Séance du 20 octobre 1998
CONSEILS RÉGIONAUX
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 524, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au mode
d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse
et au fonctionnement des conseils régionaux. [Rapport n° 17 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la situation actuelle
de nos régions est à plusieurs titres préoccupante.
L'élection de mars dernier a souligné à nouveau les difficultés que
rencontrait le mode de scrutin purement proportionnel pour constituer des
majorités de gestion. Du même coup, les critiques portées depuis fort longtemps
à l'encontre du mode d'élection des conseils régionaux ont pris une nouvelle
actualité.
Afin d'obtenir des majorités, des alliances très contestées ont été conclues
dans quatre régions ; elles ont du même coup et au-delà du débat de fond,
propremement politique, placé sous le feu des projecteurs la question du mode
de scrutin.
La direction d'une région par une majorité relative n'est pas non plus exempte
de périls. Des difficultés sérieuses ont surgi lors des débats budgétaires, des
contentieux sont nés et, chacun le sait, ces déconvenues peuvent se produire
demain dans tous les conseils régionaux à majorité relative.
De tels mécomptes peuvent atteindre, dans l'esprit public, l'idée même de la
région et paralyser son fonctionnement. Ce serait à tous égards attristant pour
notre pays, qui a besoin de régions dynamiques, entreprenantes, et pour cela
assises sur une stabilité politique.
Chacun d'entre vous mesure qu'il existe sur ce terrain aussi une amicale
compétition avec nos voisins européens. Nous n'avons donc pas le droit de
perdre du temps en matière de régionalisation.
C'est pourquoi le Gouvernement vous propose à la fois de modifier le mode de
scrutin régional et d'adopter une procédure budgétaire particulière capable, en
l'attente d'un nouveau mode d'élection apportant une majorité de gestion, de
surmonter les difficultés.
En premier lieu, j'aborderai le mode de scrutin.
Le projet de loi qui vous est soumis instaure un mode de scrutin voisin de
celui qui est en vigueur dans les communes de plus de 3 500 habitants. Il
s'agit d'un régime mixte que l'on appelle parfois la « proportionnelle
majoritaire » ou la « proportionnelle rationalisée ». Il accorde une prime en
sièges à la liste obtenant une majorité absolue au premier tour ou arrivant en
tête au second tour, permettant ainsi de dégager une majorité nette et, dans le
même temps, par le jeu de la proportionnelle, de représenter tous les courants
politiques, et donc d'accorder une place aux minorités.
Ce mode de scrutin à deux tours est conforme à la tradition française. Il
permet l'expression de la diversité du suffrage au premier tour et favorise les
rassemblements au second tour.
C'est un dispositif qui a fait ses preuves. La loi de 1982 qui l'instaurait
dans les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants avait, à
l'époque, fait l'objet de sérieuses critiques. Aujourd'hui, son bilan est, de
l'avis général, tout à fait satisfaisant.
On lui reprochait une certaine complexité et, il faut bien le dire, chaque
citoyen ne connaît peut-être pas les règles de dévolution de la prime en
sièges. Mais chacun constate que le voeu des électeurs est respecté : une
majorité stable gère la commune, l'opposition est représentée - ce n'était pas
le cas avant l'entrée en vigueur de la loi de 1982 - et peut ainsi s'exprimer
et faire valoir son point de vue.
C'est donc un mode de scrutin de ce type qui vous est proposé pour les
régions.
Le Gouvernement vous invite à retenir le cadre d'une circonscription
régionale. C'est d'abord, vous en conviendrez, le choix de la simplicité :
inciter les citoyens à s'intéresser davantage à leur région commence par
organiser l'expression commune de leur vote lorsqu'il s'agit de désigner le
conseil régional et son président.
On connaît l'objection selon laquelle le cadre régional créerait de « grands
féodaux », élus certes sur des listes, mais au suffrage universel direct. Mais
cette objection ne résiste pas à l'examen des réalités : aujourd'hui déjà, la
campagne électorale régionale oppose des candidats à la présidence connus,
nommés, désignés. C'est la démocratie personnalisée, et il n'y aura pas, de ce
point de vue, de grande innovation.
Mais surtout, du fait que le mode de scrutin comporte une prime en sièges à la
liste arrivée en tête, la prime doit être calculée à l'échelon régional, faute
de quoi l'addition de primes départementales contradictoires risquerait fort de
nous conduire à des assemblées régionales aussi ingouvernables qu'aujourd'hui :
une région comptant deux départements pourrait ainsi voir la prime obtenue dans
un cas s'annuler dans l'autre et se trouver, de ce fait, sans majorité. Et le
même phénomène pourrait se produire dans des régions comptant davantage de
départements si les primes en sièges sont contradictoires et s'annulent.
Telles sont les raisons qui ont conduit le Gouvernement à choisir le cadre
régional.
Le projet de loi fixe à 25 % le niveau de la prime en sièges, c'est-à-dire que
la liste obtenant la majorité absolue au premier tour ou arrivée en tête au
second obtient d'abord un quart des sièges - selon le principe majoritaire -
avant de participer à l'attribution proportionnelle des sièges restants.
J'ai bien noté que votre rapporteur, M. Paul Girod, au nom de votre commission
des lois, souhaite porter cette prime au tiers des sièges. Si le Gouvernement a
préféré s'en tenir au niveau de 25 %, c'est pour deux raisons.
D'abord, nous partons d'une situation de proportionnelle intégrale dans une
assemblée régionale relativement nombreuse. En instaurant une prime du quart,
nous faisons évoluer raisonnablement le système, et nous ne l'inversons pas.
Nous garantissons une majorité, sans dénaturer la représentation dans les
conseils. Je le rappelle, en effet, nous partons d'un système lui-même
différent du mode de scrutin municipal initial, alors que le scrutin
majoritaire ne permettait aucune représentation des minorités.
Ensuite, l'élévation du niveau de la prime se traduit nécessairement par la
réduction de la représentation des minorités ou de l'opposition. Or tel n'est
pas le but que nous devons nous fixer.
Notre objectif, je le rappelle, est de dégager des majorités de gestion
stables, mais non de réduire la diversité de la représentation du suffrage. Il
faut donc trouver le point d'équilibre entre ces deux exigences.
Permettez-moi d'ajouter que la prime de 25 % des sièges suffit pour garantir
l'apparition de majorités absolues en sièges à toute liste obtenant 33 % des
voix, et ce, je le rappelle, au second tour. En effet, si un quart des sièges
est attribué à la prime, il reste trois quarts de ceux-ci à répartir ! Disposer
d'au moins un quart supplémentaire des sièges, cela fait donc 25 % + 25 %, soit
la majorité absolue.
A cette constatation arithmétique, on doit ajouter l'expérience : aux
dernières élections municipales, un second tour fut nécessaire dans 569 villes
de plus de 9 000 habitants. Dans 567 d'entre elles, la liste arrivée en tête
dépassait les 33 % des voix. Et il s'agissait de communes, alors que le projet
de loi concerne des circonscriptions régionales beaucoup plus vastes. La prime
de 25 % suffit donc pour réaliser l'objectif proposé.
Les règles de présentation des listes vous sont, dans leur principe, bien
connues.
Pour se présenter au second tour, une liste doit obtenir 10 % des suffrages
exprimés.
Pour être autorisée à fusionner entre les deux tours, une liste doit avoir
obtenu 3 % des suffrages exprimés. Ce chiffre diffère de celui retenu pour le
scrutin municipal. L'Assemblée nationale l'a souhaité ainsi, avec l'accord du
Gouvernement. En effet, en passant de la proportionnelle intégrale à une
proportionnelle avec prime, il ne s'agit pas de brimer l'expression des petites
formations. Le seuil les autorisant à fusionner a donc été abaissé.
Je ne méconnais pas les contraintes que cette disposition fera peser sur les
grandes formations politiques, mais elle est indiscutablement favorable au
pluralisme.
Enfin, la règle ordinaire selon laquelle toute liste doit obtenir 5 % des
suffrages exprimés pour participer à la répartition des sièges est reprise dans
ce projet de loi.
Le projet de loi n'entend pas modifier l'effectif actuel des conseils
régionaux, et le nombre de conseillers restera identique à ce qu'il est
actuellement dans chacune des régions.
En revanche, l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à instaurer
la parité entre candidats et candidates sur les listes. Elle a voulu ainsi
tirer sans tarder la conséquence de l'adoption par le conseil des ministres du
projet de loi constitutionnel visant à favoriser l'égal accès des hommes et des
femmes aux mandats et fonctions.
Nous savons que l'instauration de cette parité exige une réforme de la
Constitution. Dès lors que celle-ci aura au moins été adoptée par le Parlement,
rien au plan juridique ne pourrait faire obstacle à la validité d'une clause
instaurant la parité dans le présent projet de loi. Mais le calendrier
parlementaire devra intégrer cette exigence, et les conséquences de la réforme
constitutionnelle sur l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions et
mandats en matière régionale sont ainsi connues sans ambiguïté.
S'agissant de la durée du mandat des conseillers régionaux et des membres de
l'Assemblée de Corse, elle a été ramenée à cinq ans, ce qui correspond au «
rythme » de la démocratie pour le mandat de député ou de représentant au
Parlement européen.
Vous savez que M. le Premier ministre, dans son discours de politique
générale, s'était engagé à « harmoniser les mandats électifs sur une base de
cinq ans ». Il n'y a pas de motif, à mes yeux, à la coexistence de trop de
durées différentes pour les mandats politiques : cette mesure va dans le sens
d'une clarification ; s'engager dans cette voie peut, de fait, permettre de
regrouper plusieurs scrutins, ce qui contribuera à combattre
l'absentionnisme.
J'en viens maintenant à la composition des collèges électoraux sénatoriaux,
dont les conseillers régionaux sont membres de plein droit. Le cadre de la
circonscription régionale impose, en effet, de répartir les élus dans chaque
collège sénatorial départemental. Nous vous proposons de le faire de manière
analogue au processus en vigueur en Corse, où l'Assemblée de Corse doit
répartir ses membres entre les deux collèges de Corse-du-Sud et de
Haute-Corse.
Ainsi, dans le mois suivant l'élection, le conseil régional procédera à cette
répartition. Il élira d'abord ses représentants au collège électoral sénatorial
du département le moins peuplé, à la proportionnelle. Puis il procédera
successivement de la même manière pour chaque département, dans l'ordre
croissant de la démographie. Enfin, le département le plus peuplé se trouvera
naturellement doté des représentants non encore élus aux tours précédents.
Ce dispositif est sans doute complexe, j'en conviens, mais c'est la meilleure
incitation à ce que les groupes politiques des conseils régionaux préparent une
répartition consensuelle.
J'ajoute que le Conseil constitutionnel ne l'avait pas désapprouvé lorsqu'il
fut adopté pour la Corse, et que le Conseil d'Etat l'a accepté lorsqu'il a
examiné le présent projet de loi.
Ainsi se trouve résumé le nouveau mode de scrutin régional que vous soumet le
Gouvernement.
J'aborderai maintenant le second aspect du projet de loi, qui porte sur la
procédure d'adoption des actes budgétaires par les conseils régionaux.
Vous le savez, faute de réforme du mode de scrutin, la procédure d'adoption
des actes budgétaires avait déjà fait l'objet de nombreuses propositions de loi
d'origine diverse. Les unes comme les autres visaient à permettre l'adoption
des budgets, en cas de majorité simple, sans intervention systématique du
représentant de l'Etat, intervention qui va à l'encontre du principe même de
décentralisation.
L'objet même de cette dérogation au principe habituel d'adoption des budgets
par les collectivités locales était de favoriser la libre administration plutôt
que l'intervention de l'autorité de tutelle.
De ces travaux est née la loi du 7 mars 1998, définissant une procédure
dérogatoire d'adoption des budgets au-delà de la date limite fixée par la loi,
à savoir le 31 mars ou le 30 avril les années de renouvellement des assemblées
délibérantes.
Aux termes de ce texte, le projet de budget est soit celui du président, soit
celui d'une majorité de conseillers signataires d'une motion de renvoi.
Votre commission des lois estime que ce dispositif est suffisant et qu'il
convient de l'expérimenter avant de le modifier. Je crains, à cet égard,
qu'elle ne fasse preuve d'un optimisme excessif.
Il est vrai qu'aujourd'hui deux régions seulement n'ont pu adopter leur budget
dans les conditions du droit commun. Mais nous devons prendre en compte le fait
que, dès cette année, une dizaine de régions sont à la merci d'une situation
analogue. Donc, le vote du budget peut devenir hors de portée.
C'est pourquoi nous proposons de préciser les modalités de recours et d'usage
de cette procédure dérogatoire d'adoption des actes budgétaires.
En premier lieu, afin de lever toute ambiguïté, il est bon de préciser que le
vote de l'intégralité des chapitres vaut adoption du budget.
Mais il s'agit de réserver à l'exécutif régional un droit d'appel sur ce
budget pour en assurer la cohérence et la conformité avec les orientations
présentées par le président. Contraindre à l'intégration d'amendements
profondément contradictoires, parfois votés par des majorités de rencontre, ne
serait pas une bonne méthode.
Il est donc proposé d'introduire un dispositif inspiré de la méthode du vote
bloqué et permettant à l'exécutif de soumettre à un vote d'ensemble final un
budget équilibré, comprenant les amendements votés et retenus par
l'exécutif.
En second lieu, il est proposé de lever certaines incertitudes juridiques.
La date limite de vote des taux a été reportée afin de l'aligner sur la date
limite de vote des budgets. C'est une bonne réforme. Mais, dans une assemblée
dépourvue de majorité stable, le vote des taux, objet d'une délibération
distincte mais intimement liée à la procédure budgétaire, est guetté par les
mêmes périls. C'est pourquoi il vous est proposé d'étendre aux décisions
annuelles de vote des taux la nouvelle procédure dérogatoire d'adoption sans
vote.
A défaut, la nouvelle proposition du président, mais aussi la
contre-proposition éventuelle annexée à une motion de renvoi se verraient
condamnées à reconduire les taux de l'année précédente. Ce serait, convenez-en,
une grave entorse au pouvoir budgétaire de la région !
Le présent projet de loi vise à remédier à ce danger en étendant aux décisions
budgétaires le champ de la procédure dérogatoire, à l'exclusion toutefois de
l'arrêté des comptes par le vote du compte administratif.
Une autre précision tend à confirmer le caractère écrit de la nouvelle
procédure, tant pour le nouveau projet de budget de l'exécutif que pour celui
de l'opposition.
De même, le présent texte précise le délai de convocation du conseil régional,
afin d'assurer l'information des élus sur toute contre-proposition budgétaire,
dès la saisine du conseil économique et social régional.
Enfin, il est proposé de lier l'adoption d'une motion de renvoi sur le budget
primitif de la région à la mise en cause de l'exécutif régional.
Il est logique, en effet, que les conséquences d'une mise en minorité du
président sur l'acte politique le plus important du conseil régional soient
tirées. Le budget, vous le savez, traduit les orientations de l'exécutif
régional. C'est l'un des rares actes obligatoirement soumis au vote de
l'assemblée délibérante réunie en formation plénière. Dès lors que le
président, avec l'accord de son bureau, engage sa responsabilité, il doit aller
jusqu'au bout de la procédure. De même, si une majorité alternative se dessine
autour d'une motion de renvoi lors du budget primitif, le vote doit conduire au
remplacement de l'exécutif régional.
Il va de soi que ces procédures pouvant remettre en cause le président et
l'exécutif régional sont strictement limitées au vote sur le budget
primitif.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce dispositif est
nécessaire. Nous ne pouvons pas en faire l'économie, dans l'attente d'un
nouveau mode de scrutin désignant des majorités de gestion. Sinon, nos régions,
qui sont à la merci de majorités relatives, iront de difficulté en difficulté,
discréditant l'institution régionale elle-même.
Rendrait-on justice à l'idée de décentralisation en restant aveugle devant les
dangers ou en s'en remettant au représentant de l'Etat pour arbitrer
systématiquement le débat régional ? Serait-il sage de sous-estimer le péril,
de laisser les régions s'enfoncer dans les crises sans se donner les moyens
d'un fonctionnement normal ? Je ne le crois pas.
Le Gouvernement, en présentant ce projet, veut mettre un terme à la dérive qui
risque de toucher l'institution régionale. La France a besoin d'institutions
locales et régionales solidement établies, capables d'affronter les défis,
d'organiser l'aménagement du territoire, le développement local, capables aussi
de rivaliser avec les régions des autres pays européens.
Beaucoup de temps a été perdu. Nous ne pouvons plus attendre pour garantir aux
régions un mode de fonctionnement correct.
Tel est donc l'esprit de ce projet de loi : un nouveau mode de scrutin pour
désigner des exécutifs stables et, dans l'attente, une procédure budgétaire
permettant de surmonter les obstacles.
Je suis sûr que ces objectifs sont largement partagés et je souhaite que le
débat qui s'engage permette de les servir.
Nous aurons ainsi, à travers cette réforme, consolidé l'institution régionale
dans une période où, il faut bien l'avouer, elle connaît une crise, alors que
les régions se développent partout dans les pays européens proches.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, mes chers collèges, à l'audition de M. le ministre, vous avez
compris que ce texte vise deux buts à la fois, ce qui, dans bien des sports,
s'avère parfois être un exercice périlleux, et je ne suis pas sûr que l'art
politique ne soit pas, sur ce point, comparable à ces sports.
