La campagne des élections présidentielles des 5 et 19 décembre 1965 |
IV) La campagne du Général de Gaulle
Catherine NAY - Journaliste politique
Quel est le paysage politique en 1965 ?
Le Général de GAULLE, au pouvoir depuis sept ans et demi, a instauré une stabilité nouvelle par rapport au précédent régime. Il fêtera ses 75 ans le 22 novembre. S'il n'a pas vraiment changé physiquement depuis 1958, pour les Français, il n'est pas sans âge, mais plutôt d'un autre âge. Sa stature singulière fait de lui un monument historique.
Va-t-il se représenter ? Son entourage s'interroge. Le Général ne dit mot et entretient le mystère. Une opération de la prostate, un an plus tôt, l'a éloigné de l'Élysée. Quelques jours durant lesquels Georges POMPIDOU a assuré l'intérim. Cela suffit pour que la presse commence à parler de lui comme de l'héritier naturel. Le général de GAULLE, qui a eu vent de ces rumeurs, ne décourage pas son Premier ministre, lui assure même qu'il serait favorable à sa candidature s'il renonçait à se représenter. Un assentiment de façade. En réalité, de GAULLE s'agace que Georges POMPIDOU songe à lui succéder aussi ouvertement, il en évoque l'éventualité devant des journalistes. C'est un début de fracture entre les deux hommes.
Cette première élection au suffrage universel pose la question du bilan du premier septennat concentré pour l'essentiel sur la fin de la guerre d'Algérie, non sans douleurs et tâtonnements. Cette solution au conflit conduit le Président à se séparer de Michel DEBRÉ qui aurait préféré un autre dénouement. Le Général en a surtout assez du caractère singulier de son Premier ministre, dont il disait « Ce pauvre Debré, est toujours devant le Mur des lamentations ». En effet, Michel DEBRÉ gouverne dans l'anxiété. Georges POMPIDOU est tout désigné pour lui succéder le 14 avril 1962. Il est plus calme, il sera plus facile à vivre. Leur collaboration a commencé en 1944. Il a été son chef de cabinet pendant la traversée du désert et son directeur de cabinet en 1958 à Matignon pendant 6 mois. C'est lui qui a aidé le Général à s'installer au pouvoir. Celui-ci lui doit beaucoup, en plus il connait déjà les arcanes politiques.
La fin de la guerre d'Algérie est notamment marquée par l'attentat du Petit-Clamart le 22 août. Le Général a échappé à la mort par miracle. Personnellement, j'ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi le Général avait décidé de lier ces événements, qui ont failli lui être tragique, aux conclusions qu'il en a tiré sur le champ : faire élire le Président de la République au suffrage universel par une réforme de la Constitution.
Certes, cette idée est depuis longtemps dans l'air chez les membres de l'UNR. Elle a été implicitement évoquée par le Général de GAULLE dans son discours de Bayeux mais écartée par lui dans le projet de Constitution de 1958. Puis, Jacques CHABAN-DELMAS y est revenu lors du Congrès de l'UNR en 1958 et après lui le Général dans un discours en avril 1962.
L'analyse du calendrier politique illustre la rapidité avec laquelle cette affaire a été traitée. Dès le 24 août -deux jours après l'attentat- le Général de GAULLE fait part à Georges POMPIDOU de son projet. Le 19 septembre, les ministres sont convoqués pour approbation. Le Général constate à son grand étonnement, que beaucoup, y compris des gaullistes ne sont pas enthousiastes. Le centriste Pierre SUDREAU démissionne. Par loyauté, Georges POMPIDOU soutient le Général car il n'ose pas lui résister une seconde fois. Trois mois plus tôt, il avait en effet menacé de démissionner si Edmond JOUHAUD, condamné à mort par le Haut tribunal militaire, était exécuté. De GAULLE refusait sa grâce, furieux que le Général SALAN, le meneur, premier responsable de l'OAS, ait sauvé sa tête. Et à la dernière minute, devant la détermination du Premier ministre et du Garde des Sceaux, Jean FOYER, prêt à démissionner lui aussi, de GAULLE avait fléchi. Ce jour-là, George POMPIDOU a rendu au Général un fieffé service devant l'Histoire.
