SEANCE DU 21 DECEMBRE 2000
INDEMNISATION
DES CONDAMNÉS RECONNUS INNOCENTS
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 150,2000-2001), modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à faciliter
l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et portant diverses
dispositions de coordination en matière de procédure pénale. [Rapport n° 159
(2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, intervenant ici en public pour la première
fois depuis hier, je veux, en l'instant, saluer Stéphane Baumont, jeune
policier marié, père de famille, qui a été abattu hier alors que, avec une
équipe de police judiciaire assistée d'agents, il exécutait une commission
rogatoire à la demande d'un magistrat instructeur de Montpellier saisi d'une
affaire de trafic de stupéfiants.
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Absolument !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
J'assure toute sa famille de ma sympathie et, je n'en
doute pas, de la vôtre également.
Juste avant Noël, une famille est ainsi meurtrie, blessée, alors que le
travail de ce policier aurait dû conduire à une simple arrestation. Ce drame
nous rappelle, parmi d'autres, quotidiens, le rôle de la police dans ce qu'il a
de très fort.
Cet hommage étant rendu, j'en viens à la proposition de loi proprement
dite.
Je veux d'abord saluer de nouveau l'initiative de M. le sénateur
Dreyfus-Schmidt, dont la proposition de loi tend à harmoniser les dispositions
de l'article 626 du code de procédure pénale avec celles qui figurent dans la
loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des
victimes.
Je veux également saluer, mesdames, messieurs les sénateurs, la qualité du
travail accompli en étroite concertation, tant en novembre dernier que depuis
le 6 décembre, avec votre commission des lois, présidée par M. Fauchon, et avec
son rapporteur, M. Jolibois.
La proposition a été enrichie par des amendements de votre commission des lois
et par ceux du Gouvernement.
Il ne m'apparaît pas utile d'y revenir en détail, car je sais que votre
assemblée et le Gouvernement partagent la conviction de la nécessité d'une
application de la loi du 15 juin 2000 dans les meilleures conditions
possibles.
Pour favoriser une entrée en vigueur plus sereine de ce grand texte, des
aménagements ont été apportés dans deux domaines.
Le premier est constitué de nouvelles et utiles dispositions de coordination.
Je ne les citerai que pour mémoire.
Le second est plus nouveau, car il touche à la procédure à suivre devant le
juge de l'application des peines, et non, comme il a été parfois dit trop
rapidement, au report de la réforme de l'application des peines.
Il est bien évidemment hors de question de reporter ce volet de la loi du 15
juin 2000, alors que la commission d'enquête du Sénat a exactement décrit la
situation dans laquelle se trouvent nos établissements pénitentiaires.
J'en viens au contenu proprement dit de la proposition de loi telle que votée
par l'Assemblée nationale le jeudi 14 décembre 2000.
En première lecture, l'Assemblée nationale, adoptant la démarche de votre
commission des lois, a complété le texte par des dispositions de coordination
particulièrement bienvenues.
Ces modifications sont intervenues avec l'accord du Gouvernement. Certaines
étaient de nature rédactionnelle. D'autres procèdent à des coordinations de
fond. Je n'insiste pas sur ces dispositions qui ont été approuvées par votre
commission des lois.
Concernant les modifications de fond, la loi du 15 juin 2000 ouvre aux
condamnés des droits très importants et très attendus, portant principalement
sur la réforme de la libération conditionnelle.
Il serait extrêmement regrettable que ces droits ne puissent, faute de moyens
suffisants, recevoir une application effective.
J'ai beaucoup écouté les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires de
justice, qui m'ont plus spécialement alertée sur l'impossibilité de faire vivre
l'intégralité de la juridictionnalisation de l'application des peines, en
raison du nombre insuffisant de greffiers indispensables à sa mise en
oeuvre.
J'ai analysé les éléments que me fournissaient les chefs de cour et de
juridiction.
Pour mieux apprécier la portée des inquiétudes exprimées, j'ai fait vérifier
par l'inspection générale des services judiciaires les conditions dans
lesquelles la loi du 15 juin 2000 allait entrer en vigueur. Je lui ai demandé,
le 8 novembre dernier, de procéder à un examen concret de la situation des
juridictions afin d'être à même de vous proposer toute mesure utile
d'ajustement.
Les conclusions de l'inspection générale, qui m'ont été remises officiellement
le 6 décembre dernier et que j'ai largement fait diffuser, se résument comme
suit.
La création du juge des libertés et de la détention, qui a été anticipée,
paraît, sous réserve de quelques aménagements, ne pas devoir poser de problèmes
insurmontables.
L'appel contre les décisions des cours d'assises nécessitera, dans les mois à
venir, un renforcement des effectifs de magistrats et de greffiers.
La juridictionnalisation de l'application des peines soulève, quant à elle,
des difficultés particulières concernant principalement les effectifs des
greffes.
Il s'ensuit que, si la loi du 15 juin 2000 pourra être appliquée dans des
conditions plutôt satisfaisantes, une adaptation de nature législative apparaît
nécessaire pour une partie du volet de la loi consacré à l'application des
peines.
En effet, l'instauration d'un débat contradictoire en présence du condamné,
assisté de son conseil, suppose l'intervention d'un greffier.
