Séance du 9 novembre 1999







M. le président. « Art. 1er. - Il est institué un médiateur des enfants, autorité indépendante.
« Celui-ci reçoit les réclamations individuelles d'enfants mineurs ou de leurs représentants légaux qui estiment que les administrations de l'Etat, les collectivités publiques territoriales ou tout autre organisme investi d'une mission de service public n'ont pas respecté les droits de l'enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé, ayant un effet direct.
« Il reçoit en outre, selon les mêmes modalités, toute réclamation individuelle concernant un organisme visé à l'alinéa précédent avec lequel l'enfant est en rapport et qui n'a pas fonctionné conformément à la mission de service public qu'il doit assurer.
« Lorsqu'il a été saisi par l'enfant mineur lui-même, il peut, s'il le juge utile, en informer son représentant légal.
« Le médiateur des enfants est en droit de s'autosaisir sur des sujets qui lui apparaîtraient comme des atteintes aux droits des enfants tels que définis par les lois de la République et les engagements internationaux de la France comme la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989. »
Sur cet article, je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 1, M. Bonnet, au nom de la commission des lois, propose de rédiger comme suit cet article :
« Il est inséré, après l'article 15 de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un médiateur de la République, un article 16 ainsi rédigé :
« Art. 16. - Un médiateur des enfants, placé auprès du médiateur de la République, reçoit les réclamations individuelles de mineurs intéressés ou de leurs représentants légaux qui estiment que les administrations de l'Etat, les collectivités publiques territoriales ou tout autre organisme investi d'une mission de service public n'ont pas respecté les droits de l'enfant reconnu par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé, ou n'ont pas fonctionné conformément à la mission de service public qu'ils doivent assurer. »
Par amendement n° 19, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
« Le médiateur des enfants, autorité indépendante, est chargé de défendre et de promouvoir les droits de l'enfant, consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé. »
Par amendement n° 20, Mme Derycke et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de remplacer les deuxième et troisième alinéas de l'article 1er par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le médiateur des enfants reçoit les réclamations individuelles d'enfants mineurs ou de leurs représentants légaux qui estiment qu'une personne publique ou privée n'a pas respecté les droits de l'enfant défini à l'alinéa précédent.
« Lorsqu'une réclamation mettant en cause une personne physique ou une personne morale de droit privé non visée à l'alinéa précédent lui paraît justifiée, le médiateur des enfants fait toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi et recommande à la personne concernée toute solution permettant de régler en droit ou en équité la situation de l'enfant mineur intéressé par la réclamation.
« Lorsqu'il apparaît au médiateur des enfants que les conditions de fonctionnement de la personne morale de droit privé concernée par la réclamation portent atteinte aux droits de l'enfant, il peut proposer toutes mesures qu'il estime de nature à remédier à la situation. »
Par amendement n° 16, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le deuxième alinéa de l'article 1er, après les mots : « réclamations individuelles », d'insérer les mots : « et collectives ».
Par amendement n° 17, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter in fine l'article 1er par un alinéa ainsi rédigé :
« Les réclamations peuvent être présentées au médiateur des enfants par des associations défendant les droits de l'enfant. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 1.
M. Christian Bonnet, rapporteur. A l'article 1er, et cela ne saurait être une surprise même pour ceux qui n'appartiennent pas à la commission des lois mais qui ont participé à ce débat, la commission propose d'insérer, après l'article 15 de la loi du 3 janvier 1973 instituant un médiateur de la République, un article 16 dont le début est ainsi libellé : « Un médiateur des enfants, placé auprès du médiateur de la République, reçoit les réclamations individuelles de mineurs intéressés... ».
La commission a beaucoup tenu, comme je l'ai souligné lors de la discussion générale, à cette référence aux « mineurs intéressés ».
Par ailleurs, comme je l'ai exposé dans mon rapport, elle considère que le médiateur des enfants a un champ de compétences très semblable à celui du médiateur de la République et que faire de ces deux médiateurs deux autorités indépendantes distinctes ne peut que susciter des difficultés d'application, les demandeurs ne sachant à quel médiateur s'adresser.
Le médiateur des enfants bénéficierait ainsi de l'autorité qui est aujourd'hui reconnue par tous au médiateur de la République, des services compétents déjà en place et de moyens de fonctionnement lui permettant de remplir sa mission. Si ces dispositions étaient adoptées, la proposition serait appliquée avec plus de célérité et l'unité de la médiation institutionnelle serait confortée.
Incidemment, je rappelle en outre que la mention de « tout autre organisme investi d'une mission de service public » inclut les personnes morales de droit privé.
M. le président. La parole est à Mme Derycke, pour présenter les amendements n°s 19 et 20.
Mme Dinah Derycke. Ces deux amendements sont dans la logique de l'exposé que j'ai fait lors de la discussion générale.
L'amendement n° 19 tend à donner une définition générale de la mission du médiateur des enfants.
