux parler du développement de la contraception et de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse.
La première priorité de la politique du Gouvernement dans ces domaines a été de permettre de prévenir les grossesses non désirées en assurant un meilleur accès à la contraception.
Personne, en effet, ne conteste le fait que la contraception ne soit pas parvenue à réduire le nombre de grossesses non désirées, bien que plus de deux Françaises sur trois, entre vingt et quarante-neuf ans, utilisent une méthode contraceptive.
Malheureusement, les chiffres sont là : plus de 200 000 interruptions volontaires de grossesse par an, 10 000 grossesses non désirées chez des adolescentes, dont 7 000 conduisent à une interruption volontaire, et près d'une femme sur trois confrontée à une telle décision au cours de son existence.
Les échecs contraceptifs restent encore trop fréquents. Ils ont de multiples causes, que nous avons cherché à analyser : les accidents de méthode - préservatifs défectueux, oublis de pilule -, l'infertilité supposée, la méthode inadéquate prescrite par le médecin, ou encore la contraception comme enjeu dans les rapports entre homme et femme. N'oublions pas surtout que, pour les mineurs, plus de 10 % des adolescentes ont leurs premiers rapports sexuels sans aucune contraception.
A partir de ces constats, nous nous sommes fixé comme objectifs d'améliorer l'information à la contraception et de faciliter l'accès de toutes les femmes à tous les contraceptifs disponibles.
Ainsi, nous avons lancé, le 12 janvier dernier, une campagne d'information, à laquelle nous avons consacré plus de 20 millions de francs. Je rappelle que la dernière campagne officielle portant spécifiquement sur la contraception remontait à 1982, et que l'initiative en revenait à Mme Yvette Roudy.
Cette campagne, lancée en janvier dernier, a trois cibles prioritaires, même si l'ensemble de la population est concerné : d'abord, les jeunes, pour les inciter à choisir la bonne contraception au bon moment ; ensuite, les célibataires, pour les amener à mieux gérer une sexualité qui est, pour certains d'entre eux, plus intermittente ; enfin, les couples, pour simplifier le choix d'une contraception concertée.
Non seulement cette campagne sera reconduite cette année, mais elle le sera régulièrement, ne serait-ce que pour que soit systématiquement touchée toute nouvelle génération d'adolescents concernée.
Pour cette année, avec une nouvelle dotation de 20 millions de francs, la campagne aura trois enjeux principaux. Il s'agit, d'abord, de favoriser une utilisation effective de la contraception par les femmes et par leur partenaire. Il s'agit, ensuite, de mobiliser les professionnels de santé et les principaux relais d'information. Il s'agit, enfin, de valoriser les actions menées en région l'année dernière et de les renforcer.
Nous avons pris également des dispositions pour faciliter l'accès de toutes les femmes à tous les contraceptifs disponibles sur le marché, pour tenir compte du coût de la contraception, de son remboursement et de l'évolution des méthodes.
C'est ainsi que nous avons obtenu une réduction du prix du stérilet, dont le remboursement est plus important depuis le 29 août 2000, avec une prise en charge à 100 % pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle.
De la même façon, actuellement, seules les pilules oestroprogestatives de première et de deuxième génération et les pilules progestatives sont remboursables à 65 %.
C'est la raison pour laquelle nous avons entamé les démarches nécessaires pour la mise sur le marché d'une pilule de troisième génération à un prix accessible et remboursable dans les prochains mois.
M. Charles Descours. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Enfin, nous avons mis sur le marché les premières pilules du lendemain : le Tétragynon en décembre 1998 et le NorLevo en juin 1999. Il s'agit d'efforts qui sont loin d'être négligeables et qui doivent être poursuivis. Vous avez été nombreux à nous interpeller pour que les efforts soient démultipliés en matière d'éducation à la sexualité et de facilité d'accès à la contraception. Certains d'entre vous estiment, et ils ont raison, que trop peu de temps est consacré à ce sujet dans les écoles, les collèges et les lycées. D'autres considèrent que les intervenants chargés de ces enseignements ne sont pas toujours les bons ou ne sont pas suffisamment formés. M. Neuwirth avait beaucoup insisté sur ce point, notamment en commission. C'est un sujet sur lequel nous reviendrons sans doute au cours de la discussion. Je rappelle que l'article 16 du projet de loi prévoit au moins trois séances obligatoires d'éducation dans les collèges et dans les lycées.
Il convient également de renforcer la formation des professionnels de santé afin que le dialogue qu'ils engagent avec les femmes soit mieux adapté à la demande et aux attentes d'aujourd'hui.
Il faut aussi mieux associer les professionnels de santé aux campagnes d'information - c'est l'un des objectifs de la campagne de cette année - pour qu'ils servent de relais auprès des jeunes. Voilà ce que je tenais à dire en ce qui concerne les efforts en faveur de l'accès à la contraception, de la diffusion de l'information et de l'éducation à la sexualité.
La seconde priorité du Gouvernement est d'améliorer, quand il n'y a pas d'autre choix, l'accès à l'interruption volontaire de grossesse.
Il ne faut pas que cette épreuve, car c'en est une, soit rendue encore plus difficile à vivre par les conditions qui permettent d'accéder à l'IVG, par les délais d'intervention et par les conditions d'accueil et d'information.
Pour parvenir à améliorer les conditions d'accès à l'interruption volontaire de grossesse, nous avons pris plusieurs mesures.
D'abord, nous avons amélioré l'information. Comme vous le savez, nous avons mis en place, depuis le 1er juillet 2000, des permanences téléphoniques dans chaque région destinées à accueillir les femmes, à les informer sur toutes les questions qu'elles se posent et à les orienter en direction du planning de permanence des hôpitaux en matière d'IVG. Ces permanences, grâce à des financements publics, seront désormais pérennisées. Les commissions régionales de la naissance sont chargées de veiller à leur bon fonctionnement et à leur bonne coordination avec le réseau de structures régionales, à la fois publiques et privées, qui prennent en charge les interruptions volontaires de grossesse.
Cette information n'est évidemment pas exclusive de l'information due à toute femme enceinte qui le souhaite sur les aides dont elle peut bénéficier si elle veut poursuivre sa grossesse. Beaucoup ont insisté sur ce point : je partage leur souci. Le souhait du Gouvernement n'est pas de favoriser l'information relative à l'IVG aux dépens de l'information destinée aux femmes qui veulent poursuivre leur grossesse. Nous avons bien entendu à mener les deux actions.
Ensuite, nous avons amélioré l'accessibilité des structures susceptibles de prendre en charge les interruptions volontaires de grossesse. Il s'agit, pour l'essentiel, de mesures de nature organisationnelle, qui ne relèvent pas du domaine de la loi mais que la loi viendra compléter.
En premier lieu, il fallait commencer par desserrer la pression s'exerçant sur les plateaux techniques capables de prendre en charge les IVG, en renforçant les moyens des équipes hospitalières et médicales. C'est ainsi que 12 millions de francs ont été consacrés à ces équipes dans le budget 2000 et que 15 millions de francs le seront dans le budget de cette année.
Des mesures ont été prises aussi pour faciliter l'accès de toutes les femmes à toutes les techniques d'interruption volontaire de grossesse, y compris médicamenteuses, quel que soit le centre d'interruption volontaire sollicité. Une circulaire en ce sens a été adressée le 17 novembre 1999 à tous les directeurs d'établissement.
Par ailleurs, il a été demandé à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé d'examiner les possibilités d'élargir les indications de la Mifegyne, dite RU 486. Celle-ci ne peut aujourd'hui s'utiliser que jusqu'au quarante-neuvième jour ; son extension jusqu'au soixante-troisième jour est à l'étude.
L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, a aussi été sollicitée pour élaborer, à l'intention des professionnels, des recommandations de bonnes pratiques en matière d'interruption volontaire de grossesse et pour intégrer aux critères d'accréditation des établissements le bon fonctionnement de leur activité d'interruption volontaire de grossesse.
Ces deux volets de l'action gouvernementale, que je viens de rappeler, seront évidemment poursuivis dans les prochains mois.
J'en viens au projet de loi qui vous est soumis.
Le texte initial du Gouvernement contient trois modifications principales apportées à la législation actuelle. Il s'agit, d'abord, de l'allongement du délai légal pour recourir à l'IVG : celui-ci passerait de dix semaines à douze semaines de grossesse. Il s'agit, ensuite, de l'aménagement de l'obligation d'autorisation parentale pour les mineurs qui souhaitent avoir recours à l'IVG. Il s'agit, enfin, de la suppression des sanctions pénales liées à la propagande et à la publicité en faveur de l'IVG.
Ce projet de loi a déjà été examiné en première lecture à l'Assemblée nationale, où il a été l'occasion de débats de bonne tenue, même s'ils n'ont pas permis de réduire tous les clivages. Je vais donc revenir brièvement sur les dispositions du projet de loi initial.
J'examinerai, d'abord, l'allongement du délai légal de recours de dix à douze semaines de grossesse. L'objectif de cette disposition est d'éviter que des femmes qui ont pris la décision de recourir à une interruption volontaire de grossesse ne soient contraintes, parce qu'elles sont hors délai, de partir pour l'étranger ou d'avoir recours à une interruption médicale de grossesse. Il est évident que le seul allongement du délai de deux semaines ne réglera pas le problème de toutes les femmes, bien sûr. Il permettra cependant d'apporter une solution à environ 80 % d'entre elles, d'après l'estimation du rapport Nisand, sur les cinq mille qui, dans des conditions douloureuses et inacceptables, traversent chaque année nos frontières pour réaliser une interruption volontaire de grossesse. N'oublions pas non plus que cet allongement du délai n'est pas la seule solution proposée et qu'elle s'inscrit dans l'ensemble de la politique de prévention que je viens de rappeler.
S'agissant des obstacles en termes médicaux et de sécurité sanitaire qui ont été mis en avant par certains, l'avis de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé que nous avons sollicité - vous avez d'ailleurs auditionné son président, M. Michel Tournaire - est clair : ces obstacles n'existent pas. Le taux des risques de complication est actuellement de 1 % ; il serait de 1,5 %. Par ailleurs, en février dernier, un rapport de votre assemblée a fait une lecture comparée très instructive des dispositifs législatifs qui existent en Europe. Nous savons que la plupart des pays européens vont au-delà de dix semaines. Comme vous l'a dit, je crois, le docteur Danielle Gaudry, les médecins français ne sont pas moins compétents sur le plan technique que leurs confrères des Pays-Bas ou de Grande-Bretagne pour réaliser des interruptions de grossesse à douze semaines.
Evidemment, il faut être attentif et prendre toutes les précautions nécessaires pour prévenir les risques, aussi minimes soient-ils. Je pense notamment - et je suppose que nous reviendrons au cours du débat sur ce point qui a été abordé par l'Assemblée nationale - aux risques de dérives eugéniques.
Vous connaissez l'avis du Comité consultatif national d'éthique à cet égard. Son président a déclaré que c'est « effectivement faire injure aux femmes que de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à la seule connaissance ou du sexe ou des anomalies du foetus ». En tout cas, ce que nous n'avons pas voulu, c'est remettre en cause l'esprit de la loi Veil : jusqu'à douze semaines, c'est à la femme d'exercer librement le choix d'interrompre ou non sa grossesse.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. L'IVG est un droit jusqu'à douze semaines, et non plus jusqu'à dix semaines seulement. L'interruption volontaire de la grossesse dans ce cas découle de la seule volonté de la femme et elle répond à une situation de détresse liée au refus de la grossesse pour différentes causes, qu'il appartient évidemment à chaque femme d'apprécier. Personne ne peut ni juger ni décider à la place d'une femme qui se trouve dans une telle situation.
J'en viens aux dispositions relatives à l'aménagement de l'obligation d'autorisation parentale pour les mineures. Les mesures proposées affirment que l'autorisation parentale reste la règle, mais elles ouvrent une possibilité de dérogation à cette règle. On ne peut en effet ignorer certaines situations de détresse, liées à des incompréhensions familiales. Il y a des cas où la mineure ne peut pas envisager de parler d'une IVG à ses parents. Il y a des cas où les parents s'y opposent. Enfin, il y a des situations où les parents sont injoignables.
Par conséquent, avant toute chose, le médecin prendra le temps du dialogue. Il tentera de convaincre la jeune fille qu'il serait préférable pour elle que ses parents puissent l'accompagner dans cette période difficile de son existence. Si la jeune fille persiste dans son souhait de garder le secret ou si, malgré son souhait, elle ne peut obtenir le consentement de ses parents, son seul consentement, exprimé librement en tête-à-tête avec le médecin, emportera la décision. Cette décision vaut pour tous les actes qui sont liés à l'interruption de grossesse, par exemple pour l'anesthésie.
Afin que la jeune fille ne reste pas seule tout au long de cette période difficile, elle pourra choisir, après en avoir discuté au cours de l'entretien préalable, un adulte pour l'accompagner, cet adulte pouvant être soit l'un des professionnels du centre qu'elle a déterminé pour avoir recours à l'IVG, soit un adulte de son entourage proche.
S'agissant de la responsabilité du médecin en cas de dommages consécutifs à l'IVG, je tiens à préciser d'emblée que ce sont les règles générales de la responsabilité médicale qui s'appliquent.
Pour ce qui est de la responsabilité de l'accompagnant - ce point a également fait l'objet de débats à l'Assemblée nationale - j'ai saisi, comme je m'y étais engagée, la ministre de la justice. Je vous livre le sens de sa réponse, qui rejoint les propos que j'avais moi-même tenus devant l'Assemblée nationale : aucune responsabilité civile ou pénale de la personne désignée ne saurait être engagée par la mineure ou les titulaires de l'autorité parentale pour des faits se rattachant à la mission d'accompagnement. Le consentement à l'interruption volontaire de grossesse ne lui appartient pas ; elle n'intervient en rien dans l'organisation de l'IVG et dans sa réalisation. C'est un acte médical qui est donc soumis au régime normal de la responsabilité médicale.
Le troisième volet du projet de loi initial du Gouvernement concerne les sanctions pénales.
Le texte prévoit la suppression des sanctions liées à la propagande et à la publicité pour l'IVG, devenues obsolètes, ainsi que l'abrogation de la disposition du décret-loi de 1939 relatif à la famille et à la natalité française, qui prévoit une automaticité d'interdiction professionnelle pour les médecins ayant pratiqué des IVG.
Les députés ont par ailleurs transposé du code pénal au code de la santé publique, sans les modifier, les sanctions applicables au fait d'interrompre une grossesse en dehors des délais fixés par la loi, ou de pratiquer une IVG sans être médecin ou dans un lieu non habilité, ainsi qu'au délit de fourniture de moyens à une femme pour une IVG sur elle même, en précisant que la femme ne peut être considérée comme complice de ce délit. Il s'agit bien d'une simple transposition du code pénal au code de la santé publique et les sanctions sont évidemment maintenues.
