SEANCE DU 25 OCTOBRE 2000
M. le président.
Je suis saisi par Mme Borvo, M. Bret et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen d'une motion n° 20 tendant à opposer la question
préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide
qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi portant
habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives
communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit
communautaire (n° 473, 1999-2000). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du réglement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative
ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour
quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie
au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une
durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Bret, auteur de la motion.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai une
remarque préalable : curieux règlement de notre Haute Assemblée qui ne
m'autorise à défendre notre motion tendant à opposer la question préalable
qu'après la discussion générale, qui a eu lieu, avant la suspension du soir, et
après les réponses du Gouvernement. Il y a là, du point de vue de notre
fonctionnement, matière à réflexion.
Cette session parlementaire s'est ouverte il y a trois semaines dans un
contexte particulier.
Le référendum sur le quinquennat qui s'est tenu le 24 septembre a connu un
taux d'abstention sans précédent.
Quel homme ou femme politique, quel observateur n'a pas noté à cette occasion
la méfiance croissante des Français à l'égard de la politique,...
M. Alain Lambert.
La politique du Gouvernement !
M. Robert Bret.
... une inquiétude forte quant à l'éloignement des centres de décision.
Notre peuple a le sentiment que les centres du pouvoir sont ailleurs, qu'ils
sont essentiellement économiques et financiers.
Le caractère du projet de loi dont nous débattons ne peut, à l'évidence, que
conforter cet avis.
Le contexte de cette rentrée, c'est aussi l'expression d'attentes sociales
fortes, notamment en matière de redistribution des richesses.
A ces interpellations, il est trop souvent répondu que l'Europe, les critères
de convergence ne permettent pas de desserrer les cordons de la bourse.
Quels sont les pouvoirs réels des peuples, de leurs élus pour modifier le
cours des choses ? C'est bien la question d'une construction réellement
démocratique de l'Europe qui se trouve ainsi posée.
Que nous est-il proposé avec ce projet de loi ? Je cite l'exposé des motifs :
de « délester la charge de travail du Parlement de textes de transposition à
caractère essentiellement technique ».
Je tiens à dire d'emblée que tel n'est pas notre avis.
Tant par sa densité - les 1 400 pages des annexes du rapport de notre collègue
M. Hoeffel, présenté au nom de la commission des lois, l'attestent - que par la
saisine de l'ensemble des commissions, et par sa qualité et son caractère
exceptionnel, ce texte mérite toute l'attention du Parlement.
Or - ce sera mon premier constat - la procédure des ordonnances, régie par
l'article 38 de la Constitution, n'autorise pas un travail sérieux, pleinement
démocratique, du Parlement.
Depuis 1958, les parlementaires communistes et bon nombre de démocrates se
sont opposés à cette procédure. Cette dernière prend, en effet, place dans un
dispositif global d'affaiblissement du Parlement, du pouvoir législatif face à
l'exécutif et d'un droit communautaire qui s'impose sans discussion possible au
droit national ; je m'explique.
Cet article 38 rejoint une cohorte de dispositions constitutionnelles qui
brident, voire bloquent, l'action du Parlement.
Comment ne pas rappeler les articles 34 et 37 qui favorisent le règlement face
à la loi, l'article 40 qui a transformé au fil des années la loi de finances en
formalité, la véritable guillotine institutionnelle que constitue l'article
49-3 ?
Comment ne pas rappeler l'existence même du Conseil constitutionnel, censeur
sans légitimité de la volonté populaire ?
S'ajoute à cet ensemble le renforcement potentiel du pouvoir du Président de
la République, dans le cadre d'un quinquennat facteur de personnalisation et de
bipolarisation de la vie politique.
La campagne référendaire n'a-t-elle pas été d'ailleurs l'occasion d'une
débauche de prises de positions en faveur du renforcement du rôle du Parlement
? A droite comme à gauche, tout le monde était d'accord sur cette nécessité.
Quant à moi, je considère que la revalorisation du rôle du Parlement fait
partie des engagements de la gauche.
Malheureusement, l'un des premiers textes significatifs de la session met
gravement en cause les compétences des assemblées.
