Séance du 9 novembre 1999
M. le président. La parole est à M. Vallet, auteur de la question n° 627, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. André Vallet. Madame la ministre, le 11 octobre, à la préfecture des Bouches-du-Rhône, a été examinée la situation des tribunaux de commerce de ce département.
Cette réunion, à laquelle nous étions convoqués par M. le préfet, était annoncée comme une réunion de concertation et de dialogue.
M. le président. Monsieur Vallet, « invités » et non « convoqués » !
M. André Vallet. Je rectifie bien volontiers, monsieur le président.
Cette réunion de concertation et de dialogue était en réalité une vraie fausse concertation puisque votre délégué, madame le ministre, annonçait la fusion des tribunaux de commerce d'Arles et de Tarascon au profit d'Arles et la possible disparition du tribunal de commerce de Salon-de-Provence au profit du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence.
Permettez-moi d'exprimer ma stupéfaction face à l'éventualité de la suppression du tribunal de commerce de Salon-de-Provence, trente-troisième de France quant aux procédures collectives traitées en 1998, plus important que les tribunaux de commerce de Brest, de Limoges, de Poitiers, de Reims, de Clermont-Ferrand, et égal à l'activité du tribunal de commerce d'Avignon, stupéfaction aggravée lorsque je considère la qualité de l'activité du tribunal de commerce de Salon-de-Provence : 95 % des jugements sont rendus en moins d'un mois avec un taux d'appel d'à peine 8 % et une inversion des résultats pour 2 % des dossiers !
Salon-de-Provence, madame la ministre, a été en 1998 la ville qui a créé le plus d'emplois dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Pour les villes de plus de 30 000 habitants, c'est la commune des Bouches-du-Rhône qui a obtenu, lors du dernier recensement, la plus forte augmentation en pourcentage. La chambre de commerce de Marseille vient d'inaugurer une annexe à Salon. La chambre de métiers va également s'y installer. C'est une reconnaissance du dynamisme économique de notre cité.
Il n'est pas tolérable, madame la ministre, à un moment où vous voulez, à juste titre, développer la justice de proximité, que les justiciables du ressort du tribunal de commerce de Salon - ils sont 230 605 - soient contraints à de plus importants déplacements et à des délais de jugement beaucoup plus longs.
La suppression du tribunal de commerce de Salon risque aussi, nous le craignons fortement, d'entraîner la disparition du tribunal des prud'hommes et du tribunal d'instance, faisant ainsi disparaître toute activité judiciaire dans notre commune.
Dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire rationnelle, celle que le Gouvernement préconise par ailleurs, il est indispensable, voire vital, que la juridiction des tribunaux de commerce des villes moyennes, et notamment de Salon-de-Provence, soit maintenue afin que la vocation judiciaire de cette commune soit renforcée. Nous n'osons penser, madame le ministre, que vous puissiez en décider autrement.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, tout d'abord il nous faut moderniser le fonctionnement de la justice commerciale en France. Cette modernisation passe par la réforme des tribunaux de commerce, que je présenterai au conseil des ministres avant la fin de l'année.
Cette réforme vise à introduire des magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce, à augmenter les garanties en matière de déontologie, à la fois pour le fonctionnement des tribunaux de commerce et pour les professions de mandataire-liquidateur judiciaire, et comprend également la réactualisation de la carte judiciaire, qui n'a pas été revue depuis le début du xixe siècle.
En réformant la carte judiciaire, je veux éviter la dispersion des activités judiciaires, améliorer la formation des magistrats professionnels et, bien entendu, faire en sorte que les populations soient mieux servies. Cela demande un examen des situations locales afin que les décisions ne soient pas seulement fondées sur des critères quantitatifs et statistiques.
Dans ce cadre, j'ai créé à la chancellerie une mission pour la réforme de la carte judiciaire, mission qui s'est rendue dans les Bouches-du-Rhône le 11 octobre 1999 pour y procéder à une large concertation avec les professionnels et les élus au cours d'une réunion à laquelle vous avez été invité par le préfet - et non pas convoqué, car ce terme comminatoire n'entre pas dans mon vocabulaire...
M. André Vallet. C'était un lapsus !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et à laquelle vous avez d'ailleurs participé.