Les députés ont également aménagé les éléments constitutifs du délit d'entrave à l'IVG dans un souci de meilleure protection des femmes et des personnes qui les aident et afin de voir réprimées les nouvelles formes de commandos anti-IVG.
Je souhaite maintenant appeler votre attention sur trois autres modifications retenues sur l'initiative des députés.
La première modification concerne la suppression de l'entretien obligatoire pour les femmes majeures. Le Gouvernement ne s'est pas opposé à cette proposition. Il a été sensible au fait que le maintien de l'obligation d'entretien pour les femmes majeures pouvait paraître remettre en cause leur légitimité à décider seules de leurs actes.
Les professionnels que la commission des affaires sociales a auditionnés ont, dans leur grande majorité, approuvé ce choix.
Martine Le Roy, présidente de la Confédération du mouvement français pour le planning familial, a indiqué, pour sa part, que l'obligation n'a pas de raison d'être et n'apporte qu'un caractère répressif à l'entretien.
C'est ce que vous a dit également Bernard Maria, président du collège national des gynécologues-obstétriciens français : « plus de 90 % des patientes qui viennent faire une IVG sont forcément décidées dès la première consultation ». Il est donc préférable, à son avis, que cet entretien soit « à la carte ». Le dialogue, pour exister, doit être spontané ; s'il est imposé, son contenu est différent.
Je veux encore citer le docteur Paul Cesbron, président de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception, ou le docteur Bernard Bourreau.
La deuxième modification retenue a trait à l'introduction d'une procédure collégiale pour toute décision d'interruption médicale de grossesse, l'IMG, en faisant intervenir une commission pluridisciplinaire.
Le dispositif proposé permet la mise en oeuvre d'une procédure collégiale d'expertise en ce qui concerne les deux situations permettant une IMG : la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ; il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité.
S'agissant des interruptions médicales de grossesse envisagées en raison d'une anomalie embryonnaire ou foetale, les nouvelles dispositions suggérées complètent le dispositif qui fonctionne actuellement dans le cadre des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, dont les modalités sont fixées par le décret n° 97-578 du 28 mai 1997. La commission créée disposera, pour valider l'indication d'une IMG, des avis diagnostiques émis dans le cadre de la concertation pluridisciplinaire menée au sein des structures précitées, qui rassemblent toutes les compétences cliniques et biologiques dans le domaine du diagnostic prénatal.
S'agissant des IMG envisagées lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, la mise en place d'une commission d'expertise pluridisciplinaire permet d'instaurer une concertation préalable nécessaire à une prise de décision difficile. Cette concertation permet d'éviter toute dérive et de préserver une appréciation des indications d'interruption de grossesse fondée sur des critères médicaux stricts. Cette instance d'expertise devra faire appel aux praticiens dont la qualification est requise par le grave problème de santé de la femme.
Ces dispositions font l'objet de plusieurs propositions d'amendements de la part de votre assemblée.
Les uns visent à préciser que lorsque la cause d'IMG est liée à un péril grave pour la santé de la mère, la santé comprend la santé physique et psychique. Cette précision nous apparaît inopportune : le terme « santé » couvre tous les problèmes de santé sans distinction.
Les autres amendements visent à élargir le cadre de l'interruption médicale de grossesse aux situations à caractère psychosocial. Je vous rappelle que nous n'avons pas souhaité revenir sur l'esprit de la loi de 1975. En effet, ce qui est déterminant pour l'interruption « volontaire » de grossesse, c'est la démarche d'une femme à qui il revient, et à elle seule, de juger des raisons personnelles affectives ou morales qui la conduisent à vouloir ne pas poursuivre sa grossesse.
L'interruption « médicale » de la grossesse est une autre démarche : elle concerne une grossesse qui ne peut être menée à son terme en raison des risques qui menacent la santé de la mère ou celle de l'enfant.
La troisième modification retenue a trait à l'encadrement de la stérilisation à visée contraceptive.
Ces dispositions tendent à encadrer le recours à la stérilisation volontaire masculine et féminine pour les personnes capables et pour les personnes incapables majeures.
Pour ce qui est des personnes majeures capables, la ligature des trompes ou des canaux déférents ne peut être pratiquée que si la personne intéressée a exprimé une volonté libre, motivée et délibérée en considération d'une information claire et complète sur ses conséquences.
Cet acte chirurgical ne peut être pratiqué que dans un établissement de santé et après une consultation auprès d'un médecin.
L'objectif est de mettre en évidence le seul fondement d'une telle intervention, à savoir un choix libre, éclairé et motivé de la personne intéressée, en prenant bien évidemment des garanties, c'est-à-dire un consentement écrit après un délai de réflexion.
La commission des affaires sociales envisage de limiter ce droit aux personnes âgées de plus de trente ans ou aux personnes qui ne peuvent bénéficier d'une contraception autre. Ce n'est pas le choix des députés, que nous avons soutenu.
Cependant, si le délai de réflexion de deux mois apparaît trop court, il pourrait être prolongé.
Pour les personnes protégées, des conditions sont posées par le texte : une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre ; l'autorisation du juge des tutelles, après audition des personnes utiles et avis d'un comité d'experts.
Plusieurs amendements visant à améliorer la rédaction de l'article 20 méritent d'être débattus. Ils concernent notamment la saisine du juge des tutelles, les personnes susceptibles d'être entendues et la composition de la commission.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler devant la Haute Assemblée avant que nous n'engagions la discussion sur le texte tel qu'il est proposé par le Gouvernement et amendé par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Vous applaudissez alors que vous ne savez pas encore ce qu'il va dire !
M. Paul Blanc. C'est par sympathie pour lui, parce qu'on le connaît bien !
M. Jean Chérioux. Parce qu'il a notre estime !
M. Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un quart de siècle après le vote de la loi du 17 janvier 1975, le Parlement se trouve conduit à réexaminer le cadre juridique régissant l'interruption volontaire de grossesse.
Il s'agit d'un sujet de société difficile qui engage la conscience de chacun de nous. Il concerne des situations humaines douloureuses, des détresses qui imposent de nous garder de tout a priori idéologique ou moral.
A cet égard, la commission a analysé ce texte de manière sereine, avec essentiellement des préoccupations de santé, au sens le plus large du terme, pour toutes les femmes concernées.
La loi Veil du 17 janvier 1975 était nécessaire. Elle a permis de mettre fin à cette honte collective que constituaient les décès de femmes souvent jeunes, consécutifs à des avortements clandestins. Interne des hôpitaux, j'ai été témoin de ces drames : je ne peux l'oublier.
La loi Veil est une loi courageuse, équilibrée, réfléchie. Ce n'est que justice de rendre hommage à Simone Veil et à notre collègue Lucien Neuwirth qui, quelques années auparavant, avait ouvert la voie à une contraception maîtrisée. (Applaudissements.)
Le Gouvernement propose aujourd'hui un certain nombre de modifications de la loi Veil, consistant essentiellement à allonger de deux semaines le délai légal pour pratiquer une IVG, soit à passer de dix à douze semaines de grossesse.
Avant d'analyser cette disposition, qui constitue le point le plus important de ce projet de loi, quelques remarques s'imposent.
La commission des affaires sociales regrette la déclaration d'urgence dont le Gouvernement a assorti la discussion du projet de loi. Un tel sujet aurait nécessité réflexion et concertation entre les deux assemblées. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
MM. Jacques Machet et Jean Chérioux. Très bien !
M. Francis Giraud, rapporteur. Le problème moral soulevé par l'interruption de la grossesse a été abordé au fond et largement débattu lors du vote de la loi de 1975, puis lors de son réexamen en 1979. De ce point de vue, il n'y a, à l'évidence, aucune différence entre un avortement réalisé à huit, dix ou douze semaines de grossesse. Le projet de loi n'ouvre pas de nouveau le débat sur l'avortement.
Le constat du nombre d'IVG dans notre pays est accablant. Il est celui d'un échec collectif dont la responsabilité est partagée par toutes les majorités politiques qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans. En 1976, il y avait 250 000 IVG par an en France ; en 1998, il y en avait encore 214 000 !
Le comité consultatif d'éthique est sévère à ce propos. Il qualifie ce nombre d'« inacceptable »...
M. Jacques Machet. Il a raison !
M. Francis Giraud, rapporteur ... et souligne : « Une société mieux éclairée dans son mode de contraception subirait dans une moindre mesure la violence de l'interruption de grossesse ».
La persistance d'un nombre élevé d'IVG témoigne, à l'évidence, d'une carence dramatique dans une éducation qui devrait rendre les adolescents et les adultes responsables de leur sexualité et de leur reproduction. L'exemple des Pays-Bas montre qu'une politique d'éducation sexuelle précoce permet de réduire significativement le nombre des IVG.
Elle témoigne aussi d'une carence dans l'enseignement médical concernant la contraception, malgré quelques améliorations dans les programmes.
J'en viens maintenant à l'allongement de deux semaines du délai légal pour pratiquer une IVG.
Cette modification de la loi Veil est jugée nécessaire pour répondre à la situation de femmes dont le nombre est estimé à 5 000 par an et qui, ayant dépassé le terme des dix semaines de grossesse, sont contraintes de se rendre à l'étranger pour obtenir une IVG dans des pays où le terme légal est plus éloigné.
Nul ne peut naturellement rester insensible à la détresse de ces femmes et chacun, je crois, s'accordera à considérer que cela est véritablement inacceptable.
On notera cependant que ces 5 000 femmes ne représentent que 2,3 % du nombre d'IVG pratiquées chaque année en France. Le législateur s'interroge nécessairement sur le bien-fondé de la modification d'une règle générale respectée par 98 % des femmes concernées, pour traiter des situations certes dramatiques, mais qui n'en concernent que 2 %.
On pourrait toutefois concevoir une modification des principes définis en 1975 si cet allongement du délai était de nature à résoudre les problèmes évoqués. Ce n'est malheureusement pas le cas.
En effet, en pratique, seule la moitié des femmes - 2 000 à 3 000 selon les estimations les plus fiables - seraient susceptibles de bénéficier de ces deux semaines supplémentaires. L'autre moitié dépasse, de toute façon, le délai de douze semaines de grossesse. Dans l'immédiat, qu'adviendra-t-il de ces femmes enceintes ? Le projet de loi reste muet sur ce point : pour elles, ce sera donc, comme aujourd'hui, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou l'Espagne ! Comment s'en satisfaire ?
De plus, un allongement du délai en conduira inévitablement un certain nombre, de manière bien compréhensible s'agissant d'une décision aussi douloureuse, à attendre davantage qu'elles ne font aujourd'hui.
Il y a fort à craindre que, demain, ce ne soient 5 000 femmes, et non plus 2 000 ou 3 000, qui se trouvent au-delà du délai légal de douze semaines de grossesse. Faudra-t-il alors changer encore la loi pour passer à quatorze semaines, puis à seize semaines de grossesse ?
Pourquoi un certain nombre de femmes sont-elles contraintes de partir à l'étranger ? Les raisons sont de trois ordres.
Il y a, tout d'abord, l'insuffisante formation de nos concitoyens sur les mécanismes de la transmission de la vie. Il n'est pas normal que des jeunes filles se retrouvent hors délai tout simplement parce que personne ne leur a expliqué qu'elles pouvaient être enceintes. La contraception est largement répandue dans notre pays mais trop souvent mal maîtrisée.
Il y a, ensuite, les fréquentes difficultés rencontrées par les femmes pour accéder à l'IVG dans les délais légaux. Les nombreuses auditions auxquelles notre commission a procédé ont montré les dysfonctionnements que connaissent les structures chargées d'accueillir les femmes et de pratiquer les IVG : manque de personnels médicaux et paramédicaux en raison des difficultés de recrutement, moyens insuffisants, accueil parfois inadapté des femmes, etc.
Il y a, enfin, des situations particulières de détresse extrême qui conduisent à un dépassement des délais. Il s'agit souvent de femmes isolées, en situation de précarité, parfois victimes de viols, voire d'incestes.
A toutes ces difficultés, le texte de loi répond par un allongement du délai légal, qui ne portera pas remède à l'ignorance de certains de nos concitoyens sur les mécanismes essentiels de la transmission de la vie, qui n'améliorera pas et risquera même de dégrader le fonctionnement quotidien du service public de l'IVG, qui, enfin, ne résoudra en rien les situations particulières de détresse évoquées à l'instant.
Outre qu'il n'apporte aucune solution au problème posé, l'allongement du délai comporte un certain nombre de risques qui sont loin d'être négligeables.
S'est-on sérieusement interrogé sur les raisons qui ont poussé le législateur de 1975 à choisir la période de dix semaines pour le délai légal au-delà duquel l'IVG n'était plus autorisée ?
Il ne s'agissait ni de philosophie ni de morale ; il s'agissait de considérations anatomiques et embryologiques liées aux développement de la vie et au passage de l'état d'embryon à celui de foetus.
A dix semaines, il y a un seuil qui modifie notoirement l'acte médical nécessaire à l'interruption de grossesse.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Francis Giraud, rapporteur. Si une aspiration simple peut être pratiquée avant dix semaines, car l'embryon a encore une consistance liquide ou gélatineuse, après ce délai, sa formation est avancée et le foetus a commencé à s'ossifier.
Dans ces conditions, on comprend la nécessité de l'intervention médico-chirurgicale, qui se traduit le plus souvent par une anesthésie générale et une fragmentation foetale pour permettre curetage et aspiration dans des conditions beaucoup plus difficiles.
La compétence et l'expérience requises sont alors différentes. Des complications plus graves peuvent survenir.
Sur ce problème strictement médical, lors des auditions, des points de vue variés ont été exposés.
Pour la commission, ce débat a été arbitré par le texte émanant conjointement de l'Académie nationale de médecine et de l'ordre national des médecins : « Ayant pour unique objectif la sécurité et la qualité des soins et après avoir pris l'avis du collège national des gynécologues obstétriciens français, l'Académie nationale de médecine de l'ordre national des médecins rappellent que plus on s'éloigne des premières semaines de grossesse, plus le risque de complications devient grand. »
M. Jacques Machet. Eh oui !
M. Francis Giraud, rapporteur. « Dans l'intérêt de la santé des femmes, ils demandent que toutes les précautions médicales requises dans cette éventualité soient mises en place. Celles-ci devront être différentes de celles jusqu'alors utilisées dans les centres d'orthogénie : les moyens devront être intégrés dans une structure disposant d'un plateau technique chirurgical ; ils devront concerner non seulement les équipements et les locaux, mais aussi la compétence des intervenants et le recours habituel à la discipline d'anesthésie-réanimation. »
Comment réagiront les médecins et les personnels médicaux des centres d'orthogénie placés dans cette nouvelle situation ?
Lors des auditions, la commission a perçu des réticences, voire des refus, ce que confirme l'enquête réalisée par notre collègue Claude Huriet.
Allonger le délai de deux semaines aura aussi des répercussions sur le diagnostic prénatal.
