POLITIQUE ÉTRANGÈRE
DE L'UNION EUROPÉENNE
Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat portant
sur un sujet européen n° QE-7 de M. Xavier de Villepin à M. le ministre des
affaires étrangères sur la politique étrangère de l'Union européenne.
A la suite du rapport d'information consacré à la politique étrangère de
l'Union européenne établi par la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées en avril dernier, M. Xavier de Villepin
souhaiterait que M. le ministre des affaires étrangères puisse faire part au
Sénat des positions du Gouvernement français sur cette question, et tenir
informée la Haute Assemblée des évolutions intervenues, le cas échéant, dans ce
domaine, dans le cadre des négociations de la Conférence intergouvernementale
réunie à Turin.
Je rappelle au Sénat que, dans un tel débat, ont droit à la parole, outre
l'auteur de la question et le Gouvernement, un représentant de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne, un représentant de la commission permanente
compétente et un représentant de chaque groupe et, sous réserve de l'accord de
la conférence des présidents, un représentant de la commission des affaires
étrangères.
Chaque orateur dispose d'un temps de parole de dix minutes et il n'y a pas de
droit de réponse au Gouvernement.
La parole est accordée au Gouvernement quand il la demande, sans limitation de
durée.
La parole est à M. de Villepin, auteur de la question.
M. Xavier de Villepin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Etats
membres de l'Union européenne sont-ils en mesure de conduire une politique
étrangère commune ? Tout dépend, sans doute, de l'ambition que l'on assigne à
une action diplomatique. S'agit-il de s'accorder sur des prises de position ou
des communiqués de presse ? Alors, il faut le reconnaître, les Quinze
n'encourent guère de reproches puisque le nombre de déclarations communes
dépasse le chiffre de quatre-vingt-dix pour la seule année 1995. Mais la
politique étrangère doit-elle se limiter à des incantations ? Personne ne le
croit dans cette assemblée.
La capacité d'initiative, le choix de grandes orientations, la discipline et
la méthode qu'appelle leur mise en oeuvre, tout cela fait encore défaut à
l'Europe.
Faut-il d'ailleurs chercher à conduire une politique étrangère commune ?
N'est-ce pas là un domaine qui touche directement à la souveraineté nationale ?
Mais tel est précisément l'enjeu : ce sont notre souveraineté, la défense de
nos intérêts et de notre sécurité que nous compromettons en nous obstinant,
dans certaines circonstances, à agir seuls ou en ordre dispersé. Le monde a
changé et les pays européens doivent désormais joindre leurs voix pour se faire
entendre.
D'ailleurs, la question n'est plus vraiment de savoir si les Quinze doivent
intervenir ensemble hors des frontières de l'Union. La pratique communautaire a
déjà tranché et plusieurs milliards d'écus sont chaque année consacrés à
l'action extérieure. La question est aujourd'hui de savoir si l'Union est
capable d'utiliser ces moyens financiers comme un levier pour exercer une
réelle influence politique. L'Europe doit-elle se résigner dans l'ancienne
Yougoslavie, au Proche-Orient au rôle d'éternel bailleur de fonds ? Je ne le
crois pas.
L'enjeu est essentiel. Il y va de la place de l'Europe sur la scène
internationale, mais aussi du rôle et de l'influence de la France. Or, la
Conférence intergouvernementale ouverte en mars dernier à Turin constitue une
occasion décisive de réformer la politique étrangère commune dans le sens d'une
plus grande efficacité. Le Parlement ne pouvait rester à l'écart d'un débat
aussi fondamental pour l'avenir de l'Europe. C'est pourquoi j'ai présenté, au
nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées du Sénat, un rapport consacré à cette question, et j'ai souhaité que le
sujet puisse faire aujourd'hui, en votre présence, monsieur le ministre,
l'objet d'une discussion plus large.
Il me paraît aujourd'hui indispensable d'avancer des propositions concrètes, à
même de donner à la politique étrangère commune l'élan nécessaire. Dans cette
perspective, il convient de tirer les leçcons des insuffisances dont les Quinze
ont témoigné dans ce domaine.
Malgré des mérites incontestables, la concertation n'a pu éviter une dérive
incantatoire et déclaratoire à la mesure de l'impuissance des Quinze à agir
efficacement sur le terrain. Pourquoi ces échecs ?
Je crois qu'il faut ici distinguer les raisons qui relèvent de l'inadéquation
du dispositif juridique institutionnel de celles qui relèvent de facteurs plus
politiques.
Le dispositif institutionnel présente, selon moi, trois handicaps majeurs.
La première source de faiblesse est liée à la multiplicité des intervenants.
Dans le domaine extérieur, les Etats membres, la troïka, la Commission - et en
son sein quatre commissaires - jouent chacun leur partie, et les discordances
ne sont pas rares. De cette multiplicité, résultent deux conséquences fâcheuses
: d'une part, la lenteur des procédures de décision ; d'autre part, le manque
de « visibilité » dont souffre l'Union européenne sur la scène
internationale.
La deuxième source de faiblesse pour la politique étrangère commune est
l'inadéquation du mode de décision. La pratique du consensus s'est substituée à
la procédure du vote pour l'adoption de la quasi-totalité des décisions. Dès
lors, les Etats s'épargnent la responsabilité de reconnaître clairement leur
position par un vote, et l'engagement de la responsabilité des Quinze, dans
leur ensemble, s'en trouve amoindri.
La troisième source de faiblesse réside dans l'inadaptation des procédures de
mise en oeuvre des décisions. Le Conseil des ministres ne dispose pas, en
effet, de moyens juridiques pour obtenir de la Commission qu'elle mobilise les
moyens financiers nécessaires à l'application d'une décision prise au titre de
la politique étrangère commune. Sans doute un accord finit-il toujours par
s'imposer, mais c'est trop souvent au détriment de la rapidité d'action.
Les insuffisances de la politique étrangère commune ne peuvent être
entièrement imputées au dispositif institutionnel. Elles trouvent également
leur origine dans l'absence d'une réelle volonté politique.
Les ambitions des différents Etats dans le domaine de la politique étrangère
sont trop hétérogènes. Les diplomaties restent commandées par des traditions
nationales et - comment se le dissimuler ? - tous nos voisins n'ont pas, comme
la France, la volonté d'une réelle présence sur la scène internationale.
Faut-il pour autant s'en tenir à ce seul constat ? Il conduirait à privilégier,
comme c'est du reste largement le cas aujourd'hui, une coopération purement
pragmatique entre des pays partageant, à un moment donné, des préoccupations
convergentes. Le groupe de contact mis en place dans le cadre des tentatives de
règlement de la crise yougoslave s'inscrit tout à fait dans cette perspective.
Mais cette formule ne permet de faire prévaloir ni une diplomatie d'initiative
et de prévention, ni une vision européenne commune des intérêts à défendre.
C'est pourquoi la politique étrangère commune ne pourra trouver son efficacité
sans un socle institutionnel solide et rénové.
Quatre orientations principales me paraissent devoir être prises. Certaines
d'entre elles font, je le sais, l'objet de débats au sein de la Conférence
intergouvernementale et vous pourrez peut-être, monsieur le ministre, nous
apporter, à leur sujet, quelques précisions.
La première orientation vise à conférer à la politique extérieure de l'Union
une meilleure visibilité. J'adhère, pour ma part, entièrement à l'idée
française d'un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité
commune. Ce poste doit revenir à une personnalité dotée d'une réelle stature
politique, condition indispensable pour lui conférer l'autorité nécessaire. On
ne peut en tout cas, selon moi, se satisfaire d'un compromis aux termes duquel
le haut représentant, ramené à un profil plus modeste et purement
administratif, n'ajouterait qu'une structure de plus à une organisation déjà
trop complexe. Dans cette hypothèse, il vaudrait mieux privilégier la fonction
existante du secrétaire général du Conseil.
La deuxième orientation consiste en la mise en place d'une instance de
concertation et d'initiative permanente entre les Quinze. Il importe en effet
de favoriser un accord en amont du processus décisionnel, et non trop tard,
comme aujourd'hui, quand les positions nationales - élaborées elles-mêmes
souvent au terme de patients arbitrages - ne peuvent plus s'accorder que sur le
plus petit dénominateur commun.
Je me réjouis que la création d'une cellule de prévention et d'analyse
recueille aujourd'hui dans le cadre de la Conférence intergouvernementale
l'assentiment des Quinze, mais je crains que sa vocation ne soit encore trop
restrictive. En effet, cette nouvelle instance doit réellement irriguer
l'ensemble du processus de décision en proposant des actions communes.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner votre sentiment sur ce point
?
La troisième orientation tient à la nécessité de borner le champ de la
politique étrangère commune à des zones géographiques précises. Les Quinze se
sont en effet jusqu'à présent trop dispersés et le nombre de leurs centres
d'intérêt était parfois inversement proportionnel à l'efficacité de leur
action. Du reste, l'objectif visé est non pas de conduire une même et seule
politique étrangère, mais de mettre en oeuvre une politique étrangère commune
sur des sujets qui intéressent les Quinze dans leur ensemble. Vous avez, devant
notre commission, monsieur le ministre, précisé quelques priorités : les
relations entre l'Union européenne et la Russie, ou encore la politique
communautaire dans les Balkans. Sans doute faudrait-il ajouter le partenariat
euro-méditerranéen et, notamment, la situation au Moyen-Orient, comme M. le
président de la République vient encore de le rappeler, avec clarté et courage,
à l'occasion de son voyage dans la région. L'accord sur les objectifs de
l'Union ainsi acquis, le recours au vote à la majorité qualifiée se trouverait
incontestablement facilité.
La quatrième et dernière orientation tient à la mise en oeuvre de coopérations
renforcées dans le domaine de la politique étrangère commune. Une initiative
commune franco-allemande ne permettrait-elle pas d'ouvrir la voie et de montrer
qu'il n'y a pas de fatalité à l'inertie et à l'impuissance de l'Europe ?
L'urgence et les intérêts de l'Europe en Méditerranée ne désignent-ils pas le
Proche-Orient comme un terrain prioritaire pour une pareille initiative ?
La Conférence intergouvernementale offre l'occasion, qui ne se retrouvera plus
avant longtemps, de renforcer l'Union européenne. Il nous faut saisir cette
chance d'imprimer un nouvel élan à la politique étrangère commune. Si les
débats peuvent paraître techniques, les enjeux sont décisifs pour notre avenir.
La capacité pour l'Union d'affermir son rôle sur la scène internationale
contribuera, je le crois profondément, à redonner une confiance aujourd'hui
ébranlée dans la construction européenne.
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque des Etats
s'associent pour former une fédération ou une confédération, ils ont
généralement pour objectif de s'affirmer ensemble vis-à-vis de l'extérieur et
d'assurer en commun leur sécurité.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Jacques Genton,
président de la délégation.
Malgré les intentions profondes de ses
initiateurs, la Communauté européenne devenue l'Union européenne n'a pas suivi
ce schéma. L'intégration économique des Etats membres n'a cessé, comme prévu,
de s'approfondir. L'intégration politique est restée beaucoup plus limitée ; ce
n'est pas faute d'avoir essayé. Parmi les occasions manquées, mes souvenirs et
mon expérience me rappellent la Communauté européenne de défense en 1954, le
plan Fouchet d'Europe politique en 1962 dont le refus ne doit pas être reproché
à la France seule, d'aucuns dans l'Union ne devraient pas l'oublier.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Jacques Genton,
président de la délégation.
La tentative plus modeste d'une coopération
politique à partir de 1969 n'a guère permis à l'Europe d'exister comme telle
sur la scène internationale. Le traité de Maastricht a relancé l'ambition d'une
politique étrangère et de sécurité commune en prévoyant la mise en place de
nouveaux instruments, mais le résultat, reconnaissons-le, est encore
décevant.
On a en effet pu constater que, dans deux zones situées à ses portes - les
Balkans et le Proche-Orient - l'Union européenne n'a pas été capable d'exercer
l'influence qui aurait dû être la sienne ; mais je ne développerai pas
davantage ce point.
Devant une telle carence, on entend parfois proclamer qu'il n'existe pas
sincèrement une volonté politique commune aux Etats membres pour donner sa
portée véritable à la politique étrangère et de sécurité commune.
Si c'est exact, mes chers collègues, alors pourquoi poursuivons-nous
l'édification d'une Union européenne ? Si nous n'avons pas la volonté de nous
manifester ensemble à l'égard de l'extérieur, à quoi cela nous sert-il
d'approfondir l'intégration européenne et d'élargir cette Union ? Une zone de
libre-échange, tant désirée par certains de nos associés, ferait parfaitement
l'affaire ! Pour ma part, après plus de quarante ans d'efforts et d'espérance,
je ne pourrais que le déplorer.
