PLACEMENT
SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 3,
1996-1997) de M. Georges Othily, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 400, 1995-1996) de M.
Guy Cabanel relative au placement sous surveillance électronique pour
l'exécution de certaines peines.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Georges Othily,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce n'est pas la
première fois que nous débattons du placement sous surveillance électronique au
sein de notre assemblée.
Nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises en commission des lois,
notamment à l'occasion de communications de notre collègue M. Guy Cabanel, qui
nous a fait part des enseignements concluants tirés des expériences
étrangères.
Nous en avons parlé également en séance publique lors de la dernière
discussion budgétaire, mais aussi - vous vous en souvenez certainement - à
l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la détention provisoire.
Les modalités techniques du placement sous surveillance électronique avaient
alors été largement décrites et je ne crois pas utile d'y revenir dans le
détail.
Je rappelle simplement qu'il s'agit d'éviter l'incarcération d'une personne ou
de permettre sa libération en posant un bracelet électronique à son poignet ou
à sa cheville. Lorsque la personne s'éloigne de plus d'une certaine distance -
une quarantaine de mètres - de son lieu d'assignation, sa ligne téléphonique
émet un signal pour avertir la personne chargée de la surveillance.
Au mois de mai dernier, le Sénat avait, à une très large majorité, estimé que
ce dispositif pouvait être utilement appliqué à des prévenus faisant l'objet
d'un mandat de dépôt, c'est-à-dire placés ou sur le point d'être placés en
détention provisoire.
L'Assemblée nationale, tout en approuvant le principe du placement sous
surveillance électronique comme substitut à l'incarcération, a jugé quelque peu
prématuré, vous le savez, de l'appliquer à des prévenus.
En revanche, plusieurs députés ont appelé de leurs voeux l'application du
placement sous surveillance électronique aux personnes condamnées à de courtes
peines d'emprisonnement ou en fin d'exécution de peines.
Lors de la discussion du projet de loi relatif à la détention provisoire,
plusieurs d'entre nous avaient, ici même, considéré que la surveillance
électronique offrirait le plus d'utilité par son application à des personnes
condamnées.
Tel fut notamment le cas de notre collègue M. Cabanel, qui avait alors annoncé
son intention de déposer au plus tôt une proposition de loi prévoyant le
placement sous surveillance électronique pour l'exécution de certaines peines.
La commission des lois a réservé le meilleur accueil à ce texte.
Sur le plan des principes, le placement sous surveillance électronique
présente, en effet, trois avantages essentiels.
Le premier avantage, et sans doute le principal, est qu'il constitue un
instrument efficace de réinsertion. Il permet aux petits délinquants d'éviter,
pour une courte peine, le contact avec le milieu carcéral, avec toutes les
conséquences qui en résultent : traumatisme de l'incarcération, rupture des
liens familiaux, perte d'un emploi. Pour les délinquants en fin de peine, le
placement sous surveillance électronique assure une préparation progressive à
la libération définitive.
Le deuxième avantage du placement sous surveillance électronique, quoique
difficilement mesurable, concerne la diminution de la surpopulation carcérale.
Je vous rappelle que, malgré les grâces collectives intervenues chaque 14
juillet et les lois d'amnistie votées après chaque élection présidentielle, la
population carcérale ne cesse de croître : elle atteint 52 658 personnes en
métropole au 1er juillet dernier pour 47 365 places, soit un taux d'occupation
de 111 p. 100.
Mon rapport écrit comporte un tableau qui permet d'évaluer à 17 600 le nombre
de bénéficiaires - bien entendu potentiels - du placement sous surveillance
électronique si, comme vous le propose la commission, cette mesure concernait
les personnes condamnées à un an d'emprisonnement au plus ou ayant un reliquat
de peine à accomplir inférieur à une année.
Le troisième avantage attendu du placement sous surveillance électronique a
trait au coût de prise en charge nettement inférieur à celui d'une place de
prison.
Certains objecteront que, quels que soient ses avantages potentiels, la
surveillance électronique constitue une atteinte à la dignité humaine, la
négation de la vie privée, bref, un procédé d'Etat totalitaire à la George
Orwell.
Il serait aisé de leur répondre que la dignité humaine et le respect de la vie
privée, auxquels nous sommes, bien entendu, viscéralement attachés, loin de
condamner le placement sous surveillance électronique, doivent au contraire
nous conduire à tout faire pour éviter l'incarcération.
Mais je souhaiterais aller au-delà de cette affirmation de principe et décrire
rapidement le dispositif que vous propose la commission des lois et qui me
paraît de nature à répondre aux éventuelles inquiétudes.
En premier lieu, le placement sous surveillance électronique supposerait le
consentement du condamné et ce consentement devrait être donné en présence d'un
avocat, que celui-ci soit choisi par l'intéressé ou désigné par le
bâtonnier.
La commission est profondément attachée à cette présence obligatoire d'un
avocat. En effet, elle a pleinement conscience qu'une personne incarcérée est
prête à tout accepter pour sortir de prison, sans en mesurer forcément toutes
les conséquences. Il est donc à ses yeux essentiel qu'un avocat lui dise à quoi
elle s'engage en acceptant le placement sous surveillance électronique.
En deuxième lieu, le placement sous surveillance électronique est limité dans
le temps et dans l'espace.
Comme je l'ai déjà dit lors du débat sur la détention provisoire, le placement
sous surveillance électronique n'est pas une version moderne de la lettre
écarlate marquant de manière permanente son porteur du sceau de l'infâmie.
C'est un dispositif discret et qui ne s'applique qu'à certaines périodes. Ces
périodes seront fixées par le juge de l'application des peines en fonction des
nécessités liées à la vie familiale du condamné, à son activité professionnelle
ou au suivi d'un traitement médical, d'une formation ou d'un enseignement.
Par ailleurs, comme c'est précisé dans le texte de la commission des lois, le
placement sous surveillance électronique ne doit pas permettre de suivre à la
trace le condamné. J'insiste sur ce point, car certaines personnes que j'ai
auditionnées croyaient que le bracelet électronique était une balise Argos
permettant de savoir à tout instant où se trouve la personne. C'est une erreur
: il permet seulement de savoir si la personne est bien sur son lieu
d'assignation et aucunement de savoir en quel autre lieu elle peut être si elle
ne respecte pas ses obligations.
En troisième lieu, le condamné devrait consentir aux modifications des
conditions d'exécution du placement sous surveillance électronique et pourrait
à tout moment demander la révocation de cette mesure. Certes, la révocation
devrait entraîner le retour en prison de l'intéressé, mais le temps passé sous
surveillance électronique serait décompté de la peine restant à accomplir.
J'ajoute que le condamné ne sera pas dépourvu face à une décision de
révocation. Cette décision ne pourra être prise que si le condamné se soustrait
à ses obligations, s'il la demande ou s'il refuse une modification nécessaire
des conditions d'exécution. Mais, surtout - il s'agit d'une innovation en
matière d'exécution des peines - le condamné pourra, tout comme le procureur de
la République, déférer une décision de révocation au tribunal correctionnel. Ce
recours du condamné ne sera cependant pas suspensif car, s'il y a révocation,
c'est que le juge de l'application des peines estime qu'il y a eu
méconnaissance par le condamné d'une règle du jeu essentielle.
Enfin, le dispositif proposé par la commission prévoit un accompagnement
socio-éducatif du condamné qui prendra la forme de mesures d'aide et de
contrôle décidées par le juge de l'application des peines.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
j'espère avoir démontré que, par ces modalités, le placement sous surveillance
électronique, loin d'offrir une nouvelle forme de l'oeil de
Big Brother
,
représentera l'application à des fins humaines d'un procédé moderne. J'espère
également que vous réserverez le meilleur accueil aux conclusions de la
commission des lois.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, avec l'examen de la proposition de loi de M.
