La Moldavie face à la transition
M. Nicolae TABACARU
Ministre des Affaires
étrangères de Moldavie
Je tiens
à exprimer mon plaisir à intervenir aujourd'hui devant vous. Je
suis heureux de m'exprimer sur un thème très sensible pour notre
pays. La volonté des Européens d'unifier leurs efforts est
née bien avant la création du Conseil de l'Europe. Les illustres
représentants de l'élite française et anglaise ont
essayé de concrétiser cette aspiration des peuples du Vieux
Continent à l'unité. Mais il a fallu un siècle pour que
certaines de ces idées aboutissent et pour que chacun prenne conscience
de la nécessité de l'unité européenne.
La performance la plus remarquable du Conseil de l'Europe est peut-être
son élargissement à tous les Etats européens.
L'intégration dans diverses structures continentales, notamment dans
l'Union européenne, est un objectif central de la politique
étrangère de plusieurs Etats européens, dont la
République de Moldavie. Le Conseil de l'Europe joue un rôle
particulier dans l'évolution démocratique de notre pays. Ses
exigences nous ont obligés à adapter notre législation aux
normes en vigueur et à effectuer une réforme institutionnelle. Je
tiens d'ailleurs ici à rendre hommage à M. Miguel Angel Martinez
et à Mme Catherine Lalumière qui, il y a cinq ans, ont
contribué de façon substantielle à l'octroi de mandats de
confiance à notre pays.
La Moldavie est devenue le premier membre de la Communauté des Etats
Indépendants à adhérer au Conseil de l'Europe. Je voudrais
en remercier Mme Josette Durrieu, rapporteur pour la Moldavie auprès de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. J'espère
qu'elle confirmera la poursuite des réformes démocratiques dans
notre pays, même si l'acceptation des principes démocratiques les
plus avancés et des normes de l'économie de marché ne
signifie pas qu'ils sont automatiquement atteints. Les problèmes
économiques et sociaux ne nous permettent pas encore de
bénéficier des succès attendus sur la voie de la
transition. Nous sommes toujours à la recherche de notre identité
moderne. S'il a fallu des siècles pour que les systèmes
politiques occidentaux se constituent, notre société n'a eu que
quelques années pour élaborer les siens.
Il y a quelques jours, j'ai participé à la réunion des
Ministres des Affaires étrangères des pays francophones. Nous
avons discuté de plusieurs problèmes, en particulier de
problèmes touchant à la promotion de la démocratie dans
les pays francophones. Le secrétaire général,
M. Boutros Boutros Ghali, a dit que la démocratie ne pouvait
être ni importée ni exportée. Cela me semble important. Il
nous faut du temps. La démocratie doit s'enraciner dans la
société, dans l'esprit des gens. Nous avons besoin de votre
assistance et nous demandons votre patience. La majorité des
problèmes que nous rencontrons sont inhérents à la
période de transition. Plus vite les Etats européens surmonteront
ces problèmes, plus vite on verra émerger une Europe
élargie et prospère.
La conscience européenne ne peut être fondée que sur la
sécurité et la stabilité de chaque Etat en particulier et
du continent en général. La sécurité signifie
d'abord l'intégrité territoriale des Etats. Il me semble que le
séparatisme, qui génère des conflits, constitue un
sérieux obstacle pour l'intégration européenne, pour
l'affirmation de la conscience européenne. Nous avons beaucoup
apprécié les résultats du sommet de l'OSCE d'Istanbul et
nous sommes certains que la mise en oeuvre de ses décisions contribuera
d'une manière directe à l'affirmation de la conscience et de
l'esprit européens. Nous considérons également que
l'expérience acquise au Kosovo est bonne, même si ses
modalités sont aujourd'hui discutées. Le massacre a
été arrêté et les bases nécessaires au retour
de la stabilité dans la région et à la préservation
de l'intégralité territoriale de la Yougoslavie ont
été consolidés. Il est important de ne pas créer de
précédents qui pourraient provoquer des réactions en
chaîne.