Comme le Premier ministre, lors de son discours d'investiture du 19 juin 1997,
nous estimons que le Parlement « incarnation de la souveraineté nationale doit
pleinement exercer son rôle éminent au sein de nos institutions ».
Le Premier ministre se fixait, à juste raison, l'objectif « d'impliquer
davantage le Parlement dans la construction européenne ».
La pratique des ordonnances dans le cadre européen apparaît fondamentalement
contradictoire à la volonté de rapprocher l'Europe des citoyens, rapprochement
qui constitue l'un des défis des mois et des années à venir.
M. Alain Lambert.
Quelle déception !
M. Robert Bret.
Aussi, je souhaite m'arrêter sur les conditions de mise en oeuvre de l'article
38.
Premièrement, les ordonnances doivent être autorisées pour l'exécution du
programme. Vous ne manquerez pas de m'opposer certainement la jurisprudence du
Conseil constitutionnel, mais celle-ci doit-elle être considérée comme parole
divine et supplanter à jamais le texte constituant lui-même ?
Je considère, avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, que
des dispositions contenues dans ce projet de loi ne font pas partie du
programme du Gouvernement.
L'exemple le plus frappant concerne les télécommunications. Certes, les
dispositions contenues à l'article 1er sont le prolongement de mesures déjà
effectives, mais elles participent au vaste mouvement de libéralisation et de
privatisation du secteur. Qui peut le contester ?
Or, le Premier ministre, le 19 juin 1997, évoquant le secteur public des
télécommunications, déclarait : « nous ne sommes pas favorables à la
privatisation de ce patrimoine commun que sont les grandes entreprises
publiques en situation de concurrence ».
Ma deuxième remarque concerne la ratification des ordonnances. Le Gouvernement
s'engage à déposer des projets dans ce sens, ce qui est intéressant.
Nous souhaitons toutefois un engagement solennel à l'organisation d'un débat
sur ces futurs projets. Trop souvent en effet ces textes de ratifications
demeurent dans les tiroirs, car seul le dépôt suffit à la réalisation de la
ratification.
Au-delà de ce propos, l'argument d'un débat à venir nous semble bien mince.
C'est en amont des décisions gouvernementales que le débat parlementaire prend
son sens. Renvoyer aux calendes grecques le travail précis du Parlement nous
apparaît peu conforme aux principes démocratiques les plus élémentaires.
Enfin, si c'est la surcharge de travail du Parlement qui justifie le recours
aux ordonnances, pourquoi, au cours de toutes ces années, ne pas avoir organisé
un débat qui aurait dû avoir lieu au moins sous la forme de l'examen d'un
projet de loi de ratification ?
Contrairement à ce qui est indiqué dans l'exposé des motifs, le champ couvert
par le projet de loi est important. Dans la discussion générale, Nicole Borvo a
mis en évidence un certain nombre de dispositions.
Appliquées à la transposition des directives en droit interne, les ordonnances
renforcent le déficit démocratique de l'actuelle construction européenne.
L'un des moyens de rapprocher les peuples européens du processus en cours
consiste en une participation forte des parlements nationaux à l'élaboration
des normes européennes et à leur contrôle.
C'est le Président de la République lui-même qui déclarait le 27 juin dernier,
devant le Parlement allemand : « D'abord rendre l'Union européenne plus
démocratique. La construction communautaire a trop été la seule affaire des
seuls dirigeants et des élites. Il est temps que nos peuples redeviennent les
souverains de l'Europe. Il faut que la démocratie en Europe vive mieux,
notamment à travers les parlements européens et les parlements nationaux. »
Loin de moi l'idée de soupçonner d'incohérence l'attitude du Président de la
République, mais je note qu'il a donné son accord préalable au texte qui nous
est soumis. Curieuse méthode pour rendre le peuple souverain...
Or, si la majorité sénatoriale n'a certes pas pu se laisser dépouiller en
silence de ses prérogatives, force est de constater que, au-delà des
protestations - rappelons que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis
presque vingt ans sont responsables de la situation actuelle - elle accepte le
principe même des ordonnances.
Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je refuse de
limiter la compétence du Parlement, alors que des directives concernant des
domaines aussi importants et durs que la libéralisation du secteur des
télécommunications ou de la poste, le travail de nuit des femmes, les
conditions de travail des femmes enceintes, la protection sociale.
Ces directives abordent également des questions importantes dans le domaine de
l'enseignement supérieur ou de l'écologie, avec la directive Natura 2000.
Certaines de ces dispositions nous agréent, d'autres suscitent notre
interrogation, voire notre opposition, mais rappelons que le délai imparti ne
nous a pas permis d'étudier dans le détail les mille quatre cents pages de
directives...
Mais l'objet de cette motion tendant à opposer la question préalable n'est pas
de séparer le bon grain de l'ivraie, car toute disposition d'essence
législative, fût-elle positive, doit être, selon nous, débattue au
Parlement.
Les articles 3 et 4 du projet de loi aggravent encore notre appréciation. La
réforme d'ampleur du code de la mutualité qui est proposée suscite, nous le
savons, l'approbation des acteurs de ce secteur.
Mais une démocratie peut-elle fonctionner si l'on saute l'étape pourtant
obligée de l'examen par les représentants de la nation, garants de l'intérêt
général ?
L'article 4, qui comporte des dispositions sur les infrastructures routières,
suscite le débat. Tout en comprenant parfaitement le caractère d'urgence et la
nécessité de trouver des financements nouveaux et originaux pour le
développement des transports collectifs, nous estimons, là encore, que ces
dispositions qui, reconnaissons-le, sont fort loin d'être de simples
transpositions de directives, devraient être soumises dans de bien meilleures
conditions au débat.
L'attitude du groupe communiste républicain et citoyen est donc claire : notre
question préalable est une question de principe. Elle n'est pas tournée vers
tel ou tel gouvernement, puisque vingt ans de direction des affaires du pays
sont en cause.
Notre attitude dépasse les querelles politiciennes du moment. Il s'agit
d'alerter, certes, les parlementaires mais aussi, au-delà, nos concitoyens sur
la persévérance d'un mode de construction européenne tournant le dos aux
aspirations démocratiques qui s'expriment avec une force croissante.
Cette motion porte sur l'ensemble du texte, que nous rejetons dans sa
globalité.
Dans le cadre du débat, nous demanderons le retrait, par le dépôt
d'amendements, des directives et dispositions dont le vote, sans débat réel au
Parlement, nous apparaît le plus inacceptable.
Notre volonté est de favoriser la recherche de modalités nouvelles.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la possibilité d'évolutions
institutionnelles. Nous nous inscrivons dans cette démarche qui permet la
discussion des directives, dans le respect des prérogatives parlementaires,
notamment du droit d'amendement. Nous sommes bien conscients de l'accumulation
des textes, alors pourquoi ne pas réfléchir à l'utilisation d'une procédure de
vote sans débat, voire de débat restreint, réservée à l'examen des
transpositions de directives, garantissant à tout président de groupe la
possibilité d'exiger un débat classique s'il juge la disposition importante ?
Une telle procédure permettrait l'adoption en commission des directives sans
enjeu particulier et le débat en séance publique des autres. Dans tous les cas,
le droit d'amendement serait maintenu.
A l'Assemblée nationale, une adaptation de la procédure d'examen simplifiée
pourrait être également étudiée. Des solutions existent ou peuvent être
créées.
Mais l'essentiel n'est pas là. Pour permettre la pleine association des
parlements nationaux, l'Europe doit être mieux construite en amont. L'article
88-4 de la Constitution, qui donne le pouvoir au Parlement de prendre des
résolutions doit être mieux utlisé. Mais le vote de résolution suffit-il ? Nous
ne le pensons pas et nous estimons que les parlementaires nationaux doivent
pouvoir mandater les ministres qui négocient au sein du Conseil. Cette
proposition n'est pas irréaliste puisque des pays comme le Danemark, cité en
exemple par M. Hoeffel, disposent d'un tel aménagement.
