Rapport d'information n° 347 (1999-2000) de M. Gérard CORNU , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 17 mai 2000
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INTRODUCTION
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RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA
DÉLÉGATION
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EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION
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ANNEXES
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ANNEXE N° 1
LETTRE DE SAISINE DU PRÉSIDENT
DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
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ANNEXE N° 2
COMPTE RENDU DES AUDITIONS
N° 347
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 17 mai 2000 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à l' égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ,
Par M. Gérard CORNU,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : Mme Dinah Derycke, président ; Mmes Janine Bardou, Paulette Brisepierre, MM. Guy-Pierre Cabanel, Jean-Louis Lorrain, Mmes Danièle Pourtaud, Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Lucien Neuwirth, secrétaires ; Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Bernadaux, Mme Annick Bocandé, MM. André Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Xavier Darcos, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Alain Gournac, Mme Anne Heinis, MM. Alain Joyandet, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Jacques Machet, Philippe Nachbar, Mme Nelly Olin, M. Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Philippe Richert, Alex Türk.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2132 , 2220 , 2225 et T.A. 469
Sénat : 258 (1999-2000)
Femmes .
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Lors de sa séance du 15 mars 2000, la Commission des Affaires sociales du Sénat a décidé de saisir votre Délégation de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson et plusieurs de ses collègues relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars.
En guise d'introduction, votre Délégation voudrait livrer quelques considérations sur le travail des femmes afin de situer le débat sur l'égalité professionnelle.
Les femmes entre 25 et 50 ans ont, en France, un taux d'activité de 80 %. Leur entrée massive sur le marché du travail doit être regardée comme un phénomène social majeur du dernier quart du vingtième siècle. Elles ont acquis, sur ce marché, non seulement une place réelle mais aussi une crédibilité. Selon l'enquête emploi de mars 1998, leur présence dans les catégories cadres et professions intellectuelles supérieures (34,2 % en 1996) a fortement progressé en une décennie (27 % en 1986).
Loin d'avoir les effets négatifs sur le marché de l'emploi, qu'un raisonnement rapide et sans doute un peu sommaire lui attribuait traditionnellement, le travail des femmes apparaît aujourd'hui comme un stimulant économique : il a des conséquences positives sur la demande globale (ayant plus de revenu disponible, les femmes consomment davantage) et entraîne la création d'emplois induits dans les services de proximité (notamment pour la garde des enfants assurée, en moyenne, par un emploi à temps plein pour 2,5 enfants) ou de loisirs.
Les études d'impact sur le taux de fécondité ont elles-mêmes été affinées : la France figure parmi les pays qui enregistrent à la fois un fort taux d'activité des femmes et une stabilité, voire une remontée, du taux de fécondité. Elle est même peut-être celui où l'activité professionnelle des femmes qui ont deux ou trois enfants est la plus importante. Elle est aussi, ce qui n'est pas sans lien, en tête des pays européens pour la scolarisation des enfants dès l'âge de trois ans.
L'image de la femme qui travaille est donc aujourd'hui dominante et l'activité professionnelle pour la plupart des jeunes filles évidente.
En travaillant, les femmes recherchent l'autonomie, l'indépendance financière (revenus immédiats et constitution de droits personnels de retraite), la garantie contre deux risques nouveaux, le chômage et la séparation du couple (laquelle intervient dans un tiers des cas, et même la moitié dans les grands centres urbains comme Paris), leur valorisation auprès de leur famille et de la société.
Comme le montre ces différentes données et comme l'a reconnu devant votre Délégation Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle, notre pays, s'il était en retard par rapport à d'autres sur la parité politique, l'est beaucoup moins sur l'égalité professionnelle. Il se situe dans la moyenne des pays de développement économique comparable. Tous les pays européens travaillent par ailleurs aujourd'hui sur le sujet.
Pour autant, on ne peut d'évidence se satisfaire de la situation actuelle. Les femmes sont globalement concentrées dans les emplois peu qualifiés et mal payés, elles sont plus exposées que les hommes à la précarité du travail en général et au chômage en particulier. Elles sont très minoritaires à la tête des entreprises, dans la haute fonction publique et dans les responsabilités syndicales, surtout au niveau de l'entreprise. C'est sur elles que continue à reposer l'essentiel des tâches domestiques et familiales, les " nouveaux pères " ou " nouveaux hommes " se rencontrant, en dépit d'évolutions sensibles, plus souvent sur la couverture des magazines qu'à la maison ...
Même si la femme doit rester, dans la majorité des cas, la cheville ouvrière de l'organisation familiale, la poursuite de l'objectif de l'égalité professionnelle peut permettre de répondre à ses aspirations sociales, à ses attentes, qui se déclinent en un certain nombre de choix ou de possibilités : choix de travailler, choix du métier, choix des conditions dans lesquelles il s'exerce, possibilité d'accéder aux postes de responsabilité et de décision, à tous les niveaux, dans l'entreprise, le mouvement syndical ou associatif, la vie politique.
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I. DE LA LOI ROUDY À LA PROPOSITION DE LOI GÉNISSON
1. Le bilan de la loi Roudy
Faisant suite à l'adoption de la directive européenne n° 76/207 du 7 février 1976 relative à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail, la loi du 13 juillet 1983 , dite " loi Roudy " 1 ( * ) , visait à faire passer en France le droit des femmes d'une " logique de protection " à une " logique d'égalité ".
Elle a introduit un principe général de non discrimination entre les sexes à tous les stades et dans tous les domaines des relations de travail -recrutement, rémunération, promotion, formation- avec une exception pour les emplois où le sexe apparaît déterminant (mannequins, artistes, etc...).
Elle a autorisé les mesures temporaires d'embauche, de formation, de promotion, de rémunération ou de conditions de travail en faveur des femmes pour remédier aux inégalités de fait.
Afin de conforter l'objectif d'égalité de rémunération entre hommes et femmes, elle a étendu le principe " à travail égal, salaire égal " aux emplois de " valeur égale ".
Elle a permis aux organisations syndicales de se constituer partie civile sur le terrain de l'égalité professionnelle et renforcé le contrôle de l'inspection du travail.
Elle a créé le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, chargé de participer à la définition, à la mise en oeuvre et à l'application de la politique menée en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Elle a doté la promotion de l'égalité professionnelle dans l'entreprise de trois instruments :
- l'élaboration par l'employeur (dans les entreprises d'au moins cinquante salariés) d'un rapport annuel sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise, ce rapport -qui porte tout à la fois sur l'embauche, la formation, la promotion professionnelle, les qualifications, les classifications et les conditions de travail et de rémunération- devant être présenté au comité d'entreprise, ou à défaut aux délégués du personnel, et faire l'objet d'un débat,
- la signature d'un plan d'égalité professionnelle entre la direction et les syndicats présents dans l'entreprise visant, par des mesures temporaires de rattrapage, à remédier aux inégalités existant en matière d'embauche, de formation, de promotion ou de conditions de travail,
- une aide financière de l'État aux plans d'égalité professionnelle comportant, dans le cadre d'un contrat d'égalité professionnelle passé avec l'État, des actions exemplaires en faveur des femmes dans l'entreprise.
Le bilan de la loi Roudy est médiocre.
Au niveau interprofessionnel, un accord national sur l'égalité professionnelle (constat de situation, définition d'objectifs) a été signé par les partenaires sociaux le 23 novembre 1989, mais ses dispositions n'ont été reprises que dans un seul secteur, celui de la cimenterie.
Au niveau de la branche, les avancées ont été un peu plus nettes, l'égalité professionnelle apparaissant notamment dans les thèmes de négociation lors de la refonte des conventions collectives ou la conclusion de nouvelles conventions.
Au niveau de l'entreprise, en raison de leur lourdeur, seuls trente-quatre plans d'égalité professionnelle ont été négociés, vingt-deux ayant bénéficié de financements publics dans le cadre d'un contrat d'égalité professionnelle.
À peine la moitié des entreprises ont procédé à l'établissement du rapport sur la situation comparée des femmes et des hommes et, les décrets d'application qui devaient préciser les indicateurs à partir desquels ce rapport devait être établi n'étant pas intervenus, les bilans produits sont parfois peu lisibles ou donnent une image approximative de la réalité.
L'insuffisante application de la loi Roudy ne saurait être imputée aux seuls chefs d'entreprise. Les responsabilités en la matière sont largement partagées. Sur le terrain, en effet, les représentants des personnels ont rarement utilisé les moyens mis à leur disposition pour exiger l'établissement du rapport de situation comparée. Force est de constater que dans le contexte de chômage élevé des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, l'égalité professionnelle n'est pas apparue comme prioritaire aux partenaires sociaux.
2. La proposition de loi Génisson
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars dernier fait suite au rapport que Mme Catherine Génisson a remis au Premier ministre en juillet 1999 (" Femmes-hommes. Quelle égalité professionnelle ? La mixité professionnelle pour plus d'égalité entre femmes et hommes ").
Elle vise, dans un titre premier, à modifier le Code du travail pour renforcer la loi Roudy et, dans un second, à mieux assurer l'égalité professionnelle dans les trois fonctions publiques (fonction publique de l'État, fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière).
a) Les dispositions modifiant le Code du travail
Les articles premier et 2 de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson ont trait au rapport annuel de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise.
L'article premier tend à préciser les éléments d'appréciation sur lesquels doit s'appuyer ce rapport (" des indicateurs pertinents définis par décret ") et l'article 2 à renforcer l'information des salariés (les indicateurs devront être portés à leur connaissance, notamment par voie d'affichage).
L'Assemblée nationale a complété ce dispositif, d'une part, en prévoyant que le rapport de situation comparée pourrait éventuellement reposer aussi sur des indicateurs tenant compte de la situation particulière de l'entreprise et, d'autre part, en renforçant l'obligation d'affichage par l'employeur sur les lieux de travail.