Il tend, en effet, à la fois à modifier le régime électoral des régions et à
édicter de nouvelles règles de fonctionnement desdites régions telles qu'elles
sont.
C'est là la conséquence d'une situation née de l'accumulation, me semble-t-il,
de trois faits.
Tout d'abord, un engagement déjà ancien du Gouvernement - dans l'hypothèse,
disait-il, où les élections régionales déboucheraient sur un certain désordre,
parce qu'il était persuadé que ce serait le cas - de modifier le régime
électoral des régions après les élections régionales de mars dernier pour
n'avoir pas voulu le faire avant au motif qu'on était dans l'année précédant le
renouvellement général des régions et que cela n'aurait pas été convenable.
Les élections se sont déroulées - c'est le deuxième fait. Elles ont débouché
sur des situations parfois inattendues, encore qu'il ne faille pas, ici ou là,
exagérer certains types de critiques. Il y a au moins un cas, sur les quatre
qu'a évoqués M. le ministre, où le président de région élu avait clairement
annoncé ce qui se passerait. On ne peut donc pas dire qu'en l'espèce les
électeurs aient été pris par surprise.
Il convient, dès lors, région par région, de nuancer les jugements. Mais il
est vrai que ces élections ont débouché sur des situations que le Gouvernement
n'avait peut-être pas envisagées comme cela.
Troisième fait, enfin : deux régions se sont trouvées sans budget malgré
l'adoption, le 7 mars dernier, d'une loi proposée par le même Gouvernement -
vous l'avez d'ailleurs en partie défendue devant le Parlement, monsieur le
ministre, bien qu'à l'époque vous n'ayez pas été ministre de l'intérieur par
intérim - et qui avait pour ambition de trouver un système permettant aux
régions d'avoir un budget dans des conditions acceptables sans qu'il y ait pour
autant un vote formel, et ce afin d'éviter - c'était l'objet du projet - que le
budget ne soit réglé grâce à l'intervention de l'Etat, par l'intermédiaire des
préfets.
Nous en avions accepté le principe malgré quelques réticences sur le
dispositif tel qu'il a été définitivement voté.
Or, je l'ai dit, deux régions n'ont pas de budget malgré le vote de ce texte,
considéré à l'époque comme excellent, tout au moins par ses promoteurs et par
l'Assemblée nationale, me semble-t-il.
Il faut, bien sûr, en rechercher le pourquoi et le comment, comme auraient dit
les sages du temps passé.
En fait, c'est non pas parce que le texte était mauvais, mais parce qu'il n'a
pas été appliqué du tout, et c'est probablement là, monsieur le ministre, le
point faible du raisonnement que vous nous avez exposé voilà quelques
instants.
En effet, les deux présidents de région qui se sont trouvés dans cette
situation difficile n'ont ni l'un ni l'autre respecté les dispositions de la
loi du 7 mars dernier. On ne peut donc pas dire que cette loi débouche sur un
système inopérant puisqu'on n'a pas pu analyser ses effets.
J'en reviens au sport, monsieur le ministre, pour répéter que l'on vise deux
buts très différents au travers, d'une part, de dispositions budgétaires dont
vous croyez qu'elles sont urgentes - ce n'est pas l'avis de la commission des
lois - et, d'autre part, d'une réforme électorale qui, elle, n'est certainement
pas urgente.
Que le déclenchement de la réforme électorale soit rapide après les élections
sénatoriales de septembre dans le souci de respecter un engagement du
Gouvernement, soit ! En revanche, il n'y a aucune raison pour que l'on délibère
dans l'urgence d'un projet de réforme électorale qui ne s'appliquera, dans le
meilleur des cas, que dans six ans - à moins qu'il n'y ait des arrière-pensées
de dissolution unilatérale d'une région ou d'une autre après un blocage plus ou
moins artificiellement préfabriqué, auquel cas il faudrait nous le dire ! - au
motif qu'il est couplé avec des dispositions techniques d'ordre financier qui,
elles, d'après le Gouvernement, nécessitent une adoption urgente.
C'est là un abus de raisonnement qui a conduit la commission des lois à
s'interroger longuement sur le point de savoir s'il ne convenait pas - j'attire
l'attention du Gouvernement sur ce point - de déposer une question préalable
exclusivement motivée par le fait qu'on ne délibère pas dans l'urgence d'une
réforme électorale qui ne s'appliquera que six ans plus tard, même s'il est
urgent de commencer à en discuter.
Monsieur le ministre, les dispositifs institutionnels vous donnent
suffisamment de moyens pour faire aboutir une réforme électorale dans des
délais acceptables sans que, pour autant, la discussion soit tronquée à ce
point.
La commission des lois a toutefois considéré, d'une part, que le dépôt de
cette motion serait probablement mal interprété et, d'autre part, que la
réaction serait excessive en la matière. Elle a donc accepté d'examiner le
corps du texte, lequel comporte effectivement deux aspects : l'aspect électoral
et l'aspect fonctionnement.
En ce qui concerne l'aspect électoral, M. le ministre vient de confirmer ce
qu'il avait dit devant la commission : on reprend le système municipal, à la
nuance près que la prime sera non plus de la moitié mais de 25 %, par
conséquent modérée.
C'est d'ailleurs, parmi les hypothèses envisagées, la seule que le groupe de
travail de la commission des lois du Sénat qui avait travaillé sur la réforme
des scrutins régionaux il y a déjà quelques mois avait cru pouvoir retenir. Il
avait conclu à l'unanimité - je le précise, car cela peut avoir son intérêt -
qu'il ne fallait surtout toucher à rien, à l'époque, mais que, si l'on devait
toucher à quelque chose, ce serait dans ce sens qu'il faudrait aller : un
scrutin de type municipal avec une prime modérée.
Sur ce plan, le Gouvernement a feint de nous entendre. Il ne nous a pas
complètement entendus parce que, d'abord, il nous propose une circonscription
électorale unique, de type régional, gommant allègrement le fait que, dans la
région parisienne, par exemple, deux cent neuf noms sur la même liste, cela
suppose déjà que l'on change l'urne afin de pouvoir y faire entrer une feuille
aussi grande qu'une page de journal.
Surtout, plus grave, cela présente l'inconvénient de supprimer toute espèce de
rapprochement entre l'élu et le corps électoral, et de rendre le scrutin très
difficilement lisible pour quiconque, surtout, monsieur le ministre, si l'on va
jusqu'à la fusion des listes. Comment voulez-vous que quelqu'un qui va avoir à
voter pour 209 noms au deuxième tour, parmi lesquels certains viendront d'une
liste pour laquelle il n'a pas voté au premier tour, s'y reconnaisse ? Il lui
faudra une heure et demie de lecture et de consultation des tableaux
comparatifs pour s'y retrouver.
Donc, restons sérieux, d'autant que ce n'est pas là la loi municipale, qui
vaut pour les communes de plus de 3 500 habitants à l'exception de Lyon,
Marseille et Paris. Or, les régions sont toutes des collectivités territoriales
dont la dimension humaine correspond, à peu de chose près, à celle de l'une de
ces trois grandes villes.
Par conséquent, monsieur le ministre, il convient, me semble-t-il, de nuancer
l'identification que vous faites allègrement entre le scrutin régional et le
scrutin municipal.
Je rappelle à nos collègues que toutes nos collectivités sont, excepté les
communes les plus importantes, désignées par une circonscription électorale
d'échelon inférieur à celui de la collectivité qu'il s'agit de gérer.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Paris, Lyon, Marseille : l'arrondissement ; les départements
: le canton. Le seul scrutin où l'on retrouve la représentation directe n'est
pas celui dans lequel s'identifie le mieux l'identité de l'électeur avec celui
de l'élu ; c'est le scrutin européen.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Si c'est pour calquer le scrutin européen, avec ses
conséquences sur l'identification des élus par rapport à la population, que
l'on prévoit une circonscription régionale, permettez-moi de vous dire,
monsieur le ministre, que c'est un point de départ insuffisant !
C'est la raison pour laquelle la commission des lois souhaite que l'on en
revienne à un scrutin départemental.
Faut-il un tour ou deux ? C'est le problème et c'est l'objet d'un débat. La
commission, pour l'instant, est plutôt favorable à un scrutin à deux tours qui
présente l'avantage de rassembler les minorités de manière plus claire. En
effet, un scrutin à un tour peut être durement éliminatoire surtout si, comme
le souhaite la commission, on durcit quelque peu les seuils de
représentativité. L'Assemblée nationale a prévu deux dispositions
complémentaires que j'évoquerai à la fin de mon exposé, étant donné leur nature
un peu particulière : il s'agit de la jeunesse et de la parité
hommes-femmes.
Le deuxième aspect du projet porte sur la gestion. L'échec du texte actuel est
imputable non au texte lui-même mais au fait qu'il n'a pas été appliqué. Le
projet de loi comporte une novation majeure qui, elle aussi, mériterait un
débat approfondi s'étendant à d'autres catégories de collectivités
territoriales.
L'article 72 de la Constitution dispose que les collectivités territoriales de
la République s'administrent librement par des conseils élus et dans les
conditions prévues par la loi.
Depuis toujours, la substitution au conseil de l'autorité préfectorale a été
considéré comme un pis-aller. D'ailleurs, dans ses motivations, le Conseil
constitutionnel a accepté la réforme de la loi du 7 mars 1998 au motif qu'il
s'agissait d'éviter l'intrusion de l'Etat dans les délibérations d'un conseil
et que les dispositions de cette loi rétablissaient, au profit du conseil, une
marge de manoeuvre que l'intervention de l'Etat supprimait.
Or, aux termes du texte qui nous est soumis, c'est non plus le conseil qui
délibère, mais son président tout seul, ...
M. Jean-Jacques Hyest
C'est vrai !
M. Paul Girod,
rapporteur.
... assisté éventuellement d'un bureau ainsi reconstitué par
des dispositions annexes, elles-mêmes partiellement pédagogiques et non de
droit positif, lequel ne dépend et ne procède que de lui-même.
Ainsi, c'est le président qui imposera, même après l'adoption d'un budget, un
nouveau budget conforme à ses vues et qui ne peut être contrebattu que par la
majorité du conseil régional dès le dépôt de la motion de renvoi. Qu'elle doive
être votée, si elle doit l'être un jour, à la majorité absolue me semble un
minimum, mais qu'elle ne puisse être présentée que par une majorité absolue me
semble tout aussi abusif maintenant qu'auparavant, et peut-être même plus
encore maintenant qu'auparavant.
M. Michel Mercier.
Très bien !
M. Paul Girod,
rapporteur.
En effet, contrairement à ce qui a été énoncé au moment du
vote de la loi du 7 mars 1998, le parti contre lequel il s'agit, paraît-il, de
lutter - on n'arrive jamais, monsieur le ministre, à lutter contre un phénomène
politique par des mesures juridiques - fera bien entendu partout échec à ce
genre de manoeuvres.
Par conséquent, cela signifie que les présidents de région en place deviennent
pratiquement des dictateurs absolus, ...
M. Jean-Jacques Hyest.
Des despotes !
M. Paul Girod,
rapporteur.
... y compris les quatre dont vous avez parlé tout à
l'heure, pour la durée de leur mandat.
Est-il raisonnable d'accepter cette novation dans notre droit public sans que
l'on en examine les conséquences ?
Cette procédure peut être mise en oeuvre pour deux autres délibérations par
an.
S'agissant des contrats de plan, vous verrez, bientôt, mes chers collègues, un
nouveau texte comportant bien entendu les mêmes dispositions pour leur
adoption. En effet, on avancera que l'on ne peut pas laisser les régions sans
système de fonctionnement ; qu'il faut leur permettre d'adopter des contrats de
plan ; qu'il faut donc que le président puisse imposer son contrat de plan à sa
majorité, à son opposition, à son conseil tout entier même s'il s'avère qu'il
n'est pas tout à fait d'accord.
Je crois très honnêtement que faire entrer une disposition aussi novatrice
dans notre droit public mériterait un débat approfondi, ce qui est incompatible
avec la procédure d'urgence qui a été déclarée.
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, la commission des lois a
préféré recommander, au Sénat d'abord et au Parlement ensuite, de s'en tenir au
texte actuel, pour voir dans quelle mesure il aboutira ou n'aboutira pas à des
difficultés insurmontables ; nul ne le sait aujourd'hui. En conséquence, elle
proposera la suppression pure et simple des dispositions relatives à l'adoption
des budgets, même si certaines d'entre elles, d'ordre technique, auraient pu
être éventuellement retenues, telles que l'extension du dispositif aux taux ou
la clarification des dates ; encore que je ne sois pas certain qu'une lecture
attentive du texte en vigueur ne permette pas d'aboutir au même résultat.
Restent quelques dispositions complémentaires, d'ailleurs souvent introduites
par l'Assemblée nationale, qui sont de caractère un peu bizarre, soit parce
qu'elles sont une anticipation hardie, soit parce qu'elles découlent de
phénomènes de mode contestables.
L'anticipation hardie, c'est la réduction à cinq ans du futur mandat des
conseillers régionaux. Ce débat est ouvert devant le peuple : la durée des
mandats doit-elle être réduite ou maintenue, et maintenue dans sa diversité ?
Cette durée doit-elle être unifiée ? Cette réforme ne s'appliquera pas avant
2004 ; réduire la durée du mandat sans avoir ouvert le débat sur la durée des
autres mandats des collectivités territoriales me semble imprudent.
La seconde anticipation, c'est la parité sur les listes de candidats, non pas
des élus. Encore faudrait-il, si l'on veut la parité des élus, préciser la
parité des candidats en cas de parité en « hélice », comme l'ADN bien connu, et
non pas d'une parité « paquet » avec tous les hommes devant et toutes les
femmes derrière, ou l'inverse !
Mme Hélène Luc.
Un homme, une femme !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Cette disposition n'est pas constitutionnelle en l'état
actuel des textes. Il convient donc d'attendre une révision constitutionnelle
sur ce point avant de légiférer, sinon, ce serait vraiment introduire dans le
débat parlementaire une novation : la loi ordinaire commanderait à terme la loi
constitutionnelle.
J'en arrive aux dispositions qui découlent de la mode actuelle : le jeunisme.
Plus on est jeune, plus on est compétent ! Si on va jusqu'au bout de ce
raisonnement, bientôt, dans l'armée, le règlement prévoira que, lorsque le
colonel est tué au combat, c'est le moins ancien dans le grade le moins élevé
qui prendra le commandement du régiment !
(Sourires.)
Monsieur le
ministre, je ne suis pas certain que c'est ce que vous souhaitez.
Une autre disposition concerne le bureau. Le bureau, ce sont ceux qui ont
délégation, très bien. Mais, tout le monde avait fait remarquer que l'exécutif,
c'est le président. Or, pour essayer d'obvier à cela, l'Assemblée nationale a
introduit l'idée selon laquelle le président doit déléguer une partie de ses
responsabilités à ses vice-présidents. Quelle partie ? Dans quelles conditions
? Pour combien de temps ? Délégation révocable, non révocable ? Personne n'en
sait rien. Cela fait partie de ce que j'appelle le droit pédagogique qui
s'oppose, dans mon esprit, au droit positif.
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, la commission des lois,
pas plus sur ce point que sur la réduction du mandat à cinq ans, la parité ou
le jeunisme, ne vous recommandera de maintenir ces dispositions.
Mes chers collègues, voici, brièvement résumée, la position de la commission
des lois. Elle souhaite que sorte de nos délibérations un texte conforme à la
fois à nos traditions et à l'ambition que nous avons nous aussi pour les
régions.
Monsieur le ministre, ce n'est pas en éloignant l'élu régional de son corps
électoral que vous ferez avancer l'idée régionale ; c'est en faisant en sorte
que tous les départements soient convenablement représentés, qu'ils soient très
peuplés ou peu peuplés.
Un des grands défauts de la circonscription régionale unique est que l'on «
bourrera » les listes de ceux qui habitent les départements les plus peuplés
pour recueillir le maximum de suffrages en négligeant les autres. Or,
rappelons-nous que les régions, ce sont peut-être des hommes, mais ce sont
aussi des territoires et qu'entre dans leurs compétences - quelquefois
exagérément revendiqué par elles seules - l'aménagement du territoire, alors
qu'en réalité il s'agit là d'une tâche partagée entre tout le monde. Par
conséquent, si l'aménagement du territoire commence par négliger l'aspect
territorial des circonscriptions et la représentativité des régions, eh bien,
monsieur le ministre, on part sur une mauvaise piste, ce qui constitue une
raison supplémentaire de suivre la position adoptée par la commission des
lois.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Hoeffel,
M. Fauchon et moi-même nous sommes partagés la tâche d'exposer la position du
groupe de l'Union centriste sur ce projet de loi qui nous amène à délibérer cet
après-midi de la réforme du mode d'élection des conseillers régionaux et du
fonctionnement des conseils régionaux.
Sur de nombreux points - cela n'a rien d'étonnant - je rejoindrai M. le
rapporteur, ce qui me permettra de respecter le temps de parole qui m'est
imparti.
