SEANCE DU 18 DECEMBRE 2000
M. le président.
« Art. 25. - I. - L'article 302
bis
ZD du code général des impôts est
ainsi modifié :
« 1° Au
b
du II, après les mots : "abats transformés", sont insérés les
mots : ", et autres produits à base de viande" ;
« 2° Au III, la somme : "2 500 000 F" est remplacée par la somme : "5 000 000
F" ;
« 3° Au V, les taux : "0,6 %" et "1 %" sont respectivement remplacés par les
taux : "2,1 %" et "3,9 %".
« II. - Au B de l'article 1er de la loi n° 96-1139 du 26 décembre 1996
relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets
d'abattoirs et modifiant le code rural, après les mots : "à compter du 1er
janvier 1997", sont insérés les mots : "et jusqu'au 31 décembre 2000".
« III. - Les dispositions du I sont applicables à compter du 1er janvier 2001.
»
Par amendement n° 76, M. Marini, au nom de la commission, propose de supprimer
cet article.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Par cet amendement, la commission propose la
suppression de l'article 25, qui tend à modifier le régime de la taxe sur les
achats de viande, autrement dit la taxe d'équarrissage.
Cet article prévoit d'accroître très sensiblement les charges supportées par
toute une filière professionnelle.
M. Roland du Luart.
Qui est sinistrée !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il s'agit de quadrupler le taux maximal, d'inclure
dans l'assiette de la taxe la préparation des plats cuisinés et de doubler,
dans le même temps, le seuil d'exonération correspondant.
M. Roland du Luart.
Ce n'est pas comme cela qu'on vendra du boeuf !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
La commission estime que ce dispositif est tout à
fait inapproprié.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il tend en effet à alourdir le coût de la viande, ce
qui précipitera l'effondrement de la consommation de celle-ci.
Pour autant, le rendement de la taxe n'augmentera pas dans les conditions que
vous prévoyez, madame le secrétaire d'Etat ; au contraire, l'impôt tuant
l'impôt, il diminuera. En outre, l'élévation des taux crée des risques de
fraude. La traçabilité des produits et donc la sécurité sanitaire s'en
trouveront menacées : plus on fraudera un impôt trop lourd, plus on mettra en
péril la santé de nos compatriotes.
Par ailleurs, la taxe est inégalitaire, puisque les grandes chaînes de
restaurants continuent à en être exemptées. Expliquez-nous pourquoi, madame le
secrétaire d'Etat ! De plus, le juge administratif a estimé que la taxe
d'équarrissage était discriminatoire vis-à-vis des producteurs européens, qui
la supportent sans bénéficier en retour du service public français de
l'équarrissage. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a
demandé à la France de supprimer cette taxe.
Bref, le dispositif proposé cumule les inconvénients et les risques. Ce n'est
qu'un expédient, qui sera contre-productif, car ce n'est pas en le taxant
davantage que l'on vient en aide à un secteur sinistré.
Le rendement sans doute décevant de la mesure ne sera pas à la hauteur des
besoins de financement engendrés par la crise de la vache folle. Ces besoins
concernent non seulement l'équarrissage, mais aussi le stockage, le traitement,
le remplacement des farines animales et le renforcement des contrôles
sanitaires. Madame le secrétaire d'Etat, la fiscalité affectée n'est pas une
solution. Une fiscalité spécifique à une filière qui ne représente qu'une
petite assiette taxable n'est pas à la mesure des besoins de financement
croissants auxquels nous devrons nécessairement faire face dans les années qui
viennent.
La taxe d'équarrissage est donc un mauvais impôt, qui repose sur un mauvais
principe ; c'est un impôt archaïque, c'est vraiment le contraire de ce qu'il
faut faire.
Certes, il importe que l'Etat joue son rôle et assume la totalité de ses
responsabilités de service public vis-à-vis de l'ensemble de nos concitoyens,
pour traiter un problème qui est assurément très douloureux et difficile, très
coûteux au surplus. Mais pour ce faire, il faut en appeler aux recettes
générales de l'Etat, appliquer le principe de l'universalité budgétaire.