Elle a par ailleurs souhaité que l'avis rendu par le comité d'entreprise sur le rapport de situation comparée soit motivé ( article 1 er bis nouveau ).
L' article 3 vise à créer une obligation spécifique de négocier sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (objectifs d'amélioration et mesures permettant de les atteindre) au niveau de l'entreprise. Cette obligation serait annuelle ; si un accord collectif a été conclu, la périodicité de la négociation serait portée à trois ans.
Il étend ainsi au problème de l'égalité professionnelle le régime de négociation en vigueur pour les salaires, la durée et l'organisation du temps de travail. Cette extension concerne aussi les sanctions pénales encourues en cas de manquement à l'obligation de négociation ( article 4 ).
L'Assemblée nationale a amendé l'article 3 principalement pour parfaire encore l'assimilation des régimes : à défaut de négociation sur l'égalité professionnelle à l'initiative de l'employeur dans les douze mois écoulés, celle-ci s'engage de droit, comme dans les autres domaines, à la demande d'une organisation syndicale représentative et dans les quinze jours de cette demande.
Dans un article 5 , la proposition de loi de Mme Catherine Génisson vise à compléter le Code du travail pour obliger à prendre en compte de façon intégrée l'égalité professionnelle dans l'ensemble des négociations annuelles obligatoires dans l'entreprise.
Les articles 6 et 7 de la proposition de loi (et 8 dans sa rédaction initiale) concernent l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle au niveau de la branche ou entre entreprises liées par un accord professionnel. Ils visent :
- à instaurer, pour cette obligation, une périodicité de trois ans,
- à lui donner pour base un rapport de situation comparée des hommes et des femmes et des indicateurs pertinents pour chaque secteur d'activité,
- à intégrer l'objectif d'égalité professionnelle dans l'ensemble des négociations obligatoires dans la branche (salaires, classifications, formation professionnelle), la démarche étant la même que celle envisagée à l'article 5 pour le niveau de l'entreprise.
Sur le fond, la seule modification apportée par l'Assemblée nationale tend à préciser que les indicateurs pertinents pour chaque secteur d'activité qui doivent servir de base, avec le rapport de situation comparée, à la négociation sur l'égalité professionnelle au niveau de la branche, devront reposer notamment sur des éléments chiffrés.
L' article 9 de la proposition de loi (article 8 dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale) a trait aux aides publiques en faveur de l'égalité professionnelle.
Il vise à étendre l'aide financière accordée par la loi Roudy aux entreprises qui s'engagent à des actions exemplaires dans le cadre d'un " contrat d'égalité professionnelle ".
Les plans d'égalité professionnelle ayant eu jusqu'à ce jour peu de succès en raison de leur lourdeur, la proposition de loi de Mme Catherine Génisson suggère d'en assouplir doublement le dispositif : les actions exemplaires réalisées par voie de simple accord collectif hors du cadre strict d'un plan d'égalité professionnelle seraient éligibles à l'aide publique ; tous les employeurs visés par l'article L.131-2 du Code du travail, et non les seuls entreprises et groupements d'entreprises, pourraient y prétendre (et notamment les associations).
b) Le volet public
Le titre II de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson fixe le cadre législatif permettant d'introduire une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans un certain nombre d'organes propres à l'administration. Il met ainsi en oeuvre plusieurs des propositions du rapport remis en février 1999 par Mme Anne-Marie Colmou au ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'État et de la Décentralisation (" L'encadrement supérieur de la fonction publique : vers l'égalité entre les hommes et les femmes ").
Dressant un état des lieux de la situation des femmes dans les trois fonctions publiques, ce rapport démontre que si leur proportion s'est accrue depuis plus de vingt ans pour atteindre aujourd'hui 57 %, deux déséquilibres essentiels demeurent entre les sexes en ce qui concerne les catégories d'emploi et les niveaux hiérarchiques. Il préconise :
- d'améliorer la connaissance statistique, statique et dynamique, de la place des femmes et de son évolution ;
- de promouvoir le recrutement de cadres supérieurs féminins de la fonction publique en agissant sur les filières scolaires, sur le mode de sélection des fonctionnaires et sur la composition des jurys ;
- d'organiser et de gérer de manière volontariste la vie administrative quotidienne de façon à l'ouvrir aux femmes et à la rendre plus adaptée à leurs contraintes spécifiques (plans d'objectifs de féminisation des corps ou des fonctions, constitution de viviers de candidatures féminines, féminisation des organismes paritaires, mise en place d'aides qualifiées pour favoriser l'organisation des tâches familiales, innovations diverses en matière de gestion du temps et des horaires de travail, renforcement de la gestion personnalisée et prévisionnelle des ressources humaines, décloisonnement du fonctionnement entre les ministères et amélioration de la prise de décision interministérielle).
Si certaines recommandations du rapport Colmou ne sont susceptibles d'être mises en oeuvre que dans la durée car elles impliquent des mutations profondes dans la manière même de fonctionner de notre administration (telles l'expérimentation du temps partiel dans les postes d'encadrement, la réduction de l'amplitude des horaires de travail dans la haute fonction publique, ou la rationalisation des processus de concertation et de décision grâce en particulier au recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication), d'autres pouvaient, en revanche, faire l'objet d'une traduction plus immédiate au travers de lois et de règlements.
Au niveau réglementaire, un décret n° 2000-201 et une circulaire du Premier ministre ont institué le 6 mars dernier des plans pluriannuels d'amélioration de l'accès des femmes aux emplois et postes d'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État dans tous les départements ministériels. Ces plans arrêteront, pour des périodes de trois à cinq ans, des objectifs quantifiés en matière de féminisation de nombreux emplois de direction et d'encadrement. En outre, en application de l'article 6 du décret n° 2000-201, les comités techniques paritaires recevront désormais communication et débattront d'un rapport annuel sur la situation respective des femmes et des hommes en matière de recrutement, d'avancement et de promotion, ce rapport devant comprendre notamment un bilan des mesures prises en l'application des plans d'objectifs pluriannuels.
D'autres initiatives concernent, d'une part, la signature 2 ( * ) , le 25 février 2000, d'une Convention pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif , où figurent l'objectif de mieux faire connaître aux filles les carrières de la haute fonction publique, et, d'autre part, la création prochaine d'un Comité de pilotage auprès de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, qui aura en particulier pour mission d'examiner comment valoriser tous les types de compétences utiles, notamment féminines, lors des épreuves des concours de la fonction publique.
En revanche, le Conseil d'État a estimé que le pouvoir réglementaire ne pouvait définir les règles favorisant la représentation des femmes dans certaines instances de la fonction publique (commissions administratives et comités techniques paritaires, jurys de concours). Saisi à l'automne dernier de projets de décrets, il leur a opposé un avis défavorable en considérant que de telles règles, parce qu'elles portent atteinte au principe de non discrimination entre les fonctionnaires à raison de leur sexe prévu par l'article 6 du statut général des fonctionnaires, ne pouvaient être introduites que par la loi.
Ce sont ces différentes mesures que vise à inscrire dans notre droit le titre II de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson.
Le chapitre I er du titre II de la proposition de loi ( articles 10 à 14 ) répond directement à la quatrième proposition du rapport Colmou, en suggérant de clarifier la rédaction de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, cette clarification permettant en outre d'accorder une place particulière aux discriminations liées au sexe.
Compte tenu des modifications qui lui ont été apportées tant par la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de leur handicap que par la loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992 relative à l'abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations de travail et modifiant le Code du travail et le Code de procédure pénale, le contenu de cet article 6 est actuellement très hétérogène.
En effet, il interdit, de manière indifférenciée, les discriminations en raison des opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses des fonctionnaires, et celles qui résulteraient de leur appartenance ethnique, de leur état de santé ou de leur handicap, ou encore de leur sexe -tout en autorisant les distinctions qui tiennent compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions ou encore, exceptionnellement, les recrutements distincts pour les hommes ou les femmes lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des fonctions-, et les protège enfin contre les abus d'autorité en matière sexuelle.
Il a donc perdu en lisibilité et l'amalgame qu'il fait nuit, en force, à la dénonciation des discriminations.
C'est pourquoi la proposition de loi de Mme Catherine Génisson tend à en extraire, pour les insérer dans deux articles 6 bis et 6 ter nouveaux de la loi de 1983, les dispositions qui, d'une part, interdisent les discriminations fondées sur le sexe, et, d'autre part, protègent les fonctionnaires contre l'abus d'autorité en matière sexuelle.
Les députés ont saisi l'occasion de cette réorganisation pour proposer de compléter les dispositions applicables.
Ainsi, à l' article 13 de la proposition de loi, ils ont fait figurer, sous l'article 6 bis du statut général nouvellement créé, un alinéa qui autorise, de manière générale, la discrimination entre les femmes et les hommes lors de la désignation, par l'administration, des membres des jurys et comités de sélection constitués pour le recrutement et l'avancement des fonctionnaires, comme de ses représentants aux commissions administratives paritaires (CAP) et aux comités techniques paritaires (CTP), dans le but de parvenir à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans toutes ces instances. Cette dérogation au principe de non-discrimination est ensuite déclinée, de manière précise, dans d'autres articles de la proposition de loi qui modifient les textes propres à chacune des trois fonctions publiques.
A l' article 14 , le transfert des dispositions relatives à l'abus d'autorité en matière sexuelle de l'article 6 du statut général au nouvel article 6 ter s'accompagne d'une adjonction étendant aux mesures concernant la discipline la protection dont bénéficient les fonctionnaires face à ce type d'abus.