J'ai la conviction profonde que, pour permettre à l'Europe d'aller de l'avant,
ce qui est mon souhait, il faut remettre sa construction sur pied.
C'est aux peuples, à leurs représentants, d'élaborer les normes en interaction
avec les institutions européennes. Ce n'est certainement pas en confirmant de
manière si flagrante le confinement du Parlement dans le rôle de chambre
d'enregistrement de normes supraétatiques que l'Europe trouvera son nouveau
souffle.
Afin de permettre à chacun de se positionner clairement sur le principe même
de la pratique des ordonnances, je demanderai, avec mon groupe, un scrutin
public sur la motion portant question préalable que je viens de présenter.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
J'ai écouté avec attention les arguments que notre collègue
M. Bret a avancés pour appuyer la motion tendant à opposer la question
préalable, arguments qui, tout au long du débat de cet après-midi, ont été
avancés par la commission saisie au fond comme par l'ensemble des commissions
saisies pour avis.
Toutefois, si nous sommes d'accord sur le diagnostic, nous divergeons quant à
l'attitude à adopter sur la poursuite ou la non-poursuite du débat.
Nous nous trouvons placés devant l'alternative redoutable soit d'accepter que
le Parlement renonce à des prérogatives importantes qui doivent rester siennes,
soit de laisser notre retard s'accentuer encore en matière de transposition des
directives européennes dans notre législation. Entre deux maux, il faut savoir
choisir le moindre.
Nous choisissons, et je m'exprime ici avec conviction au nom de l'Europe, au
nom de la construction européenne : acceptons-nous que notre retard, qui est
considéré comme inadmissible sur toutes les travées de cette assemblée,
s'accentue davantage encore, affaiblissant la position de la France, en
particulier au moment où notre pays assume la présidence de l'Union européenne
? Refuser de poursuivre le débat en cette fin de mois d'octobre serait porter
un mauvais coup au sens des responsabilités, à l'audience et au rayonnement de
notre pays.
Par conséquent, je vous propose, je vous recommande même de rejeter la
question préalable, non pas faute de convergence sur le fond d'un certain
nombre d'arguments, mais parce que l'intérêt supérieur de notre pays et de
l'Europe l'exige !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Le Gouvernement demande le
rejet de cette question préalable.
Le Gouvernement a déposé ce projet de loi d'habilitation pour les raisons que
j'ai évoquées, à savoir la nécessité de combler notre retard en matière
d'adaptation de directives à notre législation et le souhait de servir la
construction européenne. Le fait de rester ainsi en arrière des normes pose des
problèmes d'application sur le plan juridique, suscite des conflits de droit
qui ne servent ni notre pays ni l'Europe.
Je voudrais dire également à M. Bret, qui a évoqué la situation du Parlement,
que notre rôle n'est pas de refaire la Constitution de 1958. Il est plutôt de
nous interroger sur la façon de l'appliquer ! J'ajoute que, depuis juin 1997,
le Gouvernement auquel j'appartiens a respecté les prérogatives du Parlement.
En effet, jamais l'article 49-3 de la Constitution n'a été invoqué depuis trois
ans et demi.
M. Pierre Hérisson.
C'est pire !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Enfin, sur les 147 lois qui ont
été adoptées, un tiers proviennent de l'initiative parlementaire, soit beaucoup
plus qu'avant. Le Parlement joue bien un rôle dans nos institutions. Ce soir,
il n'est pas dépossédé, puisque le débat a été très large. Chacun s'est exprimé
et, comme je l'ai indiqué, pourra s'exprimer à nouveau à l'occasion des projets
de loi de ratification.
En effet, lorsqu'elles sont publiées, les ordonnances n'ont qu'une valeur
réglementaire. Pour qu'elles aient une portée législative, il faut qu'elles
soient ratifiées, et c'est leur ratification qui permet justement aux
parlementaires d'exercer leur droit d'amendements.