Les échographies se font, dans notre pays, à la onzième semaine. Or, les progrès stupéfiants de l'imagerie médicale permettent de déceler tel ou tel défaut éventuel plus ou moins grave. Cela signifie qu'en reculant le délai pour l'avortement et en remontant de plus en plus tôt la date de l'examen prénatal du foetus on augmente le nombre d'IVG qui, majoritairement, ne correspondraient pas à des anomalies graves de l'enfant. Selon l'expression du professeur Nisand, le croisement de ces deux courbes est « mortifère ».
Bien entendu, on ne peut en aucun cas parler d'eugénisme collectif ou d'Etat, et ce serait faire injure aux femmes de penser qu'un avortement se décide sans raison majeure. Mais on met en place, sans l'avoir voulu, les instruments de la sélection individuelle des enfants à naître. (Applaudissements sur les travées du RPR. - Mme Pourtaud proteste.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Francis Giraud, rapporteur. Votre rapporteur, de ce point de vue, sait de quoi il parle, puisque, dans le département de génétique médicale qu'il a dirigé à Marseille, il a créé, en 1984, avec le professeur Jean-François Mattei, un centre de diagnostic prénatal.
La vérité impose de tenir compte des progrès médicaux. Comment réagira une femme enceinte de onze semaines à qui l'on apprend qu'une légère modification de la nuque de son foetus nécessite, à la dix-huitième semaine, d'autres examens pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une trisomie 21 ? Acceptera-t-elle ce risque ou cette incertitude, alors qu'elle peut avorter légalement sans justification jusqu'à douze semaines ?
En définitive, l'allongement du délai légal constitue une réponse inadaptée à un problème réel.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Francis Giraud, rapporteur. Cette mesure est une fuite en avant qui revient à déplacer les frontières de l'échec. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Donnant la priorité à l'impératif de santé publique, la commission a donc fait le choix de s'opposer à l'allongement du délai légal et de formuler, parallèlement, six propositions de nature à apporter une solution effective aux difficultés rencontrées.
Première proposition : se doter des moyens d'appliquer correctement les lois existantes.
La commission ne peut que rappeler qu'il est aujourd'hui de la responsabilité du Gouvernement de mettre enfin en place les moyens nécessaires au bon fonctionnement du service public de l'IVG.
Si ces moyens en personnels formés et disponibles, en structures proches et accessibles, avaient pu être dégagés ou pouvaient l'être aujourd'hui, le projet de loi perdrait sa raison d'être dans ses dispositions essentielles.
De même est-il également de la responsabilité du Gouvernement de définir une politique ambitieuse d'éducation responsable à la sexualité et d'information sur la contraception, qui mobilise autant le corps enseignant que le corps médical et ouvre le dialogue au sein des familles.
Deuxième proposition : permettre la prise en charge des situations les plus douloureuses dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse, l'IMG.
La commission propose que ces situations puissent être prises en charge dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse. Chaque cas serait alors examiné par une commission pluridisciplinaire comprenant un médecin choisi par la femme, un médecin gynécologue obstétricien et une personne qualifiée non-médecin, qui pourrait être une conseillère conjugale, une psychologue ou encore une assistante sociale. Cela représenterait, en moyenne, un cas par département et par semaine ; notre pays a, à l'évidence, les moyens d'organiser une telle prise en charge.
L'interruption médicale de grossesse, comme le prévoit la loi Veil, peut être pratiquée à tout moment si la poursuite de la grossesse met en péril la santé de la femme ou s'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Ici, aucun changement.
De plus, la commission propose que la référence à la santé de la femme inclue sa santé psychique, appréciée notamment au regard de risques avérés de suicide ou d'un état de détresse consécutif à un viol ou un inceste. Cette précision permettrait la prise en charge des situations les plus douloureuses, qui constituent souvent l'essentiel des cas de dépassement de délais.
La troisième proposition vise à maintenir le caractère obligatoire de l'entretien social préalable.
Cet entretien est aujourd'hui l'occasion pour la femme d'exposer ses difficultés personnelles, conjugales, familiales, d'être informée des aides et soutiens dont elle peut bénéficier, de parler de la contraception et de préparer ainsi l'avenir.
Contrairement à ce que semblent croire les députés, « obligatoire » ne signifie pas « dissuasif ». S'il est exact que la grande majorité des femmes qui demandent une IVG ont déjà arrêté leur décision, en quoi cet entretien serait-il préjudiciable ? La femme serait-elle moins libre parce qu'elle serait mieux informée ?
Rendre cet entretien facultatif aboutira à ce qu'un bon nombre de femmes n'en bénéficient pas, surtout celles pour lesquelles il pourrait être le plus utile.
M. Dominique Braye. C'est évident !
M. Francis Giraud, rapporteur. La quatrième proposition tend à entourer de garanties la difficile question de l'accès des mineures à l'IVG.
Si le projet de loi réaffirme que l'autorisation parentale reste la règle en matière d'IVG des mineures, il ouvre cependant une possibilité de dérogation à ce principe.
Si la jeune fille persiste dans son souhait de garder le secret ou si, malgré son souhait, elle ne peut obtenir le consentement de ses parents. Elle pourra finalement prendre seule la décision de demander une IVG. Elle choisira alors une personne majeure pour l'accompagner dans sa démarche.
Chacun comprendra que cette disposition législative est symboliquement lourde et que ses conséquences juridiques sont graves. Après avoir longement réfléchi, la commission vous propose cependant d'en accepter le principe. En effet, si, dans la très grande majorité des cas, la mineure obtient l'accord de l'un de ses deux parents, il est des situations où le consentement parental paraît impossible à obenir, soit pour des raisons culturelles, soit pour des raisons simplement matérielles. Il est des cas où la simple annonce d'une grossesse mettrait en danger la vie de la jeune fille. Le recours au juge des enfants paraît alors inadapté.
Si la commission propose d'accepter cette dérogation, elle souhaite entourer cette possibilité d'un certain nombre de garanties : il n'est pas envisageable, en effet, que la mineure puisse être livrée à elle-même ou qu'elle soit, comme le prévoit le projet de loi, simplement « accompagnée » par une personne de son choix qui pourrait être n'importe qui.
Elle propose par conséquent que cette personne ne se limite pas à accompagner la mineure, concept qui n'a aucune signification juridique, mais l'assiste, par référence aux dispositions du code civil qui prévoient, dans certaines situations, l'assistance d'un mineur par une personne adulte. Cette modification terminologique a naturellement des conséquences juridiques puisqu'elle suppose l'exercice d'une responsabilité à l'égard de la mineure. La responsabilité de la personne référente ne pourrait cependant pas être mise en cause par les parents de la mineure puisque la loi lui confie cette mission.
Il s'agit aussi de réaffirmer la nécessité d'un suivi médical de la contraception. Le projet de loi supprime l'obligation d'une prescription médicale pour la délivrance de contraceptifs hormonaux, obligation qui résulte de la loi Neuwirth de 1967. Ces contraceptifs pourraient ainsi être mis en vente libre si l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé jugeait qu'ils ne présentent aucun danger.
Le Gouvernement fait valoir que la modification qu'il propose ne changera rien dans la pratique puisque aucun contraceptif hormonal, à l'exception du NorLevo, contraceptif d'urgence, ne remplit aujourd'hui les conditions pour être mis en vente libre.
La modification proposée vise donc à modifier le droit actuel pour préparer un avenir hypothétique : celui où apparaîtraient sur le marché des contraceptifs hormonaux qui ne présenteraient absolument aucun danger pour la santé.
Favorable à tout ce qui peut développer la contraception, qui est le meilleur garant de la diminution des IVG, la commission s'oppose pourtant à cette disposition, en particulier en ce qui concerne la première prescription.
En effet, une information sur la contraception mieux développée, mieux comprise et mieux acceptée permettrait de diminuer sensiblement le nombre des IVG. Or, la diffusion d'une contraception bien comprise suppose un accompagnement médical. Comme l'a souligné l'Académie nationale de médecine, à condition d'être l'objet d'un suivi médical, la contraception ne comporte que de très faibles risques pour la santé. »
En effet, l'obligation de prescription permet un bilan et un suivi médical de la femme et un dépistage précoce de certaines pathologies. Le dialogue entre le médecin et la femme est indispensable pour assurer une bonne compréhension et un bon usage d'une contraception efficace ; il assure en outre le choix d'une contraception adaptée à la situation de chaque femme.
Au regard des impératifs de santé publique, et quand bien même apparaîtraient des contraceptifs hormonaux sans danger pour la santé, il paraît nécessaire à la commission des affaires sociales de maintenir l'obligation de prescription médicale pour ces contraceptifs.
Notre dernière proposition vise à encadrer la pratique de la stérilisation à visée contraceptive.
La commission regrette que l'Assemblée nationale ait cru bon d'introduire dans ce projet de loi, par voie d'amendement et de manière un peu précipitée, un important volet relatif à la stérilisation à visée contraceptive, comportant deux articles additionnels.
La stérilisation constitue, à l'évidence, un acte grave qui méritait à tout le moins une réflexion préalable approfondie et un véritable débat.
Si la commission reconnaît la nécessité de donner un cadre légal à la pratique de la stérilisation à visée contraceptive, elle a souhaité encadrer cette possibilité afin de protéger la santé des personnes et d'éviter que des excès ne puissent être commis. Il serait en effet dommageable que la loi puisse par exemple autoriser une stérilisation sur une femme âgée de vingt-cinq ans, sans descendance et sans contre-indication à la contraception.
Elle vous propose par conséquent de n'autoriser la stérilisation à visée contraceptive que dans deux cas : si la personne est âgée de trente ans au moins, cet âge pouvant naturellement donner lieu à débat, ou lorsqu'il existe une contre-indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement. La personne doit, en outre, être informée du caractère généralement définitif de cette opération.
S'agissant de la stérilisation des majeurs sous tutelle, elle vous propose de prévoir qu'elle ne peut être pratiquée qu'à la demande des parents ou du représentant légal de la personne concernée et que, si la personne concernée est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être systématiquement recherché. Il ne peut être passé outre à son refus ou à la révocation de son consentement.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les orientations que la commission des affaires sociales vous propose d'adopter sur ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Raymond Courrière. Bonjour la liberté !
Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas beaucoup évolué, à droite !
M. le président. La parole est à Mme Terrade, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Odette Terrade, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes a été saisie, à sa demande, par le président de la commission des affaires sociales, du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
La délégation a examiné, il y a quelques semaines, un rapport d'information présentant les raisons qui sont à l'origine de l'examen de ce texte, le contexte dans lequel il s'inscrit et ses conséquences pratiques. Elle a ensuite approuvé à une voix de majorité le projet de recommandations que je lui avais soumis, certaines de ces recommandations ayant tout de même été approuvées à l'unanimité.
A titre liminaire, je souhaite faire observer que le droit à la maîtrise de leur fécondité par la contraception et, éventuellement, par l'IVG, a constitué, pour les femmes, un acquis majeur pour leur émancipation et une condition favorable à l'égalité de leurs chances avec les hommes au sein de la société.
Cet acquis a, avant tout, résulté de luttes importantes des femmes, mais aussi de l'engagement de certaines personnalités. A ce sujet, je voudrais saluer la détermination, l'action et le courage politique de notre collègue Lucien Neuwirth dans la prise en compte de ces luttes par la loi de 1967 sur la contraception qui porte son nom. Je souhaitais, au-delà de nos divergences politiques, lui rendre hommage avec beaucoup de sincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyens, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR.)
La maîtrise de leur fécondité par la contraception et, éventuellement, par l'IVG constitue un droit essentiel pour les femmes, disais-je. Pour autant, le recours à l'IVG est un droit dont chacun voudrait qu'aucune femme ne soit placée dans l'obligation de l'exercer, parce qu'il est vécu douloureusement la plupart du temps. Tout le monde regrette que plus de 220 000 femmes y recourent chaque année en France, alors que d'autres pays comparables au nôtre et à la législation parfois plus libérale ne connaissent pas de tels chiffres.
Dès lors, si le droit à l'IVG doit être préservé et renforcé, des améliorations doivent dans le même temps être apportées au droit à la contraception, précisément parce qu'il doit contribuer à réduire naturellement le nombre des IVG.
A cet égard, le rapport d'information de la délégation insiste délibérément sur le volet « contraception » du projet de loi, considérant comme nécessaire d'engager un effort accru en faveur de l'information et de l'accès à la contraception.
La première partie de ce rapport dresse un état de la situation actuelle du droit des femmes à la maîtrise de leur fécondité, résultat d'un siècle de luttes mais qui est encore loin d'être satisfaisante. Les droits obtenus par les femmes depuis trente ans doivent ainsi faire l'objet d'une grande vigilance car leur exercice n'est pas toujours facilité, quand ils ne sont pas tout simplement combattus.
Enumérant les problèmes existants, le rapport cite notamment les lacunes de l'information des adultes et des jeunes sur les méthodes contraceptives, la trop faible participation du corps médical à cette information, faute notamment d'une formation initiale et permanente suffisante, le désintérêt relatif des chercheurs pour l'amélioration des produits contraceptifs, le mauvais remboursement des produits les plus efficaces. Il relève également les actions illégales et condamnables visant à empêcher les services d'orthogénie de fonctionner ou à interdire aux femmes de s'y rendre, l'usage extensif de la clause de conscience par certains médecins qui empêche nombre de femmes d'accéder à l'IVG dans les meilleurs délais, ainsi que la diminution inquiétante du nombre des médecins pratiquant l'IVG, activité éprouvante n'offrant guère de motifs de satisfaction et, comme telle, relativement méprisée par le corps médical.
La seconde partie du rapport est consacrée au contenu du projet de loi que Mme la ministre vient de présenter. Je vous indique simplement que la délégation est favorable à ce projet de loi et que, dans le corps de son analyse, elle fait état des pistes qu'elle suggère de suivre dans ses recommandations pour, de son point de vue, améliorer le dispositif d'accès à la contraception et à l'IVG.
Enfin, dans la dernière partie de son rapport, la délégation a jugé impératif que des moyens accompagnent ces avancées législatives, qu'un engagement plus prononcé des pouvoirs publics en faveur d'une véritable politique de la contraception soit affirmé et que les dispositifs d'accueil des femmes qui demandent une IVG soient renforcés.
Parmi les pistes que suggère le rapport figurent l'information de nos concitoyens et de nos concitoyennes, particulièrement des jeunes, sur la contraception, l'implication plus grande des médecins, conditionnée par une réflexion sur leur formation, la reprise de la recherche en matière de traitements contraceptifs, un meilleur remboursement de ceux-ci, un renforcement des moyens budgétaires pour les centres d'IVG, une réflexion sur le recrutement, le statut, la rémunération et l'avenir des professionnels, notamment des médecins, et, enfin, la planification de l'ouverture des centres pendant la période estivale et l'institution de « numéros verts » régionaux.
J'en viens, pour conclure, aux recommandations adoptées par la délégation.