Cabanel, que vient de présenter d'une manière excellente et claire M. Othily,
rapporteur, nous abordons une question d'une importance tout à fait
exceptionnelle pour le droit pénal. En effet, il s'agit non pas, comme le
législateur le fait fréquemment dans notre pays depuis une trentaine d'années,
d'instituer une nouvelle mesure alternative à la peine privative de liberté,
mais bien de créer une nouvelle modalité d'exécution de cette peine que nous
avons, jusqu'à aujourd'hui, toujours assimilée, en droit comme en pratique, à
l'emprisonnement.
Cette situation remonte, bien entendu, aux grands principes de la Révolution
française, qui a consacré la liberté comme principe fondateur de notre
organisation sociale et politique et qui a donné à la privation de liberté une
place centrale dans l'échelle des sanctions pénales.
Depuis deux siècles, l'emprisonnement constitue la pierre angulaire de notre
système répressif.
Mais la société a, dans le même temps, pris conscience des imperfections qui
résultent de cette sanction, notamment de ses effets toujours désocialisants et
parfois corrupteurs.
Aussi plusieurs réformes sont-elles intervenues pour porter remède à cette
situation, depuis l'institution du sursis avec mise à l'épreuve jusqu'à la
multiplication des peines alternatives à la détention.
Il n'en demeure pas moins que la prison reste dans les esprits, sinon dans la
loi, la peine de référence.
Cette situation, à l'aube du troisième millénaire, ne me paraît plus
acceptable. Il faut, en cette matière, comme en d'autres, faire preuve
d'imagination et d'audace.
Toutefois, le droit pénal, parce qu'il touche aux libertés fondamentales de la
personne, ne peut être infléchi aussi fortement sans une réflexion préalable ;
en cette matière plus qu'en toute autre, il ne faut modifier les lois qu'avec
circonspection.
Or, précisément, la présente proposition de loi répond totalement à ces deux
exigences : tout en apportant un véritable bouleversement dans notre système
répressif - on peut, je crois, parler de « révolution » - elle trouve ses
racines dans une réflexion ancienne et approfondie.
Le placement sous surveillance électronique est, en effet, préconisé depuis de
longues années. Il ne s'agit pas d'une idée improvisée.
Ce procédé est utilisé ou expérimenté, parfois depuis près de vingt ans, par
beaucoup d'autres Etats. Il a été évoqué par de nombreuses personnalités, comme
M. Gilbert Bonnemaison dans un rapport de 1989 sur la modernisation du service
public pénitentiaire. Il a fait l'objet, comme l'a rappelé le rapporteur M.
Othily, d'une appréciation positive dans un rapport de la commission des lois
du Sénat, conduite par son président M. Jacques Larché, lors d'une mission qui
eut lieu en 1994 au Canada. Enfin - et c'est l'origine des réflexions qui ont
conduit à la présente proposition de loi - il a été préconisé par le rapport
intitulé :
Pour une meilleure prévention de la récidive,
qui avait été
commandé par M. Balladur à M. Cabanel et que celui-ci a remis à M. Juppé en
juin dernier. Depuis, j'ai longuement parlé de ce rapport avec M. Cabanel.
A la suite de ce rapport, qui suggérait le recours au placement sous
surveillance électronique en lieu et place de l'incarcération, M. Cabanel a
déposé la présente proposition de loi, qui prévoit un dispositif juridique,
complet et détaillé, permettant la mise en oeuvre de cette nouvelle mesure.
Nous avons d'ailleurs ici même débattu de l'application du placement sous
surveillance électronique à la détention provisoire.
Comme l'a rappelé M. Othily, une position de principe a également été prise
sur ce point voilà quinze jours à l'Assemblée nationale, lors de l'examen du
projet de loi relatif à la détention provisoire.
Je suis personnellement très attaché à l'institution du placement sous
surveillance électronique, comme j'ai eu l'occasion de le préciser dans cette
enceinte en mai dernier lorsque le Sénat a examiné ce texte.
Je ne révélerai pas un secret en disant que, à ma demande et depuis le dépôt
du rapport de M. Cabanel, la Chancellerie travaillait de son côté,
parallèlement à votre commission, sur des dispositions visant à instituer cette
nouvelle mesure. Je suis donc bien évidemment extrêmement favorable à la
présente proposition de loi, qui rejoint très exactement les préoccupations qui
sont les miennes depuis longtemps.
Je voudrais donc vous faire connaître la position du Gouvernement sur la
présente proposition de loi en examinant successivement le principe de la
mesure, son champ d'application et ses modalités de mise en oeuvre.
Dans son principe, le placement sous surveillance électronique, non comme
alternative à l'emprisonnement mais comme nouvelle modalité de celui-ci, me
paraît une excellente solution pour trois raisons.
D'abord, pour le condamné lui-même, il constitue un évident progrès, puisque,
au lieu d'être enfermé entre les quatre murs d'une prison, celui-ci se verra
privé de sa liberté à son domicile ou dans tout lieu désigné par le juge de
l'application des peines.
Ainsi se trouveront considérablement réduits les effets désocialisants de
l'emprisonnement, tels que la rupture des liens familiaux ou professionnels ;
de même seront écartés les inconvénients, humainement si pénibles, de la
promiscuité que l'encombrement des établissements pénitentiaires engendre
inévitablement.
Ces simples considérations montrent, si besoin en est, que cette mesure n'est
pas, comme certains le prétendent, attentatoire à la dignité de la personne ;
et elle l'est d'autant moins que le recours à ce dispositif sera soumis à
l'accord de l'intéressé.
Cette exigence de consentement - M. Othily a justement insisté sur ce point -
a d'ailleurs été renforcée par les dispositions adoptées par la commission des
lois du Sénat sur l'initiative de son rapporteur, en prévoyant notamment la
présence obligatoire d'un avocat, choisi ou désigné. C'est selon moi,
indiscutablement, un des points majeurs de la discussion d'aujourd'hui, un
point sur lequel il convient de mettre la lumière. Il s'agit, en effet, d'une
disposition excellente et indispensable.
Le placement sous surveillance électronique est également satisfaisant pour la
collectivité, car il assure le contrôle effectif et véritable de la personne
concernée. A ce titre, il se différencie très nettement des mesures
alternatives à la détention en offrant une véritable crédibilité du point de
vue de la sécurité et de la répression.
Enfin, il offre un intérêt dans la gestion du parc pénitentiaire, au regard du
douloureux problème de la surpopulation carcérale.
De ce point de vue, en effet, le placement sous surveillance électronique peut
également apporter une réponse satisfaisante. Il est de nature à diminuer le
nombre d'entrants en prison, qui est d'environ 80 000 par an. Il est aussi de
nature à permettre une libération plus rapide des personnes qui ont été
incarcérées, puisque, ainsi que nous le verrons, le placement sous surveillance
électronique permettrait en fin de peine de libérer un certain nombre de
personnes qui, autrement, devraient demeurer en prison.
J'en viens maintenant au champ d'application du placement sous surveillance
électronique, en particulier à l'application de cette mesure soit en fin de
peine, soit comme alternative à l'emprisonnement.
Le domaine d'application du placement sous surveillance électronique, dont je
viens de démontrer les trois avantages, a, vous le savez, déjà fait l'objet
d'un débat devant le Parlement, lorsque nous avons examiné, au mois de juin
dernier, le projet de loi relatif à la détention provisoire.