Retour au référendum. Le 2 octobre, une motion de censure est déposée, attestant de la réticence de l'ensemble de la classe politique vis-à-vis de cette réforme. Le Président du Sénat, Gaston MONNERVILLE, parle de « forfaiture ». Ce même jour à 13 heures, le Général de GAULLE fait sa première allocution au pays pour lui soumettre le projet : quoi de plus démocratique que de demander aux citoyens de choisir leur président.
Le 4 octobre, le Gouvernement est renversé car l'Assemblée vote la motion de censure. Georges POMPIDOU offre sa démission au Général qui la refuse. L'Assemblée est dissoute. Le 18 octobre, le Général revient devant le pays et déclare : « Si votre réponse est "non" [...], il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour ». Le 28 octobre, les Français lui répondent « oui » à 62 % mais avec moins de 50 % du corps électoral. Cette victoire est complétée par le triomphe de l'UNR aux élections législatives du 25 novembre.
Le Général a donc gagné sur tous les plans, ce qui motive son désir pour se présenter en 1965. Il s'interroge, peut-être, car les résultats aux élections municipales du début de l'année ont été décevants. Il est aussi aisément compréhensible qu'il ait envie de tester cette première élection au suffrage universel dont il est l'inventeur. Madame de GAULLE fait campagne auprès de ses proches : « Ne l'encouragez pas, il est fatigué ». Elle veut rentrer à Colombey.
Le 29 juin, il convoque à déjeuner Georges POMPIDOU, Michel DEBRÉ, André MALRAUX et Gaston PALEWSKI pour les tester. L'avocat le plus ardent est Michel DEBRÉ: « De Gaulle ne saurait se retirer ». PALEWSKI juge que le Général doit se présenter car trop de choses restent à faire. Georges POMPIDOU, conformément à sa nature, soupèse le pour et le contre. Attitude que le Général reçoit comme une invite au départ. Lorsqu'il aura quitté le pouvoir, il confiera à l'Amiral FLOÏC : « J'ai senti qu'il essayait de m'empêcher de me représenter ». André MALRAUX émet lui aussi quelques réserves. Il craint que l'image du Général n'en sorte écornée. « Je vais réfléchir » conclut l'hôte de l'Élysée.
Le lendemain, crise à Bruxelles. La France pratique la politique de la chaise vide en réaction au blocage de la participation des Allemands à l'Europe agricole. Le Général se persuade que les Allemands lâcheront la France s'il renonce au pouvoir. Début septembre, il annonce à Georges POMPIDOU et au Secrétaire général de l'Élysée qu'il se représentera, mais leur demande de garder le secret.
Il a pris sa décision, mais n'en dit rien. Le 9 septembre, le Général ne se dévoile pas lors de sa conférence de presse : « vous le saurez dans deux mois ». Une esquive qui irrite la Presse. François MITTERRAND décide de brusquer les choses, il se porte candidat. Avant lui, Pierre MARCILHACY a fait de même. Les sondages créditant le Général de 70 % des suffrages, celui-ci ne voit aucun avantage à se presser.
Mais, en 1965, la télévision va jouer, pour la première fois, un rôle essentiel dans une campagne électorale. 6,5 millions de foyers sont équipés en novembre 65, ce qui représente un public d'environ 20 millions de téléspectateurs. Le Général de GAULLE, qui s'estime bon à la télévision, accorde peu d'intérêt au fait que l'ORTF offre deux heures à chaque candidat.
Le 4 novembre, jour de la Saint Charles, le Général dévoile, enfin, à la télévision son intention de se présenter à l'élection du 5 décembre. « Aujourd'hui, je crois devoir me tenir prêt à poursuivre ma tâche ». Il entend limiter le temps de la campagne à un mois. Le style et le contenu de son propos se rapproche d'une allocation préréférendaire alors que la France vit des jours ordinaires, de GAULLE dramatise l'élection et se présente comme l'homme providentiel sans lequel tout ce qui a été accompli depuis 7 ans risquerait d'être anéanti.