A la majorité d'une voix, elle s'est déclarée favorable au dispositif du projet de loi, ayant déjà exprimé, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence, son soutien de principe à toute mesure de nature à diminuer le nombre des grossesses non désirées et, par conséquent, celui des interruptions volontaires de grossesse, qui demeure encore important.
Elle a estimé en particulier indispensable de promouvoir une véritable politique publique en faveur de la contraception qui, à terme, devrait permettre de ramener le nombre d'IVG en France à un niveau comparable à celui de ses principaux partenaires européens.
A l'unanimité, la délégation s'est félicitée des engagements pris en faveur de la pérennisation des campagnes publiques d'information sur la contraception et des efforts entrepris par le ministère de l'éducation nationale pour assurer aux adolescents des séquences d'éducation à la sexualité tout au long de leur scolarité, mais elle a relevé que des moyens suffisants devront être dégagés pour garantir l'efficacité de ces méthodes de sensibilisation.
Elle a observé, à l'unanimité, que cette information et cette éducation, qui concernent tout autant les hommes que les femmes, pourraient être mieux relayées auprès de ces dernières par le corps médical, et tout spécialement les médecins généralistes, qui crédibiliseraient ainsi le discours public.
Elle a, dès lors, recommandé un renforcement et une amélioration de la formation des étudiants en médecine sur la contraception et ses méthodes, et sur les façons d'aborder ces questions avec leurs patientes.
S'agissant plus particulièrement du projet de loi, la délégation, à la majorité d'une voix, a considéré que ses dispositions étaient propres à faciliter l'accès à la contraception. Elle s'est déclarée favorable à la suppression de l'accord parental pour la délivrance aux mineures de méthodes et de traitements contraceptifs ainsi qu'à l'institution d'un dispositif de gratuité pour la contraception des mineures, à l'instar de celui qui a été mis en place, sur l'initiative du Sénat, pour la contraception d'urgence.
Par ailleurs, concernant la légalisation de la stérilisation volontaire à visée contraceptive, notre délégation a recommandé à la majorité d'une voix la prise en charge totale de ces opérations par la sécurité sociale.
Elle s'est cependant interrogée sur les financements qui devraient accompagner l'ensemble des mesures relatives à la contraception pour les rendre pleinement effectives.
La délégation a, à la même majorité d'une voix, considéré comme indispensable que les pouvoirs publics oeuvrent, par tous les moyens dont ils disposent, à favoriser les progrès de la recherche en matière de techniques contraceptives, notamment en termes de sûreté et d'allégement des contraintes, et pour les rendre accessibles à toutes et à tous par leur remboursement total par la sécurité sociale.
Elle a estimé que, loin de susciter des dépenses supplémentaires, une telle politique serait au contraire globalement économe des deniers publics et sociaux, la charge collective, directe et induite, du recours important à l'IVG devant en effet, grâce à elle, être rapidement réduite.
En ce qui concerne l'IVG, la délégation a été, toujours à la majorité d'une voix, favorable à la prolongation de deux semaines du délai légal d'intervention, qui devrait permettre de diminuer le nombre de femmes contraintes de se rendre à l'étranger ou de poursuivre une grossesse qu'elles ne désirent pas.
A l'unanimité, la délégation a toutefois recommandé plusieurs actions.
Il s'agit, d'abord, d'accroître les moyens humains, matériels et financiers des centres d'orthogénie, d'améliorer le statut des personnels médicaux et non médicaux, et de renforcer leur formation afin de favoriser un meilleur accueil des patientes, de parvenir à une réduction générale des délais d'intervention et d'organiser les interruptions de grossesse au-delà de la dixième semaine dans des conditions de sécurité maximales.
Il s'agit ensuite d'instituer, dans chaque département, des « numéros verts » offrant des renseignements pratiques - adresses, coordonnées téléphoniques, horaires d'ouverture - sur les centres de planification, les centres d'orthogénie et les associaitons susceptibles de recevoir et de délivrer aux femmes, en particulier aux adolescentes, des informations sur la contraception, sur l'IVG et sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
Par ailleurs, la délégation a recommandé d'apprécier le motif médical susceptible de permettre une interruption médicale de grossesse au-delà de la douzième semaine de grossesse conformément aux prescriptions de l'Organisation mondiale de la santé, qui définit la santé comme un « état de bien-être physique, mental et social ».
Enfin, à la majorité d'une voix, la délégation a également recommandé d'accélérer, sur le fondement de la disposition du projet de loi donnant une base légale au développement des IVG en médecine ambulatoire, la mise en oeuvre de l'engagement du Gouvernement de favoriser, au cours des cinq premières semaines de la grossesse, le recours aux méthodes médicamenteuses d'interruption de la grossesse.
S'agissant des jeunes filles mineures, la délégation a observé, à la majorité d'une voix, que le dispositif du projet de loi institué pour leur permettre, si le consentement des parents n'a pas pu être recherché ou obtenu, de subir une IVG dans le secret devra, pour être applicable, être précisé en ce qui concerne la responsabilité tant du corps médical que de l'adulte référent. Cette majorité a, en outre, souligné l'attention toute particulière qu'il conviendra de porter à l'accompagnement post-IVG de ces jeunes filles en détresse, lorsqu'elles ne pourront compter sur le soutien affectif de leur famille.
Enfin, la délégation a recommandé, à la majorité d'une voix, d'étendre le délit d'entrave à la pratique légale des IVG aux pressions, menaces et actes d'intimidation exercés à l'encontre de l'entourage des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés à l'article L. 2212-2 du code de la santé publique.
Tels ont été, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les travaux et les recommandations de la délégation aux droits des femmes. Ce fut un plaisir et un l'honneur pour moi de rapporter un projet de loi relatif à l'IVG et à la contraception, qui est un volet majeur des droits des femmes et de leur émancipation, et qui, je sais, est attendu par des milliers de femmes dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après l'exposé tout à fait important et je crois juste de notre rapporteur, M. Francis Giraud, et les propos de Mme Terrade, je voudrais faire un certain nombre d'observations et, peut-être, mettre en garde le Gouvernement sur la voie dans laquelle il tente d'entraîner le Parlement.
Lorsque nous avons abordé ce projet de loi, nous nous sommes demandé s'il ne s'agissait pas tout simplement d'une loi d'imitation, tant était mise en avant la situation dans certains pays voisins où, en effet, les délais légaux d'interruption de grossesse sont beaucoup plus longs.
Il se trouve que j'ai rapporté la loi de 1979, qui visait à pérenniser la loi de 1975, dite loi Veil : nous nous étions déjà posé la question de savoir s'il fallait dépasser le délai de dix semaines qui était préconisé.
Les motivations qui nous ont amenés à maintenir ce délai n'ont pas changé : Francis Giraud l'a dit, elles sont d'ordre non pas éthique, mais médical. Sans doute ne proposerons-nous pas, au gré des tenants du discours que nous entendons ici ou là, une loi politiquement correcte ; ce qui nous importe, c'est qu'elle soit médicalement correcte. (Tout à fait ! sur les travées du RPR.) Je pense, en effet, que le rôle du législateur n'est pas de suivre l'air du temps. Dans un domaine comme celui-ci, il est de veiller à ce que la décision qu'il prend n'entraîne pas pour la santé publique, donc pour les citoyens, en l'occurrence les citoyennes, des difficultés dont il serait, en tant que législateur, responsable.
M. le rapporteur l'a indiqué tout à l'heure, nous sommes dans une procédure d'urgence ; c'est la première fois qu'un tel texte est proposé en urgence, et il l'a été dès le départ.
Je lisais tout à l'heure une déclaration du président de l'Assemblée nationale, M. Raymond Forni, qui, après avoir constaté que le Sénat avait mis un certain temps pour traiter du problème du calendrier électoral, a dit que nous aurions mieux fait de consacrer notre temps à étudier l'allongement du délai de l'IVG et les textes restés en souffrance... Pour qui nous prend-on ?
Le projet de loi relatif à l'IVG et à la contraception a été déposé en octobre 2000 et a été examiné en première lecture par nos collègues députés le 30 novembre 2000. Nous ne discutions pas encore du calendrier électoral. Or, dès son examen par l'Assemblée nationale, il a été assorti de la déclaration d'urgence. Comment imaginer que, pour un texte de cette importance et auquel vous êtes légitimement attachée, madame le secrétaire d'Etat, on puisse déclarer l'urgence, c'est-à-dire empêcher les deux assemblées de dialoguer ? Tout cela au bénéfice de quoi ? D'un texte qui était une proposition de loi, que le Gouvernement pouvait inscrire à l'ordre du jour prioritaire mais qu'il pouvait également décider de retirer pour permettre la discussion du texte relatif à l'interruption volontaire de grossesse. Il ne l'a pas fait : ce n'est donc pas le Sénat qui est responsable de ce retard ou du recours à l'urgence. L'urgence avait été déclarée avant et le Gouvernement avait toute latitude de faire en sorte que nous puissions discuter de l'IVG. La commission était prête, les rapports étaient rédigés. Je voudrais donc que l'on n'impute pas au Sénat un retard qui n'est nullement de sa responsabilité.
Un certain nombre d'autres points méritent également réflexion. Tout à l'heure, notre collègue Claude Huriet fera état du résultat de l'enquête qu'il a réalisée. Elle est très instructive en ce qui concerne la presque totalité des centres d'interruption volontaire de grossesse et les inquiétudes, les réticences, voire les refus des médecins de s'engager dans un débat qui reviendrait finalement à dire : « Que les femmes se débrouillent ! ».
Nous devons faire attention, quand nous légiférons dans ce domaine-là, de ne pas faire une loi d'hommes, c'est-à-dire une loi faite par des hommes qui dégageraient leur responsabilité sous le prétexte que les femmes, dont nous respectons la décision, sont responsables de leur corps et, par conséquent, libres de demander une interruption volontaire de grossesse, ce que nous avions prévu en 1974 et confirmé en 1979. Que la femme se débrouille donc jusqu'à dix semaines, douze semaines ; il lui suffit de savoir qu'elle peut solliciter une interruption volontaire de grossesse !
Non ! Une grossesse commence à deux, et son interruption est une décision grave, même si elle peut paraître facile à prendre. Dans le dispositif que nous proposons, il y a un certain partage de la décision, même s'il est vrai qu'au bout du compte la femme doit pouvoir décider. Je m'attendais par conséquent plus à être taxé de laxisme que considéré comme adoptant des positions rétrogrades ou sans lien avec la modernité.
Or, cette responsabilité, c'est aussi celle des médecins. On peut dire, comme Mme le ministre l'a fait tout à l'heure, que les médecins sont protégés en l'occurrence comme ils le sont pour tout acte médical, sauf que la loi ne les oblige pas à pratiquer cet acte-là. Ils acceptent de le faire, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que de répondre à l'obligation d'apporter les meilleurs soins possibles au malade et de consacrer les meilleurs moyens à son traitement.
Ainsi, on leur demande d'être volontaires et il ne me semble pas possible qu'il puisse en aller autrement. On ne peut pas « instrumentaliser » le médecin et lui dire : « prenez la canule et la curette et arrêtez les grossesses jusqu'à douze semaines ! »
Le médecin qui accomplit cet acte engage donc sa responsabilité au-delà de ce qu'exigent le code de déontologie et la loi. D'ailleurs, nous aussi nous engageons notre responsabilité, comme vous, madame le secrétaire d'Etat.
Les propos qui seront tenus au cours de ces deux journées, trop courtes, comme je l'ai dit au ministre chargé des relations avec le Parlement, seront lus un jour, non pas par les hagiographes de certains d'entre nous ni par les sociologues - le débat sera largement dépassé d'ici là ! - mais par les avocats et les magistrats qui auront à traiter d'incidents, voire d'accidents qui seront survenus dans le cadre des dispositions qui nous viennent de l'Assemblée nationale. Nos concitoyens cherchant de plus en plus, lorsque quelque chose ne fonctionne pas bien, à trouver des responsables, on verra alors que des mises en garde avaient été faites, mises en garde qui n'auront pas été prises en compte.
Bien d'autres sujets mériteraient un développement. Mais, pour ne pas allonger le débat, je ne les aborderai pas maintenant. Nous en discuterons lors de l'examen des articles.
En tout cas, je pense que les propositions mesurées que nous ferons permettront, mieux que les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, de trouver une solution à un certain nombre de situations ; je pense notamment, à cet égard, aux femmes qui auront dépassé la douzième semaine de grossesse.
Je me rappelle que, en 1979, Pierre Simon, qui travailla sur la contraception avec Lucien Neuwirth, avant d'être le conseiller de Simone Veil, lors de l'élaboration de la loi de 1975, considérait qu'il était certes possible d'autoriser l'interruption volontaire de la grossesse au-delà de la dixième semaine, mais que les risques de dérives imposaient que l'on en reste là.
Notre ambition n'est pas aujourd'hui de marquer un arrêt à une pratique qui est entrée dans les moeurs, au sens sociologique du terme. Nous n'avons aucunement l'intention de revenir en arrière. Mais, si nous acceptons d'aller plus loin, nous voulons que ce soit avec toutes les précautions nécessaires pour mettre les femmes à l'abri d'un certain nombre de difficultés.
On entend tous les jours actuellement, à la radio, à la télévision, invoquer le principe de précaution : belle invention, fort utile, qui permet aux responsables de tous ordres d'ouvrir des parapluies successifs au-dessus d'eux !
Est-ce vraiment faire preuve de responsabilité que de laisser une jeune fille prendre une pilule pour la première fois de sa vie sans prescription médicale ?
N'est-ce pas oublier que, dès douze ans, une jeune fille peut avoir un cancer de l'ovaire ? Ainsi, on laisserait une jeune fille s'engager dans un traitement hormonal répété, au risque de s'apercevoir, peut-être un an après, que ce n'est pas la pilule qui lui convient et qu'il faut modifier le traitement ! Sachant qu'il n'y aura pas eu de consultation médicale à l'origine, qui sera responsable ? La jeune fille ? Certes pas ; elle n'aura fait que suivre éventuellement le conseil d'une « copine ».
J'estime donc nécessaire de maintenir le principe de la première prescription par un médecin, pour éviter les contre-indications évidentes. Je ne vise pas, bien sûr, les renouvellements de traitement.
Permettez-moi enfin de relever l'incohérence qu'il y a à entourer d'un certain nombre de précautions l'interruption de grossesse des mineures alors que, pour la vie sexuelle, si l'on peut dire, la majorité est fixée à quinze ans, dans la mesure où le détournement de mineur n'est caractérisé que lorsque la personne concernée a moins de quinze ans. N'y-a-t-il pas là quelque chose d'anormal ? Ne pourrait-on définir une majorité sanitaire qui permettrait de faire en sorte que, dès quinze ans, une jeune femme ou un jeune homme soient libres de consulter un médecin quand ils le veulent, de prendre un certain nombre de médicaments, sans pour autant solliciter systématiquement l'accord de leurs parents ?
