SEANCE DU 13 DECEMBRE 2000
Convention concernant l'interdiction des pires formes
de travail des enfants
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la
ratification de la convention n° 182 de l'Organisation internationale du
travail concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et
l'action immédiate en vue de leur élimination (n° 448, 1999-2000). [Rapport n°
46 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée à la famille et à l'enfance.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'Organisation
internationale du travail, l'OIT, créée en 1919 par le traité de Versailles, a
pour vocation de promouvoir la justice sociale et de faire respecter les droits
de l'homme dans le monde du travail.
Elle met au point des conventions et des recommandations internationales qui
définissent les normes minimales à respecter dans les domaines de son ressort :
liberté syndicale, droit d'organisation et de négociation collective, abolition
du travail forcé, égalité de chances et de traitement.
A ce titre, l'Organisation s'est penchée sur la situation des 250 millions
d'enfants âgés de cinq à quatorze ans qui travaillent pour gagner leur vie ou
aider leur famille, 70 % d'entre eux étant employés dans des conditions
inadmissibles.
La France est, bien évidemment, sensible également à la question de
l'exploitation des enfants.
Je tiens, par exemple, à souligner le travail du cinquième Parlement des
enfants, qui a adopté une proposition de loi prévoyant d'interdire l'achat, par
des personnes publiques, de fournitures scolaires fabriquées dans des pays ne
respectant pas les droits de l'enfant.
Ce texte a été repris par Mme Raymonde Le Texier, qui en a été rapporteure, et
adopté le 9 juin 1999. Il s'agit de la loi « visant à inciter au respect des
droits de l'enfant dans le monde, notamment lors de l'achat des fournitures
scolaires ». Il permet une action de sensibilisation en direction des écoles et
des familles sur le travail des enfants.
Dans le même esprit, l'OIT a adopté, à l'unanimité, le 17 juin 1999, à Genève,
la convention relative à l'interdiction des pires formes de travail des enfants
et l'action immédiate en vue de leur élimination.
Le texte concerne les enfants âgés de moins de dix-huit ans et définit les
pires formes de travail à interdire, à savoir toutes les formes d'esclavage, de
vente et de traite des enfants, de servitude pour dettes, de servage, de
travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement en vue de leur
utilisation dans des conflits armés leur utilisation à des fins de
prostitution, de production de matériels pornographiques ou de trafic de
drogue, ainsi que les travaux susceptibles de nuire à leur santé, à leur
sécurité ou à leur moralité.
Ces interdictions s'appliquent quel que soit le niveau de développement des
pays concernés. Ces pires formes de travail ne sont d'ailleurs pas tant des
formes directes de travail que des activités souvent contraires au respect des
droits humains de l'enfant.
L'autre élément principal de la convention n° 182 consiste en l'énumération
des mesures que doivent prendre les gouvernements pour assurer la mise en
oeuvre effective des dispositions de la convention.
Les Etats doivent donc introduire dans leur législation interne, non seulement
des sanctions pénales en cas de violation des dispositions protectrices, mais
aussi des dispositions pour soustraire les enfants aux pires formes de travail,
et leur assurer une réinsertion sociale, en particulier l'accès à l'éducation
de base gratuite.
Les Etats s'engagent à prendre également des mesures de prévention et de
réintégration dans la société en accordant une attention prioritaire à la
situation des filles.
La convention prévoit des mécanismes de suivi et des programmes d'action, qui
pourront être cofinancés par l'assistance technique de l'OIT et par la
coopération internationale.
Ce texte se caractérise donc par la prise en compte de la nécessité de
parvenir à des normes claires, réalistes, susceptibles, par conséquent, de
recueillir une ratification aussi universelle que possible pour apporter de
réels progrès aux droits de l'enfant. Il constitue la huitième convention du «
socle universel » des principes et droits fondamentaux que chaque Etat membre
de l'OIT, quel que soit son niveau de développement, est incité à ratifier.