Je remercie M. le président de la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées de notre assemblée de nous permettre, par cette
question orale avec débat, de poser en public les questions que cet important
sujet suscite.
La détermination préalable, élément essentiel, ne suffit pas. Encore faut-il
que soit mis en place un cadre adéquat pour que cette volonté se traduise dans
une action politique ; c'est la mission des négociateurs, au sein de la
Conférence intergouvernementale, que de prévoir les moyens nécessaires pour
atteindre l'objectif fixé.
Je saisis cette occasion, monsieur le ministre, pour vous remercier de votre
attention et de la régularité avec laquelle vous tenez notre délégation et,
indirectement, le Sénat informés des travaux de cette conférence.
Faut-il s'étonner qu'à ce point de l'entreprise s'affrontent des oppositions
et des rivalités ? Peut-on s'en tenir aux conceptions institutionnelles qui ont
présidé à la naissance des Communautés européennes, avec six pays poursuivant
une finalité précise et clairement exprimée, aussi bien en 1951 qu'en 1956 ? En
d'autres termes, le président de la Commission d'une Union européenne à quinze,
à dix-huit ou plus peut-il être l'animateur de la politique étrangère et de
sécurité commune sous le contrôle peu coordonné du Parlement européen et du
Conseil ? Peut-on retenir sans risque d'échec les méthodes de décision qui ont
fait leurs preuves dans ce qu'on appelle aujourd'hui le « premier pilier » ?
L'intention est excellente et révèle la fidélité aux convictions originelles,
mais elle feint d'ignorer que le deuxième pilier concerne des sujets
directement liés aux souverainetés nationales, encore vivaces, et des questions
de sécurité, voire de défense, pour lesquelles seul le Conseil européen, créé à
cet effet, a la légitimité requise pour donner des impulsions politiques, ainsi
que l'a rappelé M. le président de la commission.
L'objection vient des Etats désignés par habitude « petits Etats »,
traditionnellement réservés à l'égard du Conseil européen, au sein duquel,
selon leur appréciation, le poids spécifique des autres Etats dits « grands
Etats » se ferait plus sentir qu'ailleurs.
En matière de politique étrangère et de défense, une approche qui ne tiendrait
pas compte de ce poids spécifique serait-elle réaliste ? Et pourrait-elle être
efficace ? Ce sont nécessairement les choix arrêtés par le Conseil européen qui
doivent orienter fondamentalement la politique étrangère commune. Le conseil
des ministres « affaires générales » doit les mettre en oeuvre selon un
processus organisé de manière à en assurer efficacement la préparation et
l'exécution.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer qu'un accord se dessine
autour du projet d'une « structure de planification et d'alerte précoce »
placée près du Conseil, structure qui associerait des représentants des Etats
membres et de la Commission ?
Pour ce qui est de l'exécution des décisions, le débat est plus ouvert. Des
questions redoutables se posent. J'énumérerai les principales.
Comment faire en sorte que des Etats puissent rester en dehors d'une action
commune, dès lors qu'ils ne souhaitent pas y participer, sans pour autant que
la capacité de l'Union soit entravée ?
Quels rôles doivent jouer la Commission et le Parlement européen, sans
négliger le fait que des décisions intéressant le deuxième pilier peuvent avoir
des incidences sur le premier ?
Quel doit être le statut des dépenses de la politique étrangère et de sécurité
commune ? Enfin, et peut-être surtout, comment l'Union européenne doit-elle «
s'incarner » vis-à-vis de l'extérieur, comment donner une « visibilité » à son
action, pour utiliser le langage contemporain ?
Je soulignerai deux points particuliers.
Tout d'abord, l'idée de flexibilité doit être au coeur de la réflexion.
L'expérience prouve qu'il est très difficile, à quinze, de dépasser le stade de
la « diplomatie déclaratoire », pour reprendre une expression de M. de
Villepin. Qu'en sera-t-il lorsque l'Union européenne comptera vingt ou
vingt-cinq membres ?
Si l'on ne veut pas que l'Union européenne soit réduite à l'impuissance dans
le domaine de la politique étrangère, il faut admettre que la volonté politique
d'agir puisse venir de la décision d'une partie des Etats membres, avec le
consentement - je suis tenté de dire « le consentement passif » - des autres
Etats membres. J'ai cru comprendre que la France et l'Allemagne se rejoignaient
pour faire valoir cette conception.
Si la politique étrangère et de sécurité commune peut avoir une réalité, elle
devra se manifester par l'action d'un certain nombre d'Etats, au cas par cas,
au nom de l'Union européenne. Même si cette évolution ne paraissait pas
souhaitable, elle serait inévitable. Si l'on admet que la flexibilité est
inéluctable, il faut en tirer les conséquences sur la manière dont on conçoit
que la politique étrangère et de sécurité commune doit s'incarner. L'idée
avancée par la France d'un « haut représentant pour cette politique » trouve
ici sa justification.
En effet, la formule de la troïka, qui reste, pour l'instant, le moyen utilisé
par l'Union européenne pour assurer sa représentation, n'a pas beaucoup servi
l'autorité et le prestige extérieurs de l'Europe.
Si personne ne s'est moqué des déplacements de la troïka, c'est surtout parce
que les diplomates sont, par nature, courtois.
La proposition d'élargir la troïka pour y faire siéger le commissaire européen
plus particulièrement chargé de la politique étrangère et de sécurité commune,
malgré son intérêt, n'est manifestement pas, je le crains, à la hauteur du
déficit de crédibilité dont souffre l'Union.
Or, dans l'optique de la nécessaire flexibilité, le problème va s'aggraver
encore. En effet, si l'Union européenne continue à être principalement
représentée, selon la rotation semestrielle, par deux ou trois Etats membres,
rien ne s'opposera à ce que l'une de ses actions soit conduite par deux ou
trois Etats qui auront eux-mêmes décidé de ne pas y participer. Peut-on prendre
le risque d'une telle gageure ?
Par ailleurs, une action commune de l'Union européenne peut se développer
pendant une année ou même plus longtemps. Peut-on raisonnablement admettre que
le porte-parole de l'Union européenne, qui s'entremettra en son nom, puisse
être différent chaque semestre et que l'Europe n'ait pas une voix unique et
constante tout au long de la résolution d'un problème international ?
La proposition du « haut représentant de l'Union » présentée par la France
donne une solution à ce problème. Nommé par le Conseil européen et responsable
devant lui, il assurera de manière permanente la « visibilité » de l'Union
européenne sur les actions communes décidées quel que soit le nombre des Etats
participant effectivement à ces actions communes. Porte-parole crédible,
indispensable à l'Union européenne, lien permanent entre les Etats membres
participant à l'action commune, il maintiendra également une relation entre ces
Etats et ceux qui s'abstiendront de participer à cette action.
Que ce « M. PESC » ou « Mme PESC », voire « Mlle PESC », comme on s'en amuse
parfois, soit un « haut représentant » ou un secrétaire général du Conseil doté
de nouvelles compétences - M. le président de la commission y a fait allusion
voilà un instant - l'important est que la fonction éminente soit assumée par
une personnalité bénéficiant de la pleine confiance du Conseil européen et
agissant en son nom.
En conclusion, j'invite le Gouvernement à persévérer dans sa volonté de doter
la politique étrangère et de sécurité commune des règles de fonctionnement et
de l'instrument qui lui manquent pour assurer de manière cohérente et continue
sa représentation vis-à-vis de l'extérieur, sous l'autorité du Conseil européen
sur qui, dans ce domaine, tout repose en définitive.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Monsieur le ministre, j'aimerais d'abord saluer votre action européenne et
votre méthode de défense des positions françaises. Votre pugnacité ne se dément
pas sur le plan national, tant vous avez à coeur de réhabiliter le débat
européen avec le souci évident d'y associer les citoyens. Le dialogue national
sur l'Europe que vous venez de lancer et qui doit traverser toutes les régions
françaises d'ici au printemps prochain vient à point nommé : union monétaire,
union politique, élargissement à l'Est, défense européenne, voilà autant de
défis pour notre pays qui ne peuvent être relevés que par l'adhésion de tous
les Français.
Dans ce débat sur l'avenir de la politique étrangère et de sécurité commune
que le président de la commission des affaires étrangères, M. de Villepin, a
judicieusement provoqué, il est utile de rappeler aux détracteurs de la
politique étrangère et de sécurité commune que l'Europe est composée de nations
dont l'histoire diplomatique et militaire rend l'établissement d'une politique
étrangère commune extrêmement difficile. Les habitudes en ce domaine sont
marquées par un héritage national qu'il est parfois impossible de transcender.
La disparition de la menace soviétique sur l'Europe a également entraîné une «
renationalisation » des politiques de défense en Europe, ce qui ne facilite
guère la mise au point d'une défense commune.
Ne jetons donc pas la pierre à un instrument communautaire qui ne peut être
perfectible qu'avec le temps. Depuis 1992, l'Union européenne a su d'ailleurs
s'en servir avec succès. Je ne citerai que les plus importants actes de la
diplomatie européenne : l'exception culturelle dans les accords du GATT, le
pacte de stabilité en Europe centrale, la politique de sécurité nucléaire en
Ukraine, le partenariat euro-méditerranéen et le forum Europe-Asie.
Ces premiers éléments, en permettant de dégager les domaines et les sphères
géographiques dans lesquels une action commune est envisageable, forment les
fondements de la politique étrangère et de sécurité commune. C'est en effet la
volonté politique des Européens, plus encore qu'une réforme institutionnelle
portant sur la représentation des Etats au sein du Conseil et sur les modes de
décision, qui sera la clef de la réussite de la politique étrangère et de
sécurité commune.
Ces modifications restent toutefois un préalable indispensable à
l'élargissement à l'Est, car elles sont à même de favoriser l'expression de
cette solidarité politique au sein de l'Union qui fait actuellement tant
défaut. La Conférence intergouvernementale doit donc déboucher sur une
meilleure lisibilité de cette politique étrangère et de sécurité commune, sur
une plus grande flexibilité dans son processus décisionnel et sur une plus
grande solidarité entre les membres. Cette solidarité doit être autant
politique que financière puisque les Etats participant à des opérations
extérieures doivent bénéficier du soutien collectif par le biais du budget
communautaire.
S'agissant de l'avenir de la politique étrangère et de sécurité commune, je
m'en tiendrai à une analyse du volet sécurité du deuxième pilier, en soulignant
les enjeux de la défense européenne et les ambiguïtés de la réforme de
l'OTAN.
La Conférence intergouvernementale qui s'est ouverte en mars dernier à Turin
devrait donc accroître l'efficacité et la visibilité de la politique étrangère
et de sécurité commune, permettant
a priori
à l'Union européenne
d'acquérir le statut de puissance politique.
L'accord de Berlin, qui offre aux Européens la possibilité d'utiliser les
capacités opérationnelles de l'OTAN par le biais de l'Union de l'Europe
occidentale, est considéré comme une victoire des Européens, puisque les
Américains ont enfin reconnu l'identité européenne de défense et de sécurité au
sein de l'Alliance atlantique.
Ces deux événements ont ouvert la voie de la réforme des deux organisations
régionales amenées à jouer un rôle central dans le domaine de la sécurité
européenne au siècle prochain. Mais la reconnaissance par les Américains de
cette identité européenne n'est pas exempte d'ambiguïtés. L'accord de Berlin
pourrait également signifier, si l'on n'y prend garde, la mise sous tutelle
américaine de la défense européenne, avec le risque de voir l'union politique
issue de la Conférence intergouvernementale vidée de sa substance.
Les négociations en cours à l'OTAN ne prennent donc tout leur sens qu'au
regard des débats parallèles à la Conférence intergouvernementale sur
l'approfondissement de l'Union européenne et le développement de l'Union de
l'Europe occidentale. Il est intéressant à cet égard de constater le décalage
frappant existant entre, d'une part, le consensus euro-américain sur l'avenir
de l'OTAN et ses rapports avec l'Union de l'Europe occidentale et, d'autre
part, les divisions européennes sur la politique étrangère et de sécurité
commune, qui sont étalées au grand jour. La Grande-Bretagne refuse en effet de
voir le Conseil européen devenir l'instance de légitimation des interventions
militaires européennes, comme le proposent l'Allemagne et la France. Il s'agit
pourtant de propositions cohérentes avec l'accord de Berlin, puisque l'Union de
l'Europe occidentale devrait recevoir ses ordres du Conseil européen.
Si la Conférence intergouvernementale devait aboutir à une impasse sur la
politique étrangère et de sécurité commune, le succès des Européens à l'OTAN ne
serait d'aucune utilité, le fameux pilier européen de la défense reconnu au
sein de l'OTAN ne pouvant être utilisé par l'Union européenne.
