SEANCE DU 6 FEVRIER 2001


M. le président. Par amendement n° 23, M. de Raincourt et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« En cas de report de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, la session parlementaire ne peut plus être interrompue à compter de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale initialement prévue. »
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Cet amendement concerne la prolongation - encore éventuelle - des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Au fond, nous nous interrogeons sur l'image qu'une telle opération peut donner de la vie politique : voilà en effet une assemblée qui, de son propre chef, décide de jouer les prolongations, le tout sur fond de manoeuvre politique, et alors que le Parlement trouverait certainement à s'occuper plus utilement en débattant des problèmes qui préoccupent vraiment les Français.
Mais, au-delà de la prolongation du mandat de l'Assemblée nationale par elle-même, cette opération pourrait avoir d'autres conséquences susceptibles de nuire à l'image de la politique dans notre pays. En effet, que dira-t-on si, une fois que le mandat de l'Assemblée nationale aura été prolongé, celle-ci se met en vacances parce qu'une autre élection se prépare ?
Que dire d'une assemblée qui prolonge son mandat et qui ne travaille pas ? L'opinion ne peut qu'être amenée à penser que la prolongation obéit à d'autres motivations !
Tel est donc le sens de cet amendement : si prolongation il doit y avoir - ce qu'à Dieu ne plaise ! -, qu'au moins ce soit pour travailler ! (Rires et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Henri de Raincourt. Excellent !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cet amendement, que M. Raffarin vient de défendre avec beaucoup d'esprit, a pour but de prémunir notre démocratie contre des modifications de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale qui pourraient être des modifications de pure convenance.
Il prévoit en effet que, en cas de report de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, le Parlement doit siéger de manière continue entre la date initialement prévue et la nouvelle date. Cela signifie que la décision de reporter la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ne pourrait être justifiée que par des motifs sérieux, impérieux, tels que le travail de l'assemblée sortante ne puisse être interrompu à la date initialement prévue. Autrement dit, on ne pourrait pas décider de prolonger les pouvoirs de l'Assemblée nationale pour des motifs futiles.
La commission des lois comprend bien l'intention des auteurs de cet amendement. Mais je ferai une première objection : dès lors que nous refusons le report, nous sommes « condamnés » à prier les auteurs de l'amendement d'en envisager le retrait. Nous nous demandons d'ailleurs comment les députés pourraient à la fois siéger et mener une campagne électorale. Toutefois, c'est là un point relativement accessoire.
Il est une deuxième objection, plus fondamentale. La Constitution, sur laquelle une loi organique ne saurait prévaloir, dispose que les assemblées fixent les semaines au cours desquelles elles siègent. Or cet amendement va à l'encontre de cette règle.
Une dérogation à la Constitution prévue par une loi organique ne paraissant pas possible, la commission a estimé souhaitable que les auteurs de cet amendement en envisagent le retrait.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Monsieur Raffarin, l'amendement n° 23 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Pas plus que mon collègue Louis de Broissia, je ne suis doyen de faculté de droit ! (Sourires.) N'ayant pas de compétences juridiques particulières, je suis bien obligé de tenir compte de ce que nous disent nos maîtres sur ces questions. Je suis donc enclin à me plier au souhait de M. le rapporteur.
Il nous paraissait cependant important de souligner que, en fin de compte, le Gouvernement permet à l'Assemblée nationale de prolonger ses pouvoirs pour partir en vacances, pour faire campagne. Voilà donc ce qui va se passer ! On voit en quelque sorte apparaître là une notion de « services extérieurs de l'Assemblée nationale ». C'est là une conception du travail parlementaire qui est quand même quelque peu discutable !
Cela étant, puisque cet amendement apparaît aussi comme discutable sur le plan juridique, il n'y a pas lieu de le maintenir.
M. le président. L'amendement n° 23 est retiré.
Par amendement n° 24, M. de Raincourt et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Nonobstant les règles posées par le code électoral pour la fixation des dates des élections, lorsque deux élections doivent être organisées au cours d'une période de trois mois, les élections les plus localisées sont organisées les premières. »
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Il s'agit d'un amendement de fond.
On a souvent entendu, dans ce débat, que l'élection présidentielle devait être la première parce qu'elle est la plus importante.