Une première question était en effet de savoir si cette mesure devait être
réservée aux seuls condamnés, ou si elle pouvait également s'appliquer aux
personnes mises en examen et susceptibles d'être placées en détention
provisoire.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la détention provisoire, le Sénat
avait complété le texte du Gouvernement par des dispositions prévoyant le
placement sous surveillance électronique comme substitut à la détention
provisoire, et, vous vous en souvenez, j'avais à l'époque donné mon accord à
cette proposition.
Voilà quinze jours, l'Assemblée nationale a supprimé ces dispositions en
estimant que, dans un premier temps, il était préférable de ne prévoir cette
mesure que dans le cadre de l'exécution des peines prononcées.
A la réflexion, je crois effectivement que, dans un premier temps, cette
solution est la plus sage, surtout s'il est envisagé, comme le fait la
proposition de loi de M. Cabanel, de limiter cette mesure aux peines
d'emprisonnement ferme déjà prononcées.
Je tiens à dire à quel point cette condition me paraît essentielle, car c'est
elle qui permet d'inscrire la mesure dans ce que je considère être son principe
même, à savoir une modalité d'exécution de la peine d'emprisonnement, et non
une alternative à la détention.
En effet, dans une telle hypothèse, il n'est pas possible de craindre - si
cette crainte est légitime - que le placement sous surveillance électronique ne
soit prononcé contre des personnes qui, si une telle mesure n'avait pas existé,
seraient restées libres.
Il ne faut pas, pour reprendre une expression employée à propos du contrôle
judiciaire, que le placement sous surveillance électronique « morde sur la
liberté », alors qu'il est conçu pour « mordre sur la détention » en se
substituant à l'emprisonnement.
Demeure alors, s'agissant du champ d'application, une seconde question :
quelles peines d'emprisonnement ?
Le texte adopté par la commission des lois du Sénat diffère sensiblement de
celui de la proposition de loi initiale, car il prévoit que le placement sous
surveillance électronique peut être ordonné pour les peines dont la durée
n'excède pas un an, ou lorsqu'il reste au condamné moins d'un an de privation
de liberté à accomplir. La proposition de loi de M. Cabanel prévoyait un seuil
de trois mois.
Je pense que ce seuil était effectivement trop bas. Peut-on maintenant
considérer que celui d'un an est trop élevé ? Je ne le pense pas, car, dans sa
philosophie, le placement sous surveillance électronique s'apparente en partie
à la semi-liberté, qui est dans un certain nombre de cas conditionnée par ce
même seuil ; on peut donc par analogie retenir ce seuil.
C'est du reste la raison pour laquelle je crois que le placement sous
surveillance électronique doit également pouvoir être prononcé à titre
probatoire de la libération conditionnelle.
En effet, dans l'hypothèse où il serait envisagé de faire bénéficier une
personne condamnée à cinq ans d'emprisonnement d'une libération conditionnelle
après trois ans de détention, le placement sous surveillance électronique ne
pourrait être ordonné en application des dispositions adoptées par la
commission des lois du Sénat, puisqu'il resterait alors au condamné deux ans -
c'est-à-dire, plus d'un an - à subir. Une telle impossibilité me semble
regrettable.
Il est donc nécessaire de prévoir expressément, comme le fait l'article 723-1
du code de procédure pénale pour la semi-liberté, que le placement sous
surveillance électronique peut être ordonné, à titre probatoire, un an avant
une libération conditionnelle.
Ainsi, dans l'exemple des cinq ans, que je viens d'évoquer, après au moins
deux ans de détention - par exemple après deux ans et demi - la personne
pourrait être placée pendant six mois sous surveillance électronique, et faire,
à l'issue, l'objet d'une libération conditionnelle, si elle a respecté les
obligations du placement sous surveillance électronique.
J'ai donc déposé un amendement en ce sens, et je demanderai au Sénat de le
retenir.
J'en viens, enfin, à la question des modalités d'application de la mesure.
Je ne décrirai pas dans le détail le procédé de surveillance, car cela a déjà
été fait, de façon claire et exhaustive, par M. le rapporteur, notamment dans
son rapport écrit, ainsi que par M. Cabanel en commission des lois.
Je souhaite simplement dire que je suis pleinement d'accord avec le mécanisme
mis en place par la commission, mécanisme qui donne un rôle central au juge de
l'application des peines, puisque c'est ce dernier qui, seul, ordonne le
placement sous surveillance électronique et qui peut également le révoquer.
Ce choix est en parfaite conformité avec la volonté de faire du placement sous
surveillance électronique une modalité de l'exécution de la peine
d'emprisonnement, et non une peine alternative à ce même emprisonnement.
J'ai toutefois déposé plusieurs amendements pour améliorer la cohérence et
l'efficacité du dispositif.
Un premier amendement prévoit que la mesure de placement sous surveillance
électronique doit, comme la mesure d'emprisonnement, pouvoir être suspendue ou
fractionnée pour des motifs d'ordre médical, familial, professionnel ou social,
conformément aux dispositions de l'article 720-1 du code de procédure
pénale.
Un deuxième amendement prévoit que le placement sous surveillance électronique
doit être soumis aux conditions de l'article 722, qui exige une expertise
psychiatrique préalable des criminels et délinquants sexuels, avant qu'ils ne
fassent l'objet d'une mesure d'aménagement de leur peine entraînant leur mise
en liberté.
Un troisième amendement, enfin, prévoit que le décret d'application des
nouveaux textes - car il est évident que ces dispositions devront faire l'objet
d'un décret d'application avant de pouvoir être mises en oeuvre - devra fixer
les conditions d'agrément des personnes morales de droit privé qui pourront
être habilitées à procéder à l'exploitation et à la maintenance du dispositif
technique permettant le contrôle à distance.
En effet, si les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire doivent être
chargés du contrôle à distance du condamné, comme le prévoit la proposition de
loi, il est nécessaire que l'exploitation et la maintenance du dispositif
technique de contrôle puissent être confiées à des sociétés privées habilitées,
dans des conditions qui seront fixées par décret en Conseil d'Etat.
Je terminerai mes observations sur les modalités pratiques de mise en oeuvre
du placement sous surveillance électronique par une dernière précision, qui me
paraît importante : le texte proposé par la commission des lois du Sénat ne
limite en rien le choix du Gouvernement quant à la nature du dispositif
technique de surveillance. S'il pourra s'agir d'un bracelet électronique, comme
cela se pratique dans la plupart des pays étrangers, rien n'interdira de
réfléchir à d'autres systèmes, tel celui de la reconnaissance vocale, par
exemple.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de suivre
l'avis de la commission, en adoptant la proposition de loi présentée par M.
Cabanel et complétée par les amendements du Gouvernement dont je viens de vous
faire part rapidement.
La mise en place de cette nouvelle modalité d'exécution de la peine privative
de liberté demandera, à coup sûr, une sorte de changement des mentalités. Elle
porte cependant en germe les modifications futures, qui permettront - j'en suis
persuadé - d'améliorer notre système répressif, en offrant à l'institution
judiciaire des réponses plus justes et plus efficaces à la délinquance.
L'un des chapitres de l'ouvrage que j'ai publié en 1984 - voilà donc
maintenant douze ans - portait le titre suivant : « Il n'y a pas que la prison
». Je reste cohérent avec moi-même, et je crois qu'il s'agit de plus en plus
d'une idée force de notre droit pénal et de notre procédure pénale. Il faut peu
à peu faire entrer dans le droit et dans les faits cette vérité : il n'y a pas
que la prison pour punir.
En mettant fin à l'équation « privation de liberté égale prison », le
placement sous surveillance électronique, constitue une peine pour l'an 2000.
C'est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de
l'inscrire dès aujourd'hui dans notre loi. Vous ferez considérablement avancer
dans notre pays la justice et les droits de l'homme.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en
1995, notre collègue Guy Cabanel, parlementaire en mission auprès du garde des
sceaux, avait remis au Premier ministre de l'époque, M. Edouard Balladur, un
rapport intitulé :
Pour une meilleure prévention de la récidive
.