Or il est exact que les greffiers ne seront pas en nombre suffisant au 1er
janvier 2001 pour réaliser ces tâches nouvelles, ce qui rend matériellement
impossible la tenue des débats contradictoires dès cette date.
Nous disposerons cependant de renforts significatifs en greffiers au cours de
l'année prochaine, puisque 400 personnes arriveront sur le terrain entre le 2
mai et le 3 septembre 2001.
C'est pourquoi, me référant tant aux inquiétudes des magistrats, des greffiers
et des fonctionnaires qu'aux conclusions de l'inspection générale des services
judiciaires, j'ai déposé devant l'Assemblée nationale un amendement proposant
un aménagement très partiel et transitoire de la disposition relative à la
procédure suivie par le juge de l'application des peines.
Je propose d'aménager, du 1er janvier au 16 juin 2001, une période transitoire
pendant laquelle : les décisions du juge de l'application des peines seront
rendues après avis de la commission de l'application des peines ; le condamné,
assisté le cas échéant de son avocat, pourra formuler des observations écrites
et orales devant ce magistrat, qui n'aura pas besoin d'être assisté d'un
greffier ; le condamné pourra interjeter appel de la décision rendue par le
juge de l'application des peines ; le condamné pourra, bien sûr, bénéficier de
l'aide juridictionnelle - il est en effet indispensable qu'il puisse être
effectivement assisté par un avocat.
Ainsi, l'essentiel des mesures prévues par la loi du 15 juin 2000 est
maintenu, à savoir la possibilité d'être entendu par le juge, l'assistance d'un
conseil et le droit d'appel.
Seules les dispositions relatives au débat contradictoire seront différées
pendant une courte période de cinq mois et demi.
Dès le 1er janvier 2001, toutes les autres dispositions relatives à
l'application des peines entreront en vigueur, ainsi que le Parlement l'avait
voulu et fixé.
Le juge d'application des peines statuera sur les demandes des condamnés par
des décisions motivées, ce qui favorisera l'information du condamné, qui est
aujourd'hui parfois tenu dans l'ignorance des raisons pour lesquelles une
demande est refusée.
En matière de libération conditionnelle, la compétence du juge de
l'application des peines sera étendue aux condamnés à des peines inférieures ou
égales à dix ans d'emprisonnement.
Enfin, pour les condamnés à des peines d'emprisonnement supérieures à dix ans,
le dispositif de juridictionnalisation s'appliquera dès le 1er janvier 2001,
tel qu'il a été prévu par la loi du 15 juin 2000.
C'est donc bien un dispositif d'aménagement très partiel, limité dans le
temps, portant sur un volet réduit de la loi et respectant les droits
fondamentaux des détenus que je vous propose, avec le seul souci de permettre
une application sereine de la loi du 15 juin 2000.
Ces dispositions transitoires entraîneront la publication d'un court décret
organisant la procédure devant le juge de l'application des peines. Ce texte
sera publié avant la fin de l'année - au vu de l'état d'avancement des travaux
hier soir, tel devrait bien être le cas - ou, au pire, en tout début d'année
prochaine. Une circulaire sera diffusée avant même la parution de ce décret
pour expliquer aux juridictions l'économie du texte que je vous demande
d'adopter.
Tout est ainsi mis en oeuvre pour que la loi du 15 juin 2000, en dépit de
l'importance des changements qu'elle induit dans le fonctionnement de nos
juridictions, puisse être appliquée dans des conditions satisfaisantes.
Il est vrai que, même ainsi limitées, ces dispositions peuvent appeler des
objections, et l'on pourrait regretter que la population pénale ne bénéficie
pas de l'immédiate et entière application de la loi du 15 juin 2000 alors que
la situation des prisons a fait l'objet, cette année, d'une attention
particulière, notamment de la part du Sénat. Mais le secteur qui appelait plus
spécialement des mesures d'aménagement était précisément celui de l'application
des peines.
Avant de terminer, je voudrais rendre hommage au travail des deux assemblées,
à celui du Sénat tout particulièrement puisque c'est d'ici qu'est partie
l'initiative nous permettant de faire ainsi progresser le droit.
Je rends aussi hommage aux magistrats, dont je connais les efforts accomplis
pour permettre la mise en oeuvre de la loi du 15 juin 2000 dans les meilleures
conditions, ainsi qu'aux fonctionnaires de justice et aux greffiers.
Je salue enfin le travail et le dévouement des personnels pénitentiaires dont
je sais qu'ils ont à coeur de faire vivre la juridictionnalisation. Ils ont
ainsi, dans leurs établissements, des débats intéressants sur ce que sera la
loi au 1er janvier 2001 et aussi après le 15 juin 2001.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi qu'au banc de la commission.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième
lecture la proposition de loi de notre excellent collègue Michel
Dreyfus-Schmidt sur l'indemnisation des condamnés reconnus innocents. Ce texte
a été adopté par le Sénat le 21 novembre dernier et par l'Assemblée nationale
le 14 décembre.
L'Assemblée nationale a entièrement accepté le texte du Sénat en ce qui
concerne l'indemnisation des condamnés reconnus innocents. Elle a seulement
opéré quelques coordinations.