Par ailleurs, je tiens à clarifier l'interprétation que le Gouvernement fait
de l'article 3 (b) relatif à « l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un
enfant à des fins de prostitution ».
Je veux rappeler ici devant vous l'engagement du Gouvernement, pris au niveau
national comme au niveau international, de lutter contre la traite des êtres
humains et contre toutes les formes de prostitution, qui sont des atteintes
absolument inacceptables aux droits fondamentaux, à la dignité et à l'intégrité
de la personne. Le fait que la question de la prostitution soit traitée dans un
texte sur les pires formes de travail ne doit pas susciter d'ambiguïté : la
prostitution ne doit en aucun cas être assimilée à une quelconque forme de
travail ; il s'agit bien clairement d'une forme d'exploitation inacceptable et
odieuse.
La France a ratifié, en 1960, la convention internationale relative à la
répression de la traite des êtres humains et à l'exploitation de la
prostitution d'autrui, adoptée par les Nations unies en 1949. Si certains pays
défendent un courant réglementariste, distinguant une prostitution exercée
librement d'une prostitution forcée, par exemple les Pays-Bas, pour la France,
la prostitution est une violence contraire aux droits de l'homme et de la
femme, une atteinte à la dignité, encore plus insupportable quand elle concerne
les enfants.
M. Roland Courteau.
Très bien!
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée à la famille et à l'enfance.
La France a joué un rôle
déterminant dans la définition de ce « socle universel », et la ratification de
la convention n° 182 parachèvera son engagement au profit des droits de l'homme
au travail. De même, elle renforcera la portée politique des efforts que la
France déploie afin de soutenir les pays en développement dans leur propre
engagement pour éradiquer le travail des enfants, mais aussi pour soutenir ces
mêmes pays sur le chemin du développement économique et social, notamment par
l'accès à l'éducation.
A ce jour, une quarantaine de pays ont ratifié cette convention et il convient
d'espérer que ce nombre s'accroîtra rapidement.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieur
les sénateurs, les principales dispositions de cette convention de l'OIT
concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action
immédiate en vue de leur élimination, aujourd'hui soumise à votre approbation,
conformément à l'article 53 de la Constitution.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Pintat,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers
collègues, le Sénat examine aujourd'hui une convention importante, qui
s'inscrit dans l'effort de la communauté internationale en faveur de la
réduction progressive du travail des enfants dans le monde.
J'ai mentionné, dans mon rapport écrit, les évaluations du Bureau
international du travail selon lesquelles 250 millions d'enfants de cinq à
quatorze ans seraient astreints au travail.
La pauvreté, le poids des traditions, le recours privilégié à la main-d'oeuvre
enfantine pour certains types de travaux tels que le tissage des tapis ou la
verrerie, mais aussi la faiblesse des systèmes éducatifs et le retard des
normes tendant à protéger la santé des enfants sont autant de facteurs qui
contribuent à expliquer ce phénomène encore emassif.
Jusqu'à présent, le droit international et les législations nationales n'ont
eu qu'un effet limité ; l'instauration d'un âge minimal d'entrée au travail est
loin d'être généralisée et, lorsqu'elle existe, elles n'est pas toujours
appliquée et respectée.
L'Organisation internationale du travail s'est préoccupée, dès sa création, en
1919, du travail des enfants dans l'industrie. La convention n° 138 sur l'âge
minimal d'admission à l'emploi, adoptée en 1973, fait partie du « socle » de la
réglementation, c'est-à-dire des sept conventions considérées comme
fondamentales pour la protection des droits des travailleurs. Elle pose le
principe simple selon lequel l'âge minimal ne peut pas être inférieur à celui
auquel cesse l'obligation scolaire et doit, en tout cas, être égal ou supérieur
à quinze ans. Cependant, elle prévoit de nombreuses dérogations tout en tentant
de les encadrer.