Le rôle du Parlement a lui-même évolué par rapport au débat européen. Quand la
Constitution de 1958 a été votée - un an après la signature du traité de Rome -
les Constituants n'avaient pas conscience des problèmes juridiques et
politiques que poserait l'existence simultanée d'un ordre juridique national et
d'une norme européenne. L'article 88-4, issu de la révision constitutionnelle
de 1992, sur l'initiative de Pierre Bérégovoy, permet désormais au Parlement
d'exprimer, par des résolutions, son avis sur des propositions d'acte
communautaire comportant des dispositions de nature législative.
La révision constitutionnelle de 1999, pour ratifier le traité d'Amsterdam, a
étendu cette prérogative aux projets et aux propositions d'acte qui relèvent de
ce que l'on appelle le deuxième et le troisième pilier, qui concernent
respectivement la politique étrangère et de sécurité commune, la justice et les
affaires intérieures.
En outre, des débats ont lieu, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, sur
des thèmes européens ; des questions orales européennes peuvent également être
posées. Enfin, la contribution financière de la France au budget européen fait
l'objet d'un débat spécifique lors de l'examen du projet de loi de finances. Le
Parlement est par conséquent de plus en plus impliqué dans la construction
communautaire.
Cela étant, j'approuve la proposition de M. Bret s'agissant des directives :
il peut être intéressant, après leur examen en commission, de n'évoquer en
séance publique que les directives qui posent problème à tel ou tel groupe
politique. Cela nécessiterait, peut-être, au moins une modification du
règlement de la Haute Assemblée, au plus - il faudrait étudier cela dans les
détails - une révision constitutionnelle.
Une chose est sûre - tout le monde en convient dans cette enceinte - il est
nécessaire de combler le retard que nous avons - retard imputable à tous les
gouvernements qui se sont succédé - en matière d'intégration dans notre
législation nationale des normes communautaires.
La procédure qui vous est proposée est, certes, exceptionnelle, mais, le débat
l'a prouvé cet après-midi, le Parlement exerce un droit de regard vigilant. Je
vous invite par conséquent à rejeter la motion tendant à opposer la question
préalable et, à l'occasion de la discussion des articles, nous répondrons aux
questions que vous avez posées lors de la discussion générale.
M. le président.
Je vais mettre aux voix la motion n° 20 tendant à opposer la question
préalable.
M. Henri de Raincourt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
J'expliciterai brièvement la position de notre groupe, qui ne prendra pas part
au vote.
Nous avons écouté tous les arguments qui ont été avancés cet après-midi à
l'occasion tant des excellents rapports de nos collègues que des interventions
des orateurs.
Chacun a fait remarquer que, si le moyen choisi était pour le moins
discutable, l'urgence de transposer un certain nombre de directives nécessitait
de faire cet effort. Il s'agit d'un discours que nous pouvons effectivement
entendre. Toutefois, l'aspect politique nous amène à considérer que certains
événements méritent quelques éclaircissements.
M. Alain Lambert.
Certes !
M. Henri de Raincourt.
En effet, si je me réfère à ce que disait excellemment ici, voilà quelques
jours, le président Lambert, à propos du projet relatif à ce qu'on appelle
pompeusement « les nouvelles régulations économiques », si j'observe ce qui
s'est passé hier à l'Assemblée nationale à l'occasion du vote de la première
partie du projet de loi de finances,...
M. Alain Lambert.
Eh oui !
M. Henri de Raincourt.
... si je lis ce qu'on écrit sur l'engagement de la discussion portant sur le
projet de loi de financement de la sécurité sociale et si, témoin privilégié,
comme mes autres collègues sénateurs ici, je regarde ce qui se passe une
nouvelle fois ce soir au Sénat, où des composantes très importantes soutenant
un même gouvernement sont en train de se déchirer
(exclamations sur les
travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen)
sur la question de savoir s'il est opportun ou non de procéder
de la sorte,...
M. Robert Bret.
Vous prenez vos désirs pour des réalités !
M. Roland Muzeau.
L'exemple de Paris, sans doute !
M. Henri de Raincourt.
Cela vous gêne ?
M. Claude Domeizel.
Parlez du vote !
M. Henri de Raincourt.
... quand je vois tout cela, je préfère que le débat soit tranché à
l'intérieur de la majorité plurielle ! Ce n'est en effet pas à l'opposition, à
notre groupe en particulier, de se mêler de vos querelles de famille !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. Roland Muzeau.