La campagne commence le 19 novembre. Elle permet aux Français de faire connaissance avec de nouvelles personnalités. Elles sont 5 : François MITTERRAND, Jean LECANUET, Pierre MARCILHACY, Jean-Louis TIXIER-VIGNANCOUR et Marcel BARBU. Une nouveauté qui plait : l'électeur devient un consommateur puisqu'on lui offre le choix. Résultat : le Général passe de 70 % à 60 % des intentions de vote en l'espace de 15 jours. Sa menace de chaos n'a pas plu. Malgré l'insistance de ses proches et de Georges POMPIDOU, il s'obstine à ne pas vouloir intervenir à la télévision. Mais les sondages deviennent inquiétants. Il change d'avis dix jours seulement avant le scrutin.
Le 30 novembre, de GAULLE apparaît sur les écrans, blafard, fatigué. Il réitère son discours « Moi ou le chaos ». Nouveau désastre. Il se rattrape le 3 décembre, il retrouve alors une certaine hauteur permettant une meilleure performance.
Lorsqu'il part pour Colombey-les-Deux-Églises, la veille du scrutin, il sait que le ballotage est certain. Il en a conscience et cette certitude le désole. Bien qu'annoncé, son score de 43,7 % des voix est pour lui un choc. (François MITTERRAND obtient 31,72 % des voix, Lecanuet 15,57). Il est si marri qu'il boude. « Je me retire. Ils ne veulent plus de moi ! ». Mais ses proches, au premier rang desquels son fils et aussi Georges POMPIDOU, Louis JOXE, Alain PEYREFITTE, le convainquent du contraire. L'évènement l'a néanmoins profondément marqué, il est déçu et sent qu'il a perdu la main.
À son retour à Paris, il change de tactique. « Je me suis trompé ».Le second tour consiste donc en un duel entre François MITTERRAND et le Général de GAULLE. Les autres candidats ont tous demandé à leurs électeurs de ne pas voter pour de GAULLE. Mais cette fois, le Général va utiliser la télévision : trois interviews de 20 minutes avec Michel DROIT enregistrées en une journée (alors que François MITTERRAND mettra 5 heures pour faire une seule prise). Ces entretiens sont un succès car le Général de GAULLE se montre comme personne ne l'a jamais vu. Si de son propre aveu, il s'est « mis en pyjama », il a simplement répondu aux questions du journaliste en se montrant goguenard, amusant et finalement assez jeune pour un vieux monsieur. Le lendemain de ces interventions, un dessin de Jacques FAIZANT à la une du Figaro montre une Marianne qui pleure, en disant : « Si tu m'avais parlé comme ça dès le premier tour, tu serais passé tout de suite ! ».
En partie grâce à ce revirement, le Général de GAULLE est réélu avec 55 % des voix, ce qui représente aujourd'hui un score exceptionnel.
Néanmoins, cette campagne a marqué un tournant pour les gaullistes. La jeunesse n'a pas voté pour lui. Le Sud du pays a préféré François MITTERRAND. Et l'électorat traditionnel qui lui est resté fidèle commence à regarder POMPIDOU avec l'oeil de Chimène. Il apparait dès lors comme le dauphin du Général, d'où un agacement réciproque qui connaitra son acmé en 1968.
La mise en ballotage laissera au Général une blessure qui ne cicatrisera pas. Le charisme résiste mal à la désacralisation et à la banalisation. Il est devenu le candidat Charles de GAULLE, soumis bon gré mal gré aux règles du jeu électoral. Mais cette élection lui permet de répliquer à ceux qui lui reprochaient son « pouvoir personnel » :« À-t-on jamais vu un dictateur en ballotage ? ». L'image du démocrate l'emporte désormais sur l'image du monarque.