Cette réunion de concertation n'avait pas pour objectif de préjuger les décisions que je pourrais prendre. Sa raison d'être était de recueillir les points de vue des différents acteurs.
A cette occasion, la mission pour la réforme de la carte judiciaire a notamment entendu la demande de nombreux acteurs économiques, en particulier de la chambre de commerce et d'industrie de Marseille, qui est très favorable à une rationalisation judiciaire. Beaucoup d'entreprises ne paraissent comprendre ni se satisfaire de la compétence conjointe de quatre tribunaux de commerce sur les activités du port autonome de Marseille, qui conduit à des hésitations sur la détermination du juge compétent en des matières où l'importance des enjeux et l'urgence à trancher les litiges sont évidemment particulièrement fortes.
La mission pour la réforme de la carte judiciaire a cru percevoir, de la part de beaucoup d'acteurs, notamment de la chambre de commerce que vous avez citée dans votre question, une demande très forte d'unification dans un seul lieu des contentieux liés au port autonome de Marseille.
Une partie des difficultés vient du fait que les tribunaux d'Aix-en-Provence et de Salon-de-Provence ont à connaître des contentieux liés à l'activité maritime de l'étang de Berre.
Plusieurs solutions ont été proposées : soit le rattachement de ce contentieux au tribunal de Marseille, soit le rattachement de ce contentieux à l'un des deux tribunaux précités, ce qui aurait pour avantage de diminuer les conflits ou les hésitations de compétences mis en avant par les acteurs économiques.
Certains ont soutenu que la fusion des tribunaux d'Aix-en-Provence et de Salon-de-Provence serait logique, sans aller jusqu'à la dévolution de contentieux supplémentaires au tribunal de Marseille, qui compte déjà parmi les plus actifs de France.
Il a également été souligné que la distance de 35 kilomètres qui sépare ces deux villes, de surcroît reliées par une autoroute, n'est pas suffisante pour compromettre l'exercice d'une justice de proximité.
Voilà où nous en sommes. Ces différents avis ont été recueillis, le vôtre aussi, bien entendu. La mission qui s'est rendue dans les Bouches-du-Rhône me fera ses propositions et j'arrêterai ma décision au début de l'année 2000.
Je veux également faire remarquer que lorsqu'elle est décidée - mais, encore une fois, rien n'est fait - la fusion des tribunaux de commerce permet à des magistrats du tribunal supprimé de siéger dans le tribunal de rattachement. En outre, des audiences peuvent se tenir dans des villes autres que la ville du siège de la juridiction et, naturellement, rien n'interdit de se poser la question de l'existence d'un greffe annexe.
Vous le voyez, ce type d'organisation en réseau peut aller dans le sens de la modernisation de l'institution judiciaire et, partant, de l'intérêt du justiciable. Elle ne serait pas éloignée de la proposition faite par la chambre de commerce et d'industrie des Bouches-du-Rhône, qui est elle-même organisée en réseau et que vous avez citée en exemple.
Dans l'esprit que je vous ai indiqué et compte tenu de ces différents paramètres, je prendrai ma décision au vu du rapport que m'aura fait la mission pour la réforme de la carte judiciaire à partir de cette réunion du 11 octobre.
M. André Vallet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Madame le ministre, je ne suis pas, bien sûr, complètement satisfait de votre réponse, vous le comprendrez, car vous n'avez pas abordé la particularité du tribunal de commerce de Salon-de-Provence, qui est le trente-troisième de notre pays. Je vous ai indiqué l'importance qu'il représentait pour tout le bassin qui relève de sa juridiction, et je vous avoue que notre population est très étonnée que l'on puisse envisager de supprimer l'un des plus importants tribunaux de notre pays.
Je fais remarquer - j'en parlais tout à l'heure avec M. le maire d'Aix-en-Provence - que le tribunal de commerce de cette ville n'a jamais demandé que Salon soit rattaché à cette juridiction. C'est important et je crois qu'il faut le souligner. On ne comprendrait pas, madame la ministre, que le tribunal de commerce de Salon-de-Provence soit supprimé et que celui d'Elbeuf par exemple, cent quatre-vingt-neuvième tribunal de commerce de notre pays, soit maintenu puisque cela a été annoncé. Il est vrai qu'il est représenté par une personnalité éminente, mais j'ose penser que ce n'est pas ce qui guidera vos choix.
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