Le risque existe donc que cette réforme de l'OTAN ne modifie la nature de la
construction européenne : à terme, l'Union européenne deviendrait un
sous-traitant politique des Etats-Unis par le biais de l'OTAN. C'est donc le
système du concert des nations qui prévaudrait en Europe, enterrant ainsi les
projets d'intégration politique prévus par les pères fondateurs de l'Europe.
Cette vision correspond à celle des Britanniques, et l'on comprend mieux
pourquoi ces derniers se réjouissent de l'européanisation de l'OTAN. L'Union
européenne serait ainsi condamnée à devenir et à rester un « supermarché » - je
reprends ainsi votre expression, monsieur le ministre - et ne pourrait s'élever
au rang de la « puissance politique » que vous avez si souvent appelée de vos
voeux.
Il importe donc de réussir le défi de la CIG dans le domaine de la politique
étrangère et de sécurité commune. En effet, l'identité européenne dans le cadre
de l'OTAN ne couvre pas toute la gamme des actions européennes possibles.
Cette identité européenne au sein de l'OTAN a pour postulat de base
l'existence d'une convergence stratégique euro-américaine. Il faut envisager le
cas inverse : si une divergence de vues l'emporterait entre Européens et
Américains, l'identité européenne de défense serait alors bloquée par le veto
américain.
Les exemples de divergences d'analyse euro-américaines sur des situations
internationales ne manquent pas dans l'histoire des relations internationales
de ces cinq dernières années : la Bosnie - combien de morts européens avant
l'arrivée des GI's ? - mais aussi la gestion de l'après-guerre du Golfe et
l'attitude vis-à-vis de l'Irak, ou encore les relations avec l'Iran et Cuba et
la loi Helms-Burton à l'encontre des sociétés occidentales qui investissent
dans ces pays. On pourrait également citer les divergences dans le cadre des
négociations du GATT et, maintenant, de l'OMC, pour ne pas s'appesantir sur
l'approche unilatérale, voire insultante, du processus de paix au
Proche-Orient.
L'Europe n'a pas toujours la même analyse, la même vision, et elle a rarement
les mêmes intérêts que les Etats-Unis, c'est une évidence ! Les Européens
doivent ouvrir les yeux sur la nature des relations transatlantiques et en
finir avec la naïveté gratuite de la période de la guerre froide. Ces deux
ensembles régionaux sont désormais des géants économiques. Ils partageaient les
mêmes intérêts stratégiques lorsque la menace soviétique existait, mais, depuis
la disparition de « l'Empire du mal », comme l'appelait M. Reagan, la solidité
du lien transatlantique s'effiloche sous les effets de la mondialisation, qui
est ainsi à l'origine des tensions euro-américaines.
L'intérêt militaire commun est moins évident et la divergence des intérêts
économiques plus importante. On peut d'ailleurs raisonnablement penser que ces
deux caractéristiques des relations entre l'Europe et les Etats-Unis
s'accentueront au siècle prochain.
Certes, les Etats-Unis restent notre fidèle et notre plus solide allié
militaire dans le camp occidental. Mais qui peut affirmer, aujourd'hui, que
notre sécurité est directement menacée par un Etat, en l'occurrence la Russie ?
La seule finalité de l'extension de l'OTAN à l'Est semble être l'extension de
la dépendance politique et militaire, donc industrielle, du continent européen
à l'égard des Américains.
Accroître l'efficacité et la visibilité extérieure de la PESC, c'est, mes
chers collègues, maintenir ouverte, simultanément au processus
d'européanisation de l'OTAN, l'option d'une coopération militaire européenne
autonome. Je dis bien « autonome », car cette autonomie est vitale pour pallier
l'hypothèse évoquée précédemment et garantir ainsi à l'Union la possibilité
d'agir séparément des Américains.
L'autonomie politique est vitale également pour le maintien d'une base
industrielle d'armement européenne et indépendante, sans laquelle la défense
européenne ne peut être viable et crédible. A-t-on déjà vu une puissance
politique exister sans défense et sans industrie d'armement ?
La constitution d'un marché européen de l'armement et la préservation des
industries européennes face à leurs concurrents américains supposent donc une
intégration européenne extérieure à l'OTAN.
Je reprendrai les propositions du groupe de réflexion Westendorp sur la
coopération européenne en matière d'armement : création d'une agence européenne
d'armement, révision, voire suppression de l'article 223 du traité de Rome et
nécessité d'une politique commune en matière d'exportations d'armements.
Comment, en effet, concevoir une PESC qui puisse s'inscrire dans la durée et
rester crédible sur la scène internationale si, à terme, l'Union ne garantit
pas son indépendance industrielle et technologique en matière d'armement ?
Les Etats-Unis ont compris depuis longtemps les enjeux de cette bataille
commerciale et technologique : la restructuration de leurs industries de
défense est pratiquement achevée au moment où celle des Européens est
balbutiante. La diplomatie du négoce, qui associe fortement la CIA, permet aux
Etats-Unis de prendre plus de la moitié des marchés d'armement à l'étranger.
Quant aux échanges avec l'Europe, le déséquilibre doit avoisiner les 1 .
La PESC, ce n'est donc pas seulement un enjeu franco-français, le moyen, comme
certains le prétendent, pour la France de poursuivre son antiaméricanisme
primaire, c'est avant tout un formidable outil mis au service des nations
européennes menacées de disparaître sur la scène internationale en tant que
puissance politique.
Pourtant, l'Europe offre souvent une autre vision des règlements des conflits
ou des tensions qui éclatent à l'étranger, une alternative à une diplomatie
marquée par un hégémonisme froid et un égoïsme économique sans limite. Cette
alternative représente un espoir et une attente de la part de nos partenaires
arabes, asiatiques et africains. Face à ces appels, l'Europe a le devoir de se
doter des moyens lui permettant d'assumer ses responsabilités
internationales.
Cette PESC n'est pas tournée contre les Etats-Unis, elle garantit simplement à
l'Europe la possibilité de faire entendre sa voix et d'écarter ainsi le risque
d'uniformisation culturelle et technologique du monde.
Le choc des cultures, réveillé par la disparition des idéologies totalitaires
du xxe siècle, ne pourra être pacifique que si l'Europe y imprime sa marque.
Au-delà des indispensables modifications institutionnelles que la CIG doit
apporter, il faudra surtout susciter une volonté commune au sein de l'Union :
au couple franco-allemand de montrer l'exemple et d'entraîner les autres pays
dans ce mouvement ! Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que les
Européens ne ratent pas ce rendez-vous. Un échec pourrait signifier la mort de
l'Europe politique, de la défense européenne et aussi, à terme, de l'union
monétaire.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes
Européens de citoyenneté. Nous sommes Européens de conviction. Nous savons que
notre avenir dépend principalement de la puissance que l'Europe saura ou ne
saura pas se donner et construire.
Le traité de Maastricht - qui a, par ailleurs, bien des défauts - a le mérite
d'avoir, pour la première fois dans l'histoire de la Communauté européenne,
posé le principe d'une politique étrangère et de sécurité commune. Celle-ci
s'impose. Elle est un élément clé de l'union politique et le complément
nécessaire de l'union économique et monétaire.
Certes, on peut croire aujourd'hui que l'étape majeure de la construction
européenne est le difficile mais nécessaire passage à la monnaie unique. Ce
n'est pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais je dirai simplement que
l'adoption d'une nouvelle monnaie ne prend son sens que comme fondement d'une
capacité à gérer ensemble nos destins dans l'avenir, et pas seulement dans le
domaine monétaire.
C'est de l'union politique qu'il s'agit là, et la composante essentielle de
cette union politique européenne, c'est sa future politique étrangère et de
sécurité commune, la PESC.
Notre capacité à mettre en oeuvre une politique étrangère commune aurait une
valeur considérable, de nature à consolider à la fois l'identité de l'Union et
le sens de l'aventure politique qui nous conduit à souhaiter l'adoption d'une
monnaie unique.
A ce sujet, il est utile de rappeler que le dernier sondage réalisé pour la
Commission européenne au sujet de la réforme institutionnelle en cours souligne
que les Européens souhaitent dans leur ensemble que l'objectif de la
construction européenne reste le même que celui de ses débuts, c'est-à-dire la
consolidation du caractère définitif de la paix en Europe.
Avant même que le traité de Maastricht ne soit conclu, les Douze ont tenté,
sur l'ex-Yougoslavie, de mettre en place une politique commune. La tragédie
yougoslave a provoqué de fortes tensions entre les Etats membres. Ceux-ci ont
retrouvé, vis-à-vis des Balkans, d'anciens réflexes liés à leur histoire
nationale et ils ont eu beaucoup de mal à définir une position commune, et même
quelquefois à respecter les décisions prises ensemble.
C'est dans un climat de résurgence des pulsions nationales, y compris au sein
des Etats membres de l'Union européenne, que la conférence intergouvernementale
sur l'union politique, dont la création avait été décidée en juin 1995, a
élaboré difficilement un traité portant sur une politique étrangère et de
sécurité commune.
Ce travail commun, aussi imparfait soit-il, a eu le premier mérite d'éviter
qu'entre les Douze les tensions ne dégénèrent en conflit ouvert. Il a aussi été
une première réponse à la nouvelle donne sur le continent. Une réponse
imparfaite et lacunaire, sans doute. Comment aurait-il pu, d'ailleurs, en être
autrement ? Bâtir une politique étrangère est une immense ambition qui ne peut
se réaliser seulement par des dispositions juridiques et qui exige qu'émerge la
conscience des intérêts communs et la volonté de les préserver.
Comment aider, dans un domaine qui touche au coeur des souverainetés
nationales, à l'émergence d'une volonté politique commune ? Comment se dégager
des lourdes pesanteurs historiques ? Ces pesanteurs ne s'allégeront pas en un
jour ! Bâtir une politique étrangère et une défense européennes prendra du
temps. Il faut avoir présent à l'esprit que l'on aura mis trente-cinq ans à
réaliser le marché unique et que les premières initiatives sur la monnaie
unique ont déjà vingt ans.
Il faudra accepter plusieurs étapes et, à chacune de celles-ci, combiner
actions concrètes et amélioration du traité. Il faudra surtout commencer par le
commencement, c'est-à-dire élaborer une évaluation commune des risques qui
menacent la sécurité de l'Europe : l'instabilité à l'Est, dans les Balkans,
peut-être à l'intérieur de la Russie même, mais aussi l'islamisme intégriste au
sud de la Méditerranée, qui prolifère sur la misère sociale et le mépris de la
démocratie et des droits de l'homme.
Un premier objectif est donc bien de mettre en place une cellule d'analyse
commune au Conseil et à la Commission. Au début de la tragédie yougoslave,
c'est une évaluation commune qui a le plus manqué à l'Union européenne. L'Union
se doit donc de créer sa propre unité centrale d'analyse et de planification
dans le cadre de la PESC, de manière à pouvoir formuler des approches communes.
Sa mission première consisterait à identifier et à évaluer les crises et les
situations conflictuelles internationales pour formuler ensuite des
propositions fondées sur une analyse permanente des intérêts communs.
Si nous ne pouvons ni ne voulons remettre en cause les règles qui régissent
aujourd'hui la sécurité de chacun de nos pays, nous considérons cependant qu'il
convient de décider dès maintenant que l'Union européenne se donnera les moyens
d'analyser les événements et les évolutions qui peuvent affecter ou modifier
ces références de sécurité, ainsi que la capacité de formuler les propositions
et les orientations rendues nécessaires par ces changements.
En effet, la condition déterminante - et préalable à toute autre - de la
définition d'une politique étrangère et de sécurité commune réside dans le fait
de la penser et de la définir ensemble. Aucune politique étrangère vraiment
commune ne pourra jamais résulter de la seule confrontation de nos diplomaties
nationales. Or non seulement une Union européenne préparée et dotée de projets
et d'actions cohérents et coordonnés sera capable de représenter les intérêts
de ses Etats membres de manière plus opportune, mais encore elle répondra
davantage aux nombreuses attentes qui s'expriment dans les pays tiers : sa
puissance économique sera telle que l'Union européenne pourra endosser des
responsabilités politiques plus étendues. Ce pourrait être par exemple le cas
aujourd'hui - nous sommes en pleine actualité ! - pour conforter le processus
de paix au Proche-Orient, qui est sérieusement menacé.
Il faudra aussi modifier la procédure de décision sur les actions communes
pour tenter de surmonter l'inertie actuelle et mettre davantage l'accent sur
les positions communes et les actions conjointes, ce qui suppose un
renforcement de l'instrument politique par un recours plus systématique aux
dispositions du traité sur l'Union européenne concernant le vote à la
majorité.
L'Union européenne devrait commencer par établir une hiérarchie des processus
décisionnels en opérant un distinguo entre, d'une part, les actions
humanitaires, l'envoi d'observateurs ou les décisions politiques prises au
titre de la PESC et, d'autre part, les initiatives militaires, pour lesquelles
les gouvernements nationaux auraient la faculté de s'« abstenir positivement »
selon l'expression consacrée.
