SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Perspectives de la coopération intercommunale.
- Discussion d'une question orale avec débat (p.
1
).
MM. Daniel Hoeffel, auteur de la question ; le président, Alphonse Arzel,
Jean-Paul Delevoye, Jean-Claude Peyronnet.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
MM. Robert Pagès, Paul Girod, Joël Bourdin, Jean-Jacques Hyest, Jacques Larché,
Serge Franchis, Francis Grignon.
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat
et de la décentralisation.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
3.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
3
).
4.
Renouvellement de membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger en
Algérie.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p.
4
).
Discussion générale : MM. Charles de Cuttoli, rapporteur de la commission des
lois ; Jacques Godfrain, ministre délégué à la coopération ; Jacques Habert,
Guy Penne.
Clôture de la discussion générale.
Article unique (p. 5 )
MM. le rapporteur, Daniel Millaud, Jacques Habert, Mme Monique ben Guiga, M.
Pierre Biarnès, Mme Paulette Brisepierre, M. Guy Cabanel.
Adoption de la proposition de loi.
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
5. Diverses dispositions relatives à l'immigration. - Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi en deuxième lecture (p. 6 ).
Articles additionnels après l'article 4 bis (suite) (p. 7 )
Amendement n° 96 de M. Allouche. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Paul Masson, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. - Rejet.
Article additionnel avant l'article 6
bis
ou après l'article 8 (p.
8
)
Amendements identiques n°s 44 de M. Pagès et 83 de M. Allouche. - MM. Robert Pagès, Robert Badinter, le rapporteur, le ministre, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean Chérioux. - Rejet des deux amendements.
Demande de réserve (p. 9 )
Demande de réserve de l'amendement n° 45. - MM. le rapporteur, le ministre. - La réserve est ordonnée.
Article 6 bis (p. 10 )
Amendements n°s 97 de la commission, 46 de M. Pagès et 77 de M. Allouche. - MM. le rapporteur, Robert Pagès, Guy Allouche, le ministre. - Adoption de l'amendement n° 97 rédigeant l'article, les amendements n°s 46 et 77 devenant sans objet.
Article additionnel avant l'article 6 bis (p. 11 )
Amendement n° 45 (précédemment réservé) de M. Pagès. - Devenu sans objet.
Articles additionnels avant l'article 6 ter (p. 12 )
Amendements n°s 47 à 49 de M. Pagès. - MM. Robert Pagès, le rapporteur, le ministre, Mme Hélène Luc, M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Rejet des trois amendements.
Article additionnel après l'article 6 ter (p. 13 )
Amendement n° 50 de M. Pagès. - MM. Robert Pagès, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Articles additionnels après l'article 7 (p. 14 )
Amendements n°s 51 de M. Pagès et 78 de M. Allouche. - MM. Robert Pagès, Michel
Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, le ministre, Robert Badinter. - Retrait de
l'amendement n° 51 ; rejet de l'amendement n° 78.
Amendement n° 52 de M. Pagès. - MM. Robert Pagès, le rapporteur, le ministre. -
Rejet.
Article 8 (p. 15 )
M. Robert Badinter.
Amendements identiques n°s 54 de M. Pagès et 79 de M. Guy Allouche ;
amendements n°s 80 à 82 de M. Allouche et 4 rectifié de la commission. - Mme
Hélène Luc, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Robert Badinter, le ministre, le
rapporteur, Emmanuel Hamel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Jacques Larché, président
de la commission des lois. - Rejet des amendements n°s 54, 79, 80 et 82 ;
adoption de l'amendement n° 4 rectifié, l'amendement n° 81 devenant sans
objet.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 9 bis (p. 16 )
Amendement n° 84 de M. Allouche. - MM. MichelDreyfus-Schmidt, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Article 10 (p. 17 )
M. Henri Weber.
Amendements identiques n°s 55 de M. Pagès et 85 de M. Allouche ; amendement n°
86 de M. Allouche. - MM. Robert Pagès, Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur,
le ministre, Guy Allouche, Henri Weber. - Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Articles additionnels après l'article 10 (p. 18 )
Amendements n°s 56 à 58 de M. Pagès. - Mme Hélène Luc, MM. le rapporteur, le
ministre. - Rejet des trois amendements.
Amendement n° 87 de M. Allouche. - MM. MichelDreyfus-Schmidt, le rapporteur, le
ministre. - Rejet.
Vote sur l'ensemble (p. 19 )
MM. Serge Vinçon, Claude Estier, Mme Hélène Luc, MM. Bernard Seillier,
Jean-Jacques Hyest, JacquesBimbenet, Jacques Habert, le ministre.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi.
6.
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
(p.
20
).
7.
Communication de l'adoption définitive d'une proposition d'acte
communautaire
(p.
21
).
8.
Transmission de propositions de loi
(p.
22
).
9.
Ordre du jour
(p.
23
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
PERSPECTIVES DE LA COOPÉRATION
INTERCOMMUNALE
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante
:
M. Daniel Hoeffel interroge M. le ministre de la fonction publique, de la
réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la réflexion engagée par le
Gouvernement notamment sur le régime de la coopération intercommunale. (N°
11.)
La parole est à M. Hoeffel, auteur de la question.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze ans
après l'adoption des lois de décentralisation, nous devons affirmer clairement
que le bilan est positif, que la décentralisation a permis de répondre à
certains défis de notre société et qu'il nous appartient, en conséquence, de
lui donner un élan nouveau.
C'est une mission qui incombe au Sénat, au moment où des voix s'élèvent pour
mettre en cause le principe même de la décentralisation en l'accusant de
beaucoup de défauts et de déviations.
Les jacobins, les nostalgiques, ceux qui ignorent la réalité locale, cherchent
ainsi à nier l'évidence et à mener un combat d'arrière-garde.
L'autorité de l'Etat et sa capacité à assumer efficacement ses compétences
régaliennes impliquent le transfert des compétences non régaliennes aux
collectivités territoriales proches du terrain et des hommes, et donc plus
aptes à les assumer avec efficacité.
C'est ce qui ressort du rapport élaboré, sous la présidence de M. Jean-Paul
Delevoye, par un groupe de travail de la commission des lois, selon une
procédure qu'avait souhaitée le président Jacques Larché.
Le bilan de la décentralisation est positif, en dépit d'un contexte économique
et financier, notamment, plus difficile aujourd'hui qu'il y a quinze ans,
malgré un brouillage des relations financières entre l'Etat et les
collectivités entraînant enchevêtrement des compétences, financements croisés
et non-compensation intégrale des transferts de compétences.
Ces obstacles n'ont pas empêché pour autant les élus locaux de démontrer leur
aptitude à assumer avec succès les responsabilités nouvelles qui leur ont été
accordées, et ce avec un sens de l'intérêt général qu'il convient de souligner
au moment où certains cherchent à instiller le doute à ce sujet, voire à
dénigrer les élus.
Comment ne pas relever l'effort considérable réalisé par les collectivités
dans les équipements publics tant sur le plan quantitatif que sur le plan
qualitatif ? C'est une réponse concrète aux problèmes de l'emploi. Comparez
l'état actuel des collèges et des lycées avec ce qu'il était hier.
Comment ne pas relever l'action considérable menée par les départements dans
le combat contre la fracture sociale et par les départements et les régions
contre la fracture territoriale ? Ce sont leurs moyens et leurs connaissances
des réalités du terrain qui s'avèrent souvent déterminants. A ceux qui ont
tendance à opposer l'Etat vertueux aux collectivités locales dispendieuses,
nous devons répondre que, si nous comparons l'endettement de l'un avec celui
des autres, les collectivités ne méritent pas, loin de là, les accusations
infondées dont elles sont trop souvent l'objet.
Toutefois, si nous avons la conviction que la décentralisation constitue un
progrès, nous ne pouvons pas nier les obstacles qui restent à surmonter, les
lacunes qui doivent être comblées, les critiques dont elle fait l'objet de la
part d'une partie de l'opinion, qui a le sentiment, juste ou faux, que, à cause
d'elle, la fiscalité locale augmente trop vite et que les structures
territoriales deviennent trop complexes. Cela nécessite la recherche de
solutions, à laquelle s'est attelée la commission des lois.
Celle-ci propose un certain nombre de solutions pour clarifier les relations
entre l'Etat et les collectivités locales, pour adapter les moyens financiers,
pour affirmer la spécificité de la fonction publique territoriale et pour
rechercher la complémentarité et l'efficacité entre collectivités
territoriales.
La clarification des relations entre l'Etat et les collectivités locales
implique trois conditions.
Premièrement, elle nécessite la définition d'un pacte de stabilité des
ressources et des charges imposant une compensation intégrale des charges
transférées.
Il n'est pas inutile d'insister sur ce point, alors que certains transferts
rampants nouveaux se profilent à l'horizon.
M. Paul Girod.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Deuxièmement, une impulsion doit être donnée à la déconcentration, en retard
incontestablement sur la décentralisation, dont elle est pourtant
indissociable.
Il faut que les exécutifs des collectivités locales aient en face d'eux des
interlocuteurs non seulement clairement identifiables, mais aussi dotés d'un
pouvoir de décision réel.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Troisièmement, cette clarification implique la mise au point - sujet ô combien
d'actualité - d'un contrôle de légalité et d'un contrôle financier, l'un et
l'autre nécessaires, j'y insiste, mais respectueux de l'esprit dans lequel ils
ont été conçus et assurant aux élus la sécurité juridique que ceux-ci sont en
droit d'attendre dans l'exécution de leur difficile mission.
L'adaptation des moyens financiers fait l'objet d'une double proposition.
Il s'agit d'abord de faire évoluer le système du financement local en vue de
clarifier le cadre de la péréquation financière. Cette péréquation doit tenir
compte des impératifs de l'aménagement du territoire.
M. Jean Huchon.
Eh oui !
M. Daniel Hoeffel.
Ce n'est pas le Sénat qui niera le caractère urgent et indispensable d'une
telle péréquation !
Au-delà des impératifs de l'aménagement du territoire, elle doit tenir compte
aussi de la solidarité entre villes centres et zones rurales environnantes...
(M. Jacques Machet applaudit),
ainsi que, en contrepartie, des charges
de centralité qui pèsent souvent lourdement sur les villes moyennes, les
petites villes et les bourgs centres.
L'adaptation des moyens financiers suppose par ailleurs une réforme de la
fiscalité locale, notamment par le rapprochement, voire l'uniformisation des
taux de la taxe professionnelle au sein d'une agglomération ou d'un secteur.
(MM. Jacques Machet et Jean Huchon applaudissent.)
M. Pierre Fauchon.
Et des recettes !
M. Daniel Hoeffel.
Mon cher collègue, laissez-moi aller jusqu'au terme de mon propos et vous y
retrouverez, je l'espère, la logique qui, en cours de route, peut vous paraître
absente.
(Rires et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
Si nous récusons l'uniformisation des taux au niveau national, si nous
refusons de nous engager dans la spécialisation des taxes par niveau de
collectivité, vue utopique des choses, niant la réalité, nous ne devons pas
pour autant écarter une réflexion sur une certaine péréquation départementale
de la taxe professionnelle, demandée expressément par la loi d'aménagement du
territoire, si mes souvenirs à cet égard sont bien exacts.
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon.
Ils le sont !
M. Daniel Hoeffel.
Il faut aussi, naturellement, que les bases de la taxe professionnelle soient
enfin rénovées, conformément à l'idée qui avait été relancée par la loi de
novembre 1995.
M. Robert Castaing.
C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel.
Une meilleure adaptation de la fonction publique territoriale aux exigences de
la décentralisation suppose, en particulier, d'une part, une prise en compte
des métiers nouveaux et diversifiés qui font de plus en plus leur apparition
dans les collectivités territoriales et, d'autre part, une mobilité enfin
réelle entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique
territoriale.
Le dernier volet concerne le nombre et la complémentarité des niveaux de
collectivité.
Y en a-t-il trop ? Poser la question, c'est déjà s'exposer à certains risques.
Les uns répondent oui, les autres insistent sur la richesse que représente la
densité des élus locaux.
M. Robert Pagès.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
Quelles sont les places respectives de la région et du département, des
grandes agglomérations urbaines et des départements, ou encore des pays ?
Nous préconisons la recherche, dans un premier temps, d'une véritable
complémentarité, grâce à la notion de collectivité chef de file, grâce à
l'appel à compétence ou grâce à la contractualisation, ou encore grâce à
l'expérimentation, à laquelle on hésite trop souvent à recourir dans notre
pays.
Cette complémentarité apparaît comme particulièrement urgente dans le domaine
économique, où l'incohérence des zonages nationaux et communautaires ainsi que
la multiplicité des intervenants économiques directs et indirects rendent
nécessaire, outre la recherche d'une complémentarité, la fixation de règles
prudentielles protégeant les collectivités territoriales contre des risques
financiers excessifs.
(M. Jacques Machet applaudit.)
Mais c'est surtout dans le domaine de l'intercommunalité que nous faisons des
propositions. Sans doute ces propositions ne sont-elles pas révolutionnaires.
Mais le succès des réformes ne dépend-il pas aussi de leur acceptabilité ? Ce
sont des propositions réalistes, pragmatiques et inspirées des expériences
vécues.
Ces propositions, nous les formulons, monsieur le ministre, au moment même où
vous vous apprêtez à saisir le Parlement d'un projet de loi réformant en
particulier l'intercommunalité. Il nous apparaît souhaitable que notre débat
d'aujourd'hui puisse, avant que les projets soient irréversibles, dégager un
maximum de points de convergence. C'est dans cet esprit que nos propositions
sont articulées autour de six aspects de l'intercommunalité.
Nous proposons, premièrement, la simplification des catégories
d'établissements publics de coopération intercommunale. Celles-ci sont
actuellement au nombre d'une dizaine, créées par strates successives en
fonction de besoins et de mentalités évolutifs.
Nous proposons que communautés de communes, communautés de villes et districts
fusionnent...
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
... et que les villes nouvelles se fondent, progressivement, dans le droit
commun.
La logique de gestion sur laquelle sont fondées certaines structures et la
logique de projet qui en inspire d'autres seraient ainsi préservées.
Deuxièmement, est-il, oui ou non, possible d'unifier les règles applicables
aux différentes catégories intercommunales ? Nous le pensons, en appelant à la
définition d'un tronc commun de règles sur lequel viendraient se greffer les
aspects spécifiques des différentes catégories d'établissements. Le code des
collectivités territoriales est une étape qui va dans ce sens. Cela devrait
faciliter une évolution des compétences et des structures à l'intérieur d'un
même établissement public en tenant compte du caractère évolutif des
besoins.
Troisièmement est-ce le volontariat ou la contrainte qui stimuleront le mieux,
le plus efficacement, le développement intercommunal ? Nous répondons très
nettement que c'est le volontariat, assorti de l'application des règles déjà
existantes de majorité qualifiée.
Le succès qu'ont connu depuis quatre ans les communautés de communes et le
fait que nous en soyons actuellement à environ 1 200 structures à fiscalité
intégrée sont le gage de la capacité du volontariat à permettre d'aller de
l'avant sur le plan de la coopération intercommunale.
Quatrièmement, faut-il que les délégués intercommunaux soient désignés, comme
c'est le cas à l'heure actuelle, par les conseils municipaux ou qu'ils soient
élus au suffrage universel direct ?
Sur cette question, les avis peuvent être partagés, mais notre groupe de
travail s'est prononcé clairement en faveur de la première branche de
l'alternative, car elle écarte les inévitables rivalités qui ne manqueront pas
de surgir entre deux catégories d'élus au suffrage universel direct. Encore
faut-il que, désormais, tous les délégués intercommunaux se recrutent au sein
des conseils municipaux et que l'information sur les activités des structures
intercommunales pénètre mieux et dans les conseils municipaux et dans la
population.
M. Dominique Braye.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
C'est un élément fondamental si nous voulons que l'intercommunalité soit
comprise et portée par la population.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
Cinquièmement, le dispositif financier stimulant l'intercommunalité de projet,
qui s'est avéré efficace, en particulier grâce à la réforme de la dotation
globale de fonctionnement de décembre 1993, doit connaître certains
infléchissements.
Plutôt que de corriger le calcul du coefficient d'intégration fiscale en
excluant contingents et autres transferts, il paraît logique de prendre en
compte, dans l'avenir, les ressources effectivement affectées à l'exercice de
leurs compétences réelles par les groupements de communes.
Sixièmement, enfin, s'agissant du régime fiscal, nous constatons, surtout en
une période où les projets de création d'entreprise sont rares, que les
concurrences entre communes d'une même agglomération ou d'un même secteur sont
vives et éprouvantes pour les finances des communes. Nous préconisons en
conséquence - et cela paraît relever de l'évidence - une unification ou au
moins un rapprochement sérieux des taux de taxe professionnelle à l'intérieur
de ces secteurs de coopération.
M. Jacques Machet.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
Cela assurera incontestablement une meilleure cohérence de l'action et une
meilleure cohésion au sein des secteurs intercommunaux.
Telles sont, mes chers collègues, les orientations essentielles que nous
préconisons pour donner une nouvelle impulsion à l'intercommunalité, une
intercommunalité dont dépendent en partie et le succès de la politique de
décentralisation et celui de la politique d'aménagement du territoire, car
l'intercommunalité est un vecteur essentiel de l'une comme de l'autre.
Dans l'une comme dans l'autre, il faut une volonté forte de l'Etat, mais il
faut qu'à la base cette volonté soit relayée par une capacité de nos
collectivités locales, infiniment plus nombreuses, vous le savez, que partout
ailleurs en Europe,...
M. Robert Pagès.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
... à unir leurs efforts, à mettre en commun leurs moyens, à définir et à
concrétiser ensemble leurs projets. Alors, leur multitude ne sera pas un
handicap ; alors, l'exception française, sur ce plan-là aussi, ne sera pas un
obstacle au progrès.
Puissions-nous, à travers ces propositions, contribuer à conforter, à
développer, à relancer, voire à élargir une décentralisation si nécessaire à la
France si elle veut tenir efficacement toute sa place en Europe !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Monsieur Hoeffel, bien que ce soit inhabituel de la part du président - mais
il s'agit d'un débat qui n'est ni polémique ni politique - je voudrais vous
remercier de votre exposé pertinent et clair.
Je crois qu'il traduit à peu près la pensée de chacun d'entre nous ici, et
j'ai beaucoup apprécié tout ce que vous avez dit.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées RDSE.)
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation de la discussion
décidée par la conférence des présidents, en application du deuxième alinéa du
1 de l'article 82 du règlement, les temps de parole dont disposent les groupes
sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
La parole est à M. Arzel.
M. Alphonse Arzel.
Mes chers collègues, il faut se féliciter de l'organisation d'un tel débat,
auquel l'excellent travail réalisé par la commission des lois et son
rapporteur, mon collègue et ami Daniel Hoeffel, apporte un éclairage
particulièrement intéressant, et remercier le Gouvernement, qui associe
étroitement le Sénat à la réflexion en cours dans la perspective d'un prochain
projet de loi sur l'intercommunalité.
Au-delà des clivages politiques ou géographiques, chacun de nous reconnaît, je
le crois, le caractère pertinent et prioritaire de la coopération
intercommunale. C'est particulièrement vrai pour notre monde rural, dont j'ai
l'honneur d'être l'un des élus.
Comme le note très justement Daniel Hoeffel dans son rapport, le régime de
coopération intercommunale doit être adapté et simplifié afin de trouver toute
son efficacité. Il convient, notamment, de limiter l'augmentation de la
fiscalité, alourdie par le double effet de la superposition des niveaux de
décision et de la crise économique et sociale.
S'agissant des règles de fonctionnement, je note avec satisfaction l'accord du
Gouvernement et de la commission des lois du Sénat sur le maintien de la
désignation des membres des établissements de coopération par les conseils
municipaux. Une élection directe risquerait en effet de remettre en cause les
équilibres difficilement acquis au cours des dernières années et d'être à
l'origine de conflits inutiles et contraires à notre souci d'efficacité.
L'intercommunalité doit être centrée sur des projets ou la gestion des
services. Il ne s'agit donc pas de créer un autre type de collectivité
autonome, responsable à ce titre directement devant les électeurs.
Il est une autre règle à laquelle il est bon, selon moi, de rester attaché,
celle du vote à la majorité qualifiée pour les décisions les plus importantes.
C'est une garantie essentielle de la bonne marche et de la cohésion de la
structure intercommunale, car, contrairement à l'unanimité, la majorité
qualifiée évite le blocage du système par une seule commune membre qui serait
défavorable à tel ou tel projet, tout en permettant le respect des droits de la
minorité.
Un point néanmoins mériterait, monsieur le ministre, un examen approfondi ; je
veux parler de la désignation des représentants des communes de plus de 3 500
habitants.
Au sein de ces communes, l'opposition est représentée à la proportionnelle
corrigée, ce dont je me félicite personnellement. Or il est dommage que cette
règle ne s'applique pas de façon obligatoire lors de la désignation des
représentants dans le cadre des instances des groupements.
Il serait vraiment paradoxal et contraire aux principes démocratiques que les
minorités des conseils puissent continuer à être exclues de structures appelées
à se développer et à gérer des secteurs de plus en plus larges.
Je souhaiterais à présent vous interroger, monsieur le ministre, sur un
problème relatif à l'exercice direct des compétences des établissements de
coopération intercommunale.
Les communautés sont appelées à effectuer des travaux de voirie, qu'il
s'agisse de grosses réparations ou de l'entretien, au lieu et place des
communes membres. Or se pose un problème juridique, celui de la propriété des
routes, qui restent, en principe, dans le patrimoine des communes.
La loi de finances de 1997 permet désormais la récupération de la TVA par la
communauté de communes, même si elle n'est pas propriétaire de la voirie.
L'initiateur de cette mesure, notre rapporteur général, Alain Lambert, doit en
être remercié, ainsi que le Gouvernement, qui a bien voulu l'accepter.
Cependant, le non-transfert de propriété dans un tel cas de délégation de
compétence n'est-il pas susceptible de susciter d'autres difficultés dans
l'avenir ?
J'aborderai enfin la délicate question du financement des groupements.
Permettez-moi en effet, monsieur le ministre, de m'interroger sur les
conséquences financières de l'intégration fiscale pour les communes, en
particulier pour les petites communes rurales.
Je partage absolument l'analyse de notre collègue Daniel Hoeffel : la part de
la dotation globale de fonctionnement versée aux structures intercommunales
vient en déduction, notamment, de la dotation de solidarité rurale.
M. Robert Pagès.
Eh oui, c'est exact !
M. Alphonse Arzel.
Le fait d'encourager l'évolution des formes d'intercommunalité par une
majoration de la DGF est une bonne chose, mais cela comporte incontestablement
des effets pervers. Je sais, monsieur le ministre, que vous envisagez de
corriger le mode de calcul du coefficient d'intégration fiscale, dont les
critères ne sont pas toujours équitables. Mais quelles sont précisément vos
intentions à cet égard ?
Je conclurai en disant que la taxe professionnelle doit être repartie
équitablement entre communes et groupements - je partage, là aussi, l'opinion
de M. le rapporteur. Il ne peut en aucun cas être question d'accepter une forme
de « hold-up » fiscal au détriment de communes qui ont souvent accompli un
effort méritoire d'aménagement en vue de l'installation de nouvelles
entreprises.
Telles sont les principales remarques que je souhaitais formuler sur ce très
important dossier de l'intercommunalité, dont le Sénat aura à connaître à
nouveau très prochainement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye.
Monsieur le président du Sénat, permettez-moi d'abord de dire, bien que ce ne
soit pas la coutume, qu'aborder le problème de la décentralisation sous votre
autorité est hautement symbolique, car chacun sait le combat que vous menez
pour la juste articulation entre pouvoir local et pouvoir national.
Permettez-moi ensuite de féliciter, au nom de l'ensemble des membres de la
commission des lois, M. Daniel Hoeffel. Il a accompli un excellent travail et
rapporté de façon tout à fait exemplaire les conclusions du groupe de travail,
en ouvrant nombre de pistes.
Je remercie aussi M. le ministre de l'attention bienveillante qu'il porte à
nos préoccupations. Chacun a pu mesurer, depuis quelque temps, des évolutions
sensibles au profit des collectivités territoriales, qu'il s'agisse de
problèmes de responsabilité pénale ou de l'assouplissement de certaines règles
pour faciliter le travail des exécutifs locaux.
Comme nous y invite M. le rapporteur, il convient aujourd'hui de réfléchir aux
quelques chantiers nouveaux qu'il serait intéressant d'ouvrir. La réflexion est
d'ailleurs éclairée par les travaux menés par le comité des finances locales,
sous la présidence de Jean-Pierre Fourcade, par l'observatoire des finances
locales et son président, Joël Bourdin, et par Paul Girod, qui a su, dans un
rapport très pertinent, mettre en évidence les déséquilibres dus à ce qu'il
appelle les « charges rampantes ».
Il convient aussi d'examiner ce qui se passe à l'étranger.
En outre, tentons d'engager le débat non pas sur les structures mais sur les
objectifs et préoccupons-nous des causes et non pas des effets.
Mais, avant d'aller plus avant dans mon propos, monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux parler de ce que je pourrais
presque qualifier de « colère » des membres de la commission des lois, colère
née de l'injuste procès que le président de la commission des lois de
l'Assemblée nationale a fait à la décentralisation : en multipliant le nombre
des acteurs locaux, celle-ci aurait, selon lui, multiplié la corruption ! Que
n'a-t-il plutôt parlé de la spéculation immobilière et de ses conséquences, des
délits d'initiés et des dérapages des organismes
a priori
les mieux
placés pour nous donner des leçons de gestion - je veux parler des institutions
bancaires !
M. Guy Fischer.
Deux cents milliards de francs !
M. Jean-Paul Delevoye.
Mettre en évidence les quelques dysfonctionnements - il y en a eu - de
quelques acteurs locaux, c'est faire un procès injuste, qui alimente ce contre
quoi celui qui l'a engagé semble pourtant vouloir mener le combat. A une
analyse objective qui permettrait à chacun de débattre selon ses convictions,
on préfère une émotion proche de la solution facile, de la démagogie, ce qui
fausse totalement le débat !
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Il n'est qu'à se tourner vers les pays voisins du nôtre où des transferts de
pouvoirs excessifs viennent alimenter les égoïsmes régionaux. Voyez l'Italie,
où les régions les plus riches ne veulent plus payer pour les plus pauvres !
C'est vrai de l'Italie, c'est vrai également de la Flandre et de certaines
provinces espagnoles ou de certaines régions britanniques.
Or, au moment où nous bâtissons l'Europe, qui doit être l'addition des
talents, des différences culturelles et des différences économiques, il
convient de veiller à ce que la montée de certains égoïsmes et l'aggravation de
nos divisions internes ne mettent pas à mal une construction dont le rôle est
essentiel pour l'équilibre du monde.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye.
Sachons donc éviter l'écueil de l'excès de décentralisation par goût du
pouvoir et sa remise en cause, la question essentielle étant de savoir si la
décentralisation, l'articulation des pouvoirs entre l'Etat et les
collectivités, permettra de réduire ou, au contraire, aggravera la fracture
sociale, la fracture territoriale et la fracture civique. Réduire ces fractures
est, en effet, notre triple objectif.
Nous devons aussi satisfaire à un certain nombre d'exigences, soulignées par
M. le rapporteur, relatives à la transparence et à l'efficacité de l'action
publique ainsi qu'à l'utilisation de l'impôt, à l'heure où les contribuables
commencent à trouver la facture un peu lourde.
Il est clair aussi, monsieur le ministre, que nous ne devons pas céder à la
tentation de l'autoflagellation. Livrons sur ce débat le même regard que celui
que porte sur nous la communauté internationale et dont je fus témoin à
Istanbul, lors du sommet mondial des villes organisé sous l'égide de l'ONU.
La communauté internationale a en effet manifesté son intérêt pour trois
aspects de l'organisation française : l'articulation entre pouvoir de l'Etat et
pouvoir local - déconcentration ou décentralisation - la participation des
citoyens à la démocratie locale, l'articulation entre le privé et le public.
Je crois que nul ne peut ignorer l'extraordinaire efficacité de la relation
qui existe en France entre l'Etat et les collectivités territoriales, et,
monsieur Hoeffel, quand vous souhaitez un peu plus de pouvoir local, vous allez
dans le sens de l'histoire.
Parlant d'histoire, faisons quelques analyses prospectives.
Incontestablement, on assiste dans le monde entier à la montée des pouvoirs
locaux. Incontestablement, tous les Etats connaissent aujourd'hui des problèmes
de gouvernance.
Que, parmi les cent premières entités mondiales sur le plan économique,
figurent cinquante entreprises, ne peut que soulever le problème du poids
politique par rapport au pouvoir financier et de l'intérêt du politique, qui
privilégie le moyen terme et l'intérêt social, par rapport aux intérêts des
multinationales, qui favorisent, elles, le court terme et l'actionnaire.
La mondialisation va renforcer le local, l'uniformité des cultures va
renforcer le terroir.
Aujourd'hui se pose le problème de l'efficience de l'action publique, du poids
du politique par rapport au pouvoir financier et du niveau de la dépense
publique.
Nul n'ignore que nous sommes aussi entrés dans ce que j'ai appelé « la
dynamique de territoire » ; c'est un peu comme les plaques tectoniques : on
voit bien s'avancer la notion de spécificité des territoires avec une
répartition sur le plan international, mais aussi sur le plan national, avec
certains zonages dus à des spécificités environnementales. Mais on bloque
toutes les capacités de recettes tout en imposant un certain nombre de
contraintes, les spécificités résidentielles entraînant elles aussi un certain
nombre de charges malgré une absence de recettes.
Par ailleurs, on constate certaines potentialités de développement économique
avec une concentration des richesses et un éloignement des charges : on voit
bien, avec ce que j'ai appelé le phénomène de l'évasion de la réussite à la
périphérie des villes et de la localisation des misères, que se posent des
problèmes de centralité. La localisation de la ressource et la localisation de
la charge constituent une question de fond sur laquelle il faut que nous
réfléchissions.
Faut-il harmoniser, jusqu'à l'identique, le développement des territoires, ou
au contraire aller jusqu'au bout de la potentialité de chacun d'entre eux,
jouer la complémentarité et se poser la question de la péréquation ?
Quel est, à cet égard, le rôle de l'Etat, mais aussi celui des élus locaux ?
Quand ces derniers veulent garder leurs richesses pour eux-mêmes, quand ils
cultivent l'égoïsme communal en pratiquant le discours de la solidarité, il
sont en incohérence avec eux-mêmes ! C'est vrai de la répartition des frais
scolaires, par exemple ; c'est vrai des problèmes de solidarité et de
centralité ; ce sera vrai demain des schémas départementaux qui concerneront
soit le logement, soit des ordures ménagères, soit la taxe professionnelle, et
bien d'autres domaines.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Il convient que nous soyons cohérents avec nous-mêmes.
Une troisième caractéristique que nous constatons est l'évidente hétérogénéité
des problèmes et des régions.
Sous l'angle de la gouvernance, l'Etat, qui ne peut plus apporter de réponse
uniforme et identique à des situations hétérogènes, doit opter pour
l'accompagnement des politiques locales par une politique de
déconcentration.
A cet égard, je tiens ici à vous remercier, monsieur le ministre, et à
remercier le Gouvernement de ce qui n'est peut-être pas suffisamment appréhendé
comme une révolution : je pense à la déconcentration des crédits à l'emploi non
affectés aujourd'hui, qui est propice à l'accompagnement des initiatives
locales. Ce premier pas tout à fait extraordinaire qui est actuellement franchi
favorise une excellente articulation entre le pouvoir local et le pouvoir
national, et je sais bien, monsieur le président Monory, à quel point vous avez
pesé dans ce débat.
Il est clair qu'aujourd'hui la responsabilité est du côté des acteurs locaux.
Il convient de prouver que tous les discours que nous tenons sur cette capacité
d'initiative locale sont désormais à la hauteur du pari qui est fait,
probablement contre l'avis d'un certain nombre de gestionnaires.
Il est clair aussi que nous sommes dans une période de totale mutation. Nous
ne connaissons pas 50 % des futurs métiers, pas plus que des futurs produits.
L'ingénierie financière, l'ingénierie sociale, l'ingénierie technologique
menacent de nous placer maintenant en contradiction avec le contrôle
a
posteriori
, avec la gestion du « zéro risque » et du « zéro défaut », au
moment où il faut, au contraire, réhabiliter le risque à l'échec, le risque à
l'erreur, le risque à l'imagination, bref, la prime à l'innovation.
Monsieur le ministre, il faut que nous ouvrions le chantier de
l'expérimentation et que nous réfléchissions, y compris sur le plan
constitutionnel, au statut de l'expérimentation, qui permet de jouer
l'émulation des territoires et de tenir compte de leur richesse réelle, qui
est, aujourd'hui, celle des hommes et des femmes qui y vivent.
Ce sera vrai en matière de logement, en matière d'éducation, en matière
d'économie, en matière d'emploi. Il est évident qu'aujourd'hui les initiatives
locales sont la richesse de ce pays.
Lorsque l'on observe les études américaines portant sur vingt-cinq ans, on
s'aperçoit que la différence de développement des territoires est liée non pas
au capital et au travail, mais essentiellement à la différence de culture, à la
différence de comportement, à la différence de caractère des hommes. C'est
vrai, notamment, pour un certain nombre de pays pour lesquels on dispose de
comparaisons : avec les mêmes conditions climatologiques, avec les mêmes
caractéristiques agronomiques et les mêmes cultures, certains nourrissent 35
habitants au kilomètre carré quand, sur un autre continent, d'autres en
nourrissent 350. Nous avons là un chantier extraordinaire à ouvrir.
Mais nous avons aussi le chantier de la clarification : clarification des
compétences, clarification des outils.
J'entendais notre collègue M. Arzel nous dire son inquiétude lorsqu'il
constatait que nous finançons plusieurs politiques sur le même outil financier.
C'est vrai notamment pour la dotation globale de fonctionnement, la DGF, qui
finance la solidarité urbaine, la solidarité rurale, l'intercommunalité et le
fonctionnement des communes.
Vous avez raison, monsieur le ministre, d'avoir ouvert le chantier de ce qu'on
appelle la fausse intercommunalité, l'Etat payant simplement la facture de
compétences qui ont été transférées sur le dos de l'intercommunalité. Cela
n'est pas raisonnable, je dirai même que cela n'est pas moralement acceptable.
C'est d'ailleurs une tricherie : on ne peut pas vouloir en permanence faire le
procès de l'Etat et se servir de certaines astuces. Le vice ne peut pas
aujourd'hui être récompensé plus que la vertu !
Un certain nombre de problèmes de fond se posent. Si l'on s'en tient aux
principes de la loi Defferre, avec un contrôle
a posteriori
manifestant
la confiance de l'Etat, nous comprenons qu'il faut ouvrir le chantier dans un
souci non pas de suspicion, mais de clarification.
Ainsi le contrôle de légalité a-t-il été considéré par beaucoup d'élus qui ont
fait la confusion comme une sécurité juridique alors qu'il n'en est pas une. A
l'évidence, quelques années plus tard, il convient de faire en sorte que le
choix et l'opportunité ne soient pas de la compétence des chambres régionales
des comptes. Il faut clarifier la limite entre le choix de gestion et le
contrôle obligatoire nécessaire, peut-être même y compris, pourquoi ne pas le
dire, par le renforcement de la bonne utilisation de l'argent public.
Il est vrai, à cet égard, que l'exemple du jugement relatif au pont de
Normandie mérite réflexion.
Il convient de ne faire ni le procès des chambres régionales des comptes ni
celui des élus. Simplement, quand un problème existe, nous devons le mettre à
l'ordre du jour. Le contentieux juridictionnel ne peut pas remplacer le débat
juridique, la jurisprudence ne peut pas remplacer la loi !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Monsieur le ministre, il convient aussi que nous réfléchissions au pacte de
stabilité.
C'est vrai, on pouvait considérer que la logique de l'Etat était en opposition
avec celle des collectivités territoriales. Mais il est vrai aussi que les
compensations financières et les dégrèvements sont aujourd'hui en train
d'asphyxier l'Etat.
Nul ne peut ignorer la nécessaire maîtrise des dépenses publiques. Mais il
faut garder raison, je partage sur ce point l'analyse de M. Hoeffel lorsqu'il
dit que, tous les ans, à l'amorce de l'examen de la loi de finances, on voit
paraître des articles sur l'augmentation de la fiscalité locale, sur le
caractère extrêmement vertueux et courageux de l'Etat... et sur la faiblesse
des élus locaux.
M. Guy Fischer.
C'est inadmissible !
M. Jean-Paul Delevoye.
Il convient donc de garder raison et de faire un bilan très objectif.
De 1982 à 1997, l'endettement des collectivités territoriales est resté bloqué
entre 8 % et 9 % du PIB...
M. Jacques Machet.
Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye.
... quand celui de l'Etat a complètement explosé,...
M. Jacques Machet.
Voilà !
M. Jean-Paul Delevoye.
... passant de 5 % à plus de 50 % du PIB, ce qui fait qu'aujourd'hui l'Etat
lève l'impôt pour rembourser sa dette quand les collectivités territoriales
lèvent l'impôt pour augmenter l'enrichissement de la collectivité nationale par
une participation non négligeable à l'investissement public local, qui, lui,
est resté en légère diminution quand celui de l'Etat a complètement chuté.
Je sais - je le dis d'autant plus que ce n'est pas de votre fait, monsieur le
ministre - que vous subissez cette situation ; mais il convient, là aussi, d'en
dresser le bilan.
Il convient aussi de faire en sorte que la décentralisation ne soit pas la
gestion par les collectivités territoriales des insuffisances des pouvoirs
nationaux. C'est vrai dans un certain nombre de pays, c'est vrai aussi dans le
nôtre. Quand un objectif politique comme les 80 % de jeunes d'une classe d'âge
au niveau du baccalauréat a fait exploser les dépenses des départements pour
les collèges et celles des régions pour les lycées et que l'Etat, en bout de
course, se retrouve dans l'incapacité de faire face aux dépenses des
universités, ce dernier n'hésite pas à remettre en cause les principes de la
loi de 1982 pour demander aux collectivités territoriales de couvrir des champs
de compétence qui ne sont pas les leurs.
On ne peut pas tendre la main aux collectivités territoriales puis leur faire
le procès, quelques années après, de l'augmentation de la fiscalité locale.
C'est vrai pour le plan « Université 2000 », c'est vrai aussi pour le RMI.
Aujourd'hui, le problème de fond est le suivant : comment parvenir, grâce à
une bonne articulation entre l'Etat et les collectivités territoriales, à
maîtriser les prélèvements obligatoires tout en ayant une action publique le
plus efficace possible ?
Qui paie quoi ? Qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ? La maîtrise de
la fiscalité locale doit-elle revenir à ceux qui gèrent cette politique ?
Peut-on avoir un vrai débat sur la localisation de la ressource et la
localisation de la charge ?
L'évolution des nouvelles compétences, notamment sur le plan social - je pense
au chômage, par exemple - entraîne un phénomène de ciseau et rend difficile à
traiter la question de la solidarité nationale : aujourd'hui, nous risquons de
voir les collectivités locales les plus pauvres faire face aux dépenses
sociales les plus élevées. C'est une véritable question !
Le débat porte aussi sur le fait de savoir si l'on peut transférer une
politique globale avec les outils économiques qui l'accompagnent. C'est tout le
problème du cycle économique de certains impôts : qu'en est-il des droits de
mutation par rapport au marché de l'immobilier, de la pérennité d'un certain
nombre de charges et de politiques locales ?
Nous avons là de vrais débats à ouvrir sur la taxe professionnelle, sur la
cotisation minimale de taxe professionnelle, sur les niches fiscales de la taxe
professionnelle, sur la taxe professionnelle de France Télécom ou encore sur
l'asphyxie des villes par les dotations forfaitaires. Nous avons là à ouvrir,
monsieur le ministre, un autre chantier, dans la prolongation du rapport
Delafosse.
Il y a aussi le problème de l'adaptabilité des règles. A partir du moment où
l'on a fixé un certain nombre de règles applicables à toutes les collectivités
territoriales, si celles-ci subissent des évolutions structurelles différentes,
on risque de rencontrer des phénomènes tout à fait curieux. Ainsi, lorsqu'on
asseoit la dotation globale de fonctionnement sur l'évolution de la population
et qu'on la bloque, un certain nombre de départements très jeunes - je pense à
certains départements d'outre-mer, et même à certains départements de métropole
- sont pénalisés par leur jeunesse, car ils voient leurs recettes stagner et
leurs charges augmenter.
A contrario,
cela pèse aussi sur un certain nombre de départements qui
connaissent un accroissement important de leur population âgée, ce qui entraîne
un surcroît de dépenses lié à l'utilisation de techniques nouvelles telles que
la prestation spécifique dépendance.
Il s'agit là aussi, me semble-t-il, d'un débat tout à fait intéressant à
ouvrir.
Le chantier de l'expérimentation concerne aussi l'adéquation de l'offre
administrative à la demande locale, et, sur le plan de la subsidiarité, il faut
absolument, monsieur le ministre, que nous évoquions cette sorte de terrorisme
des normes qui fait que, aujourd'hui, au nom de la liberté de gestion des
collectivités territoriales, l'avalanche des normes européennes et nationales
nous impose de consacrer 30 %, 40 % ou 50 % de nos budgets d'investissement au
respect d'un certain nombre de normes. Il faut probablement créer aujourd'hui
un haut commissaire à la réforme de la norme afin de bien mesurer les
conséquences, pour les budgets des collectivités territoriales, de
l'application de ces normes, sans d'ailleurs vouloir les remettre en cause
lorsqu'elles tendent à améliorer la sécurité de certains services publics, en
réponse à l'attente de nos concitoyens.
Vous le constatez, monsieur le ministre, un certain nombre de chantiers sont à
ouvrir sur les compensations financières, sur les relations entre l'Etat et les
collectivités territoriales et sur les phénomènes de structure tels que les a
évoqués M. Hoeffel. Je pense que, effectivement, les principes de
simplification, de clarification et de partenariat efficace entre l'Etat et les
collectivités territoriales auront probablement pour effet, par une meilleure
efficacité de l'action publique, de réduire la fracture sociale par
l'accompagnement des initiatives locales en rapprochant le citoyen du lieu
d'application de la politique et en le responsabilisant, mais aussi de réduire
la fracture civique et d'apporter, par une réflexion sur une meilleure
utilisation de la potentialité de développement, une réponse à la fracture
territoriale, afin que, au nom de la décentralisation et de la nécessaire
déconcentration, on puisse continuer à parler de l'exception française.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans
l'exposé des motifs de la grande loi fondatrice de la décentralisation, M.
Gaston Defferre déclarait ceci : « C'est un acte de confiance dans les
Français, dans leur capacité à se gérer eux-mêmes ».
L'ambition était grande. Les critiques furent violentes, puis s'estompèrent
avec le temps pour faire place au dithyrambe généralisé ou presque, tant et si
bien que la critique systématique d'un éminent membre de la majorité de
l'Assemblée nationale, à qui il a été fait allusion, chargeant la
décentralisation de tous les maux - notamment du péché de corruption, ce qui,
je vous l'accorde, est d'une rare absurdité - apparaît comme incongrue.
Permettez-moi de me féliciter du débat qui nous réunit aujourd'hui et d'y
voir, puisque je n'en ai pas absolument compris les raisons, l'hommage modeste
que rend l'ensemble du Sénat à Gaston Defferre, père très volontaire de la
décentralisation.
Après tout, quinze ans presque exactement après la promulgation de la loi du 2
mars 1982, il n'est pas inutile de faire un bilan, et je remarque que, à part
le colloque récent de Marseille, il est peu d'hommages officiels qui lui soient
rendus, ce qui me semble bien injuste.
Les Français, et singulièrement leurs élus, ont-ils été dignes de la confiance
que Gaston Defferre et le législateur de l'époque ont placée en eux ? Telle
pourrait être la question, à laquelle je ne prétends cependant pas répondre
dans les quelques minutes qui me sont imparties.
C'est donc une question orale sur l'intercommunalité qui est le prétexte à ce
débat issu d'une motion de la commission des lois. Je dis le « prétexte », car
cette motion, comme votre question, monsieur le rapporteur du groupe de
travail, élargit le débat à l'ensemble de la question de la décentralisation,
et c'est bien ainsi.
Mais, du coup, je me sens autorisé à vous reprocher, modestement, quelques
insuffisances du texte, peut-être le terme étant d'ailleurs probablement un peu
inadapté.
C'est un texte sage, je veux dire lisse, sans aspérité, auquel on ne peut
opposer qu'une critique modérée. Il reflète, c'est vrai, la teneur du rapport,
lui-même assez peu innovant au fond, ce qui peut s'expliquer - je me pose la
question devant vous - par la qualité des personnes, auditionnées, toutes
praticiens établis, peu portés aux discours iconoclastes, d'autant que beaucoup
étaient porte-parole de groupes de pression très oecuméniques.
