M. le président. Par amendement n° 1, M. Joly propose d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 54 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 54. - La participation au scrutin est obligatoire.
« La violation de l'alinéa précédent entraîne la condamnation, par le tribunal d'instance dans le ressort duquel se trouve la commune d'inscription et sur saisine du maire de cette commune, au paiement d'une amende civile de 500 francs.
« Le tribunal pourra toutefois ne pas prononcer cette condamnation si l'intéressé établit qu'il se trouvait dans l'impossibilité de participer au scrutin et de voter par procuration. »
« II. - L'article L. 55 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 55. - Le scrutin ne dure qu'un seul jour ; il a lieu un dimanche. »
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. J'ai déjà eu l'occasion, au cours de la discussion générale, d'aborder la question du vote obligatoire. La défense de cet amendement me donnera l'occasion de développer mon propos.
D'emblée, je reconnais que la disposition que je vous demande de bien vouloir introduire dans la loi est susceptible de heurter certains. Une telle réaction, à mon sens, ne peut que céder devant l'examen des motifs.
Tout d'abord, il est possible d'obliger les électeurs à se rendre aux urnes sans que le fondement et le fonctionnement de la démocratie s'en trouvent altérés. En effet, il était jusqu'alors obligatoire de s'inscrire sur les listes électorales ; or, à ma connaissance, cette mesure n'a jamais soulevé de critiques particulières. Aussi la notion d'obligation ne me semble-t-elle pas constituer une objection dirimante.
Pour ce qui concerne la condamnation à une amende civile, je conçois qu'une telle mesure puisse susciter des réserves. Toutefois, comment s'assurer qu'une obligation se trouvera remplie si elle n'est pas sanctionnée ? Il s'agit d'un corollaire.
Je rappelle que l'actuel article L. 9 du code électoral dispose, dans son premier alinéa : « L'inscription sur les listes électorales est obligatoire. » Reconnaissez, monsieur le ministre, que, si ce texte de loi avait été effectivement respecté, vous n'auriez pas été amené à venir nous présenter ce projet de loi aujourd'hui !
Aussi, pour que l'obligation de vote ne connaisse pas le même sort que l'article L. 9, je propose que cette mesure soit assortie d'une sanction financière ayant le caractère d'une amende civile. Incomplète, la démarche serait inopérante.
Je ne suis pas particulièrement attaché au montant proposé, mais il m'a semblé que celui-ci devait être suffisamment dissuasif pour que la mesure s'avère efficace.
Mes chers collègues, vous n'êtes pas sans savoir que le système que je vous propose d'adopter est celui que plusieurs pays européens ont choisi et qui, je crois, fonctionne aujourd'hui sans encombre.
Monsieur le ministre, vous m'avez demandé par quel moyen on pouvait rendre le vote obligatoire, mais vous n'avez pas répondu à mon observation concernant les taux d'abstention, et cela m'étonne de vous, qui êtes si attaché à une république citoyenne.
S'agissant du moyen de rendre le vote obligatoire, je vous rappelle que, dans d'autres circonstances, une amende peut être prononcée à l'encontre de ceux qui ne remplissent pas leurs obligations citoyennes. Je citerai en particulier le cas des délégués sénatoriaux ainsi que celui des jurés. En effet, en vertu de l'article L. 288 du code de procédure pénale, « tout juré qui, sans motif légitime, n'a pas déféré à la citation qui lui a été notifiée est condamné par la cour à une amende. »
Pour différent que soit leur objet, la participation à un jury d'assises tout comme le vote sont des devoirs inhérents à la citoyenneté et je ne vois pas au nom de quoi le manquement au premier pourrait être sanctionné tandis que le manquement au second ne le serait pas.
En ayant terminé avec les arguments juridiques qui plaident en faveur de mon amendement, je souhaite aborder brièvement la question de l'incidence pratique de la mesure que je propose d'adopter.
Il est bien évident que je ne souhaite pas voir les électeurs contraints de mobiliser une journée entière pour se rendre aux urnes. Il me semble au contraire important de concilier les impératifs familiaux, de loisirs et de repos dominical avec la participation au scrutin. C'est la raison pour laquelle j'ai également déposé un amendement visant à faciliter l'exercice du vote par procuration.
En dehors de ces aspects juridiques et pratiques, d'autres considérations militent en faveur de ma démarche.