La droite n'a pas d'avis !
M. Alain Lambert.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lambert.
M. Alain Lambert.
Le président de Raincourt vient sans doute d'exprimer des regrets, car on ne
peut que regretter, lorsqu'on aime son pays et lorsqu'on croit à la force de
ses institutions, que le Gouvernement de la France n'ait plus de majorité pour
le soutenir ! C'est en effet la seconde fois au Sénat qu'un groupe, pourtant
titulaire de responsabilités au sein du Gouvernement, « manque » à celui-ci,
pis, le défie ! M. de Raincourt pose donc le problème suivant : la majorité
sénatoriale doit-elle arbitrer... on ne sait plus comment dire... la
pluralité... le pluralisme d'une majorité finissante... peut-être ?
Il est un second aspect, monsieur le ministre, qui m'a gêné dans
l'argumentation que vous avez développée à la tribune - cela n'enlève rien à
l'estime personnelle que je vous porte - et sur lequel je voudrais insister.
Vous avez mêlé à cela le chef de l'Etat, ce qui ne m'a pas plu.
M. Patrice Gélard.
Exactement !
M. Alain Lambert.
Le chef de l'Etat n'est pas le buvard chargé d'essuyer l'encre plurielle de
votre gouvernement !
(Sourires.)
Si l'écriture de votre texte est si laborieuse qu'elle ne
trouve pas de majorité, je vous en supplie pour le bien du pays, alors que vous
quêtez déjà le soutien d'une majorté sénatoriale, n'y mêlez pas, en plus, le
chef de l'Etat !
M. Roland Muzeau.
Il a autre chose à faire !
(Sourires sur les travées du groupe communiste Républicain et Citoyen.)
M. Alain Lambert.
Il a effectivement beaucoup de choses à faire, sur le plan international comme
sur le plan de la défense du pays.
Monsieur Bret, vous nous épargneriez bien des soucis si vous acceptiez de
retirer votre motion qui tend à opposer la question préalable. Hélas ! je ne
vous ai pas entendu répondre à l'appel insistant du ministre du gouvernement
que vous étiez réputé soutenir... jusqu'au début de cette séance.
Mes chers collègues, je vais vous donner mon sentiment. Cette maison est si
indispensable à la République qu'il faut qu'elle accomplisse toute sa tâche,
mais rien que sa tâche...
Nous ne prétendons donc pas être ici, au Sénat, le reflet exact de la
représentation nationale des Français. C'est la raison pour laquelle,
personnellement, je ne me propose pas ce soir de faire l'arbitrage entre la «
pluralité »... que le mot est sympathique ! C'est la grâce du vocabulaire, mes
chers collègues !
(Sourires.)
Je suis donc favorable à la proposition - sage, comme toujours - de M. le
rapporteur de la commission des lois. C'est ce qui m'amènera, pour ce qui me
concerne, à choisir de poursuivre la discussion.
Vous avez souligné à notre intention, monsieur le président, que le règlement
du Sénat ne permet qu'à un membre de chaque groupe de s'exprimer. Je pense que
mes collègues du groupe de l'Union centriste approuveront le choix que je fais,
et le traduiront dans leur vote.
Nous souhaitons la poursuite de la discussion, monsieur le ministre, parce que
nous aimons l'Europe et parce que nous ne voulons pas provoquer une crise de
régime, et vous êtes au bord d'une telle crise !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Le groupe du RPR participera à ce scrutin et votera contre la motion tendant à
opposer la question préalable déposée par le groupe communiste républicain et
citoyen. Je vais expliquer pourquoi très brièvement.
Je voterai contre la motion, en premier lieu, parce que je ne peux pas
accepter les arguments défendus par M. Bret tout à l'heure. Ce dernier a
présenté une conception de la République qui n'est pas la mienne, qui n'est pas
celle de mon groupe. La lecture qu'il fait de l'article 38 de la Constitution,
de l'article 34, de l'article 37, de l'article 40 et de l'article 49 n'est pas
notre lecture.
