SEANCE DU 6 FEVRIER 2001
M. le président.
« Article 2. - L'article 1er s'applique à l'Assemblée nationale élue en juin
1997. »
Sur l'article, la parole est à M. Esneu.
M. Michel Esneu.
Avec l'article 2, mes chers collègues, nous abordons un de ces débats qui ne
font pas honneur à notre République ! Je sais bien que certains s'en délectent.
Mais, hélas ! c'est encore une fois la légitimité de la classe politique qui en
pâtit.
La présente proposition de loi ne nécessitait aucunement le recours à la
procédure de l'urgence, d'autant que ses graves conséquences institutionnelles
sont mal évaluées. En outre, elle est bien trop éloignée des préoccupations de
nos concitoyens.
Que nous disent ces derniers quand nous les rencontrons, chaque jour, sur le
terrain, dans nos communes, dans nos départements, dans nos régions ?
Ils nous disent qu'ils ne comprennent pas que le Parlement consacre tant de
temps à des débats institutionnels alors que tant de textes importants sont
attendus.
Ils nous disent qu'ils ne comprennent pas l'obstination du Gouvernement.
Pourquoi retirer de l'ordre du jour le projet de loi d'orientation sur la
forêt, la proposition de loi tendant à renforcer la prévention et la répression
à l'encontre des groupements à caractère sectaire ou encore le projet de loi
relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception ?
Que pouvons-nous leur répondre ? Que le Gouvernement a voulu « punir » le
Sénat en supprimant ces textes de l'ordre du jour ! Mais n'est-ce pas nos
concitoyens eux-mêmes qui sont punis dès lors que ces textes importants pour
leur quotidien ne peuvent être discutés ?
Nos concitoyens nous disent aussi qu'ils trouvent nos débats trop éloignés de
leur réalité, et ils ont raison. La réalité, c'est, il ne faut cesser de le
répéter, la violence quotidienne. La réalité, c'est l'inquiétude légitime de
nos concitoyens pour leur retraite. Le Gouvernement avait annoncé un projet de
loi sur les retraites en 1997 dans son programme électoral. Qu'en-est-il
aujourd'hui ?
Rien n'a été fait, et le Premier ministre préfère occuper les cabinets
ministériels avec le présent texte, qu'il considère comme majeur, plutôt
qu'avec tous ceux qu'attendent vraiment nos compatriotes.
Mais cela ne les amusera plus longtemps, et bientôt, je n'en doute pas, votre
gouvernement sera sanctionné par les électeurs pour toutes ces manoeuvres,
monsieur le ministre !
Pourtant, nombreux étaient ceux qui, il n'y a pas si longtemps, vous mettaient
en garde contre les dangers que courraient notre vie politique, notre
République et nos institutions dans leur ensemble.
Nombreux sont mes collègues qui vous ont mis en garde contre « l'ouverture de
la boîte de Pandore », pour reprendre l'expression de notre éminent collègue
Jean-Pierre Schosteck, sénateur des Hauts-de-Seine, au prétexte fallacieux de
vouloir paraître moderne !
Nous voici invités - c'est le Gouvernement qui le dit - à rétablir une «
logique » dans l'ordre des élections. Mais cette logique est plus que
contestable et quelles seront les étapes suivantes ?
Personne ne semble pouvoir le dire, puisqu'il est évident que toutes les
réformes ne sont proposées qu'au gré des circonstances, au coup par coup, au
hasard des prévisions sur les avantages électoraux que tel ou tel croit pouvoir
en tirer, notre excellent collègue, Jean-Pierre Raffarin, sénateur de la
Vienne, l'a clairement souligné !
C'est bel et bien une petite manoeuvre politicienne que nous nous efforçons de
dénoncer depuis plus de trois semaines maintenant. Une toute petite manoeuvre :
j'en veux pour preuve la formule malheureuse du Premier ministre qui jurait la
main sur le coeur qu'aucune initiative en ce sens ne serait prise.
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée
nationale, M. le Premier ministre, sans doute trop occupé par les devoirs
imposants de sa charge, ne s'était pas aperçu du caractère « fortuit » du
calendrier électoral qui devait nous conduire à élire les députés puis le
Président de la République.
