Séance du 4 novembre 1998
M. le président. « Art. 17. _ Il est inséré, dans le livre VII du code de l'organisation judiciaire, un titre XII ainsi rédigé :
« Titre XII
« Maisons de justice et du droit
«
Art. L. 7-12-1-1
. _ Il peut être institué des maisons de justice et
du droit, placées sous l'autorité des chefs du tribunal de grande instance dans
le ressort duquel elles sont situées.
« Elles concourent, en assurant une présence judiciaire de proximité, à la
prévention de la délinquance et aux politiques d'aide aux victimes et d'accès
au droit.
« Les mesures alternatives de traitement pénal et les actions tendant à la
résolution amiable des litiges peuvent y prendre place.
«
Art. L. 7-12-1-2
. _ Les modalités de création et de fonctionnement
des maisons de justice et du droit sont déterminées par décret en Conseil
d'Etat.
«
Art. L. 7-12-1-3
. _ Le présent titre est applicable dans les
territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte. »
Sur cet article, la parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, madame le garde de sceaux, mes chers collègues,
l'article 17 tend à une certaine généralisation et à une organisation plus
systématique des maisons de justice et du droit.
Je dis cela surtout en tant que rapporteur de la commission s'étant soucié du
problème des moyens de la justice et ayant essayé de préconiser quelques
remèdes pour pallier les difficultés actuelles.
Je rappelle tout d'abord que nous avons vivement apprécié le fonctionnement
des maisons de justice. Nous en avons visité plusieurs, que ce soit dans le
Nord ou à Lyon, et nous avons été assez admiratifs en constatant le travail qui
y est fait. Il nous a semblé que c'était un exemple tout à fait intéressant.
Nous sommes donc, par définition, favorables à cet article 17, mais dans un
état d'esprit que je voudrais préciser. Je ne suis pas tout à fait sûr en effet
qu'il soit identique à celui de Mme le garde des sceaux, qui n'a peut-être pas,
pas plus que le Gouvernement d'ailleurs, arrêté ses intentions dans ce domaine,
sinon dans l'immédiat s'agissant d'une certaine extension, du moins à terme.
Quand je dis « à terme », je pose la question de savoir si l'on doit envisager
un système dans lequel ces maisons de justice deviendraient « systématiques ».
Il en existerait partout, dans tous les départements. Elles deviendraient des
sortes d'institutions qui « concourent, en assurant une présence judiciaire de
proximité, à la prévention de la délinquance et aux politiques d'aide aux
victimes et d'accès au droit », ce qui ne pose pas de problème.
Toutefois, d'après l'alinéa suivant, elles pourraient aussi accueillir - vous
employez l'expression : « prendre place » - intégrer les mesures alternatives
de traitement pénal et les actions tendant à la résolution amiable des litiges,
c'est-à-dire toutes ces formules de traitement du contentieux de masse dont
nous parlons régulièrement, que nous croyons intéressantes et dont, après tout,
la clause compromissoire, d'une certaine façon, fait partie.
C'est pourquoi M. Dejoie a souligné que son amendement allait dans le sens que
vous souhaitez, madame le garde des sceaux, et que d'ailleurs nous souhaitons
tous.
Mais ce sur quoi il existe peut-être une divergence enre nous - en tout cas,
ce point soulève une vraie question - c'est sur l'autonomie que les maisons de
justice ne manqueront pas de développer. Bien sûr, elles seront sous le
contrôle des présidents de tribunaux ou des procureurs, mais c'est tout de même
un contrôle qui s'exercera à distance.
Elles adopteront des allures, des modes de fonctionnement, des usages, des
habitudes de langage, des formes qui vont varier selon les personnes ou les
associations qui interviendront. On sera tout de même un peu loin de l'appareil
judiciaire tel que nous l'entendons ! Néanmoins, on y traitera des affaires
contentieuses, pénales ou civiles, qui pourront être d'une assez grande
importance.
Dans ces conditions, la position de la commission des lois a été de conserver
l'idée, mais en faisant en sorte que les maisons de justice n'évoluent pas trop
à l'extérieur de l'appareil judiciaire. Dès lors que l'on arrivera à une
systématisation, il faut, en effet, chercher le moyen de les intégrer dans
notre organisation judiciaire.