En dépit d'une accélération des adhésions depuis deux ans, elle n'a été
ratifiée à ce jour que par cent pays, et l'on trouve parmi ceux qui n'y ont pas
adhéré beaucoup de pays d'Afrique et d'Asie. La plupart des pays en
développement possèdent néanmoins une législation réglementant l'entrée au
travail par un seuil d'âge et de pénibilité.
Hélas, bien souvent, ces législations se situent très en retrait des normes
internationales, ne s'appliquent qu'à certains secteurs d'activité ou prévoient
de multiples dérogations, par exemple pour les petites entreprises, les travaux
domestiques ou les travaux dits « légers », terme assez flou qui tend à être
interprété de manière extensive. En outre, de nombreux pays sont dans
l'incapacité d'assurer le contrôle de l'application des prescriptions légales,
si tant est qu'ils en aient la volonté, dans un contexte économique et social
qui n'offre guère d'alternatives.
Il apparaît, en effet, que la réduction du travail des enfants, éminemment
souhaitable du point de vue de leur plein développement moral et physique, peut
difficilement être imposée par des instruments internationaux ou des mesures de
rétorsion. Elle requiert nécessairement la prise en compte de l'environnement
économique, culturel et social des pays en développement, et implique des
politiques globales combinant à la fois des interdictions ou des limitations et
un accompagnement comportant, pour les employeurs comme pour les employés, des
solutions alternatives et des aides à la réinsertion.
La convention n° 182 adoptée par l'Organisation internationale du travail en
juin 1999, que nous examinons aujourd'hui, vise à tenir compte de cette
approche plus réaliste du phénomène du travail des enfants et de l'inévitable
progressivité de son élimination.
En effet, si l'objectif d'un relèvement global de l'âge d'entrée au travail ne
peut être atteint que très progressivement, il est en revanche nécessaire
d'obtenir des résultats plus rapides et plus significatifs dans l'élimination
des formes les moins acceptables de travail des enfants, qu'il s'agisse de
travaux pénibles ou dangereux nuisant gravement à leur santé ou à leur
développement physique et moral ou d'exploitation pure et simple des enfants
par la servitude, par le travail forcé ou par la prostitution.
La convention n° 182 vise donc à recueillir la plus large approbation
internationale autour de la définition des pires formes de travail des enfants
et de la mise en oeuvre d'actions prioritaires en vue de l'élimination de
celles-ci.
Son dispositif repose essentiellement sur l'article 3 qui définit les pires
formes de travail des enfants, les pays signataires s'engageant à interdire
toutes les formes d'esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la
traite d'enfants, la servitude pour dette ou le travail forcé, l'exploitation
sexuelle des enfants par la prostitution ou les activités pornographiques,
l'utilisation des enfants dans les activités illicites, la drogue par exemple,
et, enfin, les travaux susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la
moralité des enfants.
En conclusion, il est clair que le recul de l'âge d'entrée au travail,
indispensable au plein épanouissement physique et moral des enfants, exige des
conditions globales qui sont encore loin d'être réunies et ne s'affirmeront que
progressivement, au rythme de l'accession des pays concernés au développement
économique.
Ce constat ne doit pas pour autant entraîner la communauté internationale vers
un quelconque fatalisme, car il est des domaines dans lesquels des progrès
substantiels et indispensables doivent être accomplis en urgence.
En s'attaquant aux formes d'exploitation des enfants les plus attentatoires à
la dignité humaine, la convention n° 182 de l'Organisation internationale du
travail témoigne d'une approche à la fois pragmatique et volontariste.
Souhaitons qu'elle puisse entraîner une plus forte mobilisation à l'encontre
des formes les plus inacceptables de travail des enfants.
A ce jour, trente-huit pays ont déjà ratifié cette convention et il paraît
éminemment souhaitable que la France rejoigne rapidement ce groupe de pays
signataires.
