C. LES CONDITIONS DE FABRICATION D'UN SECOND PORTE-AVIONS
On oppose souvent, au projet de construction d'un second porte-avions, l'étroitesse du budget d'investissement des armées. C'est donc au regard de cette contrainte budgétaire forte qu'il convient d'examiner les différentes hypothèses.
1. Le cadre budgétaire
Le choix
de construire un second porte-avions répond à une double exigence
de cohérence.
La cohérence de la planification tout d'abord. La Marine a
été profondément transformée par la
professionnalisation des armées et son format a été
réduit de 20 %. Cette évolution doit permettre une modernisation
et un renouvellement de son équipement, défini dans le
" modèle 2015 ". Celui-ci fixe un niveau cohérent des
différents équipements et types de bâtiments pour que la
Marine puisse remplir ses missions. Le " modèle 2015 "
prévoyant deux porte-avions, il importe que le second exemplaire soit
mis en chantier dans la prochaine loi de programmation pour une entrée
en service entre 2010 et 2015, avant le deuxième arrêt pour
changement de coeur du
Charles de Gaulle
.
La cohérence de l'effort budgétaire déjà consenti
ensuite. L'ensemble porte-avions-groupe aérien constitue un tout
inséparable. Or, au total,
ce sont quelque 70 milliards de francs
d'investissements qui ont déjà été engagés
ou programmés
(45 milliards pour le
Rafale Marine
, 6
milliards pour le
Hawkeye,
20 milliards pour le
Charles de
Gaulle
). Il serait incohérent d'avoir effectué de telles
dépenses pour ne disposer,
in fine
,
que d'une
disponibilité limitée à 60 % du temps.
Plusieurs éléments légitiment qu'un effort
budgétaire spécifique soit consenti pour la construction d'un
second porte-avions.
En premier lieu, l'actuelle loi de programmation militaire, en cours
d'exécution, a prévu, dans le " modèle 2015 "
dont elle constitue le premier jalon, la construction d'un second porte-avions,
en la subordonnant à l'existence d'un contexte économique
favorable. Or, les actuelles perspectives de croissance et le retour d'un
environnement budgétaire plus positif devraient légitimement
bénéficier également au budget d'investissement des
armées, au profit de certaines capacités opérationnelles
prioritaires.
En deuxième lieu, il serait erroné, aux yeux de votre rapporteur,
d'envisager la construction d'un second porte-avions dans le cadre d'une
enveloppe affectée
a priori
à la seule Marine. Le choix du
second porte-avions relève d'une
approche interarmées et d'une
réflexion par système de forces
, qui devraient
désormais régir le choix des futurs investissements. Les besoins
de projection de forces et de puissance sont désormais reconnus et le
porte-avions constitue un des éléments clés de ces
missions. A l'heure où la France entend développer des
capacités propres à lui conférer des
responsabilités significatives dans d'éventuelles coalitions, la
possession d'un groupe aéronaval disponible en permanence est un enjeu
qui peut dépasser le cadre budgétaire de la seule marine.
Troisièmement, le coût du second porte-avions, s'il est
évidemment important, ne semble pas excessif au regard du budget des
armées. Il s'agirait d'une
dépense de l'ordre de 12 à
14 milliards de francs selon les options retenues
, en l'état actuel
des études menées par la Marine, la DGA et DCN. Trois options
semblent se dégager :
-
la première
consisterait à construire
un porte-avions
à propulsion nucléaire
très proche du
Charles de
Gaulle
. Ce navire offrirait toutes les qualités de ce dernier et un
grand nombre de synergies grâce à la similitude des deux
bâtiments dans le fonctionnement, l'entretien et la formation des
personnels. Ses coûts d'achat et de possession sont toutefois
majorés au regard d'une propulsion classique;
-
la seconde
option consisterait à
construire un porte-avions
de type
Charles de Gaulle
en le dotant d'une propulsion classique
.
L'économie à l'achat serait de l'ordre de 1 à 2 milliards
de francs, mais des études seraient cependant nécessaires pour
adapter au bâtiment une propulsion différente. Un tel porte-avions
aurait évidemment une autonomie et un rayon d'action réduits par
rapport au
Charles de Gaulle,
mais permettrait des économies de
" coût de possession " sur les 40 ans de vie du navire.
-
la dernière
option consisterait à retenir
un
porte-avions à propulsion classique dont les capacités seraient
optimisées pour la mise en oeuvre de l'aviation
, au détriment
de ses capacités de défense. Un tel choix ouvrirait une
possibilité de coopération avec la Grande-Bretagne et
permettrait, à moindre coût, une permanence à la mer du
groupe aéronaval.
Enfin, l'examen du cadre budgétaire doit également prendre en
compte les autres besoins de la Marine que votre rapporteur a
précédemment rappelés et qui grèveront encore les
premières annuités de la prochaine loi de programmation.
2. Assurer la maîtrise des coûts
La
durée excessive du programme
Charles de Gaulle
est
à l'origine de la plupart des surcoûts, directs ou indirects, dont
il a fait l'objet. Cette " dérive " n'est sans doute pas sans
lien avec le statut de la DCN, fonctionnant davantage comme une régie
que comme une entreprise encadrée dans des règles contractuelles
avec son client. Pour leur part, les Etats-Unis financent, en une seule fois,
un ou deux porte-avions construits sur une durée moyenne de 6 ans. Le
Royaume-Uni affiche le même objectif de délai et privilégie
une démarche contractuelle dans le cadre d'une " enveloppe
fermée ", après la clôture des études. La
France pourrait s'inspirer, dans le cas d'espèce, de ces
procédures, qui permettent de conjuguer la vigilance financière
et la rigueur des délais de fabrication.
Au Royaume-Uni, où la recherche d'économies et un souci constant,
les études préliminaires de faisabilité ainsi qu'une
partie de la réflexion sur les capacités opérationnelles
des futurs porte-avions ont été déléguées
à des consortiums privés, mis en concurrence.
Les exemples étrangers pourraient également nous conduire
à effectuer un
choix industriel compétitif
. La
construction d'un porte-avions est un enjeu important en terme de
chiffre
d'affaires et d'emploi
-environ 12 milliards de francs et
10 millions d'heures de travail, soit quelque 1 000 emplois sur
10 ans- mais la logique de plan de charge des arsenaux publics ne doit pas
conduire à des choix industriels qui s'avéreraient inefficaces.
Votre rapporteur rappelle, à cet égard, que l'évolution de
la DCN, aujourd'hui transformée en service à compétence
nationale (SCN), constitue un enjeu majeur pour l'équipement de la
Marine, notamment en raison des gains de productivité attendus de 15
à 20 %. La spécialisation dans l'intégration des
systèmes d'armes et la maîtrise d'oeuvre de haut niveau, ainsi que
le rapprochement avec Thomson devront concourir à améliorer sa
compétitivité.
Les Chantiers de l'Atlantique, filiale du groupe Alstom, pourraient
également participer à la fabrication du bâtiment,
notamment pour la coque qui représente 10 à 15 % du
coût, l'entreprise de Saint-Nazaire disposant notamment d'une cale
sèche beaucoup plus grande que celle de l'arsenal de Brest.