Échanges avec la salle |
De la salle, Robert TOULEMON, inspecteur général des finances honoraire
Nous choisissons souvent d'ignorer en France que de nombreux pays d'Europe pratiquent l'élection du Président de la République au suffrage universel sans en tirer les mêmes conséquences, à savoir que la totalité du pouvoir est concentré dans les mains du Président. Comment se fait-il que nous soyons si aveugles à l'expérience de nos voisins ?
Par ailleurs, pourquoi ne pose-t-on jamais la question de la simultanéité des élections présidentielle et législatives ? Cela aurait pour avantage de cesser de faire dépendre les élections à l'Assemblée nationale du résultat de l'élection présidentielle et cela manifesterait, aux yeux du peuple, l'égalité des deux pouvoirs issus du suffrage universel.
Jean-Pierre SUEUR
Je suis partisan d'une déconnexion totale de ces deux élections, qui arrivera inévitablement à la faveur d'un accident de parcours. Ne trouvez-vous pas qu'il est étrange d'avoir une cohabitation entre un Président d'un bord et un Premier ministre d'un bord différent. La France est le seul pays au monde qui peut être gouverné par deux exécutifs dans le sens contraire. Il me semblerait plus juste que le Président de la République qui a les pouvoirs prévus par la Constitution, doive cohabiter avec un Parlement quel que soit sa majorité.
Le système fonctionne avec une autonomie du législatif, même quand il n'est pas du même bord que l'exécutif.
Pascal CLÉMENT
Ce ne serait pas une bonne idée, puisqu'en votant à quelques jours de décalage, le vote est identique. Je préfère la respiration démocratique à l'essoufflement démocratique.
De la salle, Jean LAPORTE, fonctionnaire parlementaire honoraire
Je félicite Ghislaine OTTENHEIMER qui a évité l'écueil, souvent constaté dans ce type de colloques, d'une convergence totale des avis. À l'image de la « plaidoirie de rupture » utilisée par les avocats, vous avez effectué une « modération de rupture ».
S'agissant de l'exercice du pouvoir, Louis MERMAZ et Jean-Pierre SUEUR vous ont instinctivement largement répondu. Néanmoins, selon vous, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, telle que nous la vivons, n'est pas démocratique parce que quelle que soit la teneur du programme, il n'est pas respecté. D'autres systèmes sont-ils plus démocratiques, telle que la IV e République ou la République allemande actuelle ? En effet, dans l'ensemble des régimes européens, les électeurs ont expérimenté ce sentiment de programme non respecté.
Ghislaine OTTENHEIMER
Aucun système n'est parfait. Les difficultés éprouvées par nos voisins ne nous interdisent pas de corriger nos erreurs. Qu'est-ce que la démocratie ? La question est vaste. En Allemagne, les représentants de quelques forces politiques prennent le temps de décider, ligne par ligne, les actions qu'ils entreprendront une fois élues. La réflexion existe.
Je ne considère pas notre système comme anti-démocratique, mais comme inefficace. Je crois en l'intelligence collective pour travailler, approuver et évaluer un programme. La limitation du nombre de penseurs tend à favoriser la recherche de la triangulation la plus intelligente pour obtenir un certain score. L'efficacité doit être retrouvée à la fois dans l'élaboration du programme et dans le sens politique donné à l'action. Dans l'exécution, une relation directe doit être établie entre le chef de l'exécutif et la représentation parlementaire. Les décisions politiques que nous devons prendre aujourd'hui sont difficiles, car elles affecteront inévitablement les droits sociaux acquis et les générosités accordées par notre système. Un parti recueillant 20 % des suffrages, au premier tour d'une élection, peut-il gouverner seul et réussir à amener le pays vers ces réformes indispensables ?
Serge WOLIKOW
Ce matin, la première campagne présidentielle a été évoquée, notamment à travers les systèmes d'alliances et de candidatures. 50 ans après, il semble intéressant d'y poser un regard rétrospectif. Nombreux soulignent l'absence de rapport entre les engagements programmatiques et l'exercice de la politique, une sorte de réalisme exonérerait les institutions. La question du concours des partis politiques au fonctionnement institutionnel coeur du système après la Seconde guerre mondiale, ne peut-elle pas intégrer le fonctionnement des partis politiques, pas au sens de l'organisation mais également du rapport avec le débat d'idée, de la programmation et de la capacité à tenir des engagements ou des valeurs.
J'ai l'impression que depuis une trentaine d'années, les affrontements et les débats politiques, y compris dans le cadre des institutions, ne sont plus corrélés à des programmes ou des débats, qui quelles que soient les limites et les erreurs des uns et des autres, avaient du sens pour la population, qui les prenaient comme des points de repères. Une partie des difficultés du fonctionnement institutionnel n'est pas uniquement liée aux institutions, mais également aux acteurs collectifs de la vie politique.
Est-ce que nos structures politiques favorisent ou défavorisent le fonctionnement de ces acteurs collectifs ? Le phénomène de dépréciation des partis au sens large semble aller dans le sens du fonctionnement institutionnel.
Je suis anxieux quant aux comportements très « court-termistes » dans la manière de s'approprier de l'efficacité et du temps au nom de l'efficacité politique et des symboles, qui induisent une perte de sens des différences dans l'offre politique. Les institutions ont-elles une part de responsabilités ? Jusqu'à quel point ? Cette question m'interroge.
Ghislaine OTTENHEIMER
Les corps intermédiaires (syndicats, partis politiques, etc.), qui sont très importants dans notre société, sont dépréciés et ne jouent plus leur rôle dans notre démocratie. Je pense que nos institutions ont paralysé une partie de ces corps intermédiaires.