Empruntant sa formule à notre collègue M. Cleach, avec qui nous étions tout à
fait d'accord sur ce point, je dirai qu'il s'agit en réalité de viser comme un
objectif encore assez lointain, mais tout de même comme un objectif à ne pas
perdre de vue, même s'il y a peut-être d'autres formules envisageables -
l'essentiel est que l'on reste à l'intérieur de l'organisation judiciaire - la
transformation des tribunaux d'instance par un retour à ce qu'étaient autrefois
les justices de paix au xixe siècle.
Très souvent, les juges concernés n'étaient pas des professionnels. Il y a
même eu une époque où il ne fallait pas que ce soient des juristes ! C'était le
mode de traitement du contentieux de masse à l'époque où ce contentieux était
essentiellement rural, campagnard, de voisinage, etc.
Le contentieux de masse n'a pas disparu, il s'est déplacé. Il n'est plus dans
les campagnes, ou fort peu. Il est maintenant dans les villes et dans leur
environnement immédiat. Mais il appelle toujours des modes de traitement qu'on
appelle alternatifs, qui sont plus proches du contribuable - je n'entre pas
dans le détail, chacun sait de quoi je parle - mais à l'intérieur du système
judiciaire.
Je prendrai l'exemple britannique - car nous retrouvons finalement, avec des
expressions différentes, un peu le même mode de solution - celui du
magistrate
court qui, depuis le roi Henri II - de respectable mémoire,
mais cela remonte tout de même à un certains temps - traite une grande partie
du contentieux de masse dans des conditions satisfaisantes et utilise un grand
nombre de magistrats qui viennent de la société civile. Que ce soit des
personnes provenant d'associations, que ce soit des magistrats recrutés à titre
temporaire, comme nous l'avons souhaité, cela revient toujours au même : ce ne
sont pas des professionnels au sens classique du terme.
Nous sommes d'accord pour leur faire confiance, mais ils sont au sein de
l'appareil judiciaire, c'est-à-dire que les règles de fonctionnement, qui ont
leur importance, leur sont applicables.
M. Hyest rappelait qu'il est bon que la justice conserve une certaine dignité
dans ses formes, dans le respect du contradictoire, dans une certaine
régularité. Ce que je veux dire, c'est que, à partir du moment où ces modes de
traitement alternatifs, ces modes de médiations se généraliseront, il faudra
trouver le moyen de les réintégrer dans notre système judiciaire d'une façon ou
d'une autre, de manière à ne pas laisser se développer une sorte de justice
parallèle, que je ne qualifierai pas de sous-justice car je la crois fort bien
adaptée aux petits contentieux de masse, justice parallèle qui échapperait aux
règles de fonctionnement de notre justice. Ce serait regrettable, en tout cas
bien contraire à notre tradition judiciaire née pendant la Révolution
française, au moment où, précisément, on a voulu unifier l'ensemble de notre
système judiciaire. C'est dans cet esprit que, pour ce qui me concerne, je
voterai cet article dans quelques instants.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je comprends tout à fait le souci manifesté par M.
Fauchon, souci qui est d'ailleurs au coeur de nos débats depuis le début.
Il s'agit, en effet, d'éviter l'anarchie tout en préservant la diversité et la
souplesse nécessaires à l'adaptation aux multiples situations.
Je dirai simplement que le fait même d'introduire dans le code judiciaire les
maisons de justice et du droit constitue déjà une première réponse à ce
souci.
J'ajouterai que, bien évidemment, lorsque nous mettrons en chantier la réforme
de la carte judiciaire, nous ne laisserons pas de côté les maisons de justice
et du droit ; elles y seront intégrées.
Voilà ce que je peux dire à ce stade de la discussion et qui m'amène à m'en
remettre à la sagesse du Sénat quant aux améliorations de forme qui permettront
de mieux refléter ce souci.
ARTICLE L. 7-12-1-1 DU CODE DE
L'ORGANISATION JUDICIAIRE