La commission des affaires étrangères vous demande donc, mes chers collègues,
d'adopter le projet de loi autorisant la ratification de cette convention.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègue, le présent
projet de loi autorisant la ratification de cette convention est pour moi
l'occasion de dire à quel point le sort de trop nombreux enfants dans le monde
d'aujourd'hui nous fait mesurer les avancées à faire en matière de
développement humain, de civilisation. Je ne rappellerai pas les chiffres -
certains ont été cités - que nous confirme à nouveau le rapport de l'UNICEF de
2001, sur le lourd tribut payé par les enfants, premières victimes de la
guerre, de la pauvreté.
La conférence d'Oslo sur le travail des enfants, en 1997, mettait en cause la
mondialisation capitaliste, la concurrence sauvage, qui faisait des enfants des
cibles idéales en raison de leur vulnérabilité.
En même temps, je veux souligner que le combat pour les droits de l'enfant
avance. La convention du 20 novembre 1989, aboutissement de plusieurs décennies
d'efforts militants, il faut bien le dire, est une avancée considérable. Dans
le même sens, la convention dont nous sommes invités à autoriser la
ratification, est directement issue de la Marche mondiale des enfants, qui a
débuté en 1998.
Depuis 1989, notre pays a joué un rôle important, sur le plan international,
pour la reconnaissance du droit des enfants. D'ailleurs, je suis fière de
rappeler, ici, que c'est sur l'initiative de mon groupe que la loi instituant
une journée du droit des enfants en France a été votée. Notre pays doit
continuer à se montrer exemplaire.
Je voudrais, en me félicitant de la ratification de la convention de l'OIT
tendant à l'élimination des pires formes de travail des enfants, faire une
remarque concernant l'intitulé même de la convention. Vous avez évoqué ce
problème, madame la ministre, mais il demeure.
Ce que la convention entend par « pires formes de travail des enfants » est
explicité à l'article 3, qui vise, de façon exhaustive, toutes les formes
d'esclavage ou pratiques analogues - vente, traite des enfants, servitude, etc.
- l'utilisation d'un enfant à des fins de prostitution ou de pornographie,
l'utilisation d'un enfant aux fins d'activités illicites - par exemple, le
trafic de stupéfiants - et les travaux qui, par leur nature, ou les conditions
dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la
sécurité ou à la moralité de l'enfant.
Si l'on peut saluer l'initiative, cette définition n'est pas sans poser des
problèmes, sur lesquels Claire Brisset, la défenseure des enfants, a attiré
notre attention, et sans doute la vôtre.
En particulier, l'assimilation de la prostitution à un « travail » - aussi
horrible soit-il considéré - pose, selon nous, un vrai problème, et ce à un
double point de vue.
D'une part, cette assimilation sémantique entre le travail et la prostitution
contient en germe un risque de dérive inquiétant. Je crains qu'au nom du
réalisme politique, à savoir que la prostitution constitue, dans certains pays,
une forme d'économie parallèle - on n'en finisse par oublier qu'il s'agit de
crimes, et non de « commerce » ou de « travail ».
D'autre part, désigner la prostitution ou l'enrôlement forcé dans un conflit
comme étant l'une des pires formes de travail risque d'induire, par ricochet,
une perception minorée de ce que nous considérons, objectivement, comme des
formes intolérables de travail des enfants, en particulier les travaux visées à
l'alinéa
d
de l'article 3 comme mettant en péril la santé, la sécurité
et la moralité des enfants.
Ce risque de glissement me paraît d'autant plus réel que l'article 4 renvoie
aux législations nationales le soin de déterminer les activités dangereuses, ce
qui n'est pas le cas des autres pratiques criminelles réprimées par la
convention.
En fait, il est dommage que l'on n'ait pas choisi de qualifier les pratiques
désignées comme « pires formes de travail des enfants » pour ce qu'elles sont
en réalité, à savoir des « activités contraires au respect des droits humains
de l'enfant », comme les désigne l'exposé des motifs du projet de loi.