Il me semble utile de rappeler l'importance que les textes fondateurs de la République française confèrent au vote. Qu'il s'agisse de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ou de la Constitution de 1958, la place accordée à l'exercice du droit de vote est prépondérante.
Le choix par les citoyens de leurs représentants constitue l'essence même de la République. La solennité dont la Constitution revêt cet exercice démocratique empêche qu'il puisse y être dérogé.
On peut tout à fait concevoir qu'un électeur rejette l'ensemble des candidatures qui lui sont proposées. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai également déposé un amendement visant à ce que les bulletins blancs ne soient plus assimilés aux bulletins nuls.
Refuser de participer au scrutin, c'est refuser d'assumer les responsabilités propres à chaque individu, sans lesquelles tout projet de société se révèle irréalisable. Croyez-vous sain, mes chers collègues, qu'un département soit administré grâce aux seuls suffrages du quart des électeurs inscrits ?
L'abstention est un phénomène dangereux, qu'il convient d'enrayer avant que la démocratie ne s'en trouve affectée. Mon amendement constitue la seule façon d'y mettre fin.
L'histoire de notre pays est remplie des noms de ceux qui, au péril de leur vie, ont lutté pour que leurs descendants puissent librement choisir ceux qui les gouvernent. Aujourd'hui encore, à travers le monde, des peuples se battent pour adopter un régime politique semblable au nôtre.
Nous ne pouvons tolérer que cette prérogative, parfois chèrement payée, tombe en désuétude par simple négligence.
Telle sont les raisons pour lesquelles je vous demande de bien vouloir adopter mon amendement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du RPR.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission a estimé que cet amendement n'entrait pas à proprement parler dans le cadre du sujet dont nous débattons aujourd'hui. Au demeurant, même dans le cas contraire, je crois qu'elle y aurait été hostile.
M. Delevoye n'a pas hésité à dire, comme je crois l'avoir indiqué dans mon rapport écrit, qu'il redoutait que le projet de loi n'amène un jour, tôt ou tard, à poser la question du vote obligatoire. Pour sa part, il rejetait par avance ce principe.
De surcroît, M. le ministre nous a indiqué que cela posait un problème de constitutionnalité. En outre, sur un plan pratique, nous savons tous que les maires sont peu enclins à la dénonciation.
Pour conclure, la commission des lois n'est pas favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'aimerais faire plaisir à M. Joly, mais je pense qu'il a tort d'estimer que l'instauration du vote obligatoire pourrait se substituer à la réhabilitation du civisme, de l'acte citoyen par excellence qu'est l'acte de voter. Je ne crois pas que l'on pourrait intéresser davantage notre peuple aux questions qui touchent à son destin en l'obligeant par la loi à se rendre aux urnes : cette analyse me paraît superficielle.
D'ailleurs, croyez-vous que les pays voisins où le vote est obligatoire se caractérisent forcément par un degré supérieur d'intérêt de la population pour la politique ?
Si l'on veut réhabiliter la politique, il faut donner à nos débats une hauteur de ton, et définir les enjeux véritables. Il faut que les hommes politiques, qui tiennent leur mandat du suffrage universel, aient l'audace de parler selon leur conscience, aient la rigueur de pousser leurs raisonnements jusqu'à leurs dernières conséquences et mettent leurs actes en accord avec leurs paroles. Cela seul pourra rendre aux citoyens l'estime qu'ils devraient avoir pour une activité qui est à coup sûr noble, dès lors qu'elle tend à la recherche de l'intérêt général.
En outre, votre proposition se heurte, monsieur Joly, je vous l'ai déjà dit tout à l'heure et je vous le répète, à un argument de constitutionnalité. En effet, l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à laquelle le préambule de la Constitution fait référence, dispose : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. »
Voter est donc un droit. Mais qu'est-ce qu'un droit ? Pour Littré, le droit est une « faculté reconnue, naturelle ou légale, d'accomplir ou de ne pas accomplir un acte ».
Or transformer ce droit en une obligation serait aller à l'encontre du préambule de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
J'observe d'ailleurs qu'en Belgique, puisque vous avez évoqué le cas de ce pays, où le vote est en effet obligatoire, cette obligation est inscrite dans la constitution belge. Pour aller dans le sens que vous souhaitez, monsieur le sénateur, il faudrait donc envisager une révision constitutionnelle, afin de faire figurer cette obligation dans la Constitution. (M. Joly opine.)