Voilà, monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais formuler en ce début de discussion. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 74 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 48 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 45 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 33 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à dire à quel point je mesure le caractère délicat de toute intervention dans un domaine aussi sensible que celui dont nous débattons aujourd'hui.
En pareille matière, seuls ont droit de cité, ce qui n'a pas toujours été le cas à l'Assemblée nationale, des propos mesurés, fussent-ils appelés à traduire des convictions qui ne le sont pas.
Très brève, ma démarche s'attachera tout d'abord à exprimer ma réaction face au texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, puis à la prolonger par une réflexion de caractère plus général sur la philosophie qui sous-tend l'initiative gouvernementale, aggravée au Palais-Bourbon.
Il n'apparaît pas inutile de s'interroger, dès l'abord, sur ce qui a constitué le fondement de la loi à laquelle demeurera attaché le nom de Mme Simone Veil. Et quoi de plus probant, en pareille matière, que de se référer aux paroles mêmes qu'elle prononçait le 26 novembre 1974 à l'Assemblée nationale pour défendre le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse ? « Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. »
Et Mme Veil d'ajouter : « Tout d'abord, l'interruption de grossesse ne peut être que précoce parce que ses risques physique et psychique deviennent trop sérieux après la dixième semaine qui suit la conception pour permettre aux femmes de s'y exposer. »
Or, dès le premier abord, il est patent que le texte dont nous sommes saisis relève d'un tout autre registre qu'une loi qui se voulait - et je reprends ici les termes dont se servait alors le ministre de la santé - « dissuasive » et « protectrice », car la notion d'ultime recours s'efface aujourd'hui devant celle d'ouverture d'un droit socialement garanti.
De la dixième semaine, l'on en vient à la douzième...
Aussi bien est-ce à juste titre qu'a été mis en lumière le changement de nature à ce stade de l'acte chirurgical, à ce point ressenti par les personnels de santé que nombre de praticiens endurcis, parmi ceux-là mêmes qui pratiquent couramment des IVG, avertissent qu'ils refuseront de s'y livrer, en raison du caractère mutilant d'une intervention réalisée au moment où l'embryogenèse est achevée.
A cette objection tenant au traumatisme lié à l'acte lui-même, s'ajoutent celles qu'appellent des dispositions annexes dont il est légitime de penser qu'elles ont pour seul objet de dissuader certaines femmes de garder leur enfant.
Ainsi en va-t-il de la suppression prévue dans le « dossier-guide » remis à une femme, lors de la première consultation médicale pré-IVG, de l'énumération des droits, des aides et des avantages garantis par la loi aux mères et à leur enfant.
Aussi en va-t-il de la suppression, dans ce document, des passages consacrés aux possibilités offertes par l'adoption et de la liste des organismes susceptibles d'apporter une aide morale ou matérielle.
Ainsi en va-t-il de l'abandon, pour les personnes majeures, du caractère obligatoire de la consultation sociale préalable.
Et que dire du transfert, dans le code de la santé publique, de certaines des dipositions du code pénal relatives à la pratique illégale des IVG ?
Que dire de l'intrusion subreptice, par voie d'amendement lors de la discussion à l'Assemblée nationale, de deux articles relatifs à la stérilisation à visée contraceptive ?
Que dire - et je regrette que Mme le ministe de l'emploi et de la solidarité ait quitté l'hémicycle - de l'aberration, identique à celle qui a vicié la loi sur la présomption d'innocence malgré les avertissements du Sénat, consistant à étendre le champ d'application de l'IVG, alors même que le manque de moyens pour appliquer la loi de 1975 apparaît patent ?
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Christian Bonnet. Comment qualifier, enfin, le fait que le Gouvernement ait cru pouvoir, sur un sujet aussi grave et complexe, imposer une discussion en urgence quand on sait la valeur ajoutée qu'apporte, en tout domaine, une seconde lecture ? On ne saurait, dès lors, trop se féliciter du travail effectué par la commission des affaires sociales, qui vient d'inviter le Sénat, par la voix de son rapporteur, puis par celle de son président, tantôt à écarter, tantôt à corriger certaines des mesures figurant dans le projet de loi et certains des ajouts qu'a cru bon d'y introduire l'Assemblée nationale.
Cela étant, le texte me paraît appeler, au-delà même de sa rédaction, et sur un plan plus général, des réserves de deux ordres.
La première a trait à la multiplication des textes de circonstance tendant à valider des situations particulières, en fonction de l'air du temps et de l'humeur des groupes de pression.
Tout problème rencontré paraît appeler une loi, et la notion même de loi se trouve alors détournée : ainsi le projet qui nous occupe aujourd'hui intéresse-t-il environ 2000 femmes selon les experts, soit 1 % des IVG pratiquées chaque année en France, 2000 femmes dont bon nombre relèvent, à n'en pas douter, de l'interruption médicale de grossesse, ouverte, sans condition de délai, par la législation existante aux cas de détresse authentique, que celle-ci ait une origine physique ou un fondement moral, générateur de pulsions suicidaires.
De loi en loi, d'assouplissement en assouplissement, on en vient à laisser croire à des adolescents fragiles - et pas seulement à eux - que tout est flexible. Et le professeur Nisand de nous mettre en garde : « Si nous laissons le texte tel qu'il est actuellement, nous y reviendrons encore et encore. »
La seconde réserve à l'endroit de ce projet de loi tient au fait qu'il ouvre, peut-être inconsciemment, mais à coup sûr dangereusement, la voie à des pratiques de nature à remettre en cause les assises mêmes de notre société.
L'allongement de la période jusqu'à un stade où les images échographiques en trois dimensions sont devenues extrêmement précises risque de faire naître la tentation de la recherche cauchemardesque et mortifère d'un enfant parfait.
Chef du service de gynécologie obstétrique à l'hôpital Antoine-Béclère, le professeur René Frydman - pourtant peu suspect, on le sait, d'être hostile à la pratique des IVG - n'a pas hésité à énoncer cette phrase saisissante : « Le dépistage précoce est, en France, le gage de meilleures chances pour la vie. Il sera, dans ces conditions-là, un arrêt de mort. »
Lorsque le discours dominant véhicule des images ambivalentes sur la question du respect de la vie, aujourd'hui à propos de l'enfant à naître, demain, peut-être, comme aux Pays-Bas, à travers une euthanasie présentée, elle aussi, dans un premier temps - avant sa banalisation - comme le remède à une situation de détresse de malades ou de vieillards, comment s'étonner du mépris de l'existence d'autrui que manifestent de plus en plus de jeunes, et de plus en plus jeunes ?
Symptomatique d'une législation privilégiant la prise en compte de la fluctuation des moeurs par rapport au fondement même d'une civilisation, le projet, puise en réalité sa source dans la philosophie libertaire de certain mois de mai où Moustaki pouvait chanter : « Tout est permis, tout est possible ! »
Pour ma part, indifférent au vent qui souffle en tempête dans le sens d'une transgression des interdits et du primat, sur toute règle, des droits de l'individu, je tiens, à l'instar de notre éminent collègue le professeur Mattei, président d'un groupe à l'Assemblée nationale, « qu'on gagne parfois à rester soi-même, accroché à ses valeurs, en dépit des modes et des convenances ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la démarche du Gouvernement est pour le moins paradoxale : il demande au Parlement de légiférer à nouveau sur des sujets pour lesquels des dispositions ont déjà été votées et alors même que la validité de celles-ci n'est contestée par personne ; ce qui pèche, c'est l'application qui en est faite. Ainsi, plutôt que de s'atteler à la mise en oeuvre des possibilités qu'offrent les textes déjà en vigueur, le Gouvernement nous propose, pour remédier aux carences en termes de moyens, d'élargir les marges d'accès. Le thème deviendra récurrent puisque les causes de dépassement des délais ne sont pas traitées au fond.
Alors que deux ou trois décennies se sont écoulées depuis le vote des deux lois fondamentales auxquelles se réfère le projet de loi que nous discutons aujourd'hui, il convient de faire le point.
Dans un pays où le vote des femmes est intervenu tardivement et où celles-ci ont dû attendre plus longtemps encore pour se voir accorder la faculté d'ouvrir un compte en banque, notre collègue Lucien Neuwirth a su entendre une demande et faire valoir ses convictions afin que les Françaises soient en mesure d'assumer des maternités voulues. La loi en question date de décembre 1967, soit six mois avant qu'il soit « interdit d'interdire » : les résistances étaient alors plus fortes !
Huit ans plus tard, la loi Veil autorisait l'interruption volontaire de grossesse. Des échanges passionnés eurent lieu en 1975, mais les réactions que provoquent le texte proposé aujourd'hui montrent que le débat n'est pas près d'être clos. Toutefois, l'observation de la réalité montrait, d'une part, que des départs avaient lieu vers des pays étrangers qui pratiquaient l'IVG et que ces voyages étaient réservés à celles qui en avaient les moyens, d'autre part, que les progrès médicaux avaient fait reculer considérablement les décès liés aux accouchements alors que les pratiques clandestines d'IVG présentaient tous les risques.
Ces deux initiatives fondent tout particulièrement la parité entre les hommes et les femmes : maîtrise de la fécondité, d'abord, et possibilité d'interrompre, en dernier recours, une grossesse impossible.
La vérité m'oblige à rappeler que ces textes ont été déposés sous les présidences du général de Gaulle et de Valéry Giscard d'Estaing.
Ainsi, les dispositifs existent, mais la volonté de les mettre en oeuvre manque, tout comme les moyens.
Tout d'abord, qu'en est-il de l'information sur la contraception ?
J'ai interrogé des élèves de seconde, de première et de terminale de mon département. Tous et toutes ont déclaré n'avoir fait l'objet d'aucune sensibilisation particulière sur la contraception au sein de leurs établissements scolaires. Il y a bien une ou des affiches à l'infirmerie, mais encore faut-il s'y rendre...
Ce qu'ils ont retenu des campagnes récentes, c'est essentiellement la prévention contre le sida, non la maîtrise de la fécondité.
De plus, si, en ce qui concerne les maladies sexuellement transmissibles, filles et garçons se sentent concernés au même titre, pour ce qui est de la transmission de la vie, les garçons considèrent la plupart du temps qu'ils ne sont pas les premiers impliqués.
L'école et la famille sont les lieux privilégiés de sociabilisation ; or elles ont l'une et l'autre failli. La pilule du lendemain est de trop récente introduction en milieu scolaire pour que l'on puisse disposer de données chiffrées sur les demandes enregistrées. Toutefois, en dehors de cas liés à des conditions exceptionnelles, le recours à cette pratique montrera bien l'échec de la prévention, échec dû non à l'inefficacité de celle-ci, mais à son absence.
S'agissant des familles, il paraît étonnant que les mères des adolescents d'aujourd'hui, qui avaient à peu près dix ans lors de la promulgation de la loi Neuwirth et qui ont donc toujours vécu avec la possibilité d'accéder aux moyens contraceptifs ne jouent pas vis-à-vis de leurs enfants le rôle d'éducateurs qu'on serait en droit d'attendre d'elles. Preuve est ainsi faite que ces moyens n'ont pas été intégrés ; sinon, on aurait constaté la transmission des pratiques par les femmes, comme cela se fait dans toutes les sociétés.
Autre preuve de cet échec : le nombre d'IVG pratiquées annuellement en France est beaucoup plus important que dans des pays voisins qui ont su développer une politique publique d'éducation sexuelle ; aux Pays-Bas, par exemple, le taux d'IVG a été significativement réduit.
Ce droit, qui est peut-être le seul qu'une femme souhaiterait n'avoir jamais à exercer, se révèle, dans la pratique, difficile à faire valoir ; temps de réponse trop longs, réticences des structures d'accueil - quand elles existent -, manque de formation des personnels sont autant de facteurs d'allongement des délais.
Si les dysfonctionnements ne sont pas traités à la racine, il ne sert à rien d'accorder quinze jours de plus pour placer un acte dans la légalité. Cette nouvelle échéance apparaîtra toujours comme léonine à qui aura à pâtir de lenteurs inexpliquées.
Néanmoins, il convient de considérer les cas de dépassement limité par rapport aux demandes traitées. La proposition de la commission des affaires sociales émise par la voix de son excellent rapporteur, M. Francis Giraud, en prévoyant le recours à une commission pluridisciplinaire qualifiée qui statuera sur chaque dossier, me paraît répondre à des situations qui ne sauraient être ignorées. Toutefois, il conviendra que cette commission pluridisciplinaire ne tarde pas à prendre sa décision, faute de quoi elle manquera à sa vocation.
A la fuite en avant je préfère une éducation des conduites par une solide information précoce et la possibilité d'exercer librement des droits inscrits. Cela suppose une volonté nationale soutenue par des moyens appropriés.
Prenons les choses dans l'ordre logique.
La diminution du nombre des IVG passe par l'éducation des jeunes. Le milieu le mieux contrôlé pour l'implantation d'unités de sensibilisation est constitué par les établissements scolaires. Pourquoi ne pas introduire, au sein de ceux-ci, des antennes du Planning familial ou, si le statut de cette structure ne le permet pas, quelque chose d'analogue ? L'accès à ces lieux s'inscrira dans une démarche facile et quotidienne, en dehors des moments programmés de diffusion de l'information.
Pour cela, il convient de prévoir un personnel ayant reçu une formation adaptée. Certes, les infirmières pourraient être les intervenants désignés. Toutefois, comme ceux des médecins scolaires, leurs effectifs sont très en dessous des besoins. J'en veux pour preuve un lycée de Vesoul qui est contraint d'appeler régulièrement les sapeurs-pompiers, son infirmerie n'étant pas ouverte tous les jours.
Par ailleurs, le remboursement par la sécurité sociale des contraceptifs doit être systématique quelle que soit la qualité du prescripteur. Même si leur coût n'est pas très élevé, il peut être parfois dissuasif. Au demeurant, si l'on suit un raisonnement purement mathématique, dénué de tout aspect humain, voire cynique, force est de constater que la dépense sera moins élevée que celle qu'entraîne une IVG.
Au-delà des jeunes scolarisés, la population qui renouvelle les générations a également besoin de lieux de proximité où l'on pourra répondre à des questions qui, visiblement, pour l'instant, n'ont pas trouvé de réponses. Pour que nous ne nous retrouvions pas, une fois encore, devant une proposition d'allongement des délais, un effort immédiat et important doit être entrepris.
Malgré tout, il y aura encore des recours à l'IVG, et ce pour des motifs bien différents. Là encore, il pourraît être satisfait aux exigences de délai si les structures de prise en charges étaient en nombre suffisant pour permettre l'accueil correct, et en temps utile, de toutes les demandes.
Sur ce plan-là aussi, la proximité est un facteur favorisant une démarche plus immédiate et une première consultation dans les premiers jours d'incertitude. On sait, en effet, que plus l'IVG intervient précocement, plus le risque de complications est faible et plus le choix des techniques utilisables est large.