Monsieur le ministre, les prochaines élections régionales auront lieu en 2004.
Pourquoi donc délibérer selon la procédure de l'urgence qui ne permettra pas au
Sénat, représentant des collectivités territoriales, d'apporter à l'étude de ce
projet de loi le temps, l'attention et l'enrichissement qu'il pourrait apporter
puisque c'est la première et la dernière fois qu'il pourra en discuter ? Rien
ne justifie l'urgence sur un tel texte et nous ne pouvons que regretter la
position du Gouvernement qui nous contraint à tronquer la discussion.
Toute loi électorale est, par définition, une loi politique, et ce texte ne
déroge pas à la règle. Il poursuit un objectif qui apparaît louable :
rechercher et dégager une majorité pour gérer les conseils régionaux. Sur ce
point, chacun d'entre nous peut s'accorder et en reconnaître la nécessité ; les
régions ont besoin, pour bien fonctionner, d'une majorité, cela est vrai.
La méthode proposée par le Gouvernement nous satisfait-elle ? Elle nous
apparaît, au contraire, très contestable. Sans revenir sur ce que M. le
rapporteur vient de dire, je voudrais simplement m'appuyer à la fois sur des
arguments de fait et sur des arguments de droit.
S'agissant des faits, chacun convient que, pour intéresser nos concitoyens à
la vie d'une collectivité, il faut être au plus près d'eux. Ainsi, pour les
grandes régions, serons-nous certains que chacun de nos concitoyens retrouvera
sur les listes des candidats qu'il connaît, qu'il les apprécie ou qu'il les
combatte ? Dans la région qui est la nôtre, monsieur le ministre, je ne suis
pas très sûr que le département de l'Ardèche compte beaucoup de représentants
et je ne suis pas sûr que les habitants du sud de l'Ardèche connaissent
beaucoup ceux du nord du Jura... Ce sont quand même des candidats sur lesquels
ils devront se prononcer.
Plus grave encore, la façon dont est organisé le scrutin lui-même peut être
considérée, soit, au pire, comme une sorte de piège, soit, au mieux, comme une
sorte de démocratie d'idées.
Vous nous avez dit que le mode de scrutin à deux tours était le mode de
scrutin traditionnel de la République, et c'est exact. Sur ce point, nous
n'avons rien à dire. Toutefois, ce qui ne correspond pas au mode de scrutin
traditionnel de la République, c'est, bien sûr, la règle de la fusion entre les
deux tours. C'est là que se trouve le piège, ou la démocratie d'idées, parce
que je vois bien quels candidats pourront s'allier entre eux au second tour et
quels sont ceux qui ne le pourront pas : en effet, soit ils n'auront personne
avec qui s'allier, soit, s'ils parviennent à conclure une alliance, elle se
révèlera mortifère, soit, s'ils ne s'allient pas, ils seront battus.
Devrions-nous, de par la loi, donner d'avance le résultat des élections ?
L'article 4 me paraît donc tout à fait condamnable, en ce qu'il organise la
fusion des listes entre les deux tours. Notre groupe aura beaucoup de mal à
accepter une telle organisation de la démocratie.
Ensuite, nous nous sommes interrogés sur la composition du corps électoral
sénatorial.
Il est vrai que la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991 reconnaît
au Gouvernement et au Parlement une grande latitude dans ce domaine dès lors
que le cadre départemental de l'élection des sénateurs est conservé. Mais
faut-il modifier aujourd'hui même la composition du corps électoral sénatorial
alors que le Gouvernement a annoncé pour les prochains mois une réforme de
l'élection des sénateurs ? Nous aurions probablement tout intérêt à examiner
l'ensemble de la réforme ultérieurement, plutôt que seulement un de ses aspects
aujourd'hui.
Je traiterai maintenant brièvement du second pan de la loi, qui vise à assurer
le fonctionnement des conseils régionaux. Ces dispositions sont, quant à elles,
d'application immédiate et justifient, selon vous, le recours à la procédure de
l'urgence. Je serai bref sur ce point, parce que nous approuvons pleinement les
propos tenus par le rapporteur, M. Paul Girod.
Ces dispositions visent à assurer une prééminence absolue des présidents sur
les conseils et si la même décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991
permet la diversification territoriale et consacre l'abandon de l'exigence
d'identité institutionnelle des collectivités locales autres que les
territoires d'outre-mer, le principe de la libre administration est respecté,
principe qui, toujours suivant le Conseil constitutionnel, exige la présence
d'une assemblée délibérante élue au suffrage universel direct, ce que ne
prévoient pas les propositions qui nous sont soumises aujourd'hui.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste, s'inspirant des travaux de la
commission des lois et de l'excellent rapport que vient de présenter M. Paul
Girod, attendra pour se déterminer l'exposé des positions du Gouvernement à
l'égard des points qui lui paraissent particulièrement difficiles à accepter,
notamment la fusion des listes au second tour, avant de prendre sa décision
finale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
dire combien j'ai apprécié le travail réalisé par M. le rapporteur et le
féliciter de ce que sa culture départementaliste ne l'ait pas conduit à des
excès !
(Sourires.)
Au fond, je tiens à souligner combien je suis
d'accord sur des points très importants de son rapport.
Monsieur le ministre, le paradoxe fait que l'on discute de ce sujet au moment
où l'actualité met sur le devant de la scène les succès de la décentralisation.
Ce que sont en train de crier aujourd'hui les lycéens dans les rues, c'est que
certaines choses marchent, celles qui sont décentralisées, proches du terrain,
dans lesquelles les responsabilités sont assumées, et que d'autres ne marchent
pas, celles qui sont centralisées. Un ministre, même de bonne volonté, n'arrive
pas à faire bouger le « mammouth » !
Aujourd'hui, on constate qu'un système centralisé n'est pas capable de se
réformer, alors qu'un système décentralisé permet de répondre aux questions.
Et, il est extraordinaire de noter que, lors de ce grand débat sur l'éducation,
personne ne parle des collèges !...
M. Michel Mercier.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Tout va bien dans ce secteur, les départements assument ! Et si un ministre de
l'éducation ne disait aux lycéens : « Et les régions !... », et si quelques
recteurs ne leur conseillaient d'aller manifester devant le conseil régional,
passant ainsi le mistigri, on aurait peu de débats sur l'action des régions en
tant que telles. Cela dit, il reste encore à faire, même si toutes les régions,
qu'elles soient de droite ou de gauche, font de l'éducation leur priorité, sont
déterminées à agir plus en ce domaine.
J'insiste sur ce point parce que c'est un élément important dans notre
décision : le texte qui nous est aujourd'hui proposé fragilise en effet le fait
régional. Et si j'insiste sur le problème des lycées, c'est parce que je crains
beaucoup qu'en fragilisant la région on ne se prive de réponses modernes à des
difficultés archaïques.
Si l'on en croit la presse, les réponses que M. Allègre souhaite apporter ne
sont pas à la hauteur de l'enjeu. Faisons donc en sorte que l'on n'assiste pas
aujourd'hui, alors que la décentralisation affiche ses succès, à une
centralisation rampante qui tournerait le dos au bon sens et à l'espoir de
résoudre des problèmes.
Selon nous, le projet de loi déstabilise le fait régional. Pour atteindre ce
résultat, monsieur le ministre, vous utilisez plusieurs armes.
D'abord, vous employez l'arme malicieuse du deuxième tour, la semaine de
toutes les magouilles, de tous les accords, de toutes les négociations, de la
distribution des postes, de l'organisation des places,... ce dont ne veulent
pas les Français. Vous organisez une semaine clandestine, où l'on va essayer de
conjuguer les listes et, comme le disait très justement M. le rapporteur tout à
l'heure, où l'on trouve, d'un côté, les alliances fertiles et, de l'autre, les
solitudes morales.
Nous voyons donc bien qu'il n'est pas possible, pour des Républicains qui
veulent protéger le fait régional de tous les dangers, d'accepter ce deuxième
tour.
Vous, monsieur le ministre, qui vous battez pour une conception républicaine,
pourquoi voulez-vous généraliser à tout le pays les méthodes que vous combattez
dans votre propre région ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Organisons donc un scrutin à un seul tour de manière que la liste arrivée en
tête puisse obtenir une prime et recueillir une majorité absolue au conseil
régional.
A cet égard, je rejoins M. le rapporteur : la Haute Assemblée prendrait une
sage décision si elle équilibrait ces deux éléments. Nous disons donc oui à la
proximité départementale, oui à la section départementale.
Il est, en effet, absurde, quand on est décentralisateur, de vouloir instaurer
la guerre entre les départements et la région. C'est absurde, car cela revient
à paralyser l'action sur le terrain, la dynamique territoriale.
Oui à un scrutin départemental, mais aménageons-le : faisons en sorte, lorsque
l'on est candidat dans un département, de présenter des candidatures dans tous
les départements d'une même région, et sous la même appellation. Nous sommes
favorables à une liste à affichage régional et à section départementale. Cela
nous paraît tout à fait réalisable.
Il est vrai que, dans notre pays, c'est au niveau du département que
s'organise notre vie politique. Il n'y a donc pas de difficultés à présenter
des listes dans chacun des départements, avec un scrutin départemental, mais à
un seul tour, ce qui nous permettra d'accroître la transparence démocratique et
d'éviter cette semaine de toutes les complexités, de toutes les magouilles.
La première déstabilisation réside dans l'organisation de ce second tour. Le
groupe des Républicains et Indépendants ne peut accepter cette hypothèse et le
danger qu'elle fait courir au pays.
La deuxième cause de fragilisation figurant dans ce projet de loi provient de
la motion de renvoi et du changement de président.
Je ne suis pas très favorable à cette motion de renvoi et je suis tout à fait
hostile à l'idée que le président puisse abandonner son poste en cours de
mandat, avec un accord tactique et sans véritable décision parce que ce serait
néfaste pour notre organisation démocratique, parce que, là encore, il y aurait
des combines.
Pourquoi créer une source d'instabilité de l'exécutif régional, alors que,
dans tous les autres domaines, on essaie de montrer l'importance de la durée
?
Certaines régions, aujourd'hui, s'efforcent de faire face au désordre de
l'Etat en matière de contractualisation. Mais savez-vous, monsieur le ministre,
comment, en ce moment, sur le terrain, se comporte l'Etat ? Ainsi le ministère
de l'aménagement du territoire et de l'environnement insiste sur la très grande
urgence qu'il y a à mettre en place des schémas de services et à rendre des
arbitrages. Les uns veulent élaborer ces dispositifs pour la fin du mois de
décembre, les autres pour le mois de mars, chiffrages compris. Pourtant, ces
contrats ne doivent entrer en vigueur qu'au 1er janvier 2000 !
Des ministères font la course pour passer les premiers ! Voyez la lettre de M.
Allègre pour le plan U 3 M ! Il veut même faire passer le contrat en faveur des
universités avant le contrat de plan !
Le désordre de l'Etat en matière de contractualisation est tel que la
stabilité, elle, ne se manifeste que lorsque les services décentralisés de
l'Etat viennent rencontrer les élus des régions ou des départements afin
d'étudier avec eux comment planifier le travail.
Je me demande d'ailleurs comment, sans nous, ils feraient pour y voir clair
sur le terrain !
Si, aujourd'hui, on fait en sorte d'instaurer l'instabilité pour les
présidents de région, c'est l'institution, la région elle-même, qui devient
instable !
L'instauration du mandat de cinq ans pour les conseillers régionaux est aussi
un facteur de fragilisation des régions.
Pour ma part, je n'aurais pas été contre un mandat de cinq ans, car il n'est
pas absurde d'harmoniser la durée de tous les mandats électifs. Mais pourquoi
commencer par les régions justement au moment où l'Etat porte la durée du
contrat Etat-région à six ans par souci d'harmonisation avec celle des fonds
structurels européens ?
Au moment où l'on prévoit que les conseillers régionaux seront élus pour cinq
ans, on donne six ans aux partenaires de la région, à l'Etat notamment, comme
si on voulait, là aussi, recentraliser. Voilà qui me paraît largement
critiquable, car c'est un facteur supplémentaire de cette fragilité pour
l'institution régionale.
Ce débat, comme l'a sagement dit M. le rapporteur, doit faire l'objet d'une
réflexion globale. Nous ne sommes pas fermés à ce type d'évolution, mais elle
doit se faire en cohérence, en harmonie entre l'Etat et la région.
Il est un autre facteur de fragilisation du fait régional : l'excès de
politisation dans les régions.
Progressivement, on cherche à faire en sorte que la région se comporte comme
un petit parlement. Je ne crois pas que ce soit une bonne évolution. Que cette
assemblée régionale veuille jouer à la petite Assemblée nationale, voire au
Sénat, présente des dangers. Il est très préoccupant de voir s'y installer
l'esprit partisan.
Dans une région, les clivages par département, mais aussi entre ville et
campagne, entre le Nord et le Sud, entre l'Est et l'Ouest, sont très
importants. On ne peut pas ramener la vie d'une région au seul clivage
gauche-droite, à un clivage entre appareils politiques extérieurs à la région.
Laissons vivre cette entité territoriale selon ses propres choix !
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Vouloir en permanence politiser la vie régionale, cela signifie décalquer un
certain nombre de procédures du niveau national sur le niveau local et ne pas
retenir ce qui fonctionne le mieux. Il est en effet important que nos
concitoyens bâtissent ensemble, qu'ils se rassemblent, un jour, sur le tracé
d'une route, l'autre jour, pour la construction d'un lycée. C'est le projet qui
doit être au coeur de la vie régionale et non pas l'étiquette politique et
l'esprit partisan.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
Franchement, si l'on veut procéder à la transformation de nos assemblées
régionales en assemblées politiques, je me pose la question de l'utilité d'un
débat régional. A cet égard, j'ai une proposition à faire à M. le
rapporteur.
Pourquoi, en France, procède-t-on aux élections régionales dans toutes les
régions le même jour ? En Europe, les régions autonomes, espagnoles par
exemple, procèdent aux élections à des dates spécifiques. Je propose donc par
amendement qu'en 2004, date du renouvellement des conseillers régionaux, ces
élections soient échelonnées sur une année, d'abord, voire, plus tard, sur deux
ans. Il faudrait faire en sorte que tous les mois aient lieu une, deux ou trois
élections régionales, afin d'éviter la nationalisation excessive des débats
régionaux.
A trop nationaliser les débats régionaux, on enlève à la région sa véritable
substance : la différence.
Ce qui est intéressant dans le fait régional, ce n'est pas que la région soit
une portion de nation. La région n'est pas une portion de nation ! Il n'y a pas
de portion dans la nation !
Ce qui compte, c'est que la région soit un échelon de décision, avec les
autres collectivités, et que cet échelon soit efficace non pas pour reprendre
tous les débats nationaux, pour chercher à calquer complètement les débats
nationaux, mais pour aborder les sujets locaux.
Ce qui est intéressant dans le fait régional, c'est la différence, c'est le
fait que l'Auvergne, avec sa sagesse et sa grande expérience, ait une vision de
l'avenir et que, par ailleurs, la Provence-Alpes-Côte d'Azur ou le Nord -
Pas-de-Calais aient d'autres visions. Il faut que les régions puissent apporter
des correctifs à la politique nationale de l'Etat, selon leurs sensibilités.
C'est cela qui compte dans le fait régional ! Ce n'est pas de diviser la France
!
Il convient de faire en sorte que le national puisse tenir compte des
spécificités et des préoccupations locales, que la cohérence nationale soit
compatible avec le projet régional, et donc qu'il y ait ce lieu d'équilibre.
C'est cela qui est le plus important !
Or, il y est souvent fait obstacle, me semble-t-il, par cette transformation
du débat régional en débat national. Laissons les débats régionaux se
développer et échelonnons les scrutins ! Ainsi, nous pourrons éviter cette
focalisation des grands médias nationaux, qui ne sont pas toujours au plus
proche de nos réalités locales, faire des scrutins et rapprocher nos
institutions des véritables préoccupations des citoyens.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je crois que ce projet est un texte de
fragilisation. Je voudrais vous dire très franchement que, globalement, il
manque de sincérité. Ce qu'il y a de plus choquant, c'est que vous nous imposez
l'urgence. Or ce débat ne nécessitait pas une telle procédure.
Se profilent, derrière tout cela, des suspicions de manoeuvres, et c'est
dommage, car c'est un texte important. Je suis sûr que le Sénat aurait pu
apporter de nombreux éléments positifs à partir de ses réflexions. Nous aurions
pu ouvrir des chantiers nouveaux sur ces sujets, mais nous n'en avons pas le
temps.
Cette procédure d'urgence n'est pas sincère. Le message sur la parité n'est
pas sincère non plus. Que fait-on ? On met les hommes en tête et les femmes en
fin de liste ? Ainsi, nous aurons cet affichage de parité, mais nous n'aurons
que des assemblées masculines !
Si vous voulez qu'on parvienne à la parité, il faut qu'on ait autant de
vice-présidents hommes que de vice-présidents femmes, qu'on partage les
exécutifs. Mais le partage sur les listes que vous proposez manque de sincérité
; c'est faire croire qu'on va faire avancer la parité, mais ce n'est pas donner
véritablement la responsabilité, comme on le souhaite, à ceux qui doivent avoir
toute leur place dans notre assemblée.