En effet, depuis le milieu des années soixante-dix, les gouvernement
successifs, le Parlement et l'autorité juridiciaire se sont efforcés d'assurer
une prise en charge de la population pénale de nature à limiter le risque de
récidive.
Partant du postulat que le placement en détention provisoire pouvait avoir,
surtout sur les petits délinquants, des conséquences criminogènes, une
politique d'alternative à l'incarcération s'est développée afin d'éviter les
risques de désociabilisation liés à la perte d'un emploi ou à la rupture des
liens familiaux.
Le rapport de notre collègue Guy Cabanel présentait une nouvelle réflexion sur
ce sujet, assortie d'un certain nombre de propositions. L'une des vingt
propositions contenues dans ce document constituait une véritable innovation :
il était en effet suggéré l'application du placement sous surveillance
électronique en lieu et place de l'incarcération, notamment pour les courtes
peines et les fins de peine.
Faisant suite à ce rapport, notre collègue Guy Cabanel a déposé la proposition
de loi que nous examinons aujourd'hui.
Le placement sous surveillance électronique, progressivement consacré depuis
une vingtaine d'années dans de nombreux pays comme les Etats-Unis, la Suède, le
Canada, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne, avait déjà été évoqué par Gilbert
Bonnemaison, en 1989, dans un rapport sur la modernisation du service public de
la justice. Notre assemblée l'a, par ailleurs, consacré lors de l'examen du
projet de loi relatif à la détention provisoire pour des personnes ayant fait
l'objet d'un mandat de dépôt.
L'Assemblée nationale n'a pas souhaité reprendre à son compte cette
disposition, sans toutefois en faire une opposition de principe. Elle a, en
effet, adopté un amendement modifiant le rapport annexé à la loi de programme
du 6 janvier 1996 relative à la justice, afin d'y faire mention du placement
sous surveillance électronique de sorte que le Gouvernement entame une
réflexion sur ce sujet.
Si la surveillance électronique comme alternative à la détention provisoire
présente un certain nombre d'inconvénients que notre collègue Guy Cabanel avait
d'ailleurs soulignés dans son rapport, c'est appliquée aux courtes peines et
aux fins de peines qu'elle sera incontestablement le plus efficace.
En effet, pour les courtes peines, le placement sous surveillance électronique
évitera de couper le condamné de sa famille et de son environnement social ; il
lui permettra de poursuivre son activité professionnelle ou de recevoir un
traitement médical.
S'agissant des fins de peine, le placement sous surveillance électronique
offrira au condamné la possibilité de revenir moins brutalement à une vie
sociale, familiale et professionnelle, ce qui aura pour conséquence certaine de
favoriser sa réinsertion.
Dans les deux cas, ce système présentera des avantages financiers
substantiels, le coût du bracelet, du récepteur et de la maintenance étant très
inférieur au prix de journée dans un établissement pénitentiaire.
Ce système constituera par ailleurs un instrument de lutte efficace contre la
surpopulation carcérale ; alors qu'au 1er janvier 1996 52 658 personnes étaient
incarcérées en métropole pour 47 365 places, l'application de la surveillance
électronique aux seuls condamnés ayant trois mois au plus de peine à accomplir
aurait pu concerner potentiellement 7 800 personnes.
Le placement sous surveillance électronique nécessite un encadrement très
strict auquel répond la proposition de loi amendée par la commission des
lois.
Cette mesure s'adresse à toute personne condamnée à une peine inférieure ou
égale à un an de prison.
La décision de mise sous surveillance électronique est confiée au juge de
l'application des peines à la demande du condamné ou du procureur de la
République. Elle suppose le consentement du condamné, qui sera donné en
présence de son avocat ou d'un avocat désigné par le bâtonnier.
Les périodes et les lieux d'assignation seront fixés par le juge de
l'application des peines en tenant compte des nécessités liées à la vie
familiale du condamné, à son activité professionnelle ou au suivi d'un
traitement médical, d'une formation ou d'un enseignement.
Le contrôle sera assuré au moyen d'un procédé permettant de détecter à
distance l'absence ou la présence du condamné dans le lieu désigné par le juge
de l'application des peines, procédé dont les conditions d'homologation seront
définies par décret en Conseil d'Etat.
La mise en oeuvre de ce dispositif doit garantir « le respect de la dignité,
de l'intégrité et de la vie privée du condamné ». A cela, la commission des
lois a ajouté une garantie supplémentaire : la présence du condamné à son
domicile ne pourra donner lieu à un contrôle sur place qu'entre six heures et
vingt et une heures, et uniquement lorsque le contrôle à distance laisse
présumer que le condamné se soustrait aux obligations résultant du placement
sous surveillance électronique.
Le texte initial de la proposition de loi prévoyait que le contrôle à distance
pourrait être assuré « par le service d'un organisme de droit public désigné
par décret ou par une personne habilitée à cet effet dans des conditions
prévues par décret ». La possibilité de voir confier cette mission à une
personne physique ou morale de droit privé ou à un établissement public local
ne nous satisfaisait pas. En effet, il est tout à fait essentiel que la
surveillance d'une personne considérée comme incarcérée incombe à l'Etat et
donc relève de la compétence exclusive de l'administration pénitentiaire. C'est
la solution qui a été retenue par la commission des lois, et nous nous en
félicitons.
La proposition de loi dispose que la modification ou la révocation du
placement sous surveillance électronique pourront être décidées par le juge de
l'application des peines, après avis du procureur de la République, avec le
consentement du condamné ou à sa demande.
La commission des lois a prévu que la décision de révocation puisse faire
l'objet d'un recours par le condamné devant le tribunal de grande instance,
dans les conditions prévues à l'article 733-1 du code de procédure pénale, sans
toutefois avoir un caractère suspensif.
On peut s'interroger sur l'opportunité d'un tel recours qui, certes, constitue
une protection supplémentaire pour le condamné, mais fait exception au
dispositif relatif aux recours contre les décisions du juge de l'application
des peines.
La proposition de loi précise utilement, par ailleurs, que le temps pendant
lequel le condamné a été placé sous surveillance électronique compte pour
l'exécution de la peine.
Les réserves que nous avions développées, tant lors de la discussion du projet
de loi relatif à la détention provisoire, s'agissant du placement sous
surveillance électronique, qu'en commission des lois, à l'occasion de l'examen
de cette proposition de loi, ayant été levées, nous ne pouvons que nous
associer à la mise en place d'un tel système, qui constitue un progrès par
rapport à la semi-liberté et est éminemment préférable à la détention dans un
établissement pénitentiaire.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du
RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel.
Monsieur le garde des sceaux,permettez-moi tout d'abord de vous remercier
d'avoir accompagné mes efforts pendant ma mission parlementaire, laquelle s'est
déroulée sous deux gouvernements : en effet, j'ai remis un rapport d'étape à M.
Balladur peu avant qu'il quitte Matignon, et j'ai poursuivi ma mission sous
l'autorité de M. Alain Juppé et sous la vôtre.
Je tiens aussi à remercier tous vos collaborateurs de la Chancellerie pour
leur assistance efficace.
J'associerai également à ces remerciements mes collègues de la commission des
lois et l'administration de cette dernière, qui m'ont apporté leur soutien.
Nous voici donc arrivés au moment où prend forme, après deux ans d'efforts,
une proposition, qui n'était en réalité qu'une parmi vingt propositions visant
à lutter contre la récidive et à améliorer le système carcéral français.
