M. le président. Par amendement n° 43, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer après l'article 4 bis , un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 est ainsi rédigé :
« Toute personne qui, par aide directe ou indirecte, dans un but lucratif, aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France ou d'un Etat avec lequel la France a passé une convention sur l'immigration sera punie d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 200 000 francs. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Cet amendement que nous vous proposons vise à mettre un terme aux effets bien trop rigoureux des dispositions sanctionnant l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour d'un étranger en situation irrégulière.
Il faut certes combattre les filières organisées de trafic de main-d'oeuvre et les marchands de sommeil qui exploitent la misère et la crédulité des candidats à l'immigration. Mais il est pour le moins choquant de voir des Français ou des étrangers résidant régulièrement en France être poursuivis et condamnés pour aide au séjour irrégulier d'un étranger, ce dernier étant bien souvent leur concubin ou leur concubine, voire leur époux ou leur épouse.
L'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 a fait naître des situations où l'absurde le dispute à l'inhumain, situations qu'il est grand temps de faire cesser.
Il faut impérativement parvenir à une définition moins large, plus précise et plus adaptée à ce que l'on cherche à réprimer de manière que des cas comme le cas récent de Jacqueline Deltombe, que nous avons cité dans nos interventions, ne puisse se renouveler.
Nous vous proposons donc de préciser l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 en y introduisant la notion d'aide directe ou indirecte dans un but lucratif.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. L'avis de la commission est défavorable.
La rédaction actuelle de l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 nous paraît tout à fait précise. Elle est globale : elle permet de poursuivre toute personne qui « , par aide directe ou indirecte, aura facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation... ».
En ajoutant l'expression : « dans un but lucratif », vous restreignez la portée de cet article 21, vous la limitez à un but bien précis.
Nous avons déjà examiné cette disposition à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif au terrorisme et, le 1er février 1996, M. Dreyfus-Schmidt déclarait ceci : « Je connais l'objection qui m'a été opposée hier en commission. Appelons les choses par leur nom. Cela signifierait qu'on peut être complice, c'est-à-dire non seulement apporter une aide, mais aussi savoir quelle infraction a l'intention de commettre celui qu'on aide à entrer. Le simple fait de n'avoir pas agi à des fins lucratives permet d'échapper à toute répression.
« Je reconnais que cet argument est juridiquement d'une portée péremptoire. C'est pourquoi je retire mon amendement. »
Je ne peux mieux dire que M. Dreyfus-Schmidt à cette occasion. En vous focalisant sur le but lucratif, vous ôtez toute portée à l'article 21 et vous limitez la répression. Ce n'est pas ce que vous recherchez !
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 43.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je tiens à préciser que nous avions déposé un amendement semblable à l'amendement n° 43 et que nous l'avons retiré parce qu'il avait effectivement - nous l'admettons - un effet pervers.
M le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 43, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 76, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, MmesPourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 4 bis , un article additionnel ainsi rédigé :
« Le paragraphe III de l'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 est ainsi rédigé :
« III. - Sont exceptés des dispositions qui précèdent :
« 1° Les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et soeurs et leurs conjoints, de l'étranger en situation irrégulière,
« 2° Le conjoint de l'étranger en situation irrégulière, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous nous rappelons des souvenirs de la même période ! En effet, dans le Journal officiel que vous citiez voilà un instant, monsieur le rapporteur, vous retrouverez trace de nos efforts pour que soit introduit dans l'ordonnance de 1945 un texte - il fait l'objet de notre amendement n° 76 - très exactement calqué sur l'article 434-6 du nouveau code pénal, qui prévoit le recel de malfaiteur. Il est incroyable que soient prévues des exemptions de peine pour certaines personnes en matière de recel de malfaiteur et que ne soient pas envisagées très exactement les mêmes exemptions en matière de séjour d'un étranger en situation irrégulière ! C'est tout de même moins grave qu'un crime ! En effet, le recel de malfaiteur est un crime.
A l'époque, nous avions estimé qu'il était normal que les parents, les frères et les soeurs, le conjoint ou la personne qui vit notoirement en situation maritale ne rejettent pas un proche qui souhaite être hébergé. Le garde des sceaux nous avait alors répondu que le problème était intéressant, qu'il y réfléchirait et que l'on verrait à l'Assemblée nationale.
Puis il a édulcoré son texte, qui figure maintenant dans l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui dispose : « ... ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement du présent article l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait :
« 1° D'un ascendant ou d'un descendant de l'étranger ;
« 2° Du conjoint de l'étranger, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément ».
Nous demandons que soient mentionnés, comme pour le recel de malfaiteur, d'une part, les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et soeurs et leurs conjoints et, d'autre part, non seulement le conjoint, mais également la personne qui vit notoirement en situation maritale avec l'intéressé.
C'est le texte même du code pénal que vous avez voté ! Par conséquent, nous vous demandons d'être logiques avec vous-mêmes. Vous auriez pu l'être, c'est vrai, la dernière fois. Mais vous ne l'avez pas été. Par conséquent, tant que vous ne le serez pas, nous profiterons de semblables occasions pour vous rappeler votre illogisme et pour vous donner une chance de vous rattraper. (Rires sur les travées du RPR.)
M. Jean Delaneau. Rédemption !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. Le Sénat s'est déjà prononcé contre cette extension en 1996. La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. L'explication de M. le rapporteur m'a convaincu. (Sourires.)
M. Claude Estier. Quelle explication !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 76.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce ne sont pas des arguments que vous nous donnez là !
M. Dominique Braye. Si !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. le rapporteur a déjà eu l'occasion d'expliquer sa position, mais vous, monsieur le ministre, on ne vous a jamais entendu sur ce point ! C'était peut-être l'occasion de nous expliquer pourquoi le fait d'accueillir un proche qui se trouve en situation irrégulière serait plus grave que d'abriter un proche criminel. Vous ne pouvez pas le justifier ! C'est sans doute la raison pour laquelle vous restez cois l'un et l'autre.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 76, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est dommage ! Nous aurions pu examiner l'amendement n° 96, tendant également à insérer un article additionnel après l'article 4 bis.
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