Ainsi, ce calendrier, qu'il considère aujourd'hui comme aberrant alors qu'il
n'a pas semblé sans préoccuper pendant près de quatre ans, résulte, avoue-t-il,
de plusieurs aléas. On a du mal à comprendre qu'il ne s'en soit pas aperçu plus
tôt !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Sur l'article 2, je suis saisi de plusieurs amendements qui peuvent faire
l'objet d'une discussion commune. Les cinq premiers sont identiques.
L'amendement n° 2, est présenté par M. Bonnet, au nom de la commission.
L'amendement n° 5 rectifié est déposé par MM. de Broissia, André, Bernard,
Besse, Bizet, Blanc, Braun, Braye, Mme Brisepierre, MM. Calméjane, Cazalet,
César, Chaumont, Cornu, Courtois, de Cuttoli, Darcos, Dejoie, Delong, Demuynck,
Descours, Doublet, Dubrule, Dufaut, Eckenspieller, Esneu, Flosse, François,
Gaillard, Gérard, Gerbaud, Ginésy, Giraud, Goulet, Gournac, Gouteyron,
Gruillot, Haenel, Hugot, Jourdain, Joyandet, Karoutchi, Lanier, Larcher,
Lauret, Laurin, Leclerc, Le Grand, Lepeltier, Loueckhote, Marest, Martin,
Masson, Mme Michaux-Chevry, MM. Miraux, Murat, Natali, Neuwirth, Mme Olin, MM.
d'Ornano, Ostermann, Oudin, Peyrat, de Richemont, Reux, Schosteck, Souvet,
Taugourdeau, Trégouët, Valade, Vasselle, Vinçon et Vissac.
L'amendement n° 8 est présenté par M. Gélard.
L'amendement n° 27 est présenté par M. Fournier.
L'amendement n° 29 rectifié est présenté par MM. Marini et Vial.
Ces cinq amendements tendent, tous, à supprimer l'article 2.
Enfin, par amendement n° 25 rectifié, M. de Raincourt et les membres du groupe
des Républicains et Indépendants proposent, dans l'article 2, de remplacer les
mots : « en juin 1997 » par les mots « en mars 2002 ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de conséquence. A partir du moment
où le Sénat refuse toute modification de la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale, ce qu'il a fait en proposant une nouvelle rédaction de
l'article 1er, l'article 2 n'a plus de raison d'être.
Cet article démontre par ailleurs que l'objet principal du texte est bien
l'inversion de l'ordre des élections de 2002 et qu'il ne s'agit pas d'examiner
sereinement un problème plus général.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia, pour défendre l'amendement n° 5 rectifié.
M. Louis de Broissia.
Permettez-moi de dire après M. le rapporteur dans quel « esprit » les
signataires de cet amendement souhaitent revenir à la charge contre la
modification du calendrier.
C'est d'abord une question de logique. Nous avons été très nombreux à le dire,
et les débats qui se sont engagés entre M. Arthuis ou M. Fauchon comme, bien
sûr, les interventions répétées et brillantes de notre collègue Jean-Pierre
Raffarin, le démontrent encore.
Les modifications de calendrier électoral sont par ailleurs toujours
intervenues dans les périodes agitées de notre histoire : en 1871, prolongation
de quatre ans, mais il fallait élaborer une Constitution et c'était quand même
une autre époque ; quant à la chambre des députés « bleu horizon », on sait les
raisons qui ont conduit en 1914 à prolonger le mandat de ses membres jusqu'à la
fin de la guerre ; enfin, en 1936, époque qui n'a été faste ni pour la France
en général ni pour la gauche en particulier.
On a aussi beaucoup parlé de l'« esprit » de la Constitution. M. Fauchon l'a
dit, il est plus facile de parler de l'« esprit » de la commission des lois que
de l'« esprit » de la Constitution. C'est peut-être un devoir important qui
nous incombe, mais il nous appartient en tant que parlementaire - députés comme
sénateurs - de nous pencher sur l'« esprit » qui a présidé à l'élaboration de
la Constitution de la Ve République.
C'est le fond même du débat et c'est la raison pour laquelle nous nous y
sommes engagés ; nous ne sommes pas simplement là pour parler de calendrier, de
la Saint-Elisée ou de Saint-Louis, roi de France, le 25 août !
