Séance du 8 juin 2000







M. le président. « Art. 15 A. - Dans le quatrième alinéa du IV de l'article 164 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959, les mots : "sociétés ou entreprises dans lesquelles les capitaux d'origine publique représentent plus de 50 %" sont remplacés par les mots : "entreprises et organismes visés aux articles L. 133-1 à L. 133-5 du code des juridictions financières". »
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous allons engager la discussion sur des articles adoptés sur l'initiative de la commission des finances de l'Assemblée nationale et qui sont relatifs au contrôle parlementaire. Je souhaite, à cette occasion, livrer mon point de vue.
Le contrôle est aujourd'hui, et sera plus encore demain, une fonction majeure du Parlement. Dans le domaine financier et budgétaire, c'est une préoccupation qui gagne tous les jours des pratiques et des esprits, y compris d'ailleurs celui de M. Charasse, et je m'en félicite.
Lesdits articles m'inspirent à la fois un étonnement un peu amusé - il serait hypocrite de ma part de ne pas avouer mon amusement ! - et une certaine insatisfaction en raison du caractère fragmentaire des dispositions prévues.
Etonnement amusé, car les articles introduits par l'Assemblée nationale sont révélateurs des obstacles concrets dressés, sans doute, par le Gouvernement face aux volontés de contrôle de la majorité qui le soutient. Les dispositifs nouveaux révèlent une sorte de suspicion réciproque entre la commission des finances de l'Assemblée nationale et le Gouvernement.
Il en résulte que les pouvoirs de contrôle des commissions n'apparaissent pas suffisants. J'en suis rassuré en tant que président de la commission des finances du Sénat, qui a dû, pour lever tous les obstacles, demander à être dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête.
J'en tire aussi la conclusion que le Gouvernement n'est jamais meilleur dans la transparence que lorsqu'il y est contraint.
S'agit-il d'un dispositif prématuré ? C'est précisément là, pour moi, un motif d'étonnement.
Au mois de décembre dernier, le Sénat avait adopté des dispositions destinées à améliorer le contrôle et l'évaluation parlementaires. Le Gouvernement avait émis un avis défavorable et l'Assemblée nationale avait jugé ces dispositions prématurées.
Et voilà que, subitement, ces dispositions deviennent urgentes, et ce seulement six mois après !
Il est surprenant que, malgré l'inachèvement des travaux menés par la commission des finances de l'Assemblée nationale sur l'ordonnance de 1959, ladite commission considère tout à coup comme suffisamment mûr un dispositif de même nature que celui qu'elle avait jugé prématuré il y a moins de six mois.
Quant à la position du Gouvernement, il faut beaucoup d'abnégation de la part du Sénat - mais il en a beaucoup ! - pour ne pas y déceler une forme d'arbitraire à l'encontre de ses propositions puisque ce qui était jugé prématuré il y a six mois ne le serait plus lorsque c'est proposé par l'Assemblée nationale.
Au total, ce dialogue un peu étrange entre l'Assemblée nationale et le Gouvernement conduit à une extension des pouvoirs de contrôle de notre commission des finances, et le rapporteur général comme moi-même recommanderons au Sénat de voter ces dispositifs. Non pas qu'ils soient parfaits, loin s'en faut, et je pourrais, si je n'étais soucieux de faire gagner du temps au Sénat, donner les raisons de leur imperfection !
Nous aurions pu aussi proposer au Sénat de ne pas les adopter, mais nous n'avons pas voulu nous exposer à une interprétation qui n'aurait pas été juste et qui aurait consisté à nous soupçonner de refuser cette disposition au motif qu'elle a été proposée par l'Assemblée nationale.
Cependant, des questions restent en suspens, car, madame la secrétaire d'Etat, vous avez, devant l'Assemblée nationale, donné un avis favorable aux nouvelles dispositions auxquelles vous semblez vous être ralliée avec un enthousiasme certain.
Or, je m'interroge sur leur régularité, sur leur conformité à l'ordonnance organique et à notre Constitution, sujet dont M. Charasse est spécialiste et qui retient, en général, son attention.
Ces dispositifs régiront, en partie, les relations que le Gouvernement et la commission des finances entretiendront à l'avenir. J'écouterai avec attention, dans quelques instants, votre explication sur le sens et la portée que vous leur donnez.
L'article 15 A lui-même tend à élargir le champ du contrôle parlementaire sur des organismes publics ou bénéficiant de subventions publiques. Le dispositif de cet article se réfère, pour définir ce champ, aux dispositions du code des juridictions financières concernant le contrôle de la Cour des comptes sur différentes entités. Cela me conduit à vous poser des questions, madame la secrétaire d'Etat.
Première question : en vous déclarant favorable à l'initiative de l'Assemblée nationale, vous avez implicitement tranché plusieurs problèmes juridiques. Vous savez qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article 1er de l'ordonnance organique de 1959, « Les dispositions législatives destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sont contenues dans les lois de finances. »