Au sein des établissements, le service qui pratique l'IVG doit bénéficier de la même signalétique que les autres services. Bien souvent, ce service reste dissimulé, obligeant à une reconnaissance du parcours d'autant plus difficile que la démarche est déjà douloureuse. Pourquoi ne pas instituer un « numéro vert » comme il en existe pour le SAMU social, l'enfance maltraitée et, hélas ! bien d'autres détresses ?
Avant de terminer, je voudrais dénoncer le procès d'intention fait par un grand quotidien national à notre assemblée : « Certains sénateurs souhaitent sans l'avouer que tout soit fait pour que les femmes puissent revenir sur leur décision d'avorter. » Quelle objectivité ! J'ai surtout envie de dire : quel souci de nuire !
En conclusion, je souhaite que, avant d'envisager un allongement des délais ouverts pour pratiquer une IVG, on mette en oeuvre tous les moyens pour l'éviter. C'est pourquoi je suivrai les propositions de la commission des affaires sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Fischer. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la maîtrise de la fécondité par la contraception et l'interruption volontaire de grossesse sont des éléments essentiels de l'émancipation féminine qui ont marqué ces dernières décennies.
Rappelons-nous qu'avant de devenir des droits arrachés de haute lutte par les femmes, ils ont été durement réprimés par la loi. Il a fallu en effet bien des combats féministes pour que les femmes obtiennent le droit à la maîtrise de leur corps et de leur fécondité.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Guy Fischer. On peut évoquer ici quelques grands moments de ces combats de femmes.
Tout d'abord, il y a le manifeste des « 343 salopes » - le terme n'est pas de moi, vous l'aurez compris -, paru en avril 1971. Des femmes célèbres, comme Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Delphine Seyrig, Jeanne Moreau ou Micheline Presle, se sont jointes à d'autres femmes, inconnues, pour s'en faire les porte-parole en affirmant avoir recouru à l'avortement, acte réprimé par la loi jusqu'à l'adoption de la loi Veil en 1975.
En octobre 1972, c'est le cas de Marie-Claire, enceinte à la suite d'un viol, et de sa mère, poursuivies pour avortement, jugées par le tribunal de Bobigny, et que Gisèle Halimi défend avec succès.
En mai 1976, 331 médecins, dont quatre prix Nobel, publient à leur tour leur manifeste, dans lequel ils déclarent avoir pratiqué ou pratiquer encore des avortements.
Depuis, et sous des formes diverses, les femmes continuent d'exprimer leur volonté de ne pas être réduites au simple rôle de mères.
Aujourd'hui, de nombreuses associations donnent au féminisme un visage moderne, l'enracinant dans la réalité du quotidien des femmes. Je pense notamment à la CADAC, qui coordonne de très nombreuses associations agissant sur tous les aspects de l'égalité ; je pense également à Mix-Cité, qui considère que les hommes sont partie prenante du combat pour l'émancipation des femmes.
Plusieurs décennies après les lois Neuwirth et Veil, nous sommes obligés de faire le constat que notre pays, en raison de trop nombreux échecs de contraception et d'un taux d'interruptions volontaires de grossesse toujours élevé, se doit de faire évoluer sa législation en la matière, afin de prendre en compte l'évolution des mentalités et des techniques médicales et de répondre aux dysfonctionnements qui résultent aujourd'hui de l'application de ces textes.
Le texte que nous examinons aujourd'hui vise à actualiser la loi Neuwirth de 1967 et la loi Veil de 1975, qui représentaient des étapes courageuses et décisives dans la lutte des femmes. J'ouvre d'ailleurs une parenthèse pour rendre hommage, au nom de tout mon groupe, au courage politique de notre collègue Lucien Neuwirth, qui a beaucoup contribué et contribue toujours à faire que le droit de maîtriser leur fécondité soit reconnu aux femmes, alors que sa famille politique y était majoritairement opposée. Elle n'a d'ailleurs guère évolué, si j'en juge par le contre-projet élaboré par la commission des affaires sociales !
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Guy Fischer. Le texte que nous examinons tient compte de l'évolution des mentalités comme des progrès techniques et médicaux, qui rendent nécessaire l'actualisation de notre législation.
Que constatons nous ?
Si, en France, plus de deux femmes sur trois âgées de vingt à quarante-neuf ans utilisent une méthode contraceptive, le nombre de grossesses non désirées n'a malheureusement pas baissé.
Nous ne pouvons pas, bien évidemment, nous satisfaire des 220 000 IVG pratiquées chaque année en France : cela représente une interruption volontaire de grossesse pour trois naissances, contre une pour neuf aux Pays-Bas, qui, grâce à une législation relative à la contraception et à l'IVG plus libérale que la nôtre, qui plus est conjuguée avec une éducation sexuelle très précoce, obtiennent des résultats bien meilleurs dans ce domaine. Nous ne pouvons non plus nous accommoder du fait que 5 000 femmes soient contraintes chaque année de se rendre à l'étranger pour y faire pratiquer une IVG parce qu'elles ont dépassé le délai de dix semaines actuellement en vigueur dans notre pays.
Face à cette situation d'échec, le texte proposé a le mérite d'apporter de vraies réponses, élaborées dans le cadre d'une réflexion globale, puisqu'il s'attache à faciliter l'accès à la contraception et à élargir le droit à l'IVG.
Il nous semble important et très positif que le projet de loi aborde de façon conjointe la contraception et l'IVG, qui sont les deux volets indissociables de la prise en compte des problèmes que rencontrent les femmes lorsqu'elles souhaitent affirmer leur droit à la maîtrise de leur fécondité.
Je n'énumérerai pas de façon exhaustive les nombreuses avancées que le texte apporte dans le domaine de la reconnaissance du droit des femmes à la contraception et à l'IVG, ma collègue Odette Terrade les ayant rappelées dans son intervention au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Je tiens d'ailleurs à saluer la qualité de son travail et à remercier la délégation pour la pertinence de son analyse et de ses recommandations : ses travaux contribuent à donner de notre assemblée une image en phase avec les réalités de notre temps.
Mmes Odette Terrade et Hélène Luc. Très bien !
M. Guy Fischer. Je m'attarderai seulement sur trois points qui me paraissent constituer une évolution attendue des lois Neuwirth et Veil.
Tout d'abord, je citerai la mesure phare de ce projet de loi, à savoir l'allongement du délai légal d'interruption volontaire de la grossesse de dix à douze semaines.
Comme je vous le disais, 5 000 femmes sont actuellement obligées de se rendre à l'étranger pour y subir une IVG, car elles ont dépassé le délai légal de dix semaines en vigueur dans notre pays.
La plupart du temps, ce voyage, dont elles se passeraient fort bien, concerne les femmes les plus démunies sur le plan social, les plus fragiles psychologiquement, mais également les plus jeunes.
A la décision d'interrompre une grossesse s'ajoutent les difficultés pour obtenir des informations sur les établissements étrangers ainsi que le coût inhérent au voyage et à l'intervention.
Nous ne pouvons plus tolérer qu'un pays comme la France, souvent à la pointe pour la qualité des soins médicaux, laisse ainsi des milliers de femmes seules avec leur détresse.
L'allongement de deux semaines du délai légal pour une IVG résoudrait donc la plupart de ces cas.
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Guy Fischer. Il s'impose comme une évidence, ne serait-ce que pour que la France se mette au niveau de la législation de bon nombre de ses voisins européens, qui est souvent plus avancée que la sienne dans ce domaine et leur permet d'obtenir de meilleurs résultats dans la réduction du nombre d'IVG. En effet, le délai légal en France pour pratiquer une IVG est actuellement, avec dix semaines, l'un des plus courts en Europe, où la moyenne se situe à quatorze semaines, l'Espagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bays ayant même voté, dans des conditions particulières, en faveur d'un délai de vingt-deux semaines.
D'une part, on constate qu'un allongement du délai légal ne provoque en aucun cas d'augmentation du nombre d'IVG, puisque la Grande-Bretagne a un taux d'IVG comparable au nôtre et que l'Espagne et les Pays-Bas présentent des taux bien inférieurs : pour les femmes âgées de quinze à quarante-quatre ans, le taux d'IVG est de 15,4 en France, contre 5,7 en Espagne et 6,5 aux Pays-Bas.
D'autre part, cet allongement du délai ne présente aucun danger supplémentaire pour la santé des femmes, comme la plupart des professionnels fortement investis dans cette pratique qu'ont auditionnés la délégation et la commission des affaires sociales nous l'ont confirmé. Des interruptions de grossesse bien plus tardives sont d'ailleurs pratiquées, pour des raisons médicales, sans danger pour les femmes.
En outre, des IVG sont d'ores et déjà pratiquées au-delà de la dixième semaine, car il existe parfois une imprécision sur la date exacte du début de la grossesse, le nombre de semaines d'aménorrhée ne correspondant pas strictement au nombre de semaines de grossesse.
Devons-nous continuer à fermer les yeux, à faire semblant ? Devons-nous ignorer les IVG déjà pratiquées aujourd'hui au-delà de dix semaines, sous la responsabilité de médecins confrontés à l'extrême détresse de certaines femmes qui n'ont pas les moyens d'aller à l'étranger ? Non !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Ah !
M. Guy Fischer. Le même problème se pose pour les jeunes filles mineures n'ayant pu obtenir l'autorisation de leurs parents, comme cela nous a été confirmé par le Pr Milliez, gynécologue obstétricien, qui, lors de son audition par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, s'est réjoui de ce que le projet de loi légalise une situation de fait en prolongeant le délai de deux semaines.
Mes chers collègues, dans ce domaine comme dans d'autres, le fait s'impose toujours à la loi.
Au demeurant, contrairement aux craintes que certains ont exprimées, une telle mesure n'est pas susceptible d'engendrer des dérives eugéniques. Le comité consultatif national d'éthique, saisi par M. le président du Sénat, est d'ailleurs très clair sur ce point et affirme dans son avis qu'« invoquer cette connaissance facilitée du sexe ou de l'existence d'une anomalie mineure pour empêcher la prolongation du délai légal apparaîtrait excessif et, d'une certaine façon, attentatoire à la dignité des femmes et des couples. Ce serait, en effet, leur faire injure et les placer en situtation d'accusés potentiels que de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à cette connaissance ».
Cette prolongation du délai ne pose pas de problème d'éthique ; en revanche, il répond à un problème de santé publique et, surtout, permet de respecter les droits des femmes.
La seconde évolution législative que l'on nous propose, et qui me paraît primordiale, concerne l'aménagement de l'obligation pour les mineures demandant une IVG d'obtenir l'autorisation parentale. En cela, le projet prend en compte les cas encore trop nombreux - 6 700 par an - de mineures confrontées à ce douloureux problème.
L'autorité parentale n'est pas remise en cause ; elle demeure la règle, puisque le consentement parental sera toujours recherché. Cependant, le texte permet à une mineure d'avoir recours à l'IVG lorsque le consentement parental est impossible à obtenir ou lorsqu'elle souhaite conserver le secret.
C'est pourquoi, dans l'esprit qui a prévalu lors de l'adoption unanime de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence, une jeune fille mineure pourra également se voir prescrire, délivrer et administrer des contraceptifs sans l'aval de l'autorité parentale.
Toutes ces avancées sont de nature à élargir le droit à la contraception et à l'IVG. C'est loin d'être négligeable, quand on sait que 60 % des premiers rapports sexuels des mineures se dérouleraient sans aucune contraception et que notre pays compte encore 10 000 grossesses non désirées par an chez les mineures, dont les deux tiers aboutissent à une interruption volontaire de grossesse.
Tout doit être mis en oeuvre pour favoriser la diffusion la plus large possible de la contraception, en particulier auprès des jeunes, car ils n'ont pas toujours une bonne connaissance du fonctionnement de leur corps.
Faciliter l'accès à la contraception devrait donc être une exigence partagée par nous tous, mes chers collègues, même si, je le sais bien, certains d'entre vous y voient, comme ils l'ont déclaré en novembre dernier, lors du débat relatif à la contraception d'urgence, un risque de « banalisation de l'acte sexuel », et même si d'autres craignent - ils l'avaient exprimé lors du même débat - que la facilité d'utilisation du NorLevo ne banalise la contraception d'urgence.
J'évoquerai enfin un dernier point : la suppression du caractère obligatoire de l'entretien social préalable à l'IVG, qui constitue, à nos yeux, un progrès important attendu par de très nombreuses femmes. L'évolution en cours témoigne, comme le marque le terme même d'« interruption volontaire de grossesse », que la décision d'avoir recours à un tel geste appartient à la femme, et à elle seule.
Le projet de loi nous paraît donc extrêmement positif puisqu'il indique qu'un entretien sera systématiquement proposé avant et après l'IVG.
Mais, pour de très nombreuses femmes, cet entretien est encore vécu, il faut bien le reconnaître, comme une contrainte, comme une pression psychologique visant plus à les culpabiliser qu'à les aider.
M. Jean-Louis Lorrain. C'est faux !
M. Guy Fischer. Le caractère facultatif de cet entretien est, selon nous, de nature à dédramatiser la démarche conduisant à une IVG et permettra aux femmes de choisir librement, de discuter de leur intention bien souvent irrévocable d'interrompre leur grossesse. En revanche, l'obligation pour les établissements de le proposer et de l'organiser, dans l'intérêt des femmes, doit être maintenue.
Ce moment de dialogue, pour peu qu'on en définisse mieux le contenu et qu'on reconnaisse, au travers d'un véritable statut, la qualité des personnels chargés de l'assumer, permettra, pour les femmes qui auront accepté librement d'en bénéficier, de déceler leurs difficultés, voire d'éventuelles violences dont elles auraient pu être victimes.
Ce projet de loi constitue donc un vrai pas en avant en matière d'accès à la contraception et à l'IVG. Il s'inscrit dans une logique de reconnaissance du droit, car il s'agit du droit des femmes à décider elles-mêmes, et elles seules, du moment où elles désirent leur maternité.
Contrairement à ce que pensent certains de nos collègues, les femmes ne sont pas des êtres irresponsables qui ne seraient pas aptes à prendre des décisions les concernant. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Charles Descours. Il ne faut pas caricaturer !
M. Jean Chérioux. Changez votre discours ! Nous n'avons jamais dit cela !
M. Guy Fischer. J'ai employé le conditionnel. De surcroît, monsieur Chérioux, je ne généralise pas !
M. Charles Descours. Gardez de la hauteur au débat !
M. Guy Fischer. Je suis très modéré !
M. le président. Monsieur Fischer, ne répondez pas à ceux qui vous interrompent.
M. Guy Fischer. Le contre-projet issu de la réflexion de la majorité de la commission des affaires sociales ne vise ni plus ni moins qu'à cantonner les femmes dans un rôle de mineures et à leur dénier, au bénéfice du corps médical, toute liberté de décision.