Dans le domaine de la défense, le traité de Maastricht engage les Etats
membres à définir « une politique de défense commune qui pourrait conduire, le
moment venu, à une défense commune ».
Le président François Mitterrand avait toujours, en complicité, dirais-je,
avec le chancelier Kohl, compris qu'il fallait à tout prix maintenir cette idée
d'une identité européenne de défense. Le traité de Maastricht était venu, en
quelque sorte, et malgré ses imperfections et ses carences, consacrer cette
politique.
La PESC a acquis avec ce traité ses premières lettres de noblesse. Tous les
pays signataires étaient alors d'accord pour que l'UEO devienne le pilier
européen de l'Alliance atlantique. Il s'agissait de renforcer son rôle
opérationnel. La politique actuelle du Gouvernement, je vous le dis, monsieur
le ministre, tourne le dos à ces engagements, enterre l'UEO et montre à nos
partenaires non pas la volonté de construire ce « pilier européen », mais une
incitation à rester dans le giron atlantique.
Il faut, au contraire, examiner la question de l'édification d'un système
européen de défense qui pourrait contribuer aux actions de l'OTAN ou agir seul.
Il s'agit donc d'envisager le développement d'une capacité de défense et de
sécurité propre à l'Union européenne, incarnée et coordonnée par l'UEO et
préfigurée par des forces telles que l'Eurocorps, pouvant agir sous l'autorité
du Conseil européen hors du cadre de l'OTAN.
A l'inverse, on court aujourd'hui le risque d'avoir une Europe incapable de
faire autre chose que de s'en remettre à l'OTAN pour les questions de sécurité
et de défense. « L'OTAN serait ainsi le cadre politique réel pour les questions
de sécurité européenne », avec, dans le meilleur des cas, une sorte de
directoire sous l'égide des Etats-Unis. J'ai cru comprendre à l'instant que
c'était aussi ce que craignait M. About.
Mon ami Bertrand Delanoë reviendra sur ces questions, demain, dans le débat
sur la défense. J'ajouterai seulement que, sans son autonomie stratégique, sans
la spécificité française, notre pays perd de sa crédibilité.
En nous alignant sur les positions américaines, nous ne rendons pas service à
la PESC. Cette reculade - parce que c'est ainsi que les commentateurs étrangers
analysent la politique française actuelle - ce retour vers l'atlantisme nuisent
à la France en Europe mais aussi dans le monde.
Avant de conclure, j'évoquerai rapidement deux points.
Je ne suis pas revenu sur la création tant annoncée, et évoquée par M. de
Villepin, d'un « M. PESC » ou d'une « Mme PESC ». Comme vous l'avez reconnu,
monsieur le ministre, devant la délégation du Sénat, au début du mois
d'octobre, il n'existe pour l'instant d'accord ni sur le statut d'un « M. PESC
» ou d'une « Mme PESC » ni sur l'idée de placer cette personnalité sous le
contrôle européen.
Autant dire que cette proposition du Gouvernement français semble ne
recueillir qu'un très faible soutien. Comme le reconnaissait récemment, avec ce
sens de la litote qui les caractérise, un de nos diplomates bruxellois : «
C'est une position très respectable, mais assez seule. On cherche plutôt une
nouvelle formule ». Nous verrons bien. Là n'est pas l'essentiel, à nos yeux.
Par ailleurs, je n'ai pas le temps de revenir sur la nécessaire harmonisation
des politiques d'armement des principaux pays européens concernés. Pourtant, au
moment où le Gouvernement semble renoncer à l'idée d'une stratégie européenne
dans ce domaine clef, on constate que les Etats-Unis ne s'embarrassent pas de
précautions pour restructurer un secteur majeur de leur économie.
Depuis la fin de la guerre du Golfe, ils se sont engagés - on l'a rappelé à
l'instant - dans une politique de fusion des entreprises, dans le domaine de
l'informatique et des missiles notamment, qui leur permet de peser sur les
marchés mondiaux et d'imposer à leurs partenaires commerciaux leurs choix
stratégiques.
Les pays européens n'auraient donc plus qu'une alternative : produire européen
ou acheter américain. Il devient impératif, dès lors, de pousser à la
constitution de grands groupes capables de rivaliser avec leurs concurrents
d'outre-Atlantique. Il n'y aura pas de défense européenne sans industrie
européenne de l'armement.
Pour conclure, je confirme, monsieur le ministre, mon inquiétude quant à la
façon dont se déroule la Conférence intergouvernementale depuis maintenant
plusieurs mois.
Le pire serait, comme cela a été dit, qu'elle n'aboutisse qu'à un aménagement
très limité mais présenté comme suffisant pour permettre l'élargissement. En
effet, monsieur le ministre - je vous donne d'ailleurs acte du fait que vous
venez régulièrement informer la délégation du Sénat ou la commission des
affaires étrangères - vous l'avez dit devant nous : « Un élargissement
s'effectuant dans le cadre des institutions actuelles serait un marché de dupes
! »
Il importe donc maintenant - pour l'instant, nous sommes loin du compte - de
s'en tenir au calendrier prévu et de tirer les conséquences du lien
indissociable qui existe entre élargissement et réforme institutionnelle, entre
approfondissement de l'union politique et introduction de la monnaie unique,
entre nouvelles perspectives financières et futur élargissement de l'Union.
Sur tous ces aspects, nous serons extrêmemnt vigilants, en conservant jusqu'au
bout notre liberté d'appréciation.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du
RDSE. - M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène.
Monsieur le ministre, vous répétez souvent que l'Europe doit être bien autre
chose qu'un simple grand marché et que la Conférence intergouvernementale doit
être l'occasion d'accomplir un pas significatif vers l'Europe « puissance
politique ».
Cette conception fut de tout temps la nôtre, convaincus que nous étions, et
que nous sommes, que les problèmes d'indépendance, de sécurité, de maintien de
la paix l'emportent, et de très loin, sur les autres, convaincus que nous
sommes aussi que, dans ces domaines, il est imprudent et déraisonnable, et donc
impossible, de s'en remettre à d'autres ou de s'en remettre à je ne sais quelle
neutralité plus ou moins aveugle ou plus au moins égoïste.
Les auteurs du traité de Maastricht ont ressenti cette nécessité, et cela nous
a donné le « deuxième pilier ». Mais le bilan est maigre, peut-être même
négatif.
La crise des Balkans appelait à l'évidence aux yeux de tous une politique
européenne ; la situation était et reste la même au Moyen-Orient. Mais, au lieu
de la politique commune promise, nos concitoyens ont vu celle-ci se réduire
in fine
à faire de l'Europe en quelque sorte le payeur de la politique
américaine dans ces deux régions.
MM. Charles Pasqua et René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Christian de La Malène.
Aussi, comme l'a souhaité M. le Président de la République, c'est à très juste
raison que vous entendez que ce sujet soit à l'ordre du jour, et peut-être au
centre, de la Conférence intergouvernementale pour mettre nos partenaires en
face de leurs responsabilités. Cette nécessité est plus urgente que jamais, et
peut-être une telle occasion de le faire ne se représentera-t-elle pas de
sitôt.
L'Europe va en effet devoir rapidement, presque concurremment, faire face à
des échéances de grandes conséquences : réussir la Conférence
intergouvernementale, mettre en place la monnaie unique et l'indispensable
système monétaire européen protecteur, réussir toute une série
d'élargissements, résoudre ses problèmes financiers et agricoles.
Nul doute que ces échéances seront honorées ; mais la question est de savoir
si elles le seront bien et si elles le seront durablement. La question est de
savoir si en l'an 2000, ou en l'an 2005 au plus tard, l'Europe, ayant retrouvé
ses dimensions historiques, sera devenue une puissance politique, maîtresse de
sa monnaie, maîtresse de son destin, jouant dans le monde un rôle à la hauteur
de sa dimension et de sa force, ou si, devenue, certes, une très grande
puissance économique, elle sera restée un nain politique plus ou moins à la
remorque des Etats-Unis.
A cela, il faut ajouter que, faute de ce pouvoir politique, la pérennité de sa
réussite économique serait elle-même menacée. Elle le serait de l'extérieur,
l'Europe n'ayant pas su se donner les moyens de se faire entendre et d'être
respectée dans la compétition économique impitoyable dont le monde est
aujourd'hui le théâtre. Mais elle le serait aussi de l'intérieur, car le succès
de la seule Europe économique et monétaire réduira progressivement les moyens
d'action des pouvoirs politiques et affaiblira la légitimité démocratique de
l'ensemble.
Les règles de l'économie seule, isolées, sont des règles technocratiques. Et
plus le pouvoir économique progresse, plus ce caractère s'affirme. Chacun sait,
par exemple, que la monnaie unique, pour réussir et perdurer, nécessite la mise
en place, au-delà d'elle, d'une politique économique toujours plus intégrée,
toujours plus unifiée. Cela ira bien au-delà des contraintes des critères de
Maastricht et cela privera dangereusement les gouvernements de moyens d'agir
face aux aléas et aux impératifs de la politique et de la conjoncture.
Ainsi, en l'absence d'un pouvoir politique démocratique, la fragilité de
l'entreprise risque de s'accroître en fonction même de son succès. On ne peut
impunément faire évoluer de façon divergente le pouvoir économique et le
pouvoir tout court, la technocratie d'un côté et la démocratie de l'autre.
M. Paul Masson.
Très bien !
M. Christian de La Malène.
Ce que nous connaissons et ce que vous nous avez appris des travaux de la
Conférence intergouvernementale nous apporte-t-il quelque espoir et quelque
apaisement ? J'aimerais en être convaincu.
Je me suis donné la peine de lire le long rapport du groupe de réflexion qui a
travaillé préalablement à la conférence elle-même. De la part de nos
partenaires, je n'y ai trouvé que peu, très peu trace d'une volonté ferme de
progresser dans la voie du pouvoir politique.
Certes, la France, elle, a fait des propositions.
Vous souhaitez renforcer le Conseil en améliorant la pondération, renforcer la
Commission en réduisant le nombre des commissaires. Toutefois, les réactions
des pays les moins importants, mais qui sont les plus nombreux, nous semblent,
hélas ! bien négatives.
Vous souhaitez donner une image et une voix à la politique étrangère commune ;
mais, même réduites au départ à de modestes actions communes, cette image et
cette voix semblent provoquer beaucoup de craintes, et l'on s'efforce déjà d'en
réduire au minimum l'ampleur.
Vous souhaitez que des coopérations renforcées soient possibles. C'est là une
voie qui pourrait être pleine de promesses, et j'aimerais que vous nous disiez
si elle vous paraît devoir rencontrer, elle, un écho favorable.
Mais au-delà de nos propositions, les quatorze autres ont-ils manifesté la
volonté d'aller de l'avant, vers la politique étrangère, vers la défense, vers
le pouvoir politique ? Ont-ils déposé des
memorandums
sur ces points ?
Ont-ils fait des propositions alternatives ? Cette volonté claire de la France
de situer le débat à ce niveau a-t-il rencontré un écho ?
Nous craignons bien davantage que les discussions n'aient porté et ne portent
que sur des problèmes de majorité, sur des problèmes de rôle du Parlement
européen, sur les procédures législatives, sur la communautarisation de tel ou
tel point du troisième pilier, sujets intéressants sans doute, mais sans
commune mesure avec les questions posées par la France.
Monsieur le ministre, je terminerai cette brève intervention par une remarque
en forme d'avertissement et par une question.
La remarque s'adresse à ceux de nos partenaires qui, pour des raisons
diverses, refusent tout pas important vers l'Europe politique, diplomatique et
de la défense.
Peut-être leur refus n'empêchera-t-il pas la Conférence intergouvernementale
d'aboutir à une conclusion et, ensuite, les élargissements de se produire. Mais
il faut savoir, et l'Europe doit savoir, d'abord, que cet immense ensemble
économique, dépourvu de pouvoir politique moteur, risque de périr d'étouffement
- certains diront d'obésité - ensuite, et surtout, que cette politique
étrangère et que cette défense dont ils n'auront pas voulu, il faudra bien
qu'elles voient le jour. Elles le verront parce qu'elles sont nécessaires et
irremplaçables. Mais alors, elles verront le jour sans eux, en dehors d'eux et
hors de leur cadre européen familier et traditionnel.
Après l'avertissement, la question, monsieur le ministre, à laquelle vous ne
pourrez ou ne voudrez peut-être pas y répondre.
Vous dites souvent : « Il n'y aura d'accord sur rien s'il n'y a pas d'accord
sur tout. » Devons-nous comprendre que dans « tout » il faut inclure un progrès
significatif dans les domaines fondamentaux que je viens de rappeler très
cursivement ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « se figurer
qu'on peut bâtir quelque chose qui soit efficace pour l'action et qui soit
approuvé par les peuples en dehors et au-dessus des Etats, c'est une chimère...