Louis MERMAZ
Je partage votre inquiétude, qui n'est, selon moi, pas un problème constitutionnel ou institutionnel. Les Français, notamment les jeunes, ne se désintéressent pas de la chose publique, mais ne passent plus par des partis. Ils privilégient les ONG, les associations, les mouvements spontanés. Les jeunes s'intéressent à la chose politique et n'en sont pas détachés. Nous vivons néanmoins avec des partis hérités du XX e , voire du XIX e siècle. Les structures ne correspondent plus au monde d'aujourd'hui. Il est nécessaire d'inventer quelque chose de nouveau.
De quelle manière ? Lorsque la SFIO était sur le déclin, le mouvement des clubs a été lancé. Par les clubs, nous avions pénétré les vieux partis pour les faire évoluer. Je crois que le moment d'une résurrection démocratique viendra. Personne ne peut prédire la manière dont ce processus se déroulera. Nous sommes sur des formules périmées, impliquant un renouvellement.
Didier MAUS
Le doyen VEDEL avait coutume de dire pour définir la démocratie que c'était « le Gouvernement de la majorité, sous contrôle de l'opposition et l'arbitrage du peuple ». Notre V e République critiquée d'aujourd'hui avec le mandat de 5 ans et des élections législatives dans la foulée de l'élection présidentielle correspond exactement à cette définition, que certains pourraient considérer comme simpliste. Pendant cinq ans, une majorité composée d'un Président de la République de députés, gouverne, tandis qu'une opposition, qu'elle soit de gauche ou de droit, critique. Au bout de 5 ans, les nouvelles élections sont vécues comme un arbitrage du peuple, alors que les équipes sortantes laissent le pays dans un moins bon état qu'elle ne l'a trouvé. Voilà ce qu'est le système de la V e République.
Dans un message le 8 juillet 1981 à l'Assemblée nationale, le Président François MITTERRAND a fait la meilleure explication de ce qu'est le présidentialisme majoritaire : « Les Français se sont prononcés deux fois. Votre programme c'est celui-là. ». Ils ont approuvé son programme deux fois, à l'occasion des élections présidentielle et législatives. Il suffit de le mettre en oeuvre. Pierre Mauroy prononce ensuite le discours des trois roses, consistant à mettre en oeuvre ce double soutien.
L'originalité de la situation française réside dans la nécessité de deux élections pour obtenir cette configuration. Dans la plupart des pays, l'existence d'une majorité repose uniquement sur l'élection législative.
Pourrait-on changer la donne ? Idéalement, il le faudrait, mais politiquement, il est difficile de changer. Les relations entre le groupe majoritaire et l'exécutif ne fonctionnent pas. Aucun espace de dialogue entre la volonté exprimée par les députés de la majorité et l'exécutif (le Président et son Premier ministre) n'existe. Le Premier ministre d'un Gouvernement majoritaire, nommé par le Président de la République, s'exprime en sortant de l'Élysée ou bien retourne à Matignon. Lors de sa première déclaration, il remercie le Président, puis s'engage à mettre en oeuvre sa politique, conformément aux engagements. En réalité, à l'exception de la cohabitation, le Premier ministre n'a aucune légitimité politique personnelle. Quel que soit son charisme personnel, il n'est que le relai du Président de la République.
Je ne sais comment faire pour inventer la démocratie de demain.
Pascal CLÉMENT
S'agissant du rapport entre la majorité et le Premier ministre, quatre cinquièmes des députés savent qu'ils ne deviendront jamais Premier ministre et sont donc libres de parole. Par ailleurs, un Premier ministre n'est jamais sorti de nulle part. Tous les premiers ministres existent politiquement parlant.
Ghislaine OTTENHEIMER
Dans de nombreux pays, il y a deux élections, l'une consacrée à la fonction d'incarnation du pays et l'autre à la désignation du chef de l'exécutif. En France, les deux sont mélangées.
De plus, j'ai l'impression de porter plus d'angoisses que vous. Aucun exécutif n'est jamais reconduit dans le pays, sauf en période de cohabitation lorsque la responsabilité gouvernementale repose sur le camp d'en face. Comment conduire un pays sur des chemins difficiles avec un tel niveau de défiance et une telle incapacité à affronter les vrais sujets ? Une réflexion sur le decisionmaking peut ainsi s'avérer utile. Ce ne sont pas uniquement les hommes, mais aussi les structures qui définissent et conduisent l'action,
De la salle, Hélène LUC
Dans le Journal du Soir, j'ai lu un reportage instructif sur les jeunes qui évoquent les attentats. Plusieurs disent qu'ils n'en peuvent plus de mener la vie qu'ils mènent. Ils ne peuvent plus rêver, ce qui les pousse à sortir dans les cafés, les concerts, etc. ces endroits qui ont été précisément attaqués. Lors de mes déplacements au Vietnam, je me rends compte de l'optimisme de la jeunesse malgré les difficultés qu'elle éprouve, car elle a des projets.
Je suis très préoccupée par l'image que renvoient les institutions, qui sont malades. Un profond malaise est prégnant. Les Français ne se sentent pas représentés par l'Assemblée nationale et le Sénat tels qu'ils sont, et ne se sentent donc pas concernés par les décisions qui sont prises.
Les corps intermédiaires sont des relais essentiels. Si la décentralisation a été une réforme formidable, la suppression des départements décontenance tout le monde car elle crée un flou sur le devenir de rouages perçus comme essentiels, tels que les maires.
Je trouve que les parlementaires ne sont pas assez combatifs pour faire accepter des projets correspondant à leurs convictions profondes. La loi sur le génocide arménien a été rendue possible grâce à la mobilisation des citoyens et de groupes de sénateurs.