Enfin, l'insertion par l'Assemblée nationale d'un article 14 bis vise à créer un article 6 quater nouveau dans la loi du 13 juillet 1983 afin :
- de globaliser, pour toute la fonction publique, le rapport qu'au terme des lois du 11 janvier 1984, du 26 janvier 1984 et du 9 janvier 1986 (portant dispositions statutaires relatives respectivement à la fonction publique de l'État, à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière), le Gouvernement doit déposer, tous les deux ans, sur le bureau des assemblées parlementaires pour dresser le bilan des mesures prises pour garantir, à tous les niveaux de la hiérarchie, le respect du principe d'égalité des sexes ;
- et de préciser et renforcer le contenu de ce rapport afin de le rendre similaire au rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes, dont la présentation annuelle est imposée aux entreprises de plus de cinquante salariés. Il devra ainsi comporter une analyse sur la base d'indicateurs pertinents, définis par décret, reposant notamment sur des éléments chiffrés, permettant d'apprécier la situation respective des femmes et des hommes en matière de recrutement, de formation, d'avancement, de conditions de travail et de rémunération effective. De plus, il devra présenter les objectifs prévus pour respecter le principe d'égalité des sexes dans la fonction publique, ainsi que les actions à mener pour les atteindre.
Ces dispositions doivent permettre la mise en oeuvre des propositions n os 1, 7 et 16 du rapport Colmou sur la nécessité de disposer de statistiques et d'études sexuées plus précises en matière d'effectifs, de déroulement de carrière et de formation des femmes, afin notamment de favoriser la gestion personnalisée et prévisionnelle des ressources humaines dans la fonction publique.
Les chapitres II ( articles 15 à 18 ), III ( article 19 ) et IV ( articles 20 à 22 ) du titre II de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson tendent, quant à eux, à favoriser, conformément au principe général qu'il est proposé de faire figurer à l'article 6 bis nouveau du statut général des fonctionnaires, une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les CAP, les CTP, les jurys de concours et comités de sélection de la fonction publique. Ce faisant, ils mettent directement en oeuvre les sixième et onzième propositions du rapport Colmou.
En ce qui concerne les CAP et les CTP, organismes composés en nombre égal de représentants de l'administration et du personnel et compétents pour connaître, respectivement, de toutes les questions intéressant la situation individuelle des fonctionnaires, et des questions relatives à l'organisation et au fonctionnement des services, au recrutement des personnels et aux projets de statuts particuliers, le principe de la représentation équilibrée entre les femmes et les hommes est décliné de façon différente selon les fonctions publiques, afin de tenir compte des spécificités propres à chacune d'elles.
Dans la fonction publique de l'État, l' article 15 de la proposition de loi impose à l'administration de choisir ses représentants compte tenu d'une proportion entre les sexes fixée par décret en Conseil d'État (qui, selon les projets de décret de l'automne dernier, pourrait être d'un tiers au moins de membres d'un même sexe).
Dans la fonction publique territoriale, les représentants des collectivités territoriales et des établissements publics locaux au sein des CAP et des CTP étant désignés par l'autorité territoriale ou par des élus locaux, et pouvant être eux-mêmes des élus locaux, aucune règle contraignante, laquelle aurait été particulièrement irréaliste, n'est envisagée. La marche progressive vers l'équilibre entre les sexes ne pourra résulter, dans ce cas, que de la mise en oeuvre de la parité issue de la loi relative à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Enfin, pour ce qui concerne la fonction publique hospitalière, la proposition de loi reprend la formule retenue pour la fonction publique de l'État en prévoyant que le choix des représentants de l'administration respecte une proportion d'hommes et de femmes fixée par décret en Conseil d'État. Limité au départ aux CAP, le dispositif a été étendu par l'Assemblée nationale aux CTP. Votre Délégation craint qu'il se heurte en tout état de cause aux difficultés de principe qui ont conduit à n'imposer aucune règle pour la désignation des représentants de l'administration aux organes paritaires de la fonction publique territoriale puisque les organismes paritaires des établissements hospitaliers comportent eux aussi des élus locaux.
Au reste, l'objectif de parvenir à une représentation équilibrée au sein des CAP et CTP suppose résolu par ailleurs le problème particulier des viviers dans lesquels sont choisis les représentants de l'administration à ces instances paritaires. Ces viviers sont très étroits puisqu'ils ne sont constitués que de très hauts fonctionnaires (administrateurs civils de 2 e classe ou d'un grade assimilé) ou de fonctionnaires occupant des fonctions de direction. Or, il est des administrations où le déséquilibre entre les sexes est tel que le respect d'un ratio fixé par décret en Conseil d'État s'avérerait impossible à respecter. Tenant compte de cette difficulté, le décret n° 2000-201 du 6 mars 2000 a, pour ce qui concerne la fonction publique de l'État, élargi à l'ensemble des fonctionnaires de catégorie A la possibilité d'être désignés comme représentants de l'administration aux CAP et aux CTP, alors que, jusqu'à présent, cette faculté n'était ouverte que par exception.
S'agissant des jurys de concours et d'examens professionnels et des comités de sélection dont les membres sont désignés par l'administration, la loi leur imposerait désormais d'être composés de façon à assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes ( articles 17 , 17 bis et 18 de la proposition de loi pour la fonction publique de l'État, article 19 pour la fonction publique territoriale et articles 21 et 22 pour la fonction publique hospitalière). Des décrets en Conseil d'État fixeront la proportion des membres des jurys et comités de sélection appartenant à chacun des sexes.
Il résulte du dispositif proposé que tous les corps d'emploi des trois fonctions publiques seront soumis aux ratios fixés par ces décrets, indépendamment de la situation actuelle du partage entre les sexes qu'ils connaissent.
Votre Délégation ne peut que regretter que l'Assemblée nationale ait supprimé ce que, lors de son audition, Mme Anne-Marie Colmou a qualifié de " soupape de sécurité ". Cette " soupape ", qui figurait dans la proposition de loi initiale, élevait au rang législatif une jurisprudence du Conseil d'État admettant, pour les statuts particuliers, qu'exceptionnellement la mixité puisse être assurée par la présence d'au moins un membre de chaque sexe dans les jurys et comités. Le dispositif retenu par les députés paraît à votre Délégation difficile à mettre en oeuvre. Les problèmes seront innombrables pour les responsables de certains des quelque 1.400 corps de la fonction publique, où la faiblesse des effectifs et le très grand déséquilibre entre les sexes rendent impossible la soumission à des normes générales davantage adaptées aux contingents nombreux où la mixité est d'ores et déjà établie.
Une solution consisterait sans doute, et elle fait partie des propositions du rapport Colmou, à renforcer le caractère interministériel des jurys pour, en élargissant les " viviers ", parvenir à trouver plus facilement des représentants du sexe " déficitaire ".
II. FACE À LA PERSISTANCE D'INÉGALITÉS, QUELLES ACTIONS ET QUELS ACTEURS ?
1. Des inégalités persistent
Le principe de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est aujourd'hui acquis en droit et les évolutions sont réelles sur le marché du travail : le taux d'activité des femmes se rapproche de celui des hommes, leur qualification initiale s'est beaucoup améliorée, le niveau de leurs salaires et retraites a progressé, le pourcentage des femmes payées moins d'une fois et demie le SMIC ayant même baissé dans la période récente (en passant de 55 à 49 %), cependant que celui des hommes augmentait (de 28 à 35 %).
La participation croissante des femmes à l'activité économique s'accompagne néanmoins de la persistance d'inégalités en matière de salaires, d'accès aux postes de responsabilité, et de précarité.
a) Les inégalités salariales
Les écarts de rémunération entre hommes et femmes ont diminué mais demeurent une réalité : le salaire moyen de la femme reste inférieur de 27 % à celui des hommes.
Cette différence n'est cependant pas une spécialité française, on la constate dans les autres pays et souvent dans des proportions semblables.
Elle n'est pas le fruit de discriminations proprement dites et elle est moins liée aux diplômes que par le passé puisque les jeunes femmes sont aujourd'hui plus diplômées que les hommes (selon l'enquête emploi de 1997, 24,3 % des femmes actives contre 21 % des hommes actifs ont un niveau de diplôme supérieur au baccalauréat).
Elle trouve essentiellement son origine, d'une part, dans une segmentation de fait des emplois et, d'autre part, dans le déroulement des carrières professionnelles :
- le marché du travail est un marché compartimenté : 60 % des emplois féminins se concentrent sur six groupes socioprofessionnels (" le ghetto des cols roses " 3 ( * ) ), lesquels ne représentent que 30 % de l'emploi total. Au compartimentage des professions s'ajoute l'existence d'une hiérarchisation sectorielle en matière de salaires : les secteurs fortement féminisés (industries du textile, services personnels et domestiques, commerce de détail, hôtels et restaurants) offrent des emplois peu qualifiés et, partant, des salaires souvent moins élevés qu'ailleurs ;
- le profil de carrière des femmes est plus discontinu que celui des hommes : les femmes sont davantage exposées aux interruptions de carrière (pour les maternités et congés pour l'éducation des enfants, mais aussi, éventuellement, pour suivre leur conjoint en cas de mutation professionnelle, l'arbitrage entre les carrières des époux se faisant le plus souvent en faveur du mari) ; elles sont par ailleurs, pour des raisons familiales encore, moins mobiles que les hommes, alors que beaucoup de promotions passent par une mobilité professionnelle ou géographique ; de même doivent-elles renoncer aux occasions de formation qui leur paraissent trop gourmandes en temps, ce qui ralentit leur carrière par rapport à celle des hommes de diplômes équivalents.