Il est tout naturel que les Etats de l'Europe aient à leur disposition des
organismes spécialisés pour des problèmes qui leur sont communs, pour préparer
et, au besoin, pour suivre leurs décisions, mais ces décisions leur
appartiennent. Elles ne peuvent appartenir qu'à eux et ils ne peuvent les
prendre que par coopération ».
Ces propos fondamentaux ont été tenus voilà vingt-six ans par le général de
Gaulle et sont toujours aussi actuels, nous semble-t-il, dans le domaine dont
nous débattons aujourd'hui.
Il est intéressant de rapprocher ce point de vue de celui qu'a exprimé tout
récemment, dans les colonnes du journal
Le Monde,
M. Karl Lamers,
porte-parole pour les affaires étrangères du groupe parlementaire
chrétien-démocrate allemand.
« La politique doit être orientée par rapport à la réalité supranationale. Les
attentes des marchés financiers internationaux en sont une expression. Tout
cela porte atteinte en profondeur à la façon dont l'Etat-nation, voire la
civilisation française, se perçoit...
« En outre, les règles de l'union monétaire européenne, telles qu'elles ont
été formulées dans le traité de Maastricht sont inspirées du modèle allemand et
apparaissent ainsi à de nombreux Français comme l'expression d'un diktat
allemand. Mais il ne s'agit pas de cela. C'est le diktat de la réalité
supranationale, celle de la concurrence globale. »
Doit-on, peut-on accepter un tel diktat, dont on connaît les conséquences en
matière économique, à savoir l'accroissement des inégalités, du chômage et de
l'exclusion ? Doit-on accepter ce diktat qui contribue à la mobilisation des
peuples européens contre l'Europe de Maastricht et la marche forcée vers la
monnaie unique ?
Doit-on se résigner à voir les fonctions traditionnelles de l'Etat-nation
échapper peu à peu aux Etats membres ?
Sur le plan des relations internationales, quels intérêts aurions-nous à
accepter d'amputer davantage encore notre souveraineté ? Cela irait-il dans le
sens d'une coopération renforcée entre les peuples européens ?
A notre avis, respecter les souverainetés nationales n'est-ce pas la condition
préalable pour permettre à l'Europe de jouer le rôle qui lui revient sur la
scène internationale ?
C'est cet état d'esprit qui devrait guider toute réflexion quant à la
politique extérieure de l'Union, en particulier, et à la construction
européenne, en général. Car l'Europe communautaire n'est pas une nation qui
bénéficierait de l'adhésion et du soutien des citoyens qui la composent.
Les citoyens européens sentent d'abord qu'ils appartiennent à une communauté
nationale, représentée par un gouvernement que légitime cette adhésion.
Ce n'est absolument pas le cas des institutions communautaires, qui paraissent
désincarnées et distantes des citoyens, qui ont le sentiment que l'Europe se
construit sans eux, dans le secret des institutions bruxelloises.
Pourquoi, dès lors, vouloir poursuivre dans la voie de l'abandon de
souveraineté au profit d'une Europe composée - disons-le sans détour - de pays
qui ne défendent pas les mêmes points de vue sur la scène internationale et
dont les intérêts vitaux sont encore loin de coïncider avec les nôtres ?
Pourquoi ne pas permettre à la France de faire entendre sa voix tout en
favorisant des actions communes ou des positions communes au niveau européen
?
A lire le rapport de M. de Villepin, intitulé :
Une politique étrangère
commune pour l'Union européenne,
on constate que cette solution qualifiée
d'« approche pragmatique », constitue, en fin de compte, la seule voie de la
sagesse et de l'efficacité, d'autant plus qu'il n'y a pas de réelle volonté
politique commune pour que l'Europe s'exprime par une seule voix et une seule
autorité sur la scène internationale.
L'exemple de l'ex-Yougoslavie, présenté avec justesse dans le rapport précité,
a été fort significatif à cet égard. Dès l'origine du conflit, en effet, «
l'Union européenne s'est trouvée paralysée par les divergences en son sein.
Faut-il les rappeler ? Celles-ci manifestent la pérennité de traditions
diplomatiques ou d'alliances héritées de l'histoire ou de la géographie, la
position pro-serbe défendue par la Grèce, ainsi que l'appui donné aux Croates
par les Allemands en sont des exemples. La reconnaissance unilatérale de la
Croatie et de la Slovénie par l'Allemagne au mois de décembre 1991 augurait mal
des capacités de l'Union à s'accorder sur un conflit qui réveillait les
brasiers mal éteints des passions dont l'Europe avait déjà été la victime. »
Le conflit israélo-palestinien est également riche d'enseignements. Ainsi, en
dépit du vif souhait de Yasser Arafat, les Quinze ne furent pas représentés à
la table des discussions lors des négociations israélo-palestiniennes.
L'Union européenne a beau fournir l'essentiel du soutien financier au
processus de paix, elle a dû se contenter d'une présence symbolique, celle du
ministre irlandais des affaires étrangères. Est-il nécessaire de rappeler que
les Etats membres les plus liés aux Etats-Unis - la Grande-Bretagne et
l'Allemagne - étaient des plus réservés sur l'utilité d'une telle démarche ?
On comprend mal, au vu de ces éléments, que certains de nos collègues, dont M.
de Villepin, s'attachent à promouvoir une politique étrangère commune fondée
non sur la coopération mais sur l'intégration.
Quelles seraient les marges de manoeuvre de la France si cette politique
étrangère supranationale existait ? Le Président de la République aurait-il eu
toute latitude pour exprimer avec pertinence la voix de la France au
Moyen-Orient ? Certainement pas !
La réponse aux difficultés résultant de la mise en place d'une politique
extérieure commune ne saurait conduire à nier purement et simplement les
divergences par une réforme institutionnelle, par la constitution d'un noyau
dur autour de quatre ou cinq grands pays ou par le rapprochement de la France
avec l'Allemagne.
De même, le recours plus systématique au vote à la majorité conduira
inévitablement à dessaisir la France d'un des éléments de sa souveraineté.
Je m'étonne d'autant plus de lire de telles propositions qu'il est affirmé
dans le même rapport de M. de Villepin : « Si efficaces que soient les
dispositions institutionnelles, leur portée serait illusoire si la volonté
politique indispensable à une réelle coopération dans le domaine de la
politique étrangère continuait à manquer. Car cette volonté des Etats membres
paraît être, en dernier ressort, la vraie condition d'une politique étrangère
commune plus efficace. » J'ajouterai, pour ma part, la « seule » condition.
Ce n'est malheureusement pas la voie suivie par le Gouvernement français à
Turin.
La France propose en effet qu'une personnalité politique désignée par le
Conseil européen soit chargée de mener et de suivre des actions communes
décidées par consensus. Elle est favorable à l'extension des cas de vote à la
majorité qualifiée et à une certaine « communautarisation » des deuxième et
troisième piliers du traité, tout en insistant sur la nécessaire reconnaissance
du rôle des parlements nationaux.
On pourra dire et écrire ce que l'on voudra sur le sujet. A notre avis, il y
aura convergence des politiques étrangères des pays de l'Union européenne et,
peut-être, un jour lointain, mise en place d'une politique étrangère commune
quand s'exprimera suffisamment de volonté politique pour aller dans ce sens.
Pardonnez-moi d'être quelque peu catégorique en ajoutant que, selon moi, tous
les projets visant à mettre en place des « cadenas » supranationaux non
seulement sont voués à l'échec mais aussi retardent l'avènement de cette
convergence politique.
Par ailleurs, la France dit inscrire ses projets dans la construction d'une
défense européenne, mais, dans le même temps, elle réintègre l'essentiel des
commandements militaires intégrés de l'OTAN qui - on le sait bien - est tout
sauf un système de défense indépendant des Américains.
Nous estimons, pour notre part, que, quelle soit la forme de coopération
adoptée en matière de politique étrangère ou de défense, la France doit
préserver l'essentiel de sa souveraineté.
Un éminent membre de notre assemblée, M. Maurice Schumann, alors secrétaire
d'Etat dans le gouvernement de Robert Schuman, avait écrit à l'époque : «
L'union politique... ne peut que procéder de la concertation et de l'entente
des Etats qui la composent : personne n'imagine qu'un pays puisse entreprendre
une action qui risque de l'entraîner dans un conflit parce que sept voix contre
deux et trois abstentions la lui auront prescrite. En refusant d'admettre cette
évidence sans pouvoir la contester, on retarde en fait l'avènement d'une Europe
du possible qui est celle des réalités concrètes. »
En effet, mes chers collègues, ne vaut-il pas mieux construire une Europe avec
des pays et des peuples conscients qu'il y va de leur intérêt de s'associer et
prêts, de ce fait, à faire des concessions, plutôt que de leur imposer des
décisions tendant à créer une solidarité fictive et obligatoire ?
Coopérations plus larges, oui ! Intégration supranationale, non !
Le problème ne revient donc pas à choisir, comme le laisse supposer
l'orientation que vous voulez donner au débat, entre plus de Communauté et
moins d'Etat, mais à rechercher comment cette structure qu'est l'Union
européenne peut, en tenant compte de ses composantes et en respectant leur
souveraineté, favoriser une coopération rendue nécessaire - comme l'a rappelé
justement M. de Villepin - par les bouleversements économiques, politiques et
sociaux de cette fin de siècle.
C'est à notre sens de cette façon que devrait se poursuivre la réflexion
concernant la réforme institutionnelle engagée à Turin, tant dans le domaine de
la PESC que dans l'ensemble de domaines intéressant les peuples européens.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie
M. Xavier de Villepin d'avoir offert au Sénat la possibilité d'exprimer ses
points de vue et ses attentes en matière de politique étrangère de l'Union
européenne, à la veille de la Conférence intergouvernementale sur la
modification des traités, et d'avoir rédigé un rapport prospectif si documenté
sur ce sujet.
A titre de propos liminaire, je précise que les sénateurs du Rassemblement
démocratique social et européen, au-delà de leur pluralité politique, se sont
réunis autour de la priorité qu'ils accordent à la construction européenne.
Nous sommes conscients des difficultés que comportent l'élaboration et la mise
en oeuvre de politiques communes, en particulier dans le domaine des affaires
étrangères. Mais nous ne sommes en aucune façon résignés à accepter la
politique étrangère européenne telle qu'elle est actuellement élaborée. Elle se
caractérise en effet par son absence dans la réalité des décisions
internationales majeures et des arbitrages primordiaux.
Dès lors, pouvons-nous nous étonner de n'être ni sollicités, ni écoutés ?
Point n'est besoin d'en citer des exemples. L'Union européenne ne dispose pas
de la structure adéquate susceptible de s'exprimer en son nom devant la
communauté internationale. Il s'agit d'un constat, dont il faut tirer les
conséquences.
Une deuxième observation concerne le rapprochement de la politique étrangère
et de la politique de défense dans le titre V du traité sur l'Union. La mise en
oeuvre d'une défense commune, qui ne fait pas l'objet de notre débat de ce
jour, nous apparaît certes indispensable, mais n'est qu'un moyen, et non un
but. Elle implique en outre des organisations extra-européennes, et la
confusion des genres contribue à celle des esprits. La politique étrangère se
situe en amont et son champ d'action, qu'il s'agisse bien sûr de la diplomatie,
mais aussi de l'humanitaire, de l'aide à la formation et du rayonnement
scientifique et culturel, est beaucoup plus étendu.
Un troisième point a trait au danger que recèle tout amalgame. Nous savons
tous combien a été mise en avant et controversée, provoquant des clivages au
sein de bien des partis, la politique monétaire de l'Europe, qui prend ainsi
l'apparence d'un objectif privilégié, au détriment des autres. Comment
s'étonner alors des réactions d'euroscepticisme d'une population qui ne perçoit
que les contraintes, et aucun des aspects positifs de la construction
européenne ? On observe qu'imputer à l'Europe les difficultés économiques et
sociales de ses membres fait naître un ressentiment. Une ouverture qui ne se «
positive » pas en temps voulu déclenche des réactions de fermeture, qui sont
sciemment utilisées dans un regain d'ultranationalisme, avec ses conséquences «
divisionnistes », qui font renaître les démons du passé.
Enfin, si tous se félicitent de la disparition de la guerre froide,
devons-nous pour cela admettre la prédominance d'un seul Etat, qui s'institue
et s'accentue ? A la néfaste notion de blocs fermés et opposés, il faut
substituer celle des pôles de développement non seulement économiques, mais
aussi sociaux. Isolées, les nations européennes, même si elles additionnent des
centaines de millions d'habitants, ne joueront qu'un rôle d'arrière-plan.