Elle a ainsi modifié le nom de la commission d'indemnisation des détentions
provisoires pour tenir compte du rôle de cette commission dans l'indemnisation
des condamnés reconnus innocents, disposition qui a été ajoutée par la
proposition de loi de M. Dreyfus-Schmidt. La commission s'appellera désormais «
commission de réparation des détentions ».
Ainsi, grâce à ce texte, les condamnés reconnus innocents après une procédure
de révision pourront plus aisément obtenir réparation intégrale du préjudice
qu'ils ont subi.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale, comme l'avait fait le Sénat, a complété
la proposition de loi en adoptant quelques mesures techniques destinées à
faciliter l'application de la loi renforçant la présomption d'innocence et le
droit des victimes. Ces mesures sont toutes bienvenues et ne soulèvent pas de
difficultés.
En revanche, l'Assemblée nationale a adopté un amendement très important
prévoyant un dispositif transitoire pour l'application des dispositions de la
loi sur la présomption d'innocence relatives à l'application des peines.
Je vous rappelle que, lors du vote de l'ensemble de la loi sur la présomption
d'innocence, l'Assemblée nationale et le Sénat avaient pris l'initiative,
chacun pour une part, le rapport Farge étant publié, de prévoir tout de suite
la juridictionnalisation de l'application des peines, et il a d'ailleurs été
dit que Mme le garde des sceaux de l'époque avait aussitôt approuvé ces
initiatives. Désormais, les décisions du juge de l'application des peines
seront prises - et c'est une nouveauté - après un débat contradictoire en
présence du condamné et de son avocat. Le juge de l'application des peines
devra motiver ses décisions et celles-ci pourront faire l'objet d'un appel de
la part tant du condamné que du procureur.
Jusqu'à présent, le juge statuait seul et ne motivait pas ses décisions. En
outre, seul le procureur pouvait faire appel. Nous étions en face d'un système
que l'on pouvait qualifier d'administratif, et, par la voie de la
juridictionnalisation, nous avons admis un système d'audience judiciaire.
Par ailleurs, en ce qui concerne les libérations conditionnelles, le juge de
l'application des peines sera désormais compétent pour toutes les mesures
concernant les condamnés à des peines inférieures ou égales à dix ans
d'emprisonnement. Jusqu'à présent, il n'était compétent que pour les condamnés
à des peines inférieures à cinq ans d'emprisonnement.
Pour les condamnés à de longues peines, la décision de libération
conditionnelle - et c'est une grande nouveauté - sera prise non plus par le
garde des sceaux mais par une juridiction régionale de la libération
conditionnelle. C'est le coeur du sujet.
Toutes ces évolutions devaient entrer en vigueur le 1er janvier prochain.
Toutefois, le Gouvernement a souhaité la mise en place d'un dispositif
transitoire, au motif qu'il n'y a pas suffisamment de greffiers dans les
juridictions pour permettre la tenue des débats contradictoires devant le juge
de l'application des peines. Or toute audience exigeant, en droit, la présence
d'un greffier, il était nécessaire de régler le problème technique du manque de
greffiers à la date du 1er janvier 2001, date qui, à la demande du
Gouvernement, avait été prévue pour l'application générale de la loi. Nous
avions donc une question technique à résoudre pour une petite partie du
texte.
Dans ces conditions, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale prévoit
que, pendant six mois, la décision du juge de l'application de peines sera
prise sans débat contradictoire.
Toutefois, dès le 1er janvier, les condamnés se verront reconnaître de
nouveaux droits : s'ils le demandent, ils pourront être entendus par le juge de
l'application des peines, le cas échéant en présence de leur avocat. A cet
égard, il faudra que les condamnés soient informés de leur droit d'être assisté
par un avocat. En outre - et c'est important -, à la suite de l'adoption d'un
sous-amendement déposé par Mme Lazerges, au nom de la commission des lois de
l'Assemblée nationale, il a été précisé que les condamnés se verraient
reconnaître le droit d'appel pendant la période transitoire, ce qui, à
l'origine, n'était pas prévu.
Je dirai donc, pour résumer, que, pendant six mois, mis à part la présence
d'un greffier, tous les éléments constituant ce que l'on appelle, en général, «
une audience » seront réunis : l'audition du condamné, avec, le cas échéant, la
présence d'un avocat, ce qui n'était pas prévu auparavant, la discussion, la
motivation et la possibilité de faire appel.
Que penser de ce dispositif ?
Il faut d'abord noter que le Gouvernement indique aujourd'hui - Mme le garde
des sceaux ne l'a pas répété à cette tribune, je dois le reconnaître - que
certaines dispositions ne sont pas applicables, parce que le Parlement aurait
voté des réformes qui n'étaient pas prévues dans le projet de loi.
Cette explication ne me paraît pas tout à fait acceptable. Mieux vaudrait
prendre les choses telles qu'elles se sont produites : le Parlement, et
notamment le Sénat, a fait son travail. La Haute Assemblée est intervenue avec
sa créativité, l'Assemblée nationale avec la sienne, un dialogue s'est établi
et un texte est né.