Peut-être aurait-il été utile - je le suggère pour la suite - d'auditionner
d'autres personnalités : des syndicalistes, des représentants associatifs ou
des universitaires.
Quoi qu'il en soit, ce texte, qui n'est pas insipide et qui contient des
suggestions auxquelles j'adhère - et d'autres auxquelles j'adhère moins -
m'amène à poser la question de la façon suivante.
Ou bien l'on considère, ce qui est sûrement votre cas, que l'essentiel de la
décentralisation est accompli et qu'en particulier l'architecture des pouvoirs
de la République est définitivement établie : on peut alors se contenter de ce
discours purement conservateur de l'oeuvre initiale et qui se borne à proposer
des améliorations à la marge, et, dans cette perspective, votre texte est un
bon texte.
Ou bien, à l'opposé, on pense que cette architecture n'est pas bonne, ou n'est
plus bonne, et c'est ce que pensent, disons, pour faire court, les
régionalistes, dont je ne suis pas : il faudrait alors faire des propositions
de bouleversement, éventuellement de bouleversement rapide de cette
organisation.
Mais ce sont là des positions extrêmes.
Entre les deux, je pense qu'il peut y avoir une position médiane, qui
considère les institutions dans leur dynamique vitale, qui croie à leur
évolution, qui constate l'état présent, analyse les mouvements en cours et
pronostique des évolutions possibles ou probables, en l'occurrence peut-être
des bouleversements quasi naturels et à terme, voire à long terme.
Cette attitude suppose que notre rôle est au moins de les évoquer pour, selon
nos convictions et nos capacités politiques d'action, les faciliter en les
anticipant ou, au contraire, les contrecarrer ; en tous les cas, il faut
essayer de les comprendre.
A cet effet, il n'est pas illégitime, c'est vrai, d'aborder la question par le
biais de l'intercommunalité, qui résulte de l'exception française dans ce
domaine, laquelle est la conséquence d'une double originalité : la faiblesse
des régions et le nombre élevé des communes.
Car c'est une indigence de l'analyse que de porter au passif de la France le
fait d'avoir prétendument un échelon administratif de trop. Que l'on se tourne
vers les autres pays européens - Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne... - et
l'on verra que les mêmes niveaux se retrouvent partout et que, en Italie, c'est
au nombre près, à part les communes, bien sûr ; mais il y a quatre-vingt-quinze
provinces - on dirait « les départements » - et vingt régions, presque le même
nombre qu'en France.
Pour ma part, j'approuve tout à fait votre affirmation du rôle essentiel du
département dans la mise en oeuvre des solidarités sociales et territoriales.
Ce n'est pas original en Europe, car, qu'il s'appelle kreis, province, district
ou département, partout a été ressentie la nécessité de disposer d'un échelon
administratif intermédiaire proche des citoyens et qui, très souvent, seul ou
en compétence partagée, s'occupe d'aide sociale, de voirie, de sécurité civile,
d'éducation et d'aménagement.
Donc, première exception française : la faiblesse des régions. Pierre Mauroy,
qui, je le rappelle, était le Premier ministre de l'époque de la
décentralisation - mais chacun le sait ! - le constatait dans une interview
récente au
Provençal
: « Les régions n'ont pas répondu à l'espérance que
leur création avait fait naître ».
Cela tient à notre histoire, et tout le monde a bien à l'esprit cette lente
agrégation monarchique des provinces françaises autour de l'Ile-de-France et de
Paris capitale, confortée par le rationalisme de la Révolution française et par
l'autoritarisme préfectoral de l'Empire. Il en découle le risque d'apoplexie
administrative à Paris, que prétendait combattre la décentralisation.
Du coup, pas de ville capitale de duché, de comté, de principauté ou de
royaume et, du coup, jamais, ou presque jamais, de réseau de villes autour de
capitales provinciales.
En Europe, les grandes régions que l'on prétend copier se sont faites autour
de villes capitales, têtes de réseau de villes secondaires, elles-mêmes très
vivantes et peuplées.
Regardez la Lombardie : il y a Milan, bien sûr, mais aussi Bergame - 120 000
habitants - Brescia - 250 000 habitants - Côme - 100 000 habitants - Mantoue -
65 000 habitants - Monza - 125 000 habitants - et encore cinq ou six autres
villes, qui font le réseau autour de Milan et qui convergent vers elle.
En France, j'ai envie de dire par boutade, que c'est Marseille, Lille et
Nantes qui forment le réseau autour de Paris.
M. Jean-Jacques Hyest.
Et Strasbourg !
M. le président.
Et Lyon !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Sauf Lyon !
Et le TGV n'est pas là pour réduire le phénomène ; il aurait même plutôt
tendance à l'accentuer.
Est-ce bien ? Ce n'est pas la question !
Peut-on lutter contre cette situation ? Je crois bien difficile de renverser,
à vue humaine, une tendance aussi lourde, fruit d'une histoire plus que
millénaire.
Au demeurant, est-il indispensable de se mouler, sur cet objet comme sur
d'autres, sur le reste de l'Europe ? N'est-ce pas un piège que nous tendent nos
voisins ?
Les débats du comité des régions d'Europe sont révélateurs sur le sujet.
Bavarois, Lombards ou Catalans, et certainement bien d'autres, prônent une
Europe fédérale, ce qui ne m'effraie pas. Toutefois, ils imaginent une
fédération non pas d'Etats-nations mais bien de régions, et cela, je ne suis
pas prêt de l'accepter pour deux raisons. L'une est fondamentale : je suis
resté assez jacobin pour ne pas accepter ainsi une dilution complète de notre
nation. L'autre est secondaire et plus prosaïque : dans une telle Europe, la
seule région française qui tirerait son épingle du jeu - à part la région
lyonnaise peut-être - dans une compétition qui serait débridée, serait, une
fois de plus, la région parisienne.
La région française est-elle condamnée ? Je ne le pense pas ; je crois même
qu'il faudrait la conforter dans une compétence mieux établie d'aménagement du
territoire et de contractualisation avec l'Etat, pour autant que celui-ci
abandonne sa fâcheuse habitude de faire exécuter et financer une partie de sa
politique par le biais des contrats.
Comment renforcer les régions ? Sûrement pas en les agrandissant ! C'est une
fausse bonne idée, car l'association de deux pauvres ne fait pas un riche ! Ce
n'est pas une question de taille, c'est une question de compétences et de
moyens.
Mais il est clair aussi que se pose avec acuité la question du mode de
scrutin. Pourra-t-on conforter les régions - si on le souhaite ! - et les
rendre perceptibles à nos concitoyens si l'on en reste au scrutin départemental
? Je n'ose pas vous demander, monsieur le ministre, si le Gouvernement a des
intentions en ce domaine !
L'autre grande originalité de la France, ce sont ses 36 000 communes. On a
tout dit sur cette question, notamment sur le fait que, par ce nombre, elle
dispose d'autant de communes que tous les autres pays de l'Union européenne
réunis.
Et alors ? Quel est le problème ? Devons-nous, là encore, nous couler dans un
moule unique ? Devons-nou oublier que la France est vaste, qu'elle dispose d'un
espace immense et peu peuplé par rapport aux autres pays européens - l'Espagne
exceptée - et que cet espace est une richesse, sans doute même la grande
richesse de demain, que l'on n'a pas le droit d'abandonner ?
Ne faut-il pas, surtout, prendre en compte cette réalité profonde de la
démocratie française au quotidien - on l'a évoquée tout à l'heure - avec ses 36
000 maires, ses quelque 100 000 adjoints, ses 600 000 conseillers municipaux,
qui gèrent, animent, quasi bénévolement notre immense territoire ?
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Ce serait un appauvrissement très grave de la démocratie si, d'une façon ou
d'une autre, les communes étaient appelées à disparaître. Et elles
disparaîtraient si on les y forçait, et il y a bien des moyens de les y
forcer.
Je crois donc, moi aussi à la nécessité de la coopération intercommunale. Mais
je crois à l'intercommunalité volontaire, à l'incitation et pas à la
contrainte, au droit à l'expérimentation et pas à l'uniformité à tout prix -
j'y reviendrai - et je crois à l'égale dignité de l'intercommunalité de gestion
et de l'intercommunaulité de projet.
Ceux qui pensent le contraire, c'est-à-dire qui ne pensent qu'à
l'intercommunalité de projet, en éliminant un peu trop vite l'intercommunalité
de gestion, sous prétexte qu'elle est financée par l'usager, oublient qu'il y a
des financements lourds en subventions de la part des communes ou des
départements, en particulier.
Ceux qui pensent le contraire donc, qui prônent uniquement l'intercommunalité
de projet, n'ont en tête qu'une France en développement, qui, depuis des
décennies, et pas seulement depuis la période de la crise, est territorialement
l'exception.
Il faudra bien expliquer un jour la différence entre aménagement et
développement et dire clairement aux 36 000 maires qu'ils n'ont pas tous
vocation à avoir une zone industrielle !
Cela étant, ce n'est pas parce que la majeure partie du territoire français
est en forte déprise démographique qu'il faut l'abandonner à la friche.
L'intercommunalité peut aider, même si ce n'est pas la panacée, et je suis
globalement d'accord avec la motion de la commission des lois : il est
nécessaire de réduire le nombre de catégories et d'unifier les règles. L'idée
d'un tronc commun me semble pertinente.
Je suis intéressé, sous réserve d'inventaire, par cette idée de correction du
dispositif financier, singulièrement du coefficient d'intégration fiscale, et
par cette idée de réduire la concurrence entre les communes d'une même
agglomération.
Sur toutes ces questions, nous attendons de voir, de façon plus précise,
monsieur le ministre, à quelle sauce vous vous proposerez de nous
accommoder.
J'en reviens à l'organisation des pouvoirs dans la République.
Abstraction faite de l'intercommunalité, et sous réserve que l'on clarifie les
interventions par la notion de pilote, de chef de file, notion qui a été
retenue par le groupe de travail et qui est à la fois souple et simple, les
choses sont assez claires.
Quel est le pilote ? Quel est le chef de file ? L'Etat, en concertation avec
les régions et, éventuellement, avec les départements, pour toutes les
infrastructures nationales ; les régions, en concertation avec les départements
et les villes, pour les infrastructures régionales ou interdépartementales ;
les départements, en concertation avec les communes et leurs groupements, pour
tous les espaces intradépartementaux. Hors équipement, il en va de même pour la
mise en oeuvre des politiques en fonction des compétences de chacun.
Tout semble simple. Chaque niveau est à sa place et joue son rôle : les
communes pour la gestion au plus près des équipements de proximité et
l'animation locale ; les départements pour assurer la cohésion des politiques
intradépartementales et pour assurer la solidarité des territoires ; les
régions, avec des compétences clarifiées et des moyens renforcés, pour mettre
en oeuvre les grandes orientations de l'aménagement du territoire.
Mais, si j'ai pu regretter que le texte de la motion, de même que le rapport,
ne soit pas assez prospectif, c'est parce que ce schéma est fortement perturbé
précisément par ce que nous évoquons aujourd'hui et que nous souhaitons
développer, à savoir l'intercommunalité.
Je ne crois pas qu'il soit prématuré d'analyser et de préciser les intentions,
car certains départements risquent d'apparaître comme vidés de leur substance,
comme l'a évoqué M. le rapporteur tout à l'heure.
Je dis bien « certains départements » parce qu'ils ne sont pas tous dans la
même situation vis-à-vis de leurs villes : certains sont purement urbains,
certains ont une grosse ville-centre, d'autres sont purement ruraux.
L'intercommunalité n'a pas le même sens et ne joue pas le même rôle dans l'un
ou les autres cas, et l'évolution risque d'être fort différente.
Dès lors, monsieur le ministre, j'ai envie de vous poser quelques
questions.
Premièrement, vous semble-t-il envisageable de prendre en compte des
évolutions disparates, voire divergentes, et de les traduire par un droit à
l'expérimentation décidé par les assemblées locales, dans des limites, bien
sûr, et sous des formes fixées par la loi ?
J'attire votre attention sur le fait que, si cela se réalise, comme je le
souhaite, cela ne peut se faire au détriment ni de la cohésion des territoires
ni de la solidarité.
A ce titre, on ne peut souscrire à la proposition des maires des grandes
villes de France, qui, dans un manifeste intitulé
Mon pays, c'est la ville,
proposent de créer un nouveau type de collectivité, dénommé « agglomération
», qui bénéficierait « d'une taxe professionnelle à taux unique » - soit ! - «
et des recettes prélevées par le département sur le territoire de
l'agglomération. En contrepartie, l'agglomération prendrait en charge, sur ce
territoire, les dépenses assurées par le département. »
C'est bien le moins, ai-je envie de dire ! Et je pose la question, par
boutade, mais à peine : quid de la solidarité avec le plat pays et à quand le
rétablissement de l'octroi des villes ?
Deuxièmement, la montée souhaitable de l'intercommunalité présente un double
risque vis-à-vis de l'exercice satisfaisant de la démocratie.
Il est évident que certains conseils municipaux peuvent être entraînés par des
structures de coopération dans des politiques dont ils n'ont pas été
suffisamment informés, auxquelles même ils n'auraient peut-être pas
complètement adhéré.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour que les différentes parties du tout
- en l'occurrence, chaque commune - exercent un réel contrôle sur la mise en
oeuvre des compétences qu'elles ont déléguées à une autre structure ?
Par ailleurs, les structures intercommunales peuvent être amenées à lever
l'impôt. C'est, à ma connaissance, le seul cas où cette capacité est laissée à
des élus qui ne soient pas issus directement du suffrage universel. N'y a-t-il
pas là - je pose cette question, même si je crois avoir trouvé la réponse dans
les pages roses du
Figaro
de ce matin - outre le risque de dérapage
fiscal, une opacité accrue pour le citoyen, qui doit déjà avoir bien du mal à
s'y retrouver ? Et même si l'on suit la proposition du groupe de travail, à
laquelle j'adhère pleinement, de limiter la représentation des communes à des
délégués issus des conseils municipaux, je crois que cela ne corrigera que très
faiblement la tendance.
Si j'insiste sur cet aspect des choses, ce n'est pas parce que je suis un
forcené de la clarification des compétences et des ressources. Je crois
d'ailleurs que le beau cartésianisme en la matière ne dépasse guère l'épreuve
des faits. A la réflexion, je pense même que l'obligation de trouver des
partenaires constitue une solution pour lutter contre l'arbitraire des
prétendus potentats locaux qu'il est parfois reproché à la décentralisation
d'avoir suscité.
Si j'insiste donc, c'est au nom du citoyen, qui exige désormais pas forcément
de comprendre la complexité des financements, mais de savoir qui est
responsable. Si la notion de « chef de file » bien identifié peut, certes,
utilement répondre à cette question, chaque élu est évidemment bien conscient
que le citoyen ne se contente plus d'un compte rendu de mandat tous les cinq
ans, tous les six ans, voire tous les neuf ans.
N'y a-t-il donc pas lieu, monsieur le ministre, de renforcer encore les
obligations de transparence et d'information du citoyen ? Nous avons bien
avancé avec la loi municipale, qui a imposé des minorités. Nous avons bien
avancé avec l'instauration de la proportionnelle dans les commissions
permanentes des conseils généraux et des conseils régionaux. Ne pensez-vous pas
souhaitable, monsieur le ministre, d'aller plus loin ? Si oui, quelles mesures
comptez-vous prendre ?
Enfin, pour conclure, je reviendrai au texte de Gaston Defferre. Dans l'exposé
des motifs de la loi du 2 mars 1982, évoquant la tutelle de laquelle il voulait
faire sortir les collectivités locales, il écrivait notamment : « La faiblesse
des ressources des collectivités réduit leur autonomie. » Autrement dit, il
faut augmenter les ressources des collectivités.
A voir la situation actuelle, certains se demandent s'il n'y avait pas là de
la naïveté ou de la duplicité. Pour ma part, je ne le crois pas. Le rapport de
notre collègue Paul Girod a bien montré, concernant les conseils généraux en
tout cas, que la dégradation financière s'est produite à la fin des années
quatre-vingt. Je suis bien placé pour vous dire que, dans nombre de conseils
généraux, le solde dépenses-recettes fut, pendant longtemps, positif grâce au
bon rendement des impôts indirects transférés. Hélas ! depuis quelques années,
surtout depuis cette année, de toutes parts, et surtout des communes, monte une
plainte universelle.
Bien sûr, je suis satisfait que la motion adoptée par le groupe de travail
débute par des considérations sur les problèmes financiers.
Monsieur le ministre, quels engagements pouvez-vous prendre, au nom du
Gouvernement, pour garantir un véritable pacte de stabilité des ressources et
des charges des collectivités - une sorte d'article 40 à l'envers - qui
s'imposerait au Gouvernement à leur égard, à la suite des études d'impact ?
Monsieur le ministre, il y a urgence et le mécontentement est grand. Les élus
locaux, toutes opinions confondues, supportent de plus en plus mal d'être
montrés du doigt. Qu'un membre éminent de la majorité de l'Assemblée nationale,
à qui je faisais allusion au début de mon propos, les traite de « corrompus
potentiels » est une atteinte à leur dignité ; mais, au fond, cela n'engage que
lui. Cela témoigne, de surcroît, de sa méconnaissance des pratiques
administratives antérieures à la décentralisation comme du fait que, s'il y a
plus de corrompus repérés, cela tient à l'efficacité de la tutelle et du
contrôle de gestion des chambres régionales des comptes. Je crois que c'est là
l'essentiel.
(M. Jacques Larché applaudit.)
Mais que des campagnes de presse s'organisent périodiquement pour opposer
l'Etat prétendument vertueux parce qu'il baisserait les impôts, aux élus locaux
qui, pour le plaisir, par habitude ou par incompétence, augmenteraient les
impôts, voilà qui est difficile à accepter.
Au contact de la population au moins autant que le sont les élus nationaux,
les maires savent bien le poids global et l'injustice de la fiscalité locale,
dont on nous dit périodiquement qu'elle va être améliorée par l'application de
bases actualisées.
Si les maires augmentent l'impôt, c'est qu'ils ne peuvent faire autrement ;
c'est qu'il y a une crise sociale et donc un besoin ; c'est qu'ils veulent
croire au développement de leur petit coin de France. Hélas ! c'est aussi que
l'Etat, sans vergogne, se décharge sur eux - je ne pratique pas habituellement
ce discours, mais, en l'occurrence, il est tout à fait fondé - y compris de ses
engagements contractuels. Je pense ici au fonds national pour le développement
des adductions d'eau, le FNDAE : à trois jours du vote du budget du conseil
général de la Haute-Vienne, j'ai appris qu'il était autoritairement baissé de
15 %. J'ai pourtant contractualisé pour trois ans avec l'Etat.
Je pense aussi à l'allongement d'un an de la durée des contrats de plan, dont
il est évident que, s'il n'a pas soulevé des protestations plus vives de la
part des régions, c'est parce qu'il leur permettait d'afficher une baisse ou
une augmentation très faible de leur fiscalité en pleine période électorale.
Oui, la commission des lois a raison de l'écrire, il faut en revenir, sur ce
point comme sur bien d'autres, aux principes fondamentaux de la
décentralisation et, éventuellement, pour cela, faire en sorte que la
commission d'évaluation des charges reprenne le cours régulier de ses travaux,
avec obligation de donner des suites effectives à ses observations.
Monsieur le ministre, par delà les réformes nécessaires que vous envisagez,
l'avenir de la décentralisation, avec les bienfaits qu'elle a apportés, est à
cette condition.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - MM. Hyest et Hoeffel
applaudissent également.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
La question de notre collègue Daniel Hoeffel sur les perspectives de la
coopération intercommunale s'inscrit dans le cadre de la volonté
gouvernementale de réformer le régime de l'intercommunalité. La commission des
lois du Sénat, avec la création d'un groupe de travail sur la décentralisation
et l'élaboration d'un rapport publié il y a quelques jours, a accompagné cette
volonté. Chacun l'aura compris, cette question sera essentielle dans les mois à
venir.
Je voudrais tout d'abord souligner que l'expression : « coopération
intercommunale » est ambiguë. Comme la langue d'Esope, elle recouvre des formes
de relations intercommunales diverses, notamment deux types de structures
fondamentalement différentes.
D'un côté, se trouvent les coopérations intercommunales créées, qu'il s'agisse
du syndicat intercommunal à vocation unique, le SIVU, ou du syndicat
intercommunal à vocation multiple, le SIVOM, qu'il s'agisse des chartes
intercommunales ou encore des conventions, qui sont, les unes et les autres,
destinées à répondre à un besoin objectivement ressenti et à mettre en oeuvre
de nouveaux droits pour les femmes et les hommes de notre pays. Ces
structures-là ne lèvent pas d'impôt.
De l'autre côté, nous avons les structures supracommunales - districts,
communautés de communes et de villes, communautés urbaines auxquelles peuvent
être déléguées les mêmes fonctions, mais aussi obligatoirement des fonctions
économiques et d'urbanisme, qui sont alors prioritaires, le « social » n'étant
qu'une résultante. Ces sructures lèvent un impôt.
Bien entendu, il s'agit, dans l'esprit du Gouvernement, non pas de traiter des
premières structures, mais bien de pousser les feux de l'intégration
supracommunale, une intégration supracommunale qui vise, finalement, à retirer
aux communes, et donc aux citoyens, toute prise sur les choix stratégiques.
Dès lors, il y aurait deux niveaux de collectivités bien distincts : d'une
part, les niveaux de décision économique, c'est-à-dire l'Europe, l'Etat, les
régions, les groupements supracommunaux ou les « pays » ; d'autre part, les
niveaux de « guichet de distribution sociale » et de gestion du quotidien, à
savoir les communes et les départements.
Voilà ce vers quoi nous entraînerait la supracommunalité.
Pour autant, cela ne veut pas dire que nous refusons la coopération
intercommunale. Bien au contraire ! L'expérience prouve que les élus et les
citoyens apprécient positivement les possibilités de développer de nouveaux
services et de nouveaux équipements dans le cadre de l'autonomie communale.
Cette autonomie communale n'est pas une notion du passé. Rappelons-nous que
toutes les tentatives de fusion de communes ont échoué. De l'an III suivant la
révolution de 1789 à la loi Marcellin de 1971, l'histoire a prouvé l'importance
du fait communal. C'est si vrai que les structures les plus nombreuses, et les
mieux acceptées, sont les SIVOM et les SIVU. D'ailleurs, dans un rapport de
juillet 1996, intitulé
De l'intercommunalité fonctionnelle à la
supracommunalité citoyenne,
l'institut de la décentralisation semble
déplorer que les SIVU et les SIVOM soient la forme préférée de coopération des
communes, et même que les formes plus intégrées ne se servent pas de toutes
leurs possibilités. Permettez-moi de le citer : « On pourrait à première vue
considérer que l'intercommunalité française va en se développant. Pourtant,
force est de constater une représentation majoritaire des formules de
coopération les plus sectorielles et les moins contraignantes comme les SIVU et
les SIVOM, puisque ces deux catégories EPCI représentent la plus grande partie
de l'intercommunalité française. »
C'est cela que les lois de 1992 et de 1995 tentent de changer, en imposant,
par la règle de la majorité qualifiée, l'intégration au sein de structures
supracommunales.
Il ne faut pas tricher : sous couvert de solidarité et de volontariat, c'est
autre chose qui est recherché, à savoir une rationalisation financière et
fiscale qui s'inscrive pleinement dans la volonté de construire une Europe
libérale. C'est ce qu'indiquait Maurice Bourjol, dans un dossier de la revue
Courrier des maires
: « Le débat autour de l'intercommunalité dissimule
mal l'essentiel, à savoir la prise en charge croissante par les collectivités
locales des déficits dits excessifs de l'Etat. »
Comme dans le cas de la réforme de l'Etat, qui vise à concentrer les services
publics et, globalement, à les dissimuler dans le cadre des structures des
pays, la mise en place de la supracommunalité éloigne le citoyen du lieu de
décision. Ainsi, le Gouvernement prétexte l'efficacité pour expliquer qu'il
faut que la commune s'accommode uniquement de la gestion du quotidien.
Ce qui n'empêche d'ailleurs pas que le maire sera considéré comme le premier
responsable de décisions douloureuses. On lui fait, dès lors, jouer un rôle de
fusible qu'il n'a pas vocation à tenir.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Un rôle de bouc émissaire !
M. Robert Pagès.
Mais nous pouvons aller encore plus loin, car cette volonté d'aller vers la
supracommunalité est une offrande aux entreprises. J'ai retrouvé une citation
de M. Trémège, président de l'association des chambres de commerce et
d'industrie : « L'intercommunalité doit être tout d'abord le moyen de limiter
la pression fiscale, qui obère la compétitivité des entreprises. » Bien
entendu, quand le président de l'association des chambres de commerce et
d'industrie parle de pression fiscale, chacun aura compris qu'il s'agit de taxe
professionnelle, la taxe d'habitation lui important peu.
De tels propos doivent nous conduire à nous interroger sur les vrais buts de
la supracommunalité. Ne serait-ce pas là une façon de « tordre le cou » à la
taxe professionnelle pour que ce qui provient des entreprises leur soit
retourné sous forme d'aménagement de zones d'activités ou autres ? Rappelons
qu'avec un peu plus de 150 milliards de francs la taxe professionnelle
représente 50 % des recettes fiscales des collectivités locales.
Dès lors, l'activité économique, les richesses qu'elle produit, ne sont plus
conçues pour irriguer le territoire local mais, au contraire, c'est l'activité
économique qui « pompe » alors le territoire pour en tirer profit.
En fait, les communes, regroupées ou non, subissent toutes les restrictions
budgétaires, la diminution des dotations de l'Etat, la pression sur leurs
capacités d'investissement, et, à cet égard, je citerai pour mémoire le
douloureux problème de la caisse nationale de retraites des agents des
collectivités locales.
C'est là que nous aurons la plus grande divergence, car l'instauration du
surplus de dotation globale de fonctionnement des groupements a été une vaste
tromperie. En raisonnant à enveloppe constante, il s'agit non pas d'une
incitation financière, mais d'une pénalisation pour les communes qui n'ont pas
voulu, ou seulement pas pu se regrouper. C'est tellement vrai que l'on arrive
en bout de course de ces formules de « carottes financières ».
En 1995, les groupements de communes à fiscalité propre percevaient 120 francs
par habitant, en moyenne. Ce chiffre s'élève à 120,22 francs en 1996. Voilà à
quoi conduit le partage de la pénurie ! Et les populations habitant au sein de
ces groupements ont vu leur fiscalité augmenter plus que la moyenne.
Oui, la seule réponse valable et propice à un développement de projets
créateurs d'emplois, de richesses, de services nouveaux rendus aux populations,
dans un cadre communal, intercommunal ou supracommunal, passe par une profonde
réforme des finances locales. Or la taxe professionnelle d'agglomération ne va
nullement dans ce sens. Au contraire, elle va continuer à minorer la
participation des entreprises aux dépens des habitants et des services rendus.
Prenons l'exemple du Grand Lyon, puisqu'il apparaît qu'il s'agira d'une
expérimentation « grandeur nature », mon ami Guy Fischer m'en parlait encore
tout à l'heure.
Par un taux unique de taxe professionnelle, on pénaliserait les communes ayant
de fortes bases et ayant fait le choix d'une gestion sociale et humaine par des
services appropriés et une taxe d'habitation basse. Ainsi, par exemple,
Vénissieux perdrait des recettes au profit de Lyon par le biais de la taxe
professionnelle, mais Lyon ne transférerait nullement des ressources de taxe
d'habitation à Vénissieux !
Pour notre part, nous pensons qu'il est indispensable de dégager des
ressources par le biais d'une taxe professionnelle rénovée.
Une taxe professionnelle qui inclurait dans le calcul de ses bases tout ou
partie des actifs financiers des entreprises, cela permettrait de doubler,
voire de tripler les bases de la taxe professionnelle.
C'est M. Delevoye, président de l'Association des maires de France, qui
expliquait avec force, lors du dernier congrès des maires que la richesse
actuelle était largement financière et qu'il était temps d'en prendre la mesure
! Aujourd'hui, au lieu de multiplier les réformes qui ne font qu'exonérer les
entreprises de leur devoir, allons dans cette voie d'une taxe professionnelle
nouvelle.
Enfin, pour terminer sur la taxe professionnelle, je réitère, au nom des
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, notre souhait de voir
instauré un plancher de taxe professionnelle.
C'est une proposition qui est largement partagée par les élus locaux, mais
dont la traduction concrète s'arrête manifestement aux portes de nos assemblées
législatives.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce domaine de la coopération
intercommunale, comme dans le domaine de la coopération interrégionale, la
contrainte ne fait pas bon ménage avec l'efficacité. Nos communes, nos régions
ont des histoires, des traditions, des expériences diverses. Certaines sont
enclines à se regrouper, d'autres non. C'est ce qui fait toute la richesse de
notre pays.
La commune demeure une base institutionnelle forte de l'exercice citoyen, de
l'exercice de la démocratie : 36 000 foyers de démocratie, avons-nous
l'habitude de dire, servis par plus de 500 000 élus locaux.
Quelle que soit la formule de coopération choisie par les élus entre leurs
communes, le volontariat ne peut pas être mis à mal. Volontariat et péréquation
par le biais de la solidarité nationale sont les deux piliers indispensables
d'une conception partagée de la coopération intercommunale.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos
se limitera strictement à l'intercommunalité.
L'intercommunalité, c'est presque devenu une affaire de religion : quand on
est pour, on est moderne ; quand on est réticent sur certains de ses aspects,
on est bon à jeter Dieu sait où.
Il faut se garder de ce genre d'excès ; il n'est pas question de religion en
la matière, encore moins de nirvana, nous le savons bien !
En réalité, le problème auquel nous sommes confrontés est celui de l'usure
inattendue et accélérée de la loi de 1992. Cette loi avait été rédigée autour
de l'idée que la coopération technique avait bien fonctionné, que la
coopération de projet existait peu - encore que, dans certaines régions, la
Picardie par exemple, un certain nombre d'initiatives avaient déjà été prises,
même si parfois elles ont quelque peu dévié - et se posait le problème de la
taxe professionnelle.
La taxe professionnelle était en effet exagérément concentrée dans les
communes dans lesquelles sont implantées les entreprises, qui créent la
ressource fiscale, alors que ceux qui y travaillent habitent dans les communes
voisines, qui doivent assurer les services de proximité sans disposer des
ressources correspondantes.
Tels étaient, à l'époque, les deux problèmes auxquels nous étions
confrontés.
Deux réponses ont été apportées. La première a consisté dans la création d'un
tronc commun - tel est le fondement même de la loi de 1992 sur les communautés
de communes et de villes - en matière de responsabilités minimales.
S'agissant de l'action économique, on a probablement trop fait rêver les
intéressés en faisant croire que les communes allaient relancer l'économie
grâce à la coopération et initier la communalité de projet d'aménagement de
leur espace. Voilà pour l'aspect « projet ».
Quant à l'aspect « taxe professionnelle », on a assisté à un début de
mutualisation à l'échelon des organismes de coopération intercommunale soit par
la taxe professionnelle de « zone », soit par la taxe professionnelle
unique.
Par ailleurs, il y a eu une incitation - et je crois que l'on a mis ainsi le
doigt dans un engrenage qui est en train de nous broyer - par le biais d'un
supplément de dotation globale de fonctionnement au profit des groupements. Eh
bien ! nous sommes devant un malaise tout à fait clair. Premièrement, la taxe
professionnelle mutualisée à l'échelon des groupements n'a pas fonctionné aussi
bien qu'on aurait cru. Si tel avait été le cas, des communautés de villes
auraient été créées partout...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est sûr !
M. Paul Girod.
... puisque c'est là où l'on va le plus loin.
Or, en dépit d'une incitation massive, ce sont elles qui se sont le moins
développées.
Voilà qui amène à se demander si le système intercommunal est le bon niveau de
péréquation de la taxe professionnelle. C'est sûrement un niveau. Est-ce le bon
? La question mérite d'être posée.
J'en viens au deuxième aspect : l'intercommunalité de projet. Soyons honnêtes
les uns et les autres : n'y a-t-il pas plus d'intercommunalité d'aubaine que
d'intercommunalité de projet ?
(Bravo ! sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Non !
M. Paul Girod.
Combien de communautés de villes et de communautés de communes - surtout de
communautés de communes - sont-elles nées de l'espoir qu'en mettant en commun
toute une série d'activités - ce que l'on faisait déjà - on allait créer une
fiscalité communautaire qui déboucherait sur une dotation globale de
fonctionnement relativement forte ?
En fait, cette fiscalité communautaire a abouti à ce que la dotation globale
de fonctionnement des groupements est en train de tuer la dotation globale de
fonctionnement tout entière, tout simplement parce qu'elle consomme, de
l'intérieur, comme un véritable cancer, la réalité de la dotation
d'aménagement.
Voilà qui mérite que l'on se pose quelques questions.
Il faut noter que certaines mutualisations, que ce soit pour les ordures
ménagères, les écoles ou les routes, bénéficiaient quelquefois d'une gestion
communautaire meilleure que la gestion individuelle. Si l'on ne peut pas dire
qu'il n'y a que l'effet d'aubaine, reconnaissons qu'il y en a eu aussi, surtout
quand on constate que l'on a mutualisé des contingents obligatoires. Dans ce
cas, la communauté de communes sert uniquement de lieu de passage, voire,
quelquefois, de lieu de redistribution de la dotation globale de fonctionnement
et de surplus.
Il règne donc un certain malaise. Il faut avoir le courage de le dire,
d'étudier des solutions. Mais je sais bien, monsieur le ministre, que vous
souhaitez dissiper ce malaise.
Peut-on modifier les paramètres de cette nécessaire mutualisation, de cette
nécessaire péréquation de la taxe professionnelle ? Selon moi, ce qui a été
fait à l'échelon des communautés de villes et des communautés de communes est
certes intéressant, mais insuffisant.
C'est insuffisant d'abord parce que certaines structures intercommunales n'ont
été créées que par pur égoïsme, pour redistribuer à l'intérieur de leur
groupement certaines ressources tout en faisant barrage contre l'intrusion
d'autres collectivités.
C'est insuffisant aussi parce que, par définition, l'espace géographique en
question est trop petit. Nous le voyons bien avec les problèmes qui se posent
avec les villes-centres et les hinterlands ruraux.
C'est la raison pour laquelle il faut également se poser le problème de la
mutualisation ou de la péréquation à l'échelon départemental et à l'échelon
national.
A l'échelon départemental, parce que c'est l'équivalent de quatre ou cinq
bassins de vie et que le problème qui se pose, c'est la péréquation de la taxe
professionnelle dans les bassins de vie.
Les pays n'étant pas des structures en tant que telles et étant probablement
trop disparates entre eux, le département me semble être le lieu d'une
péréquation valable, à condition qu'on alimente les fonds de péréquation
départementaux par d'autres ressources que celles qui proviennent des
établissements exceptionnels et qu'on accepte de les alimenter aussi par la
richesse exceptionnelle de telle ou telle collectivité de base.
Par ailleurs, monsieur le ministre, la péréquation nationale doit être plus
active. Mais cela suppose - je vais ainsi faire plaisir à M. Pagès, qui en sera
peut-être quelque peu étonné - une cotisation minimale de taxe professionnelle,
levée à l'échelon national, mais dont il serait souhaitable que l'Etat ne
confisque pas le profit pour résoudre une partie de ses propres problèmes au
lieu de contribuer à résoudre ceux des collectivités territoriales.
En ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement maintenant, je suis
de ceux qui pensent que, malgré quelques excès de langage, d'engagement, voire
une certaine poésie, une part de ce qui constituait la base de la loi de 1992
est justifiée s'agissant de l'intercommunalité de projet.
Si l'on doit jouer sur la dotation globale de fonctionnement et en réformer la
distribution au niveau des groupements, plutôt que de construire ce que je
n'ose pas appeler une « usine à gaz » supplémentaire en instaurant de nouvelles
parts dans une dotation qui en comporte déjà deux, en instaurant des
sous-classes, etc., on ferait mieux d'étudier jusqu'à quel point a joué
l'attraction de l'aubaine par rapport à la nécessité réelle du projet.
Pour accéder à la DGF des groupements, il faut acquitter une espèce de droit
d'entrée, à savoir accepter deux vocations de base minimales : l'action
économique et l'aménagement de l'espace. Ne vaudrait-il pas mieux vérifier que
les groupements se sont vraiment emparés de ces deux domaines de base pour leur
donner le droit d'accéder, fût-ce au titre de la troisième compétence
optionnelle, qui est souvent celle qui engendre l'effet d'aubaine, à la DGF au
titre du groupement, plutôt que de se contenter d'observations purement
comptables qui n'empêcheront jamais certains de passer au travers des mailles
du filet ?
Monsieur le ministre, on raisonnerait mieux sur notre dispositif
d'intercommunalité actuel si l'on incluait dans la réflexion les raisons pour
lesquelles on l'a mis en place.
La loi de 1992 avait pour objet de promouvoir l'intercommunalité de projet
dans deux domaines essentiels de base où il est vrai que, compte tenu de
l'exception française, spécialement pour l'aménagement de l'espace, il était
nécessaire que les communes se rapprochent les unes des autres. S'il est vrai
qu'elles ont besoin d'avoir un minimum de projets économiques urbains, il leur
faut surtout parvenir à mutualiser les excès « caricaturaux », si je puis dire,
de l'hétérogénéité de la taxe professionnelle sur le terrain.
Ne vaudrait-il pas mieux, monsieur le ministre, à l'occasion des démarches qui
vont s'engager, s'assurer que les groupements répondent d'abord à l'une ou à
l'autre, et, si possible, aux deux vocations de base, avant d'entamer la
discussion sur la répartition de la DGF ? Avec un tel dispositif, on ferait
faire à la coopération intercommunale un pas en avant plus significatif que si
l'on se borne à éviter l'explosion de la DGF de l'intérieur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, depuis
plusieurs années, les pouvoirs publics ne cessent d'encourager le développement
de la coopération. Une telle orientation est louable, compte tenu de l'extrême
émiettement de nos 36 500 communes, et il est désormais possible d'établir un
bilan, comme vous l'avez fait, des actions entreprises avant de tracer les
perspectives. Le débat vient donc à son heure et constitue une excellente
introduction à la discussion prochaine d'un projet de loi.
Les réformes récentes ont connu une réelle réussite, au moins en termes
quantitatifs. Il existe désormais 20 000 établissements publics, dont près de 1
300 dotés d'une fiscalité propre, ce qui représente quelque 50 milliards de
francs de dépenses, dont environ la moitié est financée par le produit des
taxes directes.
Mais toute croissance trop rapide est, bien sûr, difficile à maîtriser !
Il existe ainsi un contraste éclatant entre la simplicité des fondements
conceptuels de l'intercommunalité et la complexité des formules de sa mise en
oeuvre.
Distinguons donc deux types, deux types seulement, de fondements.
La première justification de l'intercommunalité, c'est la nécessité
d'organiser, à des fins d'économies d'échelle, la gestion de services publics
qui sont indispensables à la satisfaction des besoins des administrés. C'est le
principe qui a inspiré les systèmes de collecte et de traitement des ordures
ménagères, de distribution de l'eau, d'aménagement de l'assainissement. Les
modes de fonctionnement doivent, ici, fort bien s'accommoder des techniques
éprouvées de recours aux contributions budgétaires ou fiscalisées.
La deuxième justification de l'intercommunalité, c'est l'élaboration de
véritables projets de développement économique, à incidences d'aménagement du
territoire. Dans ce domaine, il est évidemment nécessaire de confier aux
conseils des groupements un pouvoir propre sur les recettes fiscales, notamment
de les doter du monopole de perception de la taxe la plus productive : la taxe
professionnelle.
Ce schéma élémentaire n'a pourtant pas été suivi. On a assisté à une
démultiplication de catégories juridiques d'établissement public, chacune ayant
ses caractéristiques propres, lesquelles s'ajoutent et s'imbriquent de telle
sorte que le paysage de l'intercommunalité apparaît pour beaucoup complexe,
embrouillé, voire byzantin.
Ainsi, dans nos départements, le ramassage des ordures ménagères est effectué
souvent de manière primaire par les services d'une commune ou d'un syndicat,
lesquels font ensuite appel à un autre établissement public pour leur
destruction.
Trois niveaux de décision s'ajoutent donc fréquemment les uns aux autres.
Chaque commune, chaque établissement public a ses délégués, et l'on a vu
fleurir, ici ou là, un système jusqu'alors peu recommandé par le droit
administratif celui de la délégation, de délagation : à l'heure actuelle, les
communes délèguent des pouvoirs à des représentants de groupements, lesquels
délèguent des personnes pour les représenter dans d'autres structures. Dès
lors, la « traçabilité » d'une décision est souvent difficile à repérer.
L'empilage de formes juridiques a l'inconvénient de « balkaniser » les
domaines d'intervention communale au gré des avantages que les communes croient
retirer ici ou là. Ainsi, de nombreuses communes, outre leurs propres
établissements publics - par exemple le centre communal d'action sociale, le
CCAS - doivent participer le plus souvent à divers syndicats - syndicats à
vocation unique ou à vocation multiple - à des communautés de communes, ce qui
entraîne la multiplication de réunions pour les représentants de communes.
Par conséquent, ce qui devait être une simplification est devenu une grande
complication. Et l'on a aggravé ce phénomène en donnant aux communautés de
communes le choix entre plusieurs possibilités fiscales.
Au demeurant, comme cela arrive souvent pour toute forme de gestion publique,
on a souvent changé de cap.
Souvenons-nous, en effet, du long débat que nous avons eu au cours de l'année
1994, qui portait sur l'aménagement du territoire et qui nous a permis
d'aboutir à la loi du 4 février 1995. Le débat a été long, certes, mais il a
été constructif et l'on pouvait espérer que toutes nos énergies seraient
soutenues par cet objectif de l'aménagement du territoire.
Or, que constate-t-on ? Dans le mouvement de développement de
l'intercommunalité, de création de communautés de communes, de communautés de
villes, etc., ce sont souvent les préoccupations de gestion courante qui
l'emportent, avec parfois la complicité bienveillante - il faut le regretter -
de ceux qui auraient pour mission de faire respecter la légalité.
Est-il nécessaire, en 1997, que le législateur rappelle que les contingents
d'aide sociale ne sont pas transférables et ne devraient pas, par ricochet,
alimenter la DGF, alors que nos principes juridiques devraient avoir permis au
contrôle de légalité d'éviter tout cela ?
Je suis de ceux qui pensent qu'il n'est pas utile que la loi intervienne dans
un domaine où les principes fondamentaux devraient s'appliquer tout simplement
et depuis longtemps.
Quand la loi du 4 février 1995 rappelle que les communautés de communes ont
d'abord une vocation de développement économique, comment ne pas s'étonner que
l'essentiel des dépenses des groupements à fiscalité propre existants soient
constituées essentiellement de charges de fonctionnement ?
M. Paul Girod.
Et voilà !
M. Joël Bourdin.
D'ailleurs, je dresserai un constat significatif : dans l'excellent prérapport
que vous nous avez remis, monsieur le ministre, quatorze pages, c'est-à-dire 10
% de ce document rapport, sont consacrées à ce sujet évidemment important et
intéressant qui concerne la gestion des ordures ménagères !
Qui aurait pu imaginer, il y a trois ans, lorsqu'on évoquait l'émergence des
périmètres de solidarité économique, qu'aujourd'hui nos débats porteraient sur
le transfert des charges de fonctionnement des communes aux communautés de
communes ?
A la vérité, nous avons fait fausse route et nous avons élaboré des mécanismes
d'incitation pervers, qui ne l'auraient pas été - j'y insiste - si la légalité
des décisions avait été surveillée plus étroitement.
En liant l'attribution de la DGF à un mécanisme d'intégration fiscale, et rien
qu'à cela, nous avons commis une erreur, c'est certain. Il s'agissait d'une
condition nécessaire mais pas suffisante, loin de là.
D'ailleurs, voilà quelques annéees, lors de débats antérieurs, j'avais
préconisé que le coefficient d'intégration fiscale soit corrigé par un
coefficient de solidarité tenant compte du caractère effectif des dépenses de
solidarité. Cela serait conforme à l'objectif de la loi, qui prévoit que les
communautés de villes et les communautés de communes devront s'intéresser
d'abord à des projets économiques et d'aménagement de l'espace.
Le système qui est appliqué en ce moment n'est ni opérationnel ni juste.
Tout d'abord, il n'est pas opérationnel, car beaucoup trop de communautés
créées récemment ne sont que des coopératives ou des GIE de fonctionnement, ce
qui est, certes, astucieux, mais n'atteint que partiellement - parfois pas du
tout - l'objectif de la loi : aboutir à des investissements, à des projets de
nature économique.
M. Robert Pagès.
Ce sont les moyens qui font défaut !
M. Joël Bourdin.
Bien sûr !
