SEANCE DU 9 JANVIER 2001
M. le président.
« Art. 2. - I. - Il est inséré, après l'article L. 122-45 du code du travail,
un article L. 122-45-1 ainsi rédigé :
«
Art. L. 122-45-1
. - Les organisations syndicales représentatives au
plan national, départemental, pour ce qui concerne les départements
d'outre-mer, ou dans l'entreprise peuvent exercer en justice toutes actions qui
naissent de l'article L. 122-5 dans les conditions prévues par celui-ci en
faveur d'un candidat à un emploi, à un stage ou une période de formation en
entreprise ou d'un salarié de l'entreprise sans avoir à justifier d'un mandat
de l'intéressé, pourvu que celui ci ait été averti par écrit et ne s'y soit pas
opposé dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle
l'organisation syndicale lui a notifié son intention. L'intéressé peut toujours
intervenir à l'instance engagée par le syndicat.
« Les associations régulièrement constituées depuis cinq ans au moins peuvent
saisir les organisations syndicales pour leur demander d'exercer en justice les
actions visées au premier alinéa. »
« I
bis.
- Il est inséré, après l'article L. 122-45 du code du travail,
un article L. 122-45-2 ainsi rédigé :
«
Art. L. 122-45-2
. - Est nul et de nul effet le licenciement d'un
salarié faisant suite à une action en justice engagée par ce salarié ou en sa
faveur sur la base des dispositions du présent code relatives aux
discriminations, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause
réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur à
raison de l'action en justice. En ce cas, la réintégration est de droit et le
salarié est regardé comme n'ayant jamais cessé d'occuper son emploi.
« Si le salarié refuse de poursuivre l'exécution du contrat de travail, le
conseil de prud'hommes lui alloue une indemnité qui ne peut être inférieure aux
salaires des six derniers mois. De plus, le salarié bénéficie également d'une
indemnité correspondant à l'indemnité de licenciement prévue par l'article L.
122-9 ou par la convention ou l'accord collectif applicable ou le contrat de
travail. Le deuxième alinéa de l'article L. 122-14-4 du présent code est
également applicable. »
« II. - Le premier alinéa de l'article L. 422-1-1 du code du travail est
complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette atteinte aux droits des personnes ou aux libertés individuelles peut
notamment résulter de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de
rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification,
de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement
de contrat, de sanction ou de licenciement. »
Par amendement n° 4, M. Souvet, au nom de la commission, propose, dans la
première phrase du premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour
l'article L. 122-45-1 du code du travail, de supprimer les mots : « dans les
conditions prévues par celui-ci ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Nous proposons, par cet amendement rédactionnel, de supprimer
les mots : « dans les conditions prévues par celui-ci », car nous estimons
qu'ils n'apportent rien.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Le Gouvernement émet un avis défavorable, monsieur le
président.
Les mots : « dans les conditions prévues par celui-ci » permettent en effet
d'expliciter l'application du mécanisme de l'aménagement des règles de la
charge de la preuve - prévu à l'article L. 122-45 pour les salariés ou les
candidats au recrutement - aux organisations syndicales qui exercent en justice
leur droit de substitution.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 5, M. Souvet, au nom de la commission, propose, après les
mots : « salarié de l'entreprise », de rédiger comme suit la fin de la première
phrase du premier alinéa du texte présenté par le I de l'article 2 pour
l'article L. 122-45-1 du code du travail : « sous réserve qu'elles justifient
d'un accord écrit de l'intéressé. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'article L. 122-45-1 prévoit la possibilité, pour une
organisation syndicale, de se substituer à un salarié victime d'une
discrimination pour ester en justice.
Le texte voté par l'Assemblée nationale prévoit que cette organisation
syndicale n'aura pas à justifier d'un mandat de l'intéressé pourvu que celui-ci
ait été averti par écrit. Contrairement à l'article L. 122-3-16 du code du
travail, qui prévoit un avertissement « par lettre recommandée avec accusé de
réception », il est par ailleurs fait référence ici à un simple avertissement «
par écrit ».