L'« esprit » qui doit nous intéresser, monsieur le ministre, est celui que nos
concitoyens attendent de la République et de nous. Il existe, on l'a dit, deux
interprétations de l'« esprit » de la Constitution.
Le premier découle d'une lecture, que l'on pourrait appeler la conception
gaullienne, de la Constitution : pour le Président de la République - le
général de Gaulle ne l'a pas simplement dit, il l'a fait - toute élection est
un test et remet en cause son mandat. Cette attitude était dénoncée par
l'opposant François Mitterrand, qui voyait du plébiscite dans le référendum.
Mais, le peuple français, lui, percevait une concordance entre le Président de
la République et l'esprit des institutions.
L'époque n'avait évidemment rien à voir avec la nôtre et le général de Gaulle
n'a jamais envisagé le moindre « tripatouillage » de date : pas question de
troquer un lundi pour un mardi, un mois de mai pour un mois de juin ou pour un
mois de septembre...
Cela, c'est l'esprit gaullien.
Quant à la deuxième lecture, elle découle de ce que j'appellerai la conception
post-gaullienne, puisque tous les présidents de la République postérieurs au
général de Gaulle - tous sans exception - ont accepté, de fait ou tacitement,
la cohabitation dont leur prédécesseur n'aurait jamais voulu. Peut-être me
direz-vous qu'il n'est pas de circonstance de le rappeler ; mais c'est bien
dans cet esprit-là que nous sommes appelés à délibérer.
Certains, soutenant ou non la position du Gouvernement, ont dit que cette
modification de dates éviterait ou non la cohabitation. Or, après le général de
Gaulle, tous les présidents de la République ont accepté la cohabitation et
n'ont jamais envisagé l'inversion du calendrier, tout en se réservant
absolument le pouvoir de dissolution et en l'exerçant.
Je suis arrivé à l'Assemblée nationale, en 1988, à la faveur d'une dissolution
voulue par François Mitterrand. C'est dire que je n'ai rien contre la
dissolution !
(Sourires.)
J'ai même eu le bonheur, monsieur le ministre
- je l'ai rappelé l'autre jour - d'être tout de même élu, bien que soumis à la
délicate épreuve d'une triangulaire.
Le problème, c'est bien de nous prononcer aujourd'hui pour la conception
gaullienne ou pour la conception post-gaullienne. Cela, c'est l'esprit de la
Constitution.
Monsieur Arthuis, à mes yeux, l'esprit de la Constitution est un équilibre
entre les pouvoirs exécutif et législatif, et, au sein de chaque pouvoir,
l'équilibre un peu magique entre deux têtes ou deux chambres.
Je suis allée au Paraguay, avec le professeur Carcassonne, à la demande de
l'Assemblée nationale, pour expliquer l'esprit de la Constitution lié à
l'esprit de la décentralisation ; c'est sur ce dernier point que j'aimerais
intervenir maintenant.
L'esprit des lois, l'esprit de la République, nous le connaissons, je crois,
car c'est notre devoir permanent. Mais - et je rejoins là ce qu'a dit mon
excellent collègue M. Raffarin - nous devons aussi défendre l'esprit de la
République telle qu'elle existe aujourd'hui, c'est-à-dire la République d'en
haut et la République d'en bas.
Le Sénat a une particularité, que le Premier ministre, ne l'ayant pas très
bien comprise, a appelé une « anomalie de la démocratie ».
M. Joseph Ostermann.
Eh oui !
M. Louis de Broissia.
Je revendique, nous revendiquons tous d'être des anomalies quotidiennes de la
démocratie
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants),
car nous sommes en permanence l'incarnation
tant de l'esprit que des racines locales de la Constitution.
Mes chers collègues, nous voterons différemment les textes, mais nous aurons à
coeur, lorsque nous soutiendrons nos amendements - c'est en tout cas ce que je
propose au nom du groupe du Rassemblement pour la République -, de défendre
l'esprit gaullien de la Constitution de la Ve République et de ne pas oublier
de nous référer à l'esprit de la République telle que la souhaitent nos
concitoyens, cette République que nous appliquerons les 11 et 18 mars, à
l'occasion des scrutins municipaux et des scrutins cantonaux, c'est-à-dire la
République d'en bas, celle de tous les jours, celle qui assure la vie de nos
quartiers et de nos villages, celle qui assure, aux côtés des ministres et du
Gouvernement, la sécurité de nos concitoyens, l'avenir des personnes âgées,
l'insertion des jeunes.