Cette question mériterait une mention particulière dans la procédure de
ratification. Je ne sais pas bien sous quelle forme, mais il me semble
important d'y songer pour éviter des amalgames malheureux.
Cette réserve mise à part, les dispositions de la convention reçoivent bien
entendu notre entière approbation, car elles ne se limitent pas à des
affirmations de principe mais contiennent des mesures concrètes, effectives,
notamment parce que l'élimination de ces formes d'exploitation des enfants
constitue une obligation mise à la charge des Etats.
Vous me permettrez néanmoins de conclure mon intervention par deux
souhaits.
D'une part, la France, qui est à l'avant-garde en matière de protection du
travail des enfants, doit se montrer aussi exemplaire que possible.
Si les pratiques de tourisme sexuel ou d'esclavage moderne sont maintenant
effectivement poursuivies et sévèrement réprimées par les juridictions pénales,
nous ne pouvons passer sous silence la mendicité organisée des enfants dans
notre pays. Je pense également aux mineurs étrangers isolés, qui doivent être
considérés comme des mineurs en danger, pour que ne se reproduise pas le
scandale de cette petite fille retenue pendant plusieurs jours dans une zone de
rétention. Enfin, la lutte contre la maltraitance reste un combat
prioritaire.
D'autre part, l'Europe sociale apparaît sérieusement en panne, si l'on se
réfère non seulement à l'autorisation du travail de nuit des femmes, mais
également à la directive 94-33 intégrée dans l'ensemble d'ordonnances de la loi
d'habilitation qui sera adoptée prochainement et qui autorise le travail des
enfants de treize ans pour les travaux légers. De ce point de vue, nous ne
sommes pas rassurés.
C'est sur ces remarques que je conclurai mon propos, en réaffirmant, par notre
vote en faveur de la convention, notre soutien à la cause des enfants. Ce
faisant, j'ai à l'esprit le deuxième sommet mondial des enfants qui se tiendra
à New York en septembre 2001 et qui, je l'espère, permettra de lancer un
nouveau plan d'action ambitieux pour la décennie.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes. - M. Guy Vissac applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France
s'honore d'avoir constamment essayé de promouvoir les initiatives contribuant à
éradiquer les pires formes de travail des enfants et, plus généralement, à
faire respecter pleinement les normes de l'Organisation internationale du
travail, l'OIT.
Il n'est donc pas étonnant que le Gouvernement nous propose aujourd'hui
d'autoriser la ratification de la convention n° 182.
Cette ratification est le prolongement naturel d'une politique plus générale
destinée à bâtir un socle universel des droits et principes fondamentaux du
travail.
Dans cette période de mondialisation rapide, les atteintes au droit du travail
et aux droits des travailleurs sont, hélas ! monnaie courante.
Malheureusement, comme l'a souligné le rapport écrit de notre collègue M.
Pintat, le phénomène du travail des enfants demeure massif et, en valeur
absolue, ce fléau sévit surtout dans les pays les plus pauvres.
Certes, d'une façon plus limitée, nous pouvons encore rencontrer des enfants
qui travaillent en Europe centrale, en Europe orientale et en Europe du Sud.
Nous sommes heureux de pouvoir autoriser la ratification de cette convention
concernant les pires formes de travail des enfants et - cela est très important
- l'action immédiate en vue de leur élimination.
Cette convention vient renforcer le dispositif international de protection des
enfants.
Elle aura des conséquences en ce qui concerne le soutien que la France et
l'Union européenne peuvent apporter aux pays en voie de développement ou aux
pays émergents qui souhaitent sincèrement éradiquer le travail des enfants. Il
s'agit de promouvoir le droit à l'éducation et à un plein développement moral
et physique des enfants.
Nous ne devons pas nous voiler la face : l'application d'une telle convention
n'est pas aisée. Les pures mesures de rétorsion ne conduisent souvent qu'au
raidissement et au blocage de situations déjà suffisamment pénibles.