Enfin, cette proposition de deuxième tour, je vous le dis, préoccupe beaucoup
l'association des présidents de conseils régionaux qui souhaite, par exemple,
maintenir une assemblée unique de présidents de région dans ce pays. Nous
sommes prêts à faire en sorte que nos convictions républicaines soient les
convictions dominantes, que nos engagements et notre éthique soient vraiment au
coeur de cette vie régionale, et qu'on apprenne, dans ce pays, à vivre avec des
régions de droite et des régions de gauche. Mais n'organisons pas un deuxième
tour ! Ce faisant, monsieur le ministre, vous étendriez les problèmes que vous
connaissez dans votre région à l'ensemble du pays, ce qui, selon moi, serait
préjudiciable à la France !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'importance
prise par la région dans l'organisation administrative de notre pays est une
évidence. Collectivité territoriale récente, elle est la seule à pouvoir être
comparée aux autres grandes circonscriptions locales des pays partenaires de
l'Union européenne. Quand on se réfère à une organisation régionale, on pense
tout de suite à la plus connue, celles des Länder allemands.
Or, un constat s'impose aujourd'hui : une Europe des institutions
territoriales prend son essor dans le cadre du principe de subsidiarité. Ces
collectivités sont appelées à avoir une importance toujours plus grande. De
plus, elles sont sensibles aux préoccupations des citoyens et elles sont des
lieux d'initiatives privilégiés.
Cependant, en France, la région rencontre beaucoup d'obstacles pour trouver sa
vraie place. Malgré les lois de décentralisation, elle souffre d'un manque de
clarté dans le découpage administratif du pays. De plus, de récents problèmes
apparus à l'occasion des dernières élections régionales démontrent la nécessité
d'une réforme du mode d'élection des conseils régionaux. L'absence de majorités
solides et capables d'assurer dans la stabilité la direction des conseils
régionaux en souligne l'intérêt. A cet égard, le texte présenté par le
Gouvernement est donc d'actualité.
Toutefois, il comporte un certain nombre d'éléments qui semblent d'un intérêt
discutable ou qui méritent une critique attentive.
En premier lieu, le texte du Gouvernement propose de ramener à cinq ans la
durée du mandat des conseillers régionaux qui est actuellement fixée à six ans.
Si l'on compare la durée des mandats électoraux français à celle des autres
pays de l'Union européenne, il s'avère en effet que la plupart des mandats
étrangers sont plus courts que les nôtres, généralement de quatre ou cinq ans.
Sur le principe, il semble donc qu'une telle mesure soit opportune.
Deux observations viennent cependant tempérer ce jugement.
D'une part, est-il vraiment utile de réduire d'une seule année ce mandat ?
Existe-t-il une réelle différence entre un mandat de cinq ans et un mandat de
six années ?
D'autre part, et plus fondamentalement, il est gênant d'opérer la réduction de
la durée du seul mandat régional. Un réel risque de déséquilibre qui pourrait
être de nouveau celui de l'instabilité est alors envisageable. Il faut rappeler
que la durée du mandat des conseillers municipaux est de six ans, de même que
celle du mandat des conseillers généraux. Seul le mandat de député est fixé à
cinq ans. Mais des différences fondamentales existent à l'évidence entre les
fonctions de députés et celles de conseillers régionaux. De toute façon, si le
quinquennat devient la règle pour les mandats électifs en France, le
raccourcissement de celui de conseiller régional se justifie. Mais il devrait
être décidé par une mesure d'ensemble.
En second lieu, un amendement adopté lors de l'examen du projet de loi par
l'Assemblée nationale introduit à l'article 4 du texte initial une parité
hommes-femmes sur chaque liste constituée en vue des élections régionales.
Sur la forme, il convient ici de rappeler qu'aucun projet ni aucune
proposition de loi à caractère constitutionnel n'a pour le moment été soumis au
Parlement concernant l'obligation de respecter une telle parité.
En imposant d'ores et déjà cette disposition pour les listes de candidats aux
élections régionales, l'Assemblée nationale a donc présumé de l'avenir de cette
éventualité constitutionnelle. Il s'agit donc ici d'imposer une véritable
obligation, comme cela avait été le cas en 1982, avec le quota envisagé pour
les élections municipales. A l'époque, le texte adopté précisait qu'« aucune
liste ne peut comporter plus de 75 % de candidats du même sexe ».
Tout en reconnaissant la nécessité d'élargir la participation des femmes à la
vie publique, je rappelle que la disposition adoptée en 1982 avait été rejetée
par le Conseil constitutionnel le 18 novembre de cette même année, au motif que
la Constitution « s'oppose à toute division de citoyens en catégories ». On le
voit, la discussion sur ce problème ne fait donc que commencer, en l'attente
d'une clarification constitutionnelle que nous souhaitons tous.
Ce même article, par amendement adopté à l'Assemblée nationale, fixe à 3 % le
seuil minimal des suffrages exprimés qui se sont portés sur une liste au
premier tour, seuil qui permet de fusionner avec d'autres listes au second
tour. Ce seuil très bas ne peut que favoriser la multiplication des petites
listes peu représentatives. Il conviendrait donc, ainsi que la commission des
lois le préconise, de revenir au taux plus raisonnable de 5 % jusqu'ici en
vigueur.
Le dispositif essentiel du projet de loi comporte une réforme du mode de
scrutin prévu pour l'élection des conseillers régionaux. Il s'agit de résoudre
le problème de l'émergence de majorités instables, favorisée par l'actuelle
représentation proportionnelle par circonscriptions départementales.
La solution préconisée consiste tout d'abord à instituer un mode de scrutin de
liste à deux tours dans une circonscription régionale unique. En outre, se
référant à ce qui existe actuellement pour les élections municipales dans les
villes de plus de 3 500 habitants, le projet tend à insuffler une dose de
scrutin majoritaire dans le scrutin proportionnel à raison d'une prime
s'élevant au quart du nombre des sièges à pouvoir.
La question se pose de savoir si une telle mesure s'avérera suffisante pour
déterminer une majorité stable. La commission des lois s'est prononcée en
faveur d'un renforcement de la prime, l'étendant au tiers des sièges à pourvoir
au lieu du quart retenu dans le projet de loi, mais elle a choisi le cadre des
circonscriptions départementales, choix en totale opposition avec le projet. Ce
dernier traduit en effet la volonté de modifier radicalement le cadre de
l'élection. La nouvelle circonscription électorale englobe la région tout
entière. De cette disposition, il résulterait un important risque de
sous-représentation ou, plus grave encore, d'une absence, certes
exceptionnelle, de représentation d'un département ou de plusieurs
départements.
Comment pallier ces risques ? Sur ce point, il me semble que le projet de loi
peut être amélioré par deux correctifs.
En premier lieu, il serait possible d'introduire une disposition imposant que
le premier quart des listes comprenne obligatoirement un représentant de chaque
département de la région. Une telle modification éviterait tout risque de
non-représentation. En second lieu, il pourrait être envisagé de constituer une
assemblée de représentants des départements de la région. Ce « mini-Sénat »
serait composé de membres désignés par chaque conseil général, à raison d'un
représentant pour 200 000 ou 300 000 habitants. Cette assemblée, élue au second
degré pour représenter l'espace, donnerait son avis, en particulier sur les
projets de budget de la région. Son existence favoriserait une meilleure
concertation entre les départements et le conseil régional et, par là-même, un
aménagement consensuel et cohérent du territoire régional.
Cependant, la commission des lois, comme l'a rappelé clairement son
rapporteur, notre excellent collègue Paul Girod, a souhaité aller plus loin.
Elle s'est prononcée en faveur du maintien d'une représentation à base
départementale. Elle souligne que « la circonscription départementale garantit
de la manière la plus simple la représentation de chaque département ».
J'ai donc renoncé à déposer les deux amendements au texte gouvernemental que
j'entendais présenter. Le premier concernait l'obligation de représentation de
tous les départements de la région dans le premier quart des listes. Le second
visait à accompagner le conseil régional élu par la population d'une assemblée
désignée par les conseils généraux.
Enfin, la commission des lois propose de supprimer toutes les discussions
relatives au fonctionnement des conseils régionaux, notamment celles qui
introduisent une procédure d'adoption sans vote du budget de la région. Elle le
fait avec le souci de ne pas mélanger une loi électorale avec une loi fixant le
fonctionnement des conseils régionaux.
C'est dire que le débat d'aujourd'hui risque de déboucher, dans le cadre de la
procédure d'urgence, sur une commission mixte paritaire difficile, tant les
points de vue des deux assemblées parlementaires paraissent opposés.
Je regrette l'urgence déclarée qui ne me paraît pas justifiée malgré les
difficultés rencontrées par les conseils régionaux. Elle prive le Parlement de
la possibilité d'une élaboration progressive d'une législation dont les enjeux
sont d'importance.
Au-delà du texte en discussion, ces enjeux ont nom décentralisation et
capacité à utiliser le principe de subsidiarité pour rapprocher des citoyens
les pouvoirs de décision dans une France partie prenante de l'Union européenne.
Je souhaite que l'on puisse aboutir aujourd'hui ou prochainement à un texte
d'équilibre.
En attendant, je suivrai avec la plus grande attention le débat dont on ne
peut nier l'importance pour l'avenir de nos régions et de nos départements que
l'on ne saurait oublier. Je suis, pour l'heure, conduit à choisir la solution
proposée par la commission des lois du Sénat, car c'est la seule à offrir
aujourd'hui des garanties aux départements, dont nous sommes les représentants.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons
débattu, voilà un peu moins d'un an, du fonctionnement des conseils
régionaux.
La situation politique, au lendemain des élections de mars, a relancé la
discussion sur le mode de scrutin.
Le résultat obtenu par le Front national, malheureusement bien trop haut, ne
fut pas en réalité l'événement marquant de ce scrutin, puisque ce parti a
plafonné en nombre de voix. La triste nouveauté fut que, contrairement aux
promesses d'avant élections, quatre régions ont vu se constituer une coalition
scandaleuse banalisant une formation qui se place hors du champ républicain.
Quoi de plus attristant - et de plus dangereux aussi - pour la démocratie
qu'une tricherie après élections laissant l'amer goût à des millions
d'électeurs qu'ils ne se sont pas prononcés en connaissance de cause !
A qui incombe cette préoccupante dérive ? Au mode de scrutin ? Ne prenons pas
les effets pour les causes.
Je suis d'accord avec M. Jean-Pierre Chevènement, qui déclarait le 23 juin à
l'Assemblée nationale : « On ne combat pas le Front national en changeant le
mode de scrutin. On le combat par les idées et par l'action. »
On combat le Front national en refusant son fonds de commerce idéologique, en
prenant des mesures progressistes qui font reculer le chômage, qui s'attaquent
aux inégalités.
De toute évidence, ce n'est pas le scrutin proportionnel qui est responsable
de l'instabilité politique des régions ; mais c'est bien la complaisance de
certaines franges de la droite parlementaire avec un parti qui conteste les
institutions républicaines. La proportionnelle n'est pas une source de déficit
de la démocratie. Je sais que ce propos dénote quelque peu ici. Mais nous
serons appelés à y revenir d'ici peu, probablement dès la discussion sur le
cumul des mandats.
La proportionnelle, nous dit-on, donne une trop grande place aux partis dans
la désignation des candidats et dans la vie politique de la nation. Mais est-ce
là un grand danger ? Est-ce aujourd'hui ce qui menace le fonctionnement de nos
institutions ?
La proportionnelle, en réalité, garantit la juste représentation des citoyens
et, par là même, la représentation des courants d'idées, même minoritaires.
Ce projet de loi a suscité et suscite toujours des réserves au sein de la
gauche. C'est vrai, en tout cas, pour le groupe communiste républicain et
citoyen.
Nous ne pouvons, certes, qu'approuver la volonté de garantir le fonctionnement
des régions. Mais plusieurs aspects de ce projet de loi nous apparaissent
discutables.
La réduction du mandat régional à cinq ans est certainement hâtive. Cette
mesure s'appuie - dites-vous, monsieur le ministre - sur une volonté de
réduction globale des mandats. Mais où en est-on de la réflexion sur les autres
mandats ? Des décisions sont-elles prises ? Sinon, pourquoi tant de hâte pour
celui-ci ?
Un second aspect du texte ne nous semble pas avoir été l'objet d'une réflexion
suffisamment poussée.
La substitution d'une circonscription régionale à une circonscription
départementale nous apparaît critiquable sur plusieurs points.
Premièrement, dans une même région, des départements moins influents, moins
peuplés risquent d'être éliminés progressivement de la représentation
régionale. Ce serait dommageable pour l'ancrage dans la région, institution
jeune.
Deuxièmement, un pas de plus dans l'éloignement du citoyen de ses
représentants risque d'être franchi. Comment ne pas constater le risque
important d'évoluer vers une présidentialisation du scrutin régional avec les
effets conjoints de l'abandon de la circonscription départementale et
l'instauration d'un scrutin qui privilégie la tête de liste ?
Le dernier scrutin a montré que ce processus était déjà en cours. Je n'en
méconnais pas le caractère positif en matière de transparence, mais cela peut
conduire à des exercices solitaires du pouvoir.
Troisièmement, nous constatons, depuis plusieurs années, une mise en cause
progressive du département. Comment s'en étonner, puisqu'il s'agit d'une
spécificité française qui cadre mal avec certaines orientations européennes à
tentation fédéraliste ?
Le département et la région ont une fonction complémentaire et distincte. Que
le moment soit venu de repenser leurs attributions, de simplifier leurs
relations pour renforcer une décentralisation authentique, nous en sommes
persuadés, mais nous sommes défavorables à un débat qui tente d'opposer l'un à
l'autre en classant le département dans la catégorie de l'archaïsme.
Nous maintenons notre préférence pour une circonscription départementale, car
elle incite à une meilleure harmonisation entre région et département et elle
ne subordonne pas une entité à l'autre.
Le troisième point sur lequel je tiens à m'arrêter est celui du renforcement
du poids de l'exécutif régional.
Lors de la discussion du texte créant le « 49-3 » régional, nous avions émis
des réserves sur la place des minorités, tout en votant le texte.
Le présent texte témoigne, à nos yeux, d'un certain penchant à verrouiller les
débats.
Nous voyons bien, monsieur le ministre, que nous sommes contraints de
légiférer dans un contexte politique que la gauche n'a pas voulu.
Les instances régionales ne peuvent continuer à être dessaisies de leurs
prérogatives. Nous ne présenterons donc aucun amendement concernant le titre
III du projet de loi et nous le soutiendrons, mais en étant soulagés qu'il soit
transitoire. Il appelle les forces de gauche à une grande vigilance, pour ne
supporter aucun abus et écouter avec soin chaque voix.
J'en viens maintenant à la place laissée aux minorités par ce nouveau scrutin.
Nos propos diffèrent beaucoup de ceux qui ont été tenus par M. le rapporteur,
qui propose d'élever les seuils, et bien évidemment de ceux de M. Raffarin, qui
suggère une élection à un tour, la prime allant à la liste arrivée en tête.
Ce problème des seuils nous tient particulièrement à coeur.
Je ne pense pas que le haut niveau des seuils actuellement prévu par le projet
de loi ait pour objet d'assurer d'abord le bon fonctionnement des conseils
régionaux. Il s'agit là d'un argument de commodité. La réalité, c'est que de
tels seuils poussent à la bipolarisation de la vie politique et donnent une
suprématie considérable aux principales formations à droite comme à gauche.
Que ma formation politique ait mené, dans l'immense majorité des cas, la
campagne des élections régionales au sein des listes de la gauche plurielle, ce
dont je me félicite, qu'il en ait été de même lors de la plupart des scrutins
municipaux sur listes, option à laquelle nous tenons fermement, ne m'empêche
pas de souhaiter pour toute liste s'inscrivant dans le champ républicain et ne
souhaitant pas se fondre dans une coalition une juste représentation. Nous
fabriquons des modes de scrutin qui ne le permettent pas.
Le fait, par exemple, de fournir, dès le premier tour, une prime de 25 % à la
liste disposant de la majorité absolue n'est pas une obligation.
Nous proposerons, quant à nous, de garantir au minimum la majorité absolue
plus trois sièges, au premier tour, pour la liste majoritaire, comme au second
tour, pour la liste majoritaire ou arrivée en tête, afin de laisser tout
l'espace nécessaire pour l'expression de la démocratie. Est-ce suffisant pour
diriger ? Certainement, avec les mesures proposées au titre III du projet de
loi.
Nous proposons également de supprimer ou au moins de réduire fortement le
seuil de 10 % exigé pour le maintien au second tour. C'est une question très
importante. Il est bien que l'Assemblée nationale ait réduit de 5 % à 3 % le
seuil à atteindre au premier tour pour pouvoir fusionner avec une autre liste.
Fixons au maximum le seuil à 5 % pour le maintien au second tour de scrutin.
Nous suivrons avec beaucoup d'attention votre réponse, monsieur le ministre.
Ne s'agit-il, avec ce projet, que d'une simple transposition du mode de
scrutin municipal, que nous avons approuvé lors de son institution ? Non !