Ensuite, ce système n'est pas juste car, lorsque des flux de DGF sont affectés
à des communautés de communes, par exemple, en vertu de l'application d'un
principe de simple transfert des charges de fonctionnement, une partie des
ressources allouées est retranchée de la distribution de la DGF qui est
affectée aux autres communes.
Ainsi, dans le partage de la dotation d'aménagement du territoire, on peut
soutenir que certaines communes, directement ou indirectement, se voient
allouer une DGF plus importante que d'autres, donc au détriment de ces autres.
Ce n'est pas normal !
Quand la DGF des groupements « pince » de plus en plus, dans la dotation
d'aménagement, la DSU et la DSR, il est temps de se demander s'il ne faut pas
déconnecter la DGF des groupements de la dotation d'aménagement.
On sait - et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre - que
l'évolution inéluctable de la DGF, du moins à règle constante, des groupements
de communes, risque, dès 1998, de rendre complètement dérisoire la DSU ou la
DSR, malgré un certain nombre de cliquets placés ici ou là.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je tenais à dire sur ce sujet.
Je souhaite également insister sur le fait que, en privilégiant les
groupements de communes pour l'attribution de la DGF afin d'encourager les
projets, on aurait pu faire l'économie d'un certain nombre de moyens
financiers. Peut-être aurait-il fallu passer par la dotation de développement
rural, la DDR !
Dès lors que nous insistions sur le fait que les communautés de communes
étaient des communautés de projets, il était anormal que l'on attribue des
moyens en privilégiant le fonctionnement. Il aurait peut-être été plus logique
- mais peut-être peut-on encore modifier les choses - d'intervenir au moyen
d'une dotation que l'on maîtrise mieux, la dotation de développement rural qui,
elle, est affectée à l'investissement.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Je conclus, monsieur le président.
Je souhaite également attirer votre attention, monsieur le ministre, sur deux
problèmes de nature différente. Je serai bref.
Tout d'abord - et je vous ai déjà posé une question d'actualité sur ce sujet -
n'y a-t-il pas une contradiction entre la politique de votre ministère sur les
groupements de communes et la politique du ministère de l'aménagement du
territoire, qui semble indiquer que l'avenir de la France, ce sont quelques
communautés urbaines et quatre cents ou cinq cents pays, alors que,
actuellement, on autorise la création de communautés regroupant trois ou quatre
communes ?
Ensuite - il s'agit d'une question technique - nous avons voté ici même, lors
de l'examen du projet de loi de finances pour 1997, une disposition permettant
aux syndicats de voirie de récupérer directement la TVA sans passer par les
communes. Il existe d'autres cas analogues où c'est par l'ingénierie
administrative que l'on parvient à régler les problèmes de récupération de TVA.
Ne pensez-vous pas que, à la faveur du texte que nous examinerons dans quelques
semaines, nous pourrions élargir ces facultés dérogatoires de récupération de
la TVA par certaines catégories de groupements de communes ?
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions et questions que je
souhaitais présenter, en vous félicitant d'avoir eu le courage de déposer un
texte qui ne fera pas que des heureux.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant
participé au groupe de travail de la commission des lois sur la
décentralisation, j'indique que j'approuve, bien entendu, les conclusions
auxquelles est parvenu celui-ci et les propositions qui ont été faites. Je n'ai
rien à ajouter à l'excellent rapport de M. Hoeffel et à la vision européenne et
planétaire de M. Delevoye de l'avenir des collectivités locales, et les
comparaisons me paraissent très utiles.
S'il est vrai que le rapport traite essentiellement le thème de la coopération
intercommunale, il aborde aussi quelques autres aspects.
Dans notre pays, la coopération intercommunale tient du paradoxe : d'un côté,
nous voulons que l'ensemble de la France fonctionne avec des structures
équivalentes et, de l'autre, nous multiplions les formes de coopération. Les
stratifications sont extraordinaires, si bien que plus personne n'y comprend
rien, notamment nos concitoyens, à l'exception, bien entendu, des élus et des
fonctionnaires qui gèrent ces organismes de coopération.
Pour certaines collectivités territoriales, sont apparues des charges de
structures qui s'accumulent. J'aimerais que l'on en fasse le compte de temps en
temps.
Comme le propose le groupe de travail, il faut simplifier les choses, monsieur
le ministre. Est-il normal, aujourd'hui, que l'on puisse créer un district
simplement sur la base du service départemental d'incendie et de secours,
lequel est dorénavant transféré, de par la loi, au département ? Le problème du
logement a-t-il un sens ? C'était dans un contexte très particulier - lors de
la création des districts - et cela ne correspond plus du tout à la politique
en matière de logement.
Dans l'avant-projet de la loi de 1992, se manifestait une volonté de modifier
le système actuel. En définitive, on a tout gardé et on a rajouté d'autres
structures.
Certaines des structures instituées n'ont pas rencontré le succès escompté,
telles les communautés de villes. Les communautés de communes fonctionnent
bien. D'ailleurs, les créations de districts se sont poursuivies, parce qu'il
s'agit d'une structure qui peut paraître plus souple.
Bien entendu, l'intercommunalité de services telle qu'elle fonctionne doit
être maintenue mais il faut fédérer toutes les autres formes de coopération
intercommunale, en dehors des communautés urbaines, qui correspondent à un
besoin des grandes agglomérations.
On peut également se poser la question de la péréquation, elle a souvent été
évoquée.
Lorsqu'on veut encourager la coopération, il faut mettre en oeuvre des moyens
incitatifs. Cela commence souvent ainsi. Toutefois, comme le disait M. Paul
Girod, des communautés de communes ou d'autres formes d'organismes de
coopération se sont construites uniquement pour des raisons financières, sans
solidarité réelle. Il faut mettre un terme à ces formes de coopération qui n'en
sont point.
Je tiens aussi à rappeler que, dans le cadre de la décentralisation, la
péréquation doit concerner un domaine beaucoup plus vaste : il faut conserver
la DSR et la DSU, qui correspondent, selon moi, aux besoins réels des
collectivités, des régions et de la France entière.
Toute décentralisation dans tout pays décentralisé s'accompagne de
péréquations fortes. Si l'on ne retenait pas ce principe, je crois que l'on
commettrait une erreur. Il ne faudrait pas que cette péréquation nécessaire
soit « mangée » par une fausse coopération intercommunale. Il y a donc, en la
matière, un certain nombre de choses à faire.
Monsieur le ministre, je crois que vous n'êtes pas favorable à ce que l'on
sorte les contingents du coefficient d'intégration fiscale. Mais on peut y
réfléchir. En effet, cela n'a pas de sens dès lors qu'il s'agit seulement de
transferts financiers.
J'évoquerai un dernier point. Au sein du groupe de travail, a été évoquée une
fois de plus la fonction publique territoriale. Nous avons beaucoup légiféré à
son propos. Vous avez d'ailleurs récemment présenté un projet de loi sur ce
sujet, monsieur le ministre.
Si l'on veut avoir une fonction publique territoriale de qualité, il ne faut
pas laisser chaque collectivité faire comme elle veut ; un certain nombre de
règles sont nécessaires.
Par ailleurs, il faut assurer une garantie de carrière, mais aussi ménager des
perspectives d'avancement aux fonctionnaires. De ce point de vue, je me réjouis
que le Centre national de la fonction publique territoriale ait transféré
l'Institut supérieur de formation à Strasbourg, soit près de l'ENA. Des
rapprochements pourront ainsi avoir lieu entre les deux fonctions publiques.
Cela ne peut que favoriser à la reconnaissance de la fonction publique
territoriale.
Au demeurant, les élus locaux ont à gérer un paradoxe : s'ils veulent avoir,
dans leur fonction publique territoriale, des jeunes brillants et compétents,
ils doivent leur garantir une carrière qui ne puisse être brisée par des
incidents de parcours.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Larché.
M. Jacques Larché.
Monsieur le président, monsieur le ministre, la décentralisation, dont
l'intercommunalité est l'un des aspects importants, est, pour nous, une
création continue. Au sein de notre Haute Assemblée, nous la vivons tous les
jours car nous la pratiquons sur le terrain.
Cette pratique, contrairement à ce que certains font profession de croire,
ceux-là mêmes, d'ailleurs, qui se livrent à de véritable dérapages verbaux -
sur ce point, je souscris tout à fait au propos de mon collègue et ami M.
Peyronnet - nous aide puissamment dans la réflexion que nous devons mener en
notre qualité de législateur.
Issues de cette réflexion, les conclusions du groupe de travail animé par MM.
Jean-Paul Delevoye et Daniel Hoeffel constituent un exemple particulièrement
intéressant et fructueux.
Nous avons, en la matière, à gérer une très longue tradition, car les lois de
1982, auxquelles le souvenir de Gaston Defferre reste très légitimement
attaché, auront constitué l'achèvement - le point d'orgue, en quelque sorte -
d'une oeuvre entreprise auparavant.
L'histoire de nos communes et de nos départements se confond avec celle du
développement de notre pays et de l'affermissement de la démocratie locale.
L'apparition de la région en tant que collectivité territoriale à part entière
a, sans aucun doute, modifié quelque peu cet équilibre.
L'expérience montre que, lorsque les bonnes volontés se rencontrent, des
collaborations fructueuses sont parfaitement possibles. Elles sont nécessaires,
et ce d'autant plus que les interventions des collectivités locales constituent
l'essentiel des investissements publics de notre pays.
Il n'est pas inutile d'en rapprocher le montant considérable des quelque 300
milliards de francs que l'Etat est obligé de consacrer au sauvetage
d'entreprises publiques dont la gestion déplorable a conduit aux résultats que
l'on sait, sauvetage qui l'empêche, d'ailleurs, de se consacrer autant qu'il le
devrait à ses tâches essentielles, c'est-à-dire à ses tâches régaliennes.
Nos collectivités locales - la recherche de l'intercommunalité en est un
exemple - fortes de leur tradition ou de leur nouvelle expérience sont
confrontées à un devoir constant d'adaptation.
De nos communes, d'aucuns disent qu'elles sont trop nombreuses. Je ne partage
pas cet avis, car on oublie que, derrière elles, il y a quelque 500 000
conseillers municipaux, qui constituent l'un des derniers corps intermédiaires
dont notre pays dispose. Elles sont un foyer de démocratie. On peut les inciter
au regroupement à condition que celui-ci soit organisé dans la clarté et
volontaire.
Le département, quoi qu'en pensent certains, constitue une structure bien
vivante. Il est un modèle d'administration de proximité et il est, par nature,
le cadre dans lequel s'harmonisent les décisions concernant tous ceux qui y
vivent. Les autorités départementales savent parfaitement, s'il le faut,
outrepasser leurs compétences pour suppléer parfois aux carences de l'Etat.
La région doit prendre garde à ne pas faire sienne l'idée caressée par
certains que son destin naturel fait d'elle la seule collectivité de
l'avenir.
Nous devons prendre garde, enfin, à ce que certaines innovations qui ont pu
paraître séduisantes ne viennent pas compliquer une carte administrative déjà
suffisamment complexe.
Reste enfin la vigilance dont nous devons faire preuve à l'égard de l'Etat.
Nous savons bien qu'il n'a pas suivi l'évolution naturelle qui aurait dû
découler de la décentralisation. Je me suis toujours interrogé sur le nombre de
fonctionnaires de la rue de Grenelle transférés dans les collectivités
territoriales, alors que ce sont maintenant les régions et les départements qui
s'occupent, les unes des lycées, les autres des collèges.
Les transferts de compétences n'ont pas, loin de là, toujours été accompagnés
des transferts de ressources financières ou humaines nécessaires.
Aucun des grands problèmes auxquels notre société doit faire face ne se
résoudra au niveau de l'Etat seul. Le rôle des collectivités territoriales peut
être déterminant, mais nous avons derrière nous des décennies de jacobinisme,
et même d'absolutisme royal, et nous n'avons peut-être pas intégré
intellectuellement de manière suffisante et totale les conséquences de la
décentralisation.
Il faut admettre que décentralisation et diversité vont de pair. C'est que la
décentralisation, de manière inévitable - ou alors il n'y a pas
décentralisation - découle d'une reconnaissance des capacités différentes et
des diversités de solutions.
Soyons attentifs à ce qu'une politique dite d'aménagement du territoire,
nécessaire sans doute, n'en arrive pas à brider les initiatives locales.
N'oublions pas que la reconnaissance des collectivités territoriales, actives
et diverses dans leurs capacités, dans leurs interventions, est le seul moyen
dont nous disposons pour répondre à cette autre spécificité française, trop
souvent passée sous silence : la nécessaire gestion d'un espace insuffisamment
peuplé.
Mes chers collègues, il nous reste beaucoup à faire en la matière. Je suis
persuadé que les conclusions du groupe de travail qui a engagé une réflexion
remarquable nous aideront dans cette tâche sans cesse renouvelée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'excellent
rapport du groupe de travail sur la décentralisation est un précieux outil de
réflexion sur la coopération intercommunale et ses perspectives. Je m'associe
avec plaisir aux compliments adressés à Daniel Hoeffel et Jean-Paul
Delevoye.
Voici quelques remarques que m'inspire l'observation de la coopération
intercommunale telle qu'elle se pratique sur le terrain.
La notion d'intercommunalité a été accueillie comme une innovation introduite
par la loi d'orientation du 6 février 1992, alors que l'intercommunalité était
de longue date mise en oeuvre à des degrés divers, au travers des syndicats à
vocation unique, souvent des syndicats à vocation multiple et parfois des
districts.
Elle a été accueillie avec intérêt, mais aussi avec scepticisme.
Il fut nécessaire de rassurer nombre d'élus locaux, de les convaincre de la
volonté de l'Etat de favoriser le renforcement de la coopération
intercommunale, sans intention de préparer insidieusement l'absorption des
petites communes.
Il a fallu persuader que l'on s'en tiendrait à la règle du volontariat, mais
aussi faire admettre qu'au sein d'un groupement l'action économique globale ne
pouvait qu'être bénéfique à chacune des communes membres.
Après cinq ans d'efforts, la nécessité de travailler ensemble est reconnue
comme vitale.
Mois après mois, de nouvelles communautés sont créées, des SIVOM sont
transformés, le SIVOM constituant d'ailleurs par lui-même une structure
efficace.
Dans ces conditions, il est opportun, non pas « d'afficher » une intention de
réforme, mais plutôt d'évoquer la nécessité de simplification, voire
d'harmonisation des procédures.
Nous constatons que la communauté de communes est le type d'établissement qui
emporte une large adhésion. L'espace de liberté qui caractérise son
fonctionnement et permet son évolution progressive au gré de la volonté des
élus convient au plus grand nombre.
Elle regroupe aussi bien ville-centre et communes suburbaines, ville-centre et
communes rurales, que petites communes entre elles, de deux, trois, à plusieurs
dizaines. Elle adopte, selon le cas, le périmètre d'une agglomération, d'un
canton, d'un syndicat, d'une charte ou d'un pays.
Je suggère, ici encore, que l'on maintienne sans modification significative ce
cadre institutionnel apprécié.
Bien sûr, les mesures fortes d'incitation financière ne sont pas étrangères au
succès de la coopération voulue par la loi de 1992. Mais, si l'intercommunalité
de projet orientée vers le développement économique devient peu à peu réalité,
subsiste cependant la possibilité d'ententes particulières pour la gestion de
divers services.
A ce sujet, je voudrais insister, monsieur le ministre, sur l'intérêt que
présente pour les communautés de communes l'exercice de compétences
facultatives telles que celles qui sont dévolues aux SIVOM. La direction
générale des collectivités locales n'ignore pas l'exemple de SIVOM transformés
en communautés de communes dont les compétences à la carte ne peuvent être
mieux exercées qu'à l'intérieur des nouvelles communautés. Sans cela, les
situations sont inextricables : il faut créer tel nouveau SIVU pour les
transports, tel autre pour le service des eaux, etc., maintenir un SIVOM, ou
encore établir des conventions particulières.
Plus précisément, c'est le fondement de ce qui a réuni les communes dans un
premier cercle de coopération qui se trouve déprécié. Le pacte initial perd de
sa consistance, alors que les nouvelles compétences n'ont pas encore acquis les
vertus nécessaires à la cohésion.
Bien entendu, ces activités facultatives ne doivent pas modifier, en le
faussant, le coefficient d'intégration fiscale. Toutes les précautions
budgétaires et comptables sont possibles à cet effet. Leur application est
simple : la comptabilité analytique et les budgets annexes sont conçus pour
cela.
En matière de taxe professionnelle, la question a été posée de savoir s'il
fallait procéder à un rapprochement des taux afin de réduire les concurrences
abusives entre communes pour l'implantation des entreprises sur leur
territoire.
Ce problème ne semble pas concerner uniquement les groupements de communes. Il
est plus large et s'adresse à toutes les communes en concurrence, qu'elles se
situent dans la même agglomération ou qu'elles appartiennent à des
agglomérations différentes.
La généralisation d'une taxe professionnelle unique d'agglomération aurait
donc des effets limités.
Elle conduirait cependant à imposer aux communautés de communes l'application
du régime fiscal des communautés de villes, lequel n'a pas eu jusqu'ici la
faveur des collectivités territoriales. Ce régime figure parmi les options
possibles pour les communautés de communes, mais celles-ci accordent une
préférence à la fiscalité additionnelle d'autant plus facilement qu'elles
accompagnent leurs initiatives de la création de zones d'activités par
l'institution d'une taxe professionnelle de zone.
C'est pourquoi je pense qu'exiger des communautés de communes en place
l'application d'une taxe professionnelle d'agglomération serait une mesure
contraire au respect du principe fondamental du volontariat pour le
regroupement intercommunal.
En revanche, toute mesure à ce sujet devrait être soit envisagée
indépendamment de l'existence ou de l'absence d'un établissement de
coopération, soit laissée à la libre appréciation des élus locaux.
Voilà, rapidement brossés, quelques aspects de la vie intercommunale, dont la
qualité tient essentiellement à la clairvoyance et à la volonté de ses
acteurs.
(Applaudissements sur les travées de l'union centriste et des républicains et
indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'agissant
d'un débat sur les perspectives de la coopération intercommunale, je tiens
d'abord à dire le bien que je pense de celle-ci pour l'expérimenter depuis
vingt ans, mais je voudrais aussi tirer un enseignement des dysfonctionnements
que j'ai pu observer, particulièrement ces dernières années, avec l'emballement
des communautés de communes.
Avant tout, il me paraît important de bien clarifier l'objectif. S'il s'agit
de fusionner les communes par la voie financière et économique parce qu'on n'y
est pas arrivé par le volontariat ou la voie législative, je reconnaîs qu'on a
peut-être mis en place les bonnes mesures.
Mais j'ai la faiblesse de penser que nous sommes trop respectueux de la
légitimité des communes pour envisager de telles méthodes et que le véritable
objectif est bien d'optimiser au maximum l'emploi de l'argent public, de
rationaliser les équipements et l'occupation des espaces et d'équilibrer nos
territoires en apportant au plus près du citoyen le travail, les services et
les commodités auxquelles il aspire.
Dès lors, il me paraîtrait opportun, dans les mesures à prendre demain, de
bien veiller à favoriser l'intercommunalité authentique, faute de quoi il
pourrait y avoir des conséquences dommageables pour les communes, bien sûr,
mais aussi pour les entreprises et les ménages.
On ne peut pas dépouiller les petites communes de moyens financiers importants
au profit de structures intercommunales qui ne correspondent ni à un souci de
bonne gestion ni à des actions de développement, mais qui ne sont en fait que
des regroupements d'opportunité n'apportant aucune valeur ajoutée à la
collectivité.
M. Daniel Hoeffel.
C'est exact !
M. Francis Grignon.
On ne peut pas continuer à faire payer aux ménages et aux entreprises des
impôts communaux pour des actions qui deviennent intercommunales - et pour
lesquelles ils paieront plus tard des impôts - mais qui ne sont, là encore, ni
de bonne gestion ni de développement.
Le rapport de M. Hoeffel a bien fait état de ces anomalies en soulignant que
le degré d'intégration fiscale tel qu'il est mesuré ne correspond pas toujours
à l'exercice de compétences ni à des transferts de charges effectifs entre les
communes et les groupements.
Néanmoins, je ne pense pas que les contingents d'aide sociale et d'incendie
soient les seuls à devoir être soustraits du calcul du produit fiscal du
groupement pour corriger le coefficient d'intégration fiscale. J'ai cependant
noté que, en introduction, le rapporteur avait indiqué qu'une nouvelle notion
pourrait être mise en oeuvre à travers la prise en compte des ressources
affectées aux compétences exercées.
Quelles sont, alors, les actions intercommunales qu'il y a lieu d'encourager ?
Elles sont, à mon avis, de trois ordres.
Il s'agit, premièrement, de celles qui apportent un service qu'une commune
seule ne pourrait pas mettre en oeuvre. Je pense à l'assainissement, au
traitement des ordures ménagères mais aussi à des « gardes nature » comme ceux
que nous avons mis en place dans notre secteur.
Il s'agit, deuxièmement, des actions qui rationalisent les équipements - c'est
le fondement de l'intercommunalité -, qu'il s'agisse du gymnase du collège, de
la gendarmerie ou du centre de secours principal. Cette intercommunalité-là a
fait ses preuves.
Il s'agit, troisièmement, d'actions plus délicates à mettre en oeuvre : celles
qui ont pour but de catalyser le développement. Cette nouvelle intercommunalité
suscite le scepticisme de certains, mais c'est celle que je vis depuis
plusieurs années.
Elle s'est traduite, sur le plan économique, par la création d'une zone
d'activités commune destinée à accueillir des entreprises nouvelles, par une
ORAC - opération de restructuration de l'artisanat et du commerce - en vue de
dynamiser le commerce et l'artisanat, par une OPAH - opération programmée
d'amélioration de l'habitat - permettant de réhabiliter les logements
anciens.
Elle s'est aussi traduite, sur le plan social, par un « espace jeunes », qui
est constitué de locaux, bien sûr, mais qui implique également des moniteurs
allant à la rencontre, dans chaque commune, des jeunes les plus désoeuvrés pour
les redynamiser.
Voilà, dit en quelques phrases, monsieur le ministre, ce que je considère
comme l'intercommunalité authentique, qu'il y a lieu de préserver et
d'encourager.
Il est temps d'analyser très en détail les actions à promouvoir. Je souhaite
d'ailleurs, monsieur le ministre, vous demander quel type d'intercommunalité
vous allez retenir pour l'attribution de la DGF. En effet, il ne faudrait pas
que, globalement, l'intercommunalité passive, ou d'opportunité, neutralise
l'intercommunalité active, de gestion positive, de solidarité et de projet.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Je voudrais d'abord remercier tout spécialement les
membres du groupe de travail de la commission des lois pour leur excellent
ouvrage. Celui-ci me sera, qu'ils en soient certains, très utile pour mettre la
dernière main au projet de loi sur l'intercommunalité, dont il a été beaucoup
question ce matin. En effet, les arbitrages n'étant pas encore rendus, le texte
reste tout à fait « ouvert », ce qui donne tout son sens à notre débat
d'aujourd'hui.
Avant d'évoquer plus particulièrement l'intercommunalité, je souhaite formuler
un certain nombre de réflexions plus générales concernant la
décentralisation.
Je me souviens que, avant même les débats qui ont abouti aux lois de 1982 et
de 1983, le thème de la décentralisation avait fait l'objet d'un rapport de M.
Guichard, intitulé
Vivre ensemble
, que j'avais beaucoup étudié en un
temps où je n'étais pas encore entré dans la vie politique proprement dite.
Depuis, le mouvement de décentralisation est bien devenu une réalité, de
nombreux orateurs l'ont dit avant moi.
Je tiens à dire ici, au nom du Gouvernement, que le bilan de cette
décentralisation est bon.
Le développement de la décentralisation a en effet correspondu à une
amélioration qualitative incontestable et considérable des services rendus au
public. Il n'est que de constater, ce que nous faisons régulièrement les uns et
les autres, les changements opérés dans la physionomie de nos villes et de nos
communes rurales ou encore l'ampleur de la modernisation des structures
d'enseignement, qu'il s'agisse des lycées ou des collèges, ou encore des
universités, en faveur desquelles les collectivités locales se sont aussi
largement impliquées.
Nos élus locaux ont su se saisir des nouvelles responsabilités qui leur ont
été confiées il y aura bientôt une quinzaine d'années. Leur apport est ainsi
devenu décisif, comme l'a dit le président Larché, dans l'équipement du pays et
dans la conduite de politiques aussi essentielles que celle des transports ou
celle de l'action sociale.
Certains inconvénients, dénoncés parfois par des observateurs en mal de «
formules chocs », ne doivent pas occulter cette réalité profonde, qui est bien
plus importante.
Le deuxième élément positif du bilan de la décentralisation réside dans le
rapprochement qu'elle a incontestablement favorisé entre la puissance publique,
au sens large, et le citoyen, et c'était aussi un de ses enjeux majeurs.
Chacun a maintenant bien compris que tout ne doit pas ou, plus exactement, ne
peut pas se décider à l'échelon central. Il est indispensable que, pour la
plupart des services publics, les citoyens trouvent une réponse au niveau des
administrations locales, s'agisse aussi bien de celles des collectivités
territoriales que les services déconcentrés.
Depuis une vingtaine d'années, les responsabilités liées à la gestion de
proximité ont été largement redistribuées de l'Etat vers les collectivités
territoriales et, pour l'essentiel, votre rapport, monsieur Hoeffel, conclut au
caractère positif de ce dispositif.
Cela dit, j'ai la conviction profonde que la décentralisation n'est pas un
état stable : la décentralisation est et doit demeurer un mouvement, ainsi que
l'ont fort bien souligné M. Hoeffel et le président Larché.
Il nous faut donc inlassablement tendre à son approfondissement, en tenant
compte, bien sûr, de l'évolution des contraintes et en mettant en cohérence les
objectifs nationaux et les politiques locales.
Pour l'Etat, l'orientation est claire : il faut continuer à donner à la
décentralisation les moyens de son développement, au service du citoyen, à
l'encontre des faux débats que le rapport relève.
Permettez-moi de revenir sur quelques-uns d'entre eux.
A mes yeux, il n'y a lieu ni de contester la décentralisation, contrairement à
ce que donnent à penser certains discours alarmistes sur sa dérive, ni de
considérer que tout resterait à refaire, comme le prétendent ceux qui estiment
qu'elle est en panne, sans d'ailleurs toujours formuler de réelles propositions
pour la faire repartir.
Il n'y a pas de lieu, non plus, contrairement à ce qui ressort de certaines
conceptions par trop théoriques, dont ne pourraient découler que des solutions
plaquées d'en haut, de remettre en cause la carte territoriale, qui reconnaît
la valeur ajoutée propre de chaque catégorie de collectivités, ni de
contrecarrer la libre initiative des élus locaux sur le terrain.
A mes yeux, il est deux approches qui ne doivent surtout pas être confondues,
car elles sont, en vérité, bien différentes : d'une part, une approche centrée
sur l'aménagement du territoire, qui peut effectivement suggérer la mise en
commun de moyens, des réflexions en commun, la création de synergies
territoriales ; d'autre part, une approche - c'est la mienne parce que c'est
mon rôle de l'avoir -, qui permet sur un plan institutionnel, d'améliorer ou de
construire certaines solidarités.
Je pense qu'il nous faut étudier concrètement tous les points qui appellent,
de la part de l'Etat comme des collectivités territoriales, des améliorations
réelles. C'est l'orientation qui a guidé et qui continuera de guider l'ensemble
des actions convergentes que j'ai essayé de lancer depuis quelques mois.
Tout d'abord, je suis convaincu que la décentralisation - j'y reviendrai plus
longuement dans un instant - a besoin d'une évolution des structures
territoriales pour être un cadre plus efficace à l'exercice des compétences.
Elle a, en même temps, besoin d'une simplification, ainsi que l'ont dit M.
Hoeffel et d'autres orateurs. A cet égard, la priorité, c'est effectivement la
coopération intercommunale : c'est ce grand chantier que nous avons ouvert.
Notre pays a une identité assise sur un réseau de communes, tous les
intervenants l'ont relevé. Il dispose d'échelons territoriaux de solidarité et
d'animation.
Cette réalité est une richesse. Bien sûr, elle est source de complexité, mais
la vie est souvent complexe. Elle impose d'écarter toute idée d'échelons
supplémentaires - cela doit être bien clair - ou de bouleversements
institutionnels susceptibles de casser la dynamique de l'engagement des élus
locaux. C'est sur cette base qu'il faut se préoccuper d'apporter aux
collectivités locales des instruments de coopération et de complémentarité plus
simples, mieux adaptés, correspondant à des choix du temps présent.
C'est pourquoi j'ai mené la concertation que vous savez sur le projet de loi
relatif à l'intercommunalité, concertation que ce débat conclut en quelque
sorte, avant que le projet de loi soit rédigé.
En complément de cette démarche, je vois la nécessité de clarifier les règles
du jeu et de mettre au point certains garde-fous en matière financière.
Nous devons prolonger le mouvement de la décentralisation dans un contexte de
contraintes financières, où la dépense publique doit être maîtrisée, et alors
que nous avons le souci de modérer les prélèvements. Dans le même temps, nous
voulons opérer une redistribution des ressources sans déstabiliser les budgets
locaux. Nous voulons également assurer aux collectivités une plus grande
sécurité et une capacité de prévision.
C'est tout le sens des réformes qui ont été engagées jusqu'ici et de celles
que je souhaite mettre au point.
Je pense à la réforme, en 1993, de la dotation globale de fonctionnement, qui
a permis de dégager des marges de péréquation et des moyens propres à financer
l'intercommunalité, et à la réforme de la dotation de solidarité urbaine que
nous avons menée à bien, voilà tout juste un an, pour renforcer la péréquation
dans le contexte financier de 1996.
Je pense aussi à la mise en place du pacte de stabilité financière triennal,
qui a été évoqué de nouveau ce matin en même temps que le souhait, logique et
bien compréhensible, de passer de la stabilité des seules ressources à celles
des ressources et des dépenses.
A cet égard, je suis moi-même tout à fait conscient de la nécessité
d'envisager avec plus de rigueur les conséquences financières des normes,
qu'elles soient nationales ou européennes. Il faut en effet savoir raison
garder, car, sinon, ce seront les citoyens, et pas seulement les élus locaux,
qui un jour se révolteront.
L'effort de vigueur implique aussi la mise en oeuvre d'une logique dans
l'appréciation des charges. Les études menées par la commission de concertation
et de l'évaluation des charges ainsi que par l'observatoire des finances
locales sont à cet égard très utiles, notamment pour expliquer les distorsions
entre la recette et la dépense.
Enfin, sans être comptable de formation, je suis convaincu que la mise en
oeuvre de la M 14, même si c'est un sujet parfois difficile, nous permettra de
mieux évaluer la situation financière des collectivités locales sur la durée.
Un jour, nous nous féliciterons d'avoir consacré des mois et même des années à
réformer nos modes de fonctionnement.
Toutefois, la démarche évolutive dont je viens de rappeler quelques étapes
doit être complétée par une prise en compte plus précoce des difficultés
financières des collectivités locales - j'y travaille actuellement avec la
direction générale des collectivités locales - et par une clarification des
rapports entre les collectivités actionnaires et les sociétés d'économie mixte
locales. J'espère être en mesure de vous présenter, d'ici à l'été, des
propositions sur ces deux sujets, qui sont intimement liés.
Je crois par ailleurs que la décentralisation appelle d'urgence la réforme de
l'Etat, celle-ci étant le corollaire de l'adaptation du service public
local.
Cette réforme de l'Etat, nous la mettons en oeuvre notamment en donnant à la
déconcentration tout son contenu et en faisant du préfet l'interlocuteur unique
qu'attendent les élus locaux dans le cadre d'un véritable partenariat.
M. Delevoye a évoqué la globalisation de certaines lignes de crédits pour les
aides à l'emploi. Ce n'est qu'un début : mesdames, messieurs les sénateurs, je
me permets de vous le rappeler, au début du mois de janvier, j'ai fait adopter
en conseil des ministres un décret fixant la règle de la compétence exclusive
des échelons déconcentrés de l'Etat à compter du 1er janvier 1998 pour toutes
les décisions administratives individuelles. Ces dernières ne relèveront donc
plus des services ministériels, sauf exceptions fixées par décret en Conseil
d'Etat.
Nous avons également engagé un processus d'amélioration de la nomenclature
budgétaire dans le cadre de la préparation de la loi de finances.
Cela permettra d'identifier par chapitres les crédits d'investissement
effectivement déconcentrés, ce qui les mettra à l'abri de la « reconcentration
rampante » bien connue qui se pratique dans tous les ministères.
Les collectivités locales, grâce à ces réformes, trouveront dans la personne
du préfet et dans ses services l'interlocuteur unique, capable d'être leur
partenaire efficace et proche du terrain.
Enfin, la décentralisation suppose de la souplesse dans la gestion des
personnels.
Deux lois, la loi du 27 décembre 1994 modifiant certaines dispositions
relatives à la fonction publique territoriale qu'avait rapportée M. Hoeffel,
ainsi que la loi du 16 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction
publique et à diverses mesures d'ordre statutaire sont d'ores et déjà venues
conforter le statut de la fonction publique territoriale, tout en faisant «
sauter » certains des obstacles que l'on rencontre dans la gestion
quotidienne.
Je n'ignore pas cependant que des questions ponctuelles se posent encore et
qu'il reste des problèmes à résoudre. J'évoquerai seulement ce matin la
question des quotas et des seuils, qui préoccupe nombre d'entre vous, je le
sais ; je prendrai d'ici à l'été prochain des mesures réglementaires afin
d'apporter une solution aux difficultés les plus criantes.
Je dirai simplement - et je remercie M. Hyest de l'avoir fait avant moi - que,
tout compte fait, le statut de la fonction publique territoriale reste sans
doute la meilleure garantie d'un service public égal et homogène sur l'ensemble
du territoire.
Je crois qu'il ne faut pas l'oublier, même s'il nous arrive, en tant que
maires ou présidents de conseils généraux, d'être agacés par certaines règles
qui, au moment où le problème se pose, nous irritent. Il faut replacer ces
règles dans un contexte plus large et se demander ce que deviendrait le service
public local si le dispositif actuel éclatait et se parcellisait à l'extrême
sur l'ensemble du territoire.
Méfions-nous, car, à ce moment-là, ce n'est plus la péréquation financière qui
nous préoccuperait mais bien la capacité des collectivités locales les plus
pauvres à trouver des collaborateurs.
L'unité de la fonction publique territoriale est une garantie de l'égalité des
collectivités locales les unes par rapport aux autres, ne l'oublions pas.
Je veux maintenant revenir de façon peut-être plus détaillée sur le sujet qui
a le plus préoccupé les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, à savoir
l'architecture qui pourrait être celle du texte sur l'amélioration de la
coopération intercommunale, dont nous avons déjà souvent eu l'occasion de
parler, en particulier dans le cadre du groupe de travail sur la
décentralisation.
Ce texte aura trois objectifs, qui répondent, monsieur Hoeffel, aux souhaits
que vous avez exprimés.
Le premier de ces objectifs est la simplification du paysage institutionnel
par la création d'une nouvelle structure qui regrouperait, vous l'avez dit,
districts, communautés de communes et communautés de villes.
Je souligne à ce propos que notre approche n'est aucunement fondée sur une
opposition de l'urbain au rural. L'approche entre ces deux types d'espace ne
doit pas être dichotomique mais au contraire reposer sur des formules
s'adaptant à l'un et à l'autre.
Compte tenu de leurs spécificités, les communautés urbaines et les syndicats
d'agglomérations nouvelles, qui relèvent de situations bien particulières, ne
seront donc pas concernés par le texte en préparation.
Bien entendu, et cela est affirmé à l'occasion de la concertation qui se
développe depuis un an, la coopération par le biais des syndicats conserve un «
bel avenir » et les syndicats de communes demeureront un outil bien
pratique.
La nouvelle structure juridique pourrait être dénommée « communauté de
communes », car je crois que c'est le terme le plus compréhensible pour nos
compatriotes.
Cette nouvelle « communauté de communes » pourrait se construire sur la base
la moins contraignante des règles actuellement applicables aux communautés de
communes, qui constituerait ainsi un socle minimum. A partir de ce tronc
commun, chaque groupement pourrait opter pour telle ou telle forme d'évolution,
aussi bien en matière de représentation des communes ou de champs de compétence
que de périmètre ou de fiscalité.
Que M. Franchis soit parfaitement rassuré, la souplesse et la liberté sont le
fondement de notre démarche. C'est la libre volonté des élus qui s'exprimera,
mais dans la limite de garde-fous, d'ailleurs traditionnels, tels que la règle
de la majorité qualifiée.
Quant à la création des nouvelles communautés de communes, elle pourrait se
plier aux règles habituelles : fixation du périmètre par le préfet et décision
des communes à la majorité qualifiée.
Certaines décisions pourraient en outre être enfermées dans des délais afin
d'éviter que les procédures ne traînent à l'excès.
Sur un point sans doute, nous aurons à trancher, mais ce devrait être
relativement simple : le préfet conservera-t-il, comme le voulaient jusqu'ici
les lois et la jurisprudence du Conseil d'Etat, un pouvoir d'appréciation lors
de la phase ultime du processus ? Je crois personnellement que c'est une
nécessité, je me permets de le dire, car le préfet doit disposer des moyens
d'éviter
in fine
la création de structures par trop provocatrices - je
n'en dirai pas davantage.
S'agissant de le représentation des communes, je suis d'avis que la
répartition des sièges se fasse à l'amiable. Le principe même de la communauté
est en effet en cause et, si on ne se met pas d'accord là-dessus, je ne vois
pas bien sur quoi on pourra se mettre d'accord !
Pour autant, il ne faudrait pas, bien entendu, qu'une commune soit privée de
délégué, ou que les représentants d'une seule commune détiennent la majorité au
conseil communautaire.
Par ailleurs, dans la logique de l'intercommunalité et de la coopération
intercommunale, le principe du scrutin majoritaire devra être conservé.
Enfin, il me semblerait utile de profiter de ce texte pour régler une question
annexe, j'en conviens, mais importante aux yeux de beaucoup, celle du statut
des élus des structures intercommunales, qu'il faudrait calquer sur le statut
municipal.
S'agissant du fonctionnement, il faudra clarifier la question de la durée des
mandats, qui pose toujours problème lors du renouvellement des conseils
municipaux.
Nous pourrions également saisir l'occasion pour régler la question des
délégations de pouvoir au bureau des structures intercommunales ainsi qu'au
président, les deux délégations n'étant pas exclusives l'une de l'autre.
L'équilibre entre délégation au bureau et délégation au président pourra être
laissé à l'appréciation de la structure ainsi mise en place.
Pour ce qui est de l'exercice des compétences, je crois très sincèrement
qu'au-delà du tronc commun pour les communautés de communes, c'est la liberté
qui doit prévaloir, avec une seule contrainte : dès lors qu'une structure
opterait pour la fiscalité à taxe professionnelle unique, elle aurait, bien
entendu, l'obligation d'exercer la compétence exclusive en matière de zone
d'activités.
Enfin mais nous en reparlerons tout à l'heure je pense qu'il nous faut, dans
l'esprit de la proposition de loi de M. Joyandet, reconnaître le caractère
pertinent de la règle de la représentation-substitution, qui est une pratique
inévitable, en particulier dans des domaines comme celui du traitement des
ordures ménagères, dont on a beaucoup parlé ce matin.
S'agissant des évolutions de la structure, nous pourrions, au fil du texte,
préciser les règles en matière d'admission, de retrait, etc.
Bien entendu, nous devrons prendre des mesures transitoires, en particulier
pour trouver des solutions concrètes au moment de la fusion des districts.
Certains districts pourront d'ailleurs ne pas souhaiter se transformer en
communauté de communes et se dissoudre ou se transformer en syndicat, par
exemple.
Parlant de l'aspect institutionnel, je veux insister à nouveau sur le fait que
nous n'opposons pas une logique urbaine à une logique rurale. Monsieur
Peyronnet, nous ne contestons pas l'architecture institutionnelle actuelle dans
son ensemble, je l'ai déjà dit.
J'ai entendu aussi les interrogations sur le suffrage universel. Ce débat ne
manquera pas de s'engager, mais je le crois prématuré : aller aussi vite en
besogne porterait un coup fatal à l'intercommunalité.
Je voudrais enfin dire que je ne considère pas inutile, effectivement,
d'améliorer les instruments de développement des agglomérations, comme vous
l'avez souhaité, m'a-t-il semblé. Cela a été le cas avec la réforme de la DSU,
que je vous avais proposée l'année dernière, et je pense que la taxe
professionnelle d'agglomération peut constituer un élément extrêmement utile
pour aider lesdites agglomérations à construire leur devenir.
Le deuxième objectif du texte - vous le savez bien - vise donc à favoriser le
passage à la taxe professionnelle d'agglomération.
Je voudrais tout de suite dire d'un mot, pour éviter toute ambiguïté, qu'aucun
caractère obligatoire ne sera attaché au passage à la taxe professionnelle
unique. C'est un choix qui appartiendra aux élus, d'autant que, effectivement,
comme l'a dit M. Pagès, dans un certain nombre de circonstances géographiques,
politiques ou économiques, imposer ce passage serait une erreur. Je sais, par
exemple, que les responsables des communautés urbaines sont en général assez
réservés sur cette formule - vous avez cité la COURLY - car la taxe
professionnelle unique est assez mal adaptée à ce type de structures déjà très
intégrées mais qui n'ont pas pour autant rapproché leurs taux de taxe
professionnelle.
Ce à quoi il faut s'attacher, c'est à la disparition des obstacles qui,
incontestablement, ont bloqué le processus d'adoption de la taxe
professionnelle unique : seules quatre communautés de villes ont été mises en
place en France depuis la loi de 1992.
Il nous paraît indispensable d'aller dans ce sens. C'est l'une des réponses
aux problèmes posés par la taxe professionnelle, même si ce n'est pas la
réponse absolue : je n'ai pas cette ambition, et je n'en ai d'ailleurs pas les
compétences ministérielles.
Les mesures que je viens de décrire iront dans le bon sens. Elles aboutiront à
un rapprochement des taux de la taxe professionnelle dans chacune des
agglomérations et, en fait, à un rapprochement entre les agglomérations
elles-mêmes. Nous gommerons ainsi certaines des raisons qui alimentent les
critiques adressées à cette taxe.
Cela ne nous empêche pas de réfléchir aussi sur les bases !
M. Robert Pagès.
Mais dans le bon sens !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Il faut trouver géographiquement les profits financiers,
monsieur le sénateur !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les actifs !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Les actifs financiers sont malheureusement très mobiles.
Or, pour être efficace, un impôt local doit être localisable.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Dominique Perben,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Le génie de nos grands anciens fut ainsi de trouver des
systèmes fiscaux permettant de se saisir - au bon sens du terme ! - de la
matière fiscale avec certitude.
Il ne faudrait pas que les bases de la fiscalité de demain soient à ce point
volatiles, en termes comptables, qu'il serait très difficile de les saisir.
Mais c'est là une simple observation dans un débat qui ne relève pas
directement de mon champ de compétence.
Comment gommer les difficultés de passage à la taxe professionnelle unique
?
Je crois qu'il faut assouplir la règle de liaison des taux à la baisse, de
manière qu'il n'y ait pas de conflit entre la compétence fiscale d'une commune
et celle de la communauté. Je pense qu'il nous faudra également régler la
question du cumul éventuel de la fiscalité additionnelle et de la taxe
professionnelle unique.
Je suis aujourd'hui convaincu - et vous voyez bien que la concertation fait
évoluer la pensée des ministres, puisque certains d'entre vous savent que telle
n'était pas du tout ma position voilà six mois ! - que l'une des raisons très
importantes pour lesquelles les communautés de villes n'ont pas vu le jour et
pour lesquelles les communautés de communes ont très rarement choisi
d'instaurer la taxe professionnelle unique, c'est qu'il n'est pas possible
aujourd'hui de cumuler ces deux fiscalités. Par conséquent, les structures
intercommunales hésitent beaucoup à choisir un mode de ressource unique, avec
tout ce que cela signifie en termes de risque, d'abord dans la durée, ensuite
en termes de distorsions dans la répartition de cette recette entre les
différentes communes.
Nous devrons donc décider de prévoir ou non cette possibilité de cumul.
Un autre débat qui a été longuement évoqué ce matin et sur lequel je souhaite
revenir est relatif à la meilleure allocation des ressources : comment mettre
un terme à l'intercommunalité d'aubaine ? C'est un sujet simple en apparence,
mais très complexe en réalité.
Vous m'avez entendu affirmer dans différentes enceintes, voilà quelques mois,
que nous allions exclure les contingents du coefficient d'intégration fiscale.
J'étais, bien sûr, très fier d'avoir trouvé - avec beaucoup d'autres - cette
formule, mais, malheureusement, cela ne marche pas ! D'abord, parce que, dans
un certain nombre de cas, il y a effectivement exercice d'une compétence, et il
est donc difficile de pénaliser le groupement concerné. Ensuite - et vous serez
certainement sensibles à cette seconde raison - la simulation que nous avons
faite montre qu'une telle mesure serait d'une incroyable brutalité financière.