Monsieur le ministre, avec des arrêts, sinon des reculs, l'Europe avance à
bien petits pas, et les générations passent. Nous ne doutons ni de votre
engagement ni de votre volonté. Dans le domaine aujourd'hui abordé de la
politique étrangère européenne, nous savons qu'il ne s'agit pas seulement de
renforcer le deuxième pilier ; il s'agit en réalité de le construire. Nous ne
nous faisons pas d'illusions : la politique étrangère européenne actuelle reste
illusoire dans le concret. Nous savons les réticences probables que vous
rencontrerez au sein des nations de l'Union, le poids de l'histoire et des
pages à tourner, la crainte d'une coexistence au-delà d'une simple coopération,
même si l'on regrette la quasi-non-existence d'une politique étrangère
européenne lors des grands problèmes internationaux.
Nous savons la complexité des instances européennes, l'absence de structures
permettant de prendre des décisions au-delà des déclarations de principes,
décisions que d'ailleurs il serait impossible d'appliquer si elles étaient
prises.
Nous savons les changements à faire admettre et la diversité relative des
solutions envisageables si l'on désire éviter le danger d'une organisation
supplémentaire qui se juxtaposerait encore aux autres, sans rien résoudre, bien
au contraire !
Notre rôle n'est pas de donner ici un modèle qui risquerait d'altérer la
nécessaire souplesse exigée par de telles négociations. Nous privilégions
seulement l'efficacité en approuvant les propositions françaises relatives à la
création d'une cellule de prospective et d'urgence, et à la nomination d'un
haut représentant de l'Union aux affaires étrangères. Nous ne pouvons pas nous
passer d'un porte-parole européen, qui pourrait être placé sous l'autorité des
ministres des affaires étrangères de l'Union et du conseil des chefs d'Etat et
de gouvernement.
Mais certaines suggestions peuvent apporter une aide dans ces délicates
étapes, car elles peuvent servir de ciment.
D'abord, nous devons mieux faire connaître à la population l'intérêt et la
nécessité d'une politique étrangère européenne, seule façon pour nous d'être
réellement présents dans l'évolution politique, maintenant et plus encore dans
le futur, sans se réfugier dans la fierté du passé, ni dans un individualisme
qui nous exclut, sans politiser le débat, mais, au contraire, en sachant
rassembler et partager des responsabilités, ce qui facilite toujours un
consensus. Nous devons, en ce domaine, éviter les divergences relatives au
système monétaire en espérant qu'il en sera de même dans les autres pays, en
respectant les objectifs de l'article J 1 du titre V, mais en les
matérialisant.
De la même façon, il nous faut utiliser aussi le phénomène d'entraînement en
nous intégrant dans le petit groupe vraisemblable des Etats « locomotives »,
sans toujours vouloir attendre ceux qui préfèrent se réfugier sur des voies de
garage et demandent ensuite à se raccrocher au train si la dynamique des autres
les y incite. On peut accueillir les retardataires en ne se laissant pas
dominer par les « retardateurs » !
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Robert-Paul Vigouroux.
Par ailleurs, nous devons, bien sûr, poursuivre notre politique humanitaire,
comme notre défense des droits de l'homme, dans la continuité de notre rôle de
pourvoyeurs de fonds, mais en devenant nos propres donneurs d'ordres.
L'Europe apporte 50 % de l'aide financière aux pays les moins développés
contre 23 % d'origine japonaise et 17 % - je le souligne - de la part des
Etats-Unis. L'Union européenne finance 30 % de l'aide totale au Moyen-Orient,
les Etats-Unis 15 % ! L'Europe apporte 60 % de l'aide à la Russie et aux Etats
de l'ex-URSS et 40 % à la reconstruction de la Bosnie.
Au vu de ces chiffres, nous sommes en droit de nous demander pourquoi
l'influence européenne est aussi faible, eu égard au volume des aides qu'elle
octroie !
Disons encore que la science et la culture demeurent d'inlassables défricheurs
de présence, de coopération et d'entente. Or les Etats européens ont intérêt,
devant les difficultés financières qu'ils rencontrent, à regrouper leurs
efforts, dans des représentations consulaires, certes, mais aussi dans des
centres culturels, des écoles, des lycées, des universités, des lieux de
recherche et de formation, en respectant la particularité de leurs racines, la
pluralité de leurs langues.
Point n'est besoin que tous y participent. Des partenariats à deux, voire à
plusieurs, peuvent se développer. Je pense, en particulier, à l'action sur
l'ensemble du bassin méditerranéen, à laquelle, vous le savez, monsieur le
ministre, je suis personnellement attaché, tout comme, je le sais, les
collègues de mon groupe. Une telle offensive pacifique peut, demain, devenir
pacifiste. Elle ne peut qu'avoir des retombées positives.
On nous rétorque parfois que « Rome ne s'est pas faite en un jour ». Mais le
traité de Rome remonte à 1957, le premier traité ayant été signé à Bruxelles en
1948, et la conférence de La Haye qui relançait la coopération politique date
de 1969. Notons que onze ans seulement se sont écoulés entre la proclamation de
l'indépendance des Etats-Unis en 1776 et la Fédération de 1787. C'était une
autre époque !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, placés face
à l'alternative de vouloir l'Europe ou de faire en sorte de la refuser, notre
réponse sera positive. Les millions d'habitants ne comptent sur l'échiquier
qu'en tant qu'Européens, avec leurs différences, mais surtout avec des
politiques communes indispensables à l'affirmation de leur place sur la scène
internationale. Nous n'hésitons pas, au groupe du Rassemblement démocratique et
social européen, à être les acteurs de notre destin.
(Applaudissements sur
les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Barnier,
ministre délégué aux affaires européennes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, c'est une question bien opportune, quant au
sujet et quant au moment où elle est posée, que la Haute Assemblée a formulée
par la voix de M. de Villepin, ce dont je n'ai pas été surpris. En effet, la
réforme de la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, constitue
l'un des défis majeurs, l'une des priorités de la Conférence
intergouvernementale que vous avez évoquée les uns et les autres et sur
laquelle je reviendrai.
Cette conférence, qui a débuté voilà quelques mois et qui durera encore neuf
mois, a pour objet de réformer nos institutions préalablement à l'élargissement
de l'Union européenne, et de donner à cette dernière - j'en reparlerai
également - les outils et les moyens d'être enfin une puissance politique.
Cette conférence devra s'achever - les chefs d'Etat et de gouvernement l'ont
rappelé il y a quelques jours à Dublin - en juin 1997 au plus tard.
Le Président de la République, quant à lui, a rappelé l'importance qu'il
attache au développement d'une PESC digne de ce nom, capable de donner à
l'Europe, sur des sujets d'intérêt commun entre les Quinze, l'influence
mondiale qui devrait être la sienne.
Je remercie beaucoup la Haute Assemblée de me donner la possibilité de faire
le point sur l'action, sur l'engagement du Gouvernement en faveur d'un tel
objectif.
Je voudrais tout d'abord, après les avoir entendues et écoutées avec beaucoup
d'attention, souligner la très grande qualité des contributions parlementaires
de chacun des groupes de votre assemblée au cours de cet après-midi.
L'intérêt du Sénat pour tout ce qui touche à la PESC ne s'est jamais démenti ;
l'excellent rapport du président de la commission des affaires étrangères, M.
de Villepin, en est l'une des plus récentes et des plus claires
illustrations.
Je veux souligner, à mon tour, le très grand intérêt qu'a porté le
Gouvernement à ce rapport ainsi que la pertinence des idées, des avertissements
et des suggestions qu'il contient.
J'ai toujours été, je vous le dis comme je le pense, très impressionné par la
qualité et par la franchise des débats que nous avons régulièrement sur ce
sujet comme sur d'autres questions européennes avec vous, mesdames, messieurs
les sénateurs, en général, et avec la délégation du Sénat pour l'Union
européenne en particulier.
Je voudrais, en cet instant, remercier son président, M. Genton, qui ne manque
pas, lui aussi, d'apporter au Gouvernement non seulement ses encouragements,
comme il l'a fait tout à l'heure, mais aussi un certain nombre de remarques
pertinentes et utiles.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat sur la
politique étrangère et de sécurité commune est maintenant bien engagé dans le
cadre de la Conférence intergouvernementale entre tous les partenaires de
l'Union.
Depuis le lancement de cette conférence à Turin, des progrès ont été
enregistrés. Des idées ont fait leur chemin, au premier rang desquelles figure
cette idée française d'un haut représentant, une idée pour l'Europe et non pas
pour la France.
Pour répondre à vos questions et à vos observations, ainsi qu'aux
interpellations de M. de Villepin et de M. Genton, je rappellerai d'abord les
raisons qui ont conduit la France à faire de la PESC un objectif prioritaire de
la Conférence intergouvernementale. Je reviendrai ensuite sur les solutions
institutionnelles que nous avons proposées pour atteindre un tel objectif.
Pourquoi la PESC est-elle un objectif prioritaire de la conférence ? M. de La
Malène l'a dit tout à l'heure avec d'autres, c'est parce qu'il est temps d'en
revenir à la première raison de la construction européenne, de refaire la
preuve que nous pouvons construire entre nous, les Quinze, mais bientôt les
Vingt ou Vingt-cinq, un espace, un territoire non seulement humain et
économique, mais également politique, où la paix, la préservation des droits de
l'homme, et donc la démocratie soient définitivement garantis. Car tel était
bien, d'après ce que j'ai pu lire, la première finalité de la construction
européenne, en 1951.
M. Jacques Genton,
président de la délégation.
Très bien !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
Je le dis à M. de La Malène, parce que nous sommes
d'accord sur ce point comme sur beaucoup d'autres, à nos yeux, l'Union
européenne ne se résume pas seulement au marché commun et à la monnaie unique.
Il faut maintenant, à la veille de ce grand élargissement, qui serait un marché
de dupes pour eux et pour nous si nous le faisions pas, donner à cette Union
européenne, au-delà du marché unique et bientôt de la monnaie unique, une
dimension politique.
M. de Villepin a fort bien posé la question de fond. L'Union européenne, qui
accorde chaque année plus de 5 milliards d'écus à son action extérieure, n'a
pourtant pas de politique extérieure définie.
L'Union européenne est le premier bailleur de fonds pour la reconstruction de
l'ex-Yougoslavie - vous l'avez dit également, monsieur de La Malène - pour le
développement de l'Europe orientale, pour la Méditerranée, à travers le
programme MEDA, pour l'aide aux territoires palestiniens. M. Jacques Chirac est
en ce moment-même à Gaza pour en témoigner.
Elle est également le premier bailleur de fonds dans le monde pour l'aide aux
réfugiés - et on sait qu'ils sont toujours plus nombreux ! - mais,
politiquement, l'Europe n'existe pas ou pas souvent.
Cette situation que vous avez constatée, les uns et les autres, est non
seulement inadmissible pour les contribuables européens, mais elle est aussi
dangereuse pour la paix et la stabilité dans le monde, parce que le monde a
besoin de l'Europe.
Monsieur Vigouroux, je vous ai entendu dire à l'instant que vous n'approuviez
pas l'actuelle organisation de la politique étrangère commune. Vous auriez pu
dire que vous n'approuviez pas l'actuelle inorganisation de la politique
étrangère commune. C'est cette situation qu'il faut changer.
C'est une des priorités du Président de la République qui se traduit,
mesdames, messieurs les sénateurs, dans les positions que je défends, semaine
après semaine à Bruxelles, aux côtés du ministre des affaires étrangères, au
sein de la Conférence intergouvernementale. Cette priorité se traduit aussi à
l'OTAN et, plus quotidiennement, dans notre politique étrangère.
Il est facile de comprendre que cette Conférence intergouvernementale, qui
concerne la mécanique institutionnelle, ne peut à elle seule faire naître une
politique étrangère et de sécurité commune. Je le répète, ne demandons pas à
cette conférence plus qu'elle ne peut et qu'elle ne doit donner. Au moins
peut-elle favoriser l'émergence de la PESC en mettant en place des conditions
institutionnelles favorables, les outils de cette politique. Après - j'allais
presque dire avant - il faudra la volonté politique des chefs d'Etat et de
gouvernement pour que ce potentiel devienne réalité et que la voix de l'Europe
se fasse entendre dans le monde.
Pour ma part, travaillant aux côtés du chef de l'Etat et le voyant dans les
négociations internationales, en particulier dans le dialogue franco-allemand,
je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous ne devez pas
douter de sa volonté politique.
Vous ne devez pas plus douter de la volonté politique du chancelier Kohl ni de
celle des autres chefs d'Etat et de gouvernement.
Puisque cette volonté existe aujourd'hui, il nous faut pouvoir lui donner les
outils qui lui manquent.
C'est dans cet esprit que la France a fait des propositions pour une PESC
rénovée, dans le cadre de la Conférence intergouvernementale.