Je ne reviendrai pas sur le fait que les sanctions sont difficiles à mettre en oeuvre. J'ai parlé des maires, mais croyez-vous qu'il serait beaucoup plus facile à un préfet de les appliquer ? Cela ne correspond absolument pas à notre culture.
Tout en déplorant comme vous le niveau élevé, malheureusement traditionnel, de l'abstention aux élections cantonales, je vous invite plutôt à emprunter le sentier, certes rocailleux, difficile et malaisé, qui peut nous conduire à une véritable réhabilitation de la politique. Il s'agit de faire en sorte que, aussi bien dans leurs analyses que dans leur comportement, les hommes politiques auxquels le peuple français a accordé sa confiance s'en montrent tout simplement dignes.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Guy Cabanel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. En ce qui concerne l'instauration éventuelle du vote obligatoire, la proposition de M. Joly reflète effectivement l'inquiétude de ceux qui pensent que l'inscription automatique et sans motivation véritable des jeunes atteignant l'âge de dix-huit ans n'abourira qu'à majorer le taux d'abstention et risquera, dans certains endroits, au moins dans un premier temps, d'apporter un trouble supplémentaire, par des conditions d'élections qui paraîtront parfois plus ridicules encore qu'elles ne le sont actuellement lors de certains scrutins cantonaux ou partiels.
Par ailleurs, vous avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre, le fait que nous risquions d'être contraints d'emprunter la voie de la réforme constitutionnelle.
A cet égard, je citerai l'article L. 318 du code électoral, qui a déjà institué un vote obligatoire en France pour les élections sénatoriales.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas pareil !
M. Guy Cabanel. Le cas est différent, certes, parce que les délégués des conseils municipaux pour les élections sénatoriales ont le plus souvent fait acte de candidature. Mais tous les conseillers municipaux, dans les communes comptant 9 000 habitants et plus, sont délégués de droit, et ils n'ont pas le droit de ne pas voter. S'ils s'abstiennent, ils risquent une amende de quatre-vingts francs.
Je reconnais que le problème n'est pas simple, mais je me demande si l'amendement n° 1 présenté par M. Joly est réellement anticonstitutionnel.
En effet, même si l'on admet qu'il est en contradiction avec le préambule de la Constitution et avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il reste à souligner que les préambules sont des éléments d'inspiration constitutionnelle, et non pas des textes constitutionnels régulièrement adoptés.
Personnellement, sans faire de l'instauration du vote obligatoire un motif de passion, je voterai l'amendement n° 1 de M. Joly.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je ne voterai pas l'amendement n° 1, pour une raison à mon sens toute simple : la question soulevée est trop importante pour pouvoir être réglée par le biais d'un amendement.
En effet, le vote obligatoire mérite un long débat. Certes, il est exact que, compte tenu du nombre assez élevé des abstentionnistes, bien des Français s'interrogent sur l'opportunité de l'instituer. La réflexion est engagée sur ce thème, mais nous ne réglerons pas cette question aujourd'hui, au détour d'un amendement.
Prenons l'exemple des délégués des conseils municipaux aux élections sénatoriales. Il est heureux, monsieur Cabanel, que nos anciens aient, sagement, rendu leur vote obligatoire.
En effet, nous sommes élus au second degré, par des élus. Il serait donc grave que ceux-ci, qui ont été élus parce que des citoyens ont fait leur devoir civique, ne se déplacent pas pour aller désigner les parlementaires que nous sommes.
Par conséquent, cette obligation me paraît en la circonstance naturelle. Quand on a été élu grâce au concours des citoyens, il est normal qu'à son tour on accomplisse son devoir électoral. C'est ainsi que j'interprète l'obligation de vote pour les élections sénatoriales.
Je voudrais dire aussi qu'il ne faut pas noircir un tableau qui est déjà gris. Il est vrai que nous sommes unanimes pour regretter que le taux d'abstention soit parfois élevé. Il faut savoir que ce chiffre varie suivant la nature de l'élection. C'est ainsi que les élections municipales mobilisent les électeurs, de même que, dans certains cas, les élections présidentielles. Tenons compte de ces données.