C'est dans cet esprit, mes chers collègues, faisant se rejoindre l'esprit de
la République d'aujourd'hui et celui que le général de Gaulle souhaitait et a
concrètement incarné, que je vous invite à supprimer l'article 2.
(Très bien
! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard, pour défendre l'amendement n° 8.
M. Patrice Gélard.
M. Louis de Broissia vient de parler de l'esprit de la Constitution ;
j'évoquerai, quant à moi, la lettre de la Constitution.
Si je souhaite la suppression de l'article 2, c'est parce que je l'estime
contraire à certains articles de la Constitution. On a déjà dit et répété que
l'article 12 n'est pas compatible avec cette inversion du calendrier ; mais,
pour moi, il y a plus grave, avec la théorie du mandat : le député est le
représentant du peuple ; il est le mandataire, investi d'un mandat pour une
période déterminée. On ne peut pas, de la seule volonté du mandataire, modifier
la durée du mandat : c'est une règle élémentaire de droit et un principe qui
vaut depuis la République romaine !
Monsieur le ministre, ainsi que je vous l'ai déjà dit, j'aurais été favorable
à la prolongation du mandat des députés si nous avions été saisis d'un projet
de loi, soumis ensuite à référendum.
M. Serge Vinçon.
Exactement !
M. Patrice Gélard.
En effet, dans ce cas, l'équilibre était rétabli : le mandant acceptait de
prolonger son mandat de deux mois et, à ce moment-là, il n'y avait plus de
problème.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Le peuple souverain,
comprenant la nécessité d'inverser le calendrier, aurait prolongé en
l'occurrence de deux mois le mandat des députés de façon que l'élection
présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Mais la procédure de la proposition de loi ayant été adoptée et le recours au
référendum ayant été, de ce fait, interdit, on a, en réalité, détourné la
Constitution. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé cet amendement n° 8,
tendant à la suppression de l'article 2.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fournier, pour défendre l'amendement n° 27.
M. Bernard Fournier.
Le Gouvernement n'a pas souhaité procéder à l'inscription du texte modifiant
l'ordre des élections législatives et de l'élection présidentielle plus avant
dans la mandature. Je pense qu'il est aujourd'hui trop tard pour légiférer sur
ce point.
Si M. Jospin, ainsi que sa majorité, avait réellement souhaité modifier le
rythme électoral, il aurait dû le faire immédiatement après son accession au
Gouvernement, en 1997. Cela aurait permis d'éluder les suspicions de
manipulation qui pouvaient planer sur ce qu'il est convenu d'appeler « la
manoeuvre ».
Intervenir aujourd'hui dans cette matière est donc, d'une part, maladroit et,
d'autre part, inopportun. Le faire en outre par une proposition de loi revient
à dire : « ce n'est pas moi qui décide, je n'y suis pour rien, ce sont les
députés qui ont entière latitude pour légiférer et qui prennent l'initiative
».
D'accord ! Le Sénat veut bien, dans un instant de naïveté, vous croire.
(M.
Hamel s'exclame.)
Mais qui a déclaré l'urgence sur ce texte ? Les députés ?
Certes non ! C'est bien le Gouvernement, de sorte que ce texte est non pas un
texte d'initiative parlementaire, mais bel et bien un projet de loi dissimulé
sous le pagne d'une proposition de loi.
Un sénateur du RPR.
Eh oui !
M. Bernard Fournier.
Les électeurs apprécieront ; quant aux parlementaires, ils l'ont déjà fait
!
Au fond, il est de tradition républicaine constante - cela a déjà été fort
bien dit à plusieurs reprises - que l'on ne modifie pas la loi électorale dans
l'année précédant le scrutin. A ce propos, s'agit-il d'une année pleine ou
d'une année civile ? La décence et l'honnêteté politique conduisent à
considérer qu'il s'agit d'une année civile.