Cette disposition pose le problème de sa conformité avec la définition de l'objet des lois de finances par l'article 34 de notre Constitution. Les finances publiques recouvrent en effet bien plus que les ressources et les charges du seul Etat. Pouvez-vous nous confirmer explicitement que le Gouvernement défend une conception extensive du texte constitutionnel ?
Le Gouvernement a-t-il bien entendu accepter que le Parlement se dote du pouvoir de contrôler tout organisme dès lors qu'il reçoit une subvention publique d'une collectivité locale excédant 10 000 francs ?
J'en viens à ma seconde question : le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ouvre au contrôle parlementaire un champ d'action très vaste mais mal défini. Pouvez-vous nous préciser ce que, concrètement, il recouvre, au moins pour les organismes visés par les articles L. 133-1 et L. 133-2 du code des juridictions financières ?
Pour nous éclairer sur votre point de vue sur relatif aux pouvoirs de contrôle dont le Parlement disposera après l'adoption de cet article, il nous serait utile et même indispensable de disposer d'une liste comprenant l'énumération de ces entités. Pouvez-vous, madame la secrétaire d'Etat, vous engager à nous la transmettre ?
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 15 A.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. L'affaire des 10 000 francs que le président Lambert a évoquée à la fin de sa très intéressante intervention figure en réalité non pas expressément dans le texte qui nous est soumis mais dans les articles du code des juridictions financières auquel le texte de l'article 15 A fait référence.
Je souhaiterais que les choses soient claires dans cette affaire, en ce qui concerne en particulier les organismes privés et les associations, sinon, nous risquons d'avoir un problème devant le Conseil constitutionnel s'il est saisi du collectif, et ce pour une raison très simple. Le contrôle budgétaire des associations - et le Conseil constitutionnel a conféré valeur constitutionnelle au droit d'association en 1971 - date des années trente ; il a certes été confié jusqu'à présent aux trésoriers-payeurs généraux par une loi de 1933, je crois, mais il a été entendu que les trésoriers-payeurs généraux n'ont le droit de contrôler que l'utilisation de la subvention et pas autre chose.
M. Jacques Oudin. L'emploi !
M. Michel Charasse. L'emploi, et c'est cette règle, monsieur Oudin, qu'applique la Cour des comptes. Lorsqu'elle contrôle des associations subventionnées, en dehors des associations pour lesquelles elle a reçu une compétence complète, comme celles qui font appel à la charité publique, l'ARC, par exemple,...
M. Jacques Oudin. Si c'est moins de 50 % !
M. Michel Charasse... la Cour des comptes ne contrôle que l'utilisation de la subvention.
M. Jacques Oudin. Si c'est plus de 50 %, elle peut tout contrôler !
M. Michel Charasse. Certes, et c'est pour cela que je m'en tiens aux 10 000 francs.
M. le président. Monsieur Lambert, je pense qu'il serait utile que Mme le secrétaire d'Etat nous précise, pour qu'il n'y ait pas de difficultés lorsque les rapporteurs budgétaires se présenteront, si c'est bien la même règle qui prévaudra. Si vous avez une association pour laquelle la subvention publique représente moins de 50 %, quel que soit le montant de la somme d'ailleurs, le rapporteur budgétaire ne pourra contrôler que l'utilisation de cette somme et pas au-delà. Si, en revanche, c'est plus de 50 %, c'est la règle de la Cour des comptes qui s'appliquera.
Il est important que le Gouvernement nous apporte cette précision parce qu'elle permettra d'éviter éventuellement des chicaneries au moment des contrôles sur place et sur pièces, qui seraient extrêmement déplaisantes.
MM. Philippe Marini, rapporteur général et Jacques Oudin. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Sur ces questions du contrôle exercées par le Parlement sur les finances publiques, la position de M. Lambert est habituelle. Selon lui, les efforts de transparence, c'est bien, mais le dispositif que nous présentons est mauvais ; mais enfin, à défaut d'autre chose, le Sénat pourrait éventuellement s'en accommoder.
Je répondrai maintenant aux questions précises qui ont été posées sur l'article 15 A et la portée du contrôle en question. Nous avons souhaité nous caler sur le champ de compétence de la Cour des comptes elle-même, dans la mesure où il ne nous a pas paru illégitime que les rapporteurs budgétaires aient le même champ de compétence que les magistrats financiers en matière de contrôle des divers organismes publics.
Cela signifie - je réponds à M. Charasse - que nous nous en tiendrons strictement à cette règle ; s'agissant des organismes qui bénéficient d'une subvention publique, nous appliquerons la règle des 10 000 francs que la Cour des comptes s'astreint à respecter.
M. Michel Charasse. Des 10 000 francs et des plus ou moins 50 % ! M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 15 A.

(L'article 15 A est adopté.)

Article 15 B