Je dois d'ailleurs dire au passage, monsieur le garde des sceaux, que la
dernière inflexion que vous avez donnée dans ce domaine, en plus des apports de
la commission des lois du Sénat, me satisfait pleinement. En effet, c'est en en
faisant une modalité d'exécution d'une peine que le placement sous surveillance
électronique trouvera définitivement sa place dans l'arsenal juridique
français.
A l'heure où la justice et la sécurité sont au coeur des préoccupations de nos
concitoyens, le traitement de la délinquance et la prévention de la récidive
doivent constituer des objectifs prioritaires pour les pouvoirs publics.
C'est à la société qu'il appartient de répondre aux manquements à la loi
pénale. Elle peut les pardonner, mais elle doit aussi savoir les
sanctionner.
Cependant, la sanction n'est pas forcément la prison. « Quand les hommes
sortent de prison, neuf fois sur dix leur regard ne se pose plus. Ils ne
regardent plus comme des hommes. », écrivait André Malraux, dont on va bientôt
célébrer le vingtième anniversaire de la mort.
En gardant à l'esprit un jugement aussi sévère, qui montre à quel point la
prison présente des risques pour la personne humaine et brise souvent l'homme,
il nous faut veiller à ce qu'elle ne le fasse pas inutilement ou
injustement.
Voilà d'ailleurs longtemps que notre assemblée en a pris conscience, elle qui
fut à l'origine, avec René Bérenger, de la loi du 14 août 1885 sur la
libération conditionnelle et de la loi du 26 mars 1891 sur le sursis simple.
Notre collègue M. Robert Badinter a d'ailleurs particulièrement souligné dans
son livre
La Prison républicaine
l'importance de cet apport du Sénat de
la IIIe République.
Ce souci du Sénat d'éviter le « tout-carcéral » est pouvons-nous dire, une
constante historique. Il n'est pas inutile de rappeler les efforts que notre
assemblée a entrepris ces dernières années, particulièrement grâce aux
initiatives du président de la commission des lois, M. Jacques Larché, pour
limiter le recours à la détention provisoire.
Aujourd'hui, le progrès technique nous offre une nouvelle forme de réponse
humaine pour traiter la délinquance aussi efficacement que possible et pour
prévenir la récidive.
Je dis bien une « réponse humaine », car le placement sous surveillance
électronique constitue avant tout une possibilité d'éviter des incarcérations
ou de permettre des sorties de prison anticipées, dans le respect de la dignité
de l'individu.
A ce sujet, il faut tout de même mettre en garde l'opinion contre les
informations erronées, les craintes exagérées, voire les images fausses,
apparues ici ou là au sujet du placement sous surveillance électronique.
Par deux fois, j'ai vu dans la presse quotidienne, en particulier dans un
grand quotidien de ma région, une photo où, derrière des barreaux, un homme et
une femme avaient de véritables bâtons de dynamite attachés aux deux
avant-bras. Cette photo illustrait un article sur la proposition de loi dont
nous débattons. C'est là, manifestement, de la désinformation.
Notre rapporteur, que je remercie pour la part qu'il a prise à l'approbation
de cette proposition par la commission des lois et à sa discussion en séance
publique aujourd'hui, a insisté sur la discrétion du bracelet électronique,
discrétion assurée par sa taille, qui peut encore être réduite avec les progrès
de la miniaturisation.
Avec l'autorisation de M. le président, je vais vous présenter, mes chers
collègues, les deux modèles de bracelets électroniques les plus courants à
travers le monde
(M. Guy Cabanel montre les deux bracelets.)
. Le modèle
américain ou canadien se met à la cheville et est donc caché sous le pantalon.
Cela oblige seulement les femmes qui ont un bracelet à porter un pantalon. Le
modèle européen, tel qu'il se dessine, se fait notamment sous la forme d'un
bracelet-montre en Grande-Bretagne ; en France, ce modèle est également
fabriqué pour certaines applications de contrôle d'enceintes industrielles.
Ce sont là deux modèles d'une simplicité extrême. Le modèle européen présente
l'avantage de pouvoir être encore amélioré, paraît-il. Nous le verrons,
d'ailleurs, puisqu'il y a quelques hypothèses de travail.
En effet, le progrès poursuit sa marche. Aux Etats-Unis, on envisage même de
remplacer le bracelet - vous l'avez dit, monsieur le garde des sceaux - par un
appareil numérisé de correspondance électronique permettant l'identification à
la fois de l'individu par son empreinte vocale et du lieu de son assignation
par la ligne téléphonique.
C'est dire que, à l'adoption du placement sous surveillance électronique, le
ministère de la justice pourra, par appel d'offres, trouver en France les
fabricants d'un appareillage électronique discret, efficace et permettant, de
plus, une surveillance informatisée facile, le plus vraisemblablement par
l'administration pénitentiaire.
J'ajoute - notre commission l'a parfaitement compris en décidant de le
préciser expressément dans ses conclusions - que le placement sous surveillance
électronique ne saurait permettre de suivre le condamné en tout lieu, selon une
idée qui est une espèce de serpent de mer du syndrome du
Big Brother
.
Comme l'a très bien dit notre rapporteur, le bracelet électronique n'est pas
une balise Argos miniaturisée. Il permet de savoir si le porteur est ou n'est
pas en son lieu d'assignation, mais nullement de le suivre à la trace. Cela n'a
rigoureusement rien à voir avec l'expérience actuellement menée sur l'oursonne
slovène lâchée dans les Pyrénées.
Ces quelques réflexions, parmi beaucoup d'autres, me conduisent à considérer
le placement sous surveillance électronique, tout particulièrement dans les
modalités que propose la commission, comme une réponse humaine à la
délinquance.
Mais c'est aussi, je l'ai dit, une réponse efficace à la prise en charge de
certains délinquants, qu'ils aient été condamnés à une courte ou à une longue
peine.
Je ne reviens pas sur ce qui a été excellemment dit par le rapporteur : le
placement sous surveillance électronique évite aux petits délinquants
l'incarcération, la désocialisation, la perte d'activité, la perte d'une vie
familiale.
Pour les délinquants condamnés à une longue peine - un effort devait être fait
en ce domaine - le placement sous surveillance électronique sera une chance
supplémentaire de réinsertion. Il faut savoir en effet que, compte tenu de
l'état de la société française aujourd'hui, au bout de quelques années de
prison des femmes et des hommes se trouvent complètement abandonnés par leur
famille. Leur sortie va donc poser un énorme problème de réinsertion. Le
placement sous surveillance électronique facilite cette réinsertion, on l'a
dit, et je m'en réjouis.
Le placement sous surveillance électronique offrira aussi une chance de
réinsertion au délinquant par les mesures d'accompagnement que sa mise en place
générera, dans le respect des objectifs fixés par la loi du 22 juin 1987 au
service public pénitentiaire, qui est responsable à la fois de l'exécution des
sentences pénales et de la réinsertion.
Cette mission de réinsertion est certainement la mission la plus noble de
l'administration pénitentiaire ; je dirai même que c'est l'avenir de
l'administration pénitentiaire.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Absolument !
M. Guy Cabanel.
Le placement sous surveillance électronique devrait lui donner une expansion
toute particulière.
En effet, il ne s'agit pas seulement d'éviter l'incarcération ou de permettre
une sortie de prison moins tardive. Il s'agit aussi, et même surtout,
d'assurer, comme dans d'autres pays, un suivi socio-éducatif du condamné.