M. Jean-Jacques Hyest. Quelle est la plus importante ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Oui, quelle est la plus importante ? C'est une vraie question, notamment dans ce pays. Est-ce que, au fond, dans cette République d'en haut, il ne faudrait pas donner du poids à tous les processus, à toutes les décisions d'en bas ? Ne faudrait-il pas que, de temps en temps, la République d'en bas puisse se faire entendre ?
M. Pierre Fauchon. Ecoutez la base !
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est cette question très importante que nous entendons soulever à travers cet amendement. Pourquoi, lorsque deux échéances électorales se présentent, celle qui a le moins de légitimité en termes d'extension géographique devrait être systématiquement la seconde ?
Moi, je fais partie de ceux qui pensent que, dans un pays qui doute de la politique, dans un pays qui a tant besoin de conforter la participation électorale et la participation démocratique, si, dans une même période de trois mois, deux échéances se présentent, la priorité dans le calendrier doit être donnée à celle dont l'influence locale est la plus grande, dans la mesure où il s'agit de désigner les élus les plus proches du citoyen.
C'est un raisonnement qui mérite d'être entendu, et c'est pourquoi nous avons déposé cet amendement. On raisonne toujours à partir d'en haut. Et si l'on raisonnait à partir du citoyen ?... Plus l'élection est proche du citoyen, plus elle doit être avancée dans le calendrier.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cet amendement est sous-tendu par une ambiton qui n'est pas mince puisqu'il ne s'agit de rien de moins que de régler définitivement tous les problèmes d'organisation des consultations électorales à intervalles rapprochés.
M. Raffarin aurait pu ajouter que c'est souvent aux élections municipales que le pourcentage de votants est le plus important.
La solution qu'il propose permettrait, pour l'avenir, d'éviter au législateur de modifier les dates de certaines élections de manière qu'elles n'interfèrent pas avec d'autres consultations.
Le choix d'organiser d'abord l'élection la plus localisée paraît justifié. Le Président de la République est souvent qualifié de « clef de voûte », mais j'ai toujours entendu dire que la clef de voûte était l'élément que l'on plaçait en dernier, pour couronner un édifice ; ce qui vient en premier, ce sont les fondations.
L'inconvénient de l'amendement est de faire disparaître toutes les règles qui encadrent ajourd'hui le pouvoir du Gouvernement de fixer les dates des élections et de modifier considérablement - en profondeur, dirait M. Raffarin (Sourires) - le code électoral.
Il a le mérite d'attirer l'attention sur le fait qu'il conviendrait que nous réexaminions, comme le souhaitait M. Didier Maus, pourtant favorable à l'inversion du calendrier électoral, l'ensemble de cette affaire, d'autant que, comme il l'a souligné, le calendrier électoral s'est enrichi depuis les débuts de la Ve République de trois nouveaux scrutins : le scrutin présidentiel au suffrage universel, les élections européennes et les élections régionales.
En réalité, la commission aimerait poser une question à M. Raffarin : laquelle est la plus localisée des deux élections qui concernent l'ensemble du territoire, c'est-à-dire l'élection du Président de la République et l'élection de nos représentants au Parlement européen ?
Sur cet amendement, pour reprendre une expression d'un maître en matière de terminologie, d'amendement et de sous-amendement - je veux parler de l'auteur de la loi qui permet de distinguer les délits intentionnels des délits non intentionnels -...
M. Henri de Raincourt. M. Fauchon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... la commission a émis un avis de sagesse perplexe. (Sourires.)
M. le président. Monsieur Raffarin, pouvez-vous apporter à M. le rapporteur les lumières qu'il a sollicitées de vous ?
M. Jean-Pierre Raffarin. La perplexité est aussi mienne ! Je ne m'étais pas rendu compte de l'ambition d'un tel amendement. Ebranler, et en trois lignes, les règles qui encadrent le pouvoir du Gouvernement de fixer les dates des élections, en effet, c'est ambitieux !
Je me plierai volontiers au souhait du rapporteur de me voir retirer cet amendement. Mais je veux essayer de répondre à sa question.
Force est de constater que les élections européennes, qui aujourd'hui ne sont pas localisées, n'ont pas de consistance. Voilà un vrai sujet de réflexion ! D'ailleurs, je me souviens que, avec Michel Barnier et de très nombreux collègues, nous avions déposé une proposition de loi dont l'objet était précisément de localiser les élections européennes. Nous avions proposé de les localiser selon un cadre interrégional : l'Atlantique, par exemple. Si nous avions été suivis, il eût été facile d'inclure les élections européennes dans une hiérarchie fondée sur la localisation et qui verrait se succéder les échelons dans l'ordre suivant : élections municipales, puis élections cantonales, puis élections départementales, puis élections régionales, puis élections interrégionales et enfin élections nationales.