En France, comme aux États-Unis et dans d'autres pays, on attribue un écart de salaire d'environ 6 % à l'effet de structure de l'emploi et un autre du même ordre aux différences d'expérience ou de carrière professionnelle. On constate donc, au-delà, un écart résiduel : lorsque les conditions (poste, qualification, entreprise, région...) sont identiques, la différence de salaire entre hommes et femmes (le " gender gap " anglo-saxon) est encore de 15 %.
b) Les inégalités dans l'accès aux postes de responsabilité
La présence des femmes dans le haut encadrement des entreprises ou des administrations est encore une chose relativement rare. On ne peut nier que des progrès significatifs ont été accomplis ces dernières décennies, puisque chacun connaît désormais des femmes qui exercent d'importantes responsabilités, parfois aux tous premiers postes des hiérarchies, quand ce n'est pas à la direction générale même des sociétés, alors que de telles situations étaient inexistantes il y a encore cinquante ans.
Pourtant, le seul fait que ces exemples soient connus et remarqués, qu'ils constituent parfois les sujets d'articles ou d'enquêtes de presse, que l'on s'en félicite et qu'ils soient mis en avant pour démontrer que la parité est en marche est en lui-même " suspect ". Reconnaître que l'on peut être femme et diriger des entreprises, des administrations, des équipes, n'est-ce pas supposer in petto que l'équation n'est pas a priori évidente ?
Plusieurs des personnalités entendues par votre Délégation ont relevé que le développement de la mixité, bien qu'indéniable, ne suivait pas le même rythme selon le niveau hiérarchique observé. Si la féminisation croissante de certaines professions est aujourd'hui telle que la parité est atteinte en termes d'effectifs, voire qu'un déséquilibre nouveau se crée avec une sur-représentation des femmes (dans l'éducation nationale ou la magistrature, par exemple), les ratios ne sont plus du tout les mêmes, et s'inversent parfois, dès que l'on atteint les postes de responsabilité et de direction. Ainsi, une seule femme figure parmi les patrons des 200 plus grands groupes ou sociétés français et on ne compte que 7 % de femmes dirigeantes dans les 5.000 premières entreprises. Dans l'enseignement secondaire, si 51,4 % des professeurs agrégés et 60,5 % des professeurs certifiés sont des femmes, celles-ci ne président les jurys de concours que dans moins de 18 % des cas pour l'agrégation et 32 % des cas pour le CAPES, et elles ne sont que 35,8 % à diriger des établissements.
Si les catégories d'exécution sont fortement féminisées, à l'exception notable des emplois dits " techniques ", la place des femmes est la plupart du temps réduite à la portion congrue à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie de l'administration ou des entreprises.
On peut expliquer en partie les différences entre sexes par un effet de génération : l'accession aux postes de responsabilité n'intervenant qu'après plusieurs années passées dans la carrière, la féminisation des professions ne s'est pas encore accompagnée d'une féminisation des emplois de direction. Les statistiques du rapport Colmou indiquent, s'agissant de la haute fonction publique de l'État hors Éducation nationale, qu'au 31 décembre 1996, le pourcentage des effectifs féminins de fonctionnaires de catégorie A de 50 ans et plus atteignait 19,8 %, tandis que celui des effectifs masculins s'élevait à 31,6 %. Or, à cette même époque, si les femmes représentaient 25 % des administrateurs civils, elles étaient moins de 10 % à occuper un emploi de directeur d'administration centrale.
L'argument devrait être de moins en moins pertinent, les générations de femmes qui arrivent actuellement à l'âge d'occuper les emplois de direction ayant profité du mouvement de mixité. Ainsi apparaîtra plus clairement l'importance d'un certain nombre d'autres freins à la promotion des femmes dans les structures hiérarchiques. De ces freins, on a pu dire qu'ils construisent un " plafond de verre " que les femmes ne parviennent que très difficilement à franchir, une limite d'autant plus invisible qu'elle ne résulte d'aucune disposition interdisant aux femmes d'occuper des postes de responsabilité ou des fonctions d'autorité élevés. Au contraire, le Code du travail et les textes statutaires, comme la jurisprudence prud'homale, judiciaire ou administrative, font de l'égalité des sexes un principe absolu, dont la méconnaissance est sévèrement sanctionnée.
Le poids des contraintes familiales et domestiques est sans aucun doute essentiel pour comprendre ce phénomène.
La maternité présente pour les femmes un premier " handicap " en ce qu'elle les écarte, souvent à plusieurs reprises, de l'environnement professionnel. Le fait que, dans les catégories socioprofessionnelles supérieures, la maternité intervienne aujourd'hui à un âge assez élevé, au cours de la trentaine, au moment où les profils de carrière se dessinent et les stratégies personnelles s'élaborent de manière précise, rend les absences, surtout si elles sont multiples, particulièrement coûteuses. Par ailleurs, à l'issue de leur congé de maternité, les mères ont, pendant quelque temps, une disponibilité moins grande.
Les femmes, ensuite, doivent faire face, beaucoup plus que leurs conjoints, aux obligations familiales et domestiques, ce que méconnaît l'organisation du travail en France, qu'il s'agisse du secteur privé ou de la haute fonction publique.
Il en est ainsi de l'usage du temps : une place probablement démesurée est accordée dans notre pays aux déjeuners d'affaires ou de travail et aux horaires tardifs qui pénalisent directement les femmes. Notre pratique des réunions est sans doute elle-même excessive : le nombre de ces dernières, leur préparation, leur durée, leur déroulement, tout concourt à une " chronophagie " à la fois néfaste en termes d'efficacité générale et extrêmement préjudiciable aux femmes. Or, la promotion hiérarchique récompense souvent et s'accompagne toujours d'une grande disponibilité.
Un autre élément pèse de plus en plus dans les processus de promotion : la mobilité professionnelle et, surtout, géographique. Dans un nombre significatif d'emplois de la fonction publique, le passage au grade supérieur ou l'accession à certains postes de responsabilité sont subordonnés à l'obligation de mobilité. Dans les entreprises privées, le phénomène a également tendance à se généraliser, en particulier dans les grandes structures où " le passage par l'international " devient une étape obligée de la carrière des futurs dirigeants. Les contraintes familiales s'accommodant mal de telles mobilités, les femmes sont la plupart du temps contraintes d'y renoncer et perdent ainsi des occasions de progresser dans la hiérarchie.
Enfin, beaucoup de promotions s'appuient sur un système de " réseaux " qui est plus souvent activé par les hommes que par les femmes et qui semble particulièrement efficace pour entretenir la barrière du " plafond de verre ".
c) Les inégalités face à la précarité
Les situations de précarité se rencontrent proportionnellement davantage chez les femmes que chez les hommes.
Il existe, tout d'abord, une inégalité entre hommes et femmes devant le chômage : pour les premiers, le taux de chômage s'établit à 9 %, il est de 12,5 % pour les secondes. Le rapport Génisson évalue à 51 % la proportion des femmes parmi les demandeurs d'emploi, alors qu'elles ne représentent que 45 % des actifs, et il semble que l'amélioration récente de l'emploi leur profite moins qu'aux hommes.
Le " sur-chômage " féminin s'observe notamment chez les demandeurs d'emploi de longue durée, pour des raisons de moindre qualification, et chez les jeunes femmes qui font leur entrée sur le marché du travail (à l'exception des plus diplômées d'entre elles), l'éventualité d'une maternité prochaine pesant -de moins en moins, mais encore- sur leur recrutement.
La précarité touche également les femmes par le biais du travail à temps partiel. Le travail à temps partiel est une réalité essentiellement féminine : il ne dépasse guère, selon les enquêtes emploi de l'INSEE, 5 ou 6 % de l'emploi masculin et concerne, en revanche, plus du tiers des femmes qui travaillent. Il correspond certes très souvent à un choix pour concilier vies professionnelle et familiale. Telle est même son image dominante.
Mais il est parfois subi, contraint, accepté faute de mieux.
Le rapport Génisson précité estime à 38 % le travail à temps partiel non choisi et à plus d'un million le nombre des femmes concernées. Ces chiffres tiennent notamment à la très forte féminisation des secteurs qui, comme la grande distribution, recourent au temps partiel pour des raisons de flexibilité.
Ce mode de travail s'accompagne fréquemment d'horaires irréguliers, atypiques, qui, loin de faciliter l'organisation de la vie familiale, lui sont particulièrement préjudiciables, et qui interdisent aussi tout cumul éventuel avec un autre emploi afin de compléter des salaires souvent modiques, le travail à temps partiel concentrant les emplois peu qualifiés et donc les bas salaires.
Hors des cas où il est choisi, le travail à temps partiel peut donc déboucher, pour les femmes, sur des situations individuelles difficiles.
C'est en particulier le cas lorsqu'elles vivent avec un conjoint chômeur ou sont chef de famille. Les familles monoparentales sont en forte progression (1,6 million en 1999 contre 847.000 en 1982) et représentent aujourd'hui 16 % des familles. Dans un écrasante majorité des cas, plus de neuf fois sur dix, le parent isolé est une femme. Or, on estime à 30 % la proportion de ces familles qui vivent en situation de pauvreté.
Certains fondent sur le double handicap économique que représentent la famille monoparentale et le travail à temps partiel subi l'apparition d'un monde, très majoritairement féminin, de " travailleurs pauvres ". Le phénomène n'a certes pas en France l'importance qu'il peut avoir ailleurs (avec, par exemple, les " working poors " anglo-saxons), mais on ne saurait le sous-estimer.
2. Les leviers d'action
a) L'orientation et la formation
Trente ans après que la mixité a été introduite dans l'ensemble du système scolaire, on observe que les filles sont plus nombreuses que les garçons à se présenter au baccalauréat (71,7 % d'une génération contre 62 %) et qu'elles sont plus nombreuses aussi à le réussir (elles ont représenté 54 % des lauréats en 1999). Les filles sont également majoritaires à l'université (56 % des effectifs) et les rares études disponibles démontrent que, globalement, elles sont toujours plus jeunes que les garçons et réussissent mieux qu'eux dans les cursus qu'elles suivent.