La dernière discussion du groupe des représentants sur ce sujet a eu lieu le 8
octobre dernier. Les ministres des affaires étrangères en débattront le 28
octobre prochain.
Le 8 octobre, j'ai introduit les débats en groupe de négociation par un
certain nombre de remarques dont je vais vous faire part.
Première observation : la PESC a une très grande importance pour la visibilité
de la Conférence intergouvernementale dans nos pays. La paix, l'influence de
l'Europe dans le monde sont des sujets qui ont une vraie signification
populaire.
Je vous invite à prendre du temps, mesdames, messieurs les sénateurs, pour
dialoguer avec nos concitoyens. M. About évoquait tout à l'heure le grand
dialogue national pour l'Europe que nous lançons et auquel vous êtes invités à
participer ici et dans vos régions. Moi-même, depuis quelques mois, j'ai voulu
aller à la rencontre des citoyens dans les régions, notamment des jeunes. C'est
avec une grande satisfaction, le considérant comme un véritable encouragement,
que j'ai constaté l'intérêt des jeunes pour leur avenir, bien entendu, pour les
problèmes de chômage, de sécurité, de formation, mais aussi, et beaucoup plus
qu'on ne peut l'imaginer quelquefois, pour ces grandes questions fondamentales,
que sont la paix et la stabilité sur notre continent, l'influence de
l'Europe.
Deuxième observation : si nous échouons dans notre entreprise de rénovation de
la PESC, l'Union risque de rester durablement un grand ensemble sans direction
politique, une sorte de grand ensemble « mou » en voie de neutralisation. Le
vide de pouvoir en Europe qui en résulterait serait un risque pour nous,
certes, mais, bien au-delà de nous, pour le monde entier, y compris pour nos
alliés américains.
Troisième observation : de même qu'il a fallu du temps pour parvenir à la
monnaie unique - certains d'entre vous ont rappelé tout à l'heure que le long
processus d'élaboration du système monétaire européen a duré une bonne
quinzaine d'années - il faudra du temps, vous l'avez dit, MM. de Villepin et
Estier, pour parvenir à une PESC digne de ce nom. Il faudra, avec réalisme,
commencer par trois ou quatre actions communes pour lesquelles les Etats
membres partagent un intérêt commun évident : les relations avec notre
voisinage immédiat, surtout dans la perspective de l'élargissement, les
relations avec la Russie, avec les Balkans et, comme vous l'avez souhaité, MM.
de Villepin et Vigouroux, avec la Méditerranée.
Je rejoins donc tout à fait l'opinion que vous avez exprimée les uns et les
autres selon laquelle ces actions communes devraient être concentrées, au moins
au début du processus, sur quelques zones géographiques bien déterminées.
Monsieur Bécart, vous avez tort de confondre la politique étrangère commune,
qui, par définition, ne concernera que ces actions communes sur lesquelles le
Conseil européen se sera préalablement décidé, avec une politique étrangère
unique, que vous redoutez - et vous ne seriez pas le seul dans ce cas - et qui,
par exemple, rendrait impossibles les initiatives françaises au Proche-Orient.
Nous ne souhaitons pas une politique étrangère unique, et personne ne la
souhaite.
Nos propositions institutionnelles partent donc de cette triple constatation
que je viens de faire devant vous : importance de ce sujet pour l'Europe et
pour ses citoyens ; nécessité pour l'Europe de trouver enfin son rang dans le
monde ; obligation de procéder par étapes car la PESC sera une oeuvre de longue
haleine. Ces propositions sont en outre, me semble-t-il, en accord total avec
les idées exprimées par MM. de Villepin et Genton. Elles peuvent être résumées
en six points.
La première proposition part de l'aspect fondamental du rôle d'orientation et
d'impulsion dévolu au Conseil européen. C'est le lieu d'impulsion politique.
C'est en lui que réside la première légitimité de l'Union européenne puisque
c'est en son sein que se trouvent réunis les chefs d'Etat et de
Gouvernement.
Le rôle du Conseil européen doit être explicitement réaffirmé, y compris dans
le domaine de la sécurité et de la défense. A notre sens, le Conseil européen
est appelé à se concentrer sur les grands projets et objectifs de l'Union en
matière de politique étrangère, notamment en décidant des actions communes
d'envergure qui traduisent la politique étrangère de l'Union.
En effet, seul le Conseil européen a la légitimité pour lancer de telles
actions communes pour lesquelles le Conseil, la Commission et les Etats membres
mettront ensuite en commun leurs moyens.
C'est sur ce point que les réticences de nos partenaires sont les plus fortes.
Nous employons toute notre énergie à les convaincre car l'histoire de l'Union
prouve que, si le Conseil européen n'est pas directement impliqué dans la PESC,
celle-ci n'ira pas très loin. Notre insistance sur le rôle du Conseil européen
n'est donc pas dogmatique ; elle est simplement réaliste.
Notre deuxième proposition concerne l'évolution des règles de vote. Le recours
au consensus doit être la règle au Conseil européen, mais des éléments de
souplesse peuvent et doivent être introduits au Conseil : consensus avec
abstention ou expression de réserves ; abstention constructive ; majorité
qualifiée au stade de la mise en oeuvre, à l'exception naturellement des
décisions qui impliqueraient l'engagement de moyens militaires.
Naturellement, pour ce sujet comme pour d'autres, notre position sur la
majorité qualifiée est liée à la repondération des voix.
Comme l'ont dit MM. de Villepin et Genton, nous sommes favorables à
l'utilisation de coopérations renforcées dans le domaine de la PESC. Vous le
savez, un document franco-allemand vient d'être présenté - je vous l'ai
d'ailleurs adressé à l'un et à l'autre aujourd'hui, à l'intention des membres
de la délégation et de la commission - sur l'initiative de M. de Charette et de
M. Klaus Kinkel, sur ce sujet qui est réellement prioritaire aux yeux du
Président de la République et du Chancelier Kohl.
Comme vous l'avez dit, monsieur Vigouroux, nous ne pouvons pas accepter, dans
une Europe à quinze aujourd'hui, à vingt ou vingt-cinq bientôt, que l'Union
européenne tout entière avance au pas du pays le moins pressé.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
J'ajouterai, à propos des coopérations renforcées que
j'ai évoquées à nouveau ce matin avec mon homologue et ami Werner Hoyer à
Bruxelles, qu'elles existent déjà aujourd'hui.
Elles existent dans l'Union. Ainsi, l'Union économique et monétaire constitue
une coopération renforcée au sens où nous l'entendons. Les Quinze se sont
réunis autour de la table pour en décider. Tous n'en feront pas partie au
début, mais tous ont vocation à la rejoindre, et je pense que cela se fera plus
rapidement qu'on ne le croit.
Des coopérations renforcées existent aussi à côté du traité. Ainsi, le
protocole social qui a été approuvé, et que nous souhaiterions inscrire dans le
texte du traité lui-même à l'occasion de la CIG, constitue une coopération
renforcée à quatorze.
Enfin, il existe des coopérations renforcées en dehors du traité : il en est
ainsi de la convention de Schengen.
La véritable question n'est pas de se demander s'il faut ou non des
coopérations renforcées ; nous sommes nombreux à penser que, dans l'Union telle
qu'elle est, avec bientôt vingt-cinq ou vingt-sept pays membres, il y aura de
plus en plus de coopérations renforcées. La seule question qui se pose est de
savoir si l'on veut que les coopérations renforcées aient lieu dans l'Union ou
si l'on prend le risque qu'elles aient lieu en dehors de l'Union. Voulons-nous
être autour de la table pour en discuter ? Sans être directement engagé, chacun
pourra exprimer des réserves. Même s'il s'agit d'une opération de maintien de
la paix, tous seront solidaires, sans que tous soient physiquement et
matériellement engagés.
Le Président de la République ayant une certaine idée de l'avenir et de la
force de l'Union européenne, nous proposons, en liaison avec l'Allemagne, une
méthode pour que les coopérations renforcées trouvent désormais leur place,
avec toute la souplesse nécessaire, au sein de l'Union européenne, et non pas
en dehors de celle-ci.
Troisième point, c'est principalement afin de renforcer encore la cohérence et
la visibilité de l'action extérieure de l'Union européenne que la France a
avancé l'idée de la nomination d'un haut représentant pour la politique
étrangère et de sécurité commune. En se fondant sur les mandats que lui
confieraient le Conseil européen et le Conseil des ministres, cette
personnalité accomplirait plusieurs missions.
La première consisterait à assurer avec la présidence - j'insiste sur ce point
- la représentation extérieure de l'Union européenne en matière de PESC
lorsqu'il en aura reçu mandat. Dois-je rappeler, mesdames, messieurs les
sénateurs, à quel point cette représentation de l'Union européenne à
l'extérieur est actuellement floue et peu efficace compte tenu des fonctions
mal définies de la présidence, qui change tous les six mois, de la « troïka »
et des envoyés spéciaux, qui sont parfois concurrents ?
Je suis allé, voilà quelques semaines, à Chypre pour rencontrer les autorités
de la communauté grecque. Je me suis également rendu dans la partie nord de
l'île - c'était la première fois qu'un ministre français le faisait - afin de
rendre visite à M. Rauf Denktash.
Vous ne mesurez pas, ni moi non plus d'ailleurs avant cette visite, à quel
point l'Union européenne manque de crédibilité, en raison de la dispersion de
son action et du nombre des représentants de plusieurs pays qu'elle envoie tour
à tour, tous les six mois, quand ce n'est pas en même temps. Il faut rompre
avec cette dilution et ce manque de crédibilité. Voilà qui justifie, pour
certaines actions précises, la création, sous l'autorité du Conseil européen
ainsi que du Conseil des ministres, de ce haut représentant.
La seconde mission de cette personnalité consistera à veiller en liaison avec
le Conseil et la Commission, à l'unité et à la cohérence de l'action de
l'Union.
A cette fin, il devra effectuer, toujours en liaison avec le Conseil et la
Commission, la coordination et le suivi de la mise en oeuvre des actions
communes, en particulier lorsque seront utilisés des moyens qui relèveront des
premier et deuxième piliers.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut bien comprendre que le recours à un
haut représentant ne constitue nullement une solution miracle permettant à coup
sûr à l'Union européenne de faire entendre sa voix dans le monde.
Il ne pourra être utile, comme l'ont si bien souligné MM. Genton et de
Villepin, que si, préalablement, le Conseil européen s'est accordé sur quelques
actions communes majeures impliquant à la fois les Etats membres, le Conseil et
la Commission. Mais, si tel est bien le cas, alors le rôle de représentation et
de coordination de ce haut représentant devient absolument nécessaire pour
éviter que les rapports complexes entre les institutions de l'Union et les
Etats membres n'aboutissent à la paralysie et ne transforment ces actions
communes en quelques voeux pieux.
Ainsi, ce n'est pas un hasard si la plus grave crise européenne de
l'après-guerre froide, celle de l'ex-Yougoslavie, a très vite conduit les
Européens à nommer, pour cette action et pour cette zone du continent européen,
un haut représentant en la personne de M. Carl Bildt. Plusieurs acteurs majeurs
de cette crise m'ont ensuite confié à quel point l'existence de ce «
médiateur-coordinateur » leur paraissait indispensable pour gérer ensemble une
grave question de politique étrangère. Ils ont également insisté sur
l'importance, à l'avenir, d'anticiper de telles crises ...
M. François Giacobbi.
Eh oui !
M. Michel Barnier,
ministre délégué...
par une analyse commune et de clarifier à l'avance le
rôle de ce « médiateur-coordinateur ». Tel est le sens dans lequel vont nos
propositions.
A ce propos, je dois dire - M. Estier a fait preuve sur ce point, comme sur
d'autres, de pessimisme, mais peut-être est-ce normal de la part d'un membre de
l'opposition ? - que l'idée même d'un « M. Pesc » a notablement progressé dans
la négociation depuis deux ou trois mois.
Rejetée par presque tous au début, l'idée ne donne maintenant plus matière à
des débats. Le principe d'une représentation extérieure personnalisée est ainsi
accepté, me semble-t-il, par les Quinze.
La seule question qui se pose encore, pour être tout à fait franc, est celle
du statut de cette personnalité. Sa nomination par le Conseil européen, que
nous souhaitons et qui constitue, pour nous, un point essentiel, continue, il
est vrai, à poser problème à certains de nos partenaires.
Quatrième point, la mise en place d'une cellule de planification et d'analyse
composée d'experts issus des Etats membres, ainsi que du secrétariat du
Conseil, de la Commission et de l'UEO, et placée auprès du haut représentant,
celui-ci étant en quelque sorte chargé de l'animer, offrira à ce dernier les
moyens d'analyse, d'information et de prévention nécessaires à l'efficacité de
sa tâche.