Les droits des enfants consacrés par des stipulations conventionnelles dépourvues d'effet direct ne sont pas pour autant privés de toute portée normative et doivent pouvoir être invoqués par les personnes concernées.
L'affirmation de deux autorités indépendantes relève, pour nous, de la symbolique et permet une identification plus visible du « médiateur des enfants » ou, comme vous l'avez dit, monsieur Pelletier, du « défenseur des enfants », et une appropriation plus facile par les enfants.
L'amendement n° 20 vise à élargir la mission du médiateur des enfants à la sphère privée. Je n'y reviendrai pas, m'étant déjà expliquée sur ce point lors de la discussion générale. Nous pensons effectivement que la sphère publique ne suffira pas, les problèmes des enfants procédant essentiellement de la sphère privée.
M. le président. La parole est à Mme Térrade, pour présenter les amendements n°s 16 et 17.
Mme Odette Terrade. Ces amendements reprennent les propositions qu'avait faites, à l'Assemblée nationale, Bernard Birsinger lors de l'examen de cette proposition de loi.
Ils visent, pour l'amendement n° 16, à élargir le droit de saisine du médiateur par les enfants à des réclamations collectives et, pour l'amendement n° 17, à faire reconnaître un droit de saisine par des associations de défense des droits de l'enfant.
Il ne s'agit nullement de remettre en cause le principe de la saisine personnelle du médiateur par le mineur, qui nous semble, bien au contraire, tout à fait fondamentale.
Nous considérons néanmoins que celle-ci n'est pas forcément exclusive d'une saisine de type collectif, notamment celles qui sont portées par des associations créées par et pour les enfants.
On lui a opposé la « logique » du système : la saisine collective, a-t-on dit, irait à l'encontre de la responsabilisation de l'enfant voulue par la proposition de loi qui a insisté particulièrement sur l'aspect « personnel » de la réclamation. Bien contraire ! suis-je tentée de dire.
En effet, l'apprentissage de la citoyenneté passe également par l'action collective. Toute plaide dans ce sens : tant la convention de New York elle-même, qui consacre dans son article 15 la liberté d'association, que notre droit civil, qui reconnaît en effet la possibilité pour un mineur d'être membre d'une association, d'en être élu au conseil d'administration, voire, la jurisprudence n'est pas bien établie sur ce point, d'y assumer des fonctions de direction.
C'est ainsi que le droit d'association apparaît comme un élément fondamental de la « pré-majorité » de l'enfant. Si l'on souhaite appréhender l'enfant mineur comme « un citoyen en devenir », il faut réserver une place particulière à la participation associative : elle est en effet un élément déterminant de la participation aux affaires de la cité.
La refuser reviendrait au contraire à décourager, sinon à nier, l'action fondamentale menée par les associations de lycéens ou de collégiens pour faire entendre leur voix.
Il nous semble, de surcroît, que l'ouverture de la saisine aux associations va dans le sens des objectifs de la proposition de loi, à savoir promouvoir et défendre les droits des enfants.
Les députés ont d'ailleurs admis que si les enfants devaient être les principaux acteurs de leurs droit, on pouvait néanmoins admettre qu'ils n'en soient pas les seuls : c'est sur ce fondement qu'ils ont admis la possibilité d'auto-saisine du médiateur.
L'ouverture de la saisine aux associations de défense des droits de l'enfant est surtout, pensons-nous, de nature à créer des relais fondamentaux entre le terrain et l'institutionnel ; elle pourrait en effet jouer un double rôle : un rôle « d'alerte » du médiateur par les associations, un retour d'information sur le terrain susceptible d'assurer une meilleure lecture, sinon une meilleure application des nouveaux droits reconnus aux enfants.
En fin de compte, il nous a semblé que le refus d'une saisine collective n'était pas insurmontable dans la mesure où il résidait moins dans une opposition de principe que dans la crainte que le médiateur ne soit débordé par des saisines dénuées de fondement.
Nous espérons vous avoir convaincus que le risque était moindre par rapport à l'intérêt qu'une telle ouverture pourrait présenter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 19, 20, 16 et 17 ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. L'amendement n° 19 est pour partie satisfait dans la mesure où les droits de l'enfant peuvent être reconnus par des dispositions internationales dépourvues d'effet direct, mais il est contraire à la position de la commission s'agissant de l'indépendance de l'autorité qu'est le médiateur des enfants. La commission est également défavorable à l'amendement n° 20. La médiation concernant les litiges d'ordre privé existe déjà à travers notamment toute une gamme de médiations civiles et pénales. Ces questions doivent, semble-t-il, être réglées au plus près de ce qu'il est convenu d'appeler « le terrain » et non pas par une autorité nationale. En outre, cette proposition de Mme Derycke a été écartée dans le rapport de Mme Ledoux et aucun amendement en ce sens n'a été repris en séance publique à l'Assemblée nationale.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 16 dans la mesure où il est contraire à la position qu'elle a adoptée et selon laquelle la médiation est demandée par un mineur qui est « intéressé », c'est-à-dire qu'il doit exister un intérêt direct pour lui ou son représentant légal. Il s'agit au demeurant d'une disposition qui a été repoussée à l'Assemblée nationale par la commission et par le Gouvernement.