Cette disposition ne semble pas opportune, ou en tout cas elle ne ressemble
pas à l'autre, l'intérêt étant différent. Je remarque que l'article 7 de la
directive européenne du 29 juin 2000, qui semble l'avoir inspirée, prévoit
l'approbation du salarié. C'est une précaution heureuse. Le plaignant est, en
effet, le mieux à même de juger de l'opportunité des poursuites, surtout dans
des cas aussi sensibles.
En fait, le contentieux, s'il a une utilité, relève plus de la dissuasion.
C'est pourquoi il est fondamental de laisser au salarié la maîtrise des
négociations à conduire avec l'employeur, au besoin grâce au soutien d'un
syndicat, afin d'assurer le respect de ses droits. Autrement, le risque est
grand pour le salarié de se voir instrumentalisé par un syndicat conduisant une
action propre à l'encontre de l'employeur dans le cadre d'une stratégie plus
large.
Je remarque par ailleurs que l'accord écrit de l'intéressé est exigé des
organisations syndicales par l'article L. 123-6 dans le cas des actions menées
en justice sur le fondement d'un harcèlement sexuel. Il ne semble pas
illégitime, dans ces conditions, d'exiger un tel accord écrit dans les cas de
discriminations, notamment celles qui sont fondées sur des motifs racistes.
Tel est le sens de ce deuxième amendement à l'article 2.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Je suis défavorable à cet amendement.
La rédaction proposée par l'Assemblée nationale devrait être maintenue, car
elle permet un mécanisme d'action substitutif par les syndicats, avec l'accord
tacite des salariés.
Ce mécanisme existe déjà dans le code du travail en matière de licenciement
économique. Le Conseil constitutionnel l'a validé dans sa décision du 25
juillet 1989 relative à la prévention du licenciement économique et au droit à
la conversion dès lors que le salarié a été bien informé de l'action engagée
par le syndicat et que « l'intéressé a été mis à même de donner son assentiment
en pleine connaissance de cause et qu'il peut conserver la liberté de conduire
personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à l'action
».
Le syndicat, le cas échéant devant le juge, devra prouver qu'il a bien informé
le salarié par tous les modes de preuve, dont l'accusé de réception.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Roland Muzeau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Nous souhaitons marquer notre opposition la plus nette à cet amendement
présenté par la commission des affaires sociales.
La proposition de loi donne la possibilité à une organisation syndicale
représentative d'intenter une action en faveur d'une personne victime de
discrimination.
Quand on connaît le désarroi dans lequel la victime peut se trouver, il
convient de ne pas semer d'embûches sur le chemin qu'elle devra parcourir pour
recouvrer ses droits.
Le texte issu des débats à l'Assemblée nationale est clair et équilibré,
puisqu'il mentionne que les syndicats peuvent intenter une action sans avoir de
mandat de l'intéressé, à condition que celui-ci ait été averti par écrit et ne
s'y soit pas opposé dans un délai de quinze jours. Cette rédaction nous
convient parfaitement et nous ne voyons donc pas l'utilité de la modifier.
L'amendement de la commission des affaires sociales entrave l'action de la
victime et des syndicats. Nous voterons donc contre cet amendement, ainsi que
contre tous ceux qui procèdent de la même démarche.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 6, M. Souvet, au nom de la commission, propose de compléter
la dernière phrase du premier alinéa du texte présenté par le I de l'article 2
pour l'article L. 122-45-1 du code du travail par les mots : « et y mettre un
terme à tout moment. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Vous avez cité la décision du Conseil constitutionnel qui
prévoit que l'intéressé peut mettre un terme à tout moment à cette action. Vous
ne pouvez donc qu'accepter cet amendement, qui ne fait que reprendre ces termes
!
(Sourires.)
Il tend en effet à compléter la dernière phrase du texte
proposé pour le premier alinéa de l'article L. 122-45-1 du code du travail qui
prévoit que l'intéressé peut toujours intervenir à l'instance engagée par le
syndicat.