Je ne veux pas que l'on retombe dans les errements de la IIIe et de la IVe
République, je ne veux pas que l'on rétablisse des sortes de décrets-lois
déguisés, de lois-cadres ou de droit de délégation.
Heureusement que l'article 38 existe, parce que nous sommes tous coupables, le
Gouvernement présent comme nous dans le passé, de ne pas avoir été suffisamment
vigilants et de n'avoir pas fait en sorte que ces directives européennes soient
transposées en temps utile. Je pense qu'il est nécessaire qu'on le fasse
maintenant.
Au demeurant, je pense nécessaire également de suivre la commission des lois
et les commissions saisies pour avis en retirant du projet de loi un certain
nombre de directives trop importantes pour que leur transposition soit laissée
au seul pouvoir réglementaire.
Certes, monsieur le ministre, vous nous avez fait de belles promesses sur la
discussion des lois de ratification, et je veux bien vous croire ! Mais vous
serez bien le premier ministre qui, après avoir utilisé l'article 38, déposera
effectivement des projets de loi de ratification, les inscrira à l'ordre du
jour et fera en sorte qu'ils soient discutés et amendés !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je l'ai fait pour l'outre-mer
!
M. Patrice Gélard.
Oui, mais cela n'a pas été fait pour d'autres lois. J'attends toujours, par
exemple, que l'on inscrive à l'ordre du jour la ratification de la loi sur la
codification !
Cela dit, je ne suis pas d'accord avec M. Bret sur deux autres points. Je
tiens à le souligner parce que, dans les propos qu'il a tenus, j'ai décelé les
signes d'une offensive qui se développe actuellement et qui me paraît très
déplaisante.
Mon premier point de désaccord porte sur l'attaque qu'il a faite contre le
Conseil constitutionnel, attaque que je ne peux pas admettre.
Le deuxième point concerne l'évocation du Président de la République - et, là,
je rejoins M. Lambert : le Président de la République n'a rien à voir dans
cette affaire d'ordonnances. Je ne vois pas l'intérêt qu'il y a, à chaque fois,
de le faire apparaître ainsi dans la discussion. Ce n'est que de la basse
politique !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Simon Sutour.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour.
Je souhaite simplement revenir, en dehors de toute polémique, au sujet qui
nous occupe ce soir : l'Europe.
Le 30 septembre 2000, 176 directives européennes n'étaient pas encore
transposées en droit national.
M. Alain Lambert.
Pourquoi ?
M. Simon Sutour.
En l'occurrence, il ne s'agit pas de légiférer comme cela a été fait dans le
passé par un gouvernement, que certains d'entre vous soutenaient, qui a
légiféré par voie d'ordonnances pour la sécurité sociale, par exemple. C'était,
me semble-t-il, autrement plus grave !
La présidence de l'Union européenne est exercée par la France. Ce retard
représente donc un handicap important pour elle. Notre pays ne peut se
permettre d'être l'un de ceux qui connaissent un retard dans la mise en oeuvre
du droit communautaire.
M. Philippe Richert,
rapporteur pour avis.
Ce n'est pas nouveau !
M. Simon Sutour.
C'est pourquoi, soucieux de résorber ce retard, le groupe socialiste ne votera
pas la motion tendant à opposer la question préalable.
M. Aymeri de Montesquiou.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Des arguments présentés par M. Bret, je ne retiendrai que ceux qui ont trait
au Parlement, maltraité par les ordonnances. En fait, je retiendrai surtout les
arguments de M. le rapporteur Hoeffel.
Soucieux de l'image de la France, notre rassemblement européen l'est également
pour le présent et pour l'avenir. Or, aujourd'hui que la France préside l'Union
européenne, nous ne pouvons pas faire preuve de désordre. Je crois qu'il est
essentiel de balayer devant notre porte.
En conséquence, notre groupe ne votera pas la motion opposant la question
préalable.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 20, repoussée par la commission et par le
Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste
républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 275 |
Nombre de suffrages exprimés | 275 |
Majorité absolue des suffrages | 138 |
Pour l'adoption | 17 |
Contre | 258 |
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er