Par ailleurs, s'agit-il d'une année à compter de la date du dépôt du texte sur
le bureau des assemblées ou à compter de la date à laquelle le vote doit
effectivement intervenir ? La question reste posée. Pour ma part, je considère
qu'un gouvernement si soucieux de respecter le Parlement doit nécessairement
prendre en compte les délais dans lesquels travaillent les députés et les
sénateurs. Dès lors, il doit renoncer à modifier la loi électorale s'il
s'aperçoit que le texte ne sera pas adopté dans des délais convenables, de
façon à ne laisser aucune place à la suspicion de manipulation.
Le texte sur lequel nous nous penchons depuis quelque temps ne sera pas, en
tout état de cause, voté avant mars ou avril 2001.
Les élections présidentielles auront lieu en avril et en mai 2002. Le délai
est naturellement trop court ; le Gouvernement lui-même le sait, de sorte que
cet article 2 n'est nullement acceptable puisqu'il touche à un scrutin se
déroulant dans les douze mois suivant sa promulgation.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous demande
de voter la suppression de cet article.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées du RPR.)
M. le président.
L'amendement n° 29 rectifié est-il soutenu ?...
La parole est à M. Raffarin, pour défendre l'amendement n° 25 rectifié.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Au fond, nous sommes nombreux ici à trouver profondément choquant, du point de
vue tant du droit constitutionnel que de l'éthique, qu'une assemblée décide
elle-même de prolonger son mandat : il faudrait au moins qu'elle demande au
Gouvernement de le faire à sa place !
Par conséquent, nous proposons que l'inversion du calendrier s'applique aux
députés qui seront élus en mars 2002, et non aux députés élus en juin 1997, la
partie présidentielle étant, aujourd'hui, déjà engagée.
M. Serge Vinçon.
Tout à fait !
M. Louis de Broissia.
Ça, c'est clair !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Tous les jours, nos journaux regorgent d'articles commentant cette élection
présidentielle. On a même vu récemment le Premier ministre, lors d'un voyage à
la Réunion, répondre avant même que le Président ne se soit exprimé ! Voilà
bien le signe d'une vigilance qui prouve que la partie est engagée.
Va-t-on changer les règles de la partie pendant le match ?
M. Paul Blanc.
Non !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Ce n'est pas convenable ! Nous considérons donc comme très important que la
modification, si elle doit intervenir, s'applique à une échéance ultérieure.
Je reconnais que l'amendement n° 25 rectifié a le même objectif que
l'amendement n° 2, proposé par M. le rapporteur. Je le maintiens néanmoins
jusqu'à ce que nous en débattions et que la commission émette son avis.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 5 rectifié, 8, 27 et
25 rectifié ?
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
La commission a bien évidemment émis un avis favorable sur
l'amendement n° 5 rectifié de M. de Broissia. Il en va de même pour
l'amendement n° 8, présenté par M. Gélard. Notre collègue a souligné à quel
point la situation pouvait être inédite dans la mesure où lorsque, par deux
fois sous la IIIe République, la durée du mandat d'une assemblée - en
l'occurrence la Chambre des députés, puisque tel était son nom à l'époque - a
été prolongée, cette prolongation a été décidée à la demande expresse du
Président de la République et du Sénat. La Chambre des députés n'avait pas
d'elle-même prolongé la durée de son mandat.
Sur l'amendement n° 27 de M. Fournier, la commission a bien évidemment émis un
avis favorable.
Quant à l'amendement n° 29 rectifié, qui a été défendu avec son talent et sa
fougue habituels par M. Raffarin, la commission invite son auteur à le retirer,
l'amendement n'étant pas compatible avec la position adoptée à l'article 1er
par la Haute Assemblée.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 2, 5 rectifié, 8, 27
et 25 rectifié ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je n'avais sûrement pas besoin de toutes ces explications pour me
faire une opinion ; néanmoins, je pense qu'elles ont contribué à me
convaincre... du bien-fondé de la démarche de l'Assemblée nationale...
M. Emmanuel Hamel.
Oh, monsieur le ministre !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... et du fait qu'en conséquence le Gouvernement
ne peut émettre qu'un avis défavorable sur les amendements proposés.
M. Paul Blanc.
Quel dommage !
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 2, 5 rectifié, 8 et
27.
M. Louis de Broissia.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le ministre, après avoir entendu votre intervention, je suis quelque
peu déçu de constater que vous avez comme seule référence l'Assemblée
nationale, puisque vous venez d'indiquer que vous vous rangez à son avis.