S'agissant des délais d'entrée en vigueur, je me rappelle - je n'aime pas
tellement parler des absents, encore que ce ne soit pas un mauvais souvenir -
avoir moi-même soulevé la question à trois reprises : il n'y a pas de réforme
de la justice possible sans les moyens correspondants, avais-je rappelé. Une
réforme de la justice à laquelle ne sont pas consacrés des moyens suffisants ne
peut pas être satisfaisante et peut même avoir un résultat inverse à celui qui
était escompté.
La date d'entrée en vigueur, compatible avec les moyens humains et les
matériels existant dans les juridictions, tels qu'on nous les a présentés à
l'époque, a bien été fixée par le Gouvernement au 1er janvier 2001, à sa
demande et avec notre acceptation.
Devant cette situation, devons-nous refuser le dispositif transitoire proposé
par le Gouvernement ?
Personnellement, je ne le croyais pas, et j'ai été vraiment très heureux
d'être suivi par la commission des lois. En effet, je pense que, dès le 1er
janvier, le dispositif préserve les nouveaux droits les plus importants des
condamnés, à savoir, comme je l'ai dit, les éléments fondamentaux, parmi
lesquels, je le reconnais, ne figure pas le greffier. Le greffier certifie,
certes, mais le droit d'appel, la présence de l'avocat, la motivation qui
permet l'appel entrent en application dès le 1er janvier. D'ailleurs, alors
que, à l'origine, seul l'appel du parquet était prévu, ce qui déséquilibrait
quelque peu le texte, l'Assemblée nationale, sur l'initiative de Mme Lazerges,
a décidé que le condamné pouvait faire appel, ce qui rééquilibre la proposition
de loi sur un point fondamental des droits de l'homme.
Par ailleurs, il n'est de l'intérêt de personne, et surtout pas des condamnés,
que l'ensemble de la réforme de l'application des peines entre complètement en
vigueur le 1er janvier 2001 sans pouvoir être appliquée faute de moyens. Comme
je l'ai dit, cela irait à l'encontre de la réforme, cela créerait - excusez-moi
d'employer un mot que je trouve un peu vulgaire - un « bogue » des greffiers,
et ce ne serait pas bon. Il est donc préférable d'adopter un système
transitoire assez court de six mois, qui donne satisfaction.
Par conséquent, il me semble souhaitable que nous ne nous opposions pas à un
dispositif qui ne constitue en somme qu'une dérogation modeste, et pour une
durée limitée, aux dispositions de la loi sur la présomption d'innocence.
Je regrette cependant vivement la mise en place d'un tel dispositif quelques
jours seulement avant l'entrée en vigueur de la loi, loi que j'attendais. Je
regrette encore plus qu'un dispositif transitoire concernant l'application des
peines donne ainsi le sentiment que nous n'avons peut-être pas fait tout ce que
nous devions faire pour les problèmes des prisons et que l'intérêt que nous
portions à la question des détenus est peut-être déjà retombé alors que c'est
aussi l'une des branches essentielles des droits de l'homme.
Mes chers collègues, dans ces conditions, la commission des lois a estimé
qu'elle n'avait pas à se prononcer sur ce dispositif particulier transitoire,
puisque, au fond, la responsabilité de ce report incombe au Gouvernement, mais
qu'elle ne pouvait pas non plus s'y opposer. Elle le laissera donc passer en se
prononçant sur ce point par une abstention qui reflète l'esprit que j'ai essayé
d'expliciter.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La commission a voté pour !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
En revanche, la commission vous propose d'adopter sans
modification la proposition de loi dans toutes ses dispositions, à l'exception
de cette petite clause pour laquelle elle a souhaité recommander non pas un
vote contre mais une abstention.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 15 juin
2000, nous étions nombreux, dans cette enceinte, à nous féliciter de l'adoption
définitive de la loi relative au renforcement de la présomption d'innocence :
au terme de deux lectures particulièrement enrichissantes, étayées de
passionnants débats, nous avions le sentiment que le Parlement avait joué
pleinement son rôle de législateur et de confrontation publique des idées.
En effet, d'un projet initial d'ambition relative, nous nous trouvions avec un
texte refondateur de la procédure pénale depuis la garde à vue jusqu'à
l'exécution des peines.
Six mois après l'adoption définitive du texte, ce sentiment de satisfaction
est teinté de déception, et je le regrette.
L'objectif initial de la proposition de loi de notre collègue Dreyfus-Schmidt
était de « réparer » un oubli de la loi du 15 juin 2000, qui avait eu des
conséquences particulièrement injustes : la réforme de l'indemnisation des
détentions provisoires, en laissant de côté le cas des condamnés reconnus
innocents, aboutissait, tout à fait illogiquement, à défavoriser ces derniers.
Le correctif opéré par la proposition de loi est donc tout à fait fondamental,
d'autant que le caractère injuste du préjudice causé est désormais reconnu au
travers de la substitution du terme « réparation » à celui d'« indemnisation »,
et conduit au changement de dénomination de la commission que nous propose
l'Assemblée nationale ».