Pourtant, les femmes sont ensuite majoritaires dans les postes peu qualifiés et mal payés et minoritaires dans les fonctions de responsabilité. Elles ne valorisent pas leurs diplômes.
Il est tout d'abord indispensable d'agir au niveau de l'orientation des filles au cours de leur scolarité, dans le secondaire.
Dès le stade du lycée, apparaissent distinctement deux ensembles fortement sexués. Si la ségrégation la plus forte peut être observée dans les sections techniques (ainsi la filière industrielle (STI) est masculine à près de 95 % et la filière tertiaire (STT) féminine à plus de 65 %), elle existe également dans les filières générales où, globalement, les sections scientifiques sont majoritairement masculines et les sections littéraires en majorité féminines. Ces différences d'orientation se poursuivent à l'université et dans les grandes écoles, avec une accentuation de la " sexualisation " des disciplines à mesure que se précisent les spécialisations professionnelles. Les statistiques de la présence des jeunes filles à différentes étapes de certaines filières scientifiques sont éloquentes : 59 % en seconde, 43 % en 1ère S, 40 % en terminale S, 31 % en DEUG scientifique, 9 % en maîtrise électronique ou 13 % en maîtrise informatique, mais 58 % en maîtrise de biologie.
Le phénomène paraît d'abord d'ordre culturel. Il repose sur une sorte de conformisme des mentalités : les élèves et les étudiants, mais aussi et peut-être surtout leurs parents, considèrent que les garçons sont naturellement adaptés à certaines disciplines et les filles à d'autres. On doit déplorer à cet égard la carence de modèles féminins dans les supports pédagogiques d'information sur les filières professionnelles considérées comme masculines.
Une autre explication tient à l'insuffisance de la formation et de l'information des enseignants et des personnels éducatifs chargés de l'orientation des élèves. Votre Délégation croit indispensable que ceux-ci soient mieux informés sur les carrières en regard de la situation de l'emploi, sur la réalité des métiers nouveaux et sur l'évolution des conditions d'exercice de professions traditionnellement réservées dans l'opinion aux garçons (métiers de l'électronique, de l'informatique, voire de la mécanique). Une telle démarche pourrait favoriser l'insertion des jeunes filles dans les filières d'avenir.
Votre Délégation a relevé, et s'en félicite, que la Convention pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif , du 25 février 2000, visait de manière concrète à améliorer l'orientation des élèves et à développer l'information de tous les acteurs du système éducatif (élèves, étudiants, familles, enseignants, conseillers d'orientation, chefs d'établissement) afin de lutter contre les images stéréotypées sur le rôle des hommes et des femmes dans la société et contre les " clichés " qui sont associés aux métiers. De même juge-t-elle intéressants les objectifs de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) qui visent à doubler la proportion de filles dans les filières d'avenir ou ceux des Programmes nationaux d'action pour l'emploi (PNAE) qui fixent à 35 % la part des contrats d'apprentissage réservée aux jeunes filles.
Au-delà des insuffisances de l'orientation, certaines des personnalités auditionnées par votre Délégation ont fait valoir que les méthodes mêmes d'enseignement et les barèmes d'évaluation retenus pour apprécier l'acquisition des savoirs étaient parfois pénalisants pour les jeunes filles et conduisaient à " sexualiser " les disciplines en faisant appel à des qualités considérées comme plutôt masculines ou, au contraire, plutôt féminines. Au titre des premières, on trouverait le " brio ", la rapidité, l'aisance à contourner les difficultés d'une épreuve et à " foncer ", un goût presque ludique pour la compétition, et au titre des secondes figureraient le souci d'analyser en profondeur, de ne négliger aucun détail ou de s'acharner à résoudre des questions difficiles, ainsi qu'une forte capacité à travailler de manière collective. Selon que serait privilégiée telle ou telle famille de qualités, aux épreuves d'un examen ou d'un concours, on obtiendrait des résultats " sexuellement " différents. C'est ainsi que s'expliqueraient la diminution progressive, au cours de la scolarité, de la présence des filles dans les enseignements scientifiques, et les taux de réussite relativement plus importants des garçons aux concours des grandes écoles.
Votre Délégation estime que la féminisation des jurys de concours, leur mixité, peut être en la matière une réponse, sans être cependant une garantie absolue pour la valorisation des jeunes filles. Elle souligne par ailleurs que la démonstration ci-dessus rapportée ne repose, de l'aveu même de ceux qui l'utilisent, sur aucune étude fiable et concrète. Elle pourrait jouer contre le camp de ceux qui veulent promouvoir les femmes et suscite ainsi la méfiance. Il n'est pas inutile de rappeler au passage que des grands concours scientifiques ont aujourd'hui des majors féminins. Il semblerait à votre Délégation en définitive plus pertinent de s'interroger sur le poids des arbitrages que les jeunes filles sont amenées très tôt à faire entre la vie professionnelle et les perspectives de la vie familiale.
Il convient ensuite de faire porter l'effort sur la formation professionnelle des femmes.
Il est clairement ressorti des auditions de votre Délégation que l'accès à la formation professionnelle continue était tout à fait inégal entre les hommes et les femmes. Une femme de 35 ans aurait ainsi aujourd'hui deux fois moins de chances qu'un homme du même âge d'accéder à la formation tout au long de sa vie. Or, le progrès technologique entraîne de profondes modifications dans l'exercice de nombreuses activités professionnelles, et ce à presque tous les niveaux de la hiérarchie, et impose des mises à niveau régulières, voire la reconversion périodique des agents économiques.
Moins présentes que les hommes dans les actions de formation continue, principalement par manque de temps, les femmes sont confrontées, au cours de leur carrière, à une perte relative de qualification, qui est à l'origine du " sur-chômage " féminin et de la sur-représentation des femmes dans la catégorie des chômeurs de longue durée.
Votre Délégation a noté avec intérêt que la convention précitée du 25 février 2000 visait, parmi ses objectifs, à mieux informer et orienter les femmes en matière de formation continue par la voie de conseils personnalisés, notamment dans le cadre de la plate-forme nationale d'accueil et d'orientation à distance du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et du Centre national d'enseignement à distance (CNED), à l'instar de ce que les services d'orientation de l'AFPA organisent à l'attention des demandeurs d'emploi en grande difficulté.
Elle regrette, en revanche, que le problème de la validation des acquis professionnels fasse l'objet d'un examen, non pas dans le cadre de la proposition de loi sur l'égalité professionnelle, mais dans celui du projet de loi sur la modernisation sociale, une telle validation apparaissant comme un instrument correcteur particulièrement intéressant pour la carrière de certaines femmes.
Par ailleurs, votre Délégation attire l'attention sur le fait que c'est principalement au niveau des entreprises qu'il faut agir, en ouvrant plus largement aux femmes les actions de formation proposées et en incitant les organisations syndicales à y porter une attention plus soutenue. Elle estime qu'il s'agit là d'une question essentielle qui devrait faire l'objet d'un examen particulier dans le cadre de la refondation du dialogue social.
b) Favoriser les réinsertions professionnelles
Les femmes, au cours de leur carrière, peuvent être confrontées au problème de la réinsertion professionnelle.
Tel est le cas, notamment, lorsqu'elles ont pris un congé parental d'éducation après la naissance ou l'adoption d'un enfant. Le Code du travail (article L. 122-28-1), en visant " tout salarié ", ouvre ce congé de manière identique aux femmes et aux hommes. Mais des considérations d'ordre culturel et d'autres relatives à la place différente des hommes et des femmes dans l'entreprise, à leurs tâches et responsabilités, au niveau de leurs salaires respectifs, font qu'il est presque exclusivement demandé par les mères de famille (tel est le cas également du congé pris pour la garde d'un enfant malade).
Or, le congé parental d'éducation s'accompagne d'une allocation très concurrentielle par rapport aux bas salaires et à la rémunération du temps partiel et éloigne, certains jugent trop longtemps, de la vie professionnelle. A son terme, les femmes les moins qualifiées parviennent mal à se réinsérer dans le monde du travail. Sur les 500.000 bénéficiaires du congé parental d'éducation, 120.000 ne reprennent pas d'activité. On peut s'interroger sur la proportion de femmes pour lesquelles il s'agit vraiment d'un choix délibéré et non d'une résignation.
D'autre part, certaines femmes qui travaillent à temps partiel souhaiteraient travailler à temps plein, même si elles sont, dans cette catégorie, moins nombreuses que les hommes, et si les femmes qui travaillent à temps complet et aimeraient pouvoir le faire à temps partiel sont elles-mêmes plus nombreuses.
L'émergence visible en France du travail à temps partiel ne résulte pas, à titre principal du moins, d'une démarche attentive aux préoccupations des femmes, laquelle fut par exemple plus évidente dans les pays d'Europe du nord. C'est en effet à la faveur des années de crise qu'il est devenu une composante importante de notre marché du travail. Il concernait 1,5 million de femmes en 1980, il en compte près de 4 millions aujourd'hui.
Lorsque le temps partiel est choisi, il présente un double intérêt économique (il contribue à la création d'emplois et à la baisse du chômage) et social (il permet de mieux concilier la vie de famille et l'exercice d'une profession). Les femmes qui optent délibérément, par aspiration, pour le travail à temps partiel sont en majorité des femmes diplômées ou qui bénéficient de la sécurité de l'emploi. Pour ces femmes, les avantages de la formule l'emportent sur les pénalisations dont elle s'accompagne en termes de rémunération, de carrière et de retraite.
Les femmes qui " subissent " le temps partiel sont, au contraire, principalement les femmes sans qualification ou peu qualifiées, celles qui ont une faible ancienneté ou qui viennent du chômage. Ces femmes-là souhaiteraient souvent travailler davantage. C'est à leur propos qu'on a pu dire que le travail à temps partiel était un piège pour les femmes et même " l'ennemi principal de l'égalité devant l'emploi " 4 ( * ) .