Dois-je vous rappeler que l'esprit comme la lettre de la Constitution, qu'à
défendus très brillamment Patrice Gélard, s'incarnent au Sénat, quoi qu'ait pu
en dire le chef du Gouvernement ?
Nous maintenons, bien sûr, notre amendement, identique à celui de la
commission, estimant, ce faisant, répondre à l'attente de nos concitoyens.
Tout à l'heure, M. Jean Arthuis a évoqué une éventuelle coïncidence entre
élections municipales et cantonales. A un moment donné, les municipales se
déroulaient deux dimanches de suite, et tous les conseillers généraux étaient
élus le même jour pour six ans. On a eu une valse-hésitation que j'estime
regrettable, qui a brouillé l'image même de nos institutions, tant il est vrai
qu'on ne parle que des élections municipales. J'ai même entendu le Président de
la République, voilà quelques jours, n'évoquer que les élections municipales,
oubliant qu'il y avait aussi des cantonales.
C'est à nous, législateurs, de dire comment nous voulons modifier le
calendrier des élections municipales, cantonales, régionales. Pour ce qui
concerne les élections européennes, il va de soi qu'il s'agit d'un mandat qui
va au-delà du mandat national et qu'il est donc important que ce soit nous,
députés et sénateurs, qui fixions les échéances.
Pour ce qui concerne les députés, puisque c'est la référence de M. le
ministre, est-il logique qu'ils proposent eux-mêmes la prorogation de leur
mandat ?
Monsieur le ministre, imaginez-vous un conseil municipal comme celui de ma
commune de 114 habitants proposer de se reconduire quinze jours de plus ? Cela
provoquerait un tollé.
N'oublions pas que la République d'en haut, celle dans laquelle nous sommes,
Gouvernement comme Parlement, perd un peu la tête. Au Sénat, nous estimons
faire des réflexions de bon sens, celles que nos concitoyens nous font tous les
jours.
Il n'est pas logique qu'une assemblée puisse proroger son propre mandat. C'est
la raison pour laquelle nous voterons la suppression de l'article 2.
M. Bernard Fournier.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qui me
semble le plus honteux, en l'espèce, c'est l'absence de consensus sur la
réforme tant au sein de la représentation nationale qu'à l'intérieur même de la
majorité gouvernementale.
Pour le bon équilibre de nos institutions, il faut un consensus national sur
les réformes constitutionnelles et électorales, consensus sans lequel les
majorités successives pourraient faire et défaire les réformes les unes après
les autres.
Chez tous nos partenaires européens, il n'y a jamais de réforme électorale
sans consensus national. Je regrette qu'en France, comme chaque fois, les
réformes soient faites par un camp exclusivement au détriment de l'autre.
Dans bien des pays, le code électoral est annexé à la Constitution. Il me
semble qu'il faudra, un jour, recourir à ce procédé pour éviter les réformes de
convenance.
Si le code électoral était annexé à la Constitution, ce type de réforme ne
pourrait voir le jour sans la majorité des deux tiers au Congrès ou sans
l'accord explicite du peuple par la voie du référendum.
A la vue des successives et importantes réformes du code électoral proposées
par le gouvernement de Lionel Jospin - cumul des mandats, parité, élection des
sénateurs et maintenant inversion du calendrier - sans compter toutes celles
qui sont en attente d'examen, comme le vote des étrangers, il me semble qu'il
faudrait définitivement recourir à l'annexion du code électoral à la
Constitution, afin de limiter les réformes de convenance.
Cette fois, la réforme est encore moins consensuelle que les précédentes ;
seuls trois des cinq partis de la majorité y étaient favorables et, sans
l'appoint de quelques élus de l'opposition, elle n'aurait jamais pu être
adoptée à l'Assemblée nationale. Il ne me semble pas que ce soit là la
meilleure approche pour faire passer des changements institutionnels si
importants !
Ainsi, dès l'annonce de la réforme, les communistes ont fait savoir qu'ils
estimaient « le projet d'inverser le calendrier électoral dangereux pour la
démocratie ». Cette accusation n'est pas mince, surtout lorsqu'elle vient du
partenaire privilégié des socialistes au Gouvernement. Sans doute ces derniers
auraient-ils dû l'écouter avec plus d'attention.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, le 19 décembre dernier, l'orateur
communiste, Robert Hue, déclarait d'ailleurs que « le parti communiste avait
affirmé d'emblée son opposition à l'inversion du calendrier ». Belle preuve de
recherche de consensus du Premier ministre, qui fait donc fi des observations
de ses partenaires !