C'est ce qu'a parfaitement compris la commission des lois, qui a expressément
permis au juge de l'application des peines d'accompagner le placement sous
surveillance électronique de mesures de contrôle mais aussi de mesures
d'assistance. La personne placée sous surveillance électronique ne sera pas
livrée à elle-même. Elle pourra toujours bénéficier de visites de l'agent de
probation. Elle pourra, comme c'est déjà le cas en Suède, être tenue d'exercer
une activité professionnelle ou de suivre une formation, ou être encouragée à
le faire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne perdons pas de vue le fait que,
pour une prévention efficace de la récidive, la prison n'est pas toujours la
meilleure solution, même si elle doit demeurer l'ultime recours pour faire
respecter la loi.
Pour certains délinquants - primo-délinquants, petits délinquants - elle se
révèle être un mal pas forcément nécessaire.
Aujourd'hui, nous n'avons pas à l'esprit l'action plus ou moins bénéfique du
placement sous surveillance électronique pour lutter contre la surpopulation
carcérale ou pour limiter la charge financière de la construction de nouvelles
prisons. Loin de nous cette pensée mercantile !
Nous pensons aujourd'hui au Sénat de la IIIe République qui, par les lois de
1885 et 1891 sur la libération conditionnelle et le sursis, a fait reculer la
récidive et soulagé le système carcéral français au début du XXe siècle. Ce fut
l'embellie des années 1900-1910.
A nous tous, aujourd'hui, de tenter de suivre cette voie humaniste en votant
les dispositions raisonnables de mise en oeuvre du placement sous surveillance
électronique qui ont été adoptées par la commission des lois et acceptées par
M. le garde des sceaux.
Mes chers collègues, ces deux bracelets d'une grande simplicité -
naturellement, on choisira plutôt le modèle européen ! - seront portés par des
personnes qui devront tout simplement se trouver à moins de quarante-cinq
mètres de ce petit récepteur, qui n'enregistre rien, et que j'ai placé sur mon
pupitre.
Tel est l'essentiel du dispositif aujourd'hui. Il n'y a rien là de monstrueux.
C'est un progrès technique au service de la liberté, au service de la justice.
Nous nous devons, aujourd'hui, de l'adopter. Notre assemblée le fera, je
l'espère, à l'unanimité. Ce sera le fruit de deux années d'efforts.
Grâce aux encouragements du Gouvernement, grâce à l'aide puissante de la
commission des lois, de son président, de son rapporteur, nous aurons ainsi
fait franchir une étape nouvelle au système judiciaire français, voire au
système carcéral français.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur Cabanel, les jolis petits bracelets que vous nous avez montrés
semblent plus adaptés aux hommes qu'aux femmes !
(Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous
avons eu l'occasion d'évoquer la question du placement sous surveillance
électronique lors de la discussion du projet de loi relatif à la détention
provisoire. A cette occasion, un amendement avait été adopté par le Sénat
offrant la possibilité de substituer à la détention provisoire le bracelet
électronique.
L'Assemblée nationale a finalement repoussé cette disposition sur laquelle
nous avions émis de sérieux doutes en raison, d'une part, des atteintes aux
libertés tant publiques qu'individuelles qu'elle risquait d'entraîner et,
d'autre part, de l'efficacité de son utilisation pour éviter l'incarcération,
cette utilisation risquant de se substituer davantage au contrôle judiciaire
qu'à la prison.
Aujourd'hui, il est donc question de revenir à la proposition de loi initiale
de notre collègue M. Guy Cabanel visant à appliquer le contrôle sous
surveillance électronique à des personnes condamnées et non plus à des
prévenus.
Comme cela a été dit, le placement sous surveillance électronique pourrait
ainsi concerner toute personne condamnée à moins d'un an de prison ou n'ayant
plus qu'un an au maximum à accomplir.
Le recours à ce procédé est envisagé comme une modalité d'exécution d'une
peine privative de liberté et non comme une peine prononcée par la juridiction
de jugement. Il suppose, de plus, le consentement de l'intéressé donné en
présence d'un avocat. Nous avons pris note de ces garanties.
Cependant, les réserves que nous avions émises précédemment restent, hélas !
toujours aussi pertinentes, et je ne partage donc pas l'enthousiasme
général.
Le bracelet électronique nous est présenté comme un instrument efficace de
réinsertion puisqu'il permettrait, pour les petits délinquants, d'éviter pour
une courte peine de prison le contact avec le milieu pénitentiaire et la
désocialisation liée notamment à la rupture des liens familiaux ou à la perte
d'un emploi, et, pour les délinquants en fin de peine, de se préparer
progressivement à leur libération définitive.
Or, contrairement à ce que vous pensez, monsieur le garde des sceaux, nous
avons toutes les raisons de croire que, dans la pratique, ce nouveau procédé ne
viendra aucunement remplacer l'incarcération ; il sera plutôt utilisé soit
comme substitution non pas à la prison elle-même mais aux peines
d'emprisonnement avec sursis, soit comme un palliatif à la libération
conditionnelle pour les fins de longue peine.
Vous me répondrez, monsieur le garde des sceaux, que la décision de placement
sous surveillance électronique n'intervient qu'une fois la peine prononcée,
puisqu'elle n'est qu'une modalité d'exécution de la peine. Nous vous avons
entendu. Mais vous savez aussi, monsieur le garde des sceaux, que sa seule
existence risque de favoriser le prononcé, par la juridiction de jugement, de
peines d'emprisonnement fermes.
Telle est d'ailleurs l'opinion du Syndicat de la magistrature, qui estime que
cette nouvelle possibilité offerte au juge de l'application des peines risque
d'avoir les mêmes effets que la mise en place, au début des années
soixante-dix, du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve. Il en
va de même du travail d'intérêt général, qui est venu se substituer non à la
prison mais aux peines d'emprisonnement avec sursis simple ou mise à
l'épreuve.
En outre - c'est là un point essentiel - il existe déjà des mesures
alternatives à l'incarcération - je pense notamment à la semi-liberté - qui
permettent, elles aussi, un contrôle sans pour autant présenter les risques du
placement sous surveillance électronique.
L'Union syndicale de la magistrature en convient d'ailleurs, lorsqu'elle
indique, à propos de cette proposition de loi, que le système de placement sous
surveillance électronique n'était pas indispensable étant donné les mesures
existantes.
Sans énumérer toutes les modalités d'exécution des peines mises à la
disposition du juge de l'application des peines, je me permets de rappeler que,
pour des peines inférieures à six mois, il peut notamment demander au tribunal
de grande instance de transformer la peine en travail d'intérêt général.
C'est là une mesure particulièrement intéressante qui, tout en évitant
l'incarcération, garantit un certain suivi du délinquant et permet une
véritable réinsertion de ce dernier.
Pourquoi, dès lors, ne pas recourir plus amplement à ces modalités offertes au
juge d'application des peines qui ont fait leur preuve et qui fonctionnent de
manière satisfaisante mais insuffisante faute de moyens financiers et humains
?
De plus, aucune mesure concrète d'accompagnement social du condamné n'est
envisagée dans cette proposition de loi. M. le rapporteur reconnaît pourtant
qu'il y aurait un certain paradoxe à adopter une telle mesure sans favoriser le
suivi de la personne ainsi assujettie au placement sous surveillance
électronique.
Qu'en est-il réellement, monsieur le garde des sceaux ? Songez-vous à ouvrir
des crédits pour mettre en place ce nouveau dispositif ? Etant donné le budget
de la justice que votre gouvernement propose au Parlement, j'avoue être très
sceptique quant aux moyens qui seront débloqués.
Plus généralement, le Gouvernement, ou sa majorité en l'occurrence, a beau jeu
de se faire le chantre de la réinsertion, alors même que le budget de la
justice voit chaque année son volet prévention et réinsertion amputé.
Dans le même ordre d'idée, rappelons que le chapitre relatif aux alternatives
à l'incarcération dans le programme pluriannuel pour la justice, présent dans
le texte initial du Gouvernement en 1994, avait finalement été abrogé à
l'Assemblée nationale, le ministre de l'époque s'en étant remis à la sagesse de
l'Assemblée.