Depuis le début des années quatre vingt-dix, les sorties du chômage vers le temps complet ont diminué tandis qu'elles augmentaient vers le temps partiel. En 1998, 60 % des femmes qui ont retrouvé un emploi étaient à temps partiel, contre 31 % en 1982. Le travail à temps partiel, non choisi la plupart du temps, est devenu dans bien des cas un passage obligé de réinsertion dans l'emploi. Certes, le temps partiel apparaît, dans ce cas, comme une solution transitoire qui n'est pas à écarter -mieux vaut, dans les situations de détresse, un temps partiel non choisi que pas d'emploi-, mais il doit pouvoir déboucher, pour celles qui le souhaitent, sur un travail à temps complet car il est, en termes de rémunération et de conditions de travail (manque de régularité, éclatement des horaires, fréquence du travail le week-end), peu favorable aux femmes. Or, malgré les garanties offertes par le Code du travail, trop de femmes voient leur souhait rester insatisfait.
c) Aider matériellement les femmes
Les femmes qui travaillent, particulièrement les mères d'enfants en bas âge, sont bien plus que les hommes confrontées à la contrainte du temps.
Selon l'INSEE (" France, Portrait social 1999-2000 "), les deux-tiers des tâches familiales leur incombent : les hommes en couple consacrent en moyenne chaque jour 2h30 aux travaux domestiques, les femmes qui travaillent 3h30 et les " inactives " 6 heures ; si l'on s'en tient au " noyau dur " de l'activité domestique -courses, cuisine, vaisselle, linge, soins matériels aux enfants-, la part des femmes atteint 80 %. Même s'il existe un certain effet de génération, le partage reste donc largement inégalitaire. Certains comptent sur la réduction du temps de travail pour établir un meilleur équilibre dans la répartition des tâches familiales et ménagères, d'autres -sont-ils plus sceptiques ou plus lucides ?- prédisent qu'elle aura un impact limité et que les hommes consacreront aux activités de loisirs l'essentiel du temps dégagé.
Pesant sur le parcours et le plan de carrière des femmes, la contrainte du temps -la tyrannie même, dans certains cas- est sans doute la principale source d'inégalité professionnelle entre les deux sexes. L'objectif d'égalité professionnelle rend donc indispensable, selon votre Délégation, de l'alléger, ce qui suppose une politique ambitieuse sur le plan matériel.
Lorsqu'on les interroge 5 ( * ) , les femmes de 25-40 ans ne réclament pas de nouveaux droits pour concilier leurs vies professionnelle et familiale, mais, outre l'application de l'existant, une plus grande aide matérielle.
Leur revendication majeure concerne la prise en charge des jeunes enfants, qu'il est souhaitable d'améliorer par la mobilisation de tous les acteurs publics et privés (État, collectivités territoriales, entreprises, caisses d'allocations familiales, associations), chacun à son niveau de responsabilité.
Renforcer l'offre de garde d'enfants suppose d'abord d'augmenter le nombre des équipements collectifs, crèches ou garderies -dans la plupart des villes, mais aussi en milieu rural où l'insuffisance des infrastructures est plus manifeste encore. Ce type d'accueil est de loin le moins onéreux pour les parents, notamment par l'application d'un barème lié aux revenus, et celui qui présente le plus de garanties grâce à l'encadrement des enfants par un personnel qualifié. Or, il ne bénéficie actuellement qu'à seulement 8 % des moins de trois ans.
Les entreprises, du moins les plus importantes d'entre elles, devraient elles-mêmes être incitées à créer des crèches ou à souscrire des places dans des crèches municipales ou familiales. Votre Délégation rappelle que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à créer, à plusieurs, des restaurants communs pour leurs personnels. La même démarche pourrait être faite -elle apparaît sporadiquement- en faveur de crèches collectives d'entreprises.
Les heures d'ouverture des crèches et garderies devraient par ailleurs être assouplies pour tenir compte des horaires irréguliers qui accompagnent le développement de la flexibilité du travail.
Au-delà, tous les modes de garde des enfants devraient être mieux aidés. Ajoutons que cette démarche devrait concerner, au-delà de la petite enfance, la prise en charge des enfants d'âge scolaire après ou en dehors du temps d'école (fins d'après-midi, vacances).
Pour faire face aux besoins de financement, il existe des solutions traditionnelles comme les instruments de la politique fiscale (rappelons, au passage, que notre système fiscal, qui assoit l'impôt sur le revenu sur le ménage, a été imaginé à une époque où les femmes travaillaient peu, et qu'une imposition séparée serait certainement moins pénalisante pour le travail féminin) ou les prestations sociales et familiales. A cet égard, un mécanisme comme celui de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) a fait la preuve de son efficacité pour aider les femmes à desserrer la contrainte du temps, notamment les femmes cadres auxquelles il peut permettre de percer le fameux " plafond de verre ", et on peut regretter qu'il ait été revu à la baisse, surtout si l'on se reporte à la relative modestie de son coût (1,7 milliard de francs, à rapporter au montant total des aides aux familles, 130 milliards de francs 6 ( * ) ). Au-delà, il pourrait être recouru à des formules plus novatrices. Les comités d'entreprise pourraient être par exemple invités à s'investir dans la garde des enfants du personnel, sous forme de cofinancement de formules comme celle du chèque emploi-service.
D'une manière générale, peut-être faudrait-il revoir la politique familiale française, laquelle est devenue brouillonne et ne met pas suffisamment l'accent sur les formes d'aides qui sont à la fois les moins coûteuses et les plus efficaces pour aider le travail féminin (cas de l'AGED ci-dessus évoqué, mais aussi des crèches dont le coût relatif, 12 milliards de francs, est également modeste).
Au-delà du problème principal de la garde des enfants, votre Délégation tient à souligner les initiatives intéressantes qui se font jour dans le cadre de la politique de la ville. Elles sont calquées sur l'expérience de certaines municipalités d'Italie du nord, qui mènent une politique du temps de la ville (" tempo della città ") pour l'adapter aux besoins des mères de famille qui travaillent. Les horaires des services publics, sociaux et administratifs, et des commerces ont été assouplis, le système des transports adapté ; certaines villes ont même étendu l'innovation aux activités socioculturelles, comme les bibliothèques, ou sportives. Sur la base de chartes communales sur l'articulation des temps sociaux (expérience baptisée " temps de vie, temps de ville "), une plus grande flexibilité de l'organisation sociale est aujourd'hui recherchée par quelques villes françaises, dans le cadre de la politique contractuelle de l'État avec les collectivités territoriales, pour permettre aux femmes d'assumer dans de meilleures conditions la multiplicité de leurs rôles sociaux. De telles solutions, qui jouent incontestablement en faveur de l'amélioration de la qualité de la vie, devraient être appelées à se développer avec la différenciation croissante des rythmes de travail. Votre Délégation insiste pour qu'elles ne laissent pas à l'écart les femmes du monde rural, qui sont notamment confrontées à la contrainte de l'éloignement et des transports.
Votre Délégation ne saurait trop insister sur la nécessité d'aider matériellement les femmes. Il est prouvé que, lorsqu'on aide massivement les femmes à concilier vies professionnelle et familiale, comme dans les pays d'Europe du nord, on enregistre à la fois un fort taux d'activité des femmes et une stabilisation voire une remontée de la fécondité. Au contraire, lorsque les tensions sont trop fortes entre famille et travail, les femmes ou bien reportent le moment de la maternité et le taux de fécondité baisse, ou bien renoncent à travailler pour élever leurs enfants et le taux d'activité des femmes est plus faible qu'ailleurs.
d) La représentation des femmes dans les instances paritaires
Si la proposition de loi de Mme Catherine Génisson vise, dans son titre II, à établir un équilibre entre les femmes et les hommes dans la représentation de l'administration au sein des instances paritaires de la fonction publique, force est de constater qu'elle n'impose aucune règle similaire pour les délégués des fonctionnaires ou, s'agissant du secteur privé, pour les organisations représentatives du personnel. Or, la mixité des structures de négociation et de concertation ne peut être atteinte si les représentations syndicales ne traduisent pas elles-mêmes, pour ce qui les concerne, l'application d'une règle de proportionnalité.
Il s'agit là d'une préoccupation majeure de votre Délégation. Nombre des personnalités qu'elle a auditionnées ont insisté sur les effets positifs de l'engagement des femmes dans l'activité syndicale et les instances paritaires. A l'inverse, comme le souligne le rapport Génisson, la faible participation des femmes à la représentation des salariés explique l'insuffisante prise en compte de leurs difficultés, et leur présence réduite dans les syndicats à l'échelon de l'entreprise, l'insuffisante application sur le terrain de la loi Roudy.
L'attention que les femmes portent aux mesures concrètes pour faciliter la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale fait souvent émerger des solutions d'organisation du travail originales, dont les hommes bénéficient tout autant. La prise en compte dans les négociations de problèmes apparemment spécifiques aux femmes a des répercussions favorables sur la vie professionnelle de l'ensemble des salariés. La mixité des instances de concertation est ainsi une source indéniable d'enrichissement du dialogue social.
D'un point de vue juridique, des obstacles constitutionnels s'opposeraient probablement à ce que le législateur impose aux organisations syndicales des règles de présentation des candidatures comparables à celles que le projet de loi relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives est en passe de fixer en matière politique. Aussi le rapport Génisson donne-t-il la préférence à une modulation des crédits de formation accordés par l'État aux syndicats en fonction de la prise en compte de l'objectif de mixité.