Une approche globale de la question est nécessaire, approche qui puisse
prendre en compte le contexte social, économique et culturel du phénomène
traité. Les mesures d'accompagnement économique, le soutien aux politiques
éducatives, l'aide aux familles et aux enfants sur place peuvent se concilier
avec une grande fermeté face au nécessaire respect des accords
internationaux.
Plusieurs pays refusent l'inclusion dans les accords commerciaux
internationaux des clauses relatives à l'interdiction du travail des
enfants.
A l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, plusieurs tentatives dans ce
sens ont été battues en brèche. Certains pays en voie de développement
demandent, notamment, des aides concrètes pour les familles qui seraient ainsi
privées de ressources. D'autres, plus cyniques peut-être, font remarquer que
les pays industrialisés ont bien profité, pour atteindre un haut niveau de
développement, du travail des enfants, et cela - dans certains cas - jusqu'à
une date récente.
Pour vaincre les réticences et les résistances, je pense que nous devons aller
plus loin. Il nous faut aussi aborder le problème d'une manière positive, et
non dans un sens purement répressif.
Ainsi, je considère que les pays qui le souhaitent doivent pouvoir prendre des
mesures incitatives dans les relations commerciales au bénéfice des pays qui ne
font pas travailler les enfants, qui respectent la liberté du travail et la
liberté syndicale.
J'en viens à un point du texte qui me paraît inquiétant, qui a retenu
l'attention de Mme la ministre et qui a été évoqué par notre collègue Mme
Borvo. Parmi les formes intolérables de travail énumérées par la convention se
trouve la prostitution. Je crois savoir, madame la ministre, que, pour la
première fois dans notre histoire, un texte international associe les mots «
prostitution » et « travail ».
M. Roland Courteau.
C'est exact !
Mme Dinah Derycke.
Cela constitue un précédent qui me semble très dangereux. En effet, la
prostitution ne saurait être considérée comme une forme de travail, car elle
est bien l'une des pires violences faites à l'être humain.
M. Roland Courteau.
Très bien !
Mme Dinah Derycke.
Je rappelle d'ailleurs que la délégation du Sénat aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui travaille
actuellement sur ce sujet, rédigera un rapport au début de l'année prochaine
sur la prostitution.
Il ne s'agit pas là d'un glissement sémantique, et c'est encore moins le fait
du hasard : associer la prostitution à toute forme de travail, c'est adhérer à
un courant de pensée qui tend à considérer le corps comme une marchandise, sa
vente comme une prestation de services et le produit du proxénétisme comme une
élément du produit national brut des pays les plus pauvres.
M. Roland Courteau.
C'est exact !
Mme Dinah Derycke.
Considérer la prostitution comme une forme intolérable de travail pour les
enfants ne revient-il pas à considérer la prostitution comme un travail,
lorsqu'elle est exercée par leurs parents ?
Les mots sont dangereux et je souhaite que la France soit toujours
particulièrement attentive à ce que les textes internationaux traitant de la
prostitution soient conformes à la convention, signée par la France en 1949,
pour la répression de la traite des êtres humains et l'exploitation de la
prostitution d'autrui.
M. Roland Courteau.
Très bien !
Mme Dinah Derycke.
Quoi qu'il en soit, la nécessité de la convention n° 182 est une évidence. Il
s'agit d'un pas, d'un petit pas, dans un chemin très long que nous devons
parcourir sans hésitation.
La mondialisation a besoin de règles du jeu ; c'est pour cela que le
Gouvernement, depuis 1997, n'a cessé de promouvoir la prise en compte de normes
sociales fondamentales au niveau international.
La lutte contre le travail des enfants est une de ces règles fondamentales.
Voilà pourquoi, malgré ces quelques réserves mais en prenant acte des
engagements de Mme la ministre - le groupe socialiste votera ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.