Par ailleurs, l'objectif d'harmonisation voit son prolongement dans le souci
de corriger des erreurs de rédaction, des oublis et autres défauts de la loi du
15 juin 2000 qui avaient échappé à la vigilance tant du Gouvernement que du
Parlement : aux rectifications du Sénat se sont ajoutées maintenant celles de
l'Assemblée nationale.
Néanmoins, cette double rectification confirme mes inquiétudes concernant la
lisibilité de la loi. Je souhaite souligner à nouveau combien il m'apparaît peu
satisfaisant de retoucher la loi à peine six mois après son élaboration.
Cette situation nous interpelle sur une inflation législative constante, qui
donne au droit les allures d'un véritable maquis. « Quand le droit bavarde, le
citoyen ne l'écoute plus », nous disait, il y a quelques années, le Conseil
d'Etat, observation de bon sens que nous perdons pourtant sans cesse de vue.
Mais la principale nouveauté du texte qui nous revient de l'Assemblée
nationale tend évidemment à reléguer au second plan ces considérations.
En effet, ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est non plus d'améliorer ou
de rectifier la loi, mais d'en reporter une partie.
Certes, madame la ministre, vous nous pressez de ne pas oublier que ce report
est strictement encadré dans son champ d'application - la partie de l'exécution
des peines qui continue de relever du juge de l'application des peines - et
dans le temps - six mois, assortis de mesures provisoires.
Tout cela est vrai, mais les sénateurs de mon groupe déplorent que la décision
ait été prise de reporter, même partiellement, l'application de cette loi, car
ce choix soulève deux questions essentielles.
La première question a trait à cette décision même.
Comme vous l'avez dit vous-même, madame la ministre, celle-ci n'est évidemment
satisfaisante pour personne, surtout pas pour la démocratie parlementaire -
j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce point, et je n'y reviendrai pas -,
et, au-delà, elle met en cause la conduite de la réforme.
Depuis plusieurs mois, en effet, nombre de magistrats, d'avocats, de greffiers
et, plus récemment, de policiers ont alerté les pouvoirs publics sur la
difficulté qu'il y aurait à appliquer à compter du 1er janvier 2001 les
dispositions de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence
et les droits des victimes.
Le ministère de la justice, après avoir débloqué des moyens supplémentaires,
nous a informés le 6 décembre 2000, soit moins d'un mois avant l'entrée en
vigueur de la réforme, que celle-ci serait en partie repoussée. Je ne comprends
pas comment on a pu en arriver à cet ultime revirement, alors qu'il nous a été
dit cinq mois durant que l'application de la loi ne poserait pas problème et
qu'une commission de suivi, composée de magistrats et de greffiers, avait été
mise en place à cet effet.
Cette situation me semble révélatrice de certains dysfonctionnements ; elle
doit nous encourager à procéder dorénavant aux études d'impact nécessaires à
l'évaluation des moyens à mettre en oeuvre, comme l'a fort opportunément
rappelé M. Haenel lors de la discussion du budget de la justice.
A cet égard, il n'est pas normal que l'on ait attendu le dernier moment pour
qu'une enquête de l'inspection générale des services judiciaires soit
diligentée - sur votre demande, certes, madame la ministre - car les
conclusions de cette enquête n'ont pu être rendues qu'en catastrophe, il faut
bien le dire, à la veille de l'entrée en vigueur de la réforme.
La seconde question porte sur le choix opéré pour ce report. Il est en effet
proposé de repousser au 16 juin 2001 la mise en oeuvre du débat contradictoire
devant le juge de l'application des peines, dont relèvent les condamnés à une
peine inférieure ou égale à dix ans ainsi que ceux qui n'ont plus que moins de
trois ans à purger. A la place, le détenu bénéficiera pendant six mois du droit
de présenter par écrit et oralement ses observations devant le juge de
l'application des peines et de se faire assister par un avocat. L'Assemblée
nationale lui a également accordé un droit d'appel de la décision pendant cette
période transitoire, ce qui, évidemment, nous paraît essentiel.
Ce qui est, en fait, difficilement admissible, c'est qu'il nous soit demandé,
à ce stade de la procédure, d'entériner purement et simplement ce choix : nous
sommes aujourd'hui le 21 décembre 2000 ; autant dire qu'il n'est pas question
de proposer un autre système, toute adoption du texte en des termes différents
risquant de prolonger la procédure parlementaire au-delà de la date fatidique
du 1er janvier 2001.
Pourtant - j'ai eu l'occasion de le dire lors de la discussion du budget de la
justice - le choix que j'évoquais aurait mérité d'amples discussions, pour au
moins trois raisons.
Premièrement, le choix de ce report résulte des conclusions de l'étude qui
vous a été remise, madame la ministre, par l'inspection générale des services
judiciaires, déléguée auprès de plusieurs juridictions afin d'apprécier les
effets de la réforme sur le fonctionnement des tribunaux et la capacité de
ceux-ci à y faire face. Or il ressort de cette étude que la réforme des
libérations conditionnelles n'est pas la seule à poser de gros problèmes
d'organisation aux juridictions et que d'autres options auraient pu, sans
doute, être retenues.
Il était également possible de prendre le pari d'appliquer la réforme, quitte
à « mettre en veilleuse » d'autres contentieux touchant moins aux libertés
individuelles. J'aurais souhaité, à tout le moins, que l'on puisse réellement
en discuter.