On n'a pas le droit, à mon sens, surtout au moment où tous les budgets sont un
peu serrés, d'entrer dans des mécanismes trop brutaux.
Par la suite, nous avons essayé d'imaginer un dispositif qui aurait permis de
ne pénaliser au niveau du coefficient d'intégration fiscale que celles des
structures qui dépasseraient la moyenne nationale en termes de transfert de
moyens financiers à d'autres, c'est-à-dire de non-utilisation d'une partie de
leurs recettes financières.
Ce dispositif assez complexe apparaissait lui aussi extrêmement brutal, d'où
la proposition que nous examinons aujourd'hui. J'ai cru comprendre que M. Paul
Girod la voyait d'une manière un peu « gazière ».
(Sourires.)
Donc, je vous la soumets avec une très grande modestie, mais
en vous faisant un aveu : nous n'avons rien trouvé de plus simple, et l'équité
implique parfois - ce ne serait pas un cas unique - la complexité.
Cette proposition aurait pour objet d'instituer une troisième part au sein de
la DGF des groupements, qui serait gagée seulement sur la croissance de
celle-ci et qui permettrait d'abonder la dotation des groupements qui auraient
effectivement un niveau de transfert inférieur à celui de la moyenne
nationale.
Ce dispositif fonctionne, nous l'avons testé en vraie grandeur. Il est
relativement doux, et très progressif. Il aboutira effectivement, en quelques
années, à avantager les structures qui utilisent, pour l'exercice de véritables
compétences, les moyens financiers qui sont les leurs, et donc à désavantager
ceux qui font de l'intercommunalité d'aubaine.
Quant à l'idée avancée par M. Paul Girod et consistant à analyser les
situations en termes de dépenses et d'exercice effectif des compétences, bien
sûr, nous l'avons eue ! Mais nous ne savons pas faire. En effet, cette analyse
implique que l'on prenne les comptes administratifs et que l'on examine
effectivement ce qui s'est passé, ce qui est communautaire et ce qui ne l'est
pas. La démarche est, il faut bien le dire, un peu inquisitoriale. Par
ailleurs, elle entraînerait des conflits infinis : rappelez-vous la définition
du logement social pour le calcul de la DSU ! Nous atteindrions à peu près le
même niveau de complexité et nous aurions les mêmes sources de contentieux.
C'est la raison pour laquelle, pour l'instant, nous n'avons pas choisi cette
voie, même si j'ai bien conscience qu'il y aura là, à l'occasion du débat, un
point à examiner de très près.
Je pense enfin que nous n'échapperons pas - cela a d'ailleurs été souhaité par
plusieurs intervenants - à un certain toilettage des règles de fonctionnement
des fonds départementaux de péréquation, dans la mesure où, actuellement,
l'écrêtement se fait en fonction de la date de création des groupements et où
les taux de reversement prioritaire dépendent du statut des groupements. Mais
je n'ai pas la volonté de modifier substantiellement les équilibres, très
difficiles à atteindre dans ce domaine, qui ont pu être trouvés jusqu'ici.
Voilà, tracé à grands traits, en quoi le projet auquel nous continuons à
travailler pourrait consister, et je crois ainsi avoir répondu, pour
l'essentiel, aux interrogations qui ont été exprimées tout à l'heure.
Permettez-moi simplement de revenir sur un ou deux points qui étaient un peu
plus techniques, un peu plus précis.
S'agissant du FCTVA, nous avons réglé, l'année dernière - grâce au Sénat,
d'ailleurs - la difficulté tenant à la voirie et qu'ont connue de nombreuses
communautés de communes aux cours de ces dernières années. MM. Arzel et Bourdin
ont évoqué cette question.
Si nous élargissons trop le débat, prenons cependant garde de ne pas nous
trouver dans la situation qu'a connue votre collègue M. Hoeffel en 1994,
lorsqu'il lui a fallu revoir la question du FCTVA de fond en comble compte tenu
de l'explosion financière du fonds. Il faut que nous soyons, à cet égard,
prudents.
Quant à la question de la propriété domaniale, nous devons y réfléchir ; mais,
dans une logique intercommunale, faut-il véritablement aller aussi loin ? Ne
peut-on se contenter de préserver la capacité à faire des travaux au niveau
communautaire sans pour autant prévoir durablement le transfert de la
propriété, qui impliquerait le transfert de l'entretien ? Est-il bien
nécessaire de faire de l'entretien de voirie au niveau communautaire ? Je n'en
suis pas réellement certain, et je me demande si ce n'est pas plus adapté au
niveau municipal.
S'agissant des questions de péréquation et de cotisation minimale de taxe
professionnelle, je vous dirai, monsieur Pagès, la cotisation de péréquation
versée au fonds national constitue un début de réponse à votre question. Comme
elle est de création récente, nous n'en connaissons pas véritablement le
rendement pour l'instant, mais nous présumons qu'il sera sans doute beaucoup
plus faible que nous ne l'espérions. C'est, en tout cas, un sujet sur lequel
nous aurons intérêt à revenir.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
éléments de réponse qu'il me paraissait nécessaire de donner en conclusion du
débat qui vient de se dérouler.
Quelle est la philosophie du Gouvernement dans cette affaire ? Lorsque nous
élaborons des textes qui concernent directement les collectivités
territoriales, ou lorsque nous engageons, par voie législative ou
réglementaire, la réforme des administrations de l'Etat, nous travaillons dans
un esprit qui a été clairement et concrètement illustré par le Président de la
République lors d'un déplacement dans le Pas-de-Calais : nous avons la
conviction que c'est par le biais de l'initiative locale, que c'est par la
création de partenariats locaux, que nous ferons évoluer ce pays et que les
changements nécessaires pourront être mis en oeuvre. C'est donc en croyant très
profondément à la fois à la décentralisation et à la déconcentration que nous
réfléchissons sur ces différents sujets. Il n'était pas inutile de le rappeler
à l'issue de ce débat !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous
la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)
PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président a reçu de M. le Premier ministre le deuxième rapport
d'évaluation de la commission nationale d'évaluation relative aux recherches
sur la gestion des déchets radioactifs, établi en application de l'article 4 de
la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991, relative aux recherches sur la gestion
des déchets radioactifs.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
4
RENOUVELLEMENT DE MEMBRES
DU CONSEIL SUPÉRIEUR DES FRANÇAIS
DE L'ÉTRANGER EN ALGÉRIE
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 240,
1996-1997) de M. Charles de Cuttoli, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 183, 1996-1997) de MM.
Jean-Pierre Cantegrit, Jacques Habert, Charles de Cuttoli, Pierre Croze, Paul
d'Ornao, Xavier de Villepin, Mme Paulette Brisepierre, MM. Hubert
Durand-Chastel et André Maman tendant à rapporter temporairement le
renouvellement de quatre membres du Conseil supérieur des Français de
l'étranger élus dans la circonscription d'Algérie.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi,
due à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Cantegrit, tend à reporter
temporairement les prochaines élections au Conseil supérieur des Français de
l'étranger qui doivent se tenir dans la circonscription d'Algérie le 8 juin
prochain.
Le Conseil supérieur des Français de l'étranger - est-il besoin de le rappeler
puisque nombre de sénateurs y siègent ? - est l'assemblée représentative des
Français de l'étranger. Il a des attributions multiples, consultatives mais
aussi attributives.
Il en est une que je tiens toutefois à rappeler, mes chers collègues, parce
qu'elle est probablement la plus importante : il constitue le collège électoral
des douze sénateurs qui ont l'honneur de siéger parmi vous.
Le Conseil supérieur des Français de l'étranger est présidé de droit par le
ministre des affaires étrangères. Il se compose, tout au moins dans sa partie
électorale, de 150 membres élus au suffrage universel direct au moyen d'un
système électoral calqué sur celui de l'élection au Sénat dans les
circonscriptions à cinq sièges.
Pour le Conseil supérieur des Français de l'étranger, ces circonscriptions
sont de trois sièges.
Les délégués - c'est ainsi que l'on appelle ses élus - sont élus à la
représentation proportionnelle avec la plus forte moyenne. Ils sont élus pour
six ans. Ils sont divisés en deux séries : une série A, qui assure la
représentation des Français d'Amérique et d'Afrique, renouvelée le 8 juin
prochain, et une série B, qui est celle des Français d'Europe et du reste du
monde - Asie, Levant, etc.
Il n'échappe pas au Sénat que la situation dramatique qui prévaut en Algérie -
de nombreux Français, c'est malheureusement dans toutes les mémoires, en ont
été les victimes - entraîne une impossibilité de procéder, le 8 juin prochain,
à des élections au suffrage universel direct dans la communauté française.
La proposition de loi doit être examinée sous deux aspects.
D'abord, est-il possible, en fait, d'organiser, le 8 juin, des élections parmi
les Français vivant en Algérie ? Ensuite, en droit, le report de cette
élection, qui est demandé par la proposition de loi, est-il juridiquement
possible ?
En fait, est-il possible d'organiser des élections en Algérie ? La proposition
de loi soutient que non. Votre rapporteur s'est adressé, bien entendu, à
l'autorité qui était la plus qualifiée pour émettre un avis, à savoir M. le
ministre des affaires étrangères, qui, par une lettre du 19 février dernier,
m'a répondu : « La situation qui prévaut en Algérie ne permet pas d'organiser
des élections sans risque d'exposer la vie de nos ressortissants. »
J'ai demandé au ministre si, à défaut d'élections régulières, il était
possible de procéder à un vote par correspondance, prévu par la loi de 1982
dans les pays dans lesquels le scrutin est impossible. Je lui ai demandé, par
ailleurs, s'il était possible de réviser les listes électorales du Conseil
supérieur des Français de l'étranger, qui n'ont pas été révisées depuis 1994 et
qui doivent l'être non pas au 31 décembre, comme dans les communes françaises,
mais au 31 mars.
Je n'ai pas l'habitude d'abuser des lectures. Je souhaite cependant lire la
réponse du ministre, car elle contient toutes les raisons pour lesquelles il
est demandé au Sénat d'approuver la décision de la commission des lois.
Voici ce qu'écrit M. le ministre des affaires étrangères :
« En effet, toute démarche électorale présente des dangers, qu'il s'agisse
:
« - de la publicité et de la communication des listes électorales sur
lesquelles figureront au grand jour les noms de nos ressortissants,
essentiellement binationaux ;
« - de l'envoi en nombre des formulaires de mise à jour de la liste
électorale, des circulaires et des bulletins de vote des candidats, alors que
le secret de la correspondance est incertain, créant des risques réels pour la
sécurité des électeurs en appelant l'attention sur leurs liens avec la France
;
« - de déplacements pour aller voter. La sécurité la plus élémentaire s'oppose
à ce que nos compatriotes résidant en Algérie se rassemblent le jour du scrutin
dans leurs bureaux de vote.
« Enfin, la faculté de recourir au vote par correspondance présenterait, dans
l'état actuel de la situation en Algérie, les mêmes difficultés et les mêmes
dangers d'identification des électeurs.
« Dans ces conditions, et compte tenu de l'existence de circonstances
exceptionnelles qui persistent dans ce pays, votre proposition de loi constitue
une mesure temporaire et conservatoire appropriée. »
Je note également dans le bulletin des commissions du 5 février dernier que,
entendu par la commission des affaires étrangères, M. de Charette a déclaré : «
La proposition de loi sénatoriale sur le report des élections des délégués pour
l'Algérie au Conseil supérieur des Français de l'étranger pourrait contribuer à
apporter une solution. »
Je me dois de donner au Sénat quelques renseignements statistiques sur le
nombre de Français actuellement établis en Algérie ou y résidant et de ceux qui
sont inscrits sur les listes électorales du Conseil supérieur des Français de
l'étranger.
Je ne vous surprendrai pas en vous disant qu'actuellement ce nombre est
extrêmement difficile à évaluer en raison des très nombreux départs qui ont eu
lieu. Il n'y a plus en Algérie qu'un seul consulat, dans un pays dont la
superficie est égale à cinq fois celle de la France, y compris les territoires
du Sud.
Les derniers chiffres d'immatriculation qui nous avaient été communiqués
officiellement remontent à septembre 1993, donc à quatre ans. Vous voyez la
quantité d'événements et de circonstances qui ont pu modifier le nombre des
immatriculés, qui était à cette époque, en septembre 1993, de 24 000, dont 18
000 binationaux franco-algériens et 6 000 nationaux français !
D'après les statistiques officieuses des consuls, il y aurait - c'est une
approximation - 40 000 binationaux non immatriculés dans les consulats - mais
l'immatriculation n'est pas obligatoire.
Ces chiffres sont, bien évidemment, invérifiables. Le seul chiffre avéré que
je puisse vous donner est le suivant : en mars 1994, la liste pour l'élection
au Conseil supérieur des Français de l'étranger faisait apparaître 6 909
électeurs inscrits.
Nous pouvons donc considérer comme acquis, le ministre des affaires étrangères
le disant, qu'il est impossible de procéder, en fait, à des élections en
Algérie, même par correspondance, et qu'il est également impossible de réviser
les listes électorales.
J'en viens alors au second aspect du problème : en droit, le report demandé
par la proposition est-il possible ?
A cet égard, deux solutions sont envisageables.
Première solution : il n'y a pas de renouvellement du tout, on ne fait pas
d'élection parce qu'il est impossible d'en faire.
C'est une vieille théorie bien connue du droit administratif, celle des
circonstances exceptionnelles, qui fonde le Gouvernement à suspendre
l'application de la loi lorsqu'il se trouve en présence de menaces graves, de
désordres ou de dangers qui empêchent l'application de la loi.
Cela s'est d'ailleurs déjà produit en différentes circonstances. Pendant la
Grande Guerre, pendant la guerre de 1939-1945, puis à la Libération, il fut
plusieurs fois impossible de procéder à des élections ou même d'appliquer la
loi.
Ce système, juridiquement possible, certes, présente cependant des
inconvénients pour une communauté française d'Algérie déjà extrêmement
fragilisée. En effet, celle-ci serait ainsi privée de représentation à la fois
au Conseil supérieur des Français de l'étranger, qui est, par excellence, son
assemblée représentative, dans les ambassades et dans les consulats de France,
où elle ne pourrait pas faire connaître sa situation exacte, et, enfin, dans le
collège sénatorial, qui est appelé à se réunir en 1998 pour procéder à
l'élection de quatre sénateurs des Français de l'étranger.
En fait, la situation n'est pas totalement nouvelle. Le ministère des affaires
étrangères, pour cette circonscription d'Algérie, a déjà appliqué cette théorie
de l'impossibilité d'appliquer la loi.
Il l'a fait pour les élections européennes de 1994 et pour l'élection
présidentielle de 1995, pour lesquelles les centres de vote français en Algérie
n'ont pas été convoqués. Cela n'a suscité aucun remous, et il n'y a eu
absolument aucun inconvénient.
La seconde solution est celle qui est préconisée ici, à savoir le report, que
le Sénat, qui représente par excellence les collectivités territoriales,
connaît bien puisqu'à plusieurs reprises des élections locales ont été
reportées.
Si, pour les élections locales, les exemples ne manquent pas, en revanche,
pour ce qui est du Conseil supérieur des Français de l'étranger, nous n'avons
évidemment pas de précédent.
Ces élections locales, le Sénat sait très bien qu'elles sont loin d'être
exceptionnelles ; je crois même savoir qu'il sera saisi très prochainement d'un
projet de loi, adopté récemment en conseil des ministres, tendant à reporter
les élections cantonales de 1998.
Il est évident que ce report doit être entouré de toutes les garanties de
constitutionnalité. Pour ce faire, votre rapporteur a consulté les décisions du
Conseil constitutionnel qui ont pu être rendues sur des demandes de report
d'élections locales.
Vous me pardonnerez cette longue citation, mais voici les principes que le
Conseil constitutionnel a posés dans sa décision du 6 juillet 1994, concernant
le report des élections municipales de 1995 :
Premièrement : « Le législateur, compétent pour fixer les règles concernant le
régime électoral des assemblées locales, peut, sous réserve des dispositions et
principes de valeur constitutionnelle, librement modifier ces règles. »
Deuxièmement : « Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher
si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints
par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas
manifestement inappropriées à ces objectifs. »
Troisièmement : « Le législateur a justifié la prorogation du mandat des
conseillers municipaux par la nécessité d'éviter des difficultés de mise en
oeuvre de l'élection présidentielle. Cette prorogation [...] a été limitée et
revêt un caractère exceptionnel. » C'est bien le cas ici. « Le choix opéré par
le législateur n'est pas manifestement inapproprié aux objectifs qu'il s'est
fixés. »
Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 6 décembre 1990, donc plus
récemment, avait par ailleurs indiqué : « Les électeurs doivent être appelés à
exercer leur droit de suffrage pour la désignation des membres élus des
collectivités territoriales selon une périodicité raisonnable. »
Mes chers collègues, il convient d'appliquer
mutatis mutandis
ces
principes à l'élection au Conseil supérieur des Français de l'étranger et de
constater, avec le Conseil constitutionnel, que l'objet de la proposition de
loi n'est pas contraire à la Constitution mais constitue une simple mesure
conservatoire des droits des Français d'Algérie ; que les modalités du report
sont appropriées à l'objectif, compte tenu, bien entendu, des circonstances
très exceptionnelles qui prévalent sur place. Ce report sera d'une durée
limitée, qui coïncidera avec le renouvellement de l'autre série du Conseil
supérieur des Français del'étranger.
Cette mesure conservatoire a essentiellement pour finalité de préserver les
droits des Français d'Algérie.
La commission des lois a également décidé qu'il ne serait procédé à aucune
élection partielle en cas de vacance d'un des sièges. Dans cette hypothèse, le
droit commun jouerait, c'est-à-dire que, conformément aux règles relatives à la
représentation proportionnelle, qui est notre mode de scrutin, c'est le suivant
de liste qui succéderait au délégué sortant et, dans le cas où il n'y aurait
plus de suivant de liste, il est évident qu'il ne pourrait être procédé à une
élection partielle, ainsi que le prévoit normalement la loi de 1990 : si l'on
ne peut pas organiser d'élections générales, on ne peut pas organiser
d'élections partielles !
Mes chers collègues, c'est au bénéfice de ces quelques observations que la
commission des lois du Sénat vous demande d'adopter cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste. - M. Jacques
Habert applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué à la coopération.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en vertu de la loi n° 82-471 du
7 juin 1982 modifiée relative au Conseil supérieur des Français de l'étranger,
les Français qui résident hors de France sont appelés à renouveler, par moitié
tous les trois ans, les cent cinquante sièges des membres élus du Conseil
supérieur des Français de l'étranger.
A cet effet, les membres élus du Conseil sont répartis en deux séries : la
série A, c'est-à-dire les circonscriptions électorales d'Afrique et d'Amérique,
dont les électeurs ont été convoqués pour le 8 juin prochain par un arrêté du
ministre des affaires étrangères, et la série B, c'est-à-dire les
circonscriptions électorales d'Europe, d'Asie et du Levant, dont les élections
se tiendront en juin 2000.
La proposition de loi aujourd'hui en discussion prend en considération la
situation spéciale qui prévaut en Algérie. Elle comprend un article unique
tendant à reporter temporairement le renouvellement des quatre membres du
Conseil supérieur des Français de l'étranger élus dans la circonscription
d'Algérie. Ainsi, en juin 2000, date du renouvellement normal de la série B,
ces quatre membres ne seraient élus que pour trois ans, et c'est en 2003 que
serait repris le rythme normal des élections dans cette circonscription.
Le renouvellement des quatre sièges d'Algérie au Conseil supérieur des
Français de l'étranger pose un problème délicat, compte tenu de la situation
que traverse ce pays. Notre gouvernement estime ne pas être en mesure d'y
organiser des élections sans risquer d'exposer la vie de nos ressortissants.
Déjà, les centres de vote d'Alger, d'Annaba et d'Oran, fermés depuis 1994 pour
des raisons de force majeure, comme vous l'imaginez, n'avaient pu tenir les
élections des représentants au Parlement européen de 1994 ni les élections
présidentielles de 1995.
Aujourd'hui, les circonstances qui prévalent en Algérie ne permettent toujours
pas la tenue d'élections et n'autorisent même pas d'organiser un scrutin par
correspondance, comme le permet la loi relative au Conseil supérieur des
Français de l'étranger, ainsi que l'a rappelé tout à l'heure M. le
rapporteur.
En effet, toute démarche électorale présenterait de graves dangers pour nos
compatriotes, qu'il s'agisse de l'envoi en nombre par la poste des formulaires
de mise à jour des listes électorales, qui sont en sommeil depuis 1993 pour
Annaba et Oran et depuis 1994 pour Alger ; qu'il s'agisse de la publicité et de
la communication des listes électorales, sur lesquelles figureront au grand
jour le nom de nos ressortissants, ou encore de l'expédition des circulaires et
des bulletins de vote des candidats à toutes les personnes inscrites sur la
liste électorale et, enfin, du déplacement pour aller voter.
La sécurité la plus élémentaire s'oppose donc à ce que nos compatriotes
résidant en Algérie se rassemblent le jour du scrutin dans leurs bureaux de
vote.
M. Guy Penne.
N'exagérez pas, monsieur le ministre !
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué.
Enfin, la faculté de recourir au vote par
correspondance présenterait, dans l'état actuel de la situation en Algérie, les
mêmes difficultés et les mêmes dangers d'identification des électeurs.
Dans ces conditions et compte tenu de l'existence de circonstances
exceptionnelles qui persistent dans ce pays, une double responsabilité s'impose
à nous : ne pas exposer la vie de nos compatriotes et rechercher les mesures
appropriées pour ne pas priver les Français demeurés en Algérie de toute
représentation au Conseil supérieur des Français de l'étranger, qui, entre
autres attributions, forme le collège électoral des sénateurs représentant les
Français établis hors de France.
En conclusion, le Gouvernement estime que cette proposition de loi est sage et
raisonnable. Elle constitue une solution provisoire - espérons-le - et
conservatoire uniquement dictée par les circonstances exceptionnelles.
Elle ne remet pas en cause le principe des élections et permet de préserver la
représentation des Français en Algérie jusqu'à l'an 2000, date à laquelle le
Gouvernement espère que, les tensions en Algérie s'apaisant, une consultation
électorale sereine et réellement démocratique pourra alors être organisée.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi tout d'abord de remercier la commission des lois d'avoir bien
voulu examiner rapidement cette proposition de loi qu'avec notre collègue
Jean-Pierre Cantegrit et sept autres sénateurs représentant les Français de
l'étranger j'ai eu l'honneur de déposer.
Elle présente un caractère d'urgence certain, puisque les élections au Conseil
supérieur des Français de l'étranger doivent avoir lieu le 8 juin en Amérique
et en Afrique - donc, normalement, en Algérie - et que c'est soixante jours
avant cette date, c'est-à-dire le 8 avril prochain, que les candidatures
doivent être déposées.
Notre gratitude va tout spécialement à notre ami Charles de Cuttoli, qui a
bien voulu être le rapporteur de cette proposition de loi, dont il est
d'ailleurs l'un des cosignataires. Il a, comme de coutume, parlé haut et clair.
La pertinence de ses remarques me dispensera de tout long commentaire.
Je vous remercie, également, monsieur le ministre, de votre exposé. Vous avez
considéré, avec la majorité de nos compatriotes, et avec tous ceux qui, dans
vos services, ont eu à examiner cette question, que la situation dramatique que
traverse l'Algérie ne permettait pas d'y envisager raisonnablement la
préparation et la tenue d'un scrutin. Nous pensons, comme vous, qu'organiser un
vote dans de telles circonstances mettrait même en danger nos compatriotes
résidant encore en Algérie.
Néanmoins, l'Algérie ne doit pas cesser d'être représentée. Nous avons pensé,
par conséquent, que les quatre membres actuels du Conseil supérieur des
Français de l'étranger devaient pouvoir poursuivre leur tâche au-delà du terme
normalement prévu de leur mandat, pour que nos compatriotes établis en Algérie
ne se sentent pas isolés, surtout dans des circonstances aussi graves.
Telle est la raison pour laquelle cette proposition de loi a été présentée.
Elle nous revient en séance publique assortie d'un alinéa ajouté par la
commission des lois.
M. Guy Penne.
Dans l'enthousiasme !
M. Jacques Habert.
La solution proposée me paraît raisonnable. Elle ne semble nullement contraire
aux principes constitutionnels. J'espère vivement que tous les sénateurs
représentant les Français de l'étranger pourront s'y rallier.
J'aurais souhaité d'ailleurs qu'à cette occasion nous soyons tous d'accord et
que notre proposition de loi recueille les douze signatures des douze sénateurs
représentant les Français établis hors de France.
Il n'y a, au demeurant, aucune querelle politique en l'affaire.
M. Guy Penne.
Sauf à droite !
M. Jacques Habert.
Fort heureusement, la représentation de l'Algérie est divisée également entre
les deux grandes tendances qui se partagent le Conseil : deux représentants de
ce qu'on dit être la droite et deux représentants de ce qui est certainement la
gauche.
(Sourires.)
Par conséquent, chacun y trouve son compte, et il n'y a pas
de difficulté, je pense, à cet égard.
Ce débat et cette remarque me permettent de rendre un hommage chaleureux à
tous ceux de nos compatriotes qui ont eu le courage de rester en Algérie. Pour
ne parler que des délégués avec lesquels nous travaillons plus particulièrement
parce qu'ils appartiennent à notre mouvance, laissant à nos collègues le soin
de parler éventuellement des leurs,...
M. Pierre Biarnès.
C'est élégant !
M. Jacques Habert.
... j'évoquerai le cas de M. Jean Donet. Né à Oran et y résidant sans
interruption depuis plus de cinquante ans, il accomplit là-bas un travail
remarquable. De même, le docteur Paul Mermillod fait fonctionner son
laboratoire de pharmacie dans les difficultés que l'on peut imaginer.
A travers eux, en espérant que leur mandat sera reconduit, dans les limites
que prévoit notre proposition de loi, je tiens à saluer tous nos compatriotes
restés en Algérie, pour leur courage et leur persévérance. Ils continuent, par
leur présence, à témoigner des liens qui unissent depuis longtemps les peuples
algérien et français, et, au-delà de la Méditerranée, malgré les difficultés,
les angoisses et les périls, ils assurent, là-bas, la présence de la France.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne.
Je saluerai à mon tour l'effort de notre collègue et ami M. Charles de
Cuttoli, qui, bien que souffrant, a eu le courage de rapporter - devant des
travées bien peu garnies - un texte qui prévoit le report du renouvellement de
quatre membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger élus en
Algérie.
La situation dans ce pays est grave et je comprends que l'inquiétude de M. le
ministre le conduise à appuyer la démarche du moindre risque, même si celle-ci
n'est pas constitutionnelle, selon moi.
En Algérie, de nombreux membres de l'Union des Français de l'étranger étaient
favorables à une élection, et puisque notre ami Jacques Habert a évoqué M.
Donet, je peux dire que je connais les sentiments de celui-ci sur ce point.
Lui-même était également favorable à une élection, comme d'ailleurs
l'Association démocratique des Français de l'étranger. Nous sommes assez
divisés sur l'attitude la plus souhaitable à adopter.
M. le rapporteur a déclaré devant la commission des lois qu'il avait tenu à
s'assurer auprès de M. le ministre des affaires étrangères que l'organisation
d'un scrutin en Algérie se heurtait à une impossibilité absolue.
Il n'est pas vrai que, comme l'a dit M. le ministre des affaires étrangères -
il est allé un peu fort, je crois - toute démarche électorale exposerait les
Français encore établis en Algérie à des risques mortels. Ou alors, qu'en
est-il de notre souveraineté au regard de l'Algérie ?
Voilà cinq jours, le Conseil supérieur des Français de l'étranger a décidé de
constituer sa commission administrative à titre conservatoire, pour jouer son
rôle dans le domaine électoral en cas de nécessité.
Cette commission peut être très utile demain, au-delà même de l'élection qui
est en cause aujourd'hui, puisque les Français d'Algérie peuvent être
sollicités pour participer à un référendum, voire à une élection
présidentielle.
Lors de l'audition de M. le ministre des affaires étrangères devant la
commission, j'ai répondu à une observation de M. Durand-Chastel. Je suis
d'ailleurs étonné que celui-ci ne soit pas présent aujourd'hui. C'est pourtant
une question qui l'intéresse directement. Je fais cette remarque parce que, sur
les travées où il siège, on a l'habitude de nous critiquer lorsque nous sommes
absents. Permettez-moi donc de noter que M. Durand-Chastel, qui interrompt en
commission, n'est pas en séance publique. Cette question ne doit pas
l'intéresser !
(Exclamations sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Lors de l'audition de M. le ministre des affaires étrangères en
commission donc, j'ai précisé moi-même que neuf sénateurs représentant les
Français à l'étranger avaient signé une proposition de loi et que les trois
sénateurs socialistes représentant également les Français de l'étranger ne s'y
étaient pas associés. Par une lettre signée par Mme ben Guiga, M. Biarnès et
moi-même, nous avions d'ailleurs informé nos neuf collègues des réserves qui
étaient les nôtres.
M. le rapporteur - cher ami, dont nous connaissons l'intelligence, la sagesse
et la sagacité - est d'ailleurs très prudent, car il s'exprime au conditionnel
pour invoquer le Conseil constitutionnel. Mais les principes dégagés par ce
même conseil, je suis au regret de le dire, ne sont pas tout à fait ce qu'il
dit.
Il est, en effet, de principe constitutionnel constant, en matière électorale,
que les citoyens ne donnent mandat à d'autres citoyens dans une instance
délibérative que pour des durées strictement déterminées par la loi, et qu'il
n'appartient à aucune instance de la République de proroger un mandat, pas même
au Parlement.
Le principe de la prorogation du mandat des délégués au Conseil supérieur des
Français de l'étranger jusqu'en l'an 2000 méconnaît absolument le principe
d'égalité.
Il reste encore beaucoup plus de Français qu'on ne le dit en Algérie. J'ai des
contacts - d'autres parlementaires aussi, certainement - avec nombre d'entre
eux, quelles que soient d'ailleurs leurs préférences politiques. Je sais ainsi
qu'ils voudraient, à l'occasion de ce scrutin, manifester leur présence et
attirer peut-être la sollicitude de la mère patrie, dans des conditions
difficiles. Ce serait pour eux un moyen de manifester qu'ils sont là et que
leur vie est dure.
Le vote par correspondance n'est ni une innovation, ni un cadeau que l'on
ferait aux Français vivant en Algérie. Le vote par correspondance est autorisé
pour toutes les consultations du Conseil supérieur des Français de l'étranger,
et cette procédure n'aurait rien d'innovant pour l'Algérie, je le répète.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du prochain renouvellement,
dans trois ans ; que proposera le Gouvernement si la situation ne s'améliore
pas ? Une nouvelle prolongation pour trois ans ? Nous allons bientôt regretter
les sénateurs à vie ! Moi le premier !
(Sourires.)
Enfin, qui fixe les niveaux qualitatif et quantitatif des risques dans
d'autres zones soumises à renouvellement ? Ainsi, comme le sait bien M. le
ministre de la coopération, qui représente en cet instant M. le ministre des
affaires étrangères, ne faudra-t-il pas bientôt d'autres lois pour proroger le
mandat des délégués au CSFE en Afrique ?
J'ai appris, cette nuit, que des Français avaient été enlevés au Nigeria. Qui
sait ce qui se passera demain en République centrafricaine ou ailleurs ?
Pourquoi ne prendriez-vous pas une loi plus générale précisant que, dans
toutes les régions, les zones ou endroits dangereux ; le mandat des
représentants au Conseil supérieur sera prorogé indéfiniment ?
S'agissant des décisions du 6 décembre 1990 et du 6 juillet 1994 que vous avez
évoquées, elles portent sur le report des élections locales dans la totalité
des circonscriptions...
M. Charles de Cuttoli.
Je l'ai dit !
M. Guy Penne.
Vous l'avez dit mais je veux le répéter.
... et non dans une seule. Tel n'est pas le cas avec cette proposition de loi
: il ne s'agit aujourd'hui que d'une seule circonscription et c'est là une
différence capitale.
Je vous le dis : nous admettrions à la rigueur un report général s'il n'était
momentanément pas possible d'organiser des élections.
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
La loi peut tout faire dès lors qu'elle n'est pas contraire à
des lois supérieures !
M. Guy Penne.
Absolument ! Et, justement, ma proposition ne serait pas contraire à la
Constitution alors que la proposition de loi que vous venez de rapporter est
certainement contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel qui le
dira peut-être, s'il est saisi.
Le CSFE, renouvelé pour les uns et non pour les autres, et ce pour trois ans,
c'est difficilement concevable ; c'est de nature à fausser le résultat des
élections sénatoriales dont il est le collège électoral, ces élections pour
quatre sièges qui se dérouleront en septembre 1998.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que nous soyons contre ce texte
d'exception, qui pourrait, je le répète, être sanctionné par le Conseil
constitutionnel.
J'ajoute que l'auteur de cette proposition de loi est M. Cantegrit - que je ne
vois pas dans l'hémicycle. Je m'étonne d'ailleurs qu'aucun des représentants
des Français de l'étranger de son groupe ne soit présent. Ce désintérêt me
navre vraiment !
Au groupe socialiste, notre préférence reste au suffrage universel. Aussi,
vous comprendez donc, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le
rapporteur, mes chers collègues, que le groupe socialiste ne prenne pas part au
vote : ce n'est pas une abstention, c'est un refus de voter.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
C'est une mesure purement conservatoire et vous le savez bien
!
M. Guy Penne.
Vous n'êtes pas conservateur, monsieur le rapporteur, vous êtes progressiste
!
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
C'est vous qui le dites !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. -
Par dérogation aux dispositions de l'article 1er de
la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 relative au Conseil supérieur des Français de
l'étranger, le prochain renouvellement des quatre membres de ce Conseil élus
dans la circonscription d'Algérie aura lieu en juin 2000.
« Leur mandat sera soumis à renouvellement en juin 2003.
« Par dérogation aux dispositions de l'article 8
bis
de la loi n°
82-471 du 7 juin 1982 précitée, il ne peut être procédé à aucune élection
partielle en vue du renouvellement d'un ou plusieurs sièges de la
circonscription d'Algérie avant leur prochain renouvellement intégral. »
J'indique au Sénat que la commission des lois propose de rédiger comme suit
l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi tendant à reporter à
juin 2000 le prochain renouvellement des quatre membres du Conseil supérieur
des Français de l'étranger élus dans la circonscription d'Algérie. »
Je vais mettre aux voix les conclusions de la commission des lois.
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
Je voudrais préciser, comme je l'ai déjà fait tout à l'heure
- mais il est bon que j'y revienne maintenant - que la mention de l'an 2000 ne
doit pas effrayer nos collègues ! Il s'agit en effet de la prochaine échéance
électorale du Conseil supérieur des Français de l'étranger pour la partie
renouvelable : la série qui concerne les autres pays que l'Afrique.
Cette date a été choisie pour des raisons de commodité et pour prévoir une
périodicité qui peut être considérée, même par le Conseil constitutionnel,
comme raisonnable, pour l'excellente raison que nous ne savons pas combien de
temps cette situation va durer en Algérie et que nous pensons que, dans trois
ans, on y verra plus clair, que tout sera stabilisé.
M. Pierre Biarnès.
Inch'Allah !
M. Daniel Millaud.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Millaud, pour explication de vote.
M. Daniel Millaud.
Je m'exprime au nom de mes collègues représentant les Français de
l'étranger.
M. Xavier de Villepin est actuellement avec M. le Président de la République
en Amérique...
M. Guy Penne.
Lui, il a une excuse !
M. Daniel Millaud.
... et M. Jean-Pierre Cantegrit est actuellement souffrant.
M. Guy Penne.
Bonne excuse !
M. Daniel Millaud.
Je n'ai pas son certificat médical ! Mais je sais de source sûre qu'il est
souffrant.
M. Jean Delaneau.
Le docteur Penne ira vérifier !
M. Daniel Millaud.
Ils ne peuvent donc être présents parmi nous. Mais plusieurs membres du groupe
de l'Union centriste assistent à cette séance !
La situation actuelle en Algérie est dramatique. Elle ne permet absolument pas
d'organiser en juin prochain la tenue sereine d'un scrutin visant à renouveler
les quatre membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger élus dans
cette circonscription au mois de juin 1991.
Le groupe de l'Union centriste apporte son soutien au report temporaire de
cette élection.
Il votera donc cette proposition de loi, qui permet aux intérêts des Français
établis en Algérie d'être défendus sans qu'il soit porté atteinte au principe
de l'élection.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Jacques Habert.
Je demande la parole, pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Je précise que notre ami Hubert Durand-Chastel, dont l'absence a été souligné,
est en mission à Buenos Aires et à Montevideo, dans l'attente de la visite de
M. le Président de la République.
Les obligations des sénateurs des Français établis hors de France les amènent
- c'est évident - à se rendre à l'étranger, et notamment dans les pays que
visite le chef de l'Etat, où il rencontre toujours nos compatriotes.
Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, j'espère que vous adopterez cette
proposition de loi, dont l'urgence et la sagesse me semblent s'imposer.
Mme Monique ben Guiga.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme ben Guiga, pour explication de vote.
Mme Monique ben Guiga.
Actuellement, notre seul consulat ouvert en Algérie fonctionne essentiellement
par correspondance, que ce soit pour délivrer les visas ou pour traiter la
plupart des affaires qui concernent les Français installés en Algérie. Ainsi,
toutes les informations relatives aux certificats de nationalité française sont
envoyées sous simple pli, pas même vraiment clos.
S'agissant de cette élection, on a beaucoup majoré les risques qui pèseraient
sur nos compatriotes si l'élection avait lieu par correspondance, alors que
tout se fait par correspondance. Je pense, comme beaucoup de mes compatriotes
résidant en Algérie, que l'élection pouvait aussi se faire ainsi.
Nos compatriotes qui restent là-bas prennent des risquent, et ils le savent.
Ceux d'entre eux qui étaient intéressés par leur représentation au Conseil
supérieur des Français de l'étranger souhaitaient vivement que cette élection
ait lieu, qu'ils soient de droite ou de gauche d'ailleurs, puisque leur
intention était de présenter une liste commune.
Par conséquent, je regrette que, pour l'Algérie, on ait totalement abandonné
l'idée d'organiser une élection par correspondance.
A ce propos, je voudrais faire la comparaison avec ce qui s'est passé pour le
Liban. Pendant les dix-sept ans de guerre dans ce pays, il y a toujours eu des
élections et l'on a toujours maintenu une présence administrative française
pour les Français du Liban, une présence que l'on ne maintient pas pour les
Français d'Algérie. J'ai du mal à m'expliquer cette différence.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Biarnès.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Biarnès, pour explication de vote.
M. Pierre Biarnès.
Ce débat est difficile au-delà de ce que vous pouvez imaginer, parce que,
par-delà des positionnements pour ou contre, nos groupes sont perplexes, pour
des raisons politiques certes, mais aussi pour d'autres raisons.
Celui des quatre délégués actuellement élus qui est le plus présent - mais je
sais bien que les autres le sont autant qu'ils le peuvent dans de telles
circonstances - M. Donet, qui relève, comme on dit au CSFE, des non-inscrits,
c'est-à-dire nos sympathiques collègues qui naviguent à la godille à
droite,...
M. Jacques Habert.
Merci !
M. Pierre Biarnès.
... est le principal défenseur de la tenue d'une élection en Algérie. Je suis
dès lors surpris que mes collègues de la mouvance de « droite », au sens large,
expriment un point de vue en totale contradiction avec le sien.
Cela dit, si je suis pour ma part contre la proposition de loi de nos neuf
collègues de droite, c'est par respect des lois de la République et de la
Constitution.
Mon collègue et ami Guy Penne l'a dit, et je tiens à le répéter avec force :
les citoyens donnent des mandats à d'autres citoyens pour les représenter dans
une assemblée pour une durée déterminée, et aucune instance au sein de la
République ne peut se substituer à eux pour prolonger ces mandats. Sinon, on
est dans une république bananière !
Voilà pourquoi je suis contre cette proposition de loi.
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
Le Parlement peut le faire, monsieur Biarnès !
M. Pierre Biarnès.
Même le Parlement ne peut pas le faire, monsieur de Cuttoli ! Vous le savez
fort bien, mais restons-en là.
Telle est mon opinion et vous êtes libre d'avoir la vôtre. Mais le Conseil
constitutionnel, qui, n'en doutez pas, sera saisi, tranchera, et
l'administration, qui ne veut pas s'embêter à organiser des élections et qui
refuse de donner à nos compatriotes d'Algérie la possibilité de voter, sera
placée devant ses responsabilités !
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
Il n'y a rien de contraire à la Constitution !
M. Pierre Biarnès.
D'autres que vous le diront !
Mme Paulette Brisepierre.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Brisepierre.
Mme Paulette Brisepierre.
Mes chers collègues, il serait temps d'élever un peu le débat et de le
dédramatiser.
La situation de nos compatriotes d'Algérie est tragique. Actuellement, quatre
délégués les défendent du mieux qu'ils peuvent ; ils ne résident pas tous en
Algérie, mais ils s'y rendent et ils accomplissent un excellent travail.
La préoccupation de nos compatriotes d'Algérie est non pas de savoir si des
élections se dérouleront ou non, mais de conserver des représentants pour les
défendre et de s'assurer le maximum de tranquillité et de paix pour continuer à
vivre dans des conditions difficiles.
C'est pourquoi je voterai la proposition de loi que j'ai cosignée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. Guy Cabanel.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Cabanel pour explication de vote.
M. Guy Cabanel.
J'avoue notre grande perplexité et je reprends partiellement les propos de M.
Biarnès.
Quel terrible gâchis ! Quelle profonde tristesse devant la situation que
connaissent les quelques Français qui sont encore en Algérie ! Il y a vraiment
de quoi réfléchir au déroulement de l'histoire et se poser de nombreuses
questions, lesquelles reçoivent malheureusement peu de réponses.
Quelle attitude adopter ? Je suis de ceux qui seraient plutôt favorables à des
élections par correspondance. Toutefois, pour que de telles élections soient
organisées, les documents devraient respecter un total anonymat et les
enveloppes ne comporter aucune indication de structure française. Il existe, en
effet, des risques d'interception des correspondances et de localisation pour
certains binationaux, notamment, qui ne veulent pas afficher leur
binationalité, craignant pour eux-mêmes et leur famille.
M. Guy Penne.
On ne leur demande pas de voter !
M. Guy Cabanel.
Non, mais ils recevront les documents électoraux !
M. Guy Penne.
Pas s'ils ne se font pas inscrire !
M. Guy Cabanel.
Mais ils sont inscrits sur les listes électorales !
M. Guy Penne.
Ils peuvent refuser d'être inscrits !
M. Guy Cabanel.
On ne va tout de même pas conduire nos nationaux à se retirer des listes
électorales !
M. Guy Penne.
Si !
M. Guy Cabanel.
Cela me paraît contraire à l'objectif même de la consultation que l'on
organise !
Quoi qu'il en soit, j'ai entendu M. le rapporteur. Malgré mon désir sincère
d'une expression populaire à la date indiquée, je considère que les conditions
ne sont pas remplies.
L'Algérie va voter pour une assemblée nationale. Nous verrons bien comment les
choses se dérouleront !
Il est vrai que trois ans, c'est encore loin ! Mais la sagesse commande
d'éviter d'ajouter aux difficultés que connaissent les citoyens français qui se
trouvent encore en Algérie.
M. Charles de Cuttoli,
rapporteur.
M. Cabanel sait de quoi il parle, puisqu'il est lui-même un
Français d'Algérie !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois sur la
proposition de loi n° 183 (1996-1997).
M. Guy Penne.
Le groupe socialiste ne prend pas part au vote.
M. Robert Pagès.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(La proposition de loi est adoptée.)
(M. Paul Girod remplace M. Michel Dreyfus-Schmidt au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
5
DIVERSES DISPOSITIONS RELATIVES À L'IMMIGRATION SUITE DE LA DISCUSSION ET
ADOPTION D'UN PROJET DE LOI EN DEUXIÈME LECTURE
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du
projet de loi (n° 236, 1996-1997), adopté avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, portant diverses dispositions relatives à
l'immigration. [Rapport n° 243 (1996-1997).]
Dans la discussion des articles, nous avons entamé la discussion d'amendements
tendant à insérer des articles additionnels après l'article 4
bis.
Articles additionnels après l'article 4
bis
(suite)
M. le président.
Par amendement n° 96, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 4
bis,
un
article additionnel ainsi rédigé :
« Il est institué, dans chaque département, une commission du séjour des
étrangers. Cette commission est composée :
« - du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département,
ou d'un juge délégué par lui, président ;
« - d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande
instance du chef-lieu du département ;
« - d'un conseiller de tribunal administratif.