M. Charles Descours. C'est grotesque !
M. Guy Fischer. Or, on ne le dira jamais assez, la femme doit, dans les limites du cadre législatif, être la seule à pouvoir décider de mener ou non une grossesse à son terme.
M. Hilaire Flandre. Cela devrait tout de même être décidé en couple !
M. Guy Fischer. Je vais y venir !
M. Hilaire Flandre. Ah, tout de même !
M. Guy Fischer. Mais vous, vous ne parlez jamais du couple !
M. Jean Chérioux. Si !
M. le président. Monsieur Fischer, je vous en prie, ne répondez pas aux interruptions ! Poursuivez votre exposé.
M. Guy Fischer. Si une information objective s'avère indispensable, aucune structure ou comité, fût-il composé des experts les plus éminents, ne doit décider à la place des femmes. De toute façon, une femme qui a décidé d'avorter le fera, parce qu'elle seule sait si elle veut vraiment assumer sa maternité ou pas.

(M. Blanc s'exclame.)
L'autre ambition du texte - on a parfois tendance à l'oublier - est de faire baisser significativement le nombre d'IVG dans les années à venir.
Il est clair que la prévention doit être développée. Cet objectif ne sera atteint que par une plus large diffusion de l'éducation sexuelle et un accès renforcé à la contraception.
Nous présenterons d'ailleurs des amendements en ce sens. Nous proposerons une meilleure prise en charge par la sécurité sociale du coût des contraceptifs les plus récents, mieux dosés et mieux tolérés. Il conviendra aussi de systématiser l'éducation sexuelle, dès l'école primaire,...
M. Hilaire Flandre. A la maternelle !
M. Guy Fischer. Il faut le faire intelligemment ! Il conviendra, disais-je, de systématiser l'éducation sexuelle en proposant un enseignement adapté à l'âge des enfants, mais aussi mieux doté en termes de fréquence et de volume horaire. Il est consternant de voir combien les jeunes méconnaissent le fonctionnement de leur corps et les mécanismes de la fécondité.
Mme Hélène Luc. Exactement !
M. Guy Fischer. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les pays qui ont le plus développé l'éducation sexuelle, à tous les niveaux de la scolarité, sont ceux qui ont les taux d'IVG les plus bas.
M. Francis Giraud, rapporteur. C'est exact !
M. Guy Fischer. Cela nous amène à réfléchir sur l'implication des hommes dans les domaines de la contraception et de l'IVG. A notre avis, plus tôt les garçons se sentiront concernés par les questions liées à la sexualité et à la contraception, plus responsable sera leur attitude lors des rapports sexuels.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Guy Fischer. On peut naturellement penser que leur présence et l'accompagnement de leur partenaire lors d'une IVG en seront renforcés.
Enfin, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, il faudra s'assurer que toutes les structures chargées de la pratique de l'IVG ont les véritables moyens humains et matériels de fonctionner correctement. De ce point de vue, le secteur public a une responsabilité particulière qu'il n'assume pas toujours, notamment en région parisienne. La loi doit être appliquée partout et pour tous. L'hôpital public doit donner l'exemple. De trop nombreux centres d'IVG souffrent d'un déficit de moyens et en personnels tel que leur existence est menacée, même si nous notons positivement les efforts budgétaires récemment faits.
Si nous voulons réellement faire chuter le nombre d'IVG, nous ne pouvons faire l'économie de ces mesures.
Pour ce qui nous concerne, nous aborderons ces débats dans un esprit constructif. Nous soutiendrons toutes les initiatives qui iront dans le sens d'un progrès pour les femmes. En revanche, nous nous opposerons sereinement, mais tout aussi fermement, à toutes les tentatives de remise en question de leurs droits.
Mme Odette Terrade. Très bien !
M. Guy Fischer. Le contre-projet de la majorité de la commission des affaires sociales ne nous convient pas, dans la mesure où il s'oppose, à notre avis, aux avancées que constituaient, pour les droits des femmes, les lois Neuwirth et Veil.
Ce projet de loi nous offre l'opportunité d'actualiser notre législation en matière de contraception et d'IVG, de la rendre plus complète, plus cohérente, plus moderne, mieux adaptée et en adéquation avec les réalités et ce que veulent les femmes. Mes chers collègues, nous débattrons sous leur regard, ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le XXe siècle restera sans nul doute marqué de l'empreinte des femmes. Au même titre que l'accès au droit de vote ou à leur capacité juridique personnelle, le droit à la maîtrise de la fécondité constitue un acquis majeur qui a permis aux femmes d'assurer en même temps leur fonction d'acteur économique et social et leur fonction de mère.
Au cours des trente-trois dernières années, l'évolution des moeurs et de la place de la femme dans notre société ont déjà amené le législateur à effectuer un recadrage, que ce soit, par exemple, à travers la loi sur la parité ou à propos de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Nous sommes appelés aujourd'hui à apporter une pierre de plus à l'édifice, en adaptant la législation, tant dans le domaine de la contraception que dans celui qui est relatif à l'interruption volontaire de grossesse.
La contraception tout comme l'IVG sont l'expression du droit des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur maternité. Elles sont au coeur du processus historique de l'émancipation de la femme. Mais l'une comme l'autre ne peuvent être confondues ! En effet, si c'est, de nos jours, une liberté, ne minimisons pas cet acte ! Il s'agit toujours d'un événement vécu dans la douleur, souvent dans la solitude et ressenti comme un échec.
La conquête de ces droits est récente. L'IVG a été autorisée en France, sous certaines conditions, et de façon temporaire, par la loi Veil du 17 janvier 1975, puis, de façon définitive, par la loi Neuwirth du 31 décembre 1979. Mais son remboursement, pris en charge par l'Etat, n'a été mis en oeuvre qu'en 1983.
Aujourd'hui, toute femme en situation de détresse peut, dans les délais impartis par la loi, c'est-à-dire jusqu'à dix semaines de grossesse, souhaiter recourir à une IVG, en en faisant la demande auprès d'un médecin. Après un entretien social et une semaine de réflexion, elle doit confirmer sa demande.
Par ailleurs, et compte tenu du nombre et de la qualité des techniques contraceptives, les femmes ne devraient plus subir de grossesses non désirées.
Pourtant, comme nous l'avons dit dout à l'heure, le nombre d'IVG n'a pas diminué depuis plus de vingt ans en France, bien au contraire. Une étude, publiée en juin 2000 par le ministère de l'emploi et de la solidarité, comptabilise 214 000 IVG pratiquées en 1998, ce qui représente une augmentation de 6 % par rapport aux chiffres enregistrés au début des années quatre-vingt-dix. Le taux a notamment crû pour les jeunes femmes âgées de moins de vingt-cinq ans : plus 26,7 % pour les dix-huit - dix-neuf ans.
D'après les informations relevées par les centres de planification, on estime à 5 000 le nombre de femmes contraintes de partir pour l'étranger parce qu'elles ne trouvent pas de réponse adaptée à leur situation en France. Enfin, 10 000 adolescentes sont confrontées à une grossesse non désirée et 7 000 d'entre elles ont alors recours à l'IVG.
Il ne s'agit nullement aujourd'hui de remettre en question le droit à l'IVG ou de réécrire les lois en la matière. Ce débat a été longuement ouvert, confondant les questions de santé publique ainsi que d'égalité sociale liée aux difficultés financières des femmes souhaitant une IVG et les questions qui relèvent de l'éthique, et donc du libre choix de l'individu.
A ceux qui relancent le problème de la moralité, je réponds que ce débat est clos. Il a été abordé au fond et réglé par notre société avec le vote des lois de 1975 et 1979. Je profite d'ailleurs de l'occasion qui m'est donnée pour rendre hommage à ces femmes et à ces hommes qui ont permis aux femmes de maîtriser leur fécondité.
Il s'agit aujourd'hui de discuter de la disposition la plus emblématique de la loi, à savoir l'allongement du délai légal de l'IVG, puisque la majorité des situations dites de « délai dépassé » se situe entre la dixième et la douxième semaine de grossesse.
Le passage de dix à douze semaines est donc conforme à une réalité et répond à une nécessité. Il répond en outre à une attente : celle de toutes les femmes qui ne comprennent pas pourquoi elles basculent brutalement dans l'illégalité parce qu'elles ont dépassé le délai pour pratiquer une IVG. L'allongement apporte aussi une solution à celles qui, dans cette même situation d'illégalité, n'ont pas les moyens de partir à l'étranger et n'ont d'autre possibilité que de poursuivre une grossesse non désirée.
Une politique de santé publique responsable ne pouvait s'exonérer à bon compte plus longtemps de la question soulevée par le désarroi que connaissent chaque année des milliers de femmes. En effet, la décision d'interrompre une grossesse ne se réume pas, loin s'en faut, à l'existence ou non d'un refus d'enfant.
Les travaux de l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, montrent à quel point une interruption volontaire de grossesse peut avoir de multiples origines : la découverte tardive d'une grossesse, une rupture sentimentale, des difficultés d'accès aux soins. Une interruption volontaire de grossesse a toujours un coût moral ou psychologique. La décision est, le plus souvent, un moment de remise en cause personnelle.
Pour ceux qui seraient tentés de relancer le débat éthique en suggérant un risque d'eugénisme, je ferai référence aux observations du président de l'Académie de médecine, du président du conseil national de l'ordre des médecins et du comité consultatif national d'éthique, qui nous ont dit que l'allongement du délai ne pose pas de problème d'éthique.
M. Jean Chérioux. Nous n'entendons pas les choses de la même façon !
Mme Claire-Lise Campion. D'ailleurs, l'exemple des Pays-Bas, sur ce point, est éloquent : le délai légal d'intervention est de vingt-deux semaines, alors que le taux d'IVG est le plus bas en Europe, avec 6,5 pour 1 000 femmes.
La crainte de l'eugénisme porte en réalité sur la place et le sens qu'on peut donner au progrès technique et médical dans notre société et fait l'objet d'un autre débat.
Enfin, ce serait faire injure aux femmes de penser qu'un avortement se décide à la légère.
Sur cette nouvelle proposition, le vrai débat, le débat légitime, doit s'apprécier en termes d'interrogation : cet allongement présente-t-il des risques pour la santé des femmes ? Non, il ne présente pas de risques notables supplémentaires. L'avis de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé est clair. Il est possible, sur le plan matériel et en termes de sécurité sanitaire, sous réserve de certaines précautions, notamment d'une formation des personnels avec l'apport de moyens adaptés, de porter le délai de l'IVG à douze semaines.
Ma seule réserve, quant à ce premier volet, est que toutes les situations de dépassement du délai ne sont pas couvertes par le texte. Je le regrette.
Je le regrette d'autant plus qu'on pourrait encore aller plus loin, en bousculant encore plus les certitudes. Mais notre société est telle que l'évolution du droit des femmes s'est toujours faite pas à pas. On l'a vu pour le droit de vote, l'avortement, la parité, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Il nous aura fallu presque vingt ans pour apporter un nouveau progrès dans la liberté de la femme à recourir à l'IVG.
Aussi, laissons le temps à cette nouvelle loi de produire ses effets, tout en nous réservant le droit - c'est aussi un devoir - d'y apporter des corrections, dans un avenir proche, si cela est nécessaire.
D'ailleurs, s'agissant de progrès et d'avancée, le projet de loi prévoit également un certain nombre de dispositions tendant à supprimer les sanctions pénales liées à la prohibition de la propagande et de la publicité pour l'IVG, afin d'assurer une meilleure information dans les démarches à effectuer.
Des mesures sont destinées également à pallier certaines carences du service public pratiquant les IVG. Un volet est ainsi consacré à l'amélioration de l'organisation de l'IVG : amélioration de l'accueil des femmes et diversification des centres de pratique de l'IVG. La réforme législative ouvre, en effet, la possibilité de pratiquer une IVG médicamenteuse, en ambulatoire, par des médecins ayant conclu une convention. Cette disposition laisse une plus grande souplesse à la femme, qui a ainsi la garantie d'une écoute bienveillante de son médecin.
Afin de lutter contre les difficultés d'accès aux soins, tout en respectant la clause de conscience dont les médecins peuvent se prévaloir, ce projet de loi, rappelant que l'IVG est une mission de service public, s'attache également à encadrer la place et le rôle du médecin en milieu hospitalier. Ce dernier a une obligation d'information et les chefs de service, en charge de ces interventions, sont tenus de les organiser dans leur service, même s'ils ne les pratiquent pas eux-mêmes.
Cependant, je regrette que le principe d'unité fonctionnelle n'ait pas été retenu comme clef de voûte de l'activité d'orthogénie et d'interruption volontaire de grossesse. Cette unité de base, ainsi clairement identifiée, aurait permis de mettre en évidence la nécessité d'un personnel adéquat ayant reçu une formation spécifique et bénéficiant, de ce fait, d'une meilleure reconnaissance.
Ne réduisons pas les avancées de ce projet de loi au seul allongement du délai de l'IVG. Voyons-y encore dans la dérogation à l'obligation de l'autorisation parentale pour les mineures souhaitant interrompre leur grossesse, lorsqu'elles sont dans l'impossibilité d'obtenir ce consentement, un progrès dans l'appréhension de notre société et de ses évolutions.
A ce jour, en effet, une mineure désirant interrompre sa grossesse doit obtenir le consentement de ses parents. Dans certains cas, cette autorisation parentale peut finalement permettre de nouer ou de renouer un dialogue parents-enfant. Cependant, nous connaissons tous la situation de certaines mineures qui, essentiellement pour des raisons culturelles et religieuses, ne peuvent aborder cette question avec leurs parents, pour lesquels la révélation des relations sexuelles de leur fille ne peut déboucher sur une relation plus confiante entre eux.
Sans remettre en cause l'autorité parentale, le projet de loi permet ainsi, pour ces jeunes filles, d'être accompagnées dans leur démarche par un adulte référent auprès de qui elles pourront trouver soutien et conseils.
Les différentes mesures évoquées ci-dessus ne prennent cependant tout leur sens que si, en amont, tout est mis en oeuvre pour faciliter, dans un cadre éducatif, institutionnel ou associatif, l'accès à la connaissance de la vie affective et sexuelle, le sens de la relation, de la maternité et de la paternité. Surtout, l'accès à l'information doit se doubler d'une réelle démarche politique favorisant l'accès de toutes les femmes aux méthodes et de la contraception et de l'IVG.
Selon le collège national des gynécologues, 60 % des femmes qui demandent une IVG ne connaissent pas la contraception d'urgence. Plus grave encore, le bulletin de l'ordre des médecins de mai 2000 révèle que 90 % des médecins généralistes français n'exercent aucune activité de gynécologie courante.
On comprend mieux ainsi pourquoi trop d'adolescentes continuent de croire qu'un premier rapport sexuel n'est pas fécondant. Trop de femmes de plus de quarante ans n'ont aucune contraception parce qu'elles pensent qu'à leur âge le risque est nul. Trop d'accouchées se retrouvent à la sortie de la maternité sans conseils ni prescription contraceptive.