Nous ne suivons pas l'argument qui méconnaît la profonde différence entre
institution communale et institution régionale, cette dernière revêtant un
caractère politique d'une tout autre nature.
Comment comparer un mode d'élection applicable à des villes de 3 500 habitants
à un mode d'élection applicable à des régions regroupant plusieurs millions de
personnes ?
Comment également ignorer que nous ne partons pas, pour ces deux scrutins, du
même point de départ ? Un peu de proportionnelle était insufflée dans le
scrutin des municipales. Le processus inverse se produit pour les régionales.
Ne laissons pas aller trop loin le curseur.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, l'appréciation des sénateurs du
groupe communiste républicain et citoyen sur l'ensemble du projet de loi est
mitigée.
La question des seuils nous préoccupe beaucoup. La commission des lois du
Sénat les ayant encore élevés, nous voterons contre le projet de loi si la
majorité de notre assemblée la suit.
Nous souhaitons cependant, monsieur le ministre, que vous preniez en compte
notre volonté d'améliorer le projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la
première élection des conseils régionaux au suffage universel, en 1986, le mode
de scrutin régional n'a cessé de faire l'objet de critiques et de velléités de
réformes.
Deux arguments principaux sont avancés.
Le premier tient à l'inadéquation d'une désignation des conseillers régionaux
dans le cadre départemental, ce qui contribue à obscurcir les enjeux proprement
régionaux et ne favorise pas l'affirmation d'une véritable identité
régionale.
Le second concerne les effets pervers de la représentation proportionnelle
intégrale, qui contribue à fragiliser les assemblées régionales.
Les premiers symptômes de dysfonctionnement sont apparus dès l'élection de
1992. Si l'idée de réformer le mode de scrutin a très vite fait l'objet d'un
consensus, les divergences souvent profondes quant aux modalités de cette
réforme sont aussi très vite apparues.
Jamais la modification d'un mode de scrutin n'a fait l'objet d'une aussi large
concertation, de laquelle n'est sortie qu'une seule décision : il était urgent
d'attendre, donc de ne rien modifier d'ici à l'échéance de 1998.
Le Premier ministre, Lionel Jospin, soucieux de respecter le principe selon
lequel « on ne modifie pas un mode de scrutin dans l'année qui précède, sauf
s'il y a accord entre formations politiques », a pris ses responsabilités. Il
affirma, bien avant le mois de mars 1998, que le Gouvernement proposerait un
projet de loi réformant le mode de scrutin régional sitôt l'installation des
nouveaux conseils régionaux achevée.
Dans l'attente, le Gouvernement admettait cependant la nécessité de mettre en
place un dispositif réformant la procédure d'adoption du budget. La loi du 7
mars 1998 n'avait d'autre prétention que de remédier à des situations de
blocage. C'est dire si elles étaient prévisibles.
C'est une originalité bien française que notre diversité de modes de scrutin !
Mais nous savons que ceux-ci correspondent à la nature et à la portée de chaque
élection, qu'ils doivent chercher à concilier deux objectifs distincts mais
complémentaires, à savoir : assurer une bonne représentation des différentes
sensibilités et dégager une majorité stable.
Ne nous voilons pas la face, mes chers collègues : tout mode de scrutin est
nécessairement un compromis et comporte une finalité politique. Aussi parfait
soit-il, chaque mode de scrutin trouve cependant ses limites face au contexte
politique qui évolue naturellement.
Soyons clairs : ce n'est pas en réformant le mode de scrutin que l'on
combattra l'extrême droite.
M. Dominique Braye.
Vous l'avez favorisée !
M. Guy Allouche.
Ce combat est un combat quotidien, qui passe par des idées et une action
politique concrète, une action fidèle à nos valeurs républicaines.
Mes chers collègues, rien ne serait plus coupable que d'accorder la moindre
respectabilité à un parti fasciste en se rapprochant de lui de quelque manière
que ce soit.
M. Dominique Braye.
Comme vous l'avez fait en 1986 à l'Assemblée nationale !
M. René-Pierre Signé.
Ce n'est pas à vous à nous donner des leçons !
M. Guy Allouche.
La région n'a pas actuellement un mode de scrutin performant.
Un constat s'impose, mes chers collègues : le mode de scrutin régional actuel
a vécu. Depuis mars 1998, la situation d'un grand nombre de régions est connue
pour n'être pas satisfaisante.
M. René-Pierre Signé.
A cause d'alliances honteuses !
M. Michel Souplet.
Avec l'extrême gauche !
M. Guy Allouche.
Les difficultés déjà rencontrées par plusieurs conseils régionaux se sont
accentuées, et cette situation risque de s'aggraver si rien n'est fait pour y
remédier.
Il serait vain de polémiquer sur le fait de savoir qui porte la responsabilité
de cette situation déplorable.
M. Dominique Braye.
Cela vous arrange !
M. Guy Allouche.
Monsieur Braye, s'il vous plaît !
M. Dominique Braye.
C'est une constatation !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous rapelle que seul M. Allouche à la parole.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Guy Allouche.
Tirant, comme il est de son devoir, les enseignements des récentes élections
régionales, le Gouvernement, fidèle aux engagements qui ont été pris, présente
un projet de loi comportant deux volets naturellement complémentaires en la
circonstance, l'un portant réforme du mode de scrutin régional, l'autre,
transitoire, concernant le fonctionnement des conseils régionaux.
La critique sur l'urgence déclarée me paraît infondée. La remarque consistant
à dire : « c'est trop tard avant une élection, c'est trop tôt sitôt l'élection
passée » n'est plus de mise. En fait, il est temps et il est tellement temps
que l'urgence s'impose.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Deux lectures sont quand même nécessaires !
M. le président.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas à la piscine ! Seul M. Allouche a la
parole, et je vous prie de l'écouter !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, lors de la discussion des articles, j'aurai l'occasion de
revenir sur le calendrier qui permet effectivement d'invoquer l'urgence.
En tout cas, il est urgent de donner aux régions qui n'ont pas de majorité
stable les moyens de fonctionner convenablement ; sur ce point précis, l'accord
est unanime : soyons donc conséquents !
Si une ou plusieurs régions se trouvaient en état de dysfonctionnement
permanent ou de blocage systématique, la dissolution pourrait être
prononcée.
M. Dominique Braye.
Et voilà, ils y viennent !
M. René-Pierre Signé.
Evidemment que nous y venons !
M. Guy Allouche.
Dans cette hypothèse, elle devrait être suivie dans les trois mois d'une
nouvelle élection, organisée sur la base du nouveau mode de scrutin.
Indépendamment de l'effet dissuasif évident de l'application de ce nouveau mode
de scrutin, les Français ne comprendraient pas que la nouvelle élection se
déroule dans les mêmes conditions qu'au mois de mars 1998, avec un mode de
scrutin par ailleurs si décrié.
M. René-Pierre Signé.
Ils voteraient à gauche !
M. Guy Allouche.
Le projet de loi vise à assurer une meilleure logique au scrutin régional et
une efficacité aux assemblées élues.
Le mode de scrutin proposé a déjà fait ses preuves puisqu'il s'inspire
fortement du mode de scrutin applicable aux communes de plus de 3 500
habitants, à l'exception de Paris, Lyon et Marseille.
M. Michel Souplet.
Avec un scrutin à un tour !
M. Guy Allouche.
Mais enfin, mon cher collègue, depuis quand le scrutin pour les élections
municipales est-il un scrutin à un tour ? Réfléchissez avant d'interpeller !
(Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Ce mode de scrutin municipal, si critiqué en 1982, lors de son adoption, est
aujourd'hui admis et défendu par tous. Le même mode de scrutin est bien adapté
à la spécificité de la région.
En vérité, le mode de scrutin proportionnel que propose le Gouvernement
établit une bonne synthèse entre démocratie et efficacité.
C'est un scrutin démocratique qui respecte le pluralisme, qui permet la
représentation des diverses sensibilités politiques, y compris celles qui sont
minoritaires. C'est aussi un scrutin efficace, car du pluralisme ainsi exprimé
se dégagera une majorité nette et stable.
En effet, si le suffrage universel permet de choisir ses représentants, il
contribue également à élire des gouvernements. Aussi ai-je été étonné de lire à
la page 27 de votre rapport, monsieur Paul Girod, que « les compétences de la
région ne rendent pas indispensables l'existence d'une majorité politique ».
C'est vraiment mal connaître ces compétences ! Par cette formule ramassée, vous
feignez d'oublier que, pour mettre en oeuvre lesdites compétences, il faut des
moyens budgétaires et que, pour avoir un budget, mieux vaut avoir une majorité
politique stable.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Mais ce n'est pas une question de majorité de gauche ou de droite !
M. Dominique Braye.
Ils politisent tout !
M. Guy Allouche.
Monsieur Raffarin, pour avoir été quinze ans conseiller régional du
Nord-Pas-de-Calais, je sais qu'il est facile de décider à la majorité absolue
ou à l'unanimité le principe d'une construction, mais lorsqu'il s'agit de
passer à la décision budgétaire, il en est certains pour considérer que, par
exemple, on lève un emprunt trop important. C'est la raison pour laquelle mieux
vaut avoir une majorité stable pour avoir un bon budget.
M. René-Georges Laurin.
Un conseil régional n'est pas un conseil d'administration !
M. Guy Allouche.
Désormais bien compris, le système à deux tours est entré dans nos moeurs
politiques. Le correctif majoritaire de ce mode de scrutin régional s'impose
naturellement, car il assurera à la région la continuité, la stabilité de ses
actions, véritable garantie de son efficacité. Les élus ne seront plus sur la
ligne de crête entre ce que j'appelle la compromission et le chantage. Pour
redonner force et vigueur à la politique et aux politiques, la transparence, la
clarté, le respect du corps électoral et des choix qu'il a exprimés doivent
constamment nous inspirer et nous guider. Notre pluralisme politique ainsi que
le fait qu'aucune formation politique dans notre pays ne puisse à elle seule
obtenir la majorité absolue conduisent à nouer des alliances.
M. René-Pierre Signé.
Mais pas n'importe lesquelles !
M. Guy Allouche.
Les Français comprennent ces alliances. Ils les admettent et les approuvent au
premier tour ou en vue du second tour. En revanche, ce qu'ils condamnent avec
force - et qui oserait le leur reprocher ? - ce sont les alliances honteuses du
troisième tour, passées dans leur dos,...
M. René-Pierre Signé.
Vraiment honteuses !
M. Guy Allouche.
... à l'occasion de tractations occultes, après qu'ils se sont exprimés. Les
Français savent que, si la politique est l'art du compromis, elle ne peut pas
être celui de la compromission.
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est la semaine de toutes les compromissions !
M. Guy Allouche.
Tout à l'heure, j'ai entendu M. Raffarin déclarer que la semaine du deuxième
tour est celle de tous les dangers.
M. Josselin de Rohan.
De toutes les magouilles !
M. Guy Allouche.
J'ai noté : « de tous les dangers ».
M. Jean-Pierre Raffarin.
J'ai dit « magouilles » !
M. Guy Allouche.
Vous souhaiteriez que cela se passe après ! Nous préférons que tout se passe
avant, dans la clarté.
M. Jacques Valade.
Des magouilles, avant, il y en a, c'est sûr !
M. Dominique Braye.
Ne nous faites pas de faux procès, monsieur Allouche !
M. Guy Allouche.
Chaque formation politique est libre de nouer toutes les alliances qu'elle
veut.
(Ah ! sur les travées du RPR.)
Nous souhaitons seulement que cela
se passe dans la clarté,...
M. Michel Duffour.
Très bien !
M. Guy Allouche.
... afin que les électeurs puissent se prononcer en pleine connaissance de
cause. Cela va dans le sens de l'honnêteté politique qui est exigée chaque jour
un peu plus par nos concitoyens.
S'agissant de la circonscription électorale, des divergences subsistent entre
départementalistes et régionalistes, malgré une évolution sensible en faveur de
la liste régionale.
Là aussi, un constat s'impose : la circonscription départementale a privé la
région de son identité. Elle est souvent apparue comme un « super conseil
général » et beaucoup de conseillers régionaux se sont davantage souciés des
intérêts de leur secteur respectif que de l'intérêt régional. Le saupoudrage
des crédits et les financements croisés ne correspondent pas à la fonction
structurante de la région. Au demeurant, il n'a jamais été dit ni écrit que la
région « nouvelle entité administrative » devait être la simple addition ou la
juxtaposition des départements.
En fait, la crainte, au demeurant légitime, d'une circonscription régionale
est essentiellement exprimée par les départementalistes, qui voient là le signe
de la disparition à terme des départements. Mes chers collègues, le débat sur
cette question est devenu récurrent et je crains fort que la solution ne soit
pas trouvée de sitôt.
L'identité régionale doit être affirmée par le choix d'une circonscription
régionale, ce qui n'est pas antinomique de la juste représentation de tous les
départements. L'assemblée régionale doit être élue sur un territoire qui «
colle » à son champ d'action.
Permettez-moi de reprendre ici la formule forte qu'a utilisée à plusieurs
reprises le président Valéry Giscard d'Estaing : favorisons l'éveil d'une
conscience régionale là où elle n'existe pas encore, par le choix du cadre
régional.
En reconnaissant la région comme circonscription politique à part entière, en
lui permettant d'être mieux identifiée, plus « lisible », plus cohérente et
plus responsable devant les citoyens, la collectivité régionale entrera de
plain-pied dans le XXIe siècle.
A propos de la prime majoritaire, je veux redire ici que, pour les élections
régionales, elle n'a de véritable sens qu'à l'échelle de la circonscription
régionale.
Mme Dinah Derycke.
C'est évident !
M. Guy Allouche.
Toute autre proposition se révélerait politiquement inefficace. En effet,
attribuer des primes d'un tiers des sièges dans le cadre départemental, c'est
courir le risque de les faire s'annuler selon l'orientation politique des
différents départements de la région. De plus, ce serait injuste au regard du
nombre inégal de conseillers régionaux désignés par chaque département. De
surcroît, cela laisserait un nombre de sièges insuffisant pour la répartition à
la plus forte moyenne, sauf à augmenter les effectifs de tous les conseils
régionaux.
Adopter cette proposition, ce serait en outre éliminer des minorités parfois
importantes. Cela ne correspond pas aux objectifs visés à travers ce projet de
loi, dont la nécessité est reconnue par M. Paul Girod dans son rapport.
D'ailleurs, monsieur le rapporteur, à la page 29 de votre texte, vous écrivez
que ce risque vous « paraît loin d'être inéluctable ». Aussi, pour tenter de le
réduire au maximum, vous proposez de porter la prime majoritaire du quart des
sièges au tiers des sièges.
La hauteur de la prime majoritaire n'annule pas l'effet de compensation, et
j'affirme qu'il manquera des sièges lors de la répartition.
C'est, au demeurant, l'un des enseignements qu'avait tirés le groupe de
travail mis en place par la commission des lois en 1996. Nous avions ajouté
qu'il faudrait des projections probantes pour tenter de convaincre du
bien-fondé de cette disposition.
Où sont donc aujourd'hui les projections probantes, monsieur le rapporteur
?
Avec cette prime majoritaire à l'échelon départemental, la commission des lois
s'engage dans une voie sans issue. Qu'on ne s'étonne pas, dès lors, que nous
refusions de la suivre. J'y reviendrai lors de la discussion des articles.
Cela étant, monsieur le ministre, je veux espérer que la prime de 25 %
permettra d'atteindre la majorité absolue dans tous les cas, y compris en cas
de quadrangulaire au deuxième tour.
M. Jean-Jacques Hyest.
Voilà une bonne question !
M. Guy Allouche.
J'attends de vous, monsieur le ministre, une réponse sur ce point.
Le titre III du projet de loi traite du fonctionnement des conseils
régionaux.
Le mode de scrutin actuel, la dispersion des voix, l'absence de majorité
absolue ont accentué les dysfonctionnements. La majorité relative pourrait
fonctionner, mais la conjonction, volontaire ou non, des oppositions l'en
empêche. Les majorités de refus se forment plus facilement que les majorités
d'idées. La loi du 7 mars 1998 s'est révélée imparfaite et des difficultés ont
surgi dans sa mise en oeuvre parce que nous avions omis de prévoir le vote des
taux, décision intimement liée à la procédure d'adoption budgétaire.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'était une loi bâclée !
M. Guy Allouche.
Même si le dispositif proposé présente des inconvénients au regard du droit
commun et de la démocratie locale, il permettra de préserver l'avenir, de
responsabiliser tous les élus, notamment ceux des oppositions régionales.
Je rappelle que ce dispositif est dérogatoire et transitoire puisqu'il cessera
de s'appliquer en 2004, avec le renouvellement général des conseils régionaux
et la mise en oeuvre du nouveau mode de scrutin. Il tend à clarifier les
modalités de recours à cette nouvelle procédure d'adoption des budgets, ainsi
que celles de son utilisation.
Est-il nécessaire de rappeler que les conseils régionaux ont besoin de
fonctionner correctement et de disposer de budgets proposés par l'exécutif,
puis débattus et votés par les élus régionaux ?