Deuxièmement, la portée symbolique du report de la juridictionnalisation des
peines pose problème et appelle des éclaircissements. A bien des égards, en
effet, ce chapitre de la réforme a été considéré comme le plus novateur, car il
offre de nouvelles garanties procédurales aux personnes détenues,
traditionnellement délaissées par notre droit. Certes, la présence de l'avocat
est toujours prévue, de même que l'aide juridictionnelle et la possibilité d'un
appel. On pourrait dès lors considérer, avec la commission des lois, que « le
dispositif transitoire ne porte que faiblement atteinte aux droits des
condamnés ».
Cependant, parce qu'elle touche les « plus défavorisés des plus défavorisés »,
pour reprendre l'expression du président du Syndicat des avocats de France, que
je ne crains pas de citer, cette minoration des droits des détenus est
difficilement acceptable. En effet, à l'heure où l'on affirme la nécessite de
réformer la prison et où le Premier ministre a annoncé sa volonté de voir
adopter une loi pénitentiaire posant les nouvelles bases de l'exécution des
peines, cette mesure ne peut apparaître que comme un recul.
Troisièmement, le système transitoire que vous nous proposez peut être discuté
du point de vue de son efficacité. L'assemblée nationale des juges de
l'application des peines nous a ainsi fait part de son scepticisme à cet égard,
dès lors que le dispositif implique un lourd travail de secrétariat pour
l'envoi des convocations, la diffusion de renseignements sur l'aide
juridictionnelle, l'information relative au droit d'appel, etc.
Au vu de ces observations, et à défaut d'avoir prise sur les choix effectués,
les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, qui ne peuvent
refuser le système proposé, car il n'est plus temps de le faire expriment leurs
doutes quant au fait que le report puisse contribuer réellement à «
l'application sereine de la loi ». Ils s'abstiendront donc lors du vote sur
l'article 16
quinquies
.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Heureusement que nous sommes là pour le voter !
M. le président.
La parole est à M. Fauchon, vice-président de la commission des lois.
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur
le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre excellent collègue
Charles Jolibois a fort bien exposé le contenu de la proposition de loi, due à
l'heureuse initiative de notre non moins - et non plus ! - excellent collègue
Michel Dreyfus-Schmidt.
(Sourires.)
D'une manière générale, les dispositions de la loi renforçant la protection
de la présomption d'innocence et les droits des victimes, que nous complétons
aujourd'hui, sont d'une portée peut-être beaucoup plus grande qu'on ne
l'imagine quant au système répressif en général, car nous allons mettre en
place un dispositif qui responsabilisera le condamné pendant la période
d'exécution de sa peine, un peu à la manière des enfants que l'on punit et dont
on lève la sanction parce qu'ils se conduisent bien par la suite. Cela peut
faire sourire, mais nous introduisons là un élément très important, parce qu'il
va dans le sens de la promotion de la dignité du condamné, de sa
responsabilisation, et donc de son amendement. Je crois qu'il s'agit là d'une
mesure qui apparaîtra, avec le temps, comme particulièrement bienvenue.
Cela étant, eu égard aux fonctions que j'assume momentanément, je crois devoir
m'attarder quelques instants sur cette disposition tout à fait contestable qui
est venue, il faut bien le dire, troubler le débat sur le texte consensuel dont
nous débattons : je veux parler de cet aménagement - ce terme me semble plus
approprié que celui de report - de la réforme de l'application des peines.
L'instauration du dispositif transitoire proposé ne serait sans doute pas en
elle-même dramatique, et je souscris tout à fait sur ce point aux propos de M.
le rapporteur, dans la mesure où, dès le 1er janvier - et là est l'essentiel -
les condamnés se verront accorder les nouveaux droits auxquels j'ai fait
allusion et dont ils ne bénéficient pas actuellement : ceux d'être entendus par
le juge d'application des peines, de faire appel de sa décision et d'obtenir
ainsi, s'agissant de l'application de la peine, une décision non pas de type
quelque peu administratif, mais véritablement d'une beaucoup plus grande
portée. Cela représente une profonde évolution.
Néanmoins, ce qui me semble très contestable, ce sont les conditions dans
lesquelles tout cela se passe : c'est que le Gouvernement nous saisisse
quelques jours avant l'entrée en vigueur de la réforme et qu'il ait pris si
tardivement conscience d'un problème dont il aurait quand même dû prendre la
mesure dès le début. Or cette imprévoyance est grave, car la réforme de
l'application des peines est évidemment attendue avec impatience.
Certes, nous comprenons bien, pour notre part, qu'il ne s'agit pas de reporter
l'entrée en vigueur de toutes les dispositions de cette loi, ni même de
procéder à un véritable report, mais cela peut être moins clair pour le public
et pour les détenus, ce qui risque donc de jeter, une fois de plus, une sorte
de discrédit sur la justice.
Mais ce qui est encore plus grave, et je dirai même quelque peu blessant pour
le Parlement, madame le ministre, c'est que le Gouvernement tente de faire
porter la responsabilité du report sur le Parlement.