Cette cellule devrait faciliter une analyse commune sur les principales
questions d'intérêt commun en obligeant en quelque sorte, dans un même lieu et
au même moment, les diplomates à travailler ensemble, et ce pas seulement dans
l'urgence ou en cas de crise, lorsqu'il est quelquefois trop tard, mais
quotidiennement.
Voilà pourquoi, monsieur de Villepin - et vous vous êtes, sur ce point,
exprimé avec le plus de véhémence - il faudra du temps, peut-être une quinzaine
d'années pour aboutir à des positions communes sur le Moyen-Orient, qui est un
dossier très délicat.
Il faudra, je le répète, commencer par instituer un lieu où nos diplomates
analyseront ensemble les problèmes, afin de parvenir à des positions communes.
Il ne s'agit donc pas, contrairement aux craintes qui ont été exprimées par
certains, de gommer ou d'ignorer les traditions nationales ou les compétences
de chaque pays ; il faudrait les additionner pour quelques actions communes,
j'insiste sur ce point, en réunissant les diplomates dans un même lieu pour
leur permettre d'imaginer une politique commune.
Les Français et les Allemands s'y efforcent, comme en témoigne la réunion très
réussie voilà quelques jours à Berlin, en présence de MM. Klaus Kinkel et Hervé
de Charette, des ambassadeurs de nos deux pays en Europe centrale et
orientale.
Mon collègue allemand Werner Hoyer et moi-même avons aussi effectué une visite
commune officielle - c'était la première fois depuis quarante ans - en
Slovaquie. Nous avons eu les mêmes contacts - nous avons reçu ensemble à
Bratislava les communautés française et allemande - et les mêmes dossiers. Ce
fut très intéressant de demander au Quai d'Orsay et au ministère allemand des
affaires étrangères d'élaborer ensemble un dossier incluant des éléments de
langage communs.
Cette petite expérience a bien mis en évidence le profit que pourraient tirer
nos administrations d'un travail en commun quotidien si elles en avaient
l'habitude, voire l'obligation.
Cette cellule de planification et d'analyse, nous en sommes persuadés, sera
donc utile. Elle devrait concentrer son travail, pour être plus efficace, sur
les domaines couverts par les actions communes. Ce point fait l'objet d'un
quasi-consensus au sein de la Conférence intergouvernementale.
Nous sommes, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, très
attachés au renforcement de la cohérence de l'action extérieure de l'Union qui
suppose que l'ensemble des moyens, tant nationaux que communautaires, dont
dispose celle-ci puissent être sollicités pour soutenir des actions communes
décidées par le Conseil européen. A cet égard, il importe que la Commission
soit engagée par les actions communes décidées et qu'elle soit tenue, par
conséquent, de présenter des propositions au Conseil.
L'importance de cette question de la cohérence n'est niée par aucun de nos
partenaires. Il ne peut y avoir de politique étrangère de l'Union si, sur les
sujet majeurs reconnus comme présentant un intérêt commun réel, le Conseil, la
Commission et les Etats membres mènent des politiques parallèles, voire
concurrentes. Or, c'est bien ce qui se produit actuellement, et c'est le drame,
qui frôle parfois le ridicule, de l'action extérieure de l'Union. Tant que
cette situation durera, la PESC n'aura de politique commune que le nom. C'est
pourquoi il est nécessaire d'identifier les quelques sujets majeurs pour
lesquels une action cohérente de l'Union et des Etats membres doit être menée.
Telles seront les actions communes de l'avenir.
La cohérence de l'action extérieure de l'Union européenne est ainsi l'argument
principal de nos propositions sur le rôle du Conseil européen - je rappelle que
les Etats membres y sont représentés au plus haut niveau et que le président de
la Commission en est membre - ainsi que sur le haut représentant.
Dans le domaine de la sécurité et de la défense, enfin, il revient aux
Européens d'affirmer, au sein de l'Union européenne, une volonté commune. Il
importe donc de s'engager dans la voie de la définition d'une politique
européenne de défense commune. Le renforcement de l'UEO en tant qu'instrument
militaire de l'Union et pilier européen de l'Alliance, ainsi que le
resserrement des liens institutionnels avec l'Union et des liens opérationnels
avec l'OTAN, constituent nos priorités.
Je ne peux pas, monsieur Estier- et je m'adresse à vous avec beaucoup de
respect - vous laisser dire qu'il s'agirait là d'une « reculade » de la part de
la France. Au contraire, tous ceux qui observent objectivement l'action et
l'engagement du chef de l'Etat reconnaissent la vision d'avenir qui l'anime et
le courage de ses positions. Il n'y a dans notre attitude - et il devrait en
être de même pour vous - ni incantation ni repli frileux.
Comment, mesdames, messieurs les sénateurs, peut-on construire une identité
européenne de défense sans les autres Européens ? Nous ne pouvons le faire seul
! Il en va de l'identité européenne de défense que nous voulons construire -
tel était l'engagement de la France lors de la réunion de Berlin qui a été un
succès - comme de tous les autres sujets que je viens d'évoquer trop
rapidement.
Nous ne pourrons pas contraindre, monsieur Estier. Nous devons convaincre et
entraîner.
Par ailleurs - et je vous le dis avec le même respect et la même estime - le
parti socialiste ne doit pas être à ce point conservateur...
M. Guy Allouche.
Ce serait étonnant !
M. Michel Barnier,
ministre délégué.
... en s'opposant au volontarisme, à l'esprit de
réforme qui anime le Président de la République.
Le chef de l'Etat a raison : ouvrez les yeux et vous verrez à quel point la
société et le monde changent en ce moment.
J'ai entendu, voilà quelques jours, un philosophe évoquer les progrès de la
démocratie dans le monde depuis la chute du Mur de Berlin et le démantèlement
du Rideau de fer.
Voyez le nombre de pays de l'Est qui se sont libérés du joug soviétique et qui
sont revenus, après une trop longue parenthèse, à la démocratie. Mais le même
mouvement s'est aussi produit en Amérique du Sud. Ces pays qui vivaient, voilà
quelques années, sous la dictature et qui étaient en butte aux guérillas sont
quasiment tous revenus durablement, semble-t-il, sur la voie de la
démocratie.
En réalité, le monde, la société évoluent vite. Nous conserverons notre
influence en gardant notre capacité d'initiative et en restant fidèle à nos
convictions anciennes.
C'est donc dans cet esprit que nous travaillons au sein de l'OTAN pour faire
émerger cette identité européenne de défense.
Dans cet esprit, la réunion ministérielle de Berlin en juin dernier a permis
de réaliser des progrès importants en définissant les principes qui devraient
permettre - j'emploie le conditionnel - de faire une juste place à l'identité
européenne au sein des structures rénovées de l'OTAN, même s'il est bien clair
que cette identité européenne de défense ne se résume pas à cette
institution.
Certes, des points importants restent à régler, mais les négociations sur ce
sujet se poursuivent de manière constructive et la France entend bien continuer
d'y participer pleinement. Les décisions de Berlin doivent ainsi permettre,
notamment à l'UEO, de disposer de moyens opérationnels importants. Mais, dans
le même temps, l'UEO doit être dotée de moyens opérationnels propres en matière
d'aide à la décision et de conduite politico-militaire d'une opération.
A cet égard, je vous remercie, monsieur About, d'avoir rappelé le caractère
stratégique de l'Agence européenne d'armement que nous bâtissons. Sur ce point
comme sur de nombreux autres, la coopération franco-allemande fonctionne et je
peux témoigner qu'elle a un effet d'entraînement très utile.
Il faut aussi que l'Union européenne et, en particulier, le Conseil européen
soient plus à même de jouer leur rôle de direction politique pour la défense
européenne. Pour cela, il convient de procéder au rapprochement institutionnel
progressif de l'Union européenne et de l'UEO. L'intégration dans le traité des
objectifs de Petersberg - opérations humanitaires, maintien et rétablissement
de la paix, évacuation des ressortissants - constituerait également un pas dans
la bonne direction.
Sur cette question de l'intégration des objectifs de Petersberg, comme sur
quelques autres, les Quinze se rapprochent, me semble-t-il, d'un accord.
Enfin, il faut renforcer explicitement dans le traité le rôle d'orientation du
Conseil européen en matière de défense et, bien sûr, ne plus considérer la
politique de défense commune comme un objectif à atteindre seulement « à terme
» : c'est ce qui est écrit dans le traité et qui ne nous convient plus.
Sur toutes ces questions de sécurité et de défense, nous sommes loin du
consensus, même si nous avons fait des progrès. Les réticences de certains de
nos partenaires sont fortes à l'égard de tout progrès dans le cadre de l'Union
européenne. Des signes encourageants existent néanmoins, en particulier parce
que les pays dits neutres, ou plutôt, comme ils disent eux-mêmes, les pays qui
ne se reconnaissent pas comme associés à une alliance militaire - ces pays sont
au nombre de quatre dans l'Union européenne - ne cachent pas leur intérêt
croissant pour cette question, et parce que Allemands et Français ne veulent
pas que ce sujet essentiel pour l'Europe soit un élément mineur de la CIG.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse du Gouvernement,
aujourd'hui, à la question posée par la Haute Assemblée. La France a, dès le
début, considéré la politique étrangère et de sécurité commune comme un élément
essentiel de la réforme des institutions de l'Union européenne. Tout n'est pas
gagné, loin de là. Mais nous avons la satisfaction de voir que cette question
est désormais au centre de la CIG et que beaucoup de nos partenaires en
comprennent maintenant l'importance pour l'Europe du XXIe siècle.
Si l'Europe devait continuer son évolution vers une sorte de « grand ensemble
froid et mou », en voie de neutralisation, c'est aussi la France et son
influence dans le monde qui en souffriraient. Il n'est donc pas étonnant de
voir la France à la tête du combat pour une politique étrangère et de sécurité
commune digne de ce nom et il est encourageant de constater que nos idées
progressent.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué, et c'était bien légitime, ce qui allait
arriver au terme de cet exercice de négociations qu'est la Conférence
intergouvernementale. Je conclurai mon propos sur cette question, en disant
peut-être quelques mots plus personnels.
Bien sûr, nous avons besoin de votre vigilance, de vos idées, de votre
compréhension et je sais que nous n'en manquerons jamais au Sénat, quelle que
soit la diversité des opinions qui s'expriment sur ces travées. Mais n'oubliez
jamais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il s'agit d'une négociation que
nous devrons conclure à quinze, c'est-à-dire à l'unanimité.
Il importe donc d'accepter la règle du jeu selon laquelle chacun disposera
d'un droit de veto, s'estimera en droit d'apporter sa contribution et, par
conséquent, se sentira en communion avec le résultat final. Nous ne pouvons
procéder ni en humiliant, ni en imposant, ni en ignorant les autres pays.
C'est parce que nous sommes convaincus de la justesse et de la force de nos
idées que nous voulons non pas contraindre, mais convaincre, avec de
l'enthousiasme, de l'énergie, certains diront peut-être avec un peu d'utopie.
Peu importe ! Il en a souvent fallu de l'utopie aux bâtisseurs de l'Union
européenne ! C'est, en effet, une construction qui se réalise pas à pas.
L'essentiel est que la négociation progresse et que l'Europe avance.
Monsieur de La Malène, vous me demandez de confirmer ce que j'ai dit l'autre
jour devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées : nous nous attacherons, en effet, à obtenir satisfaction sur les points
politiques essentiels. La France ne donnera pas son accord à un résultat
médiocre, qui représenterait une sorte de plus petit dénominateur commun ou de
filet d'eau tiède.
Dans l'intérêt à la fois de notre pays, de l'Union européenne et des pays qui
vont nous rejoindre, nous voulons obtenir des résultats substantiels sur les
grands sujets politiques, dont la PESC constitue l'un des points majeurs.
Ce succès, nous le préparons, car il ne tombera pas du ciel. Ce ne sont pas
les autres qui nous l'apporteront sur un plateau. Il faut nous battre pour
convaincre.
Je n'ai pas évoqué tous les sujets de cette négociation. Sur certains d'entre
eux, nous avons besoin du Parlement plus que vous ne le pensez. Je pense
notamment à l'association des parlements nationaux dans la réforme des
institutions européennes. Là aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous
pouvez et vous devez nous aider à convaincre les autres pays.
Je sais bien qu'interviendront d'autres adaptations institutionnelles de
l'Union européenne au xxie siècle. Nous avons déjà assisté à de nombreuses
modifications. Il y en aura encore beaucoup d'autres. Jamais plus - je pèse mes
mots - une telle opportunité ne se présentera pour réaliser une réforme en
profondeur. En effet, jamais plus nous ne serons confrontés à la chance et à
l'exigence que représente le grand élargissement : douze pays ont été reconnus
dans leur vocation à adhérer à l'Union européenne.
Par conséquent, la France a décidé de bien mesurer cette exigence et de ne pas
laisser passer cette chance.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Le débat est clos.
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