En effet, pourquoi vouloir couvrir une charge spécifique par un impôt
spécifique frappant des professionnels qui, pour nombre d'entre eux, sont
victimes du phénomène ? Finalement, recourir à la taxe d'équarrissage, c'est
comme financer la réparation des dommages subis lors d'inondations par une
fiscalité locale additionnelle touchant les communes qui en ont été victimes !
C'est exactement du même ordre ! C'est le même raisonnement, et il n'est pas
acceptable.
Madame le secrétaire d'Etat, il vous faut trouver un milliard de francs. Nous
avons une idée à cet égard, que nous vous avons d'ailleurs déjà livrée :
recouvrez plus tôt les 15 milliards de francs de recettes non fiscales que vous
comptiez reporter à l'année prochaine ; placez-les correctement, en utilisant
tous les instruments de marché nécessaires grâce à la grande compétence de la
direction du Trésor, et il n'est pas impossible que les fruits de ce placement
contribuent de manière non négligeable au financement des charges de l'Etat, en
particulier à la couverture des coûts induits par ce que l'on appelle la crise
de la vache folle.
Madame le secrétaire d'Etat, il faut donc, me semble-t-il, réfléchir à nouveau
à cette taxe d'équarrissage, qui ne peut être sans cesse alourdie au fur et à
mesure de l'accroissement des besoins.
Mes chers collègues, c'est en vertu de cette argumentation que la commission
vous propose d'adopter le présent amendement de suppression.
M. Gérard Braun.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais d'abord rappeler la genèse de cette
histoire.
C'est afin de satisfaire aux besoins nouveaux de financement qui résultaient
des mesures de sécurité alimentaire qui ont été décidées cette année par le
Gouvernement que l'article 25 prévoyait, à l'origine, de porter les taux
plafond de la taxe sur les viandes de 0,6 % à 1,5 % et de 0,9 % à 2,7 %.
Je tiens à préciser que cet article comprenait une autre mesure qui consistait
à porter le seuil d'imposition à la taxe sur les achats de viande de 2,5
millions de francs à 5 millions de francs de chiffre d'affaires hors TVA.
Cette mesure n'intégrait pas les conséquences de la décision prise récemment
d'interdire totalement l'usage des farines animales. C'est ce qui a conduit le
Gouvernement à déposer un amendement lors de l'examen du projet de loi de
finances rectificative à l'Assemblée nationale, d'une part, pour élargir
l'assiette de la taxe à l'ensemble des produits à base de viande et, d'autre
part, pour relever les taux de manière plus significative, respectivement à 2 %
au lieu de 1,5 % et à 3,8 % au lieu de 2,7 %.
L'amendement n° 76 consiste à supprimer purement et simplement l'ensemble du
dispositif. C'est d'autant plus regrettable qu'il ne faut pas faire de «
catastrophisme » sur un sujet sérieux qui préoccupe les Français. Monsieur le
rapporteur général, vous avez toutefois posé un certain nombre de questions que
les Français se posent.
Quelle idée de taxer aussi lourdement une filière elle-même en crise ! Si nous
l'avons fait, c'est parce qu'il nous a paru logique de maintenir un lien étroit
entre l'assiette de la taxe et son objet et parce que, après tout, si l'on a
recouru pendant des années aux protéines animales pour l'alimentation du
bétail, c'est parce que cela constituait un moyen de produire au moindre
coût.
Si, aujourd'hui, il est proposé d'instaurer une taxe dont la progression peut
en effet paraître très sensible, il faut tout de même avoir en tête que ses
conséquences sur le prix de viande final ne devraient pas être supérieures à 1
franc, voire à 2 francs par kilogramme, selon les viandes.
Compte tenu de la situation spécifique dans laquelle se trouvent aujourd'hui
les consommateurs, c'est un prix qu'ils sont prêts à payer en contrepartie de
l'assurance d'acheter une viande saine. C'est peut-être le prix de la
réassurance.
