B. DES MESURES D'AMPLEUR LIMITÉE POURRAIENT UTILEMENT FREINER LE RYTHME DES DÉPARTS
La
France n'a pas la force d'attraction qui est aujourd'hui celle des pays
anglo-saxons. Le marché des nouvelles technologies y est beaucoup moins
développé. Elle souffre par rapport à ces grands
concurrents d'un handicap de départ qu'elle doit impérativement
compenser, faute de quoi elle ne parviendra ni à retenir les talents
qu'elle forme et les entreprises qu'elle créée, ni à
attirer les hommes et les capitaux que la planète se dispute. La seule
façon d'y parvenir est de créer un environnement administratif et
fiscal qui, sans être un paradis, se compare favorablement aux
facilités offertes ailleurs.
Or, la situation faite en France aux créateurs et à leurs
entreprises est aux antipodes de cet objectif : les formalités
administratives sont plus complexes que partout ailleurs, la fiscalité
est plus lourde, la législation du travail plus rigoureuse, les
prélèvements sociaux plus élevés. Difficile dans
ces conditions de ne pas céder à l'attraction de l'univers
anglo-saxon. D'autant plus que les pouvoirs publics, loin de corriger le tir,
aggravent d'année en année le poids de la réglementation
et de la fiscalité. La semaine des trente-cinq heures et le resserrement
du dispositif régissant les stock options, les contrôles
incessants auxquels les entreprises sont soumises ont été
régulièrement évoqués par les entrepreneurs que le
Groupe de Travail a interrogés en et hors de France.
Le paradoxe est d'autant plus frappant que la France dispose, dans le secteur
des nouvelles technologies, de l'atout maître que constitue un
système de formation reconnu mondialement comme un des meilleurs. Cet
atout, la France donne le sentiment de le brader. Tout se passe comme si elle
ne portait sa jeune élite informatique à un niveau d'excellence
que pour l'exporter vers les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d'où elle
importera ensuite les services que notre jeunesse aura contribué
à y produire.
Mais le paradoxe est plus facile à dénoncer qu'à corriger.
Deux voies s'offrent.
La première consisterait à initier sur tous les fronts une
politique différente de celle pratiquée depuis des
décennies par tous les gouvernements qui se sont succédés.
Il faudrait alléger le taux des prélèvements obligatoires,
notamment ceux qui pèsent sur les particuliers (impôt sur le
capital et sur les revenus), simplifier radicalement les procédures,
rendre plus flexible la législation du travail et faire évoluer
l'état d'esprit de l'administration.
La seconde voie a une ambition plus modeste. Elle ne vise qu'une
catégorie spécifique de contribuables, les créateurs
d'entreprise, et un secteur particulier, celui de la nouvelle économie.
C'est la voie choisie par l'actuelle majorité. Les mesures allant dans
ce sens ont été détaillées aux pages 69 à 73
du présent rapport. Mais les limites d'une telle politique apparaissent
rapidement, et en particulier l'une d'elles : le créateur qui
réussit cesse très vite d'appartenir à la catégorie
qu'on a voulu privilégier et devient un contribuable ordinaire, passible
notamment de l'ISF. Cela l'incite à se délocaliser, privant la
collectivité non d'une entreprise naissante avec tous les aléas
que la création comporte, mais d'une entreprise qui a réussi et
dont l'apport à l'économie nationale est sans commune mesure.
Il demeure que cette voie apparaît, compte tenu des obstacles politiques
et idéologiques qui rendent un changement global d'orientation
illusoire, comme la seule réaliste. Aussi est-ce celle que le Groupe de
Travail a privilégiée dans les propositions qu'il formule dans
les pages qui suivent.
Ces propositions s'inspirent dans une large mesure de celles déjà
faites par les diverses commissions du Sénat (affaires
économiques, finances, affaires culturelles et affaires sociales) mais
rejetées par le Gouvernement pour des raisons qu'il est difficile de ne
pas considérer comme idéologiques. Ces mesures concernent d'une
part l'ISF, d'autre part, le développement des " business
angels " et enfin le régime des stock options.
1. Réformer l'ISF
Il
convient de réformer les règles relatives à
l'exonération des biens professionnels et à la limitation du
plafonnement de l'ISF dont on a vu combien elles pouvaient inciter les
entrepreneurs au départ.
Adapter l'ISF au caractère spécifique des entreprises
innovantes
Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, le créateur
d'entreprise, à l'issue du " énième " tour de
table ne détient plus en général les 25 % de son
entreprise nécessaires pour que sa participation soit
exonérée en tant qu'outil de travail. Il devient passible de
l'ISF alors que sa société, comme toutes celles de la nouvelle
économie, ne génère encore aucun bénéfice.
Il faudrait (et il suffirait) d'abaisser à un " niveau
réaliste " le seuil à partir duquel la participation d'un
chef d'entreprise est reconnue en tant que bien professionnel. Plusieurs
suggestions ont été faites.
L'association " Croissance Plus ", qui regroupe plusieurs centaines
de start-up, propose de fixer le seuil à 3 %, en réservant
l'exonération aux dirigeants salariés de leur entreprise dont
75 % des salaires proviennent de cette entreprise.
Rétablir le plafonnement de l'ISF en vigueur avant 1996
La décision limitant le plafonnement de l'ISF est une des mesures qui
conduit les titulaires des patrimoines les plus élevés à
s'expatrier, pour échapper à un cumul de l'impôt sur le
revenu et de l'impôt sur la fortune qui dépasse 85 % des
revenus de cette catégorie de contribuables. Comme l'observe le service
de la législation fiscale du Ministère de l'économie et
des finances : "
La France apparaît comme le seul Etat ayant
créé un ISF qui cumule le seuil le plus élevé de
déclenchement de la règle de plafonnement (85 % du revenu
imposable) avec le dispositif le plus rigoureux limitant cet
avantage
"
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