A mon sens, ce n'est pas en rendant le vote obligatoire que nous réussirons à convaincre les Français de faire preuve de davantage de civisme : puisque la politique n'est guère magnifiée en ce moment, il nous appartient d'agir auprès de nos compatriotes pour les intéresser à nos idées et pour les inciter à voter.
Dans le climat politique actuel, je ne crois pas que nous y parviendrons par l'instauration du vote obligatoire, et je crains que certains électeurs ne perçoivent une telle disposition comme une contrainte pure et simple.
Vous avez d'ailleurs eu raison, monsieur Joly, de déposer, à côté de l'amendement n° 1 sur le vote obligatoire, un amendement n° 2 concernant le vote blanc, car ils vont de pair.
En tout état de cause, il nous est difficile de soutenir l'amendement n° 1.
M. le président. Personne ne demande plus laparole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 2, M. Joly propose d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« 1° Il est inséré, après le premier alinéa de l'article L. 58 du code électoral, un alinéa ainsi rédigé :
« Il sera mis à la disposition des électeurs des bulletins blancs de même format que les bulletins des candidats. Le maire doit recevoir et tenir à la disposition des électeurs ces bulletins blancs, sur cette même table, pendant toute la durée du vote. »
« 2° Le troisième alinéa de l'article L. 65 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les bulletins blancs sont décomptés et proclamés séparément des bulletins nuls dans le résultat du scrutin. »
« 3° Le début du premier alinéa de l'article L. 66 du même code est modifié de la façon suivante :
« Les bulletins ne contenant pas une désignation suffisante... (Le reste sans changement.) »
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. L'amendement que je propose au Sénat d'adopter a pour objet d'assimiler les bulletins blancs à des suffrages exprimés, et non plus à des bulletins nuls.
Je sais que cette mesure est attendue par nombre de nos concitoyens, qui n'admettent pas que leur choix ne soit pas pris en considération, ce qui constitue incontestablement une cause majeure d'abstention.
En effet, de nombreux électeurs qui souhaitent se prononcer de la sorte ne se rendent pas aux urnes, parce qu'ils savent pertinemment que leur vote n'aura pas plus d'incidence qu'une abstention. Pourtant, l'électeur qui se déplace pour déposer un bulletin blanc dans l'urne accomplit son devoir de citoyen, au même titre que celui qui opère un choix parmi les différents candidats : sa démarche est volontaire, consciente et réfléchie.
Pourquoi, dès lors, ne pas prendre en compte ce type de manifestation républicaine ? C'est à dessein que j'emploie cette expression, dans la mesure où la faculté offerte à tout citoyen de voter blanc est inscrite dans la loi.
En effet, le code électoral impose aux communes dont les bureaux de vote sont équipés d'une machine à voter de faire en sorte que cet appareil permette de comptabiliser les votes blancs.
Le libre exercice de la démocratie suppose incontestablement la possibilité, pour un citoyen, de rejeter l'ensemble des candidatures qui lui sont présentées. Or cette possibilité ne peut s'exercer que grâce au vote blanc, et c'est la raison pour laquelle celui-ci doit être pris en considération. Dans le cas contraire, le résultat électoral ne correspond pas à la réalité des suffrages.
J'ajoute, monsieur le ministre, qu'une telle mesure constituerait une arme efficace dans la lutte contre les extrémismes. En effet, de nombreux sondages ont prouvé q'une partie importante des voix accordées aux formations défendant de telles options traduisait une volonté de sanctionner l'ensemble de la classe politique. Le « vote-sanction » n'est pas antidémocratique en soi, mais il ne saurait profiter aux partisans de valeurs qui ne sont pas celles de la République.
Aussi suis-je convaincu qu'un grand nombre d'électeurs qui apportent leur soutien à des formations extrémistes agiraient différemment si, demain, ils pouvaient manifester un vote contestataire efficace, quoique neutre.
Certains d'entre nous ont déjà songé au bien-fondé d'une telle disposition. C'est ainsi que, en 1994, notre collègue Edouard Le Jeune avait déposé une proposition de loi visant aux mêmes fins.
Parce qu'elle est plus juste, parce qu'elle concourra à lutter contre l'ascension des extrémismes et parce qu'elle permettra de tarir partiellement l'abstentionnisme, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cette mesure.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission a estimé que le vote blanc n'avait pas plus de signification que l'abstention, et qu'il s'agissait d'un amendement en quelque sorte hors sujet.