Particulièrement en l'absence de majorité stable, les électeurs attendent des
élus qu'ils se comportent en femmes et en hommes respectueux des intérêts de la
population, et non de leurs intérêts personnels oupartisans.
Oui, ces dispositions transitoires sont un appel à la raison, au sens des
responsabilités, au dialogue constructif, à la concertation, à la recherche du
compromis. Aussi serait-il vain de vouloir nier ses effets dissuasifs.
L'Assemblée nationale a limité l'usage de cette procédure à deux délibérations
budgétaires d'un même exercice. Afin d'éviter toute dérive vers le pouvoir
personnel...
M. Jean-Jacques Hyest.
Il y a donc un risque !
(Sourires.)
M. Josselin de Rohan.
C'est avec votre loi qu'il y a un tel risque !
M. Guy Allouche.
Il y a toujours un risque de dérive vers un pouvoir personnel !
(Où ? Où ? sur les travées du RPR.)
Afin de réduire ce risque, donc, il est stipulé que, pour avoir recours à
ces « procédures rationalisées », le président doit obtenir l'accord préalable
du bureau désormais institutionnalisé et composé des vice-présidents ayant reçu
délégation d'une partie des attributions du président.
M. Dominique Braye.
Merci pour l'usine à gaz !
M. Jacques Valade.
C'est un soviet !
M. Guy Allouche.
Aussi critiquable soit-il, ce dispositif a sa logique. Comment ne pas admettre
qu'il est difficile pour un président d'appliquer un budget dont il n'est pas
le maître d'oeuvre et, qui plus est, qui ne correspond pas au programme sur la
base duquel il a été élu ?
M. Josselin de Rohan.
A qui la faute ?
M. Guy Allouche.
Chapitre par chapitre, un budget peut, très démocratiquement, être dénaturé,
plaçant ainsi l'exécutif dans une position politique intenable. Le projet de
loi lui offre alors « une seconde chance ». Avec l'accord indispensable de son
bureau, le président soumet un budget amendé ou non à une nouvelle
délibération.
Si une majorité absolue rejette ce nouveau projet de budget, quoi de plus
normal qu'une autre majorité absolue - ou la même - clairement et politiquement
affichée, présente un budget alternatif accompagné du nom de celui ou de celle
qui sera appelé à diriger l'assemblée régionale ? De même, quoi de plus normal
qu'il soit précisé sur quelles composantes politiques il ou elle s'appuiera
?
M. René-Pierre Signé.
Bravo ! Il faudra clairement afficher l'alliance avec le Front national !
M. Michel Mercier.
Et, donc, conforter celui-ci !
M. Guy Allouche.
Pour conclure, je dirai que, si la démocratie permet l'expression de la
volonté populaire, elle doit aussi parvenir au juste équilibre entre le respect
du pluralisme et la possibilité de gouverner les conseils régionaux. Puisque
notre démocratie doit de surcroît aussi évoluer, évitons de figer
l'organisation territoriale de notre pays.
Ce projet de loi n'est pas l'apocalypse.
(Murmures sur les travées du R.P.R.)
M. René-Pierre Signé.
C'est l'apocalypse pour la droite !
M. Guy Allouche.
Que la majorité sénatoriale se garde bien de récidiver !
Même si je n'étais alors pas encore sénateur, je me souviens du comportement
qu'elle a adopté en 1982 au sujet du scrutin municipal. Je comprends que
l'opposition veuille d'abord s'opposer, mais qu'elle ne condamne pas
aujourd'hui ce qu'elle jugeait souhaitable hier !
Les situations de blocage que nous constatons et que nous déplorons dans
quelques conseils régionaux risquent de gagner l'ensemble des dix-neuf régions
d'ici à 2004. Les laisser perdurer serait irresponsable. La majorité
sénatoriale ne peut établir un constat de carence et, dans le même temps,
refuser les solutions proposées, en décidant de les supprimer.
Ce texte fait avancer la reconnaissance du fait régional dans notre pays. Dans
cet ensemble, à mes yeux cohérent, il prend son véritable sens. Il rendra
l'élection régionale plus lisible, les assemblées régionales plus efficaces et
les majorités stables plus responsables.
C'est parce que ce projet de loi marque un progrès, qu'il s'inscrit dans la
modernité de nos institutions en prévoyant également la parité de la réductions
du mandat à cinq ans, que le groupe socialiste du Sénat l'approuvera.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, derrière la
discussion sur ce projet de loi à l'issue incertaine, se profile la question
suivante : quel avenir pour la région en France ?
Depuis l'échec du référendum de 1969, la région émerge, étape après étape et
lentement. La création des Coder - les commissions de développement économique
régional - dans les années soixante, puis celle des conseils régionaux, et des
conseils économiques et sociaux au début des années soixante-dix constituaient
de premières étapes.
L'élection au suffrage universel des conseillers régionaux en 1986 a
représenté une phase importante, même s'il est regrettable qu'elle ait parfois
produit dans les régions un certain saupoudrage qui ne s'inscrivait pas dans
leur vocation première.
M. Lucien Lanier.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Le dernier obstacle à l'émergence de la région est, incontestablement, le mode
de scrutin. En effet, dans sa forme actuelle, il ne permet guère à de
véritables majorités de se dégager au sein des conseils régionaux. Je ne suis
d'ailleurs pas sûr que d'une part, les défenseurs de la centralisation, et
d'autre part les partisans de la départementalisation, - dont j'étais - aient
été particulièrement empressés de voir sauter ce dernier verrou.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Disons les choses telles qu'elles sont !
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
En mars dernier, à l'occasion du débat sur un projet de loi concernant les
conseils régionaux, nous avons tous souhaité une modification très rapide du
mode de scrutin. Le résultat des élections régionales a mis en évidence la
nécessité de ce changment. Toutefois, s'il doit intervenir, il ne saurait
surtout pas s'opérer dans l'improvisation ; j'approuve totalement M. le
rapporteur sur ce point.
Je rends hommage aux efforts de ce dernier. En effet, dans une situation
complexe et difficile, il s'efforce de dégager une solution réaliste, ce qui
nous le savons, n'est pas facile.
Quel mode de scrutin pour les régions demain ? Permettez-moi d'évoquer une
citation faite ici même le 20 avril 1951 : « Le scrutin n'est pas fait pour
l'élu, il n'est pas davantage fait pour l'électeur ; le scrutin est fait pour
le gouvernement de la nation et, j'ajouterai, pour le gouvernement de la
région. » C'est Michel Debré qui, dans cette enceinte, avait fait cette
déclaration qui me paraît plus que jamais d'actualité.
Pour ma part - et je m'exprime à titre personnel - mes propositions sont de
trois ordres.
Premièrement, je suis favorable à la proportionnelle avec une prime pour la
liste arrivée en tête parce que c'est un gage d'efficacité. Faute de cette
prime, la proportionnelle ne dégage pas de majorité.
Deuxièmement, je suis hostile au deuxième tour de scrutin.
M. Serge Vinçon.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Je suis favorable à un seul tour de scrutin. Le deuxième tour, c'est le ver
dans le fruit.
MM. Serge Vinçon et Jean-Patrick Gurtois.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
En revanche, en imposant un effort de clarté et de transparence, un seul tour
permet d'éviter les dissensions.
(Très bien ! sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
Surtout, un seul tour préserve des obscures négociations qui, en une
semaine, jettent - ô combien ! - le discrédit sur la classe politique.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
Troisièmement - et c'est sur ce point que j'admets que les opinions
puissent diverger - je suis favorable au déroulement des élections régionales
dans une circonscription régionale.
Si nous voulons que la région ait son identité, que la population soit
sensibilisée au scrutin régional, il me paraît normal et logique de choisir la
circonscription régionale comme lieu d'exercice du mode de scrutin régional. Je
fais confiance aux responsables politiques pour permettre que, loin d'être
antinomiques, circonscription régionale et représentation équitable de tous les
départements soient parfaitement conciliables.
Telle est, brièvement exprimée, mon opinion sur ce sujet dont me paraissent
dépendre en grande partie le caractère gouvernable ou non de la région et la
capacité d'émergence de celle-ci dans le respect des voeux de ceux qui, dans le
passé, déjà, militaient pour son efficacité. Pour avoir été longtemps président
de conseil général, je reste profondément attaché à cette collectivité.
Je n'ignore pas combien il est délicat de trancher un tel problème. Il faut
agir dans la réflexion et non dans la précipitation. Si la difficulté l'emporte
probablement aujourd'hui, je suis sûr que, demain, les fait imposeront ce mode
de scrutin qui triomphera.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la brièveté
du temps qui nous est imparti pour l'unique examen de ce texte ne nous permet
pas de commenter comme elle le mériterait la singularité d'une opération menée
aussi benoîtement que rondement par le Gouvernement.
Passons donc sur les questions de forme pour aborder les problèmes de fond.
Sans entrer dans le détail du double dispositif qui nous est proposé, je m'en
tiendrai à deux questions qui, dans mon esprit, sont préalables.
Premièrement, est-il raisonnable, est-il même possible - et je rejoins ici le
propos tenu par M. Daniel Hoeffel il y a quelques instants - de mieux définir
le mode de scrutin des régionales sans avoir auparavant défini ce que nous
attendons de la région ?
Deuxièmement, est-il nécessaire, est-il légitime d'infliger aux élections
régionales - mais, sur ce point, je sais que je suis un peu isolé - la
manipulation, à mon avis fort peu démocratique, à laquelle sont actuellement
soumises les élections municipales dans les villes de plus de 3 500 habitants
?
Poser la première question, c'est d'abord s'interroger sur le point de savoir
s'il n'est pas grand temps de mettre un peu d'ordre dans l'organisation
territoriale de notre pays.
C'est ensuite prendre conscience que, sous le beau nom de décentralisation,
nous avons empilé nos structures territoriales en les plaçant sur un pied
d'égalité politique tel qu'il en résulte un inextricable enchevêtrement de
pouvoirs et de compétences encore aggravé par le maintien, le retour en force
de l'organisation proprement étatique avec toute la hiérarchie des préfets et
des sous-préfets.
Avouons, chers collègues, que nous avons beaucoup brocardé la situation. A la
veille de la Révolution, la situation en France était en réalité beaucoup plus
simple, beaucoup plus claire et, donc, beaucoup plus propice à l'efficacité que
celle que nous connaissons actuellement.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Pierre Fauchon.
Si cette forêt vierge institutionnelle peut sans doute être perçue comme
créatrice d'emplois - ou non - supposés, il n'en demeure pas moins qu'elle est
aussi à l'origine de frais généraux, de dilution des responsabilités, de
prolifération technocratique et d'une opacité telle que, quel que soit le mode
de scrutin, les électeurs sont incapables d'exprimer dans leur vote leurs
attentes à l'égard de l'institution concernée. Cela réduit leurs choix à des
options politiques sommaires et inappropriées puisque les partis se définissent
par leurs options nationales, d'où suit la désaffection, les trop nombreuses
abstentions que nous connaissons et sur lesquelles les politiques ne versent
guère, avouons-le, que des larmes de crocodile.
Certains penseront que je m'éloigne du sujet. Je ne le crois pas. Quelle doit
être notre première préoccupation lorsque nous avons à décider d'un mode de
scrutin, sinon de faire en sorte que l'électeur ait une vue claire des enjeux ?
Or l'enjeu d'une élection régionale n'est pas de confier un pouvoir et moins
encore un pouvoir absolu à un parti politique plutôt qu'à un autre, elle est de
permettre au citoyen de participer aussi efficacement que possible à la
conduite des affaires qui le concernent. Voilà ce que l'on oublie trop souvent.
C'est pourquoi il faut d'abord lui permettre d'avoir une vue claire de ce que
sont ces affaires.
A fortiori,
les mécanismes proposés tendant à fortifier le pouvoir
exécutif ne se justifient - à supposer qu'ils se justifient, ce dont je doute
aussi - que par le caractère supposé éminent du cadre régional, ce qui n'est
aucunement établi en l'état actuel des choses.
Entre le département et la région, la France doit faire un choix qui soit
digne de ses traditions de rationalité. C'est là véritablement une urgence
autrement plus sérieuse que celle qui nous réunit ce soir, monsieur le ministre
!
Nous pouvons concevoir la France comme constituée géographiquement d'un
ensemble de régions qui sont les pôles forts des pouvoirs décentralisés et, dès
lors, les départements sont des échelons de proximité, certes tout à fait
importants pour la bonne application des politiques, mais dont les
responsabilités sont de l'ordre de la mise en oeuvre et non de l'ordre de la
définition de ces politiques ; il s'ensuit que les départements peuvent être
gérés par des délégations du conseil régional, ce qui permet cohérence, clarté
et allégement bureaucratique.
Mais nous pouvons avoir peut-être - je l'admets -d'aussi bonnes raisons de
considérer que le département reste le meilleur cadre des politiques
décentralisées car il est devenu une seconde nature et que la France est ainsi
faite. Dans ce cas-là, c'est la région qui n'est qu'un échelon de conception
générale, de définition et de mise en oeuvre de quelque politique d'ensemble,
auquel cas c'est elle qui peut être gérée par des délégations de
départements.
Entre les deux thèses, admettons que l'hésitation est permise. Le débat peut
se prolonger indéfiniment au prix de pérenniser les inconvénients que personne
ne devrait pouvoir ignorer et que chacun d'ailleurs déplore en son
particulier.
Mais pour trancher un tel débat, qui est tout à fait fondamental et qui est
rendu encore plus important par la perspective de l'Union européenne, je fais
appel à vous, monsieur le ministre. Ce n'est pas à la volonté des partis,
c'est-à-dire, disons-le, à leurs intérêts, qu'il faut s'en remettre, mais c'est
à tous les Français d'en décider. N'y a-t-il pas, dans notre Constitution, une
disposition prévoyant le référendum pour l'organisation des pouvoirs publics ?
Eh bien, voilà un excellent thème de référendum !
Ma conclusion sur ce point est que, avant de traiter de la durée des mandats
et des moyens d'action des exécutifs, il faut, pour clarifier et pour
moderniser durablement notre organisation territoriale, inviter solennellement
les Français à faire leur choix entre les types d'organisations territoriales,
région ou département, qui sont actuellement juxtaposées et concurrentes. Nous
devrions profiter de cette longue période sans élections pour organiser dans la
sérénité une telle consultation. Le choix qui en résultera nous permettra alors
seulement d'aborder dans la clarté les questions qui nous sont aujourd'hui
soumises.
Suis-je seul à penser cela ? Je ne le crois pas. Ai-je quelque chance d'être
entendu ? Je ne le crois guère. Sans doute dois-je donc aborder la seconde
question.
Je m'en tiendrai ici à une observation générale qui, je le sais, ira à
contre-courant des opinions habituellement exprimées.
Je me demande, pour ma part, après l'expérience des scrutins municipaux que
nous connaissons dans les villes de plus de 3 500 habitants, s'il n'y a pas
quelque complaisance à présenter ce type de scrutin comme un modèle, alors
qu'il constitue en lui-même, en quelque sorte, une manipulation électorale
permettant en fait trop souvent à une minorité de dicter sa loi.
(Exclamations.)
Oui, mes chers collègues, c'est une manipulation ! Il y a certes de
bonnes manipulations dans d'autres domaines ; mais enfin, c'est une
manipulation !
N'oublions pas que plus de quarante villes de plus de 30 000 habitants, telles
Lille, Tours, Metz, Perpignan, Nice, Aix-en-Provence, sont en fait dirigées par
des minorités qui, dès le lendemain de l'élection, oublient qu'elles ne sont
que des minorités et se comportent ensuite pendant six ans comme si elles
étaient des majorités !
Qui ne voit, par ailleurs, ce qu'il y a de déplorable dans la profonde cassure
qui en résulte et qui sépare les uns des autres, écartant la moitié des
habitants d'une cité, voire plus, de la gestion quotidienne de celle-ci,
c'est-à-dire de la gestion des affaires qui les touche au plus près et qui n'a
rien à voir avec les grands enjeux de la politique nationale, pour lesquels de
telles cassures sont probablement nécessaires ?
Est-il justifié de faire subir une telle mutilation aux principes essentiels
de la démocratie pour garantir ce que M. Allouche dénomme pompeusement «
l'efficacité », et qui n'est quelquefois que le règne d'un homme ou de quelques
hommes ?
La réalité est que nos municipalités sont régies par un système de type
monarchique. Il paraît que c'est très bien ! Nous sommes revenus à une
monarchie élective. Je suis très réservé sur ce point.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il n'y a pas que les municipalités !
M. Pierre Fauchon.
Certes !
Si un tel système peut avoir des raisons d'être pour les grandes affaires
nationales, sa légitimité reste cependant à démontrer, selon moi, sur le plan
local où la recherche patiente et modeste d'un consensus large me paraît être
une démarche bien préférable.
Ayant exprimé ces réserves sur le scrutin municipal, je ne saurais aisément,
on s'en doute, souscrire à son extension à la région alors surtout qu'elle
serait renforcée par des mécanismes relevant purement et simplement de
l'autoritarisme. C'est l'autoritarisme institutionnalisé, un point c'est tout !
C'est la négation complète de la séparation des pouvoirs.