« Cette commission est saisie par le préfet lorsque celui-ci envisage de
refuser :
« - le renouvellement d'une carte de séjour temporaire ;
« - la délivrance d'une carte de résident à un étranger mentionné à l'article
15 de la présente ordonnance ;
« - la délivrance d'un titre de séjour à un étranger mentionné à l'article 25
(1° à 6°).
« Le chef de service des étrangers à la préfecture assure les fonctions de
rapporteur auprès de la commission ; le directeur départemental des affaires
sanitaires et sociales ainsi que le directeur départemental du travail et de
l'emploi ou leurs représentants sont entendus par la commission ; ils
n'assistent pas au délibéré. L'étranger est convoqué pour être entendu par
cette commission.
« La convocation, qui doit être remise quinze jours au moins avant la date de
la réunion de la commission, précise que l'étranger a le droit d'être assisté
d'un conseil ou de toute personne de son choix et d'être entendu avec un
interprète.
« L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide judiciaire dans les
conditions prévues par la loi n° 72-11 du 3 janvier 1972 relative à l'aide
judiciaire et à l'indemnisation des commissions et désignations d'office. Cette
faculté est indiquée dans la convocation. L'admission provisoire à l'aide
judiciaire peut être prononcée par le président de la commission.
« L'étranger, s'il ne dispose pas d'un titre de séjour ou si celui-ci est
périmé, est mis en possession d'un récépissé valant autorisation provisoire de
séjour pendant toute la durée de la procédure, jusqu'à ce que le préfet ait
statué après avis de la commission. Les débats de la commission sont publics.
Le président veille à l'ordre de la séance. Tout ce qu'il ordonne pour
l'assurer doit être immédiatement exécuté. Devant la commission, l'étranger
peut faire valoir toutes les raisons qui militent pour l'octroi ou le
renouvellement d'un titre de séjour. Un procès-verbal enregistrant les
explications de l'étranger est transmis, avec l'avis motivé de la commission,
au préfet qui statue. L'avis de la commission est également communiqué à
l'intéressé.
« Si la commission émet un avis favorable à l'octroi ou au renouvellement du
titre de séjour, celui-ci doit être délivré.
« Dans les départements de plus de 500 000 habitants, le préfet peut créer, en
outre, une commission dans un ou plusieurs arrondissements. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet amendement présente un grand intérêt. J'ai regretté, hier soir, que la
séance ait été levée juste avant son examen, parce qu'il s'inscrivait dans la
logique même des explications que nous venions de donner.
Par exemple, l'un de nos collègues ne se souvenait plus que la commission du
séjour des étrangers, dont l'accord était nécessaire avant la loi du 24 août
1993 pour refuser le renouvellement d'un titre de séjour, était bel et bien,
comme nous le lui avions dit de mémoire, composée de trois magistrats, dont
deux de l'ordre judiciaire.
Notre amendement n° 96 a précisément pour objet de rétablir cette commission
du séjour des étrangers dans la composition et dans les pouvoirs qui étaient
les siens avant la loi du 24 août 1993.
Tout le débat qui nous oppose porte sur le contrôle des mesures de police qui
sont prises à l'encontre des étrangers en situation irrégulière.
Vous ne voulez plus que ces mesures, qui sont prises par le ministre de
l'intérieur, par les policiers qui sont sous ses ordres, par les procureurs de
la République qui sont soumis au pouvoir hiérarchique du garde des sceaux,
soient contrôlées par l'autorité judiciaire, que vous éliminez et qui,
pourtant, aux termes de la Constitution, est seule habilitée à veiller au
respect de la liberté individuelle.
Sans contrôle de l'autorité judiciaire, nous ne serions plus dans un Etat de
droit, car elle seule détermine si les conditions d'application de la loi sont
réunies ou non. Vous ne pouvez pas prétendre à la fois exécuter la loi et juger
si les garanties qu'elle fixe sont respectées ou non ! Or vous voulez supprimer
la commission du séjour des étrangers, qui est majoritairement composée de
magistrats de l'ordre judiciaire.
J'ai eu l'occasion, en première lecture, de rappeler que M. Pasqua, votre
prédécesseur, monsieur le ministre, nous avait dit que, dès lors que cette
commission ne jouerait plus qu'un rôle consultatif, elle aurait davantage le
temps de se réunir. Or, aujourd'hui, vous invoquez le fait qu'elle a moins de
travail pour la supprimer !
Vous avez procédé en deux temps : tout d'abord, vous avez décidé que la
commission du séjour des étrangers serait consultative et non plus délibérative
- c'est la loi du 24 août 1993 - et, aujourd'hui, vous voulez la supprimer.
Elle avait au moins le mérite de permettre un dialogue, une écoute et,
peut-être, d'attirer votre attention sur le fait que vos services ou vous-même
risquiez de violer la loi.
Cette suppression nous paraît non seulement irresponsable, mais également
anticonstitutionnelle. En tout état de cause, elle nous place, je le répète,
dans un Etat qui ne serait plus un Etat de droit.
C'est pourquoi nous demandons au Sénat de rétablir la commission du séjour des
étrangers, dans sa composition et dans les pouvoirs qui étaient les siens avant
la loi Pasqua du 24 août 1993.
MM. Guy Allouche et Claude Estier.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
La
commission a estimé nécessaire de repousser l'amendement n° 96 que vient de
défendre M. Dreyfus-Schmidt, au motif que les arguments avancés ont déjà été
amplement développés en première lecture et que les deux assemblées ont décidé,
dans leur majorité, de supprimer la commission du séjour des étrangers.
Par conséquent, elle émet un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement émet également un avis
défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 96, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel avant l'article 6
bis
ou après l'article 8
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
Par amendement n° 44, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 6
bis,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa du I de l'article 22
bis
de l'ordonnance du 2
novembre 1945 précitée, les mots : "dans les vingt-quatre heures"
sont remplacés par les mots : "dans les quarante-huit heures". »
Par amendement n° 83, MM. Allouche, Autain, Authié et Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt et Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas et Mélenchon, Mmes Pourtaud et Printz, M. Rocard et les membres du
groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 8, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa du paragraphe I de l'article 22
bis
de
l'ordonnance du 2 novembre 1945, les mots : "vingt-quatre" sont
remplacés par les mots : "quarante-huit". »
La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 44.
M. Robert Pagès.
Le présent projet de loi prévoit d'allonger la durée de la rétention
administrative de vingt-quatre heures. Ainsi, un étranger pourra être maintenu
en rétention pendant quarante-huit heures avant toute intervention du juge
judiciaire.
Mais le projet de loi laisse à vingt-quatre heures le délai pendant lequel
l'étranger en instance d'éloignement peut former un recours devant un juge
administratif contre l'arrêté de reconduite à la frontière pris à son
encontre.
Une fois encore, le Gouvernement montre à quel point il se soucie peu des
droits des étrangers.
Prolonger ainsi le délai de rétention sans faire de même pour le délai de
recours que peut former l'étranger revient en fait à le priver de ce recours.
En effet, dans la pratique, c'est seulement au moment de sa présentation devant
le juge judiciaire que l'étranger forme un recours contre l'arrêté de
reconduite à la frontière.
Tous les praticiens du droit vous le diront, monsieur le ministre : les
étrangers en rétention sont souvent démunis et peu au fait de leurs droits, et
il est illusoire de prétendre qu'ils ont la possibilité réelle de rencontrer un
avocat dès le début de leur placement en rétention.
Les difficultés de localisation des lieux de rétention, les difficultés
d'accès dans ces centres, les problèmes posés par l'urgence de la procédure,
constituent autant d'obstacles qui, dans l'immense majorité des cas, reportent
le premier contact de l'étranger avec un avocat au moment de sa comparution
devant le juge judiciaire, où des permanences d'avocats ont été mises en place
par les ordres.
L'allongement de la première phase de rétention aura donc pour conséquence de
conduire à une régression considérable des droits de la défense des
étrangers.
Une telle situation pourrait d'ailleurs conduire à la condamnation de la
France par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation de l'article
13 de la convention européenne qui garantit le droit à un recours effectif.
C'est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir adopter notre amendement,
qui aligne le délai de l'article 22
bis
sur celui de l'article 35
bis
en le portant, lui aussi, à quarante-huit heures. Ainsi seraient
respectés les droits fondamentaux de la défense.
M. le président.
La parole est à M. Badinter, pour défendre l'amendement n° 83.
M. Robert Badinter.
Il s'agit là d'une question d'une extrême importance. Je souhaite que
l'attention de la Haute Assemblée soit attirée sur le problème posé par ce
texte.
Hier, il a été fait référence, à plusieurs reprises, et dans des termes que je
n'espérais pas en 1993, à des décisions du Conseil constitutionnel rappelant
les principes en matière de droit des étrangers.
Dans le rappel de ces principes, le Conseil constitutionnel a souligné que,
bien entendu, les étrangers jouissaient, en ce qui concerne leurs droits
fondamentaux, des mêmes garanties que les Français, notamment en matière de
droits de la défense. C'est de cela qu'il s'agit.
Quand on parle des droits de la défense, qui font partie, je le rappelle, des
garanties des libertés individuelles que la magistrature a en charge, il est
évident que l'on ne vise pas que des textes. On vise aussi l'exercice «
effectif », des droits de la défense - l'adjectif, on le sait, a toute sa
valeur devant la jurisprudence européenne.
Or, le fait qu'aujourd'hui on fasse passer de vingt-quatre à quarante-huit
heures le délai de présentation de la personne placée en rétention
administrative devant le magistrat de l'ordre judiciaire qui a pour mission de
contrôler la décision du maintien en rétention, sans augmenter de la même durée
le délai d'exercice pour l'étranger de son droit de recours contre la décision
administrative de reconduite à la frontière, devant la juridiction
administrative, est extrêmement lourd de conséquences.
Ce sont les praticiens qui le disent. J'ai cité un membre du Conseil de
l'ordre des avocats de Bobigny. En vain.
Nous avons reçu - je dis « nous », parce que ce sont les présidents des
groupes parlementaires qui les ont reçus - une lettre du syndicat des avocats
de France et une lettre du syndicat de la juridiction administrative, l'une
émanant de ceux qui défendent, l'autre de ceux qui jugent.
Voilà ce que disent les avocats de France : « Il est illusoire de considérer
que, dans la pratique, les étrangers aient la possibilité réelle de rencontrer
un avocat dès le début de leur placement en rétention.
« Les difficultés de localisation des divers lieux de rétention, les
difficultés d'accès dans les centres de rétention, les problèmes posés par
l'urgence de la procédure font que, dans l'immense majorité des cas, le premier
contact de l'étranger avec un avocat se situe lors de sa comparution devant le
juge juridiciaire, grâce aux permanences d'avocats mises en place par les
Ordres, alors qu'il est matériellement impossible d'organiser des permanences
d'avocats dans les divers lieux de rétention répartis sur l'ensemble du
territoire national, la loi autorisant le maintien des étrangers dans tout
local non pénitentiaire.
« En pratique, et dans la quasi-totalité des cas, c'est seulement au moment de
sa présentation devant le juge judiciaire - c'est-à-dire vingt-quatre heures
maintenant et quarante-huit heures demain - que l'étranger forme un recours
contre l'arrêté de reconduite à la frontière. »
Le syndicat des avocats de France ajoute que, dès lors, il est absolument
nécessaire que le délai de recours soit aligné sur l'autre délai pour permettre
l'exercice des droits de la défense.
Quant au syndicat de la juridiction administrative, il déclare : « La
prolongation à quarante-huit heures du délai de présentation devant un
magistrat du siège sans prolongation du délai de recours contentieux devant le
magistrat administratif aura nécessairement pour conséquence de rendre plus
difficile, voire impossible pour l'intéressé de présenter dans le délai de
vingt-quatre heures un recours utile. En effet, ou bien il présentera lui-même
un recours sans aucune garantie juridique, dans les seuls cas où il aura
parfaitement été informé de ses droits, ou bien il attendra les conseils de
l'avocat qui lui aura été désigné en vue de sa présentation devant le magistrat
judiciaire, qui ne pourra que constater le dépassement des délais de recours
pour saisir le juge de la reconduite à la frontière. »
Le syndicat de la juridiction administrative, sous la signature de son
président, ajoute : « Il nous paraît donc fondamental » - vous avez entendu,
monsieur le ministre : fondamental - « que le délai de vingt-quatre heures
prévu à l'article 22
bis
soit porté à quarante-huit heures pour qu'il
coïncide avec le délai de présentation devant un magistrat judiciaire. De notre
point de vue de magistrats administratifs, il nous semble même plus important
que le délai de recours contre l'arrêté de reconduite soit porté à
quarante-huit heures plutôt que celui de présentation devant le magistrat
judiciaire soit ramené à vingt-quatre heures. »
Tout ce que nous demandons, c'est l'alignement des délais. On trouve la
justification de notre demande dans l'expérience de ceux qui ont la
responsabilité et de la défense et de la décision.
J'ajoute, ce qui est essentiel, que cet alignement ne gênera en rien l'ordre
public ni le déroulement de la procédure.
Il s'agit, rappelons-le, d'étrangers qui se trouvent en situation de rétention
administrative. La prolongation du délai de recours de vingt-quatre heures à
quarante-huit heures signifie simplement que, puisqu'il demeurera vingt-quatre
heures de plus en rétention, il pourra bénéficier de ces vingt-quatre heures
supplémentaires pour exercer ses droits. Voilà ce que l'on appelle le « recours
effectif », je le souligne.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 44 et 83 ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Nous avons déjà eu ce débat en première lecture et je
retrouve aujourd'hui, dans la bouche des intervenants, les mêmes arguments et
les mêmes commentaires que ceux qu'ils ont développés alors. Ils ne
s'étonneront donc pas que la commission des lois et son rapporteur reprennent,
eux aussi, le même cheminement intellectuel que celui qu'ils avaient emprunté
en première lecture.
Si ne figuraient pas dans le texte de l'ordonnance du 2 novembre 1945 des
dispositions explicites et sans aucune interprétation possible qui précisent
que « dès notification de l'arrêté de reconduite à la frontière, l'étranger est
immédiatement mis en mesure d'avertir un conseil, son consulat et une personne
de son choix », il y aurait manifestement lieu à discussion. Mais - c'est écrit
- l'étranger est immédiatement informé de ses droits dès la notification de la
mesure par un imprimé dont vous avez eu connaissance, mes chers collègues, que
j'ai fait communiquer à la commission des lois et que l'étranger signe, le cas
échéant par l'intermédiaire d'un interprète.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Avec une croix !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Nous sommes dans le droit des étrangers, mon cher collègue !
La croix est bien souvent utilisée. Je le déplore, comme je déplore la
procédure compliquée qui a été inventée à cet égard.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas une raison pour faire apposer une croix,... pour simplifier.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Précisément, on cherche à simplifier. Et cette simplification
conduit à faire jouer immédiatement la possibilité de recours, dès que l'arrêté
de reconduite à la frontière est notifié.
Je pense que nous devons maintenir notre position et repousser les amendements
n°s 44 et 83.
J'ajoute que les associations sont présentes dans les centres de rétention,
comme la loi les y autorise, ce qui me paraît constituer une garantie
supplémentaire de l'application stricte de l'article 22
bis
de
l'ordonnance de 1945.
La commission est donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je suis du même avis que M. le rapporteur. Mais
je voudrais adresser à M. Badinter cinq observations.
Première observation : la durée totale de la rétention ne change pas, elle est
de sept jours.
M. Jean Chérioux.
Hélas !
Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Deuxième observation : les délais de recours ne
sont pas modifiés. D'ailleurs, monsieur Badinter, ces délais de recours ont été
fixés par un gouvernement de gauche, dans la loi du 10 janvier 1990.
Troisième remarque : cette législation a été examinée par le Conseil
constitutionnel, qui ne l'a pas contestée. Je vous renvoie - je ne sais plus
qui présidait le Conseil constitutionnel à l'époque !
(Sourires)
- à la
décision du 9 janvier 1990.
Quatrième remarque : l'étranger accède à un conseil dès la première heure de
sa rétention ; ses droits lui sont notifiés dès sa mise en rétention.
Cinquième remarque, enfin : le règlement fixant les droits de la personne mise
en rétention est traduit dans plusieurs langues afin que l'individu concerné
puisse rapidement connaître ses droits.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 44 et 83.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. le ministre nous explique que les délais n'ont pas changé. Mais il allonge
le délai de la rétention administrative !
Nous avons indiqué qu'il n'avait pas le droit de le faire. Puisqu'il connaît
si bien la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont il se sert
souvent,...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Eh oui !
M. Christian Bonnet.
Moins souvent que vous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... il ne doit pas ignorer, par exemple, le dix-septième considérant de la
décision n° 92-307 du 25 février 1992 qui est ainsi rédigé :
« Considérant qu'il suit de là qu'en conférant à l'autorité administrative le
pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver
la possibilité pour l'autorité judiciaire d'intervenir dans les meilleurs
délais, l'article 35
quater
ajouté à l'ordonnance du 2 novembre 1945 par
l'article 8-I de la loi déférée est, en l'état, contraire à la Constitution.
»
« Les meilleurs délais », c'était vingt-quatre heures ; vous ne pouvez donc
pas le prolonger comme vous le proposez.
L'objectif de cette prolongation est précisément de vous permettre de
reconduire à la frontière les intéressés avant qu'ils aient pu être présentés
au juge judiciaire. C'est tellement vrai que vous vous contentez de nous
répondre qu'ils peuvent demander à exercer leur droit de recours dès le début
puisqu'on leur dit qu'ils en ont la possibilité.
Mais qui les informe ? Evidemment, les services de police, ceux-là mêmes qui,
dans certains cas, font signer l'intéressé, comme le dit M. le rapporteur, en
l'absence d'interprète qui puisse lui expliquer de quoi il s'agit.
Monsieur le rapporteur, vous avez eu connaissance de la position des
magistrats et des avocats, qui vous ont confirmé que, dans la pratique, un
délai est nécessaire pour donner la possibilité de former ce recours et que les
précautions qui sont prévues par la loi de 1993, derrière lesquelles vous vous
réfugiez, ne suffisent pas pour que les intéressés puissent saisir dans les
délais voulus le juge judiciaire.
Alors, mes chers collègues, nous vous demandons encore une fois d'accepter, au
moins temporairement, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait statué, et
puisque l'on prolonge de quarante-huit heures le délai de rétention
administrative, de prolonger également le délai pendant lequel peut être saisi
le juge judiciaire.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Mes chers collègues, c'est délibérément que, tout à l'heure, j'ai mis l'accent
sur le point qui est en question, en soulignant l'expression « recours effectif
».
A cet instant, je m'adresse à M. le rapporteur : il a, lui, eu le privilège
d'entendre, au cours de l'examen de ce texte en commission, les représentants
des associations ; il a eu l'occasion d'entendre les représentants des avocats
; il a eu, je pense, l'occasion d'entendre les représentants des syndicats de
magistrats. Or, si tous les praticiens lui ont tenu les mêmes propos qu'à nous,
il connaît leur inquiétude, et cette inquiétude, il ne peut pas ne pas en tenir
compte, car elle n'est pas exprimée dans un dessein politique, elle témoigne
d'une réalité. En effet, qui est celui qui se trouve en rétention
administrative ? Est-il docteur en droit ?
On sait la complexité de cette procédure, et une disposition protectrice des
libertés n'a de sens que si celui qui en est avisé la comprend. Pour cela,
l'intervention de l'interprète ne suffit pas ; il faut qu'une explication soit
donnée. Aujourd'hui, cette explication est fournie soit par l'avocat, soit par
le président du tribunal, c'est-à-dire au bout de vingt-quatre heures.
Si l'on porte à quarante-huit heures le délai de rétention sans proroger le
délai de recours, il faut bien alors croire que le soupçon des associations et
des syndicats, qui redoutent le pire, c'est-à-dire que l'on veuille paralyser
l'exercice de cette voie de recours, pourrait - j'emploie à dessein le
conditionnel - se trouver fondé.
Je ne peux le croire. C'est pourquoi j'insiste, en rappelant que l'étranger
placé en rétention administrative ne peut pas disparaître, et que tout ce que
nous demandons, c'est la prorogation du délai de recours pour qu'il puisse
exercer comme il convient ses droits. A cela, vous n'avez pas répondu, monsieur
le rapporteur, et vous ne répondrez pas en nous disant que le délai de
vingt-quatre heures était en effet suffisant pour permettre l'exercice du droit
de recours. Dans ce cas-là, quarante-huit heures valent mieux que vingt-quatre
heures !
La meilleure solution, c'est l'alignement des deux délais. Je le répète, si
vous ne l'accordez pas, soyez assuré que le soupçon que j'ai évoqué ne fera que
croître et se renforcer. Nous aurons alors l'occasion de reparler de ce
problème !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je ne voterai pas ces amendements, mais je veux surtout dire à M.
Dreyfus-Schmidt que je ne lui reconnais pas le droit de nous dire que nous
avons ou que nous n'avons pas le droit de voter telle ou telle disposition.
M. Christian Demuynck.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Nous votons en conscience, comme lui vote en conscience.
M. Jean Peyrafitte.
Elle est belle, la conscience de la droite !
M. Jean Chérioux.
S'il doit y avoir une sanction du Conseil constitutionnel, il y en aura une,
mais, en tout état de cause, je considère que j'ai le droit souverain, comme
tous les membres du Sénat, de voter comme je l'entends en conscience. Et aucun
membre de cette assemblée n'a le droit de me le refuser !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
La durée de la rétention, monsieur
Dreyfus-Schmidt, qui a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel dans la
décision que vous avez évoquée était de vingt jours, ce qui était effectivement
beaucoup trop.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Avant l'accès au juge !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je vous en prie, monsieur Dreyfus-Schmidt, je ne
vous ai pas interrompu !
En revanche, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 janvier 1990, a
validé le délai de quarante-huit heures. Par conséquent, il me semble que votre
argument tombe, permettez-moi de vous le dire, monsieur Dreyfus-Schmidt, avec
tout le respect que je vous dois.
Je voudrais maintenant répondre à M. Badinter.
L'allongement de vingt-quatre heures à quarante-huit heures de la durée de la
rétention, avant prolongation par le juge judiciaire, n'aura pas d'incidence
sur les conditions dans lesquelles l'étranger pourra introduire un recours
contre l'arrêté de reconduite à la frontière devant le juge administratif
puisque, vous le savez comme moi, l'étranger dispose, dès le début de la
rétention, d'un libre accès à un interprète et à un conseil. Les droits de la
défense sont donc intégralement maintenus.
On peut citer toutes les lettres que l'on veut, mais je constate que, dans ce
texte, les droits de la défense ne sont pas modifiés, et c'est cela qui
m'importe !
M. Robert Badinter.
Que perdriez-vous à faire passer le délai de vingt-quatre heures à
quarante-huit heures ?
M. le président.
Vous n'avez pas la parole, monsieur Badinter !
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 44 et 83, repoussés par la
commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Demande de réserve
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Monsieur le président, je demande la réserve de l'amendement
n° 45 tendant à insérer un article additionnel avant l'article 6
bis
jusqu'après l'examen de l'article 6
bis.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Favorable.
M. le président.
La réserve est ordonnée.
Article 6
bis
M. le président.
« Art. 6
bis.
- L'article 25 de la même ordonnance est complété par un
alinéa ainsi rédigé :
« 8° L'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie
grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical dont l'interruption
pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la
situation personnelle de celui-ci sous réserve qu'il ne puisse effectivement
poursuivre un traitement approprié dans le pays de renvoi. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 97, M. Masson, au nom de la commission, propose de rédiger
comme suit cet article :
« I. - Après le huitième alinéa (7°) de l'article 25 de la même ordonnance, il
est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 8° L'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie
grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical dont l'interruption
pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous
réserve qu'il ne puisse effectivement poursuivre un traitement approprié dans
le pays de renvoi. »
« II. - Dans l'avant-dernier alinéa du même article, les mots : "aux 1° à
6°" sont remplacés par les mots : "aux 1° à 6° et 8°". »
Par amendement n° 46, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le texte
présenté par l'article 6
bis
pour le 8° de l'article 25 de l'ordonnance
du 2 novembre 1945 précitée :
« 8° L'étranger médicalement reconnu comme atteint d'une pathologie grave
figurant sur la liste des "affections de longue durée" visée à
l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale ou de ses parents ou tuteurs,
s'il est mineur ou incapable. »
Par amendement n° 77, MM. Allouche, Autain, Anthié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent, dans le texte présenté par l'article 6
bis
pour compléter l'article 25 de l'ordonnance de 1945, de remplacer
les mots : « l'interruption » par les mots : « la privation ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 97.
M. Paul Masson,
rapporteur.
J'avais évoqué l'hypothèse ou le principe d'une telle
proposition au moment du premier examen de nos amendements en commission des
lois.
Après un délai de réflexion, j'ai pensé qu'il était important que la
commission précise sa pensée vis-à-vis de l'étranger qui, résidant
habituellement en France, est atteint d'une pathologie grave nécessitant la
poursuite d'un traitement médical dont l'interruption pourrait entraîner pour
lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, dès lors, ne devrait
pas être expulsé.
Ce point a, en première lecture, fait ici l'objet d'un échange assez dense, à
l'issue duquel nous avons estimé qu'il n'était pas nécessaire d'inscrire dans
la lettre de la loi un dispositif correspondant, en tout état de cause, à la
pratique qui est observée à la fois au nom de la jurisprudence - nous avions
noté que le Conseil d'Etat avait, peu de temps auparavant, rappelé cette
obligation au Gouvernement - et au nom des principes les plus élémentaires des
droits de l'homme.
Nous estimions que les possibilités laissées au pouvoir exécutif suffisaient à
l'appréciation de situations éminement délicates, motivant le maintien en
France, à titre exceptionnel, eu égard aux exigences d'un traitement lui-même
exceptionnel, d'étrangers en situation irrégulière.
Il nous revient de l'Assemblée nationale cet article 6
bis
, qui y a été
voté à l'unanimité, avec l'accord du Gouvernement.
Pour le Sénat, deux attitudes sont possibles : soit s'en tenir à la position
qu'il avait adoptée lors de la première lecture et rejeter cet article, soit se
rallier à celle de l'Assemblée nationale.
Sur un tel sujet, choisir la première solution pourrait créer, dans l'opinion
et dans l'exégèse future des débats relatifs à ce texte des commentaires
assez... significatifs. Nous avons pensé qu'il ne fallait pas s'engager dans
cette voie-là, d'autant que, sur le fond, notre sentiment unanime est un
sentiment d'approbation.
A partir du moment où nous optons pour la seconde solution, c'est-à-dire
l'approbation de la position de l'Assemblée nationale, il faut, nous
semble-t-il, que cette approbation soit absolue. Autrement dit, nous devons
faire en sorte que le texte de l'article 6
bis
ne couvre pas seulement
le cas où l'étranger serait en instance d'expulsion, cas prévu par l'Assemblée
nationale, mais aussi celui où cet étranger serait sous le coup d'un arrêté de
reconduite à la frontière, ce que l'Assemblée nationale n'a pas prévu.
C'est pourquoi, par un amendement qui se voudrait purement rédactionnel mais
qui, au fond, a une portée plus grande, nous proposons que, dans tous les cas
où un étranger en situation irrégulière verrait, en étant éloigné s'interrompre
un traitement médical lourd, cet étranger puisse être maintenu en France.
M. le président.
La parole est M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 46.
M. Robert Pagès.
Le texte, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, nous a semblé
timide, même si nous ne pouvions que nous féliciter de voir enfin mieux pris en
compte le cas des étrangers atteints d'une pathologie grave. A y regarder de
près, l'article 6
bis
est effectivement bien restrictif.
L'amendement n° 97 de la commission répond certes, au moins partiellement, à
notre souci. Cependant, notre amendement n° 46 prévoit également le cas d'un
malade mineur ou incapable et précise que, dans cette hypothèse, ses parents ou
tuteurs peuvent également demeurer en France.
Notre amendement, tout en se situant dans la logique qu'a exposée M. le
rappporteur, va donc un peu plus loin que l'amendement n° 97.
M. le président.
La parole est à M. Allouche, pour défendre l'amendement n° 77.
M. Guy Allouche.
Voilà, avec cet article 6
bis
, une disposition qui recueille notre
approbation.
Je tiens à remercier M. le rapporteur de l'attention qu'il a porté à cette
nouvelle disposition. Après l'avoir étudiée en profondeur, il a perçu que cette
libéralité nouvelle n'était pas totale puisqu'elle ne couvrait pas, ainsi qu'il
vient de l'expliquer, le cas de l'étranger déjà frappé d'un arrêté de
reconduite d'expulsion, à la frontière.
On ne peut donc que se réjouir de voir ainsi pris en considération le cas des
étrangers atteints d'une pathologie grave.
Toutefois, monsieur le ministre, je ne peux m'empêcher, au-delà de ce
témoignage de satisfaction, de vous poser la question suivante : pourquoi ce
que nous vous avions proposé en première lecture et que vous aviez alors
refusé, avez-vous fini par l'accepter à l'Assemblée nationale ?
Il est vrai qu'entre-temps s'est produit un événement ! Peut-être, pris de
remords, nos collègues de l'Assemblée nationale ont-ils voulu éviter que ne
puisse se reproduire l'erreur, voire la faute consistant à reconduire à la
frontière un étranger en cours de traitement. A donc été proposé un texte, que
vous avez accepté et que l'Assemblée nationale a voté.
Loin de moi l'idée d'un quelconque sectarisme, mais il est tout de même
dommage, monsieur le ministre, que vous disiez non quand nous vous proposons
ici une telle disposition et que vous disiez oui lorsque, à l'Assemblée
nationale, elle émane de la majorité. Je le regrette d'autant plus que l'on
aurait pu mettre cette disposition à l'actif, non pas de tel ou tel des groupes
qui siègent au Sénat, mais du Sénat tout entier.
Quoi qu'il en soit, tout en approuvant l'amendement n° 97 présenté par le
rapporteur, nous souhaitons que soit adoptée la modification que nous proposons
dans notre amendement n° 77.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 46 et 77 ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
J'ai déjà expliqué le souci de cohérence qui était le nôtre
par rapport à la position adoptée par l'Assemblée nationale.
Nous voulons être parfaitement homothétiques. C'est pourquoi nous ne pouvons
accepter les modifications qui nous sont proposées, d'une part, par M. Pagès,
d'autre part, par M. Allouche.
J'ajoute que parler de remords à cet égard, monsieur Allouche, me paraît
inapproprié. Dès la première lecture, nous avions tous perçu, avec la
sensibilité qui nous caractérise, l'importance de cette affaire.Nous avions,
les uns et les autres, justifié nos positions.
Nous continuons de penser que l'inscription de cette disposition dans le texte
est essentiellement formelle puisque, dans la pratique, les administrations
veillent à ce que ces étrangers menacés dans leur vie par une maladie puissent,
quelle que soit leur situation par ailleurs, avoir accès en France aux soins
lourds dès lors qu'ils ne peuvent les recevoir dans leur pays. Il n'est donc
pas question de remords.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je suis favorable à l'ajustement rédactionnel
proposé par la commission dans l'amendement n° 97.
En revanche, je suis défavorable à l'amendement n° 46.
Je le suis naturellement aussi à l'amendement n° 77, mais je veux apporter une
petite précision à M. Allouche, qui me prend pour quelqu'un de sectaire, de
fermé...
M. Guy Allouche.
Je n'ai pas dit ça !
M. Robert Pagès.
Nous n'oserions de toute façon pas y croire !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
D'abord, être sectaire, ce n'est pas refuser un
amendement socialiste !
(Sourires.)
C'est autre chose, le sectarisme.
Ensuite, monsieur Allouche, vous avez suivi les débats en première lecture ici
et à l'Assemblée nationale. Vous savez très bien que, sur l'amendement de M.
Dreyfus-Schmidt qui visait à instaurer l'obligation de remettre un
procès-verbal à l'intéressé en cas de visite d'un atelier, je m'en suis remis à
la sagesse du Sénat et, lorsqu'un même amendement a été présenté à l'Assemblée
nationale par M. Dray, je l'ai accepté, en dépit d'ailleurs de l'avis du
rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Même si l'on s'en tient à votre définition du sectarisme, monsieur Allouche -
à savoir le refus des amendements socialistes - je ne suis donc pas sectaire !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
et de l'Union centriste.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 97.
M. Robert Pagès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Bien sûr, j'aurais préféré que le Sénat retienne la rédaction de l'amendement
n° 46, qui va plus loin puisqu'il évoque la question des parents d'enfants
mineurs ou des parents de malades incapables de subvenir à leurs propres
besoins.
J'ai bien compris que si l'amendement n° 97 était adopté, l'amendement n° 46
n'aurait plus d'objet. Malgré cela, parce que je crois que l'amendement n° 97
traduit un petit pas en avant, qu'il y est tenu compte des discussions qui ont
eu lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat, et que, même si tout cela n'a pas
beaucoup de conséquence sur l'ensemble de ce texte, il y a là la marque du
respect de la personne humaine, je le voterai !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, je n'ai pas dit que vous étiez sectaire mais que je ne
voulais pas croire que vous l'étiez !
M. Jean Peyrafitte.
C'est vrai ! Il ne l'a pas dit !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Maintenant, vous ne le croyez plus !
M. Guy Allouche.
Je constate que vous avez renvoyé en quelque sorte la balle à M. Mazeaud, qui
aurait donc fait, lui, preuve de sectarisme. Mais passons !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je n'ai pas dit cela !
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, je n'ai jamais voulu faire ressortir quelque côté
inhumain de votre personnalité que ce soit. Mais, parce que vous avez répondu
en première lecture au Sénat...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Que je m'en remettais à la sagesse !
M. Guy Allouche.
Non, vous avez répondu qu'il n'y avait pas lieu d'inclure dans la loi une
telle disposition...
M. Jean Delaneau.
C'est vrai !
M. Guy Allouche.
... et, pour cette raison, vous ne l'avez pas prise en compte.
Puis, cette disposition que vous n'avez pas voulu retenir ici en première
lecture, vous l'avez acceptée à l'Assemblée nationale quand M. Cazin
d'Honincthun l'a proposée à son tour !
M. Jean Chérioux.
C'est la navette !
M. Guy Allouche.
Nous nous en réjouissons ! Mais il est dommage que le Sénat n'ait pas tiré
profit de l'adoption d'une telle disposition.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas une question de profit !
M. Robert Calmejane.
Nous ne sommes pas là pour tirer des profits, mais pour voter la loi !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 97, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 6
bis
est ainsi rédigé, et les amendements
n°s 46 et 77 n'ont plus d'objet.
Article additionnel avant l'article 6
bis
M. le président.
Par amendement n° 45, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 6
bis,
un article additionnel ainsi rédigé :
« A l'avant-dernier alinéa de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945,
après les mots : "mentionnés aux 1° et 6°", sont ajoutés les mots
suivants : "et au 8°". »
Cet amendement, qui a été précédemment réservé, n'a plus d'objet, du fait de
l'adoption de l'amendement n° 97.
Articles additionnels avant l'article 6
ter
M. le président.
Par amendement n° 47, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 6
ter,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du paragraphe I de l'article 29 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, les mots : "deux ans", sont
remplacés par les mots : "un an". »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
L'amendement n° 47 vise à permettre le regroupement familial pour les
ressortissants étrangers séjournant en France régulièrement depuis un an, et
non depuis deux ans, comme c'est le cas actuellement.
Le regroupement familial a, en principe, pour finalité de garantir aux
étrangers le droit à vivre en famille, droit consacré, rappelons-le, par la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales.
Or, la multiplication des conditions exigées pour faire venir en France son
conjoint ou ses enfants a dénaturé complètement cette procédure, qui vise
aujourd'hui davantage à entraver les regroupements qu'à faire respecter le
droit de vivre en famille.
L'étranger ne peut déposer une demande de regroupement qu'après un délai de
deux ans de résidence régulière sur notre sol, puis il doit attendre encore un
an, voire un an et demi, pour que le regroupement soit autorisé. Cela signifie
que pendant trois ou quatre ans il est privé de son conjoint ou de ses enfants,
et réciproquement. C'est très long, trop long, surtout lorsqu'il s'agit de
jeunes enfants.
Résultat, les familles viennent en France en dehors du dispositif légal. Bref,
on fabrique des « sans-papiers » ! Comme on a pu le constater, l'augmentation
du nombre de ces derniers a pourtant beaucoup de conséquences néfastes.
La lourdeur et la longueur de la procédure de regroupement familial ont
d'ailleurs conduit le Conseil constitutionnel à préciser que la demande de
regroupement pouvait être formulée avant l'expiration du délai de deux ans de
résidence pour que le droit puisse être accordé dès l'expiration de ce
délai.
Cependant, la solution préconisée par le Conseil constitutionnel n'est pas
pleinement satisfaisante, car la durée de la procédure de regroupement reste
variable selon les cas, les chances de voir le droit accordé au terme du délai
de deux ans restant incertaines.
Nous proposons donc une autre solution, qui consiste à accorder le droit au
regroupement familial à partir d'une année de séjour régulier en France. Nous
vous invitons à l'adopter pour que la procédure du regroupement familial cesse
d'être un obstacle à l'exercice du droit de vivre en famille.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
L'amendement n° 47 tend à remettre en cause les règles
relatives au regroupement familial issues de la loi de 1993. Or le projet de
loi qui nous est soumis n'a en rien trait au regroupement familial. Cet
amendement paraît donc inopportun.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Même avis que la commission.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 47, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 48, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 6
ter,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Le sixième alinéa du I de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
précitée est supprimé. »
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Cet amendement, qui touche aussi au regroupement familial, a donc un caractère
humanitaire.
Avant les lois Pasqua de 1993, il était possible de régulariser sur place un
regroupement familial.
Ainsi, lorsque certains membres d'une famille résidaient en France sous le
couvert d'un titre temporaire de séjour, ils pouvaient solliciter le
regroupement familial et rester en France en changeant de statut.
Aux termes de la loi de 1993, ce n'est plus possible. Tous les membres de la
famille doivent désormais résider à l'étranger.
Aussi, ceux qui étaient déjà en France devront-ils retourner à l'étranger pour
que le regroupement familial puisse être sollicité.
C'est tout de même incroyable, monsieur le ministre ! D'autant que le prix des
billets d'avion permettant à une femme et à ses enfants de retourner en Tunisie
pour que la procédure puisse avoir lieu sur place pour ensuite revenir en
France - et je peux vous dire que je connais des cas concrets - représente une
somme considérable pour ces personnes qui ont souvent de faibles ressources.
Cette disposition est une entrave au droit de vivre en famille, à laquelle
nous sommes, aujourd'hui comme hier, résolument opposés.
C'est pour ces raisons que nous proposons de supprimer le sixième alinéa de
l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Défavorable, toujours pour les mêmes motifs.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 48, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 49, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 6
ter,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Le septième alinéa du I de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
précitée est supprimé. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
L'amendement n° 49 que nous vous soumettons maintenant, mes chers collègues,
complète les deux amendements que nous venons de vous présenter à propos du
regroupement familial, amendements qui, hélas ! ont été rejetés avec un bel
ensemble.
Il tend à supprimer l'obligation, pour l'étranger installé en France, de faire
entrer en une seule fois sur notre territoire l'ensemble des membres de sa
famille.
Exiger que le regroupement familial s'opère dans ces conditions revient à nier
tout droit à vivre en famille.
En effet, comment un étranger qui a trois enfants peut-il remplir les
conditions de ressources et de logement exigées à l'article 29 de l'ordonnance
du 2 novembre 1945 ?
Comment peut-il, par exemple, obtenir un logement de type F 4 sans percevoir
d'allocations familiales et d'allocation logement ?
Comment peut-il espérer trouver un emploi à durée indéterminée afin de
répondre au critère de stabilité des ressources, alors que la politique du
Gouvernement tend, au contraire, à faire de ces emplois une espèce en voie de
disparition et que l'on préfère encourager la création d'emplois « flexibles »
et donc précaires ?
Cela rend extrêmement difficile le regroupement familial, et vous le savez
bien, monsieur le ministre. Celui-ci ne reste possible que pour les personnes
disposant de moyens financiers importants.
Nous ne sommes pas de ceux qui crient : « Malheur aux pauvres ! »
Ne serait-il pas plus raisonnable, plus juste et plus conforme au droit
fondamental de vivre en famille, de permettre aux étrangers de procéder à un
regroupement familial progressif ? Cela ne pourrait que contribuer à une
meilleure intégration.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Même avis que la commission.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 49.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je veux indiquer que nous sommes absolument favorables à cet amendement.
Quand des parents viennent vivre en France avec leurs jeunes enfants, le plus
grand restant chez sa grand-mère, si celle-ci meurt, il faut bien que l'aîné
puisse rejoindre ses parents ! Cela va de soi !
Je le dis simplement, sans prétendre convaincre nos collègues, qui sont là
pour suivre aveuglément le Gouvernement !
(Exclamations sur les travées du
RPR.)
Mais je veux aussi répondre à M. Chérioux.
Monsieur Chérioux, lorsque tout à l'heure j'ai parlé du Conseil
constitutionnel, c'était pour vous éclairer !
M. Jean Chérioux.
J'ai dit que vous n'aviez pas le droit de nous dicter notre vote !
M. le président.
Je vous en prie, monsieur Chérioux ! Vous répondrez tout à l'heure, si vous le
souhaitez.
M. Jean Chérioux.
Puisque M. Dreyfus-Schmidt me prend à partie, il faut bien que je lui réponde
!
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je parlais évidemment d'un droit moral...
M. Jean Chérioux.
Ah ! bon !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et vous êtes passé outre, car il est bien évident que vous avez tous les
droits,...
M. Jean Chérioux.
Merci !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et, vous en abusez singulièrement depuis quelques semaines !
(M. Guy
Allouche sourit.)
M. Jean Chérioux.
Pas plus que vous !
M. Pierre Fauchon.
En l'occurrence, il n'y a pas de quoi rire !
M. Jean Peyrafitte.
Vous-mêmes, vous ne rirez bientôt plus !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 49, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel après l'article 6
ter
M. le président.
Par amendement n° 50, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 6
ter,
un article additionnel ainsi rédigé :
« « L'article 175-2 du code civil est abrogé. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
L'article 175-2 du code civil instauré par les lois dites « lois Pasqua » a
créé un contrôle particulièrement excessif du mariage concernant un étranger
par le ministère public. Le procureur de la République dispose à cet effet de
pouvoirs exorbitants du droit commun.
Je me permets de citer deux passages particulièrement frappants de cet article
: « Le procureur de la République dispose de quinze jours pour faire opposition
au mariage ou décider qu'il sera sursis à sa célébration. » Et, plus loin : «
Le mariage ne peut être célébré que lorsque le procureur de la République a
fait connaître sa décision de laisser procéder au mariage. »
Nous ne pouvons accepter un tel article qui, de fait, jette la suspicion sur
tout étranger qui se marie.
Comme nous l'avons dit et répété, nous refusons la logique d'exclusion des
lois dites « lois Pasqua » et du présent projet et c'est pourquoi nous
proposons cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Cet amendement avait déjà été repoussé en première lecture
par la commission des lois et il n'y a aucune raison pour qu'elle change
d'avis. Elle a donc émis un avis défavorable.
M. Robert Pagès.
Parfois, la sagesse peut venir !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 50, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Articles additionnels après l'article 7
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 51, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 7, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 31
bis
de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée,
il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. ... -
La convention de Genève du 28 juillet 1951 s'applique aux
personnes victimes de l'action de certains groupes lorsque les pouvoirs publics
sont manifestement incapables d'assurer leur protection. Le droit d'asile peut
donc être accordé à ces personnes par la France. »
Par amendement n° 78, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben
Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu,
MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du
groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 7, un
article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 31
bis
de l'ordonnance du 2 novembre 1945 est complété,
in fine,
par un alinéa ainsi rédigé :
« Le statut de réfugié est accordé par l'OFPRA aux victimes de persécutions de
la part d'un groupe autonome sans lien avec un Etat. »
La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 51.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre
amendement vise à lever la conception restrictive adoptée par la France dans
l'application de la convention de Genève relative aux réfugiés, au moment où
l'actualité internationale démontre la nécessité d'accorder le droit d'asile à
des personnes qui ne peuvent échapper aux violences exercées par des groupes
sans rapport avec les gouvernements en place.
En effet, notre pays, contrairement aux recommandations du Haut-Commissariat
des Nations unies écarte, par sa conception restrictive, toute persécution
émanant d'un agent autre que l'Etat, sauf si le demandeur peut prouver que ce
dernier est complice.
Une telle attitude s'est traduite, dans les faits, en 1995, par l'acceptation
de 30 demandes d'asile sur 2 208 dossiers déposés.
Je le dis clairement, cette position n'est pas digne d'un pays démocratique
tel que le nôtre. Je pense, en l'occurrence, à la situation en Algérie, aux
exactions ignobles des groupes fanatiques que subit ce pays, les femmes en
particulier, au courage desquelles je veux rendre hommage ici.