Opposées à toute contrainte qui porterait atteinte au principe de la liberté syndicale, certaines organisations font en tout état de cause observer qu'une règlementation des candidatures risquerait d'être techniquement difficile à mettre en oeuvre, certaines élections autorisant, au second tour, la présentation de candidats par des listes émanant d'organisations non représentatives au plan national, voire de listes indépendantes de toute structure fédérale ou confédérale.
Les syndicats, par ailleurs, mettent en avant la politique volontariste qu'ils mènent pour favoriser la représentation des femmes. De fait, les plus importants d'entre eux ont entamé, ces dernières années, un effort significatif pour garantir aux femmes une plus juste représentation dans leurs instances de direction, au regard de leur poids dans le mouvement syndical. C'est ainsi qu'aujourd'hui, le bureau confédéral de la CGT compte 47,8 % de femmes et le Conseil national de la CFDT 28 % (42 % des adhérents de cette organisation étant des femmes). Mais force est de constater que de telles proportions sont encore loin d'être atteintes aux échelons professionnels ou locaux, et encore moins au sein des entreprises où le pouvoir syndical est encore très largement masculin.
Les femmes hésitent à accepter des responsabilités syndicales pour la simple raison qu'elles manquent de temps pour les exercer. Elles sont peu nombreuses à pouvoir supporter les contraintes non pas seulement d'une double, mais en l'espèce d'une triple vie. Il est ainsi clair, pour votre Délégation, que les mesures volontaristes en faveur de la mixité des instances syndicales et paritaires n'auront d'effet visible à tous les niveaux que pour autant que des mesures matérielles d'accompagnement et des aides pratiques seront mises en oeuvre.
Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle préconise une parité généralisée de toutes les instances représentatives du personnel que les syndicats jugent, de bonne foi ou non, irréaliste. Votre Délégation souhaiterait à tout le moins, et il s'agit là de l'un de ses voeux principaux, que l'on réfléchisse à l'introduction en France d'une juste représentation des femmes dans le dialogue social. Elle rappelle à cet égard que la loi allemande (article 15 de la loi du 15 janvier 1972 relative à l'organisation interne de l'établissement) assure aux femmes une représentation au conseil d'établissement -l'équivalent de notre comité d'entreprise- proportionnelle à leur effectif dans l'entreprise : les sexes, dit-elle, doivent être représentés conformément à leur proportion numérique.
e) Ne pas oublier les travailleurs indépendants
On compte en France environ 1.500.000 chefs d'entreprise indépendants, commerçants ou artisans. Plus du tiers d'entre eux emploient leur conjoint -leur conjointe la plupart du temps- comme collaborateur.
La loi du 10 juillet 1982 a reconnu le travail accompli par les conjoints dans l'entreprise familiale en leur permettant d'opter entre trois statuts : conjoint salarié, conjoint associé ou conjoint collaborateur. Mais ce dispositif juridique n'a pas eu l'impact attendu et l'activité du conjoint du chef d'entreprise artisanale ou commerciale n'est pas encore suffisamment reconnue.
Beaucoup trop de femmes d'artisans -30 à 40 % 7 ( * ) - demeurent sans statut, dans le cadre réducteur de l'entraide conjugale. Leur situation est celle de simples conjoints aidants auxquels les textes n'accordent, à titre personnel, ni rémunération ni couverture sociale.
C'est le plus souvent " après coup ", dans les situations dramatiques, que se révèle la nécessité d'un statut. Lorsque le lien matrimonial est rompu par le décès ou le divorce, la femme doit en effet pouvoir prouver qu'elle a travaillé dans l'entreprise.
Votre Délégation estime indispensable d'améliorer l'information des conjoints de travailleurs indépendants. Mieux vaut sans doute informer sur les statuts, encourager les démarches volontaires d'acquisition statutaire, plutôt que d'imposer telle ou telle formule, car les situations individuelles sont variées. Il convient en particulier de tenir compte de l'existence possible de " doubles statuts ", les conjoints collaborateurs pouvant exercer une activité professionnelle hors de l'entreprise artisanale.
Pour être efficace, l'information sur les différents statuts ne devrait pas être dirigée vers le seul conjoint, mais intégrer la dimension du couple, lequel est plus à même en effet de faire le meilleur choix statutaire en fonction des possibilités et de la dimension de l'entreprise.
Les différents statuts posent par ailleurs des problèmes spécifiques.
Les conjoints salariés -46 % des conjoints dans les entreprises artisanales qui comptent entre 10 et 20 salariés, 12 % dans celles qui ont moins de 10 salariés- sont confrontés à une injustice fiscale 8 ( * ) : la rémunération du conjoint salarié est entièrement déductible lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, mais elle l'est sous plafond seulement dans le cas d'un régime matrimonial de communauté (déduction actuellement fixée à 17.000 francs ou trente-six fois le SMIC mensuel si l'entreprise adhère à un centre de gestion agréé). Compte tenu de la communauté d'intérêts qui existe entre les époux, on considère en effet que la rémunération versée au conjoint de l'artisan présente plus le caractère d'une affectation de bénéfice que celui d'une charge déductible.
S'agissant des droits au chômage du conjoint salarié, on doit en revanche se féliciter que la Cour de cassation ait récemment levé toute ambiguïté, alors que les ASSEDIC ont parfois refusé par le passé l'indemnisation en contestant le lien de subordination existant entre l'artisan et son conjoint.
Reposant sur un régime d'affiliation volontaire, le statut de conjoint collaborateur assure, en contrepartie de cotisations modulables, la possibilité d'acquérir des droits propres de retraite ; il demeure pourtant peu prisé puisqu'on estime à guère plus de 6 % le nombre des conjoints collaborateurs.
Il faut tout d'abord rappeler que la loi de 1982 a réservé le statut de conjoint collaborateur au conjoint de chef d'entreprise individuelle considéré comme une personne physique, écartant ainsi du bénéfice d'un tel statut le conjoint d'artisan en EURL.
Ensuite, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 sur les régimes matrimoniaux a réduit l'importance de la protection du conjoint collaborateur qu'avait introduite la loi du 10 juillet 1982. En réécrivant l'article 1421 du Code civil pour reconnaître à tout conjoint un pouvoir de gestion parallèle dans l'entreprise en bien commun, elle a vidé de sa portée la présomption de mandat de gestion courante que le législateur avait créée en 1982 au profit du conjoint collaborateur afin qu'il ne soit pas assimilé à un gérant de fait en cas de faillite. De plus, elle a posé de nouvelles règles d'obligation au passif (articles 1413 à 1415 et 1418 du Code civil) aux termes desquelles les dettes nées pendant la communauté, contractées par l'un ou l'autre des époux, peuvent toujours être poursuivies sur les biens communs, sauf fraude du débiteur ou mauvaise foi du créancier.
Un autre problème est celui du cautionnement solidaire : les banques y recourent pour garantir les dettes de l'entreprise artisanale, en se livrant même parfois à une sorte de chantage auprès du conjoint (si ce dernier refuse d'apporter son cautionnement ou hésite à le faire, c'est que la viabilité de l'entreprise est douteuse et donc une éventuelle avance bancaire serait bien hasardeuse...).
Le recours à cette pratique met les conjoints d'artisans dans des situations parfois très délicates alors même qu'existent d'autres solutions, comme les garanties (nantissement, hypothèque) sur les biens de l'exploitation. Aussi votre Délégation estime-t-elle indispensable d'améliorer la protection juridique et financière du conjoint.
Elle croit enfin nécessaire d'attirer l'attention sur la situation des conjoints des membres des professions libérales, qui reste plus précaire que celle des autres conjoints collaborateurs, bien que la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 ait ouvert la voie à la reconnaissance sociale du travail des intéressés (possibilité de se constituer une retraite personnelle partielle sur la base d'une assurance volontaire).
D'une manière générale, votre Délégation regrette le traitement par trop catégoriel réservé par le droit français aux conjoints qui participent à l'entreprise familiale et souhaiterait que l'on réfléchisse à la possibilité d'une approche plus globale.
3. Les rôles respectifs du législateur et de la négociation sociale
La proposition de loi de Mme Catherine Génisson a conduit votre Délégation à se poser deux questions :
a) Est-il indispensable, pour améliorer l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, de compléter l'arsenal législatif existant ?
Des auditions auxquelles elle a procédé, votre Délégation a retenu que la loi Roudy était généralement considérée comme une bonne loi. Une loi qui a même été qualifiée devant elle par une représentante syndicale " d'une des meilleures lois en matière d'égalité entre hommes et femmes par sa globalité "... mais aussi " d'une des lois les plus mal appliquées par sa complexité ".
Votre Délégation estime, à l'issue de sa réflexion, que la priorité devrait être à l'utilisation des moyens légaux et réglementaires existants. Les partenaires sociaux disposent d'un arsenal qui paraît assez complet mais y recourent insuffisamment. Est-il raisonnable dès lors de faire peser de nouvelles obligations sur les entreprises alors que le dispositif de la loi Roudy demeure peu ou mal appliqué ? A trop compliquer les textes, on encourt le risque d'en compromettre d'entrée de jeu l'application.
En outre, il est apparu contestable à votre Délégation d'assortir l'obligation annuelle de négocier sur l'égalité professionnelle -d'autant que sa formulation est floue- d'une sanction pénale. Est-ce avec la création de nouveaux délits que l'on fera progresser l'égalité professionnelle... ?
Enfin, quitte à légiférer sur l'égalité professionnelle, il aurait sans doute été plus pertinent de joindre au texte les dispositions qui seront prochainement proposées au Parlement dans le cadre du projet de loi sur la modernisation sociale et qui, par leur objet, touchent à l'égalité entre hommes et femmes, qu'il s'agisse de la validation des acquis professionnels ou de la transposition de la réglementation communautaire sur le travail de nuit 9 ( * ) ou sur l'aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination en fonction du genre 10 ( * ) , transposition à laquelle la France doit procéder d'ici janvier 2001.
b) Faut-il préférer la loi à la négociation collective ?