Le pacte de stabilité pour le Sud de l'Europe est également une
bonne initiative. Il est regrettable que la Moldavie y soit pour l'instant
acceptée uniquement en qualité d'observateur. Nous ne cesserons
pas de réclamer une participation à part entière. On ne
peut pas parler d'une véritable stabilité dans toute la
région sans tenir compte de l'intégralité de l'espace
européen. La Moldavie est confrontée depuis sept ans à un
conflit qui menace directement son intégrité territoriale. Sa
participation au pacte de stabilité est donc plus que vitale.
Par ailleurs, la Moldavie souhaite participer à l'Union
européenne et s'est toujours efforcée de répondre aux
exigences de cette intégration. Dans le cadre du pacte de
stabilité, des pays dont la situation est similaire à celle de la
Moldavie bénéficient d'un feu vert de la part de l'Union
européenne. Nous nous trouvons donc devant un dilemme : devons-nous
poursuivre nos efforts pour une adhésion au pacte à part
entière ou continuer dans la voie de l'association en répondant
aux exigences économiques de l'Union européenne ? Je pense
qu'une politique plus explicite s'impose.
Mesdames et Messieurs, la Moldavie est confrontée, comme les autres pays
de la région, au problème de la transition. Les changements
radicaux intervenus ces dernières années ainsi que les
réformes économiques ont généré des
difficultés inattendues pour toute la société. Nous vivons
aujourd'hui certains effets paradoxaux de la réforme. Une
catégorie de la population a vu sa mentalité modelée par
un système politique totalitaire qui assurait un niveau de vie nettement
supérieur à celui dont elle bénéficie
aujourd'hui : gratuité des études, protection sociale
élevée, etc.
L'expérience occidentale nous offre des modèles avancés
d'organisation de la vie politique et économique dans les conditions
d'un pluralisme véritable. La Moldavie a choisi le système
démocratique, comme le montrent les dix dernières années.
Mais les réformes ont conduit à une baisse dramatique du niveau
de vie. Il est normal que nos citoyens se demandent si les sacrifices qu'ils
doivent consentir en valent vraiment la peine. Nous avons donc besoin du
soutien international, de signaux d'encouragement clairs de l'Occident et des
organisations européennes pour nos réformes. Il devient difficile
de maintenir la motivation de la population pour l'Europe, surtout depuis que
nous avons affiché comme priorité l'intégration
plénière dans l'Union européenne. La volonté de
tout Etat, y compris la république de Moldavie, de se conformer aux
exigences de la conscience européenne, doit être stimulée
par des actions concrètes et non par de simples déclarations.
Il faut renoncer aux suspicions Est/Ouest. Nous n'avons rien à cacher.
Nous avons adopté le principe de la transparence. L'Occident comme les
pays de l'Est ont salué la disparition du bipolarisme. Nous
procédons à la construction d'un espace commun animé par
les valeurs suprêmes de la démocratie.
Le peuple moldave appartient à la famille européenne de par sa
culture et son histoire. La grande majorité de nos citoyens acceptent
l'idée de la diversité culturelle et de la modernité des
institutions européennes. L'unité européenne ne peut
être mise en oeuvre sans un système basé sur un respect de
la vie et de la dignité humaine. Le Conseil de l'Europe permet à
tout Etat européen d'identifier le rôle qu'il pourra jouer dans la
prochaine architecture.
En conclusion, j'aimerais croire que le concept de l'unité
européenne est aujourd'hui plus proche que jamais même si les
processus politiques, économiques et sociaux sur lesquels il repose
n'est pas exempt de nuages. Le Conseil de l'Europe devra identifier de
nouvelles voies et des moyens viables pour répondre aux exigences et
matérialiser les espoirs de tous les peuples européens comme il
l'a fait pour les démocraties occidentales.