(Mme le ministre fait un signe de dénégation.)
Je me permettrai dans quelques instants, madame la ministre, de vous citer en
mettant en avant les nombreux compléments que le Parlement a apportés à la loi
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes.
Je souligne que vous avez vous-même déclaré, à l'Assemblée nationale, que les
difficultés venaient des deux amendements parlementaires concernant
respectivement l'appel en matière criminelle et la juridictionnalisation de
l'application des peines. Il s'agit bien là, quand même, d'une marque de
désapprobation à l'égard des apports complémentaires du Parlement ! Or cette
stigmatisation me paraît assez abusive. Disons plutôt que vous disposez
globalement d'un personnel en nombre insuffisant pour faire face aux
différentes tâches à assumer, ce qui est notamment vrai, me semble-t-il, pour
les greffiers, mais aussi pour toutes les catégories d'emplois de la justice.
Lier les difficultés à telle fonction plutôt qu'à telle autre revient, à mon
sens, à opérer une distinction quelque peu artificielle, mais je vous en laisse
la responsabilité.
Cela étant, le point essentiel est que, voilà quelques mois, quand la loi a
été adoptée triomphalement, le Gouvernement ne semblait pas avoir clairement
perçu que des amendements parlementaires étaient à l'origine des dispositions
que j'évoquais. Pour le vérifier, je me suis référé à un excellent ouvrage
publié par votre prédécesseur, au demeurant joliment illustré de photos en
couleurs pleines de charme, mais dans lequel on lit, à propos de l'appel des
arrêts de cour d'assises, des phrases qui ont beaucoup moins de charme : « Le
projet de loi sur la présomption d'innocence étant venu très vite en première
lecture à l'Assemblée nationale, je n'ai pas pu y intégrer d'emblée ce système
d'appel instaurant une sorte de "tournante" entre cours d'assises des
départements voisins, mais j'ai pu le faire en deuxième lecture. Ma proposition
a ainsi été acceptée et votée en moins d'une heure par les députés ». Il n'est
pas question dans ce texte d'amendement parlementaire !
De même, à propos de la réforme de la libération conditionnelle, on lit encore
ceci, sous la plume de cet excellent auteur : « Je trouve archaïque et inhumain
de faire dépendre une telle décision d'une seule personne, fût-elle garde des
sceaux. (...) Avec ma réforme - nous croyions que c'était la nôtre, mais non,
c'est la sienne ! - ce sera un tribunal composé de plusieurs juges qui pourra
prendre la décision, laquelle sera susceptible d'appel devant un tribunal
collégial. » Là encore, il n'est pas du tout question d'amendement
parlementaire ! Ainsi donc, le Gouvernement - ou l'un de ses membres, et non
des moindres - s'approprie la réforme lorsqu'il s'agit d'affirmer devant les
médias qu'elle constitue un progrès pour les libertés, mais dès que l'on peut
lui attribuer des inconvénients et des difficultés, elle devient la réforme du
Parlement !
M. Jean-Jacques Hyest.
Evidemment !
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois.
Je vais essayer d'être gentil,
en disant simplement qu'un tel comportement ne grandit pas ceux qui l'adoptent,
c'est le moins que l'on puisse dire !
(Mme le garde des sceaux sourit.)
Je n'ai pas dit cela pour vous faire sourire, madame le garde des sceaux, car,
dans votre sourire, je discerne des nuances d'expression multiples !
En outre, il ne faut pas oublier que, si le Parlement, notamment le Sénat, a
pris toute sa part dans l'élaboration de la loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes, les délais d'entrée en
vigueur de celle-ci ont, je le rappelle, été fixés par un amendement du
Gouvernement.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
C'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest.
Absolument !
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois.
Nous avions accepté cet
amendement sans discuter. C'est donc le Gouvernement qui a déterminé la date
d'entrée en vigueur de cette loi, et nous lui avons fait confiance sur ce
point. C'est à ce moment-là - et je me tourne vers les membres de la
chancellerie qui étaient déjà en fonctions à cette époque : il reste quelques «
survivants », Dieu merci !
(Sourires)
- qu'il aurait fallu prendre
conscience des problèmes qui s'annonçaient.
Cela étant, madame la garde des sceaux, si je m'étais adressé aujourd'hui à
votre prédécesseur, j'aurais employé un adage latin que je vais citer dans son
intégralité pour le compte rendu et non pas pour faire preuve d'une science qui
me dépasse : «
Nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans
», ce
qui signifie que personne n'est écouté lorsqu'il invoque sa propre faute. Je
traduis «
turpitudinem
» par « faute », pour adoucir tout de même le
sens de la citation ! Vous voyez ici, madame la ministre, que, même pour un élu
du Finistère, le droit romain peut présenter des avantages !
(Sourires.)
En tout cas, nous ne nous opposerons pas au dispositif transitoire que vous
proposez, parce que nous souhaitons, M. Jolibois l'a très bien dit, que la
réforme de l'application des peines s'applique dans de bonnes conditions,
surtout quand il s'agit du fonctionnement du service public de la justice et de
l'humanisation de notre système répressif. Sachez cependant - et il était, je
crois, de mon devoir de vous le dire - que nous regrettons profondément la
façon de procéder du Gouvernement dans cette circonstance.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Monsieur le président, madame, messieurs les sénateurs,
nous sommes confrontés à une situation difficile. Mais je fais droit à ce qui
vient d'être dit : le Parlement a enrichi le texte. Cela dit, je ne commente
pas, monsieur Fauchon, les livres que je n'ai pas lus !...