C'est une question essentielle que vous ne pouvez éluder comme vous l'avez
fait en première lecture.
Nous ne sommes pas les seuls à mettre ainsi en avant la question du
renforcement du droit d'asile.
Le Parlement européen a récemment adopté une résolution sur les garanties
minimales pour les procédures d'asile. Permettez-moi de vous en donner lecture
: « Le Parlement européen demande aux Etats membres de respecter les
recommandations du Haut-Commissariat aux réfugiés qui, en conformité avec les
termes du paragraphe 95 du guide des procédures et critères à appliquer pour la
détermination du statut de réfugié, réaffirme que la convention de Genève
s'applique aux personnes victimes de l'action de certains groupes lorsque les
pouvoirs publics sont manifestement incapables de les protéger. »
Quant au collège des médiateurs, il a lancé un appel dont je vous lis cet
extrait : « L'asile doit être accordé à tous ceux qui doivent fuir leur pays
devant la persécution qui les menace, que cette menace provienne de l'Etat
lui-même ou qu'elle soit le résultat de sa carence. Plus largement, l'asile
humanitaire doit être étendu, au-delà d'une définition pointilleuse de la
persécution, aux cas d'extrême détresse. »
Il faut profiter du présent débat pour faire un geste, un grand geste.
Je sais, monsieur le rapporteur, que cette question a déjà été examinée, et
que vous l'avez rejetée. Je crois tout de même à la possibilité de changer et
de se laisser gagner par quelque sagesse !
Par conséquent, je vous demande solennellement, au nom de nos valeurs et des
exigences démocratiques, d'émettre un vote positif sur notre amendement.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 78.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous ne voterons pas l'amendement n° 51, même si nous en approuvons le fond et
l'esprit, car il est bien évident qu'en droit la convention de Genève
s'applique à ceux qui l'ont élaborée et qu'on ne peut pas lui faire dire autre
chose que ce qu'elle dit.
C'est précisément pourquoi notre amendement est rédigé différemment, afin que
le statut de réfugié soit accordé par l'OFPRA aux victimes de persécutions de
la part d'un groupe autonome sans lien avec un Etat.
Nous ne prétendons pas nous recommander de la convention de Genève, mais nous
souhaitons que l'OFPRA ait non seulement la possibilité mais aussi le devoir
d'accorder le statut de réfugié à ceux qui sont persécutés par un groupe
autonome sans lien avec un Etat, puisque la convention de Genève ne prévoit le
statut de réfugié que pour ceux qui sont persécutés par l'Etat lui-même.
Nous savons bien que, dans certains pays, en particulier en Algérie
aujourd'hui, ceux qui sont persécutés par des groupes ne le sont pas par l'Etat
! Tout le monde sait que cette situation pose un problème très difficile et il
est frappant de voir, comme nous l'avons vu récemment, des journalistes
algériens qui, après avoir quitté leur pays parce que leur vie y était exposée,
ont été obligés de quitter la France pous se rendre en Belgique. La France doit
pouvoir accorder le statut de réfugié dans de tels cas !
Je crains que le problème ne se pose demain avec une acuité et une gravité
plus grandes encore qu'aujourd'hui. La France doit être prête à accueillir des
francophones qui s'inspirent des valeurs qui sont celles de la Révolution
française et qui ont encore été inculquées à ceux qui, précisément, résistent
en Algérie aux groupes qui les persécutent.
C'est pourquoi nous insistons très vivement pour que cet amendement, qui est
lourd, nous le reconnaissons, mais qui est indispensable pour que la France
reste ce qu'elle est, soit voté par le Sénat.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 51 et 78 ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Nous en avons parlé en première lecture, et il est vrai que
le sujet est lourd, monsieur Dreyfus-Schmidt.
Personne n'est insensible au drame que, depuis longtemps déjà, vit l'Algérie
et que nous vivons, nous, peut-être plus que d'autres, pour des raisons
historiques. Je ne voudrais donc pas me borner ici, en cet instant, à constater
que nous avons déjà débattu de cette question et échangé nos arguments. Ce
serait un peu facile.
Vous l'avez dit, monsieur Dreyfus-Schmidt, on ne peut pas faire dire à la
convention de Genève ce qu'elle ne dit pas. Il s'agit d'un traité que la France
a ratifié et dont elle a codifié les conséquences dans le statut de l'OFPRA,
qui a été défini par la loi du 25 juillet 1952.
La convention de Genève est totalement explicite et son article 1er est clair.
Est réfugié tout individu qui, craignant avec raison d'être persécuté, ne veut
pas se réclamer de la protection de son Etat parce qu'il se méfie et qu'il n'a
pas confiance dans la protection de cet Etat, c'est-à-dire dans le gouvernement
dudit Etat, chargé d'assurer cette protection.
Par conséquent, l'affaire est claire, et nous ne pouvons pas adopter
l'amendement n° 51 de M. Pagès sans « tordre » et l'esprit et la lettre de la
convention de Genève et de la loi de 1952.
La commission est donc défavorable à l'amendement n° 51.
S'agissant de l'amendement n° 78, le sujet est autre. M. Dreyfus-Schmidt nous
propose d'échapper à la lettre de la convention de Genève : il ne s'y réfère
pas, mais il souhaite que l'OFPRA accorde le statut de réfugié aux victimes de
persécutions de la part d'un groupe autonome sans lien avec l'Etat. Cela
sous-entend que l'Etat n'est plus en mesure de contrôler les groupes autonomes
!
M. Guy Allouche.
C'est le cas !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je rappelle que nous avons longuement débattu de cette
question en première lecture et je crois avoir fait alors valoir que, à l'heure
actuelle, la jurisprudence excluait cette position.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est la loi, quand même !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Aux termes de la jurisprudence du Conseil d'Etat, pour que
les particuliers ou les groupes persécutés puissent prétendre au statut de
réfugié, il faut que les persécutions aient été encouragées ou tolérées de
manière volontaire par les autorités publiques de l'Etat dont le réquérant a la
nationalité. Cela suppose que les autorités de l'Etat en cause doivent être
complices ou encouragent ceux qui persécutent les individus qui demandent le
statut de réfugiés, ce qui n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
La commission des recours de l'OFPRA a précisé cette notion de tolérance
volontaire, qui peut revêtir la forme d'un refus systématique de protection.
Cela signifie que, pour cette commission, il y aurait tolérance volontaire ou
abstention complice dans la mesure où l'Etat en cause n'assure pas
systématiquement la protection de la victime ou bien s'il s'abstient
délibérément de protéger la victime, ce qui n'est manifestement pas le cas en
Algérie aujourd'hui.
Dans ces conditions, nous avons repoussé l'interprétation de la convention de
Genève et nous appliquons la jurisprudence du Conseil d'Etat.
En nous référant à la commission des recours, nous pensons qu'il ne convient
pas d'aller au-delà de la jurisprudence française.
J'ajoute qu'introduire dans la loi une disposition qui vise - et nous en
sommes bien conscients les uns et les autres - le cas éminemment dramatique,
mais très particulier, de l'Algérie est dangereux, car cette disposition
s'appliquerait demain au monde entier. Imaginons ainsi une personne persécutée
non par un Etat dont le gouvernement ne contrôle plus la situation - je pense à
un certain nombre d'exemples que je ne citerai bien évidemment pas ici - mais
par un groupe autonome sans lien avec cet Etat : cette personne serait en droit
de se prévaloir auprès de la France d'une disposition qui permet de
l'accueillir malgré la convention de Genève !
Je vous mets donc en garde, mes chers collègues : bien sûr, vous songez à
l'Afrique et à l'Asie, mais il y a aussi l'Europe ! Je pense donc, monsieur
Dreyfus-Schmidt, qu'il est sage de s'en tenir à une disposition qui est tout à
fait claire et logique et dans son esprit et dans sa lettre.
J'ajoute un dernier élément que j'ai déjà évoqué lors de la première lecture :
l'Etat français, le Gouvernement français a toujours le droit régalien
d'accueillir sur son sol qui il veut. Cela a été longuement rappelé à
l'occasion d'un congrès à Versailles, où nous nous étions quelque peu empoignés
autour de la Constitution. Chacun s'était en effet plu à rappeler que, depuis
la royauté, le pouvoir régalien du Gouvernement est d'accueillir qui il
veut.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est dans le préambule de la Constitution. C'est un droit !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je précise donc que, si le Gouvernement veut accueillir
quelqu'un malgré tout, il peut le faire à tout instant, pour tout pays, quel
que soit alors le contexte historique.
Tels sont les motifs pour lesquels je propose le rejet des amendements n°s 51
et 78.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je me suis déjà exprimé longuement sur ce
difficile sujet.
Même si je suis sectaire, monsieur Allouche, il m'arrive d'étudier certains
dossiers avec bienveillance !
Monsieur Pagès, la loi française ne saurait modifier le champ d'application de
la convention de Genève.
Quant à la notion de réfugié, monsieur Dreyfus-Schmidt, elle ne peut pas non
plus être utilisée en droit français hors du champ d'application de la
convention de Genève. L'appellation de réfugié est définie exclusivement par la
convention de Genève, et je crois qu'il faut en rester là.
Je souligne par ailleurs que le droit français est conforme à la position
commune adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 4 mars 1996.
Enfin, j'ajoute, après M. le rapporteur, que le Gouvernement a toujours des
possibilités d'intervention en ce domaine. Il peut notamment admettre le séjour
d'un ressortissant étranger pour des raisons humanitaires.
A cet égard, je rappellerai deux faits. D'abord - vous vous en souvenez - une
protection temporaire a été accordée à plusieurs milliers de ressortissants
bosniaques qui ne remplissaient pas les conditions requises pour obtenir le
statut de réfugié. Ensuite, une procédure spécifique, destinée à garantir
l'accueil des Algériens menacés, a été mise en place voilà maintenant plusieurs
années.
Ce qui est important, monsieur Dreyfus-Schmidt, c'est que cela fonctionne dans
la discrétion, gage d'efficacité et de sécurité pour les individus
concernés.
Le Gouvernement a pu ainsi régler de nombreuses situations difficiles, compte
tenu de la situation actuelle de l'Algérie. Pour la sécurité des intéressés, je
ne veux pas en dire plus pour l'instant.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 51.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, le préambule de la Constitution
du 27 octobre 1946 énonce que la France accorde, et non pas « peut accorder »,
le droit d'asile à ceux qui sont persécutés pour leur combat pour la liberté.
Ce n'est pas la convention de Genève, c'est le préambule de la Constitution,
qui reste dans le bloc constitutionnel, en dépit, si j'ose dire, de la
modification de la Constitution qui est intervenue. C'est un premier point.
Deuxième point : vous nous opposez des arguments de forme et de fond. Sur la
forme, il serait facile de nous mettre d'accord. Mais il y a le fond. Ainsi,
lorsque vous me dites, monsieur le ministre, que le terme « réfugié » n'a
d'autre sens que celui qui lui est donné par la convention de Genève, je ne
peux vous suivre ; mais j'accepterais, à la limite, qu'on dise : « ... le droit
d'asile est accordé... ».
De même, puisque vous nous dites qu'il n'y a pas que l'Algérie, j'accepterais
que l'on précise, dans un premier temps, « en Algérie ». S'il n'y avait que
cela !
Mais, à la vérité, ce n'est pas tout. Vous nous dites que vous le faites quand
vous le voulez. Précisément, quand vous le voulez, et seulement quand vous le
voulez ! Tout le problème est là !
Nous avons redéposé cet amendement parce que, tout récemment, notre attention
a été attirée sur le cas de ces trois journalistes réfugiés d'Algérie qui ont
dû quitter la France pour aller en Belgique. Heureusement pour eux ! Il est
arrivé à d'autres, dans le passé, de quitter la France pour la Belgique !
Mais, aujourd'hui, sous la République, avec notre Constitution et le préambule
de la Constitution de 1946, cela ne devrait pas être nécessaire. L'asile doit
être un droit pour ceux qui sont persécutés en raison de leur combat pour la
liberté. Ce ne doit pas être une possibilité laissée au Gouvernement.
C'est pour une question de fond que nous ne voterons pas l'amendement n°
51.
M. Robert Pagès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Bien évidemment, le fond doit primer la forme, et j'admets qu'il y a peut-être
une certaine confusion dans la rédaction de notre amendement.
Cela étant, lorsque nous disons que la convention de Genève s'applique, cela
ne signifie nullement que nous voulons modifier cette convention ; nous ne
ferions pas preuve, bien entendu, d'un tel manque de modestie. Nous souhaitons
simplement que le contenu de la convention s'applique à des catégories
différentes, ce qui n'est pas la même chose.
Je suis donc prêt à retirer l'amendement, car c'est la question de fond qui
compte : notre pays choisira-t-il les procédures les plus adaptées pour pouvoir
continuer à jouer pleinement - et non pas seulement si le Gouvernement le veut
- son rôle de terre d'asile pour tous ceux qui souffrent des atteintes à la
liberté et qui se battent pour cette liberté ? Le reste n'est que question de
vocabulaire !
M. le président.
L'amendement est-il retiré, monsieur Pagès ?
M. Robert Pagès.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 51 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 78
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous serions prêts a rectifier cet amendement, dans un premier temps - cela
nous ferait, certes, un peu mal au coeur - si tout le monde était d'accord pour
préciser non pas que le « statut de réfugié » est accordé, mais que le « droit
d'asile » est accordé par l'OFPRA aux victimes de persécutions en Algérie de la
part d'un groupe autonome sans lien avec l'Etat. Ainsi, on parerait au plus
pressé.
J'attends votre réponse, messieurs.
(M. le rapporteur et M. le ministre
font un signe de dénégation.)
Je vois des signes de dénégation de la part de M. le rapporteur et de M. le
ministre. Dans ces conditions, nous maintenons l'amendement dans sa rédaction
initiale.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un dans cet hémicycle qui puisse rester
insensible à la situation véritablement tragique qui règne aujourd'hui en
Algérie.
Les instruments juridiques qui définissent le statut de réfugié datent d'une
époque où l'on ne pouvait prendre en compte la situation que connaît
aujourd'hui l'Algérie. En effet, les personnes menacées dans leur liberté, dans
leur intégrité physique, dans leur existence même, le sont par des groupes
armés organisés mais qui ne pratiquent pas une terreur d'Etat, ce qui n'empêche
évidemment pas, chacun le sait, d'autres formes de terreur de s'exercer !
C'est donc une situation inédite, et nous n'avons pas, pour l'heure, les
instruments juridiques permettant d'y faire face.
Cette question a été examinée de près, ces temps derniers, notamment par la
commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Dans son rapport
sur l'immigration, notre collègue député Jean-Yves Le Déaut l'évoque cette
question de la façon la plus intéressante.
Il rappelle que, dans le cas des Algériens menacés par le FIS, les demandeurs
peuvent obtenir ce que l'on appelle l'asile territorial, c'est-à-dire une
autorisation de séjour provisoire de quelques mois accompagnée d'une
autorisation de travail.
Par ailleurs, on constate que les préfectures ont délivré plus facilement des
titres de séjour depuis la crise algérienne.
M. Le Déaut remarque aussi que ces mesures sont insuffisantes.
Etendre le bénéfice de la convention de Genève est une solution que l'on ne
peut évidemment envisager immédiatement pour les raisons que chacun connaît.
Il conclut en disant ceci : « Votre rapporteur estime qu'il serait opportun de
définir un nouveau statut de réfugié, comparable au statut B qui existe dans
d'autres pays européens. Il pourrait s'agir d'un statut s'inspirant de l'asile
territorial, d'une autorisation de séjour provisoire plus longue que celle qui
est prévue par l'asile territorial et qui pourrait être retirée en cas de
changement de circonstances. Ce statut serait accordé non plus par le ministère
de l'intérieur mais par l'OFPRA. Par conséquent, il apparaîtrait dans les
statistiques officielles. Bien sûr, il donnerait le droit au travail dans le
temps du séjour. » C'est une piste de réflexion intéressante.
Nous ne pouvons pas rester dans la situation où nous sommes. Il est temps -
nous pourrons évoquer ce problème en commission des lois - que nous prenions en
compte cette situation à la fois si cruelle, si brûlante, si complexe, qui
appelle, de notre part, une prise de position et l'élaboration de moyens
juridiques adéquats.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 78, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 52, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 7, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 32
bis
de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative
aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, il est inséré un
article additionnel ainsi rédigé :
«
Art.
... - A réception d'une demande de statut de réfugié par l'OFPRA
ou d'un recours par la commission de recours, le demandeur est systématiquement
convoqué à un entretien approfondi assisté d'un interprète, si besoin est, pour
un examen complet de la situation. ».
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Cet amendement vise à organiser le débat de la procédure relative aux
demandeurs d'asile.
Ce que nous souhaitons est simple : le demandeur doit être systématiquement et
sans délai convoqué à un entretien dès que la demande du statut de réfugié a
été reçue par l'OFPRA.
Le fait qu'il ait un entretien approfondi, en présence, si nécessaire, d'un
interprète, aiderait, d'une part, à mieux connaître la situation du demandeur,
et d'autre part, à informer rapidement celui-ci des pièces et justificatifs
qu'il lui faudrait fournir pour appuyer sa demande.
Chacun connaît, ou soupçonne, les conditions difficiles dans lesquelles les
personnes qui demandent le statut de réfugié ont quitté leur pays. En général,
ces personnes sont dans un grand désarroi et, très souvent, elles ne possèdent
plus tous les documents qui peuvent être demandés par l'OFPRA.
C'est pourquoi nous pensons qu'informer les intéressés dès le début leur
permettrait de mener à bien leur démarche. Cela ne préjugerait en rien la
décision finale. Il s'agit, en fait, d'une mesure organisationnelle.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Cet amendement a déjà été présenté en première lecture et
repoussé par le Sénat : avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Même avis que la commission.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 52, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 8
M. le président.
« Art. 8. - L'article 35
bis
de la même ordonnance est ainsi modifié
:
« 1° Il est inséré, après le quatrième alinéa, un 4° ainsi rédigé :
« 4° Soit, ayant fait l'objet d'une décision de maintien au titre de l'un des
cas précédents, n'a pas déféré à la mesure d'éloignement dont il est l'objet
dans un délai de sept jours suivant le terme du précédent maintien » ;
« 2° Aux septième et dixième alinéas, les mots : "vingt-quatre
heures" sont remplacés par les mots : "quarante-huit heures".
« Dans le dixième alinéa, les mots : "fixé au présent alinéa" sont
remplacés par les mots : "fixé au huitième alinéa" ;
« Au onzième alinéa, les mots : "six jours" sont remplacés par les
mots : "cinq jours" ;
« 3° Il est inséré, après le neuvième alinéa, un alinéa ainsi rédigé :
« L'intéressé est maintenu à la disposition de la justice, pendant le temps
strictement nécessaire à la tenue de l'audience et au prononcé de l'ordonnance
; ».
« 3°
bis
Au douzième alinéa, les mots : "au septième alinéa"
sont remplacés par les mots : "au huitième alinéa" ;
« 3°
ter
Au douzième alinéa, les mots : "au septième et au onzième
alinéas" sont remplacés par les mots : "au huitième et au treizième
alinéas" ;
« 4° Après le douzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, le procureur de la République peut demander au premier président
de la cour d'appel ou à son délégué de déclarer le recours suspensif lorsqu'il
lui apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation
effectives. Dans ce cas, l'appel, accompagné de la demande, est formé dans les
quatre heures à compter du prononcé des ordonnances précitées et est
immédiatement transmis au premier président ou à son délégué compétent pour y
statuer. Celui-ci décide, sans délai, s'il y a lieu de donner à l'appel un
effet suspensif, au vu des pièces du dossier, par une ordonnance non motivée
qui n'est pas susceptible de recours. L'intéressé est maintenu à la disposition
de la justice jusqu'à ce que cette ordonnance soit rendue et, si elle donne un
effet suspensif à l'appel, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond. »
« 5°
Supprimé.
»
Sur l'article, la parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
A l'orée de l'examen des amendements qui ont été déposés sur cet article 8,
qui définit les procédures concernant la reconduite à la frontière et la
rétention administrative, je voudrais rappeler à la Haute Assemblée que, dans
ce domaine, il existe deux principes constitutionnels dont on ne saurait se
départir. Le premier - je l'ai évoqué il y a un instant - est celui qui
consacre les droits des étrangers à bénéficier des garanties procédurales
fondamentales qui sont reconnues à tout justiciable en France. Le second est
celui selon lequel, dans une procédure - ici administrative - on ne saurait
bénéficier de garanties de ses droits inférieures à celles que l'on se voit
reconnaître dans le cadre d'une procédure judiciaire, notamment en matière
pénale.
N'oublions pas que l'étranger qui fait l'objet d'une reconduite à la
frontière, qui est donc en séjour irrégulier, ne saurait être en aucune manière
comparé, sauf par les pires ennemis de la démocratie, à un délinquant ou à un
criminel.
On doit s'en souvenir de cette exigence pour exiger que les garanties qui
doivent être reconnues en matière de rétention administrative ne soient en
aucune manière inférieures à celles qui sont prévues quand il s'agit de
poursuites pénales.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Je suis saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 54 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 79 est déposé par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme
ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu,
MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du
groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 92 rectifié est présenté par Mme Dusseau, MM. Baylet et
Collin.
Tous trois tendent à supprimer l'article 8.
Par amendement n° 80, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après le 2° du texte présenté par
l'article 8 pour modifier l'article 35
bis
de l'ordonnance du 2 novembre
1945, deux alinéas ainsi rédigés :
« ... Il est inséré, après le cinquième alinéa de cet article, un alinéa ainsi
rédigé :
« Si l'étranger n'a pas fait usage des dispositions prévues au dernier alinéa
du même article, lorsque vingt heures se sont écoulées depuis le début de la
rétention, l'étranger est appelé à s'entretenir avec un avocat. S'il n'est pas
en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, il peut
demander à ce qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier. Le
bâtonnier est informé de cette demande par tout moyen et sans délai. »
Par amendement n° 4, M. Masson, au nom de la commission, propose, à la fin de
la deuxième phrase du texte présenté par le 4° de l'article 8 pour insérer un
alinéa après le douzième alinéa de l'article 35
bis
de l'ordonnance du 2
novembre 1945, de remplacer les mots : « est formé dans les quatre heures à
compter du prononcé des ordonnances précitées et est immédiatement transmis au
premier président ou à son délégué compétent pour y statuer. » par les mots : «
est formé immédiatement après le prononcé de l'ordonnance et transmis au
premier président ou à son délégué. »
Par amendement n° 81, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent, à la fin de la deuxième phrase du 4° du
texte présenté par l'article 8 pour modifier l'article 35
bis
de
l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « pour y statuer » par
les mots : « qui statue ».
Par amendement n° 82, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de supprimer la dernière phrase du 4° du
texte présenté par l'article 8 pour modifier l'article 35
bis
de
l'ordonnance du 2 novembre 1945.
La parole est à Mme Luc, pour défendre l'amendement n° 54.
Mme Hélène Luc.
Cet amendement a pour objet de supprimer l'article 8 du projet de loi, article
particulièrement caractéristique de l'esprit répressif qui anime le
Gouvernement et sa majorité.
En effet, afin de rendre plus efficace et plus rapide l'exécution des
reconduites à la frontière, le Gouvernement n'hésite pas à renforcer les
pouvoirs du préfet et du procureur de la République, quitte à remettre en cause
les droits de la défense et certains principes essentiels garantissant un
procès équitable.
L'allongement de vingt-quatre heures de la première phase de rétention
administrative est particulièrement grave, puisqu'il permet à une autorité
administrative de priver un individu de sa liberté.
L'objectif du Gouvernement est en effet de reporter aussi longtemps que
possible l'intervention du juge judiciaire afin que l'administration ait les
mains libres. Cette logique, qui renforce la répression à l'encontre de
l'étranger, contourne les pouvoirs du juge et affaiblit ses prérogatives en
tant que garant des libertés individuelles, est contraire à tous les principes
démocratiques de notre société. Elle ne saurait être tolérée.
L'allongement de la durée de la rétention est d'autant plus préjudiciable que
le délai dont dispose par ailleurs l'étranger pour former un recours contre
l'arrêté de reconduite à la frontière n'étant, lui, pas systématiquement
prolongé, on risque de priver en fait l'intéressé de la possibilité de se
défendre. En pratique, et dans la quasi-totalité des cas, c'est en effet
seulement lors de sa présentation au juge judiciaire que l'étranger forme un
recours contre l'arrêté de reconduite à la frontière, car ce n'est qu'à ce
moment-là qu'il peut rencontrer un avocat.
Tous les praticiens du droit et les associations d'aide aux étrangers vous le
confirmeront, monsieur le ministre, l'organisation des centres de rétention et
les difficultés d'accès rendent bien illusoires les droits théoriques dont
disposent les étrangers. Une telle législation devrait d'ailleurs entraîner une
condamnation de la France devant la Cour européenne des droits de l'homme pour
non-respect de l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un
recours effectif.
Mais, monsieur le ministre, vous ne m'écoutez pas...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Si, madame, mais c'est le même discours que
précédemment !
Mme Hélène Luc.
Alors, tirez-en les conclusions !
Quant à l'appel suspensif, la mesure est, là encore, des plus contestables. Il
revient au seul procureur de la République de demander que l'appel soit
suspensif, ce qui établit un déséquilibre entre les parties, bien entendu au
détriment de l'étranger.
Ce que vous mettez en place, monsieur le ministre, c'est une véritable
législation d'exception. Le groupe communiste républicain et citoyen ne
saurait, par conséquent, accepter un tel article, qui, une fois de plus,
aggrave considérablement les lois Pasqua et bafoue les droits fondamentaux.
C'est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter
la suppression pure et simple de cet article.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je vous ai écoutée, madame Luc !
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 79.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet article 8 contient beaucoup de choses.
Nous l'avons déjà dit, mais nous devons le souligner de nouveau à l'appui de
notre amendement de suppression, cet article est notamment destiné à tourner la
jurisprudence de la Cour de cassation, qui a jugé qu'il n'est pas possible, au
titre d'une même mesure, de retenir administrativement un étranger pendant sept
jours, de le libérer puis de le mettre de nouveau en rétention pour sept
jours.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
C'est la jurisprudence Rasmi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous sommes bien d'accord, c'est en
effet cette jurisprudence de la Cour de cassation que vous voulez tourner.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Elle est absurde !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous dites qu'elle est absurde, mais nous estimons, nous, que, le Conseil
constitutionnel ayant strictement limité la durée de la rétention
administrative, vous ne pouvez pas, vous, la prolonger indéfiniment. Sinon,
rien n'empêcherait que le même intéressé, en vertu de la même mesure, se
retrouve tous les sept jours jusqu'à la fin des temps en rétention
administrative ! Cela ne nous paraît pas possible et c'est une première raison
pour supprimer cet article.
Par ailleurs, le délai de rétention de vingt-quatre heures est porté à
quarante-huit heures. En a-t-on assez parlé ? Tout à l'heure, vous ne m'avez
pas compris, monsieur le juge...
(Sourires.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Oui, monsieur le procureur ?
(Nouveaux
sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pardonnez ce lapsus. Je nous rajeunissais !
Je parlais tout à l'heure, monsieur le ministre, non pas du délai de rétention
administrative mais du délai de recours.
En allongeant à quarante-huit heures le délai de rétention administrative,
vous réduisez de fait, même si vous ne le modifiez pas textuellement, le délai
de recours de vingt-quatre heures, qui était déjà bref dans la pratique et qui
le sera donc encore plus. En allongeant la durée de la rétention
administrative, vous ne faites que reculer le moment auquel l'étranger peut
saisir le juge judiciaire, et ce alors que le Conseil constitutionnel a
considéré qu'il devait être saisi « dans les meilleurs délais ». Or « les
meilleurs délais », ce sont les vingt-quatre heures prévues actuellement !
Encore une raison de supprimer cet article 8.
Bref, nous avons toutes les raisons de vouloir supprimer cet article 8 !
M. le président.
L'amendement n° 92 rectifié est-il soutenu ?...
La parole est à M. Badinter, pour présenter l'amendement n° 80.
M. Robert Badinter.
Ce n'est pas ce que l'on appelle un amendement-surprise, puisque je l'ai déjà
présenté en première lecture.
Il a sa logique.
Puisque l'on a refusé de prolonger de vingt-quatre heures le délai d'appel, le
risque est grand que l'étranger ne soit pas précisement et clairement informé
de ses droits.
Compte tenu des difficultés matérielles et pratiques, portées à notre
connaissance par les avocats les plus qualifiés, ceux qui sont présents sur le
terrain, et confirmées par les magistrats eux-mêmes, il importe que, dans toute
la mesure possible, les dispositions nécessaires soient prises pour que cet
étranger puisse être « appelé » - c'est le mot qui convient - à s'entretenir
avec un avocat.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je voudrais éclairer le Sénat sur la
jurisprudence Rasmi.
J'ai dit qu'elle était absurde. C'est mon point de vue, et je m'en
explique.
La jurisprudence Rasmi paralyse les reconduites à la frontière et les
décisions judiciaires d'expulsion.
Que se passe-t-il lorsqu'un individu, à l'issue de sa rétention, n'a pas pu,
parfois et même souvent de son propre fait, être reconduit à la frontière ? Eh
bien, conformément à la jurisprudence Rasmi, on ne peut plus jamais ni
l'expulser, ni le reconduire à la frontière,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et la rétention judiciaire ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
... ni le remettre en rétention
administrative.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il y a la rétention judiciaire !
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, laissez parler M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Chacun prend ses responsabilités ! Mais on a là
une jurisprudence qui vide la loi de sons sens et paralyse son application.
C'est pourquoi, monsieur Dreyfus-Schmidt, bien que magistrat d'origine, je me
suis permis de dire que, à mon sens, cette jurisprudence était absurde : le
magistrat est là pour appliquer la loi, non pas pour la contourner !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez la rétention judiciaire !
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, la parole est à M. le rapporteur, pour présenter
l'amendement n° 4, et à lui seul. Cessez de dialoguer ainsi avec M. le ministre
!
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas un dialogue, c'est un débat !
(Sourires.)
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous savez aussi bien que moi, pour occuper
régulièrement le fauteuil de la présidence, que les débats sont organisés par
le règlement du Sénat et non pas livrés à l'initiative de chacun.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, cela fait un peu d'animation !
M. Jean Chérioux.
Que les vice-présidents montrent le bon exemple !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Mes chers collègues, cet article est fondamental, les
quelques commentaires que nous avons entendus à l'instant le prouvent.
L'amendement que la commission des lois vous propose a pour objet de rectifier
un texte qui nous vient de l'Assemblée nationale et qui nous paraît porter en
lui beaucoup de possibilités de contestations.
Dans quel scénario sommes-nous ? Je le rappelle, nous sommes dans une
procédure civile. Le juge, statuant en vertu de l'article 35
ter
de
l'ordonnance de 1945, a toute latitude pour apprécier à un stade de la
procédure, soit au premier stade, soit au deuxième - après quarante-huit heures
ou après sept jours de rétention administrative - si l'étranger en cause doit
être remis en liberté.
Je rappelle que, dans ce cadre, accepté par le Conseil constitutionnel, on ne
peut pas garder la personne plus longtemps que sept jours, sauf cas
exceptionnels de prolongation pour trois jours, sur lesquels je ne reviens pas
pour ne pas embrouiller le débat. A l'issue des premières quarante-huit heures
ou du septième jour, le juge libère la personne parce que l'administration n'a
pas apporté de preuve permettant de la maintenir en rétention.
Le texte tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale et tel que nous
l'avions modifié en première lecture prévoit que, dans un certain nombre de cas
particuliers, le procureur peut faire appel de cette décision du juge auprès du
premier président de la cour d'appel. Jusque-là, rien que de très normal. En
revanche, et l'exception est tout à fait nouvelle et originale dans notre
procédure, le procureur peut demander que cet appel soit suspensif et il
interdirait ainsi la remise de l'intéressé en liberté. C'est grave, nous en
sommes tout à fait conscients.
L'Assemblée nationale accorde au procureur quatre heures pour demander au
premier président de la cour d'appel de donner cet effet suspensif à l'appel
qu'il forme contre le refus de prolongation de la rétention administrative
prononcé par le juge de première instance. Aussi, pendant quatre heures,
l'intéressé se trouverait « à la disposition de la justice ».
Encore une fois, ce dispositif s'inscrit dans une procédure exceptionnelle,
puisque, vous l'avez bien compris, le juge a remis l'intéressé en liberté.
Si le procureur fait appel, ce n'est pas pour n'importe quel motif, il le fait
parce qu'il estime que l'étranger en question va disparaître, va s'évanouir
dans la nature, parce qu'il n'a pas, comme on dit en droit, « de garanties de
représentation ».
Par conséquent, pour que le cours de la procédure puisse se dérouler, l'appel
doit pouvoir être suspensif, c'est-à-dire que l'on doit pouvoir garder
l'étranger en cause malgré la décision du juge de le mettre en liberté.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je crois que, sur ce point, le Gouvernement partage l'avis de
la commission, puisque cette disposition a été modifiée par l'Assemblée
nationale - dois-je le dire ? - contre son avis.
La commission estime qu'il est préférable que le procureur soit prêt à former
cette demande d'effet suspensif dès le prononcé de l'ordonnance du juge de
première instance, immédiatement, instantanément. On m'objectera que c'est une
audience civile, que le procureur n'est pas forcément là, et qu'il faut lui
donner le temps de réfléchir.
Nous n'avons pas, nous, législateur, à tenir compte de telles considérations,
qui sont subsidiaires. L'administration, la magistrature, le parquet, prendront
leurs dispositions pour répondre à l'exigence de la loi.
Nous proposons donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la
disposition de l'Assemblée nationale soit réformée et que les quatre heures
laissées au procureur pour demander l'appel avec effet suspensif au premier
président de la cour d'appel soient remplacées par une disposition beaucoup
plus exigeante, beaucoup plus conforme aux exigences constitutionnelles. Il
faut que l'appel soit formé immédiatement après le prononcé de l'ordonnance et
transmis tout de suite au premier président de la cour ou à son délégué.
Cet amendement que j'ai l'honneur de vous présenter au nom de la commission
des lois me paraît donc substantiel.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour présenter les amendements n°s 81 et
82.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Notre amendement n° 81 tomberait si l'amendement n° 4 de la commission était
adopté. Toutefois, pour l'instant, subsiste dans le projet de loi, puisque
l'Assemblée nationale ne l'a pas supprimé, un extraordinaire « y ».
Je regrette de constater que c'est le Sénat qui a introduit et maintenu,
malgré nos réclamations, ce « y », que l'Assemblée nationale a laissé
subsister.
Le texte est en effet ainsi rédigé : « Dans ce cas, l'appel, accompagné de la
demande, est formé dans les quatre heures à compter du prononcé des ordonnances
précitées et est immédiatement transmis au premier président ou à son délégué
compétent pour y statuer. »
Cette formulation n'est pas correcte !
Et ne serait-ce que pour faire disparaître ce « y », l'amendement de la
commission présente un intérêt certain.
Pour le reste, j'ai du mal à m'expliquer cet amendement ! L'Assemblée
nationale a prévu que « l'appel... est formé dans les quatre heures... et est
immédiatement transmis » alors que la commission propose : « l'appel... est
formé immédiatement après le prononcé de l'ordonnance et transmis au premier
président ou à son délégué ».
L'adverbe « immédiatement » ne s'applique donc plus à la transmission, ce qui
veut dire que l'intéressé va rester en prison, sur la simple demande du
procureur, malgré la décision du juge, non seulement jusqu'à ce que le dossier
soit transmis - ce qui peut durer longtemps - mais aussi jusqu'à ce que le
premier président ait statué. Comme ce dernier n'a pas de délai pour statuer,
cela peut également être long !
Il s'agit là de ce que l'on appelle l'« internement arbitraire ».
Quant à l'amendement n° 82, il tend à supprimer la dernière phrase du 4° du
texte proposé par l'article 8 : « L'intéressé est maintenu à la disposition de
la justice jusqu'à ce que cette ordonnance soit rendue et, si elle donne un
effet suspensif à l'appel, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond. »
Cette suppression se situe dans le droit-fil de ce que je viens de dire : non
seulement on ne sait pas quand est transmis l'appel au premier président, mais,
en plus, et bien qu'il se soit trouvé un juge de l'ordre judiciaire pour
ordonner la mise en liberté, l'intéressé est maintenu à la disposition de la
justice jusqu'à ce que l'ordonnance du premier président soit rendue,
c'est-à-dire pendant un laps de temps dont la durée n'est pas admissible, je
vous ai rappelé pourquoi.
Vous savez bien, monsieur le ministre, que lorsque le juge d'instruction
refuse de placer quelqu'un en détention provisoire, et même si le procureur
interjette appel pour que l'application de la décision soit suspendue - il
n'est d'ailleurs pas le seul à pouvoir recourir à ce moyen, tout le monde peut
le faire, c'est-à-dire qu'il y a égalité des armes - l'intéressé est
immédiatement mis en liberté.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'était le contraire autrefois !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui, vous avez raison, mais maintenant tout se passe comme je l'ai dit.
Or, le Conseil constitutionnel a indiqué qu'en matière de rétention judiciaire
on ne peut être plus mal loti qu'en matière pénale habituelle, et ce qui est
vrai pour la rétention judiciaire l'est
a fortiori
plus encore pour la
rétention administrative.
Il n'est donc pas possible de retenir votre système parce que, lorsque le juge
a décidé la mise en liberté d'une personne placée en rétention administrative,
on n'a pas le droit de la garder en prison jusqu'à ce que le premier président
ait bien voulu statuer sur la seule demande du procureur de la République, car
il n'a pas de délai pour le faire.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson,
rapporteur.
L'amendement n° 4 est ainsi libellé : « est formé
immédiatement après le prononcé de l'ordonnance et transmis au premier
président ou à son délégué ».
M. Dreyfus-Schmidt nous a fait valoir des arguments, et ses observations ne
sont pas toujours impertinentes.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Pas toujours !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ce qui ne veut pas dire qu'elles sont toujours
pertinentes !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je propose donc de rectifier notre amendement et d'ajouter,
après les mots : « est formé immédiatement après le prononcé de l'ordonnance et
transmis », les mots : « sans délai ».
Ces précisions rendront peut-être cet amendement plus satisfaisant et la
redondance dans l'expression satisfera peut-être, au moins sur ce point-là, M.
Dreyfus-Schmidt.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 4 rectifié, visant, à la fin de la
deuxième phrase du texte proposé par le 4° de l'article 8 pour insérer un
alinéa après le douzième alinéa de l'article 35
bis
de l'ordonnance du 2
novembre 1945, à remplacer les mots : « est formé dans les quatre heures à
compter du prononcé des ordonnances précitées et est immédiatement transmis au
premier président ou à son délégué compétent pour y statuer. », par les mots :
« est formé immédiatement après le prononcé de l'ordonnance et transmis sans
délai au premier président ou à son délégué. ».
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 54, 79, 80, 81 et 82
?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Sur les amendements de suppression n°s 54 et 79, l'avis de la
commission est défavorable. Il n'y a pas beaucoup de justifications à donner
car nous en avons largement débattu en première lecture et en commission. De
plus, si nous modifions l'article 8, ce n'est pas pour le supprimer !
Mme Hélène Luc.
Vous n'avez pas peur de la Cour européenne des droits de l'homme ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
En ce qui concerne l'amendement n° 80, la commission y est
défavorable. Il s'agit de la mise en contact systématique avec l'avocat au
terme des vingt premières heures de rétention.
Il y a là une assimilation qui me paraît peu pertinente du régime de la
rétention administrative avec le régime de droit commun. Or je pense que si
l'on a créé la rétention administrative, c'est précisément pour ne pas engager
la procédure de droit commun. Sinon, on n'aurait pas inventé cette procédure,
qui est un peu exceptionnelle et qui a au moins l'avantage d'être plus
rapide.
Je rappelle en outre que l'intéressé qui est placé en rétention administrative
peut communiquer avec un avocat dès la première heure ; cela lui a été notifié
par écrit - on en a déjà parlé tout à l'heure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas le cas en droit commun.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Pour ce qui est de l'amendement n° 81, il est, semble-t-il,
satisfait par l'amendement n° 4 rectifié de la commission.
Enfin, l'amendement n° 82, supprime le maintien à la disposition de la justice
de l'intéressé dans l'attente de la décision sur l'appel. Cette suppression
créerait, me semble-t-il, un vide juridique. En effet, on ne sait plus quel
serait le statut de l'intéressé. J'ajoute que la formule du maintien à la
disposition de la justice est claire pour les praticiens.
De plus, cette suppression priverait l'effet suspensif de sa pleine efficacité
à l'égard de l'étranger de mauvaise foi qui ne se représenterait pas, ce qui
irait à l'encontre du dispositif modifié par l'amendement n° 4 rectifié.
Nous voulons, je le répète, que l'intéressé puisse être gardé à la disposition
de la justice jusqu'à la décision du président de la cour d'appel. Nous pensons
que, s'il n'y a pas d'effet suspensif, si la suppression du maintien à la
disposition de la justice est votée, il y aura une contradiction par rapport à
l'objectif poursuivi.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble de ces amendements ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je suis naturellement du même avis que M. le
rapporteur.
Je veux ajouter, s'agissant de l'amendement n° 80, présenté par M. Badinter -
mais je ne suis pas un spécialiste du droit comme lui - que je ne connais pas
un exemple, dans notre droit, d'un système dans lequel on oblige une personne à
rencontrer un avocat, pas même au titre de l'article 63-4 du code de procédure
pénale relatif à la garde à vue !
Or, aux termes de cet amendement, cela devient une obligation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas le droit commun, comme le disait M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
C'est une exception qu'il est extrêmement
curieux de faire entrer dans le droit.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est une voie d'exception.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Il faut laisser à l'individu la faculté de
choisir un avocat. Cette obligation, moi, me choque.
Enfin, je suis favorable à l'amendement n° 4 rectifié présenté par M. Masson,
puisqu'il tend à revenir au texte du Gouvernement prévoyant que l'appel est
formé immédiatement et transmis sans délai.
Toutefois, à partir du moment où l'appel est immédiat, s'il n'est pas
transmis, cela constitue, bien évidemment, un détournement de procédure.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, dès lors que l'appel est immédiat, la transmission
est également immédiate ! Vous ne pouvez pas imaginer une seconde que l'on
garde un appel sous le coude !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oh non !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Les avocats seraient nombreux à le dénoncer.
Ainsi rectifié, l'amendement déposé par M. le rapporteur me convient
parfaitement, puisqu'on en revient, je le répète, au texte du Gouvernement.
J'ajoute que, constitutionnellement, il me paraît plus solide, car le délai
qui avait été fixé par l'Assemblée nationale, contre mon avis, risquait de
provoquer le courroux du Conseil constitutionnel.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 54 et 79.
M. Emmanuel Hamel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
S'agissant de l'amendement n° 79, je tiens à remercier M. Dreyfus-Schmidt
d'avoir rappelé au Sénat, soit par inadvertance - il nous arrive parfois
d'avoir la langue qui fourche - soit à dessein, en l'appelant M. le juge, que
M. le ministre de l'intérieur fut magistrat.
Nous savons, de réputation, quel magistrat il fut ! Il accomplissait sa
fonction inspiré par les principes fondamentaux de la République et des droits
de l'homme.
Nous sommes confortés, nous qui ne sommes pas juristes, dans le devoir de le
soutenir car nous savons quel magistrat il fut.
De même, nous qui ne sommes pas juristes, nous sommes confortés dans nos votes
par le fait que le président de la commission des lois du Sénat, M. Jacques
Larché, fut conseiller d'Etat. Lorsqu'on a appartenu à une telle institution,
on n'accepte pas un texte qui viole soit les droits fondamentaux de la
personne, soit les intérêts de la République.
Nous nous souvenons aussi que le président de la commission des lois de
l'Assemblée nationale, M. Pierre Mazeaud, fut lui aussi conseiller d'Etat.
Comment, mes chers collègues, pouvez-vous tenter d'insinuer en nous le doute,
alors que ceux qui proposent ce texte ont, avant d'être élus, assumé avec tant
de dignité des fonctions dans lesquelles ils étaient inspirés par le respect
des droits de l'homme et le souci des droits fondamentaux de la République ?
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 54 et 79, repoussés par la
commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 80, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Cet amendement soulève une interrogation majeure à laquelle je souhaite que M.
le rapporteur réponde. Il s'agit là d'une question de droit pur.
Le problème est le suivant. Nous avons une situation dans laquelle un
magistrat du siège, dans notre Etat de droit gardien des libertés
individuelles, vient de prendre une décision rendant la liberté à un étranger
en situation irrégulière. Le procureur de la République interjette appel de
cette décision. Le texte prévoit que le ministère public peut, à cet instant,
demander au Premier président que l'appel qu'il forme soit déclaré
suspensif.
