SEANCE DU 21 DECEMBRE 2000
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Cabanel pour explication de vote.
M. Guy-Pierre Cabanel.
Tout d'abord, madame le garde des sceaux je vous prie de m'excuser, puisque
vous avez trouvé que mes propos étaient un peu vifs. Mais je dois dire que ma
déception est très grande car, au Sénat, nous nous sommes beaucoup investis à
l'occasion de la discussion du texte qui est devenu la loi du 15 juin 2000.
Nous souhaitions l'appel des décisions des jury d'assises. Nous estimions
qu'il était de l'honneur de la France d'avoir cette double juridiction et ce
double jugement. Nous avions souhaité tout une série de mesures, et nous nous
sommes entendus avec votre prédécesseur, Mme Guigou. Pour nous, était très
important.
Cette date du 1er janvier 2001 a été arrêtée. Peut-être l'avons-nous votée en
toute inconscience, mais les services ne pouvaient ignorer que le nombre de
greffiers à recruter devait figurer dans une loi de finances antérieure et que,
du fait de la durée des formations, il ne fallait pas forcément exclure d'avoir
recours à des vacataires.
Accepter, devant les deux assemblées, la date butoir du 1er janvier 2001,
revenait à reconnaître que l'on pouvait tenir cette échéance.
Par ailleurs, depuis six mois, depuis la promulgation de la loi, c'est
l'euphorie et l'on nous dit que tout va se faire dans des conditions normales,
M. le rapporteur l'a d'ailleurs dit tout à l'heure.
Nous sommes donc aujourd'hui extrêmement surpris, et nous ne sommes pas les
seuls. Les juges de l'application des peines le sont aussi ! Ils sont
finalement les victimes temporaires, si l'on peut dire, de ce nouveau
dispositif, d'autant qu'ils se préparaient à une adaptation intéressante pour
les prisons.
On ne peut pas constamment promettre et ne pas tenir ses promesses !
Mais, le plus déplorable, c'est la conclusion du processus parlementaire. Nous
voyons arriver non pas des « cavaliers », mais une « armée de cavaliers » sur
un texte que nous avions pourtant tous le désir de voter.
La proposition de loi de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, que nous nous
préparions tous à voter, était à tous égards respectable et utile, mais, avec
ce véritable DDOJ, avec ce texte portant « diverses mesures d'ordre judicaire
», on se dit que le Parlement, à quelques heures de l'interruption de ses
travaux, joue un rôle qui n'est pas très reluisant.
Voilà la raison de mon irritation, qui est encore plus grande depuis l'affaire
de la juridictionnalisation des décisions des juges de l'application des
peines.
Depuis des années, les juges de l'application des peines la demandent, et les
défenseurs des détenus aussi. J'ai moi-même rédigé un rapport voilà six ans.
Parmi les vingt objectifs, celui de la « judiciarisation » - c'était le terme à
l'époque - n'a pas été atteint. J'avais donc fondé quelques espoirs sur cette
loi.
Je me demande si le moment n'est pas venu de réviser les conditions du
fonctionnement administratif du ministère de la justice. Mais cela ne nous
appartient pas, c'est de votre responsabilité, madame le garde des sceaux.
Le 13 décembre, vos services ont publié un décret très détaillé qui nous
expliquait comment la loi du 15 juin 2000 allait entrer en application.
Imaginez les magistrats qui prennent connaissance du décret du 13 décembre et
qui, par la suite, le 20 ou le 21 décembre, apprennent qu'il a été décidé de
changer tout cela et qu'une période transitoire va intervenir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il y en aura encore d'autres !
M. Guy-Pierre Cabanel.
Hélas !
Au demeurant, la loi du 15 juin 2000 ne prévoit pas expressément le greffier
du juge de l'application des peines. J'ai vérifié : il n'est pas expressément
prévu. C'est en application de l'article 722, alinéa 6, du code de procédure
pénale que le greffier doit être présent au moment du débat contradictoire
devant le juge de l'application des peines.
Le rôle du greffier a été amplement décrit dans le décret du 13 décembre 2000
; pourtant, en modifiant l'article 722, alinéa 6, du code de la procédure
pénale, on aurait pu prévoir que l'absence de greffier n'entraînait pas la
nullité de la décision du juge de l'application des peines jusqu'au 16 juin
2001 !
J'ai failli déposer un amendement en ce sens, mais les sages de la commission
des lois m'ont fort justement fait remarquer que, si ma proposition était
adoptée, il aurait fallu un nouvel examen de la proposition de loi par
l'Assemblée nationale dans des délais extrêmement brefs.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'était possible !
M. Guy-Pierre Cabanel.
C'était possible, mais difficile ! Il fallait réunir une commission mixte
paritaire et procéder à une nouvelle lecture dans chaque assemblée avant la fin
de l'année !
Pour ma part, je m'abstiendrai donc sur l'ensemble de la proposition de loi,
tout en regrettant de ne pas pouvoir voter les dispositions très intéressantes
qui sont proposées par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Le groupe du RPR se ralliera totalement aux conclusions de la commission des
lois telles que viennent de nous les présenter son excellent rapporteur et son
vice-président.
Je dirai d'abord à mon collègue M. Dreyfus-Schmidt que nous regrettons de ne
pouvoir voter les propositions qu'il nous a faites, car nous estimons qu'elles
sont excellentes et qu'elles auraient donc dû être approuvées par tous, s'il
n'y avait eu ce cavalier qui nous « tombe dessus », si vous me permettez
l'expression, et qui est condamnable. Nous nous sommes d'ailleurs constamment
opposés aux cavaliers, qu'ils concernent des textes d'initiative parlementaire
ou d'initiative gouvernementale.