La commission est défavorable à l'amendement n° 17, qui est également contraire à la position de la commission, selon laquelle la médiation est demandée par un mineur intéressé, ayant directement intérêt à la chose.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1, 19, 20, 16 et 17 ?
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Le Gouvernement ne peut pas être favorable à l'amendement n° 1, parce qu'il revient à supprimer le caractère indépendant du médiateur des enfants. Toutefois, connaissant le sérieux du travail de cette commission et de son rapporteur, j'ai étudié de très près quels arguments juridiques qui pouvaient me permettre, à mon tour, de convaincre à la fois la commission et son rapporteur.
En réalité, il n'y a pas de concurrence entre les deux institutions. En effet, elles ne s'adressent pas au même public, elles n'ont pas le même mode de saisine et elles n'ont pas non plus les mêmes critères de compétence.
Tout d'abord, les enfants ne peuvent s'adresser qu'à un médiateur des enfants car, pour la saisine du médiateur de la République, il est prévu des formalités administratives préalables que ne peut accomplir un mineur dépourvu de capacité juridique.
Ensuite, le mode de saisine est radicalement différent. Dans le cadre du médiateur des enfants, il n'existe pas de filtre parlementaire ; la saisine est directe.
De plus, le critère de compétence du médiateur des enfants est le non-respect éventuel des droits de l'enfant. Il s'agit d'une spécificité propre au médiateur des enfants, puisque le médiateur de la République n'agit qu'en cas de dysfonctionnement du service public. En outre, il est prévu à l'alinéa 5 du texte voté par l'Assemblée nationale que le médiateur des enfants peut s'autosaisir en cas d'atteinte aux droits des enfants ; cette possibilité n'est pas ouverte au médiateur de la République.
Enfin, si l'on veut inciter les enfants à prendre des initiatives pour faire respecter leurs droits, il est, me semble-t-il, nécessaire que le médiateur des enfants soit une institution à part, autonome, afin qu'elle soit facilement identifiable et accessible.
S'agissant de l'argument, auquel je suis très sensible, relatif à l'efficacité du dispositif, et tendant à faire en sorte que les deux institutions cohabitent sous le même toit et partagent les mêmes services, cela ne doit pas aller jusqu'à supprimer l'entière autonomie de cette institution. On pourrait très bien prévoir en effet, dans un texte d'application, que les deux médiateurs s'installent dans les mêmes locaux et disposent des mêmes services, ce qui permettrait de coordonner leurs actions.
Le Gouvernement est favorable aux amendements n°s 19, 20, 16 et 17, qui sont cohérents avec le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Jacques Pelletier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, je ne pourrai pas voter cet amendement, non pas parce qu'il rattache le médiateur des enfants au médiateur de la République, mais parce que le rattachement restreint les compétences du médiateur des enfants à la sphère publique alors que, je le répète, le besoin de médiation est plus grand encore dans la sphère privée. Cet amendement ne permettrait donc pas de répondre aux besoins.
Notre collègue Gélard nous annonce une multiplication des médiateurs. Oui, je le crois.
Prenons l'exemple de la Suède, pays où le premier ombudsman a été créé en 1806 ; les Suédois ont une certaine pratique en la matière ! Il existe un médiateur pour les militaires, un pour les enfants, et d'autre encore. J'ai étudié la question d'assez près et je peux vous dire que cela fonctionne bien.
Peut-être un jour arriverons-nous à ce stade-là ; mais on n'y est pas encore, étant donné que, pour l'instant, il ne s'agit que du médiateur des enfants.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Notre volonté d'appréhender de la façon la plus large possible l'action du médiateur des enfants nous conduira à approuver les amendements déposés par le groupe socialiste, à savoir l'amendement n° 19, qui ouvre plus largement l'invocation des dispositions internationales en ne les limitant pas à celles qui ont un effet direct, et l'amendement n° 20, qui élargit le champ d'intervention du médiateur des enfants à la sphère privée.
A l'inverse, vous le comprendrez, les sénateurs communistes sont évidemment hostiles aux modifications proposées par la commission des lois, qui restreignent considérablement, sinon annihilent, tout l'intérêt de la proposition de loi, et voteront donc contre l'amendement n° 1.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. A l'instar de Mme Odette Terrade, je n'accepterai pas l'amendement n° 1 proposé par M. Christian Bonnet, au nom de la commission. Vous connaissez notre position sur ce point.
En revanche, le groupe socialiste votera les amendements n°s 16 et 17 proposés par le groupe communiste.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé et les amendements n°s 19, 20, 16 et 17 n'ont plus d'objet.

Article 2