Elle a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Encore une fois, j'aimerais faire plaisir à M. Joly, ne serait-ce que parce qu'il est franc-comtois comme moi et que, par conséquent, il n'est pas fondamentalement mauvais... (Sourires.)
Cependant, je voudrais souligner que le vote blanc ne fait pas du tout partie de la tradition française, de notre tradition républicaine. Vous semblez, monsieur Joly, méconnaître le fait que la prise en compte du vote blanc et le dépôt sur les tables de bulletins blancs ne changeraient rien pour les élections à la représentation proportionnelle.
Par ailleurs, en cas de scrutin majoritaire à deux tours, la disposition que vous proposez compliquerait les choses, et surtout aboutirait à rendre plus difficiles les élections au premier tour. La prise en compte des votes blancs jouerait toujours au détriment du candidat arrivé en tête et pourrait, à la limite, conduire à des impasses juridiques, dans la mesure où le total des bulletins blancs représenterait la majorité absolue des suffrages au premier tour, ou leur majorité relative au second tour. On pourrait donc, dans certains cas, constater la vacance du ou des sièges à pourvoir.
J'en viens à l'élection du Président de la République. Vous avez évoqué la lutte contre M. Le Pen.
Pour lutter efficacement contre M. Le Pen, il faut s'attaquer au chômage, mieux assurer l'emploi, relever les principes de la citoyenneté, rendre confiance dans la République, rendre à chaque Français la fierté de la France comme communauté de citoyens, ...
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... c'est-à-dire comme modèle de nation exemplaire. C'est cela qui fera reculer M. Le Pen, beaucoup plus que la mise à disposition de bulletins blancs dans les bureaux de vote.
M. Le Pen aurait pu bloquer l'élection présidentielle de 1995, en donnant au second tour à son électorat la consigne de voter blanc. Imaginez ce que cela aurait pu signifier. Un candidat aurait pu être élu objectivement par défaut, avec une majorité relative.
Lors d'un référendum, un projet doit être adopté à la majorité des suffrages exprimés. Organiser le vote blanc serait faire en sorte que, dans certains cas, les bulletins blancs pourraient l'emporter sur le oui.
Comptabiliser des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés pourrait aller à l'encontre de la volonté de neutralité que peuvent exprimer certaines personnes qui votent blanc. Les électeurs qui votent blanc ne le font pas tous pour les mêmes raisons. Certains rejettent le système politique. Mais faut-il aller dans ce sens ?
Ne faut-il pas plutôt conduire les électeurs à choisir ? Dans la vie, il faut faire des choix. Il ne s'agit pas de trancher entre les bons et les méchants. On peut le dire entre nous, même si, au fond de soi, chacun s'estime meilleur que l'autre, mais c'est une notion très relative.
Par conséquent, ne perdez pas de vue, monsieur le sénateur, qu'une élection a d'abord pour finalité de désigner des élus, et que cela seul compte en définitive. Ne compliquez donc pas les choses à plaisir, si je puis dire, et ne cherchez pas la formule d'Archimède qui rendrait cette désignation beaucoup plus difficile.
Telle est la position du Gouvernement. Je regrette de devoir indiquer qu'il est plutôt hostile à l'amendement.
M. Christian Bonnet. rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission considère qu'un vote nul par un bulletin barré vaut tout aussi bien le rejet du système.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. La reconnaissance du vote blanc comme expression du suffrage est une proposition très souvent avancée, mais qui pose de nombreux problèmes.
Je rappelle à la Haute Assemblée que le Centre d'information civique a organisé plusieurs colloques et travaux sur cette question, qui n'ont pas abouti parce que les inconvénients de cette disposition sont bien supérieurs aux avantages que l'on pourrait en attendre.
La règle selon laquelle les bulletins blancs ne sont pas comptabilisés parmi les suffrages exprimés est constante dans notre droit électoral.
Il convient tout d'abord d'établir nettement la signification qu'on doit accorder aux bulletins blancs. La personne qui prend soin de confectionner elle-même et à l'avance son bulletin blanc pour l'insérer ensuite dans l'enveloppe électorale manifeste le scrupule d'accomplir exactement son devoir électoral en même temps que le souci de n'avantager aucun des candidats ou aucune des listes en présence. Qu'en serait-il de cette volonté de neutralité si les bulletins blancs étaient comptabilisés parmi les suffrages exprimés ?