Ce qui m'inquiète, c'est l'image détestable que donnera à l'opinion publique
le fait que certaines des dispositions d'une loi dont on a beaucoup parlé et
puis été adoptée soient reportées alors que rien ne le laissait prévoir
jusqu'au début du mois de décembre.
Par-delà vous-même, madame le ministre, je dirai à l'ensemble du Gouvernement
qu'il doit prévoir les conséquences des textes qu'il présente. Or il n'y a plus
véritablement ni études d'impact des lois ni politique de prévision. Si nous
avons refusé de voter le projet de budget de la justice - nous l'avons dit
alors -, ce n'était pas contre vous, madame le ministre, c'était précisément
parce qu'aucune prévision à long terme de la gestion des personnels du
ministère de la justice n'avait été faite. Voilà ce qui nous interpelle en
l'occurrence : un gouvernement doit prévoir les conséquences de ses actes !
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Patrice Gélard.
Il ne faut pas se contenter d'effets d'annonce ; une loi adoptée doit être
immédiatement applicable.
Il est un autre effet pervers, c'est la longueur actuelle d'adoption des
décrets d'application.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Actuelle ?
M. Patrice Gélard.
Actuelle, en particulier.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ah bon !
M. Patrice Gélard.
Des lois ne sont toujours pas applicables faute de parution des décrets, ou
des codes publiés par voie d'ordonnance ne sont toujours pas intégralement
applicables faute de publication de la partie réglementaire ! Je pourrais
multiplier les exemples à l'infini.
Madame le ministre, je regrette que vous soyez gênée par ces bombes à
retardement...
M. Jean-François Le Grand.
Semées sous vos pas !
M. Patrice Gélard.
... qui sont antérieures à votre prise de fonctions. Mais notre groupe ne
pourra pas faire autrement que de s'abstenir sur ce texte, qu'il lui est
impossible de voter alors qu'il avait adopté à l'unanimité la loi du 15 juin
2000.
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Le groupe des Républicains et Indépendants souhaite d'abord féliciter M. le
rapporteur pour la qualité de son travail.
Bien que nous ayons voté les articles de ce texte, nous nous abstiendrons sur
l'ensemble, suivant en cela la commission. Je ne reviendrai pas sur les raisons
de cette position, elles ont déjà été énoncées par les deux talentueux orateurs
que sont MM. Cabanel et Gélard, mais il est important que, par cette
abstention, nous ne cautionnions pas la méthode par laquelle le Gouvernement
entend revenir sur une préparation insuffisante et une erreur d'appréciation.
(M. le vice-président de la commission applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très franchement, je suis un peu choqué de la manière dont on grossit les
choses. M. le rapporteur, que vous avez par ailleurs approuvé, est le seul à
avoir dit que ce n'était pas dramatique !
L'ensemble de la loi est soit déjà appliqué, soit applicable au 1er janvier.
Seul un aspect, un aspect important auquel nous tenons, doit être retardé de
six mois : la présence obligatoire du greffier dans la judiciarisation de
l'exécution de peine, dont le principe a été refusé pendant des années par les
gouvernements de droite et par la majorité sénatoriale. L'arbre ne doit pas
cacher la forêt !
Vous êtes unanimes à dire qu'il faut que le texte soit voté, que vous ne
voulez donc pas vous y opposer, et qu'en conséquence, vous vous abstiendrez. Or
si tout le monde s'abstenait, le texte ne serait pas voté ! Comme je l'ai dit
tout à l'heure - et je le répète - heureusement que nous sommes là pour vous
donner satisfaction en votant pour !
Je trouve également excessif que chacun se lève, en particulier M. Cabanel,
pour stigmatiser une erreur d'appréciation car personne n'est à l'abri d'une
telle erreur. Quant aux études d'impact dont a parlé notre collègue Patrice
Gélard, elles se font, c'est évident, sur le projet et non sur le texte qui, en
définitive, résulte de la discussion au Parlement !
M. Patrice Gélard.
Voyons ! Voyons !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Enfin, vous dites tous que vous aviez voté pour que la loi s'applique au 1er
janvier parce que c'est la date qui avait été retenue par Mme Guigou. Si en
l'occurrence, elle s'est partiellement trompée, ou a été trompée par les
indications qui lui ont été fournies, ce n'est tout de même pas un péché
capital, n'est-il pas vrai ?
Par conséquent, il faut ramener les choses à leurs justes proportions. De
surcroît, votre majorité aurait pu proposer depuis fort longtemps les
excellentes réformes contenues dans la loi sur la présomption d'innocence, en
particulier les nombreux gardes des sceaux issus de ses rangs !
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo
J'ai l'impression qu'il règne une certaine confusion. Je pensais, en effet,
que la commission avait proposé de s'abstenir sur l'article 16
quinquies
, mais de voter l'ensemble du texte.
En ce qui me concerne, de façon tout à fait symbolique, je le reconnais, je me
suis abstenue sur l'article 16
quinquies
, mais je m'en voudrais de ne
pas voter les dispositions générales de ce texte, que j'approuve entièrement !
(M. Dreyfus-Schmidt applaudit.)
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois.
C'est bien la position de la
commission !
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je voudrais simplement rappeler à M. Dreyfus-Schmidt que la loi sur le double
degré de juridiction en matière criminelle avait été proposée par un précédent
garde des sceaux. Sur ce point, nous n'avons donc pas de leçon à recevoir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais il y avait une proposition du groupe socialiste, qui était bien
antérieure !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
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