Mercredi 14 décembre 2022, la commission des affaires économiques a réuni les acteurs majeurs de la filière française du nucléaire : Luc Rémont,président-directeur général (PDG) d’EDF, Guillaume Dureau, président d’Orano Projets SAS, Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), François Jacq, administrateur général du Commissariat général à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et Thomas Veyrenc, directeur exécutif de Réseau de transport d’électricité (RTE).
Cette audition s’inscrit dans le cadre des travaux préparatoires de Daniel Gremillet, Président du groupe d’études "Énergie" et rapporteur pour la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction et au fonctionnement des installations nucléaires. Y a participé Pascal Martin, rapporteur pour avis sur ce texte pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Alors que la France fait face à de lourds risques inédits de délestages, cet hiver et les prochains, la commission des affaires économiques appelle à relever rapidement le défi de la relance du nucléaire.
Elle déplore le manque criant d’anticipation du Gouvernement : la commission s’est inquiétée de l’impact, sur la disponibilité du parc nucléaire, de la crise de la Covid-19, dès juin 2020 et de la corrosion sous contrainte, dès février 2022. Elle a appelé à une relance massive de l’ensemble de la filière française du nucléaire, avec la construction d’au moins 14 EPR, pour maintenir un mix majoritairement nucléaire à l’horizon 2050, dès juillet dernier.
Elle regrette aussi le calendrier d’examen du Gouvernement : pour bien faire, il aurait fallu légiférer sur la programmation, puis le nucléaire, puis le renouvelable.
Elle dénonce enfin les "angles morts" du texte, qui n’aborde ni la stratégie, ni le financement, ni les compétences, ni encore la recherche et le développement (R&D).
Le manque de stratégie a été relevé par Bernard Doroszczuk, président de l’ASN : "L’effet falaise arrive bien. Les réacteurs actuels s’arrêteront bien un jour. Il faut l’anticiper et y réfléchir maintenant […] Il faut avoir une approche systémique du nucléaire, sans détacher la production électronucléaire de l’amont et de l’aval du cycle, dont les déchets. C’est l’ensemble du système qui doit faire l’objet d’une vision et d’une programmation. Ce n’est pas dans le texte de loi actuel".
De son côté, Luc Rémont, PDG d’EDF, a évoqué la nécessité d’un financement : "Sur le montage financier, à la fin, il n’y a que deux personnes qui peuvent payer : le client ou le contribuable. […] Le souhait d’EDF est de vendre un service correspondant au coût complet du cycle et au coût du renouvellement. EDF peut-il faire cela dans l’état de la régulation et des règles de marché ? La réponse est non. C’est un sujet sur lequel nous devons travailler avec les autorités gouvernementales et communautaires. Cela peut ne pas suffire […] auquel cas il faudra compléter par des garanties ou des soutiens publics".
Il a rappelé le besoin de compétences : "Sur l’attractivité de la filière nucléaire, sujet essentiel, je ne suis pas inquiet de la qualité des compétences. Simplement, nous avons un problème de quantité, lié au fait que la filière n’a pas construit de façon industrielle depuis longtemps, que notre pays s’est rétréci sur le plan technique et que nous devrons rénover et construire en même temps".
Enfin, François Jacq, administrateur général du CEA, a plaidé pour développer la R&D : "Les diverses technologies doivent être articulées, sinon on aura du mal à bâtir un mix solide. C’est bien sur la recherche et l’innovation que l’on doit œuvrer. La recherche est considérée comme une commodité ; elle est tenue pour acquis. Je pense que ce n’est pas le cas, malgré la mobilisation exceptionnelle des équipes du CEA. Nous avons une connaissance en matière de recherche reconnue au niveau mondiale. Les SMR ne sont certes pas la panacée mais j’ai toujours dit que c’était une voie à explorer avec attention".
Dans ce contexte, la commission sera très attentive à compléter et à consolider le projet de loi .
Pour Daniel Gremillet, rapporteur "Le projet de loi présenté par le Gouvernement dégage un sentiment d’inachevé. Focalisé sur les autorisations d’urbanisme ou les évaluations environnementales, il laisse de côté un grand nombre de prérequis de la relance : la stratégie, le financement, les compétences. Il ne résout pas non plus les enjeux de la recherche et du développement (R&D). Je pense à l’adaptation des réacteurs aux nouveaux risques, dont les enjeux climatiques et numériques. Je pense aussi à leur évolution technologique, avec les petits réacteurs modulaires ou les électrolyseurs d’hydrogène. Il faudra plus qu’une loi de simplification pour poser les fondements du nucléaire de demain !".
Pour Sophie Primas, présidente "Il y a beaucoup à dire sur les atermoiements incessants des 10 dernières années sur le nucléaire. Je suis marquée par le manque généralisé d’anticipation mis en exergue par tous les intervenants : stratégie d’ensemble, développement des compétences, recherche, coopération technique, cycle du combustible, financement, structuration européenne ... rien ne parait suffisamment anticipé alors que par essence cette filière est celle du temps long, voire très long. Il est grand temps de renverser la vapeur, au-delà de la simple accélération des procédures qui nous sont proposées !".
La commission des affaires économiques est présidée par Sophie Primas (Les Républicains – Yvelines). Daniel Gremillet (Les Républicains – Vosges) est président du groupe d’études "Énergie" et rapporteur du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites existants et au fonctionnement des installations existantes. |
Philippe Péjo
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