Ainsi, pour l'élection présidentielle, l'article 7 de la Constitution prévoit que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Dans le régime actuel, si cette condition n'est pas réalisée au premier tour, elle l'est obligatoirement au second, puisque ne peuvent alors se présenter que « les deux candidats qui, le cas échéant, après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour ». On conçoit aisément que si les bulletins blancs entrent dans le décompte des suffrages exprimés, donc dans le calcul de la majorité absolue, ils joueront automatiquement au premier tour à l'encontre du candidat arrivé en tête, son élection étant ainsi rendue plus difficile. Mais, résultat plus grave, il peut très bien se faire qu'au second tour aucun des candidats n'obtienne la majorité absolue, surtout si les deux adversaires ne sont séparés que par un nombre de voix relativement réduit.
Dans l'état actuel de notre droit électoral, une telle réforme risquerait, dans certains cas, d'aller à l'encontre de la volonté de neutralité manifestée par les électeurs qui auraient déposé un bulletin blanc dans l'urne.
Mon cher collègue, je vais vous faire un aveu. Voilà quelque temps, j'étais partisan de la prise en compte du vote blanc, mais je me suis rendu à l'évidence, j'ai compris la difficulté de cette opération pour aujourd'hui penser que, étant donné la tradition française, la culture française, il y a encore beaucoup de travail avant d'arriver à cette maturité.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 3, M. Joly propose d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« 1° Le I de l'article L. 71 du code électoral est ainsi rédigé :
« I. - Les électeurs absents de leur commune d'inscription le jour du scrutin. »
« 2° Le III de ce même article est abrogé.
« 3° Un décret en Conseil d'Etat déterminera les mesures réglementaires ayant pour vocation de faciliter le vote par procuration. »
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le ministre, j'ai pris connaissance, avec joie, de votre volonté de me faire plaisir : il ne reste plus qu'un amendement pour vous donner l'occasion de le faire... (Sourires.)
En l'occurrence, il s'agit de faciliter le vote par procuration.
Cette mesure constituait un complément fort utile à l'amendement concernant le vote obligatoire que j'ai présenté mais qui n'a, hélas ! pas été adopté. Cet amendement présentant toutefois un caractère autonome, il demeure particulièrement opportun.
Aujourd'hui, nombreux sont les électeurs qui, sachant qu'ils ne pourront pas participer au scrutin, tentent de voter par procuration. J'emploie sciemment le verbe « tenter » car cette démarche s'avère si difficile que nombreux sont ceux qui y renoncent.
En premier lieu, l'électeur doit établir qu'il prend ses vacances ou que des obligations dûment constatées l'empêchent de prendre part au scrutin. S'il est malade, il doit le prouver en présentant un certificat médical justifiant qu'il est dans l'impossibilité matérielle de se rendre au bureau de vote.
Par la suite, il doit se rendre au tribunal, au commissariat ou à la mairie, ce qui implique souvent qu'il doive quitter son lieu de travail pour régler ces formalités.
Monsieur le ministre, lorsque les élections ont lieu pendant les beaux jours, comme ce fut le cas pour l'élection du Président de la République qui s'est tenue pendant le pont du 8 Mai, nombreux sont les électeurs qui, partant en week-end, ne se trouvent pas dans l'un des cas prévus par le décret du 12 février 1976.
En effet, les Français qui rejoignent leur famille ou des amis, ou qui se rendent dans leur maison de campagne pour la fin de semaine ne sont ni en vacances, ni malades, et dès lors toute procuration est impossible à obtenir.
C'est la raison pour laquelle je propose qu'il soit mis fin au système actuel qui paralyse l'exercice du droit de vote et favorise l'abstentionnisme.
Ne pourrait-on pas tout simplement admettre que les électeurs absents de leur commune le jour du scrutin puissent voter par procuration sans être contraints à justifier leur absence ?
La fin d'une procédure décourageante aurait incontestablement pour effet d'augmenter le nombre des votants lors des prochaines élections.
Je ne crois pas qu'il soit raisonnable d'opposer le problème de la fraude à mon amendement. A l'heure actuelle, celui qui cherche à frauder n'a aucune difficulté à fournir une pièce justificative, un contrat de location ou une réservation hôtelière.