Le rapport présenté par M. Othily en commission des lois insiste sur le fait
que ce dispositif existe dans quelques pays sous une forme consacrée, comme aux
Etats-Unis, ou sous une forme expérimentale dans d'autres, comme la Suède, le
Royaume-Uni ou le Canada.
A ce sujet, je m'étonne qu'une telle proposition soit soumise au Parlement
sans que soit envisagée une expérimentation préalable, et ce d'autant plus que
M. le garde des sceaux, lors du débat sur la détention provisoire, avait jugé
souhaitable une telle expérimentation. En outre, l'un de vos éminents collègues
à l'Assemblée nationale, M. Philippe Houillon, ne précisait-il pas au cours du
même débat : « La mise en place d'un tel système suppose une réflexion et des
études techniques non encore réalisées pour l'instant et représenterait un coût
important ?»
Quoi qu'il en soit, les expériences des pays étrangers n'incitent pas à croire
en l'efficacité du placement sous surveillance électronique dans la lutte
contre l'incarcération puisque, aux Etats-Unis, le nombre de détenus par
habitant est de sept à huit fois supérieur à celui de la France. De même, au
Canada, le taux d'incarcération est de 129,6 détenus pour 100 000 habitants,
contre 89,6 en France.
Remarquons par ailleurs que seules trois provinces du Canada ont adopté ce
dispositif. On peut s'interroger sur les raisons pour lesquelles celui-ci n'a
pas été étendu.
Le recours au bracelet électronique nous est par ailleurs présenté comme un
instrument de lutte contre la surpopulation carcérale. Selon le rapport de M.
Othily, l'application de la surveillance électronique aux seuls condamnés ayant
douze mois au plus à accomplir aurait pu potentiellement bénéficier à 17 600
personnes à la date du 1er janvier 1996.
Cet argument n'est pourtant guère convaincant.
Comme nous l'avons déjà dit, en effet, il est à craindre que le placement sous
surveillance électronique ne vienne se substituer non pas à des peines de
prison ferme, mais à des peines d'emprisonnement - dans les faits, j'entends -
avec sursis simple ou mise à l'épreuve.
En outre, le désengorgement envisagé apparaît nettement surévalué, car seule
une population particulière pourrait se voir appliquer le placement sous
surveillance électronique. Celui-ci n'est, en effet, envisageable que si le
condamné remplit certaines conditions ; il faut notamment qu'il ait un domicile
fixe, une stabilité de vie. Certains délits et, de fait, certains délinquants,
en particulier les délinquants en cols blancs - si vous me permettez
l'expression - pourraient donc bénéficier d'une telle mesure. Pour les autres,
les difficultés demeurent.
Enfin - c'est le dernier argument avancé -, ce nouveau dispositif serait un
facteur d'économies puisque ce mode de prise en charge apparaît être quatre à
cinq fois moins onéreux que l'incarcération.
Cet argument serait-il aussi juste si la comparaison était faite avec le coût
que le développement des mesures de semi-liberté existantes engendrerait ? Nous
en doutons !
Peut-on légitimement adhérer à une logique qui consiste à définir les besoins
en fonction des moyens et des « impératifs économiques » imposés par la
réduction des dépenses publiques ? Ne doit-on pas, au contraire, prendre les
questions dans l'autre sens, et définir ce que doit être la justice dont notre
société a besoin, en la considérant comme une priorité sociale, pour ajuster
ensuite les crédits à ces choix nécessaires ?
Non seulement les avantages attendus de ce dispositif ont peu de chance de se
concrétiser, mais encore et surtout les risques d'un tel procédé sont bien
réels.
L'assignation sous contrôle électronique pourrait s'avérer être un système de
contrôle social particulièrement efficace, mais dont l'évolution est des plus
imprévisibles.
Cette possible utilisation du bracelet électronique à des fins de surveillance
et de fichage apparaît donc, quoi que vous en disiez, pour le moins
problématique.
En conclusion, je souhaite rappeler que le groupe communiste républicain et
citoyen a toujours défendu l'idée que, pour certaines infractions, la prison
n'avait pas lieu d'être, même s'il ne saurait être question de laxisme. Des
peines alternatives à l'incarcération existent, comme le faisait remarquer M.
Guy Cabanel lui-même dans son rapport intitulé :
Pour une meilleure
prévention de la récidive,
et il conviendrait de les développer.
Si les volets de la répression et de la prévention dans une politique de lutte
contre la délinquance sont indispensables, celui de la réinsertion l'est tout
autant et ne saurait se résumer à la mise en place d'« un fil à la patte » ou
d'« un boulet au poignet », si joli soit-il.
Nous ne pouvons donc que nous opposer à cette nouvelle mesure qui non
seulement ne favorisera en rien la réinsertion des délinquants, mais permettra
une mainmise totale sur la vie de l'individu.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et
citoyen votera contre cette proposition de loi.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
après l'excellent rapport de M. Othily et le plaidoyer de M. Cabanel, nous
devrions tous être convaincus de l'intérêt de cette mesure ; or tous les
membres de la Haute Assemblée ne le sont apparemment pas.
Nous avions déjà débattu de ce sujet lorsque nous avions évoqué les problèmes
de la détention provisoire. En effet, c'était l'occasion de faire figurer dans
la loi, pour la première fois, cette modalité d'exécution de la peine, je dis
bien « modalité d'exécution de la peine » et non « substitut à la peine » ; je
crois qu'il faut le préciser. Nous avions essayé de trouver des alternatives à
la prison, mais là il s'agit d'une modalité d'exécution d'une peine.
Mes chers collègues, nous déplorons que trop de personnes soient incarcérées ;
mais l'opinion publique bien souvent réclame l'incarcération. Quand un
délinquant qui a été amené devant le procureur de la République rentre très
vite chez lui, nos concitoyens s'étonnent qu'on ne mette pas plus en prison !
L'état de notre société doit donc nous inciter à bien exposer les motifs pour
lesquels nous prenons telle ou telle décision, ce qui ne veut pas dire qu'il ne
faut pas continuer, comme l'a toujours fait le Sénat, vous l'avez rappelé, à
faire en sorte que l'emprisonnement soit le moins fréquent possible. Il faut
aussi, de toute façon, que la peine rééduque et permette la resocialisation.
Tel a toujours été l'objectif du législateur.
Je me souviens d'ailleurs, monsieur le garde des sceaux, que, lorsque vous
étiez parlementaire, vous insistiez toujours sur cet aspect des choses. Vous
vous êtes d'autant plus battu pour limiter l'incarcération que la prison, nous
le savons bien, notamment les courtes peines, génère la récidive plus qu'elle
n'éduque et ne resocialise. Donc, tout ce qui peut être fait pour éviter
l'incarcération doit l'être.
Un autre débat renaît, sur lequel nous reviendrons, je veux parler de la
détention provisoire. Les chiffres cités de temps en temps sont quelque peu
inexacts. Bien entendu, la détention provisoire doit être l'exception. Le texte
qui est en cours de discussion devrait permettre de mieux préciser, à
l'intention des juges, les conditions de la détention provisoire.
Il n'en demeure pas moins qu'il ne faut pas non plus exagérer les chiffres. Je
le rappelle, un certain nombre de détentions provisoires représentent
simplement des condamnations non encore définitives. Il faut donc les extraire
des statistiques sur la détention provisoire, si l'on veut être parfaitement
honnête.
Je crois que les propositions de la commission des lois comme celles de M.