Quand j'ai parlé de certains amendements parlementaires à l'Assemblé
nationale, c'était pour répondre à un reproche : le Gouvernement aurait dû
anticiper et créer des postes de greffiers un an avant l'adoption de la loi sur
la présomption d'innocence.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est vrai !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Or Mme Elisabeth Guigou avait pris soin, en 1998 et en
1999, par anticipation, de créer les postes de magistrats et de greffiers
correspondants aux dispositions qu'elle avait prévues. Mais, comme il faut une
année de formation à l'Ecole des greffes et trois ans et demi à l'Ecole
nationale de la magistrature, nous sommes effectivement face à une situation
difficile : au 1er janvier 2001, nous aurons les postes budgétaires suffisants
pour appliquer la loi, mais il nous manquera les personnels formés.
Il n'est pas question de raccourcir la période de formation, parce qu'elle est
essentielle et que les greffiers y tiennent. Ils ne veulent pas qu'une
promotion soit quelque peu sacrifiée et que, durant toute leur carrière, leurs
confrères subissent les conséquences d'une absence de formation.
M. Guy-Pierre Cabanel.
Madame le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je vous en prie, monsieur le sénateur.
M. le président.
La parole est à M. Cabanel, avec l'autorisation de Mme le garde des sceaux.
M. Guy-Pierre Cabanel.
L'argument que vous venez de développer n'est pas acceptable, madame le garde
des sceaux : quand la loi du 15 juin 2000 a été adoptée, la réflexion sur
l'ensemble des dispositifs aurait dû exister. Ce n'est pas une découverte : les
postes n'étaient pas créés, et il faut respecter les durées de formation.
Il ne fallait pas accepter une application au 1er janvier 2001 ! Voilà tout le
fond du problème.
M. Patrice Gélard.
Et voilà !
M. Guy-Pierre Cabanel.
A quelques heures de la fin de nos travaux, nous découvrons un problème que le
ministère de la justice aurait dû traiter sereinement, que le garde des sceaux
aurait dû régler avec les parlementaires, qui auraient parfaitement compris que
c'était inapplicable.
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Monsieur le sénateur, je n'avais pas terminé sur ce
point. Permettez-moi donc d'y revenir. Par anticipation, en 1998, en 1999 et en
2000, les postes nécessaires avaient été créés. Il manque cependant un certain
nombre de postes de greffiers. Vous dites : « On aurait pu le savoir avant. »
Et il est vrai que, dans tous les services de l'Etat, on fait aujourd'hui de
grands efforts pour conduire une gestion des personnels beaucoup plus fine.
Concernant les greffiers, en particulier, il nous faut, en outre, résoudre un
problème majeur, car beaucoup de greffiers et de fonctionnaires ont choisi - je
l'ai dit voilà quelques jours devant le groupe de suivi mais aussi aux
syndicats - de travailler à temps partiel. Nous avions créé des postes à temps
plein en nombre suffisant, mais ils sont occupés par des personnes qui
travaillent à temps partiel. C'est bien, mais cela nous pose un problème.
Il faut parler des choses telles qu'elles sont. Je ne dis pas que ce que nous
proposons aujourd'hui, en fin d'année, est bien. Et je n'ai jamais dit que
c'était avec plaisir que je vous avais proposé cette solution. Je vous ai
simplement dit que nous tentions de remédier à une situation difficile.
Par ailleurs, monsieur Cabanel, puisque vous vous mettez en colère...
M. Guy Cabanel.
Mais non !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Mais si, un petit peu !
... sachez que je pourrais, moi aussi, me mettre en colère.
Je pourrais par exemple vous rappeler que, dans notre comptabilité d'emplois -
le mot est terrible parce que l'on ne devrait pas parler de comptabilité quand
il s'agit de personnes - il nous manque la promotion de 1997, qui aurait dû
sortir fin 1998. Pour des raisons budgétaires, elle n'est pas entrée à l'école
!
Nous sommes tous responsables - depuis quarante ans, disait votre rapporteur -
de l'absence de moyens de la justice !
Ce n'est pas avec plaisir que je vous propose ce dispositif. Je vous dit
simplement que, compte tenu des difficultés et pour que les audiences ne soient
pas reportées, ce qui serait le pire pour les détenus, plutôt que d'avoir des
gens déçus qui, peut-être, provoqueraient des mouvements lourds pour eux et
pour nous, je préfère proposer cette mesure transitoire.
Je pense faire preuve ainsi de réalisme, mais je suis désolée de ne pas
pouvoir appliquer la totalité de la loi sur la présomption d'innocence dès le
1er janvier 2001.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
Madame le garde des sceaux, M. Cabanel ne se met jamais en colère, il
s'exprime comme quelqu'un qui est originaire du sud de la Méditerranée
!
(Sourires.)
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er