Cela rejoint d'ailleurs une préoccupation exprimée tout à l'heure par M. Vial, qui a souhaité que des journées nationales soient organisées pour les élections nationales et que les élections locales soient regroupées.
Je comprends bien que cet amendement ne peut trouver sa place dans le présent texte, mais il permet d'apercevoir tous les sujets très importants qui se profilent derrière ces deux articles. On nous présente ce texte comme banal, évident, mais il apparaît clairement que, en vérité, ce sont des problèmes fondamentaux qui se trouvent soulevés.
Vous avez vous-même montré, monsieur le rapporteur, que, derrière les quelques lignes que nous soumettions au Sénat, il y avait des ambitions dépassant le cadre de l'action d'un modeste sénateur. (Sourires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. Dois-je en déduire que la modestie amène au retrait ?
M. Jean-Pierre Raffarin. En effet, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 24 est retiré.
M. Jean Arthuis. Je le reprends, monsieur le président !
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 24 rectifié.
La parole est à M. Arthuis, pour le défendre.
M. Jean Arthuis. Si j'ai repris cet amendement, c'est parce que je souhaitais poser une question à M. Raffarin et que ses dernières observations m'incitent à lui en poser une seconde. Sa décision me privait de la possibilité de le faire. Or nous sommes là au coeur d'un débat fondamental, et je salue d'ailleurs la richesse de son inspiration !
M. Jean-Pierre Vial. Impressionnante !
M. Jean Arthuis. Ma première question concerne la période de trois mois, lorsque les élections cantonales et les élections municipales sont concomitantes. Peut-on considérer qu'il y a une plus grande proximité, une plus forte localisation pour les élections municipales que pour les élections cantonales, auquel cas il faudrait disjoindre les deux scrutins ?
Ma deuxième question concerne l'Europe : le critère de localisation réside-t-il dans la circonscription électorale ou dans l'institution au sein de laquelle on entend siéger ?
M. le président. Alors, monsieur le rapporteur, penchez-vous pour une « sagesse perplexe » ou un avis défavorable ?...
M. Christian Bonnet, rapporteur. A vrai dire, je souhaite le retrait de l'amendement, car cela correspondrait davantage - ce n'est pas M. Fauchon qui me démentira - à l'« esprit » du débat que nous avons eu en commission.
M. Pierre Fauchon. Il est plus sûr de parler de cet « esprit » que de celui de la Constitution de la Ve République !
M. le président. Monsieur Arthuis, l'amendement n° 24 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean Arthuis. Je vais le retirer. Auparavant, je souhaiterais que M. Raffarin puisse préciser l'interprétation qu'il donne de la localisation.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Les questions que pose M. Arthuis sont graves et lourdes de conséquence.
A la première, je répondrai avec prudence, parce que je ne voudrais pas que le débat entre M. Arthuis et moi puisse être exploité par le Gouvernement. Si M. Arthuis soulève avec raison la question de la distinction entre la commune et le canton, on voit bien que les débats au sein de la commission Mauroy conduisent à des remises en cause du canton.
Parfois le canton est plus grand que la commune, parfois il est plus petit, mais je ne m'exprimerai pas plus longuement sur le sujet, par crainte de rendre service aux socialistes et de fragiliser le canton ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.) Or, moi je suis favorable à l'enracinement et j'estime que plus un élu est proche d'un territoire, moins il fait de bêtises !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cela est bien vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin. Quant à la deuxième question de M. Arthuis sur l'Europe, c'est celle du poids de l'institution par rapport à celui de la circonscription.
Au fond, nous parlons ici de la demande et de l'offre politique : il faut inventer une nouvelle gouvernance qui parte plus souvent d'en bas et un peu moins d'en haut, plus souvent de la demande que de l'offre. Le débat est trop technique pour être traité aujourd'hui, mais, en l'abordant, je voulais vous montrer, monsieur le ministre, que derrière les quelques lignes de l'amendement se cachent de nombreuses questions qui préoccupent les élus. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean Arthuis. Je retire l'amendement n° 24 rectifié, monsieur le président. Il y a beaucoup de questions et, derrière elles, encore plus de réponses !
M. le président. L'amendement n° 24 rectifié est retiré.

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