Cabanel évitent toutes les critiques qui peuvent être faites sur la
surveillance électronique. Il faut en effet l'accord du condamné. Il ne s'agit
pas du tout, comme certains le disent encore, de surveiller en permanence les
personnes comme cela se fait pour les animaux sauvages et pour la protection
des espèces en voie de disparition. On a parlé des ours, c'est vrai, mais il y
a aussi les cachalots et d'autres espèces encore. Il ne s'agit pas du tout de
cela.
Si l'on voulait faire une comparaison, en fait, la surveillance électronique
s'apparenterait plutôt aux arrêts de rigueur que connaît l'armée : un officier
est mis aux arrêts de rigueur. Dans le cas présent, ce sont des arrêts de
rigueur avec un contrôle. C'est donc une forme d'exécution de la peine.
Si l'on considère bien la procédure et les conditions d'utilisation de cette
surveillance électronique, il s'agit en fait d'une prison à domicile, sur le
lieu de travail, mais en même temps d'une modalité d'exécution de la peine. Si
nous ne considérions pas la mise sous surveillance électronique sous cet angle,
notamment pour les courtes peines, elle risquerait de ne pas être comprise par
l'opinion publique, qui la considérerait comme une peine beaucoup trop légère
par rapport à d'autres.
Il faut d'ailleurs rappeler qu'il existe dans notre droit des alternatives à
l'incarcération. Le garde des sceaux et les services du ministère de la justice
souhaitent un développement de ces mesures pour les courtes peines ; je pense
notamment au travail d'intérêt général. Nous en connaissons à la fois l'intérêt
et les limites ainsi que les moyens qui sont nécessaires pour les mettre en
oeuvre.
Ce dispositif s'intègre dans une politique de la justice au sein de laquelle
les sanctions doivent être comprises par l'opinion publique, et la prison, qui
n'est jamais l'idéal, ne doit pas être la seule solution face à la délinquance.
Bien entendu, ces mesures devront permettre d'éviter la récidive et favoriser,
notamment pour les petits délinquants - je pense en particulier aux jeunes - un
retour le plus rapide possible dans l'ordre social, dans la société.
C'est pourquoi le groupe auquel j'appartiens est favorable à ce dispositif tel
qu'il sera amendé et qui présente à notre sens tous les avantages et toutes les
garanties pour être mis en oeuvre. Bien entendu, il restera ensuite au juge de
l'application des peines de prendre en compte cette nouvelle possibilité. Mais,
pour en avoir parlé avec un certain nombre de magistrats, il s'agit là, j'en
suis convaincu, d'une mesure qu'ils sont prêts à appliquer car elle leur paraît
tout à fait intéressante.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
l'évolution prévisible de la délinquance demeure aujourd'hui l'une des
préoccupations majeures de notre société. Dans ce contexte, la proposition de
loi présentée par notre collègue M. Guy Cabanel paraît extrêmement innovante et
opportune pour notre droit pénal. Qu'il soit ici remercié de cette initiative
et félicité pour la densité de la réflexion à laquelle il a procédé.
Par ce texte, l'occasion nous est offerte d'insérer dans notre législation un
dispositif ingénieux, respectueux des droits de l'homme, facilitant la
réinsertion du délinquant et limitant la récidive, dispositif qui est - notre
collègue Jean-Jacques Hyest l'a rappelé - une modalité d'exécution des peines
privatives de liberté.
Le nombre de détenus en France ne cesse en effet de s'accroître et cela met en
évidence les limites des mesures dites « alternatives à l'incarcération »,
engagées depuis 1970 par les gouvernements qui se sont succédé, toutes
sensibilités politiques confondues.
A l'heure où une meilleure prévention de la récidive doit constituer un
objectif prioritaire pour les pouvoirs publics de façon à garantir à chacun de
nos concitoyens le respect de sa liberté et sa sécurité, la politique pénale se
devait d'être renforcée par de nouvelles améliorations.
Partant du constat récemment institué par la loi de programme du 6 janvier
1995, selon laquelle « pour prévenir la récidive, la politique pénale ne peut
être uniquement fondée sur la détention », la proposition de loi qui est
soumise à notre examen aujourd'hui tend à mettre le progrès technique au
service de la politique de réinsertion en permettant le placement sous
surveillance électronique pour l'exécution de certaines peines.
Déjà présenté en mai dernier par notre collègue Georges Othily lors de
l'examen sur le projet de loi relatif à la détention provisoire, ce dispositif
avait été adopté par notre commission des lois. Les débats en séance publique
ont d'ailleurs confirmé l'adhésion de notre assemblée, qui avait adopté un
article additionnel inséré dans le projet de loi précité.
Cette proposition n'a donc rien d'inattendu pour nous ; son seul objet est de
préciser scrupuleusement les modalités techniques et juridiques de la mise en
oeuvre du placement sous surveillance électronique ainsi que l'étendue exacte
de son champ d'application. Elle répond ainsi directement aux interrogations de
certains d'entre nous, ainsi qu'à la réserve manifestée, voire au scepticisme
affiché par certains vis-à-vis d'une innovation qu'ils jugent, certes opportune
dans son principe, mais insuffisamment mûrie pour recevoir une traduction
législative.
Cette proposition de loi devrait les rassurer. Le dispositif excellemment
présenté par notre rapporteur contribue à nous assurer de sa crédibilité,
laquelle est notamment renforcée grâce aux apports de la commission des
lois.
Le placement sous surveillance électronique pourrait ainsi s'appliquer à toute
personne condamnée à moins d'un an de prison ou n'ayant plus qu'un an au
maximum à accomplir.
La décision de recourir au placement sous surveillance électronique, confiée
au juge de l'application des peines, supposerait toujours le consentement du
condamné donné en présence d'un avocat choisi par lui-même ou désigné par le
bâtonnier.
Les périodes et les lieux d'assignation seraient fixés par le juge de
l'application des peines en tenant compte des nécessités liées à la vie
familiale du condamné, à son activité professionnelle ou au suivi d'un
traitement médical, d'une formation ou d'un enseignement.
En sus de ces garanties, le procédé présente trois avantages essentiels,
parfaitement décrits dans l'excellent rapport de notre collègue M. Cabanel
chargé d'une mission auprès du garde des sceaux de l'époque par M. Edouard
Balladur, alors Premier ministre.
Cela étant, il ne serait pas inintéressant de procéder, sur l'initiative de M.
le garde des sceaux, sans que cela soit inscrit dans la loi, à un inventaire
périodique des technologies pouvant être utilisées.
Ainsi, aux Etats-Unis, notamment dans l'Etat du Texas, il est recouru, avec
succès, à une autre technologie, en partie d'origine française, fondée sur la
reconnaissance vocale.
Monsieur le garde des sceaux, dans votre propos liminaire, vous avez déjà
répondu par anticipation à mon souhait.
Le placement sous surveillance électronique est un instrument qui justifie
pleinement la réflexion de Michelet selon laquelle « la liberté, pour qui
connaît les vices cachés de l'esclave, c'est la vertu possible ».
Il permet, en réduisant les barrières physiques derrière lesquelles l'homme
était prisonnier, de le rendre au monde, à la famille et à la réalité sociale
dont il était coupé. Le recours au bracelet, ou à tout autre système
électronique, offrira une chance de plus d'éviter l'incarcération avec le
risque de désinsertion sociale qu'elle fait courir.
Enfin, c'est également un instrument efficace de lutte contre la surpopulation
carcérale : à l'heure où le taux d'occupation des prisons dépasse 110 %, pour
ce motif, un tel dispositif, même si cela ne constitue pas sa finalité majeure,
ne peut être accueilli que favorablement.
Pour toutes ces raisons et pour toutes celles qui ont été exposées par les
orateurs précédents, le groupe du RPR votera cette proposition de loi.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er