Monsieur le ministre, votre projet de loi a pour objet de relever le taux de participation. Mon amendement y concourt. C'est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir l'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commission a examiné l'objet tel qu'il a été rédigé par l'auteur de l'amendement. Il dispose : « Cet amendement peut être considéré comme la conséquence de l'amendement visant à rendre le vote obligatoire. » Il précise ensuite : « Dans l'hypothèse où la Haute Assemblée admettrait le caractère nécessaire du vote obligatoire... ». Le principe du vote obligatoire n'ayant pas été adopté par notre assemblée, la commission considère que cet amendement ouvrirait la porte à tous les abus. Elle ne peut se prononcer, quelque regret qu'elle en ait, en faveur de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je dirai à M. Joly que cet amendement, là encore, contrevient au principe qui est posé par la Constitution et selon lequel un vote doit être égal et secret. Vous percevez bien que la généralisation du vote par procuration serait une atteinte portée à ce secret du vote et il faut donc encadrer strictement cette procédure. Toutefois, je ne tiens pas à argumenter sur ce terrain.
Monsieur le sénateur, bien que je ne vous l'aie pas promis, je vais vous faire plaisir.
D'abord, je veux rendre hommage à votre esprit de système. En effet, vous avez très bien vu que de l'inscription d'office - ici vous avez fait un petit saut, épistémologiquement parlant - on pouvait déduire le vote obligatoire - c'est à cela que vous tenez ; du vote obligatoire, vous avez déduit le vote blanc, et du vote blanc la généralisation du vote par procuration. Tout cela constitue un système parfaitement cohérent, et cette logique en elle-même est satisfaisante pour l'esprit.
Toutefois, tous les autres amendements que vous avez déposés ayant été rejetés, vous devriez pousser votre logique, qui, je le répète, est remarquable, jusqu'au bout et, par conséquent, retirer cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Aux termes de son objet même, cet amendement serait une conséquence d'une disposition précédente portant sur le vote obligatoire. Personnellement, je ne pense pas qu'il soit une conséquence du vote obligatoire.
Cet amendement soulève, certes, une véritable question. Cependant, il ne s'agit pas, monsieur le ministre, de généraliser le vote par procuration. Il faut lutter pour faire en sorte que les procurations soient plus faciles. En effet, pour ceux qui voyagent ou qui vivent à l'étranger et pour certains autres de nos concitoyens, quand une consultation est organisée pendant un long week-end, par exemple, il est extrêmement difficile de voter.
Je peux citer le cas, dans ma famille, d'une personne hospitalisée à laquelle on a dû envoyer des gendarmes en uniforme pour chercher la procuration, bien que j'aie entrepris les démarches huit jours plus tôt. La procédure est extrêmement compliquée. On pourrait alléger le dispositif du vote par procuration et le rendre un peu plus facile.
Je voterai l'amendement de M. Joly afin de donner un signal. Il est en effet trop difficile d'établir les procurations.
Cette disposition permettrait d'augmenter le nombre de votants, de réduire le nombre des abstentionnistes. Il convient de faciliter la procuration quand elle est établie de bonne foi par deux personnes qui, de toute évidence, veulent simplement voter.
Je souhaiterais que cette proposition soit prise en compte afin que nous puissions y réfléchir au cours de la navette.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cette banalisation me paraît ouvrir la voie à toutes les fraudes, à toutes les industries. Vous verrez se répandre dans les campagnes des personnes qui viendront ramasser les procurations. J'ai déjà eu à constater et à déplorer que le vote par procuration soit parfois accordé de manière trop restrictive, mais de là à une généralisation, sûrement pas !
M. Jacques Habert. Ce n'est pas une généralisation !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 7, M. Bonnet, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 2, un article additionnel rédigé comme suit :
« Les dispositions de la présente loi entreront en vigueur à compter du jour où les nationaux des deux sexes seront soumis à l'obligation de recensement en application du code du service national. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de conséquence relatif à la date d'entrée en vigueur du présent projet de loi. Comme je l'ai dit, une heureuse coïncidence veut que, la nuit dernière, l'Assemblée nationale ait fixé une date d'application au 1er janvier 1999, qui devrait faciliter ce report.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ai déjà fait connaître la position du Gouvernement. Donner et retenir ne vaut : le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
Vote sur l'ensemble