Pour reprendre l'exemple des Pays-Bas, l'éducation à la sexualité et à la contraception fait depuis longtemps partie intégrante des actions de santé publique et des programmes pédagogiques, dès l'école primaire notamment. Nous aurions tort de ne pas mettre à profit les expériences, menées chez nos voisins étrangers, qui ont prouvé toute leur efficacité.
Le gouvernement français a déjà amorcé une politique de prévention. Tel est le sens de la campagne menée l'hiver dernier sur la contraception, ou encore de celle qui a été lancée par Ségolène Royal dans les établissements scolaires sur « l'éducation à la sexualité et à la vie ». Nous souscrivons pleinement à ces campagnes, mais nous souhaitons également une meilleure collaboration entre les acteurs. Les médecins doivent être impliqués dans les campagnes publicitaires et l'enseignement, car ils sont les mieux à même de parler avec les jeunes de ces sujets. Dans le même esprit, un effort de globalisation entre l'Etat et les conseils généraux doit être accompli.
Les professionnels eux-mêmes doivent être mieux formés. Par exemple, l'enseignement dispensé en faculté de médecine peut-il ne compter que deux heures consacrées à la contraception ?
Je terminerai cette présentation générale du projet de loi en évoquant la stérilisation. Elle est actuellement absente des textes de loi. Or, chaque année, entre vingt-cinq mille et trente mille femmes y ont recours. Cela nécessitait donc un encadrement juridique. C'est là un autre élément de l'esprit novateur de cette loi qui se révèle.
Toutefois, cette législation impose une très grande vigilance. La stérilisation ne deviendra jamais un acte ordinnaire. Elle ne sera jamais une contraception banale, car ses conséquences sont quasi irrémédiables quant à la fécondité des hommes ou des femmes. C'est pourquoi le législateur a tenu à mettre en place un dispositif permettant de s'assurer que la décision sera prise en toute connaissance de cause et avec le total consentement de l'homme ou de la femme. Si l'on peut légitimement adhérer à cette évolution législative, la stérilisation des personnes handicapées mentales pose, quant à elle, de nombreuses interrogations éthiques, politiques et économiques.
Je regrette que, face à toutes ces questions difficiles, délicates, il n'y ait pas eu de réel débat de fond sur le sujet et que le Comité consulatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé n'ait pas été saisi à ce propos. Sa seule déclaration remonte à 1996, et, hélas ! reste floue.
En légiférant, notre volonté est d'assurer la protection de ses droits à la personne handicapée, en tant qu'être humain, sans pour autant refuser d'affronter la réalité, à savoir les difficultés techniques, matérielles, humaines qui ne manqueront pas de se présenter pour la personne handicapée comme pour son entourage.
Il s'agit donc bien, aujourd'hui, de répondre à une évolution de notre société en matière de contraception et d'interruption volontaire de grossesse. Mais ce projet de loi n'aura de sens que si le Gouvernement s'engage à poursuivre et à prolonger la démarche qui est la sienne depuis plus de trois ans sur le plan de la prévention et de l'information, dans le domaine de la prise en charge matérielle, technique et humaine des IVG, et par un soutien aux personnes et aux familles dans le cadre de la stérilisation. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que dire de plus après l'excellente intervention de notre rapporteur Francis Giraud ? Je reviendrai simplement sur deux ou trois points pour y insister.
Je crois que nous devons aborder ce problème - beaucoup d'orateurs l'ont dit - avec tout le respect qui est dû à un domaine qui est éminemment sensible puisqu'il s'agit de la transmission de la vie, sujet qui intéresse tout homme et toute femme. Il faut donc s'efforcer d'éviter tout abord partisan et idéologique.
Pour quelle raison - ce sera ma première remarque - dans un domaine aussi sensible et aussi complexe, le Gouvernement a-t-il déclaré l'urgence, alors que la navette aurait sans doute permis de rapprocher les points de vue ? Ce problème existe depuis de nombreuses années !
Il faut, et nous sommes tous d'accord sur ce point, me semble-t-il, être à l'écoute de ces femmes. Pour la majorité d'entre elles, une interruption volontaire de grossesse reste une décision douloureuse, quelquefois un drame, qui peut marquer profondément leur vie. C'est la raison pour laquelle nous devons éviter coûte sur coûte le recours à ce qui ne doit être qu'une solution extrême, comme le disait Simone Veil lorsqu'elle défendait sa loi et comme le rappelait tout à l'heure notre collègue Christian Bonnet.
Il eût donc été préférable - et il ne s'agit pas d'une simple nuance sémantique - que le projet de loi fût intitulé « Contraception et interruption volontaire de grossesse » et non pas « Interruption volontaire de grossesse et contraception ». En effet, par cette inversion dans la formulation, on semble privilégier l'IVG comme moyen de contraception. (M. le président de la commission fait un signe d'approbation.)
Je tiens à noter que Mme Guigou, lorsqu'elle a défendu le projet de loi tout à l'heure, a commencé par évoquer longuement la contraception. Je sais que ce n'est pas elle qui était en fonction lorsque la discussion de ce projet de loi a commencé, mais il s'agit pour le moins d'une maladresse.
J'ai indiqué que je ne voulais pas polémiquer ; je ne dirai donc pas qu'il s'agit d'un point de départ idéologique. Toutefois, avoir retenu comme intitulé du projet de loi « Interruption volontaire de grossesse et contraception » est une erreur psychologique. En effet, comme tout le monde l'a dit, force est malheureusement de constater que, dans notre pays, la contraception est un échec : on compte encore, chacun l'a répété, plus de 200 000 interruptions volontaires de grossesse contre seulement, si je puis dire, 250 000 voilà vingt-cinq ans. Par conséquent, on ne constate pas une diminution significative du nombre d'IVG.
Il est clair que, quelles que soient les majorités, notre pays ne s'est pas doté d'une véritable politique d'information en matière de sexualité et de contraception et que le corps médical - et j'en suis - n'a pas, en ce domaine, pris suffisamment ses responsabilités, pas plus d'ailleurs que les pouvoirs publics ou l'éducation nationale.
L'un des intervenants déclarait que, dans certains établissements scolaires, les informations sur la contraception et la sexualité étaient affichées à l'infirmerie. Il s'agit donc d'une maladie puisque l'on ne se rend en ce lieu que si l'on est malade ! Tant que les informations en ce domaine seront dispensées à l'infirmerie, on n'abordera pas les choses dans le bon ordre.
Depuis des centaines de millions d'années, la sexualité est à la base de l'activité humaine ; il s'agit donc d'une activité normale, sur laquelle nos concitoyens doivent être informés.
Comme M. le rapporteur l'a souligné, notre pays doit d'abord mettre en place une politique contraceptive efficace, accessible à tous ; je pense notamment au remboursement par la sécurité sociale de contraceptifs chimiques ou mécaniques : les contraceptifs chimiques les moins dosés, c'est-à-dire les moins dangereux, ne doivent pas, comme aujourd'hui, être peu ou pas remboursés.
Or, aujourd'hui, après le vote de ce texte en première lecture par l'Assemblée nationale, il apparaît, à tort ou à raison, que la première disposition qui est soulignée concerne l'allongement de dix à douze semaines du délai légal pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse. De ce fait - et le titre d'un grand journal du soir le montre - tout le reste est occulté, alors que c'est précisément tout le reste qui est important. C'est évidemment un non-sens eu égard à une politique contraceptive que nous n'avons pas pu ou pas su mettre en place.
Pourquoi sommes-nous hostiles à cette disposition, comme M. le rapporteur l'a indiqué ? Il est clair que, sur les cinq mille femmes qui dépassent le délai de dix semaines, à peu près la moitié auront également dépassé le délai de douze semaines. La mesure envisagée ne résoudra donc pas leur problème.
Il est clair aussi - le chirurgien que j'ai longtemps été le sait, et le professeur Francis Giraud le sait encore mieux - qu'en passant du stade foetal au stade embryonnaire on franchit un pas médical, voire chirurgical, notable, sans parler du risque d'eugénisme qu'on ne peut balayer d'un revers de main.
A cet égard, il faut souligner les réticences des centres d'interruption volontaire de grossesse, que M. Claude Huriet explicitera mieux que quiconque tout à l'heure. La majeure partie de ces centres s'inquiètent fortement de cette prolongation de dix à douze semaines, non pas pour des raisons philosophiques ou éthiques, mais pour des raisons techniques et de responsabilité vis-à-vis des femmes qui iront les consulter.
Il convient de rappeler aussi les termes du communiqué du groupe de travail de l'Académie de médecine, dirigé par M. Sureau : « L'IVG devra être précédée d'une information complète sur les risques que l'intéressée pourrait encourir pendant et après l'intervention ». Or, c'est au moment où le délai passe de dix à douze semaines, sachant que tous les experts s'accordent à dire que, de ce fait, le risque est plus grand - même s'ils peuvent discuter sur l'évaluation de son augmentation - que l'on choisit de supprimer l'entretien préalable ! Très justement, M. le rapporteur en demandera le maintien, et je crois que c'est faire preuve de bon sens.
Dans une société développée comme la nôtre, l'information n'est pas contradictoire avec la liberté individuelle,...
M. Jean Chérioux. Au contraire !
M. Charles Descours. ... d'autant qu'elle s'adresse non pas seulement et non pas prioritairement à toutes celles qui, de par leur savoir, n'apprendront rien au cours de l'entretien, mais à toutes celles qui, du fait de leur position sociale, n'ont pas eu accès à ce savoir. Nous savons bien, en effet, pour avoir vu souvent les femmes qui recourent à l'IVG, qu'il s'agit le plus souvent de jeunes femmes ou de jeunes filles issues des couches sociales qui n'ont pas accès au savoir.
La maîtrise de la fécondité, individuelle et collective, reste un grand problème, qui se pose évidemment de façon différente selon les pays où l'on vit. Il importe cependant de ne jamais oublier les valeurs éthiques fondamentales sur lesquelles se fonde notre civilisation.
S'agissant d'un problème aussi délicat, la liberté de vote sera, bien sûr, la règle pour le groupe des Républicains et Indépendants, mais la très grande majorité de ses membres et moi-même soutiendrons la position équilibrée de M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vingt-cinq ans après l'adoption de la loi Veil, le 17 janvier 1975, nous examinons aujourd'hui le projet gouvernemental tendant à réformer l'interruption volontaire de grossesse. Il contient principalement deux nouvelles dispositions : d'une part, l'allongement du délai légal de deux semaines, en autorisant l'avortement jusqu'à douze semaines de grossesse ; d'autre part, la faculté offerte à toute jeune fille mineure de subir une IVG en dérogeant à l'autorisation parentale.
Je ferai donc, successivement, diverses observations.
La première concerne l'échec de la loi Veil, qui a conduit notre pays à détenir le triste record du nombre d'avortements en Europe : plus de 200 000 par an, alors même qu'on estimait, en 1975, si l'on en croit les discours des parlementaires de l'époque, que la loi devait entraîner une rapide diminution des avortements grâce à l'information et à l'ensemble des mesures préventives votées.
Aujourd'hui, madame la secrétaire d'Etat, le Gouvernement nous propose, en prolongeant de deux semaines la possibilité d'intervention, d'augmenter de cinq mille à dix mille ce triste chiffre.
A ce projet de loi, je souhaite opposer quelques arguments.
Le premier concerne le respect de l'enfant à naître. La douleur qui frappe un couple quand il perd accidentellement un enfant, par fausse couche, à trois mois et demi ou quatre mois, laisse toujours des traces profondes. Alors, madame la secrétaire d'Etat, comment ne pas imaginer, même si son choix est délibéré, qu'une jeune maman désireuse de faire disparaître un enfant vivant, biologiquement constitué, que l'échographie rattache très tôt sentimentalement à elle, ne puisse, à terme, subir de graves désordres psychologiques ?
Un embryon, puis un foetus, ne sont pas moins « humains » à douze semaines qu'à dix. Pour moi, ils le sont dès les premières minutes de leur conception et conservent leur dignité d'être humain tout au long de leur processus de développement.
Dans ce projet de loi, le Gouvernement nous propose de passer subrepticement de la « dépénalisation de l'avortement », inscrite dans l'esprit de la loi Veil, au « droit à l'avortement », dont vous prenez ici la responsabilité pleine et entière, ce qui, à mes yeux, est inacceptable.
Ma deuxième observation concerne les « dérives inévitables » qu'entraîneront les dispositions que vous préconisez. Vous venez d'ouvrir toute grande la voie de la recherche de l'enfant parfait. En facilitant l'avortement et en votant cette nouvelle disposition légale, on risque bien d'assister à 4 000 avortements supplémentaires tant certaines femmes seront tentées de choisir le sexe de l'enfant ou d'éliminer l'embryon pour malformations mineures, afin de favoriser les enfants « bien nés » ou « eugéniquement conçus » ! Le phénomène est déjà constaté dans plusieurs pays où une « petite erreur de la nature » est définitivement éliminée par un acte chirurgical.
En retour, madame la secrétaire d'Etat, votre projet de loi est étrangement muet en ce qui concerne les moyens alloués aux jeunes femmes, mineures ou non, désireuses de garder leur enfant. En effet, il aurait dû assurer, avant tout, l'accompagnement des femmes enceintes plongées dans le désarroi par la perspective d'une grossesse dont elles craignent de ne pouvoir assurer la charge du fait d'une détresse morale, matérielle ou physique relevant de notre responsabilité collective. Il convient donc que soient renforcées les dispositions et les structures d'accueil propres à permettre à une femme enceinte en détresse qui le désirerait de mener sa grossesse à terme.
Votre texte est aussi étrangement muet en ce qui concerne l'information sur la contraception, insuffisante puisqu'elle aboutit au constat que nous connaissons : 20 000 grossesses par an chez les mineures, entraînant 7 000 avortements.
C'est pourquoi j'émets de profondes réserves sur la possibilité offerte aux mineures de déroger à l'autorisation parentale. La préservation du lien entre parents et enfants reste en effet primordiale.
Par ailleurs, madame la secrétaire d'Etat, contre l'avis du gouvernement auquel vous appartenez , vous avez fait voter la « dépénalisation de l'interruption illégale de grossesse ». Je m'oppose fermement à cette décision, qui fait sortir les dispositions relatives aux pratiques non autorisées de l'IVG du code pénal pour les transférer dans le code de la santé publique.
Pour conclure, j'ai la conviction profonde que votre texte n'est, dans votre esprit, qu'une étape avant l'allongement supplémentaire du « curseur fatal ». En voulant à tout prix défendre le « droit à l'avortement », vous radicalisez dangereusement la loi Veil, qui, elle, se voulait protectrice, et vous engagez, au nom de la « liberté des femmes », notre société dans une dérive coupable.
Votre idéologie est celle de « l'abandon » là où les jeunes auraient besoin d'un soutien. C'est pourquoi, comme la commission des affaires sociales, je fais le choix de m'opposer à l'allongement du délai que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Paul Girod.)