A cet égard, je retrouve sensiblement le dispositif en matière de
référé-liberté, et le principe que seul un magistrat du siège peut infirmer la
décision d'un autre magistrat du siège qui a rendu la liberté à quiconque. Dès
l'instant, en effet, où un magistrat du siège a déclaré, une rétention infondée
et a décidé de remettre l'intéressé en liberté, le simple appel du parquet ne
saurait à lui seul suspendre la décision du magistrat du siège.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle c'est un autre magistrat du siège qui
doit se prononcer sur le caractère suspensif de cet appel, ce qui, par
définition, dénie à l'appel du ministère public lui-même son caractère
suspensif. Ce qui peut avoir un effet suspensif, c'est la décision du premier
président ou de son délégué. Nous sommes d'accord à cet égard !
Mais, le vrai problème, qui ne peut se confondre, monsieur le rapporteur, avec
celui de la transmission ou de la formation immédiate de l'appel, réside dans
la force exécutoire de la décision du magistrat du siège rendant sa liberté
individuelle à quelqu'un. Cette décision, je le rappelle, ne peut être modifiée
autrement que par une autre décision d'un magistrat du siège. Elle est
exécutoire de plein droit, immédiatement.
La question de savoir si l'appel du parquet doit être formé immédiatement ou
dans un délai de quatre heures ne concerne que la possibilité de faire venir le
plus vite possible devant le magistrat du siège de la cour la décision du
magistrat du tribunal. Mais, entre le moment où la première décision est
intervenue et le moment où le second magistrat du siège va se prononcer sur le
caractère suspensif ou non de l'appel, il est impossible de paralyser, par le
seul appel du parquet, la force exécutoire de la décision rendant la liberté à
un justiciable.
Là se trouve le coeur du problème, me semble-t-il.
Telles sont les analyses que m'a inspirées la lecture de l'amendement n° 4
rectifié et que je soumets à l'attention du Sénat.
Au regard des principes de la liberté individuelle, il est une règle
fondamentale : la décision du magistrat du siège rendant la liberté
individuelle à quelqu'un ne peut être contredite que par une décision d'un
autre magistrat du siège lui donnant un caractère suspensif. Mais, je le
répète, entre les deux décisions, rien n'est possible.
(Applaudissements sur
les travées socialistes.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Monsieur Badinder, vous considérez qu'il est anticonstitutionnel, en tout cas
qu'il est juridiquement mauvais, que le procureur de la République puisse non
pas former un appel suspensif - il n'est pas question de cela ! - mais demander
à un magistrat du siège de le rendre suspensif. Cela vous paraît choquant !
M. Robert Badinter.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Si !
M. le président.
S'il vous plaît, pas de dialogue !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est ce que nous avons entendu. Nous avons peut-être mal compris, car je
n'imagine pas que vous vous soyez mal exprimé.
Ce qui vous choque aujourd'hui a existé pendant très longtemps, sous diverses
républiques : lorsque le juge d'instruction mettait en liberté un délinquant et
que le procureur faisait appel, celui-ci, sans qu'il soit besoin d'aller devant
un magistrat du siège, était par lui-même suspensif. Vous l'avez accepté ; tout
le monde l'a accepté ; c'est une très longue tradition.
Aujourd'hui, on fait mieux : on dit que l'appel du procureur n'est pas en
lui-même suspensif, qu'il faut une décision d'un magistrat du siège. Il y a
donc un progrès, que vous ne pouvez contester.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous dites que nous l'avons accepté ! Pas du tout ! C'est pourquoi nous avons
supprimé cette disposition dès que cela a été possible.
C'est l'état actuel du droit. Or, nous l'avons dit, nous ne pouvons pas
traiter plus mal un étranger en situation prétendument irrégulière - il ne
l'est peut-être pas, puisqu'un magistrat vient de décider de le remettre en
liberté - que quelqu'un qui est accusé d'un crime !
M. Jean-Jacques Hyest.
On ne le remet pas en liberté !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On met fin à la rétention administrative, donc on le remet en liberté !
M. Jean-Jacques Hyest.
Il s'agit quand même de quelqu'un qui a été expulsé !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Précisément, il n'est pas expulsé ! Le juge a estimé qu'il ne devait pas être
maintenu en rétention, donc il est libéré.
M. Jean-Jacques Hyest.
Et on recommence !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'en arrive au texte proposé par l'amendement n° 4 rectifié.
Je ne parle plus de l'égalité des armes, qui existe dans le référé-liberté et
qui a été évoquée par M. Badinter et moi-même ; j'en viens aux termes «
immédiatement » et « sans délai ».
Je suis très sensible au fait que M. le rapporteur ait retenu mon argument. Le
seul malheur, c'est que les mots « sans délai » et « immédiatement » ne
signifient rien ! C'est bien connu en droit : « immédiatement » est une notion
élastique. Lorsque l'on rend une décision, on ne précise pas l'heure à laquelle
on la rend. Il en est de même lorsqu'on interjette l'appel.
Comment saura-t-on que l'appel a été formé « immédiatement » ?
En outre, vous ne donnez pas au premier président de la cour d'appel de délai
pour statuer. Même si « immédiatement » et « sans délai » avaient un sens, vous
n'avez aucune garantie que la décision sera rendue dans un délai quelconque et,
en tout cas, rapidement.
Telles sont les raisons pour lesquelles votre amendement modifie, nous
semble-t-il, peu de choses à l'ensemble du système, qui n'est pas admissible,
qui est anticonstitutionnel et que nous récusons.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
M. Ceccaldi-Raynaud a raison : c'était le passé ; il n'y avait pas eu de
contrôle de constitutionnalité sur cette question. Sauf erreur de ma part, cela
n'existe plus depuis 1984. Mais le problème n'est pas là !
Quand je décompose la procédure, je vois un étranger présumé en situation
irrégulière placé en rétention administrative. Le magistrat du siège de Nice
dira : « Je lève la rétention. » L'appel est formé aussitôt. Le temps que
l'appel vienne devant le magistrat d'Aix, il s'écoulera un certain temps. A cet
instant-là, qu'est-ce qui pourra faire obstacle à la décision du juge de Nice
disant : « Vous ne devez pas maintenir cet étranger en rétention, j'y mets fin
? » L'appel du procureur ? Cela voudrait dire que l'on reconnaît au procureur
de la République, par son seul appel, avant que ne se soit prononcé à Nice le
premier président, le droit de suspendre la décision rendant la liberté
individuelle à l'étranger. Cela ne me paraît pas juridiquement possible.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je formulerai une simple remarque à
l'adresse de M. Badinter.
Mon cher collègue, le procureur dispose d'un pouvoir particulièrement
significatif, et qui est tout à fait comparable à celui dont nous parlons :
c'est la prorogation de la garde à vue.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 81 n'a plus d'objet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous avons au moins satisfaction sur un point !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 82.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur Jacques Larché, j'en profite pour vous répondre.
Dans le cas que j'évoquais tout à l'heure, la situation est bien différente de
celle à laquelle vous avez fait allusion : en l'espèce, il vient d'intervenir
une décision exécutoire d'un magistrat du siège rendant sa liberté à l'étranger
placé en rétention.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 82, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 8, modifié.
M. Robert Pagès.
Le groupe communiste vote contre.
M. Claude Estier.
Le groupe socialiste également.
(L'article 8 est adopté.)
Article additionnel après l'article 9
bis
M. le président.
Par amendement n° 84, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 9
bis,
un
article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 16 de la loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux
conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est abrogé. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Notre amendement tend à ce que les refus de visa soient motivés. Vous vous
êtes tous réjouis de ce que M. Dray ait proposé à l'Assemblée nationale de
préciser que les refus de certificat d'hébergement devaient être motivés. Vous
avez d'ailleurs ajouté que c'était le droit commun - ce qui est vrai ; il
n'était donc pas tellement indispensable de l'inscrire dans la loi.
Toutefois, il existe une exception au droit commun depuis le 9 septembre 1986
: la dispense de motivation des refus de visa d'entrée en France.
Ainsi, des visas de plus en plus nombreux sont refusés sans que les motifs de
ce refus soient indiqués. Le malheureux Conseil d'Etat, qui prétend vérifier la
validité des motifs, ne peut évidemment pas le faire.
On m'opposera, je le sais bien, la raison d'Etat.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais, dans la pratique, les refus pour les simples particuliers peuvent
parfaitement être motivés.
Tout à l'heure, M. Hamel a rendu hommage à M. le président de la commission
des lois. Eh bien, nous avons entendu ce dernier, de retour d'une mission à
l'étranger, nous citer l'exemple d'un général libanais - n'est-il pas vrai,
monsieur le président ? -...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
...qui avait l'habitude de venir en France quasiment tous les ans, qui
présentait toutes les garanties d'estime possibles, et qui, désormais,
n'arrivait plus à obtenir son visa. Il a fallu les interventions de membres
autorisés de la commission des lois unis derrière leur président pour que le
général reçoive enfin son visa.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous voyez que cela fonctionne !
M. Pierre Fauchon.
Ce n'était pas un général !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ah ! Je croyais.
M. Pierre Fauchon.
C'était un professeur de droit.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Veuillez excuser cette confusion. Mais peu importe, cela ne change rien à la
réalité des faits que j'ai rapportés, qui est confirmée par nos collègues
Jacques Larché et Pierre Fauchon.
Seulement voilà : tout le monde n'a pas l'occasion de rencontrer des membres
éminents de la commission des lois du Sénat ! Il est par exemple de très
nombreux Africains - j'en connais - qui rêvent de visiter la France et qui
économisent depuis longtemps pour cela. Je connais notamment un jeune Africain
qui voulait voir la neige et venir en France cet hiver.
Il n'y avait aucune raison qu'on lui refuse son visa. C'est pourtant ce qui
s'est produit, sans qu'aucun recours soit possible. Bien évidemment, les cent
francs destinés à l'OMI avaient été versés !
Par conséquent, si des visas doivent être refusés, il est indispensable que le
bien-fondé de ces refus puisse être contrôlé par les tribunaux administratifs
et le Conseil d'Etat.
Voilà pourquoi je me permets d'insister très vivement pour que cet amendement
soit adopté.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est une confusion des genres incroyable !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je ne vois pas en vertu de quel argument de fond M.
Dreyfus-Schmidt peut contester le droit de souveraineté. Celui-ci est ancien,
il est même plus ancien que la République ; le droit de souveraineté de la
nation française est un principe absolument incontestable. Je ne vois donc pas
comment vous pouvez estimer aujourd'hui, monsieur Dreyfus-Schmidt, que la
non-délivrance d'un visa par un consulat à un étranger qui demande à entrer sur
le territoire national doit être assortie d'une justification.
Un pays souverain a l'appréciation souveraine de décider si un étranger peut
ou ne peut pas entrer chez lui.
En 1982, l'administration avait même imaginé que, malgré le visa que pouvait
détenir un étranger, elle avait la possibilité de s'opposer à son entrée s'il
était susceptible de troubler l'ordre public. Nous n'allons pas jusque-là.
Vous, monsieur Dreyfus-Schmidt, vous estimez qu'il faut justifier l'exercice
d'un acte de souveraineté.
Par ailleurs, monsieur Dreyfus-Schmidt, vous le savez aussi bien que moi, un
recours est toujours possible contre un acte de l'administration. Si le recours
est formé, l'administration sera conduite à donner les raisons de son refus au
moment où elle sera appelée à s'expliquer pour permettre à la juridiction de
déterminer s'il y a eu abus d'autorité ou non. En cas d'abus d'autorité, c'est
le tribunal qui tranchera.
Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je rappelle à M. Dreyfus-Schmidt que la loi de
1986 n'a fait que confirmer une jurisprudence du Conseil d'Etat.
Par conséquent, si l'on supprimait l'article 16 de la loi de 1986, on en
reviendrait à l'arrêt Ngako Jeuga du 28 février 1986, autrement dit à
l'obligation de motivation. Par conséquent, je suis contre cet amendement.
J'ajoute que, comme vient de le dire M. le rapporteur, le souci du
Gouvernement français de maîtriser l'accès au territoire français est une
prérogative de l'Etat qui est au coeur de la souveraineté nationale. Par
conséquent, je considère cet amendement non seulement inutile et dangereux - on
en reviendrait en fait à la jurisprudence antérieure - mais, en plus,
inopportun, puisque la matière relève de la souveraineté de l'Etat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
De l'arbitraire !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 84, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 10
M. le président.
« Art. 10. - Il est inséré, au chapitre III du titre II du livre Ier du code
de procédure pénale, après l'article 78-2, un article 78-2-1 ainsi rédigé :
«
Art. 78-2-1
. - Sur réquisitions du procureur de la République, les
officiers de police judiciaire et, sur l'ordre ou la responsabilité de ceux-ci,
les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints
mentionnés aux articles 20 et 21 (1°) sont habilités à entrer dans les lieux à
usage professionnel, ainsi que dans leurs annexes et dépendances, sauf s'ils
constituent un domicile, où sont en cours des activités de construction, de
production, de transformation, de réparation, de prestation de services ou de
commercialisation, en vue :
« - de s'assurer que ces activités ont donné lieu à l'immatriculation au
répertoire des métiers ou au registre du commerce ou des sociétés lorsqu'elle
est obligatoire, ainsi qu'aux déclarations exigées par les organismes de
protection sociale et l'administration fiscale ;
« - de se faire présenter le registre unique du personnel et les documents
attestant que les déclarations préalables à l'embauche ont été effectuées ;
« - de contrôler l'identité des personnes occupées, dans le seul but de
vérifier qu'elles figurent sur le registre ou qu'elles ont fait l'objet des
déclarations mentionnées à l'alinéa précédent.
« Les réquisitions du procureur de la République sont écrites et précisent les
infractions, parmi celles visées aux articles L. 324-9 et L. 341-6 du code du
travail, qu'il entend faire rechercher et poursuivre, ainsi que les lieux dans
lesquels l'opération de contrôle se déroulera. Ces réquisitions sont prises
pour une durée maximum d'un mois et sont présentées à la personne disposant des
lieux ou à celle qui la représente.
« Les mesures prises en application des dispositions prévues au présent
article font l'objet d'un procès-verbal remis à l'intéressé. »
Sur l'article, la parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons
demander la suppression de cet article par l'amendement n° 85.
Cet article 10, le dernier en discussion -
in cauda venenum !
-, nous
paraît, en effet, à la fois inutile, dangereux et injuste.
Il est inutile parce que la législation actuelle - l'article L. 611-13 du code
du travail émanant de la loi du 2 janvier 1990 - donne déjà aux officiers de
police judiciaire tous les moyens juridiques nécessaires pour intervenir dans
les entreprises afin de constater les infractions au droit du travail dues au
travail clandestin, mais aussi dans bien d'autres cas, par exemple en cas de
non-respect des règles de sécurité ou d'accident mortel.
Les officiers de police judiciaire peuvent donc intervenir dans les
entreprises, mais à deux différences majeures près par rapport à ce qui est
prévu à l'article 10 du présent projet de loi.
Première différence : ils peuvent intervenir mais concuremment avec les
inspecteurs du travail, seuls fonctionnaires professionnellement compétents
pour rechercher, apprécier et relever les infractions au code du travail.
Seconde différence : ils doivent le faire dans le respect des garanties
juridiques assurées aux citoyens et aux justiciables, c'est-à-dire « sur
ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel
sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui, ordonnance rendue
sur réquisition du procureur de la République ».
L'article 10 tend à transférer ces dispositions du code du travail dans le
code de procédure pénale et à confier l'initiative au parquet plutôt qu'au
juge.
En cela, il est inutile.
Il est aussi dangereux car non seulement il réduit gravement les garanties
juridiques des salariés, mais encore il donne pouvoir aux officiers de police
judiciaire d'exercer le contrôle de l'application du code du travail au lieu et
place des inspecteurs du travail, qui seront absents et dont les moyens
d'investigation, prévus à l'article L. 611-9 du code du travail, en ce qui
concerne notamment la recherche du travail clandestin, ont été, au préalable,
sérieusement rognés.
Cet article est enfin injuste car, au moment même où il réduit les garanties
juridiques et où il rogne les prérogatives et les moyens des inspecteurs du
travail, les employeurs, eux, voient leur impunité préservée.
Les parlementaires socialistes, à l'Assemblée nationale et au Sénat, ont
présenté de nombreux amendements sur le texte relatif au travail illégal voté
voilà peu, en vue de renforcer les moyens d'investigation des inspecteurs du
travail et de leur permettre d'incriminer les véritables responsables du
travail clandestin que sont les donneurs d'ordres. Ces amendements ont tous été
repoussés, notamment en deuxième lecture, si bien qu'un donneur d'ordres,
aujourd'hui, peut toujours prétendre, en cas de besoin, qu'il ne savait pas que
son sous-traitant employait des travailleurs clandestins sans avoir à faire la
preuve de sa bonne foi et sans être incriminé.
De nombreuses fédérations patronales, en particulier celles du bâtiment,
estiment que, finalement, cette loi de répression du travail illégal n'est pas
si mauvaise et qu'elle s'est bonifiée « avec le temps et le processus
parlementaire ». Même une mesure aussi anodine que la résiliation automatique,
de la part d'un donneur d'ordres, d'un contrat d'un sous-traitant qui aurait
embauché et fait travailler des salariés illégaux, mesure qui avait été un
temps envisagée, a été révisée.
Il y a véritablement deux poids, deux mesures ! D'un côté, on rogne des
garanties juridiques et on réduit les pouvoirs des inspecteurs du travail ; de
l'autre, on conforte l'impunité des employeurs et des donneurs d'ordres, qui
sont les véritables organisateurs des filières.
Pour toutes ces raisons, et cet article étant bien représentatif de l'esprit
qui a présidé à la rédaction de ce projet de loi, nous en demandons la
suppression.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 55 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 85 est déposé par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme
ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu,
MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du
groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 93 rectifié est présenté par Mme Dusseau, MM. Baylet et
Collin.
Tous trois tendent à supprimer l'article 10.
Par amendement n° 86, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Barniès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de rédiger ainsi le texte présenté par
l'article 10 pour l'article 78-2-1 du code de procédure pénale :
«
Art. 78-2-1.
- Dans le cadre des enquêtes préliminaires diligentées
pour la recherche et la constatation des infractions de travail clandestin et
d'emploi d'étrangers sans titre prévues aux articles au premier alinéa de
l'article L. 324-9 et au premier alinéa de l'article L. 341-6 du travail, des
officiers de police judiciaire assistés, le cas échéant, des agents de police
judiciaire peuvent, sur ordonnance du président du tribunal de grande instance
dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par
lui, rendue sur réquisitions du procureur de la République, procéder à des
contrôles d'identité, des visites domiciliaires, perquisitions et saisies de
pièces à conviction dans les lieux de travail mentionnés aux articles L. 321-1
du code du travail et 1144 du code rural, y compris dans ceux n'abritant pas de
salariés, même lorsqu'il s'agit de locaux habités. »
La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 55.
M. Robert Pagès.
L'article 10 du projet de loi tend à autoriser les officiers et les agents de
police judiciaire à entrer dans les entreprises pour y effectuer des contrôles
d'identité sous prétexte de lutter contre le travail clandestin. Cette
disposition nous paraît très choquante.
A la suite de l'avis rendu par le Conseil d'Etat, elle a été retirée du projet
de loi sur le travail illégal, pour être finalement introduite dans le présent
texte. Mais, qu'elle prenne place dans un texte sur le travail illégal ou dans
un texte relatif à l'immigration, cette mesure reste scandaleuse : le fait que
les coupables soient étrangers ou français ne doit rien changer à la nature du
délit.
Là encore, vous voulez désigner les étrangers comme les principaux coupables
en matière de travail illégal.
Est intervenu ainsi l'amalgame entre immigration clandestine et travail
illégal, alimentant la xénophobie et faisant croire que les étrangers sont
responsables du chômage.
Pour mémoire, je tiens à vous rappeler l'un des chiffres qui démontrent que
cette confusion n'est pas fondée : en 1994, l'emploi irrégulier d'étrangers
représentait 6 % des verbalisations pour travail dissimulé.
Votre démarche est claire : vous voulez renforcer la traque aux immigrés
irréguliers qui, s'ils sont en infraction avec les lois sur l'entrée et le
séjour, ne sont en aucun cas les auteurs du délit de travail illégal. Ils en
sont les victimes, tout comme les autres salariés travaillant au noir.
S'il y a des salariés non déclarés, c'est bien parce qu'il se trouve des
patrons peu scrupuleux et peu respectueux du code du travail pour les employer
dans ces conditions. Ce sont ces employeurs, ainsi que les donneurs d'ordre,
qu'il convient de sanctionner de façon très sévère.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Donnez-nous les moyens de le faire !
M. Robert Pagès.
Ce sont eux les responsables, car je ne pense pas qu'on accepte de travailler
dans des ateliers clandestins par plaisir, surtout quand on sait à quel point
les conditions de travail y sont déplorables : les normes de sécurité et
d'hygiène sont inexistantes, le salaire y est misérable et n'ouvre aucun droit
à une couverture sociale, qu'il s'agisse de l'assurance maladie ou de
l'assurance vieillesse.
Avec cet article 10 et avec le texte relatif à la lutte contre le travail
clandestin, ce sont les libertés publiques et individuelles qui sont menacées,
ce sont les salariés et les populations d'origine étrangère qui deviennent les
cibles du Gouvernement, c'est un Etat répressif et omniprésent qui se met en
place.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Répressif contre l'esclavage !
M. Robert Pagès.
Nous refusons une telle logique ! Nous proposons, par conséquent, de supprimer
purement et simplement cet article 10.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous retardez d'un siècle !
M. Robert Pagès.
Moi, je retarde d'un siècle ? Vous n'êtes sans doute jamais allé voir un de
ces ateliers clandestins !
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendements n° 85.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je n'ai rien à ajouter à la très brillante démonstration faite il y a un
instant par mon ami Henri Weber.
Je rappellerai simplement que, à l'Assemblée nationale, le président de la
commission des lois, M. Mazeaud, a lui-même admis que le code du travail
donnait la possibilité aux officiers de police judiciaire de pénétrer dans les
entreprises pour constater des infractions.
Cependant, différence essentielle, dans le code du travail, c'est le président
du tribunal ou son délégué qui prend la décision, sur réquisitions du
procureur. L'astuce, ici, consiste à abandonner complètement le contrôle du
magistrat du siège.
C'est toujours la même philosophie : vous éliminez le contrôle de celui qui
est, aux termes de la Constitution, le gardien des libertés !
J'apporterai deux remarques.
Le Conseil constitutionnel, encore lui, dans sa décision n° 90-281 - et vous
connaissez bien sa jurisprudence, monsieur le ministre - saisi par MM. Jacques
Chirac, Jacques Toubon, Mme Suzanne Sauvaigo, etc., avait, en matière de visite
domiciliaire, annulé la disposition visée parce que n'étaient prévus ni
l'information préalable de ce magistrat ni la communication d'une copie du
procès-verbal à la personne concernée.
Sur ce point, nous vous avions proposé un amendement. Vous n'en aviez pas
voulu...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je m'en étais remis à la sagesse !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je m'adressais à mes collègues, monsieur le ministre.
Effectivement, le Gouvernement s'en était remis à la sagesse, et je lui avais
fait remarquer qu'il m'avait compris.
Au moment du vote, il y avait eu doute et, alors que M. le président allait
procéder au vote par assis et levés, j'avais dit, m'adressant à mes collègues :
« Si vous ne voulez pas de cet amendement, je le retire. »
A l'Assemblée nationale, nous avons, par la voix de M. Dray, eu l'amabilité de
présenter à nouveau cet amendement, qui a, cette fois, été adopté.
Mais, ce n'est pas tout !
Le Conseil constitutionnel considérait encore que devait être prise en
considération l'hypothèse dans laquelle les locaux susceptibles d'être visités
serviraient pour partie de domicile aux intéressés.
Or le texte qui nous est soumis prévoit que les policiers « sont habilités à
entrer dans les lieux à usage professionnel, ainsi que dans leurs annexes et
dépendances, saufs s'ils constituent un domicile ». A quoi s'applique le membre
de phrase : « s'ils constituent un domicile » ? Le moins que l'on puisse dire
est qu'il y a un doute sérieux : cela peut s'appliquer aux uns et aux autres,
mais cela peut s'appliquer aussi ou seulement aux uns ou seulement aux
autres.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Annexes et dépendances sont deux noms de genre féminin !
M. Jean-Jacques Hyest.
Donc cela s'applique à l'ensemble des lieux à usage professionnel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est vrai ! Merci du renseignement !
Mais je n'ai pas terminé, car le Conseil constitutionnel considérait encore «
qu'il n'est pas fait mention d'une limitation dans le temps de l'accès aux
locaux visés au deuxième alinéa ».
A notre sens, il faut en déduire que cette visite ne peut pas durer
éternellement et qu'elle doit donc être limitée dans le temps.
Or vous avez feint de comprendre autre chose, en précisant, à la fin de
l'article 10, que « ces réquisitions sont prises pour une durée maximale d'un
mois ». Ainsi, vous avez limité la validité des réquisitions du procureur de la
République, mais vous n'avez pas limité la durée de la visite que vous avez
autorisée.
Par conséquent, pour cette raison-là aussi, cet article est
anticonstitutionnel.
Dès lors, le plus simple n'est-il pas de le supprimer purement et simplement,
comme nous le proposons, étant entendu que le code du travail autorise, d'une
manière conforme à la Constitution, et depuis longtemps les visites que vous
voulez aujourd'hui autoriser d'une manière anticonstitutionnelle ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
A l'évidence, c'est insuffisant !
M. le président.
L'amendement n° 93 rectifié est-il soutenu ?...
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 86.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous avons effectivement déposé cet amendement de repli, qui reprend les
principes mis en oeuvre par le code du travail.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 55, 85 et 86 ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Tout a déjà été dit, et amplement, en première lecture.
Je ne vois pas pourquoi on supprimerait aujourd'hui l'article 10 puisque nous
en avions approuvé à la fois le fond et la forme, sous réserve des
modifications qui ont été adoptées ici puis approuvées par l'Assemblée
nationale. Il n'y a aucune raison de revenir maintenant sur une position qui a
été très clairement exprimée.
En conséquence, la commission est défavorable aux amendements n°s 55 et 85.
Quant à l'amendement n° 86, il reprend, me semble-t-il, l'article L. 611-13 du
code du travail et je ne vois pas ce qu'il ajoute au dispositif que nous
voulons améliorer par le présent article 10.
On nous a constamment dit qu'il fallait agir contre le travail illégal, et
nous sommes sollicités de toute part pour avancer dans cette voie. Nous avons
pensé que, pour ce faire, il était bon que des officiers ou des agents de
police judiciaire puissent vérifier l'identité des employés et la régularité
des emplois en contrôlant les registres sur lesquels la loi oblige les
employeurs à inscrire le nom de toutes les personnes qu'ils emploient.
Par ailleurs, j'observe que l'amendement n° 86 laisse ouverte la possibilité
de visiter aussi des locaux habités, ce que, nous, nous ne voulons pas. Nous
avons en effet écarté la possibilité de visiter des locaux qui seraient même
partiellement à usage d'habitation.
Pour toutes ces raisons, je demande également le rejet de l'amendement n°
86.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je partage l'avis de M. le rapporteur, mais je
tiens à répondre aux arguments de M. Dreyfus-Schmidt.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, j'ai été magistrat du parquet et magistrat du siège.
Or j'ai le sentiment d'avoir été, aussi bien comme « parquetier » que comme
juge, le défenseur des libertés individuelles.
D'ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 août 1993 que
vous connaissez parfaitement, a bien précisé que l'autorité judiciaire, qui
assure le respect de la liberté individuelle, comprend, bien sûr, les
magistrats du siège, mais aussi les magistrats du parquet.
Par conséquent, vous ne pouvez pas prétendre que, dans la mesure où le texte
prévoit que c'est « sur réquisitions du parquet », il porte atteinte aux
libertés individuelles.
J'ajoute que je n'arrive pas à comprendre votre démarche intellectuelle. Vous
ne cessez de répéter que vous voulez lutter contre le travail clandestin mais,
chaque fois que l'on vous propose une mesure, vous la refusez.
On le voit clairement, il y a un décalage considérable entre vos discours, vos
incantations, et la réalité. C'est tout ce qui nous sépare : moi, je ne me
contente pas de discours ; je ne parle pas aussi bien que vous, mais je veux
lutter contre le travail clandestin et donner aux policiers, sous le contrôle
de magistrats, qui sont respectueux des libertés individuelles, la possibilité
d'aller voir dans les ateliers s'il y a, oui ou non, des gens qui sont en
situation irrégulière ou des gens qui travaillent clandestinement, parce que ce
n'est pas acceptable.
M. Robert Pagès.
Pour cela, il y a les inspecteurs du travail !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Moi, j'accorde mes actes à mon discours, je suis
logique, alors que, vous, vous ne l'êtes pas !
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Nous vous suivons, monsieur le ministre !
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 55 et 85.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On ne va pas répéter x fois la même chose.
(« Ah ! non ! » sur les travées
du RPR.)
Mais enfin, monsieur le ministre, je suis tout de même obligé de
dire que vous ne cessez de nous injurier !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ah non !
M. Jean Chérioux.
Vous ne pouvez par dire cela, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Dans ce domaine...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais si ! D'après vous, nous parlons mais nous refusons d'agir. Et hier, nous
avons entendu bien pis !
Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel a bien dit ce que vous avez
rappelé et que j'ai moi-même rappelé en défendant la motion d'irrecevabilité.
J'ai même précisé qu'il avait estimé que, dans certains cas, ce devait être un
magistrat du siège. Et j'ai ajouté que, à une époque où le Président de la
République reconnaît qu'il y un cordon ombilical entre les magistrats du
parquet et le Gouvernement, on peut penser que, pour être vraiment indépendant,
mieux vaut être un magistrat du siège, dont la carrière ne dépend en rien du
Gouvernement. Le Conseil constitutionnel nous dira ce qu'il en pense.
Pour le reste, il existe un article du code du travail qui permet déjà aux
policiers de pénétrer dans les entreprises, mais à condition que ce soit sur
réquisitions du procureur, par ordonnance du magistrat. Or c'est cela que vous
supprimez une fois de plus.
Alors, ne prétendez pas que nous ne voulons pas vous donner des moyens ! Nous
les avons nous-mêmes créés, ces moyens. Mais nous les avons créés dans le
respect de la Constitution, dans le respect des droits du citoyen et des droits
des minorités. C'est ce que vous ne faites pas !
Ce que nous ne voulons pas, c'est vous donner des moyens qui bafouent les
garanties indispensables aux droits de l'homme !
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est vraiment excessif !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous interdis de
dire que je bafoue les droits de l'homme. Moi, je suis magistrat et je vis dans
la République. Ceux qui bafouent les droits de l'homme et la République, ce
sont ceux qui violent la loi en venant chez nous sans respecter ce qu'elle
prescrit, notamment quant à leur entrée et à leur séjour sur notre
territoire.
Tout ce que je veux, c'est faire en sorte que la loi que vous avez votée soit
respectée par tout le monde, y compris par les étrangers qui viennent chez
nous.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais oui, bien sûr...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Moi, je défends la République, je la défends
pleinement et pour tout le monde !
(Applaudissements sur les travées du RPR
et de Républicains et Indépendants.)
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, dans le domaine de la lutte contre le travail «
dissimulé », puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler désormais, il serait bon
que le Sénat, et sans doute aussi le Gouvernement, soient un peu plus
modestes.
J'ai en effet le souvenir d'un projet de loi dont nous avons débattu voilà
quelques années et auquel la majorité sénatoriale s'était opposée avec force
parce qu'elle considérait les mesures qu'il contenait comme trop drastiques à
l'égard des employeurs - quels qu'ils soient - employant une main-d'oeuvre
irrégulière.
Le Sénat ne l'avait pas adopté.
Tout récemment, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre,
a déposé un projet de loi sur le travail « clandestin », devenu « illégal »
pour finir « dissimulé ».
Quel n'a pas été notre étonnement de lire, après son examen en première
lecture au Sénat, que certaines fédérations patronales - que nous connaissons
tous - qui emploient de la main-d'oeuvre irrégulière s'en réjouissaient !
On apprenait aussi que les sénateurs de la majorité avait fait l'objet d'un
lobbying
effréné - pardonnez-moi cet anglicisme - en vue d'atténuer
fortement les dispositions du projet de loi.
M. Emmanuel Hamel.
Nous ne cédons jamais aux pressions !
M. Guy Allouche.
En tout cas, vous avez voté.
M. Jean Chérioux.
En conscience ! Parce que c'était un bon texte !
M. Guy Allouche.
Monsieur Hamel, je ne sais pas si vous avez personnellement voté, mais ce que
je sais, c'est que la majorité sénatoriale n'a pas suivi le Gouvernement sur
les sanctions qu'il proposait.
M. Jean Chérioux.
C'est notre droit !
M. Guy Allouche.
Au cours de la navette, l'Assemblée nationale, moins sensible peut-être aux
pressions des entreprises, a quelque peu durci le dispositif.
Monsieur le ministre, si j'ai dit que vous devriez être un peu plus modeste,
c'est parce que vous avez ainsi démontré que vous ne preniez pas les mesures
nécessaires en matière de lutte contre le travail « dissimulé ».
Tous les journaux ont aussi rapporté que des contrôles avaient été opérés par
des inspecteurs du travail sur le chantier du Stade de France et qu'il avait
été avéré qu'un grand nombre des ouvriers étaient en situation irrégulière. Or,
comme par hasard, ils ont obtenu en l'espace de quelques jours la
régularisation de leur situation et se sont vu octroyer une carte de séjour
!
Mme Hélène Luc.
Si c'est pour le Stade de France...
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
En conclusion, mes chers collègues, la loi frappera les étrangers travaillant
dans les ateliers clandestins, mais elle ne touchera pas les entreprises du
bâtiment et du textile ou les agriculteurs. Elle vise une seule catégorie
d'employeurs, comme par hasard étrangers !
(M. Michel Dreyfus-Schmidt applaudit.)
M. Henri Weber.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Des déclamations, tout le monde peut en faire. Mais pour jauger véritablement
la détermination des uns et des autres en matière de lutte contre les filières
de travailleurs clandestins, il faut se référer aux actes et aux attitudes.
Or, dans cette affaire, on a droit à une véritable leçon de choses, comme
vient de le rappeler mon ami Guy Allouche à l'instant même.
La loi appelée par antiphrase « loi relative au renforcement de la lutte
contre le travail illégal », mise en regard de celle dont nous discutons
aujourd'hui, montre en effet que vous vous en prenez aux lampistes, aux pauvres
bougres, à ceux qui, dans les ateliers, sont en bout de chaîne, et que vous
empêchez au fond la répression des filières, de ceux qui les organisent et en
bénéficient.
Sans doute avez-vous vos raisons !
(Exclamations sur les travées du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est faux !
M. Henri Weber.
Consultez la presse !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oh ! la presse, vous savez...
M. Henri Weber.
Je cite un quotidien qui n'est ni anarcho-syndicaliste ni d'extrême gauche, à
savoir
Le Monde
, et plus précisément
Le Monde
du 8 mars 1997.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oh ! celui-là !
M. Henri Weber.
Il est vrai que, pour nombre d'entre vous, c'est déjà une figure de
l'extrémisme !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Absolument !
M. Henri Weber.
Ce journal, réputé modéré et sérieux, titrait : « Le Parlement limite la lutte
contre le travail illégal ». Suivait une pleine page révélant comment toute une
série de coupe-feu étaient placés pour empêcher que, d'un sous-traitant
identifié, on ne remonte aux donneurs d'ordres ou, en cas d'échec du barrage,
on ne puisse les confondre.
On mesure votre détermination : elle est nulle ! Vous ne faites que de la
communication avec cette loi inutile de bout en bout, pour caresser dans le
sens du poil un certain électorat que vous espérez récupérer !
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est un point qui vous obsède !
M. Henri Weber.
Mais, sur le plan de l'efficacité, c'est zéro ! Nous pouvons le démontrer car
la loi renforçant prétendument la lutte contre le travail clandestin existe bel
et bien, et nous la commenterons.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Jean Chérioux.
Démontrez-le donc !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 55 et 85, repoussés par la
commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 86, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 10
M. le président.
Par amendement n° 56, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Bécart,
Mme Bidard-Reydet, M. Billard, Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis,
M. Leyzour, Mme Luc, MM. Minetti et Renar proposent d'insérer, après l'article
10, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa de l'article 2-1 de la loi n° 77-729 du 7 juillet
1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen après les
mots : "territoire français" sont insérés les mots : "ainsi que
les ressortissants étrangers résidant en France depuis cinq ans". »
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Les auteurs de cet amendement estiment nécessaire de ne pas faire de
distinction entre ressortissants étrangers à l'occasion des élections
européennes, sous peine d'engendrer une discrimination supplémentaire.
Cet amendement se justifie donc par son texte même.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oh ! oui !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Comme en première lecture, la commission est défavorable à
cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Défavorable également.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 56, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 57, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Bécart,
Mme Bidard, M. Billard-Reydet, Mme Demessine, M. Fischer, Mme Fraysse-Cazalis,
M. Leyzour, Mme Luc, MM. Minetti et Renar proposent d'insérer, après l'article
10, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 227 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé
:
« Les ressortissants étrangers résidant en France depuis cinq ans et âgés d'au
moins dix-huit ans ont le droit de vote aux élections municipales. »
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Cet amendement a pour but de permettre aux ressortissants étrangers résidant
en France depuis cinq ans et âgés d'au moins dix-huit ans de voter aux
élections municipales.
Il s'agit d'un amendement auquel nous tenons tout particulièrement, car il
nous semble indispensable pour favoriser la participation de tous, Français
comme étrangers, à la vie de la cité.
Importante pour la vie démocratique de nos communes, cette participation
électorale des étrangers permettrait aussi de donner véritablement un sens à la
notion d'intégration.
Les étrangers sont tout autant que les Français concernés par le
fonctionnement des institutions municipales et par la politique qui y est mise
en oeuvre.
Ils participent tout autant que les Français à la vie de nos villes : ils
travaillent, consomment, paient des impôts, notamment les impôts locaux ; ils
peuvent participer - et ils participent activement - à la vie associative
locale ; enfin, leurs enfants vont à l'école dans le quartier.
Pourquoi alors ne pas leur donner le droit de vote et en faire, par là même,
des citoyens ?
Vous ne cessez, monsieur le ministre, de rappeler votre volonté de voir les
étrangers résidant régulièrement en France s'intégrer dans notre pays. Dès
lors, accordez-leur le droit de vote aux élections municipales, concrétisez
votre volonté ! Cela ne pourra que convaincre les étrangers qui vivent dans
notre pays de s'intégrer. Naturellement, mon propos ne s'adresse pas qu'au
Gouvernement, mais à tous les groupes du Sénat !
Tel est le sens de cet amendement, qui rompt avec la logique d'exclusion qui
se met en place.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Défavorable, pour les mêmes motifs qu'en première lecture.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Défavorable, pour les mêmes motifs que M. le
rapporteur.
Mme Hélène Luc.
Mais pourquoi, messieurs ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je l'ai déjà dit en première lecture !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 57, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
Mme Hélène Luc.
Le groupe communiste républicain et citoyen, lui, vote pour !
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 58, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 10, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Les reconduites à la frontière ordonnées dans le cadre de la législation
actuelle sont suspendues jusqu'à la date de promulgation de la présente loi.
»
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Les auteurs de cet amendement souhaitent que soient suspendues les reconduites
à la frontière jusqu'à la promulgation de la présente loi. En effet, pendant
que nous débattons à l'intérieur de cet hémicycle, au-dehors, les retours au
pays continuent.
Nous nous opposons à la logique répressive qui prévaut dans notre pays,
d'autant qu'elle a largement montré ses limites.
C'est au contraire vers une redéfinition des relations Nord-Sud et Est-Ouest,
vers une authentique politique de développement répondant aux besoins des
populations que nous devons tendre.
C'est aussi en s'attaquant au chômage de masse et à la précarité qu'on
favorisera l'intégration. Il s'agit là d'un enjeu de société, d'un choix de
civilisation auquel il ne faut pas se dérober.
Notre pays a besoin d'une politique de l'immigration responsable en
remplacement de la politique actuelle, qui « donne » au patronat une
main-d'oeuvre bon marché, taillable et corvéable à merci, et dont
l'exploitation juteuse par des filières clandestines est connue de tous. Elle a
même été, à plusieurs reprises, télévisée ! Le silence du CNPF dans le débat
sur l'immigration n'est-il pas révélateur ?
Il est nécessaire de combattre cette politique, qui ne bénéficie en réalité
qu'au patronat, et nous nous prononçons donc pour la suspension des reconduites
à la frontière jusqu'à promulgation de la loi.
C'est tout le sens de l'amendement que nous vous proposons d'adopter, et
celui-là, je crois, pourrait l'être.
M. Jean Chérioux.
C'est un voeu, pas un amendement !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je ne vois pas pourquoi il faudrait suspendre les reconduites
à la frontière jusqu'à la promulgation de la présente loi.
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 58, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 87, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga,
MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM.
Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 10, un article
additionnel ainsi régigé :
« Les dispositions de l'article 8
bis
entrent en vigueur à compter du
1er janvier 1999. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet amendement tend à retarder l'entrée en vigueur des dispositions de
l'article 8
bis.
Cet article abroge l'article 38 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, issu de la
loi du 24 août 1993, qui prévoit la délivrance d'une carte de résident de plein
droit à l'étranger qui n'a pas été autorisé à séjourner en France au titre du
regroupement familial et qui justifie par tous moyens y avoir sa résidence
habituelle depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans, à condition qu'il
soit entré en France avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 24 août
1993 et que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public.
Il s'agissait donc d'une mesure provisoire prise en faveur d'étrangers, et non
de mineurs, entrés en France avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 août
1993.
Des personnes ont actuellement ce droit et d'autres pourraient s'en
réclamer.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il n'y a pas de droits acquis !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'article 38 a été abrogé parce que M. Mazeaud a écrit, dans le rapport qu'il
a présenté à l'Assemblée nationale, que cet étranger pourrait désormais, en
application de l'article 12
bis
de l'ordonnance, bénéficier d'une carte
de séjour temporaire de plein droit. Or c'est une erreur manifeste : en premier
lieu parce qu'avoir droit à une carte de séjour temporaire ne justifie pas
qu'on supprime le droit à une carte de résident de dix ans, en second lieu
parce que l'article 38 donnait droit à une carte de résident non seulement pour
l'étranger mineur, mais également pour l'étranger majeur.
Il faut donc retarder au moins jusqu'au 1er janvier 1999 l'abrogation de cet
article 38 qui a été voté, conforme, de manière à permettre à ceux qui seraient
encore dans ce cas de conserver leur droit à la carte de résident et à d'autres
de faire valoir leur droit.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je vais m'efforcer d'être clair dans ce débat concernant
l'article 38.
La loi du 24 août 1993 a prévu une disposition transitoire pour les étrangers
qui sont arrivés en France avant l'âge de dix ans et avant l'entrée en vigueur
de ladite loi.
En vertu de l'article 38 de l'ordonnance, ces étrangers, arrivés en France
avant l'âge de dix ans et avant l'entrée en vigueur de la loi, pouvaient
bénéficier, sous certaines conditions, d'une carte de résident.
L'article 8
bis
du présent projet de loi, qui a été introduit par
l'Assemblée nationale et qui ne figurait pas dans le texte initial, a abrogé
cet article 38 et le Sénat a adopté conforme, en première lecture, cette
abrogation.
Pourquoi l'avons-nous fait ? Parce que nous pensions que les étrangers qui
étaient concernés par cet article 38 pourraient désormais être pris en compte
au titre de l'article 12
bis
de l'ordonnance tel qu'il résulte
dorénavant de la rédaction de l'article 4 que nous venons d'adopter.
Mais les titres de séjour accordés par les deux articles, l'article 38 qui a
été abrogé et l'article 12
bis
auquel nous nous référons maintenant,
n'ont pas le même poids.
Comme je l'ai dit, l'article 38 ouvrait droit à une carte de résident de dix
ans, alors que l'article 12
bis
donne droit à un titre de séjour
temporaire d'un an. En outre, des étrangers même majeurs pouvaient bénéficier
de l'article 38 - s'ils remplissaient, bien sûr, les conditions requises,
notamment l'entrée en France avant l'âge de dix ans - alors que le 2° de
l'article 12
bis
vise simplement l'étranger mineur.
La différence est donc très nette entre l'effet de l'article 38 et l'effet de
l'article 12
bis.
Il faut également relever que les étrangers susceptibles de bénéficier de
l'article 38 pourront entrer dans une autre catégorie que celles qui sont
visées par le 2° de l'article 12
bis,
notamment quand il s'agit
d'étrangers qui résident habituellement en France depuis plus de quinze ans. En
effet, nous avons rétabli cette dernière disposition, et l'Assemblée nationale
nous a suivis à cet égard.