Par ailleurs, le dispositif que vous vous apprêtez à supprimer permettait de
régler définitivement une question qui vous a tous beaucoup préoccupés : la
taxation des artisans bouchers et charcutiers. En effet, comme je l'indiquais à
l'instant, l'article 25, tel qu'il avait été proposé dans sa version initiale
par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, comprenait le relèvement du seuil
de taxation de 2,5 millions de francs à 5 millions de francs, ce qui
correspondait à l'engagement pris par le Gouvernement lors de l'examen en
première lecture du projet de loi de finances pour 2001.
Votre amendement remettrait donc en cause, accessoirement si je puis dire,
l'exonération de ces professionnels.
Pour toutes ces raisons, je souhaiterais que vous puissiez le retirer.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteurgénéral.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Sans allonger excessivement le débat, je tiens à
rappeler dans quel contexte économique nous nous trouvons.
Des coûts très importants devront être supportés. Je ne sais d'ailleurs pas
très bien quelle sera la clé de partage entre l'Etat, l'Union européenne, les
partenaires professionnels et les entreprises, mais ce que je sais de manière
certaine, c'est que l'abattage, l'élimination des farines de viande issues du
traitement des carcasses et des déchets animaux, le stockage et la destruction
de ces matières organiques, probablement par incinération, ont un coût et que
des investissements très importants devront être réalisés en différents points
du territoire.
Pour ce qui est de l'incinération, par exemple, toutes sortes de techniques
vont devoir être maîtrisées.
Elle devra être effectuée en respectant les normes environnementales
européennes, en évitant les reproches quant aux rejets supplémentaires de
dioxine dans l'atmosphère.
Il faut aussi relever la nécessité, pour les professionnels, de remplacer les
farines animales par d'autres produits plus chers.
C'est une transformation de l'économie de la filière qui va se produire. Mais
comment seront pris en charge tous les surcoûts ?
L'administration a annoncé la création d'une centaine de postes
supplémentaires de vétérinaires, de pharmaciens, d'ingénieurs, le triplement
des crédits alloués à la recherche sur le prion, etc.
Enfin, un excellent article paru dans l
'Expansion
voilà peu de temps
précise que la principale variable est la consommation, donc le chiffre
d'affaires de la branche. Si celui-ci s'effondre, il y aura des dépenses de
restructuration et des coûts sociaux.
Nous sommes très loin de voir la fin du processus. Dans ces conditions, madame
le secrétaire d'Etat, est-il responsable de laisser entendre à l'opinion que
l'on règle le problème avec la taxe d'équarrissage, qu'il suffit d'en majorer
le taux pour se procurer les ressources nécessaires ?
Ne faudrait-il pas réaliser un effort de transparence vis-à-vis de l'opinion
dans ce domaine ? Celle-ci attend la transparence sur des sujets de cette
nature, la transparence en matière de communication sur les risques sanitaires,
mais aussi sur le devenir de la filière, sur les coûts sociaux et les coûts
pour les finances publiques auxquels il faut s'attendre du fait de cette crise,
qui est structurelle à mon avis et extrêmement grave.
Pardonnez-moi, mes chers collègues, d'être quelque peu sorti du sujet de la
taxe à l'équarrissage, mais c'était pour mieux contribuer à cette prise de
conscience. On ne peut pas se considérer comme tiré d'affaire, en quelque
sorte, par le vote d'une taxe d'équarrissage majorée.
Tout à l'heure, à zéro heure trente, quand nous quitterons le Sénat, nous ne
pourrons pas avoir l'illusion d'avoir réglé le financement des surcoûts issus
de la crise de la vache folle, nous n'aurons fait qu'effleurer le sujet.
C'est pour exprimer ce souci que la commission estime devoir persister à
demander la suppression de l'article 25.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 76, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 25 est supprimé.
Article 25 bis