Séance du 8 juin 2000
M. le président. Par amendement n° 48, M. Fréville propose d'insérer, avant l'article 15, un article additionnel ainsi rédigé :
« A compter de la loi de finances pour 2001, les remboursements, dégrèvements et admissions en non valeur des contributions directes locales ne seront plus déduits des ressources et des dépenses ordinaires civiles du budget général de l'Etat dans le tableau arrêtant les données générales de l'équilibre financier conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 31 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. »
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Nous venons de voter une dizaine de milliards de francs de dégrèvement de taxe d'habitation. Or l'habitude a été prise, au moment où est établi le tableau d'équilibre, de comptabiliser les recettes et les dépenses du budget général nettes des dégrèvements et des remboursements. Donc, si nous votons 11 milliards de francs de dégrèvements de taxe d'habitation, cela va apparaître non sous la forme de 11 milliards de francs de dépenses supplémentaires, mais sous la forme de 11 milliards de francs de ressources en moins.
Cette pratique était parfaitement justifiée, et reste d'ailleurs parfaitement justifiée, pour les remboursements et les dégrèvements d'impôts d'Etat. Il s'agit de remboursements de TVA ou de remboursements d'impôts sur les sociétés. D'un point de vue économique, il est donc parfaitement logique de procéder ainsi.
En revanche, cela devient étrange lorsqu'il s'agit d'impôts locaux. On va présenter des recettes nettes des impôts d'Etat, déduction faite des dégrèvements d'impôts locaux. Cela n'a pas de sens.
Bien sûr, si une pareille ineptie - pardonnez-moi l'expression - s'est produite, c'est parce que, pendant très longtemps, il était impossible, au sein de la comptabilité publique, de séparer les dégrèvements et remboursements d'impôts locaux des dégrèvements et remboursements d'impôts d'Etat. Or, des progrès ont été - faits dont il faut rendre hommage à la direction de la comptabilité publique, puisque désormais, au sein du chapitre 15-01 du budget des charges communes - apparaît une séparation des dégrèvements des trois principaux impôts locaux.
Depuis deux ans, on a même séparé les admissions en non-valeur ! La raison comptable qui justifiait cette pratique n'existe donc plus. Il me paraît, dès lors, important de remettre les choses en place.
En 1999, les dégrèvements d'impôts locaux s'élevaient à 64 milliards de francs. Cette année, avec les dégrèvements de taxe d'habitation et de taxe professionnelle, ils atteignent 80 milliards, voire 85 milliards de francs. Et les dépenses de l'Etat n'en tiennent pas compte ! C'est l'une des raisons des discussions que nous avons régulièrement pour savoir si les dépenses ont augmenté de tant. Il s'agirait d'abord de savoir de quelles dépenses on parle !
La bonne méthode est de faire figurer les recettes et les dépenses de l'Etat nettes des seuls dégrèvements des impôts d'Etat, alors que les dégrèvements d'impôts locaux seraient considérés comme dépenses nettes dans l'article d'équilibre.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini rapporteur général. C'est effectivement une question de méthode particulièrement importante que soulève M. Fréville. Il est certainement bon que l'on puisse y réfléchir.
Pour l'instant, nous souhaiterions connaître l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Vous proposez, monsieur le sénateur, de traiter dans le budget de l'Etat les dégrèvements d'impôts locaux comme une dépense budgétaire. J'avoue que j'ai un peu de mal à saisir l'utilité de cet amendement, dans la mesure où les remboursements et dégrèvements d'impôts sont inscrits au budget de l'Etat comme dépenses budgétaires, figurent au chapitre 15-01 du budget des charges communes et sont intitulés « Dépenses en atténuation de recettes ».
Alors, de deux choses l'une : soit cet amendement est purement formel et vise seulement à modifier la présentation optique du tableau d'équilibre, auquel cas il n'y aurait pas une amélioration considérable de l'information du Parlement, puisque des éléments d'informations, assez abondants, me semble-t-il, figurent à la fois dans le « bleu » relatif aux charges communes, et, surtout, dans le fascicule « Voies et moyens », où ils sont détaillés impôt par impôt ; soit cet amendement tend à revenir sur le mode de traitement budgétaire des dépenses en atténuation de recettes, auquel cas il aurait un certain nombre d'effets pervers, notamment celui de réduire le droit d'amendement du Parlement, de telle sorte que le Sénat ne pourrait plus, par exemple, voter un amendement tel que celui qu'il vient d'adopter sur les modalités de dégrèvement de la taxe d'habitation.
Pour ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ces questions de méthodologie en matière de comptabilité budgétaire de l'Etat doivent faire l'objet d'un examen approfondi par le groupe de travail créé au sein de notre commission et présidé par Alain Lambert en vue de formuler des propositions relativement à la réforme de l'ordonnance portant loi organique de 1959, réforme tendant à assurer notamment plus de transparence et plus de permanence dans les méthodes.
Je suggère que la question qui a été posée fort opportunément soit renvoyée à ce groupe de travail, qui a d'ailleurs plus qu'entamé ses investigations. Si M. le président de la commission des finances le veut bien, ce sujet sera donc joint aux réflexions.
Dans l'immédiat, il me semble préférable que l'amendement soit retiré.
M. le président. Monsieur Fréville, votre amendement est-il maintenu ?
M. Yves Fréville. Madame le secrétaire d'Etat, bien entendu, je ne cherche pas à modifier le statut juridique des dégrèvements, qui sont assimilés à des prélèvements au regard de l'article 40. Toutefois, cette disposition n'a pas qu'un caractère juridique, elle a aussi un caractère économique.
Toutes les statistiques de votre ministère visant à établir le montant des recettes et celui des dépenses, tous les chiffres fournis pour les dossiers de presse, les annuaires statistiques, bref, tous les documents font état des recettes et des dépenses nettes des remboursements et dégrèvements. Cela permet de diminuer optiquement - mais en ce domaine, l'optique est essentielle - les recettes et les dépenses de l'Etat de quelque 90 milliards de francs. Ainsi, quand on considère le montant d'accroissement des recettes et des dépenses, on ne tient pas compte des dégrèvements.
Prenons l'exemple de l'article d'équilibre qui vient d'être adopté - l'article 10 - dans le cadre duquel nous avons voté 9,8 milliards de francs de dégrèvements de taxe d'habitation. Comment cela se traduit-il statistiquement ? Par une économie de 2,8 milliards de francs de dépenses.
Je suis tout à fait d'accord pour retirer mon amendement et pour que le groupe de travail de la commission des finances le prenne en considération, mais je dis simplement que, sur le plan statistique, face à l'opinion publique, on ne peut pas continuer à traiter des augmentations de dépenses comme des diminutions de dépenses.
M. Jacques Oudin. Il a raison !
M. le président. L'amendement n° 48 est retiré.
Article 15