Il faut voir ce que sont devenus les conseils municipaux dans la plupart de
ces villes ! On expédie deux cents dossiers en une heure et demie puisque les
personnes qui soutenant le maire - la fameuse minorité devenue une prétendue
majorité - ne veulent pas le contester et puisque l'opposition, d'ailleurs
réduite à la portion congrue, sait qu'il n'y a rien à dire ! Où est l'exercice
vivant d'une démocratie dans ces cas-là ?
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Et faut-il que ce soit un gouvernement de gauche qui propose une telle
réforme ? Voilà qui donne à réfléchir, monsieur le ministre, sur les véritables
mobiles ! Je n'irai pas plus loin de peur de fâcher mon collègue M. Allouche.
En tout cas, il sait bien, comme vous tous, mes chers collègues, ce que je veux
dire quand j'évoque les mobiles.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Pierre Fauchon.
Disons que ces mobiles ont quelque chose qui n'est pas digne en réalité des
responsabilités gouvernementales.
Pour ma part, je ne voterai pas ce texte et j'attendrai le moment où une
meilleure sagesse nous fera préférer l'un des modes de scrutin capables de
donner aux régions la vitalité authentiquement démocratique qui leur manque :
la représentation proportionnelle intégrale ou - ce serait sans doute mieux -
le scrutin uninominal, avec des circonscriptions régionales, le seul scrutin
qui fasse vraiment confiance aux citoyens - mais veut-on vraiment leur faire
confiance ? - et qui peut d'ailleurs s'accompagner d'une dose de
proportionnalité.
La démocratie gagnera en vitalité ce que les exécutifs perdront peut-être en
autorité, mais pas nécessairement en efficacité, car l'expérience prouve qu'on
finit toujours par trouver des consensus quand on y est obligé. Je suis contre
la démocratie d'affrontement que vous voulez développer parce que je suis pour
une démocratie de composition et de compréhension, qui est tout le contraire de
ce que vous nous proposez.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que
sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi dont nous débattons aujourd'hui nous conduit à dresser le bilan du
fonctionnement des institutions régionales sous l'empire de la loi du 10
juillet 1985 et à nous prononcer sur la pertinence et la portée des
modifications proposées par la nouvelle législation.
Comparée à d'autres entités, comme les communes ou les départements, la région
ne peut s'enorgueillir d'un long passé.
Pendant dix années, de 1972 à 1982, la région était non pas même une
collectivité locale, mais un simple établissement public. Elle ne disposait pas
d'un domaine de compétences spécifiques, ses attributions étant concurrentes de
celles d'autres collectivités. Les membres du conseil régional étaient élus au
second degré et non au suffrage universel direct.
Il aura fallu attendre 1986 pour que la région apparaisse vraiment comme une
institution originale. Il s'en faut de beaucoup, à l'heure actuelle, que le
public ne connaisse vraiment l'étendue de ses attributions, la consistance de
ses actions et les modalités de fonctionnement de l'assemblée régionale.
On prête souvent à la région beaucoup plus de pouvoirs qu'elle n'en a
véritablement, ou bien on ignore le rôle qui est le sien dans des domaines
aussi importants que ceux de l'emploi et de la formation, de l'environnement ou
de l'aménagement du territoire.
Les régionalistes les plus convaincus jugent que l'Etat jacobin a laissé peu
d'espace et de moyens aux régions. Les « départementalistes » voient encore
dans cette institution un rival potentiel et, comme l'a très excellemment dit
notre collègue M. Hoeffel, ne s'attristent qu'à moitié des atteintes qu'on lui
porte. Nombre de citoyens estiment, quant à eux, que notre pays compte beaucoup
trop d'étages administratifs, source de surcoûts, de lourdeurs et de conflits
d'attribution.
Malgré le travail remarquable effectué par les conseils régionaux et par leurs
présidents, toutes tendances confondues d'ailleurs, cette collectivité semble
encore avoir du mal à trouver sa place au sein de nos institutions. Il est
clair que le mode de désignation de leurs élus et les règles de fonctionnement
des assemblées régionales n'ajoutent guère à leur renom tant ils paraissent
complexes et opaques aux électeurs.
Pour le malheur des conseils régionaux, leurs membres auront été désignés à la
représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
C'était jeter une ombre sur les régions et les vouer au départ à l'impuissance
au moment même où, pour la première fois, les conseillers régionaux étaient
élus directement par la population.
Le choix n'était pas fortuit et le mode de scrutin retenu était une arme au
service d'un objectif précis. Il s'agissait de veiller à ce que, dans les
régions comme dans le pays, la majorité virtuelle, qui n'était pas celle qui
gouvernait la France au moment où la loi était élaborée, ne puisse obtenir la
majorité absolue ou n'y parvienne que difficilement.
En 1986, l'entreprise a assez largement échoué au plan régional, même si elle
a été couronnée de succès à l'échelon national.
En 1992, le but recherché a été enfin atteint puisque seuls deux présidents de
région ont été élus à la majorité absolue et que quatre régions sur vingt-deux
ont bénéficié d'une majorité homogène.
En 1998, c'est le triomphe. Trois conseils régionaux, en tout et pour tout,
disposent d'une majorité absolue, tous les autres vivant plus ou moins
difficilement leur vie.
Nul mieux que Michel Debré, dans son livre intitulé
Mort de l'Etat
républicain
, ouvrage qui demeure actuel bien qu'il ait été écrit voilà
cinquante ans, n'a dépeint les méfaits de la représentation proportionnelle. Il
suggérait que, pour affaiblir l'Amérique, les Russes couvrent d'argent, d'or et
de pierreries une organisation préconisant l'introduction de la représentation
proportionnelle pour l'élection de la Chambre des représentants et d'un scrutin
à deux tours pour l'élection du Sénat et du Président des Etats-Unis.
Alors, écrivait-il, « en moins de vingt ans, on verrait surgir un parti
ouvrier ou plutôt deux qu'un seul, un parti des fermiers, un parti de l'Ouest
et un parti de l'Est. Avec un peu de chance, les sectes religieuses se
mêleraient à la scène politique. De divisions en querelles, en moins d'un
demi-siècle, les Etats-Unis auraient cessé de jouer un rôle dans le monde. La
bombe atomique est une arme incertaine comparée à un tel procédé qui tue l'Etat
en lui ôtant tout pouvoir, en le privant de sa volonté.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
On peut transposer dans les régions de 1998 cette description prémonitoire des
conséquences de la représentation proportionnelle.
Ici, la gauche et la droite se fractionnent au moins en trois ou quatre
groupes ou sous-groupes. Là, c'est un chasseur qui tient la majorité au bout de
son fusil
(Sourires.)
; dans telle autre région, des transfuges assurent
un appoint ou bien déséquilibrent l'équipe en place. Les minorités conscientes
de leur poids sont bien décidées à en user et à en abuser, et le fait de
monnayer son vote n'est pas simplement une image, aujourd'hui !
(Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Comme le note pudiquement M. le rapporteur, « depuis six mois les difficultés
rencontrées par plusieurs conseils régionaux se sont accentuées ». On assiste
en effet à d'intéressantes manifestations. Passons sur les désignations
récentes des présidents et des bureaux qui ont donné lieu à des péripéties que
l'Italie même nous envie
(Sourires.)
, mais nous avons déjà observé
l'émergence de majorités de rencontre, issues d'étranges conjonctions, qui font
obstacle aux propositions des exécutifs régionaux, qu'il s'agisse de projets
financiers ou d'orientations nouvelles.
D'ores et déjà, les négociations budgétaires s'annoncent ardues dans nombre de
régions, prélude au recours à la procédure de cette caricature de 49-3 que l'on
veut nous imposer, ou aboutissement final, consécration de la décentralisation,
à l'établissement du budget par le préfet de région. Voilà un grand progrès
pour la démocratie !
M. Hilaire Flandre.
Bravo !
M. Josselin de Rohan.
Pouvons-nous attendre de la réforme proposée une amélioration et des remèdes à
la situation présente ?
M. Hilaire Flandre.
Non !
M. Josselin de Rohan.
Et d'abord, quelle justification y avait-il au recours à la procédure
d'urgence ?
M. Hilaire Flandre.
Aucune !
M. Josselin de Rohan.
Craint-on que la navette n'aboutisse à édulcorer le caractère idéologique de
ce projet de loi ?
M. Hilaire Flandre.
Oui !
M. Josselin de Rohan.
Pourquoi tant de hâte quand la prochaine échéance électorale est seulement en
2004 ? Tout ce que nous pouvons constater, c'est que le recours à cette
procédure marque le peu de considération que le Gouvernement porte à la Haute
Assemblée.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste. - M. le rapporteur applaudit
également.)
Il semble que les auteurs du projet de loi doutent même de l'efficacité
de leur texte, car si ce dernier avait pour objet et pour conséquence d'assurer
aux régions des majorités stables et homogènes, il serait inutile de multiplier
les procédures permettant d'adopter sans vote, par le recours à ce pseudo 49-3,
des projets financiers, ou d'inventer une procédure de vote bloqué qui, M. le
rapporteur l'a justement remarqué, aboutirait à un véritable dessaisissement
des assemblées délibérantes !
Et, comme si le fonctionnement des assemblées régionales n'était pas
suffisamment compliqué, l'Assemblée nationale veut maintenant que les séances
des commissions permanentes deviennent publiques
(Exclamations sur les travées du RPR),
ce qui donnera lieu à
d'interminables joutes oratoires sous les yeux de la presse ou à des séances de
pure forme, ce qui affectera la sérénité des débats.
M. René-Georges Laurin.
C'est de la démagogie !
M. Jean Chérioux.
C'est dérisoire !
M. Josselin de Rohan.
Il y a pis : on institue une délégation obligatoire aux vice-présidents, ce
qui constitue une exception par rapport aux autres collectivités locales et une
grave restriction de la liberté d'action du président. L'impossibilité de
retirer la délégation en cas de conflit entre le président et le délégataire
risquerait, bien entendu, de provoquer la paralysie de l'exécutif.
Venons-en à la réforme du mode de scrutin.
Tout le monde s'accorde, nous dit-on, pour apporter un correctif majoritaire
au scrutin proportionnel en vigueur. Personne ne propose, paraît-il,
d'abandonner le scrutin de liste pour un scrutin purement majoritaire. Soit
!
Il y avait pourtant d'autres systèmes, notamment celui qu'a évoqué
excellemment notre collègue Pierre Fauchon, sur lequel nous aurions pu
réfléchir. Le scrutin de liste est sans doute ce que l'on fait de mieux et de
plus démocratique. Cependant, mes chers collègues, je soumets à votre réflexion
un propos qui avait été tenu par un défunt président de la République à l'un de
nos collègues, qui me l'a rapporté. Ainsi, alors que l'un de ses ministres
proposait que les conseillers généraux soient élus au scrutin de liste et à la
proportionnelle - vous avez bien compris qu'il s'agissait d'un ministre
socialiste - il lui avait répondu : « Je ne vois pas pourquoi on veut
m'entraîner sur cete voie. Quant à moi, je n'ai jamais été l'élu de nulle part.
» C'est cela que vous être en train de promouvoir, messieurs du Gouvernement !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Je souscris très volontiers aux analyses de la commission des lois sur le
maintien du cadre départemental : il permet de ne pas éloigner l'élu des
électeurs, évite l'occultation des enjeux locaux et constitue un frein à
l'extrême politisation des assemblées régionales.
Mais je voudrais vous rendre attentifs à un fait, en prenant l'exemple de la
région dont je préside le conseil. Quand il y aura une seule entité pour élire
les conseillers régionaux, à savoir une circonscription régionale, croyez-vous
sincèrement, mes chers collègues, que ceux qui auront à établir les listes
iront choisir les candidats dans les zones les moins peuplées ? La tentation ne
sera-t-elle pas, inéluctablement, d'aller chercher les candidats là où se
trouvent majoritairement les électeurs ? Or il est important que tous les
territoires puissent être représentés, et c'est bien ce que le scrutin
départemental permet. Là est le véritable correctif !
On aboutira inéluctablement à un déséquilibre dans la représentation si l'on
va dans le sens qui est préconisé par le projet actuel.
(Applaudissements
sur les mêmes travées.)
Par ailleurs, il paraît que ramener le mandat électif de six ans à cinq ans
est un grand progrès de la démocratie. Il est vrai que le chiffre cinq est
devenu pour M. Jospin ce que le chiffre sept était pour les Hébreux !
(Sourires.)
Tout doit être toisé à l'aune de cinq années ! Pourquoi cinq
? Pourquoi pas quatre ou deux, comme pour la Chambre des représentants des
Etats-Unis ? Non, c'est le quinquennat !
Peut-être, s'agissant d'une élection présidentielle dont on ne parle jamais
mais à laquelle on pense toujours, le chiffre cinq a-t-il au moins l'avantage
de nous rapprocher de l'échéance ! Ce serait en tout cas une justification car,
jusqu'à présent, je n'en vois pas d'autre.
En tout état de cause, si l'on avait voulu ramener le mandat de six à cinq
ans, au moins aurait-il fallu en discuter pour que cela donne lieu à plus de
concertation, sans introduire cette réduction au travers de cet étrange projet,
presque à la sauvette.
En outre, je ne vois pas en quoi de nouvelles modalités d'élection des
conseillers régionaux constitueraient une amélioration par rapport au
dispositif existant. La représentation proportionnelle favorisera comme
précédemment la parcellisation, l'émiettement et la politisation des listes ;
la prime majoritaire, censée corriger le système, sera beaucoup plus faible que
pour les élections municipales ; le second tour donnera lieu, le cas échéant, à
des fusions de listes. Et ne doutons pas que la raison qui pousse le
Gouvernement à fixer un seuil très bas pour pouvoir participer au second tour
tient au fait qu'il faut sauver de l'élimination des alliés dont on a bien
besoin !
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
En effet, telle ou
telle formation qui, aujourd'hui, exerce - disons les choses gentiment - des «
pressions » dans les conseils régionaux disparaîtrait si l'on portait le seuil
à 5 %, comme nous le propose M. le rapporteur, ou à 10 %, comme l'équité et
l'efficacité le voudraient.
Enfin, la complexité de la loi et, surtout, la nécessité d'obtenir au second
tour la prime majoritaire conduiront à des alliances douteuses, à des compromis
boiteux et à des marchandages occultes qui ne feront rien pour moraliser le
scrutin.
M. René-Georges Laurin.
Tout à fait !
M. Josselin de Rohan.
La complexité de la loi et les calculs qu'elle entraîne la rendront
strictement incompréhensible pour les électeurs et il y a fort à craindre que
cette réforme, loin d'entraîner nos concitoyens à voter, ne les incite plutôt à
s'abstenir.
Au total, la réforme, loin de mettre un terme aux difficultés de
fonctionnement des régions, compliquera la tâche de ceux qui ont la
responsabilité de les gérer. Elle ne se préoccupe pas de l'essentiel, qui est
de mieux définir les compétences respectives de l'Etat, des départements, des
régions et des communes, de procéder à un remodelage des responsabilités et à
une meilleure répartition des tâches.
En privant la région d'une majorité cohérente et en affaiblissant l'exécutif,
la réforme laisse la région désarmée face à la recentralisation rampante
amorcée par le projet de loi Voynet sur l'aménagement du territoire ou le
projet de loi Zuccarelli !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Aussi devons-nous aujourd'hui prendre date et faire savoir de la manière
la plus nette que, en cas d'alternance, nous rouvrirons le chantier d'une
véritable réforme régionale et que la loi électorale sera, elle aussi, remise
immédiatement en cause.
M. Hilaire Flandre.
Dès demain !
M. Josselin de Rohan.
Il faut espérer dans l'intervalle que, en dépit des coups qui lui sont portés,
l'institution régionale aura pu survivre.
Mais, au-delà de notre débat de ce jour, nous devons nous poser une question
qui appelle une réponse : à quels mobiles véritables obéissent les auteurs du
projet de loi ?
Lorsqu'ils auront réussi à ressusciter dans nos régions la IVe République avec
son cortège de divisions, d'impuissances et de compromissions, la tentation ne
sera-t-elle pas forte pour certains de l'instituer à nouveau sur l'ensemble du
territoire et de prendre, par ce biais, une revanche sur une Constitution
qu'ils ont jadis tant combattue ?
(Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Si telle est leur ambition, il faut qu'ils sachent que nous ne resterons
pas inertes.
Cela étant, monsieur le ministre, je voudrais maintenant vous poser quelques
questions, et vos réponses conditionneront notre vote.
Avec la procédure d'urgence, il n'y a plus qu'une commission mixte paritaire,
il n'y a plus de débat en seconde lecture devant notre assemblée ; c'est
pourquoi j'attends de vous que vous répondiez précisément, c'est-à-dire par «
oui » ou par « non », aux questions que je vais vous poser.
(Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux.
C'est le débat démocratique !
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le ministre, très clairement, êtes-vous d'accord pour soutenir la
proposition faite par M. le rapporteur et tendant à instaurer un scrutin
départementalisé, ou maintiendrez-vous le scrutin régional, contre le vote de
la majorité de cette assemblée ?
Prenez-vous l'engagement que, devant l'Assemblée nationale, vous soutiendrez
l'amendement que M. le rapporteur présente pour rétablir un scrutin dans le
cadre départemental ?