Et le secrétaire national du parti communiste de continuer : « Je récuse
l'idée que l'inversion du calendrier électoral serait commandée par des raisons
de cohérence ou, plus exactement, je récuse cette prétendue cohérence
elle-même. Car de quoi s'agit-il ? De faire de l'élection du Président de la
République un scrutin hégémonique, tandis que, par le même mouvement,
l'élection des députés deviendrait une formalité subalterne. » Voilà pour les
communistes !
Mais les Verts, l'autre formation phare de la majorité plurielle, semblaient,
eux aussi, en délicatesse avec la proposition de loi organique.
Effectivement, les Verts se sont divisés, fidèles à leur tactique du
donnant-donnant. Ceux-ci ont en effet estimé qu'une « inversion du calendrier
ne pourrait se faire que dans le cadre d'un paquet ». La couleur, verte, est
annoncée : les écologistes accepteront la réforme contre l'instillation d'une
dose de proportionnelle pour les prochaines élections législatives. Le Premier
ministre tardant à la promettre, les Verts se sont divisés entre partisans du
chèque en blanc et ceux qui souhaitaient obtenir la proportionnelle avant de
voter l'inversion.
Dominique Voynet elle-même a déclaré : « On m'explique aujourd'hui qu'on ne
change pas la règle du jeu à un an des élections pour expliquer le refus
d'introduire une dose de proportionnelle. Pourquoi la changer pour ce qui est
du calendrier électoral ? »
Est-ce cela le consensus dont parlait Lionel Jospin en tant que préalable à
toute réforme ?
J'ai le sentiment très fort qu'il se passe la même chose que pour la Corse :
le préalable devait être l'arrêt des violences ; malheureusement, nous
l'attendons toujours !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
J'ai plus particulièrement retenu de l'intervention de notre collègue Bernard
Fournier la référence à ce qui se passe dans d'autres pays de l'Union
européenne, notamment quant à la recherche du consensus national pour modifier
les lois électorales. La modification des lois électorales nécessite en effet
un consensus.
Mais nous savons bien, monsieur le ministre - vous êtes ministre de
l'intérieur, vous connaissez les collectivités locales - ce que présuppose ce
consensus.
Hier, en Poitou-Charentes, le conseil économique et social a adopté à
l'unanimité, donc CGT comprise, la régionalisation du ferroviaire au vu d'un
rapport que j'avais présenté. Pourquoi y a-t-il eu unanimité, du patronat à la
CGT ? Parce que c'était l'aboutissement de dix-huit mois de travail.
Si nous avons été les premiers à signer notre contrat de plan, c'est parce que
nous avions voté un projet régional ; il y a eu cinquante-trois voix pour et
seulement deux voix contre, celles du Front national.
Quand on recherche le consensus, quand on recherche la cohérence, il faut
prendre le temps. On ne peut pas arriver à une véritable cohérence nationale si
l'on continue à bousculer ainsi le calendrier des élections en pleine période
électorale.
Je vous le dis avec conviction, monsieur le ministre, notre démocratie est en
danger. Nous voyons les électeurs ne plus remplir leur devoir électoral. Nous
voyons les jeunes s'éloigner de l'engagement politique. La politique est
souvent vue comme une démarche distante, lointaine, qui ignore les
préoccupations immédiates des citoyens.
Dans cette affaire, ce qu'on retiendra, c'est une volonté de régler entre
politiciens les choses de la politique. Cela provoque de profonds rejets. Il
faut donc abandonner ce type de démarche et poser les problèmes qui intéressent
vraiment les Français.
J'approuve tout à fait la position de notre rapporteur. Je voterai donc
l'amendement de la commission, car, en supprimant l'article 2, on fait en sorte
que le débat puisse avoir lieu, mais qu'il ne concerne pas la situation
présente.
Monsieur le ministre, les temps que nous vivons semblent paisibles, heureux,
et ce grâce à la croissance, mais la satisfaction apparente cache, en
profondeur, dans quantité de professions, dans nombre de catégories sociales,
bien des grognes, bien des inquiétudes.