Il reste qu'en adoptant l'amendement qui nous est proposé on permettrait à des
étrangers qui sont concernés par l'article 38 et qui n'ont pas encore fait
valoir leurs droits à une carte - non pas de séjour temporaire, mais de
résident - de demander ce titre pendant une période limitée.
Quel est l'enjeu ? Environ deux cents cartes de résident ont été délivrées sur
le fondement de l'article 38 depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1993. Ce
nombre va en diminuant puisque, vous l'avez bien compris, il s'agit d'une
mesure transitoire.
La commission des lois a longuement délibéré de ce cas d'espèce, qui mérite
considération. Elle n'a pas émis d'avis défavorable, le procès-verbal de nos
travaux en fait foi, et je parle sous le contrôle de M. le président de la
commission.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'était même un avis « favorable sous réserve » !
M. Paul Masson
rapporteur.
Non : « pas défavorable ».
Toutefois, avant que le rapporteur puisse formuler sa position définitive,
monsieur le président, la commission a souhaité entendre le Gouvernement sur ce
cas, un peu marginal, vous l'avez bien compris, qui est transitoire mais qui
n'est pas léger.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je dirai tout de suite, monsieur le président,
que je suis contre cet amendement.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
En effet, les lois de 1993 ne prévoient pas de
délivrer un titre de séjour pour les jeunes majeurs venus hors regroupement
familial. Il n'y a pas de droits acquis en la matière.
Certes, une disposition transitoire était prévue pour ceux qui étaient entrés
avant la promulgation de la loi de 1993 et avant l'âge de dix ans : ceux-là
pouvaient obtenir un titre de dix ans lorsqu'ils atteignaient l'âge de la
majorité. Cette disposition était devenue l'article 38 de l'ordonnance de
1945.
Le présent projet de loi permet aux personnes entrées avant l'âge de dix ans
d'obtenir un titre de séjour d'un an renouvelable quand elles atteignent l'âge
de dix-huit ans.
L'amendement socialiste consiste à reporter le système de la loi de 1993 à
1999, et je suis contre parce que l'attribution d'un titre d'un an seulement
permet à l'administration d'examiner, au regard de la notion d'ordre public, la
conduite de ce mineur devenu majeur. Mais elle ne peut pas tenir compte de son
passé pénal puisque, à dix-huit ans, le casier judiciaire est effacé et on ne
peut en faire état.
Or je veux que l'on puisse savoir comment ces jeunes majeurs vont se conduire
au moment où ils deviennent majeurs : vont-ils troubler l'ordre public - vous
savez que la délinquance des jeunes majeurs est importante - et vont-ils
respecter la loi ou non ? Je ne veux pas qu'on puisse leur donner
automatiquement et immédiatement un titre de dix ans. Ils auront donc un titre
d'un an, renouvelable trois fois. Au terme de trois ans, s'ils n'ont pas
troublé l'ordre public, à ce moment-là ils auront droit à un titre de séjour de
dix ans.
Je considère - mais c'est tout ce qui nous sépare - que, responsable de
l'ordre public, il m'appartient d'examiner à qui nous allons donner un titre de
dix ans. Est-ce que ces jeunes vont se conduire correctement au regard des lois
de la République ? Et je ne veux pas donner - je le dis et j'assume ce que je
dis - des titres de dix ans à des gens qui ne se conduisent pas correctement.
C'est clair, c'est net.
Alors, vous me trouvez sectaire, vous me trouvez brutal ; moi, je veux
respecter la loi et je veux que, dans mon pays, celles et ceux qui ne
respectent pas le droit de la République ne puissent pas, s'ils sont étrangers,
bénéficier d'un droit de dix ans à se maintenir chez nous.
(Applaudissements
sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Tout à fait !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Absolument !
M. le président.
Quel est, dans ces conditions, l'avis de la commission ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Allez : conforme à celui du Gouvernement !
(Sourires.)
M. Paul Masson,
rapporteur.
J'observe que, tel qu'il est actuellement rédigé, l'article
38 contient effectivement une réserve d'ordre public : la présence de
l'étranger ne doit pas constituer une menace pour l'ordre public.
M. le ministre est en charge de l'ordre public - tâche non négligeable - et il
assume sa pleine et entière responsabilité. J'ai bien noté qu'il se prononçait
pour une situation intermédiaire : il ne veut pas donner une carte de résident
à un jeune majeur qui, jusqu'à présent, était en situation incertaine ; il
propose donc de lui accorder une carte d'un an renouvelable, jusqu'au moment où
l'étranger en question aura fait ses preuves.
Par ailleurs, je rappelle que la commission avait examiné cet amendement avec
un oeil qui n'était pas défavorable.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Hélas !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Dans ces conditions, je ne peux, monsieur le ministre, que
m'en remettre à la sagesse du Sénat.
Je ne vais pas demander une nouvelle réunion de la commission des lois à cette
heure et pour ce motif ! Je pense que chacun, en conscience, appréciera les
observations de M. Dreyfus-Schmidt, qui ne sont pas neutres, ainsi que les
positions de M. le ministre, qui sont fortes.
Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le rapporteur, il n'est pas possible de
mettre en oeuvre la réserve d'ordre public inscrite à l'article 38 de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 puisque l'on ne dispose pas du casier
judiciaire.
M. Paul Masson,
rapporteur.
C'est évident !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
En conséquence, permettez-moi de vous dire, avec
tout le respect que je vous dois, que votre argument tombe.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
L'argument n'a pas de valeur !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 87.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je voudrais convaincre M. le ministre que ses observations ne sont pas
fortes.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ah si !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout d'abord, il s'agit non pas d'irréguliers, mais de personnes qui sont en
situation régulière et qui ont obtenu une carte de dix ans en vertu de la loi
Pasqua du 24 août 1993.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Pasqua était optimiste !
M. Philippe François.
C'est une histoire entre Corses !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'article 38 parle d'étrangers, non d'étrangers mineurs ! Voilà donc des gens
qui, pour beaucoup - on nous dit qu'ils sont deux cents -, ont, depuis 1993,
une carte de résident de dix ans. Il y a là un droit que vous allez remettre en
cause.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Il n'y a pas de droits acquis !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et, s'il y a d'autres personnes qui sont dans le même cas - et qui ne sont pas
forcément des mineurs - elles n'auront pas même droit à la carte de résident
temporaire, puisque l'article 12
bis
ne mentionne que les mineurs.
La commission des lois a parfaitement compris...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela, je n'en suis pas sûr !
(Rires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ferai appel au témoignage de son président !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oui, d'accord !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La commission des lois, disais-je, a parfaitement compris - il est vrai en
l'absence inhabituelle de M. Ceccaldi-Raynaud - ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Voilà !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... puisqu'elle a estimé que ma proposition était valable...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Non ! elle a dit qu'elle n'y était pas défavorable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et qu'elle souhaitait d'abord entendre le ministre.
Je regrette que M. le rapporteur nous ait dit que les raisons de M. le
ministre étaient fortes, car elles ne le sont pas. Je le répète, il ne s'agit
pas de mineurs et il s'agit, encore une fois, de personnes auxquelles la loi
Pasqua elle-même avait reconnu le droit à une carte de résident.
Voilà pourquoi je me permets d'insister très vivement auprès du Sénat pour
qu'il vote cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 87, repoussé par le Gouvernement et pour
lequel la commission s'en remêt à la sagesse du Sénat.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Vinçon pour explication de vote.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez justement rappelé, au début de nos
travaux, que tout débat sur l'immigration portait en lui des passions extrêmes.
Vous avez su ne pas vous laisser emporter par ces passions, et toutes vos
interventions, tant en première qu'en seconde lecture, ont été particulièrement
dignes et argumentées, manifestant votre souci de lutter pour le respect de la
loi et de préserver l'image d'une France terre d'accueil pour les étrangers en
situation régulière, qui souhaite préserver son identité et la crédibilité de
ses institutions.
Nous vous en savons gré, mon cher collègue, et, au nom du groupe du
Rassemblement pour la République, je vous remercie de nouveau pour le rôle
majeur que vous avez joué dans l'élaboration de ce texte.
Nos remerciements s'adressent également à vous, monsieur le ministre, qui avez
su avec force, courage et détermination faire face aux outrances de certains,
aux faux-semblants, voire à l'hypocrisie d'autres, et démontrer, une fois
encore, votre sens de l'Etat.
Le texte tel qu'il ressort des travaux du Sénat a subi trois modifications
importantes qui vont dans le sens, d'une part, d'un meilleur respect des
libertés individuelles et, d'autre part, d'une plus grande efficacité dans la
lutte contre l'immigration clandestine, ce dont nous ne pouvons que nous
féliciter.
Par ailleurs, les précisions que vous nous avez apportées, monsieur le
ministre, sur la place du maire agissant en qualité d'agent de l'Etat dans la
nouvelle procédure relative aux certificats d'hébergement nous satisfont. En
effet, le maire sera informé des certificats d'hébergement intéressant sa
commune et pourra être sollicité pour avis par le préfet.
Vous me permettrez, mes chers collègues, de revenir quelques instants sur nos
débats.
Comme l'a fait remarquer M. le président de la commission des lois, la
désinformation à laquelle certains se sont abondamment livrés procède de l'abus
de termes. Qualifier de délation une déclaration, ce n'est pas seulement
abuser, c'est tenter de mobiliser l'opinion...
Mme Hélène Luc.
Elle a été bien mobilisée, l'opinion !
M. Serge Vinçon.
... et de jouer sur l'émotion et la réprobation suscitées par cette triste
pratique.
M. Badinter a fait justice, en des termes qui l'honorent, de l'odieuse
assimilation de ce projet de loi avec la législation de Vichy.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
En effet, sur ce thème, nous, gaullistes, n'avons aucune leçon à recevoir.
M. Jean Peyrafitte.
Nous non plus !
M. Serge Vinçon.
Certains d'entre nous sont même mieux qualifiés que quiconque pour en
donner.
Mais nous ne voudrions pas qu'il puisse insinuer que la majorité actuelle
reprendrait à son compte des thèses et des propositions avec lesquelles elle
n'a rien de commun.
Ne parlons pas des contradictions dans les propos de nombre d'orateurs de
l'opposition !
La législation que nous votons serait inutile parce que inefficace et, dans le
même temps, elle serait liberticide. Or les lois des Etats dictatoriaux, si
elles ne respectent pas les libertés, peuvent rarement être taxées
d'inefficacité. Je serais tenté de dire qu'il faut choisir !
Parmi les excès de langage auxquels nous avons assisté, nous avons même relevé
la négation de la polygamie, alors que c'est le régime matrimonial d'un certain
nombre d'étrangers - respectables au demeurant - qui souhaitent émigrer en
France, nous le savons bien.
Nous avons également entendu d'aucuns appeler à la désobéissance civique. Mais
comment ne pas entendre l'appel du peuple français à une maîtrise de
l'immigration et à une lutte plus efficace contre l'immigration clandestine ?
Appeler à la désobéissance civique, c'est appeler à la désobéissance au peuple,
qui inspire la loi. C'est, finalement, porter atteinte à la démocratie !
M. Claude Estier.
Avez-vous entendu un tel appel ici ?
M. Serge Vinçon.
Le débat n'est pas entre la générosité dont certains auraient le monopole et
l'égoïsme qu'incarnerait la majorité.
Il n'est pas non plus entre la xénophobie et une large ouverture de notre
territoire aux étrangers.
Il ne s'agit pas davantage de redéfinir une nouvelle politique de
l'immigration.
Le problème est simplement de donner à l'Etat les moyens qui lui manquent pour
lutter contre ceux qui enfreignent nos lois. C'est sa responsabilité ; je dirai
même que c'est son devoir.
En donnant le sentiment aux habitants de notre pays que ceux qui sont
déterminés à ne tenir aucun compte des lois et des règlements du pays où ils
s'établissent trouveront compréhension, appui, complaisance ou démission des
pouvoirs publics, on les pousse dans les bras de ces extrémistes que l'on
prétend par ailleurs combattre.
Parce que nous avons le souci de concilier le respect des droits de l'homme et
la dignité des personnes avec le respect de la loi, nous faisons nôtre ce que
Jean Daniel écrivait : s'il est nécessaire d'accueillir les étrangers, nous
n'avons aucune obligation d'héberger ceux qui sont venus clandestinement sur
notre sol.
Les mesures que nous avons votées sont inspirées par le bon sens et le
réalisme et s'efforcent de concilier l'efficacité indispensable pour assurer la
sécurité de nos concitoyens et des étrangers légalement installés en France
avec le respect des valeurs républicaines et de la dignité de la personne
humaine. Là encore, nous n'avons à recevoir de leçons de personne et nous
n'entendons nous inspirer de personne.
C'est pour ces raisons qu'en votant ce texte le groupe du Rassemblement pour
la République a le sentiment de voter un texte nécessaire à l'équilibre et à la
cohésion de notre société et de notre modèle républicain.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le ministre, au terme de ce long débat commencé en décembre dernier
et qui aura donné lieu à quatre lectures dans les deux assemblées, je ne vous
surprendrai évidemment pas en vous disant que le groupe socialiste votera
contre votre projet de loi.
Comme nous l'avions fait en première lecture, au début du mois de février,
nous vous avons rappelé, depuis mardi, les raisons de notre hostilité à un
texte qui est inutile, qui sera inefficace, voire inapplicable au regard du but
qu'il prétend atteindre, à savoir la lutte contre l'immigration irrégulière,
mais qui aura pour effet de précariser les étrangers en situation régulière, et
donc de rendre plus difficile leur intégration, à laquelle vous vous prétendez
attaché.
Certes, le texte que la majorité sénatoriale s'apprête à voter n'est plus tout
à fait le même que celui que vous aviez présenté à l'origine, monsieur le
ministre, devant l'Assemblée nationale.
J'observe, à ce propos, que votre comportement tout au long de ce débat a été
pour le moins étrange : vous dites n'avoir pas changé de cap ; vous avez, en
tout cas, plusieurs fois changé d'avis.
Dans un premier temps, en décembre, vous avez accepté que votre texte soit
durci sous la pression des députés les plus à droite de votre majorité.
Six semaines plus tard, au Sénat, vous vous êtes battu pour qu'on revienne au
texte primitif, mais en y maintenant, en dépit de toutes nos tentatives pour
vous en dissuader, le fameux article 1er obligeant les hébergeants à déclarer
le départ des étrangers qu'ils auraient hébergés chez eux.
Nouvelle volte-face à l'Assemblée nationale, où vous avez renoncé avec une
étonnante facilité à cette disposition controversée, que vous aviez défendue
avec tant de force quinze jours plus tôt. Il est vrai qu'entre-temps un immense
mouvement de protestation, qui n'était pas seulement le fait de ces
intellectuels que vos amis n'aiment pas, s'était déclenché dans le pays et que
M. Mazeaud avait réussi à convaincre le Premier ministre, et donc vous-même,
que cet article serait censuré par le Conseil constitutionnel, ce que nous vous
avions annoncé sans que vous vouliez en tenir compte.
Vous avez donc fait voter en première lecture - les parlementaires de votre
majorité l'ont voté dans les deux assemblées - un texte dont chacun savait
qu'il n'était pas conforme à la Constitution.
Je dis à M. le président de la commission des lois, pour qui j'ai le plus
grand respect et qui, dans son intervention de mardi, nous a dit avoir peu
prisé ce qu'il a appelé l' « agitation médiatique », que celle-ci n'a fait que
mettre davantage en lumière ce qui était déjà une évidence, à savoir que la
majorité, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, avait voté un texte qui
aurait été inévitablement censuré par le Conseil constitutionnel. J'observe
d'ailleurs que sa nouvelle version n'est toujours pas à l'abri, non plus que
plusieurs autres articles du texte, comme l'a démontré mon collègue et ami
Michel Dreyfus-Schmidt en défendant l'exception d'irrecevabilité.
Si je rappelle le cheminement tortueux qui a été le vôtre, c'est, en
particulier, pour répondre à vous-même et à vos amis, qui nous accusent
d'ambiguïté dans cette affaire.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Claude Estier.
S'il y a ambiguïté, c'est bien chez vous qu'elle se trouve, du fait de vos
retournements successifs et aussi, comme l'a fait remarquer notre collègue M.
Hyest, du fait de votre obstination à légiférer périodiquement sur
l'immigration, ce qui crée chaque fois de nouvelles incohérences et déchaîne de
nouvelles passions.
Quant à nous, notre position a toujours été claire.
(M. le ministre s'exclame.)
Dès le premier jour, et sans varier, nous
avons combattu votre projet de loi.
Vous, vous n'avez pas cessé de changer d'avis, ce qui est bien la preuve que
nous ne saviez pas où vous alliez en déposant ce texte, en dehors d'une
motivation purement politique, pour ne pas dire politicienne, voire
électoraliste.
Votre collègue M. Toubon vient d'ailleurs d'en apporter la confirmation en
affirmant cette semaine, dans un entretien au
Figaro
, que « le bilan est
politiquement nettement positif pour le Gouvernement », qui aurait fait « la
démonstration qu'il est soutenu
grosso modo
par les deux tiers de la
population ». Admirons, au passage, ce «
grosso modo
» ! Mais ce sur
quoi ne répond pas M. Toubon, c'est sur le bilan au regard du problème posé -
posé par vous - à savoir l'immigration irrégulière.
Dans la nouvelle version de l'article 1er, vous avez fabriqué un système
apparemment moins scandaleux, mais tout aussi dangereux et, de plus,
inapplicable.
Dangereux parce que, après l'avoir nié, vous avez dû reconnaître à l'Assemblée
nationale que ce système donnera lieu à la constitution de fichiers dans chaque
préfecture - fichiers dont nous continuons à penser, en dépit de toutes vos
dénégations, qu'ils seront nécessairement connectés entre eux - et donc d'un
fichier national où ne sera pas seulement inscrit le nom de l'étranger hébergé
mais tout aussi nécessairement le nom de celle ou de celui qui l'aura
hébergé.
Vous avez soutenu, hier encore, qu'il n'y aurait pas de fichiers des
hébergeants, monsieur le ministre. Mais, dans le même temps, vous avez refusé
notre amendement qui visait à ce qu'on le précise dans la loi. Nous sommes donc
enclins à penser qu'il y aura bien un fichier des hébergeants. Sans quoi,
d'ailleurs, on ne voit pas comment vous pourrez atteindre le but que vous
prétendez poursuivre, à savoir le démantèlement des filières illégales.
J'ajoute, à ce propos, que si, au lieu de demander aux personnes interrogées
dans les sondages si elles sont d'accord pour lutter contre l'immigration
irrégulière, on les avait interrogées sur le point de savoir si elles sont
favorables à la constitution de tels fichiers, je doute que la réponse eût été
la même.
Mais votre système est aussi inapplicable, donc inefficace. Vous n'avez, en
particulier, apporté aucune réponse précise à la question : quid de l'espace
Schengen ? Un étranger entré en France pouvant circuler sans contrôle à
l'intérieur de cet espace, à qui et à quel moment remettra-t-il son titre de
sortie ? Et s'il l'envoie par la poste, sera-t-il considéré comme ayant quitté
le territoire, même s'il y est encore ? Et s'il ne le remet pas, sera-t-il
réputé clandestin, ce qui lui interdira d'obtenir ultérieurement un nouveau
visa pour la France ?
M. le rapporteur a bien voulu reconnaître, hier, que la formule était vague.
C'est en tout cas un obstacle de taille qui ne pourrait être surmonté que par
l'adoption d'une législation identique dans tous les pays de l'espaceSchengen,
et vous êtes bien placé, monsieur Masson, pour savoir que cela n'est pas
simple.
Vous nous accusez constamment de faire un amalgame entre l'immigration
régulière et l'immigration irrégulière. Mais c'est bien votre texte qui fait
cet amalgame. Il va déstabiliser beaucoup d'étrangers installés depuis
longtemps en France. Et l'on ne voit toujours pas en quoi il permettra le
moindre progrès dans la lutte, nécessaire, contre l'immigration illégale, qui
n'a que faire des certificats d'hébergement, à l'entrée ou à la sortie.
Monsieur le ministre, vous nous avez cité, mardi dernier, des rapports
relatifs à l'interpellation de plusieurs dizaines de personnes entrées
illégalement en France. Fort bien ! Mais n'est-ce pas la meilleure preuve que
vous n'aviez pas besoin de cette nouvelle loi ?
Quant aux quelques cas de régularisations, bien limitées, que prévoit
l'article 4, elles auraient pu être effectuées par voie réglementaire ou sur
décision des préfets, comme M. le rapporteur l'a d'ailleurs souligné hier.
Je le répète, en légiférant sans cesse sur l'immigration, vous vous placez sur
le terrain dont le Front national fait son principal fonds de commerce.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Vous croyez lui reprendre des
électeurs. Mais c'est le contraire qui se produit. Votre loi n'est pas
seulement condamnable au regard des traditions de liberté et d'hospitalité de
notre pays, elle constitue une faute politique grave. Ce sera notre honneur de
l'avoir jusqu'au bout combattue !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Nous arrivons au terme d'un débat qui, je vous le dis tout net, monsieur le
ministre, n'aurait pas dû avoir lieu. Au sein même de votre majorité, des voix
autorisées se sont exprimées en ce sens, pas très fort, il est vrai. Mais c'est
dire si vous êtes en difficulté !
Cette opinion n'est pas provocatrice, elle correspond à la réalité et aux
valeurs essentielles de la République.
Cette discussion n'aurait pas dû avoir lieu, disais-je, et le projet de loi
qui porte votre nom, monsieur le ministre de l'intérieur, aurait dû être
retiré.
En effet, il s'inscrit dans un processus démagogique de mise en cause de
l'étranger.
A l'instar des lois dites « lois Pasqua », la « loi Debré » conforte
maintenant un matraquage législatif qui aura pour effet de généraliser la
suspicion à l'égard de la population immigrée, qu'elle soit régulière ou non,
et c'est mauvais pour la France, monsieur le ministre, à l'intérieur et à
l'extérieur de nos frontières.
M. Emmanuel Hamel.
Ce qui est mauvais, c'est de tromper les Français par vos analyses !
Mme Hélène Luc.
Ceux qui ont lutté contre votre projet de loi avec ces énormes manifestations
et ceux qui les ont soutenus ont montré l'état d'esprit de nombreux habitants
de la France, sans parler de la solidarité dont ils ont bénéficié.
Mardi soir, les jeunes étaient très nombreux devant le Sénat aux côtés des
manifestants. M'adressant à eux, je leur ai rappelé les paroles tenues par le
Président Jacques Chirac, la veille, à la télévision. C'est vrai que la
jeunesse est formidable, c'est vrai que, dans les écoles, les collèges et les
lycées, les jeunes ne font pas entre eux de distinction de nationalité. Ils le
disent dans la Charte du citoyen de l'an 2000 qu'ont rédigée des élèves de
troisième devenus les sénateurs-juniors d'un jour. Présidant le matin la
commission « Solidarité et fraternité », j'ai pu le vérifier, et c'est très
réconfortant, monsieur le ministre.
Les « lois Pasqua » ont aggravé l'insécurité de l'ensemble de la population
immigrée. La législation relative aux contrôles d'identité, qui a suscité ce
que l'on appelle la « chasse au faciès », l'atteste pleinement.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, s'inscrit dans une logique
répressive orientée contre l'étranger, logique que nous n'acceptons pas.
Systématisation et fichage des certificats d'hébergement, relevé des
empreintes digitales, fouille des véhicules, intervention des forces de police
à l'intérieur même des entreprises, la liste est trop longue, elle n'est pas
acceptable pour tous ceux qui considèrent que les hommes sont égaux, quelle que
soit leur origine, quelle que soit la couleur de leur peau.
Ce texte a une logique, et nous la combattons sans réserve. Il tend à
transférer sur l'immigré la responsabilité de tous les maux de la société
française.
Nous n'acceptons pas cette logique, qui fait de l'étranger le responsable du
chômage, le responsable de l'insécurité, le responsable du déficit de la
sécurité sociale.
Soyez sûrs, monsieur le ministre, mesdames, messieurs de la majorité
sénatoriale, que ce débat progresse en ce moment dans le bon sens.
Nous n'accceptons pas cette logique, qui vise essentiellement à détourner les
Français des causes réelles des difficultés actuelles de notre pays. Il faut
bannir, radier cette idéologie, qui dissimule les choix du capitalisme, les
choix faits de l'argent contre l'homme, qui sont à la source du mal-vivre d'un
nombre croissant de nos compatriotes. Malheureusement, je peux en prendre pour
preuve la fermeture de l'usine Renault à Vilvorde et les angoisses qu'elle
suscite chez les employés comme chez les ouvriers de chez Renault en France. Je
sais de quoi je parle, parce qu'il y a à Choisy-le-Roi une entreprise dont les
neuf cents salariés craignent pour leur emploi.
Nous n'acceptons pas ce texte qui, finalement, quelles que soient vos
protestations, monsieur le ministre, fait la part belle aux thèses xénophobes
et racistes du Front national. Ce n'est pas en chassant sur les terres de
l'extrême droite que vous la réduirez, même si vous prétendez le contraire.
C'est bien en montrant les causes profondes de la crise de notre société que
nous réduirons à néant les thèses de ceux qui font de la haine de l'autre, qui
font de l'intolérance leur cheval de bataille odieux.
Nous rejetons ce texte et la pratique qui l'accompagne, empreinte de violence,
comme nous l'avons vu hier encore s'exercer à l'encontre des sans-papiers et
des grévistes de la faim de Lille.
Manifestement, ce texte est contraire à la Constitution et nous nous
associerons à tous recours devant le Conseil constitutionnel. La simple
constitution de fichiers nationaux des hébergés et des hébergeants, dont vous
avez confirmé l'existence de fait, hier soir, rendue possible grâce aux progrès
de la technologie informatique est contraire fondamentalement au respect de la
vie privée et de la liberté individuelle.
L'orateur du groupe du RPR nous dit qu'il n'a pas de leçons à recevoir.
M. Philippe François.
Il a raison !
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
Mme Hélène Luc.
Il n'empêche que vous avez dû reculer devant l'ampleur de la protestation.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc
résolument contre ce projet de loi liberticide et demanderont au Sénat de se
prononcer par un scrutin public.
Ils seront aux côtés de ceux qui lutteront, demain encore, pour son retrait.
Car nous continuerons dans nos communes, dans nos départements, à nous opposer
à des départs de jeunes scolarisés en France - j'en connais - et contre la
dispersion des familles.
En se mêlant à ce combat, les intellectuels, les artistes ont rendu service à
la France, patrie des droits de l'homme et du citoyen. Tous ensemble, nous
continuerons ce combat pour que triomphent la France de la fraternité et la
France de la solidarité.
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Nous arrivons au terme du débat sur le projet de loi modifié portant diverses
dispositions relatives à l'immigration. Encore une fois, les vives discussions
ont montré combien ce sujet est sensible et déchaîne les passions. Excès
verbaux, turbulences médiatiques et valse entre les amalgames et la
désinformation n'ont cependant pas trompé la population, majoritairement
favorable aux dispositions du présent projet de loi.
M. Claude Estier.
Qu'en savez-vous ?
M. Bernard Seillier.
Au bout du compte, le texte que nous nous apprêtons à voter, répond aux
objectifs fixés dès le départ, c'est-à-dire aborder et apporter des solutions
au problème de l'immigration irrégulière de manière ferme et humaine.
Le contrat me semble rempli de façon satisfaisante et je m'en réjouis. Je me
félicite dans le même temps de l'accord que suscite la nouvelle rédaction de
l'article 1er et, surtout, de l'engagement de M. le ministre d'associer les
maires à la procédure de délivrance des certificats d'hébergement, qui relèvera
désormais des préfets. Cette liaison entre l'autorité préfectorale, qui
appliquera objectivement les règles juridiques, et l'autorité municipale, qui
connaît concrètement le terrain au plus près de sa dimension humaine, rendra la
procédure plus performante et harmonieuse.
Je tiens à saluer à cette occasion les interventions et les efforts du
président Jacques Larché et de notre rapporteur, M. Paul Masson, qui n'a pas
ménagé son énergie pour expliquer le pourquoi et le comment des
dispositions.
Ce qui compte maintenant est que ce texte puisse aller au terme de son
élaboration et entrer en vigueur rapidement, avec l'humanité qui convient. Car
nous vivons tout de même à une époque qui, après des siècles de civilisation et
hélas ! l'expérience des pires barbaries, doit pouvoir se défendre et défendre
son humanisme, sans agressivité ni xénophobie, avertie et protégée au contraire
par le devoir de mémoire. C'est cet état d'esprit qui me semble caractériser,
au bout du compte, le travail accompli par le Sénat et la méthode suivie par M.
le ministre de l'intérieur.
Pour toutes ces raisons, le groupe des Républicains et Indépendants adoptera à
l'unanimité ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Chaque fois que l'on traite du thème de l'immigration, nous rajeunissons.
(Sourires.)
Au gré de débats récurrents, en effet, un texte en
discussion en rappelle d'autres, plus anciens, votés et depuis longtemps
appliqués. Et, bien entendu, les passions se déchaînent.
J'ai été surpris, je dois l'avouer, par certains propos.
Je relève d'abord des inexactitudes. On nous dit que l'article 10 ne
s'applique qu'aux étrangers. Mes chers collègues, cet article s'applique à
toutes les entreprises, il ne vise pas uniquement les étrangers.
On nous dit encore que l'article 4
bis
- il n'était peut-être pas
indispensable, il est vrai - reprend le programme d'un parti d'extrême droite.
Je n'avais pas lu ledit programme, mais un de nos collègues socialistes en a
donné lecture et je n'y ai pas trouvé l'article 4
bis.
Il y a tout de
même des limites à la mauvaise foi.
Que l'on conteste le bien-fondé des textes, que l'on dise qu'ils sont
juridiquement mauvais ou constitutionnellement dangereux, ce sont des débats
bien naturels, et nous les adorons !
(Sourires.)
Pour le reste, c'est le
Conseil constitutionnel qui tranchera, mais je ferai alors le compte de tous
les reproches qui ont été faits et de tout ceux que le Conseil retiendra.
J'estime en effet que, compte tenu des précautions que nous avons prises sur
deux articles, le texte est parfaitement conforme à la Constitution et aux
grands principes qu'a dégagés le Conseil constitutionnel.
Moi, on m'a appris un vieux principe, qui était d'ailleurs l'honneur de la
civilisation, et bien avant la République, celui de l'accueil de l'étranger. On
le retrouve dans la Bible, dans les Evangiles.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Dans le Lévitique !
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement.
Il est vrai que l'on est toujours écartelé. On aimerait accueillir beaucoup
plus d'étrangers, mais, compte tenu des circonstances, il faut, comme on l'a
toujours fait du reste, veiller à ce que l'immigration soit contrôlée.
A ceux qui nous disent que l'on précarise l'ensemble des étrangers en luttant
contre l'immigration irrégulière, je réponds, moi, que c'est en ne luttant pas
efficacement contre l'immigration irrégulière que l'on précarise l'ensemble des
étrangers !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très juste !
M. Serge Vinçon.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je me réjouis que le projet de loi prévoie - c'était nécessaire - la
régularisation dans un certain nombre de cas.
M. Claude Estier.
Pas beaucoup !
M. Jean-Jacques Hyest.
Si, presque tous les cas ! Je ne sais d'ailleurs pas ce qu'il reste
d'étrangers exlpulsables, personne n'a été capable de me le dire. Toujours
est-il que, si l'on additionne toutes les personnes ainsi non expulsables, cela
revient presque au même.
Mais il faut bien aussi tenir compte du fait que les services chargés de la
lutte contre l'immigration irrégulière sont souvent découragés : ils font
respecter la loi, ils entendent bien qu'elle s'applique à ceux qu'ils
interpellent, mais rien ne suit, et ceux qui devraient être reconduits à la
frontière ou expulsés ne le sont pas.
On a trouvé, c'est vrai, face à cela, toute une série de procédures.
J'entendais certains de mes collègues parler de la rétention administrative :
leurs propos me paraissaient extraordinaires.
La rétention administrative a été instaurée parce que, précisément, l'on ne
peut pas exécuter certaines mesures qui ont été décidées soit par un tribunal,
soit par l'autorité administrative. On est alors obligé de garder les personnes
jusqu'à ce que la décision puisse être exécutée. On nous dit qu'il faut alors
les remettre en liberté or il faut surtout les expulser car autrement il n'y a
plus aucune efficacité, aucune fiabilité du dispositif. Je crois que l'on se
trompe complètement et que l'on oublie totalement pourquoi on a créé la
rétention administrative.
Comme je l'ai déjà dit, monsieur le ministre, vous avez constaté l'existence
d'un certain nombre de dysfonctionnements dans les procédures et vous apportez,
là où il le faut, les aménagements nécessaires, lesquels ne me paraissent
absolument pas en contradiction avec ce que peut et doit faire un Etat
démocratique. C'est pourquoi mon groupe votera bien entendu ce projet de loi,
en souhaitant que nous n'ayons pas à légiférer de nouveau sur ce sujet. Il
s'agit maintenant que vous puissiez avoir les moyens de faire exécuter la
loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Au terme de ce long débat, je tiens à saluer le courage et la détermination
dont M. le ministre de l'intérieur, M. le rapporteur et M. le président de la
commission des lois ont su faire preuve dans la présentation de ce texte et
tout au long de sa discussion.
Cette loi permettra enfin de donner aux autorités les moyens efficaces pour
lutter contre l'immigration clandestine.
Contrairement à ce que certains ont tenté de faire croire, sans succès, à
l'opinion publique, les mesures contenues dans ce texte ne constituent pas une
atteinte aux droits des étrangers.
Je comprends parfaitement que la situation économique de certains pays
défavorisés conduise leurs ressortissants à vouloir quitter la misère à
laquelle ils sont confrontés.
En revanche, je dénonce l'attitude des détracteurs de ce texte, car leur
attitude peut contribuer à bercer d'illusions les candidats au séjour en
France, les encourageant à penser qu'ils pourraient trouver sans difficulté
meilleure fortune dans notre pays, les incitant à y entrer illégalement par
tout moyen. Dans la plupart des cas, le destin de ces malheureux serait de se
retrouver dans la misère d'ateliers clandestins, dans une nouvelle forme
d'esclavage, ce qu'il faut leur éviter.
Je note que ce texte fait ressortir les efforts entrepris par les pouvoirs
publics pour parvenir à une meilleure intégration des étrangers en situation
régulière.
Monsieur le ministre, nous sommes convaincus que les mesures que vous nous
proposez d'adopter sont nécessaires. C'est la raison pour laquelle, avec la
majorité des membres de mon groupe, je voterai ce projet de loi. Et je ne crois
pas que j'y perdrai mon honneur !
(Applaudissements sur certaines travées du
RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
non-inscrits, dans leur majorité, approuvent les remarques qui viennent d'être
faites par les porte-parole des trois grands groupes de la majorité, tout
particulièrement par M. Jean-Jacques Hyest.
Pour ma part, je voudrais ajouter que la seconde lecture de ce projet de loi
nous a, une nouvelle fois, permis de constater, à nous autres sénateurs des
Français de l'étranger, à quel point les étrangers de France étaient mieux
traités que tous les Français ou que les étrangers dans la plupart des autres
pays du monde.
Il faut souligner qu'aucun autre pays n'accorde des avantages aussi
considérables aux personnes qui arrivent de loin, en particulier dans le
domaine social. Je puis témoigner qu'aucun pays du monde n'offre aux étrangers
toutes les possibilités que nous leur offrons dans le domaine social : aide,
entraide, hospitalisation, traitement, toutes les ressources de notre
magnifique sécurité sociale, qui reste un exemple.
Il fallait le rappeler car, franchement, il me semble pour le moins anormal,
paradoxal, invraisemblable, que plusieurs de nos collègues aient tenté de nous
culpabiliser à cet égard - et de toutes les façons - et de donner l'impression
que nous nous conduisions très sauvagement, très brutalement envers tous ceux
qui viennent chez nous.
Bien au contraire, et les étrangers le savent. A l'occasion de nos fréquentes
rencontres, ils me posent d'ailleurs toujours les mêmes questions : que peut-on
faire pour vivre en France ? Pouvez-vous nous aider à venir en France ?
Tous souhaitent venir dans notre pays, mais nous ne pouvons pas, bien sûr,
répondre à toutes les demandes.
Certaines propositions n'ont pas obtenu l'acquiescement de la majorité des
membres de la réunion administrative des sénateurs n'appartenant à aucun
groupe, et je précise tout de suite que deux de nos collègues s'abstiendront
lors du vote final, pour des raisons qui leur sont propres. Mais, bien entendu,
la majorité des sénateurs non inscrits votera, sans aucune hésitation, comme je
le ferai moi-même, ce projet de loi, avec l'espoir que l'immigration
clandestine, qui est fort nombreuse en France, ce qui est bien compréhensible,
pourra être éradiquée et que, grâce à cela, la majorité des étrangers présents
chez nous, ceux qui s'y trouvent légalement, pourront y vivre et y travailler
en paix, dans un climat de tolérance et de solidarité ; celui qui a toujours
fait l'honneur de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de
ce débat, avant que le Sénat ne se prononce, je souhaite vous adresser mes
remerciements.
Je voudrais d'abord remercier tout particulièrement M. Paul Masson, rapporteur
de la commission des lois. Je voudrais lui dire ma gratitude et ma
reconnaissance admirative.
Merci également au président de la commission des lois, M. Larché, pour sa
vigilance et sa compétence mises au service de la loi.
Merci à vous, mesdames et messieurs les sénateurs : vous avez montré que
c'était ici et non ailleurs que s'élaboraient les lois de la République.
Merci, d'abord, aux sénateurs de la majorité : ils ont compris l'ambition,
l'objectif du Gouvernement.
Ce projet était nécessaire, car si nous voulons que la France garde sa
tradition d'accueil des étrangers, les lois de la République doivent être
respectées. Oui ! nous sommes prêts à recevoir en France - car telle est notre
tradition - des femmes et des hommes d'origines, de cultures, de couleurs de
peau différentes, à une condition : qu'ils respectent les lois de la
République.
Merci aussi aux sénateurs de l'opposition : leur présence, leurs
interventions, leurs amendements, défendus parfois avec passion...
Mme Hélène Luc.
Seulement parfois ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
... souvent avec talent, honorent le
Parlement.
Aux uns et aux autres, j'exprime ma gratitude, la gratitude d'un ministre
républicain qui oeuvre pour que la loi, « expression de la volonté générale »,
pour reprendre l'image de Carré de Malberg, soit la clé de voûte de notre
société.
Toute législation doit respecter un équilibre entre la protection des libertés
individuelles et la capacité de l'Etat à se prémunir contre ceux qui contestent
son bien-fondé.
Monsieur Estier, contrairement à ce que vous affirmiez dans un discours
quelque peu fielleux et politicien, le Gouvernement n'a eu de cesse de
rechercher et de trouver cet équilibre entre les libertés individuelles et
l'autorité de l'Etat. La recherche de cet équilibre, qui est difficile à
trouver, j'en conviens, m'a conduit à modifier certaines dispositions de ce
projet de loi. Vous avez qualifié mon attitude de volte-face parce que vous
faites de la politique et que vous ne parvenez pas à sortir de ces réflexes
politiciens ; je dirai, pour ma part, que c'est cela le travail
parlementaire.
Votre affirmation n'est pas l'expression de la réalité. J'ai voulu, avec
l'ensemble des sénateurs, trouver les meilleurs outils pour lutter contre
l'immigration irrégulière, les filières d'immigration illégale et le travail
clandestin. Voilà pourquoi j'ai accepté certains amendements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, certains, ici ou ailleurs, ont commencé ce
débat en évoquant Vichy. Permettez-moi de le conclure en citant le général de
Gaulle. « Je demande à vos pensées, déclarait-il, de se porter vers l'Etat
lui-même et le service qu'il doit. Il n'y a eu de France que grâce à l'Etat et
la France ne peut se maintenir que par l'Etat, que par un Etat respecté par
tous. »
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant l'une, du groupe
communiste républicain et citoyen, l'autre, du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ? ...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
118:
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour l'adoption | 219 |
Contre | 96 |
M. Emmanuel Hamel. Un bon vote sur un bon texte !
6
NOMINATION DE MEMBRES
D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président.
Monsieur le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de
constitution d'une commission mixte paritaire sur le texte que nous venons
d'adopter.
Il va être procédé immédiatement à la nomination de sept membres titulaires et
de sept membres suppléants de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.
Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat
à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jacques Larché, Paul Masson, Jean-Jacques Hyest, Paul Girod,
Lucien Lanier, Guy Allouche et Robert Pagès.
Suppléants : MM. Robert Badinter, Philippe de Bourgoing, Luc Dejoie, Michel
Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Georges Othily et Jean-Pierre Schosteck.
7
COMMUNICATION DE L'ADOPTION DÉFINITIVE
D'UNE PROPOSITION D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 12 mars 1997, l'informant que la proposition d'acte communautaire E 535 - « proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services des télécommunications » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 6 mars 1997.
8
TRANSMISSION DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi
adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture,
renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie
immobilière.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 259, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée par l'Asemblée nationale, relative à la responsabilité du fait des
produits défectueux.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 260, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.9
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 18 mars 1997 :
A dix heures :
1. Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 189, 1996-1997),
modifié par l'Assemblée nationale, portant réforme de la réglementation
comptable et adaptation du régime de la publicité foncière.
Rapport (n° 230, 1996-1997) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Avis (n° 257, 1996-1997) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission
des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la
nation.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 17 mars 1997, à dix-sept
heures.
A seize heures :
2. Discussion du projet de loi (n° 241, 1996-1997) relatif à la date du
prochain renouvellement des conseillers généraux et à la réunion de plein droit
suivant le prochain renouvellement des conseillers régionaux.
Rapport (n° 251, 1996-1997) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 17 mars 1997, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 17 mars 1997, à dix-sept
heures.
Délais limites
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la politique européenne de
la France :
- délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 18 mars
1997, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
Le 13 mars 1997, M. le président du Sénat a nommé, en application de l'article
2 du décret n° 97-134 du 12 février 1997, pour siéger au sein de la commission
du suivi du mémorandum d'accord signé le 26 novembre 1996 entre la France et la
Fédération de Russie :
M. Yann Gaillard, en qualité de membre titulaire ;
M. Joël Bourdin, en qualité de membre suppléant.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
DISPARITÉS DES TAUX DE TVA
SUR LES PRODUITS ALIMENTAIRES
608.
- 13 mars 1997. -
M. Jean Bernard
attire l'attention de
M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de
l'artisanat
sur les inquiétudes des professionnels de l'hôtellerie et de la restauration,
notamment face à la disparité des taux de TVA qui subsiste entre les produits
alimentaires transformés, et la mise en oeuvre du plan de lutte contre le
paracommercialisme (rapport Radelet). Il lui demande de bien vouloir lui
approter des précisions sur l'état d'avancement de ces réformes.
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance du jeudi 13 mars 1997
SCRUTIN (n° 118)
sur l'ensemble du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée
nationale en 2e lecture, portant diverses dispositions relatives à
l'immigration.
Nombre de votants : | 316 |
Nombre de suffrages exprimés : | 315 |
Pour : | 219 |
Contre : | 96 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (15) :
Contre :
15.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :
Pour :
15.
Contre :
6. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer,
Yvon Collin, Mme Joëlle Dusseau et M. Robert-Paul Vigouroux.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Paul Girod, qui présidait la
séance.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (94) :
Pour :
93.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Michel Caldaguès.
GROUPE SOCIALISTE (76) :
Contre :
75.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Claude Pradille.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (60) :
Pour :
59.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. René Monory, président du Sénat.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (44) :
Pour :
44.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (10) :
Pour :
8.
Abstention :
1. _ M. Philippe Darniche.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Paul Vergès.
Ont voté pour
Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Bernard Barbier
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Pierre Croze
Charles de Cuttoli
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
Georges Dessaigne
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Pierre Lagourgue
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
François Mathieu
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Sosefo Makapé Papilio
Charles Pasqua
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Régis Ploton
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Guy Robert
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Maurice Schumann
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Ont voté contre
François Abadie
Guy Allouche
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Monique ben Guiga
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Jacques Bialski
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Claude Billard
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Yvon Collin
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Michelle Demessine
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Joëlle Dusseau
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Jacqueline Fraysse-Cazalis
Aubert Garcia
Claude Haut
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Dominique Larifla
Guy Lèguevaques
Félix Leyzour
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Michel Manet
Jean-Pierre Masseret
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Louis Minetti
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Robert Pagès
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Roger Quilliot
Jack Ralite
Paul Raoult
René Régnault
Ivan Renar
Alain Richard
Roger Rinchet
Michel Rocard
Gérard Roujas
René Rouquet
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
André Vezinhet
Marcel Vidal
Robert-Paul Vigouroux
Henri Weber
Abstention
M. Philippe Darniche.
N'ont pas pris part au vote
MM. Michel Caldaguès, Claude Pradille et Paul Vergès.
N'ont pas pris part au vote
MM. René Monory, président du Sénat, et Paul Girod, qui présidait la séance.
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