Etes-vous d'accord pour soutenir, au nom du Gouvernement, le seuil de 5 % pour
pouvoir participer au second tour ?
Etes-vous d'accord pour ne pas soutenir la disposition inconstitutionnelle de
la parité entre hommes et femmes ?
Etes-vous d'accord pour refuser la publicité des travaux de la commission
permanente ?
Etes-vous d'accord pour refuser la délégation obligatoire aux vice-présidents
?
Si vous ne pouvez répondre favorablement aux questions que nous vous posons,
je puis vous donner l'assurance formelle que le groupe du RPR ne votera pas
votre projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Je
demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout
d'abord de vous dire qu'il était temps de légiférer. Aux termes des conclusions
du groupe de travail qui a été mis en place dans votre assemblée, « il pouvait
sembler préférable d'attendre les résultats des élections régionales de 1998
afin de vérifier ses effets réels avec un recul plus significatif ». Eh bien,
nous y sommes : les élections régionales viennent d'avoir lieu...
M. Dominique Braye.
Il n'y a pas urgence !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
...
et nous pouvons en tirer un certain nombre d'enseignements.
Quelle est la situation ? Elle me rappelle le titre d'un film :
Paysage
après la bataille.
Croyez-vous sérieusement, messieurs les sénateurs, que
la région est sortie renforcée des élections de mars 1998 ?
M. Josselin de Rohan.
La faute à qui ?
M. Jean Chérioux.
Grâce à la proportionnelle !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
C'est la réalité inéluctable...
M. Dominique Braye.
Il n'y a pas urgence pour autant !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
...
qui résulte du mode de scrutin.
M. Josselin de Rohan.
Qui avait voté ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Fallait-il le réformer avant ?
M. Hilaire Flandre.
Oui !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
J'ai entendu M. de Rohan déclarer, d'un ton très péremptoire : « Si nous
revenons au pouvoir, nous ferons la réforme régionale, et nous la ferons
immédiatement. »
M. Dominique Braye.
Pas dans l'urgence !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Vous avez eu quatre ans pour faire cette réforme régionale. Vous disposiez
d'une majorité écrasante : 500 députés à l'Assemblée nationale et un Sénat
ultramajoritaire. Or vous ne l'avez pas faite !
M. Josselin de Rohan.
Vous non plus !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Il
est bon de dire, monsieur de Rohan, maintenant que vous êtes dans l'opposition
nationale : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! » Vous me faites un peu
penser à un lutteur de foire qui gonfle ses biceps. Je le répète, vous aviez
tous les moyens politiques pour procéder à cette réforme.
Le Gouvernement actuel n'a pas présenté de projet de loi entre juin 1997 et
mars 1998 parce qu'il a estimé que, si un consensus n'était pas réuni, il se
verrait immédiatement accusé d'avoir engagé une réforme qui serait
politique.
M. Josselin de Rohan.
C'est un peu facile !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Au
lendemain des régionales, il est bon de tirer les leçons.
M. Pierre Fauchon.
Cela n'explique pas l'urgence !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
La
loi de mars 1998, relative au fonctionnement des institutions régionales,
résulte, monsieur de Rohan, d'une proposition de loi, ayant pour origine des
textes divers présentés à l'Assemblée nationale, l'un signé par MM. Mazeaud et
Pandraud, un autre par M. Ayrault. Il convient de le rappeler et donc de ne pas
accuser le Gouvernement d'avoir élaboré certaines procédures alors que celui-ci
n'a fait que se rallier à un texte d'origine parlementaire.
A l'époque, M. Girod a rapporté ce texte au nom de votre commission des lois.
Certes, il était peut-être incomplet, mais il présentait au moins le mérite
d'attirer l'attention sur les difficultés qu'allaient connaître les conseils
régionaux après les élections du mois de mars dernier. Tel est le paysage après
la bataille.
M. Raffarin a évoqué le risque de fragilisation de l'institution régionale.
Monsieur le sénateur, regardez l'image des régions françaises !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Surtout la vôtre !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
La
région Rhône-Alpes, certes, mais également d'autres qui éprouvent d'immenses
difficultés à fonctionner. Comment peut-on prétendre que ce texte va fragiliser
encore plus les régions ?
M. Josselin de Rohan.
C'est ça !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Comme si elles n'étaient pas déjà vraiment malades et fragiles !
M. Jean Chérioux.
Cela n'arrangera rien !
M. Josselin de Rohan.
Bien sûr !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Il
s'agit de sortir de cette situation et d'avancer des propositions.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il ne faut pas généraliser la maladie !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
S'agissant de l'urgence qui a été déclarée sur ce texte, j'ai entendu parlé
d'improvisation, d'une discussion tronquée. Mais le Sénat, grand amateur et
spécialiste des modes de scrutin, du fonctionnement des institutions
décentralisées, connaît bien ces questions... Personne n'est pris en traître
ici !
M. Jean Chérioux.
Et le dialogue entre les assemblées, et la navette, qu'en faites-vous ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Ce
texte, après avoir été adopté par l'Assemblée nationale, a été transmis voilà
trois mois à votre commission des lois. Le Sénat a donc eu le temps d'en
prendre connaissance.
Monsieur Josselin de Rohan, il y aura une commission mixte paritaire...
M. Josselin de Rohan.
C'est cela !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
...
et une nouvelle lecture devant le Sénat. Telle est la procédure.
L'urgence a été déclarée compte tenu des dysfonctionnements actuels des
régions dont les exemples sont multiples et constants.
M. Hilaire Flandre.
Ça va servir à quoi ?
M. Dominique Braye.
Il y a urgence à dissoudre votre région !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
J'en viens maintenant au mode de scrutin.
M. de Rohan a dressé l'inventaire des divergences et j'ai entendu des
plaidoyers vibrants de MM. Raffarin, Mercier, Girod et Hoeffel en faveur du
scrutin à un tour.
La tradition française - il faut quand même le rappeler - veut que, si le
scrutin proportionnel est à un tour, le scrutin à dominante majoritaire compte
deux tours. C'est une donnée politique.
M. de Rohan a cité Michel Debré qui avait eu, à un certain moment, l'idée,
pour le scrutin national, de retenir un mode de scrutin à un tour. Tout le
monde l'avait écarté parce qu'il ne correspondait pas à la tradition française,
selon laquelle le premier tour doit permettre de déterminer les tendances
politiques, le deuxième de dégager des majorités. Telle est la logique de
l'introduction d'un mode de scrutin majoritaire dans un système
proportionnel.
M. Josselin de Rohan.
C'est pour cela que la proportionnelle a été instituée en 1986 !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Je
voudrais, à cet égard, répondre à M. Duffour qui préconise de baisser le taux
retenu pour se présenter au deuxième tour ; la liste doit avoir obtenu 10 % des
suffrages pour être présentée au deuxième tour. Elle peut fusionner avec des
listes qui ont recueilli jusqu'à 3 % des suffrages, mais il faut 10 % pour
aller au deuxième tour, nous sommes bien d'accord sur ce point. Si nous
abaissons le seuil, par exemple à 5 %, nous nous trouvons dans un système
proportionnel et, dès lors, nous ne sommes plus dans une logique qui permet de
dégager des majorités. Nous sommes dans une logique qui conduit à
l'émiettement, au fractionnement des forces politiques.
Pour cette raison, le mode de scrutin que nous avons envisagé est un mode de
scrutin à deux tours parce qu'il se rapproche d'une logique majoritaire
permettant, à l'occasion des discussions qui s'engagent entre le premier et le
deuxième tour, de rassembler.
M. Josselin de Rohan.
Pour sauver le Front national !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
J'ai entendu des propos assez étonnants. M. Raffarin a dit : « Ce sera la
semaine clandestine. » Croyez-vous que ce que l'on a vu entre le 15 et le 20
mars, ou même le 22 ou le 23 mars, ne relevait pas de la clandestinité ?
Je me rappelle des articles de presse dont le titre était : « C'est la
semaine noire des régions. » En effet, des réalités sont apparues dans un
certain nombre de régions, où des majorités politiques se sont dessinées, alors
qu'il y avait eu des engagements contraires pris devant les électeurs.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Avec un indépendantiste savoyard !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
C'est cela la réalité, monsieur Raffarin.
Des engagements avaient été pris de ne pas passer des alliances avec l'extrême
droite.
M. Josselin de Rohan.
Cela ne vous gêne pas quand vos amis votent avec elle !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Là
est le fond du débat ! Dans le scrutin à deux tours, permettez-moi, monsieur de
Rohan, de vous dire que...
M. Josselin de Rohan.
Quelle belle âme !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
...
les négociations ne durent pas une semaine, mais deux jours seulement. Elles
sont fondées sur ce qu'un autre grand parlementaire ou grand publiciste, Pierre
Mendès France, appelait un « contrat de législature », c'est-à-dire un contrat
passé devant le peuple...
M. Josselin de Rohan.
Oh là là !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
...
et non pas, comme disent nos amis britanniques, un contrat passé « derrière la
tribune du président », des accords étant négociés, alors que certaines belles
âmes affirment n'avoir rien négocié.
Pour ma part, je préfère que les électeurs au deuxième tour, à l'instar des
scrutins municipaux, se prononcent en toute clarté sur des listes concurrentes,
où les candidats déclarent : « nous allons gouverner ensemble sur tel programme
; élisez-nous ou sinon nous serons minoritaires ». A ce moment-là, une autre
majorité se dégagera. Cette clarté est due aux électeurs ; c'est le contrat
d'administration de la région.
Sinon, nous passons à un mode de scrutin proportionnel, et tous les
intervenants ont souligné le risque qu'il représentait ; l'exemple de la région
en montre bien la forme.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Vous voulez généraliser ! Ce n'est pas sincère !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
J'en viens à la prime.
M. Fauchon juge que la prime est antidémocratique. Je voudrais tout de même
lui répondre sur ce point. Qui a instauré le mode de scrutin municipal après
les élections de 1959 ? C'est tout de même bien la majorité de droite de
l'époque ! M. de Rohan, vous aussi devriez vous souvenir qu'à l'époque c'était
un scrutin majoritaire !
J'ai siégé dans un conseil municipal élu au scrutin majoritaire : aucune voix
d'opposition ne pouvait s'exprimer ; c'était des monologues.
En revanche, j'ai siégé depuis 1983 dans des conseils municipaux où
l'opposition était représentée ; je trouve bon que l'opposition soit présente,
qu'elle puisse être informée, qu'elle fasse connaître son point de vue,...
M. Josselin de Rohan.
Personne n'a dit le contraire !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
...
et qu'en même temps la majorité puisse gouverner. Je crois, monsieur Fauchon,
que nous concilions ces deux éléments.
Sinon, il n'y a pas d'autre solution qu'une proportionnelle, ...
M. Pierre Fauchon.
Proportionnelle, point à la ligne !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre de l'intérieur.
... avec les évolutions de majorité qui peuvent
se produire, quel que soit le système. Celui que vous évoquez a fonctionné sous
la IVe République, et peut-être même, antérieurement, sous la IIIe République.
Il ne me paraît plus, aujourd'hui, adapté à la gestion des villes, avec les
enjeux qu'elle représente. Nous sommes, c'est vrai, passés d'un parlementarisme
municipal à un système dans lequel des majorités municipales existent, qui ont
été contractées devant les électeurs.
La prime doit-elle être de 25 % ou de 33 % ? Nous proposons 25 %, M. le
rapporteur préfère 33 %, et je crois que M. Allouche, tout à l'heure,
s'interrogeait.
Pour une élection régionale, il ne faut pas trop écraser les minorités, et
retenir, comme au niveau municipal, un système électoral où la liste arrivée en
tête obtient d'emblée 50 % des sièges au scrutin majoritaire. Avec une prime de
25 %, on peut, me semble-t-il, dégager des majorités sans écraser les
minorités.
J'en viens maintenant au cadre de l'élection.
Je n'ai entendu, outre M. Allouche, que le plaidoyer de M. Hoeffel en faveur
du cadre régional. Je comprends bien qu'au Sénat, qui en relève, la défense du
cadre départemental ait ses ardents défenseurs.
Enfin, croyez-vous qu'il n'est pas temps de passer au niveau régional, qu'il
n'est pas temps de passer au niveau que connaissent toutes les grandes
institutions dans les régions d'Europe ? Ne croyez-vous pas que l'institution
régionale en sortira fortifiée ? Sinon - après tout, c'était à l'origine l'idée
même des régions - les régions deviendront des unions de départements.
Je crois nécessaire de passer au stade supérieur, c'est-à-dire celui où
l'institution régionale peut fonctionner et peut vivre en elle-même. Cela
signifie-t-il que ceux qui constitueront les listes écarteront les départements
les moins peuplés, concentreront leurs candidats sur les villes ou les
départements les plus peuplés ?
M. Josselin de Rohan.
Evidemment !
M. Dominique Braye.
Vous faites de l'angélisme naïf !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Je
fais confiance, monsieur de Rohan, à la perspicacité des politiques qui ont à
construire ces listes. Tout le monde sait bien que, lors de l'élaboration des
listes municipales, on tient compte des différents quartiers. Enfin, nous
sommes tous suffisamment avisés sur le plan politique pour ne pas ne pas avoir
cette intelligence. Dans le cas contraire, si nous ne l'avons pas, les
électeurs s'en rendront compte. Sur ce plan, ne péchons pas par un excès de
naïveté !
M. Josselin de Rohan.
Vous êtes un faux naïf !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Enfin, en ce qui concerne le vote du budget, la loi de mars 1998 comporte des
imperfections car elle avait été élaborée en quelques mois pour essayer de
parer au plus pressé face aux difficultés que connaissaient les régions. Le
fait, par exemple, que la présidence soit obligée de soumettre au vote un
budget dénaturé par les amendements, le fait que le vote des taux ne soit pas
lié au vote du budget, tout cela n'avait pas été vu, à l'époque, par le
législateur et il est grand temps, me semble-t-il, d'en corriger l'usage sur le
plan du mode de fonctionnement.
Cela explique, en particulier pour le vote des prochains budgets qui va
intervenir dès la fin de cette année, qu'il faut donner aux régions un cadre
budgétaire, en quelque sorte correcteur des dysfonctionnements nés de la
proportionnelle. Je pense que les régions s'en porteront mieux.
Vous voyez, monsieur de Rohan, que, à l'ensemble de vos questions, j'ai plutôt
répondu par la négative. En effet, le Gouvernement est favorable à un scrutin
régional ; il est favorable à un seuil qui permet de fusionner les listes dès
lors que celles-ci ont obtenu 3 % des suffrages exprimés, sachant que ne
peuvent se présenter au second tour que les listes ayant obtenu au premier tour
au moins 10 % des suffrages exprimés ; le Gouvernement est également favorable
au raccourcissement des mandats, à la parité hommes-femmes, avec les réserves
que j'ai émises concernant la constitutionnalité. Même si ces réponses ne vont
pas dans votre sens, monsieur le sénateur, au moins vous aurai-je répondu en
toute courtoisie parlementaire.
Il reste maintenant la question essentielle que M. Hoeffel a abordée lorsqu'il
a fait allusion au mode de scrutin : quel sera l'avenir de nos régions ?
Aujourd'hui, la région m'apparaît, je l'ai dit, comme étant désarmée - vous
avez employé ce mot, monsieur de Rohan - parce qu'elle n'a pas réellement de
majorité politique pour fonctionner. Or j'ai le sentiment, je vous le dis très
sincèrement, car je suis moi aussi conseiller régional, que la majorité des
régions vont prendre six ans de retard par rapport au rythme qui préside à
l'échelon européen. Cela constituera sûrement pour notre pays un handicap en
matière de décentralisation.
Certains départementalistes ou centralisateurs s'en réjouissent peut-être,
monsieur Hoeffel. Moi, je ne m'en réjouis pas, car je pense que les régions
doivent avoir un niveau suffisant de compétences, d'attributions et de
stabilité pour mener de véritables politiques de développement et d'aménagement
du territoire.
Aujourd'hui, les régions n'ont pas les moyens de mener ces politiques. C'est
pourquoi le Gouvernement a soumis ce projet de loi qui a été examiné en
première lecture par l'Assemblée nationale. J'invite le Sénat à s'inscrire dans
cette dynamique régionale, tout en apportant les observations qu'il estime
nécessaires.
La Haute Assemblée ne souhaite sans doute pas voir les régions paralysées ou
voir des demi-régions privées de leur capacité d'agir.
(Applaudissements sur
les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
J'ai reçu de MM. de Rohan, Arthuis et de Raincourt une motion tendant à
opposer la question préalable au projet de loi relatif au mode d'élection des
conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au
fonctionnement des conseils régionaux. Cette motion sera discutée demain
après-midi.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
C'est une motion dont la commission n'a pas eu connaissance.
Il convient donc de convoquer cette dernière demain après-midi, à quatorze
heures trente.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Je
demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.
Monsieur le président, compte tenu de la discussion des questions d'actualité à
l'Assemblée nationale - vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs,
qu'il est difficile au ministre de l'intérieur de ne pas assister à ce débat -
je souhaite que la séance de demain soit reportée à seize heures quinze.
M. le président.
Je vous en donne acte.
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