2. L'exode d'une génération de cadres et de créateurs d'entreprises n'en constitue pas moins une perte sérieuse pour le pays
Le
départ de jeunes diplômés, de cadres ou d'entrepreneurs
français à l'étranger n'est un atout pour la France que si
ces derniers reviennent en France ou travaillent pour des entreprises
françaises. Mais lorsqu'un entrepreneur français se
délocalise à l'étranger, quand un chercheur poursuit sa
carrière dans une université américaine, quand un
entrepreneur s'installe, fortune faite, comme investisseur, à Bruxelles,
le bilan de l'opération pour la collectivité nationale est
clairement négatif.
Même si l'existence d'une diaspora d'ingénieurs ou d'entrepreneurs
français installés à l'étranger peut favoriser des
transferts de technologie, de savoir-faire et susciter des flux d'exportations,
ces départs constituent pour la France une perte non négligeable.
Loin de contribuer au rayonnement de la France à l'étranger, leur
départ est le signe visible d'une moindre compétitivité du
territoire national.
Qu'ils aillent chercher à l'étranger des marchés en
expansion, un environnement professionnel plus porteur ou une fiscalité
plus accueillante, ces expatriés vont là où ils estiment
que leurs talents se développeront le mieux. La France perd ainsi des
jeunes entrepreneurs, des chercheurs, des cadres dirigeants, faute de leur
proposer un environnement équivalent.
Symptôme d'une moindre attractivité du territoire français,
cette nouvelle vague d'émigration est d'autant plus préoccupante
qu'elle est à sens unique. L'émigration de chercheurs,
d'ingénieurs ou de créateurs d'entreprises français
à l'étranger ne s'accompagne pas, en effet, d'un mouvement
inverse en direction de la France, comme c'est le cas pour les investissements
directs des entreprises qui font l'objet de flux croisés entre la France
et l'étranger. Le nombre de créateurs d'entreprises ou de
chercheurs américains ou anglais qui s'installent en France pour des
raisons professionnelles est dérisoire. Les quelques données
disponibles relatives aux jeunes diplômés, montre que, si le
nombre de Français qui obtiennent chaque année un doctorat
scientifique aux Etats-Unis est de l'ordre de plusieurs centaines, les
Américains poursuivant des études de haut niveau en France ne
dépassent pas la dizaine
84(
*
)
.
Phénomène à sens unique, cette nouvelle émigration
apparaît, également, pour une large part, irréversible. Si
30 % seulement des diplômés des grandes écoles
interrogés par l'enquête de la chambre de commerce de la
région Rhône-Alpes pensent s'installer définitivement
à l'étranger, cette proportion est beaucoup plus importante pour
les créateurs d'entreprise et les détenteurs de patrimoine.
La quasi-totalité des entrepreneurs implantés à
l'étranger depuis plus de cinq ans n'envisage pas de revenir en France.
Bien intégrés dans leur pays d'accueil, ces entrepreneurs
affirment avoir adopté des méthodes de travail anglo-saxonnes
qu'ils n'envisagent pas de pouvoir transposer en France. En outre, pour ceux
qui ont réussi, le fait d'être imposé à l'ISF sur
leur patrimoine, ou à 40 % sur les plus-values des stock-options qu'ils
ont obtenues à l'étranger, exclut toute perspective de retour.
Lorsque certains de ces Français qui ont réussi aux Etats-Unis
souhaitent, après avoir revendu les parts de la société
qu'ils ont créée, regagner l'Europe, ils s'installent souvent,
pour des raisons fiscales, à Genève, à Bruxelles ou
à Londres.
Il en résulte une perte sèche pour la collectivité
nationale. Ce sont autant d'entreprises, de richesses et d'emplois
créés à l'étranger à partir
d'investissements faits en France dans nos grandes écoles et nos
universités. Christian Saint-Etienne, Professeur à
l'Université Paris-Dauphine, estimait récemment à deux
millions de francs le coût moyen de la formation d'un ingénieur
français
84(
*
)
(dépenses supportées par les parents et le système
éducatif, de la naissance à l'obtention du diplôme).
Comme l'observe le rapport des chambres de commerce et d'industrie de la
région Rhône-Alpes sur le départ pour l'étranger des
jeunes diplômés :"
Même si cette estimation
concernait les diplômés de l'X, de Centrale ou des Mines, l'ordre
de grandeur interpelle quand on constate qu'un tiers des jeunes
diplômés expatriés, qui sont partis très rapidement
après l'obtention du diplôme, ne compte pas rentrer en France.
L'investissement perdu se révèle
conséquent.
"
85(
*
)