Souvenez-vous de ces mots de Hegel : « L'oiseau de Minerve s'envole au
crépuscule ». Prenez garde que la sagesse ne s'envole pas trop tard !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Après tout, on peut parfaitement comprendre que le candidat à telle ou telle
élection estime que le calendrier prévu n'est pas bon pour lui. Je me mets dans
la peau d'un candidat à l'élection présidentielle qui préférerait telle date
plutôt que telle autre.
Mais, alors, il faut avoir le même état d'esprit que lors d'une compétition
sportive. Un prétendant à une médaille olympique va-t-il demander que l'on
modifie les règles parce que son oncle ou sa tante siège au Comité olympique
international, de façon qu'elles lui soient plus favorables qu'aux autres
concurrents ? Non !
Mais ce qui m'inquiète le plus, monsieur le ministre, c'est qu'en réalité les
pratiques de manipulation électorale avant les élections, on connaît : elles
ont eu lieu dans un certain nombre de pays, où elles ont précédé la mise en
place de régimes autoritaires ou totalitaires.
Je sais bien que ce ne sont pas là vos intentions, monsieur le ministre. Mais
le fait de ne pas respecter les règles de droit, le fait de se servir soi-même,
cela pourra, un jour, donner des idées. Sous prétexte que la date des élections
ne lui convient pas, un parlement décidera de proroger son mandat de tant ou
tant de mois. Et tout cela parce qu'il y aura eu un précédent !
Où est alors la démocratie ? Une démocratie où il n'y a plus de règles du jeu
claires, permanentes, stables, n'est plus une démocratie. Or, c'est ce vers
quoi on s'engage peu à peu.
Ce que nos concitoyens attendent, c'est que le jeu politique soit transparent,
sans arrière-pensées, sans manipulation.
Tous ceux qui veulent utiliser les outils du droit électoral à des fins
personnelles se trompent, et l'électeur, j'en suis convaincu, leur donnera
tort.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Arthuis.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Par cohérence avec son vote précédent, la majorité des membres du groupe de
l'Union centriste votera contre les amendements de suppression.
C'est conforme à la position que j'ai exprimée lors de la discussion du projet
de loi portant réforme constitutionnelle ramenant la durée du mandat
présidentiel de sept à cinq ans. Je l'ai dit à la tribune du Sénat au mois de
juin de l'an 2000, et j'ai précisé notre position au début de la discussion
générale du présent texte.
A ce stade de notre débat, je veux simplement faire deux observations.
D'abord, je récuse l'idée d'une « République du bas » et d'une « République du
haut ». La République est une et indivisible. Veillons à ce qu'il n'y ait pas
la République virtuelle et la République réelle. En effet, la distanciation de
nos concitoyens par rapport à nos pratiques politiques vient souvent de ce que
nous nous livrons à des gesticulations et de ce qu'ils ont le sentiment que la
loi est devenue un élément de communication beaucoup plus qu'un élément
normatif.
Quel que soit l'équilibre des institutions, je plaide pour que le Parlement se
saisisse de toutes ses prérogatives en matière de contrôle. A partir de ce
moment-là, les choses changeront et nous serons en situation de réformer
l'Etat.
Ma seconde observation a trait à l'organisation des élections et au
consensus.
Mes chers collègues, il y a des limites au consensus ! J'ai encore à l'esprit
le quinquennat, et le consensus qui l'entourait, un « large consensus ». Mais,
au jour dit, nos concitoyens n'ont pas suivi. Certain ont même eu le sentiment
qu'il y avait eu une sorte d'arrangement dont ils avaient été exclus, alors que
nous étions au coeur du débat sur les institutions.
Mon groupe, dans sa majorité, s'opposera donc aux amendements de suppressions
de l'article 2.
(Applaudissements sur certaines travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 2, 5 rectifié, 8 et 27.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du
Rassemblement pour la République.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 219 |
Nombre de suffrages exprimés | 210 |
Majorité absolue des suffrages | 106 |
Pour l'adoption | 170 |
Contre | 40 |
En conséquence, l'article 2 est supprimé et l'amendement n° 25 rectifié n'a plus d'objet.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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