Il semble utile à votre commission de préciser que ce dernier peut également
mettre un terme à tout moment à cette action, comme le prévoit d'ailleurs
l'article L. 122-3-16 dudit code, dans le cas des ruptures du contrat de
travail. Cette précaution permet de garantir à la victime la maîtrise de
l'évolution du contentieux afin qu'il ne débouche pas sur une situation qui
serait contraire à ses intérêts et qu'il ne maîtriserait pas.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Je ne puis vous donner hélas ! satisfaction, monsieur
le rapporteur, en raison des propos que je viens de tenir au sujet de
l'amendement précédent.
En effet, l'amendement n° 6 vise à préciser qu'il peut être mis fin au mandat
donné par le salarié à l'organisation syndicale à tout moment. Mais cette
précision est superflue, car le mandat est, de par sa nature, un contrat
révocable à tout moment.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 7, M. Souvet, au nom de la commission, propose de supprimer
le dernier alinéa du texte présenté par le I de l'article 2 pour l'article L.
122-45-1 du code du travail.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission vous propose de supprimer le dernier alinéa du
texte présenté par le I de l'article 2 pour l'article L. 122-45-1 du code du
travail, qui prévoit un « droit d'alerte » permettant aux associations de
saisir les organisations syndicales pour leur demander d'ester en jugement à
l'encontre d'auteurs de discrimination.
Cette disposition s'inspire de l'article L. 341-6-3 du code du travail, qui
prévoit un dispositif identique au regard des infractions relatives à l'emploi
de la main-d'oeuvre étrangère.
Là encore, il s'agit d'une disposition inopportune qui conforte le pouvoir de
substitution d'un syndicat à la victime, ce pouvoir pouvant d'ailleurs, selon
l'Assemblée nationale, s'exercer sans l'accord de la victime.
Cette rédaction fait référence aux associations constituées depuis plus de
cinq ans sans que l'on comprenne, là encore, le sens de cette ancienneté. En
effet, pourquoi cinq ans ? Pourquoi pas quatre ou six ? J'aimerais bien savoir
!
On remarque ensuite que le texte voté par l'Assemblée nationale fait référence
aux « associations », alors que l'article L. 341-6-3 mentionne les «
associations pour la lutte contre les discriminations », ce qui est plus
précis.
Plus généralement, on peut rappeler que rien n'empêche une association de
saisir un syndicat d'une discrimination qu'elle aurait constatée. Cette
disposition n'a donc pas de véritable portée législative et constitue surtout
une « mesure d'affichage ».
Votre commission observe que la véritable novation aurait consisté à
reconnaître aux associations le droit de saisir directement la justice, sans
passer par les syndicats. Cette possibilité était d'ailleurs reconnue par
l'article 7 de la directive du 29 juin 2000. La solution retenue constitue donc
un compromis ambigu qui ne garantit pas les droits et la liberté d'action des
salariés.
Dans ces conditions, votre commission vous propose de supprimer cette
disposition, qui ne lui semble pas souhaitable dans le cadre d'une procédure
juridictionnelle.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Avis défavorable.
Monsieur le rapporteur, j'étais presque d'accord avec vous lorsque vous
évoquiez la notion de compromis...
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Faisons chacun un petit pas !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
... mais pas un compromis ambigu ! Il est tout à fait
symbolique !
Ces dernières années notamment, un travail extrêmement important a été
accompli par des associations pour essayer de lutter contre les actes de
discrimination à l'embauche, dans le logement, dans les loisirs. Cette
disposition a le mérite de mettre en relief les rôles respectifs des
associations et des syndicats dans la lutte contre les discriminations.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Je suis entièrement d'accord avec la proposition de suppression de la
commission car, dans ce domaine aussi, des risques de dérive existent. Il ne
fait pas de doute que ces associations, non précisées, pourraient en quelque
sorte jouer un rôle d'aiguillon politique. Cela n'est pas une politique
législative très saine !
M. le rapporteur a parfaitement montré que des associations qui ont vocation à
lutter contre les discriminations ont déjà les moyens de se manifester. De
plus, permettre à n'importe quelle association de s'insérer dans le dispositif,
c'est méconnaître un des grands principes du droit français, à savoir : pas
d'intérêt, pas d'action.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3