L'égalité professionnelle a été retenue parmi les neuf thèmes qui, selon un accord du 3 février 2000, seront examinés, à l'initiative du MEDEF, dans le cadre paritaire de la " refondation sociale ". Elle devrait être abordée par les partenaires sociaux au cours du second semestre 2000.
Il ne faudrait pas que l'intervention du législateur vienne gêner, contrarier, la négociation paritaire, grief dont elle a déjà fait l'objet pour la réduction du temps de travail.
Aussi aurait-il été préférable de différer la discussion de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson. Son report aurait en outre permis au Parlement d'examiner en même temps, souhait déjà exprimé, les mesures législatives de modernisation sociale qui sont envisagées et qui concernent l'égalité professionnelle.
Mais s'il n'appartient pas au législateur de se substituer à la négociation sociale, il n'est pas étranger à sa vocation d'intervenir en amont pour favoriser la qualité du dialogue social, laquelle passe, notamment, par un meilleur équilibre entre les sexes dans les instances de concertation. A l'image de la loi allemande de 1972 ( v. supra ) qui assure aux femmes, dans les structures de représentation du personnel, une présence proportionnelle à leur importance dans l'entreprise, une loi pourrait être mise en chantier pour renforcer la place des femmes dans toutes les instances de représentation des salariés. Les femmes auraient ainsi plus de chances de voir leurs préoccupations prises en considération, la législation sur l'égalité professionnelle mise en oeuvre dans le fonctionnement de l'entreprise, et un terme mis à ce que certains appellent la " culture mâle d'entreprise ".
Les évolutions seront plus faciles si les femmes sont davantage associées au processus de négociation. Améliorer leur place dans le dialogue social suppose aussi de favoriser leur égal accès aux élections professionnelles et organismes consulaires et à l'activité syndicale.
Le Premier ministre a saisi, le 8 mars dernier, le Conseil économique et social d'une étude sur la présence et la place des femmes dans les instances économiques et sociales et dans le dialogue social. Votre Délégation s'en félicite et souhaite que la réflexion du Conseil débouche sur des initiatives intéressantes pour améliorer la place des femmes dans les lieux de concertation et de décision.
S'agissant du cas particulier des organisations syndicales et devant l'impossibilité pour le législateur de leur imposer la parité pour le choix de leurs représentants, votre Délégation juge intéressante la suggestion du rapport Génisson de moduler les crédits de formation qui leur sont accordés par l'État en fonction de la prise en compte de l'objectif de mixité. Elle regrette que l'occasion de la proposition de loi n'ait pas été saisie pour débattre de cette question.
RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION
Constatant que la loi Roudy a été peu ou mal appliquée, votre Délégation s'interroge sur l'opportunité de légiférer à nouveau sur l'égalité professionnelle alors même que celle-ci doit être prochainement examinée dans le cadre paritaire de la " refondation sociale ". Estimant que les partenaires sociaux disposent d'ores et déjà, en la matière, d'un arsenal législatif et réglementaire assez complet, elle regrette qu'ils n'y recourent pas suffisamment et observe à cet égard qu'aucune législation nouvelle ne saurait être efficace si elle n'est pas " prise en charge " et utilisée par ses bénéficiaires.
Toutefois, considérant que l'État doit être tout particulièrement exemplaire dans le domaine de l'égalité professionnelle, votre Délégation se félicite que la proposition de loi de Mme Catherine Génisson traduise le souci d'aligner ses obligations sur celles des entreprises.
Votre Délégation n'est pas hostile à l'idée d'assortir d'une sanction l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle, mais elle est tout à fait défavorable à l'application d'une sanction pénale, jugeant peu pertinent de chercher à faire progresser l'égalité professionnelle par l'instauration de nouveaux délits. Elle estime en outre qu'il serait sans doute opportun de retenir un mécanisme de sanctions progressif.
Votre Délégation prend acte des dispositions de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson tendant accroître la présence des femmes dans les jurys de concours, tout en n'étant pas convaincue que cette féminisation puisse être regardée comme une garantie absolue au regard de la valorisation recherchée des jeunes filles.
Extrêmement favorable à la mixité des métiers et des professions, elle préconise de faire porter l'effort sur l'orientation scolaire et universitaire des filles afin d'améliorer l'adéquation de leur formation aux débouchés du marché du travail et d'accroître leur présence dans des filières aujourd'hui " monopolisées " par les garçons. Elle croit particulièrement utile de dénoncer à cet égard le déséquilibre observé dans des filières d'avenir comme celles des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Il paraît indispensable à votre Délégation de s'interroger davantage sur le poids des arbitrages que les jeunes filles sont amenées très tôt à faire entre la vie professionnelle et les perspectives de la vie familiale.
La principale source d'inégalité professionnelle entre les deux sexes est, en effet, pour les femmes, la contrainte du temps. Elle rend moins disponible, restreint les possibilités de formation, freine la mobilité, et, partant, interdit souvent la promotion. Beaucoup des problèmes posés dépassent largement le champ de la loi ou du règlement et sont d'ordre culturel. Il en est ainsi, notamment, du " rapport à l'enfant " qui, dans ses répercussions en termes d'organisation, n'apparaît pas le même pour la mère et pour le père.
Qu'il s'agisse d'aides matérielles ou d'organisation du travail, votre Délégation considère qu'au-delà de l'amélioration des dispositifs existants, il convient d'être inventif, toutes les solutions n'ayant pas été, selon elle, explorées. Plus généralement, elle souhaite voir réexaminer la politique familiale dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'objectif de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Le but doit être de donner aux femmes tous les moyens d'exercer un libre choix : choix de travailler, choix du métier, choix en outre, pour celles qui le souhaitent, de l'engagement politique ou syndical.
Votre Délégation souhaite que l'on améliore la protection juridique, sociale et financière des conjoints de travailleurs indépendants, en privilégiant autant que faire se peut l'approche globale, préférable à un traitement catégoriel qui peut être générateur d'inégalités entre les intéressés.
Elle estime en outre nécessaire d'améliorer l'information de ces conjoints en matière statutaire. Elle suggère à cette fin la mise en place d'une campagne de médiatisation en direction des couples de commerçants et d'artisans.
Votre Délégation est favorable à la reprise de la suggestion du rapport Génisson visant à moduler les crédits de formation accordés par l'État aux syndicats en fonction de la prise en compte de l'objectif de mixité.
Enfin, et peut-être surtout, votre Délégation recommande que les femmes puissent bénéficier d'une représentation dans les comités d'entreprise proportionnelle à leur effectif dans l'entreprise. Une " juste représentation " des femmes dans ces instances, comme celle que garantit par exemple la loi allemande de 1972 sur l'organisation interne de l'établissement, serait de nature à faire davantage prendre en compte leurs préoccupations dans le cadre de l'entreprise, à mieux faire appliquer la législation sur l'égalité professionnelle et à enrichir le dialogue social.
EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION
Sous la présidence de Mme Dinah DERYCKE, la Délégation a examiné, le mercredi 17 mai 2000, le rapport d'information de M. Gérard Cornu, rapporteur, sur la proposition de loi n° 258 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
A Mme Paulette Brisepierre qui estimait nécessaire, prenant l'exemple de récentes nominations au Conseil économique et social, d'inciter le Gouvernement à promouvoir des femmes en chaque occasion utile, M. Gérard Cornu , rapporteur , a indiqué que son rapport insistait sur l'impératif, pour l'État, d'être exemplaire en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes.
M. Xavier Darcos a attiré l'attention sur l'excessive féminisation de certaines professions, par exemple dans l'éducation nationale ou la magistrature, et souhaité que dans ses recommandations, la délégation insiste sur le fait que l'objectif de mixité des métiers doit jouer " dans les deux sens ".
M. Claude Domeizel a insisté sur les handicaps professionnels résultant de la maternité, en ce qui concerne tant les congés en cas de grossesse à risques que les recrutements.
Mme Annick Bocandé a ajouté que les handicaps n'apparaissaient pas seulement au moment de la maternité, mais se poursuivaient ensuite, lorsqu'il s'agissait d'être disponible pour répondre aux besoins des enfants liés à leur éducation ou leur santé. Elle a souligné que si l'on notait une légère évolution des mentalités dans les couples où la femme occupe une meilleure position professionnelle que son conjoint, on ne pouvait pas encore considérer que les hommes prenaient suffisamment leur part de responsabilité en la matière. Elle a insisté sur l'importance qu'il y aurait à réformer en profondeur la politique familiale et sur le problème du retour dans l'entreprise après une absence prolongée, retour qui doit pouvoir s'exercer à des niveaux professionnel et de responsabilité identiques à ceux qu'occupaient la femme au moment de son départ.
M. Gérard Cornu, rapporteur , est revenu sur la nécessité d'aider matériellement les femmes en prenant appui sur les expériences menées dans les pays d'Europe du nord, qui prouvaient que lorsqu'on aidait massivement les femmes à concilier vies professionnelle et familiale, on enregistrait à la fois un fort taux d'activité féminine et une stabilisation, voire une remontée, de la fécondité. A l'inverse, a-t-il ajouté, lorsque les tensions sont trop fortes entre famille et travail, les femmes ou bien reportent le moment de leur maternité, et le taux de fécondité baisse, ou bien renoncent à travailler pour élever leurs enfants, et le taux d'activité des femmes est plus faible qu'ailleurs.
Relevant que M. Gérard Cornu, rapporteur, avait déclaré que le bilan de la loi Roudy était médiocre et dit qu'on pouvait s'interroger sur l'opportunité de légiférer à nouveau sur l'égalité professionnelle alors même que ce thème devait être examiné dans le cadre paritaire de la "refondation sociale", Mme Gisèle Printz a demandé ce qu'il convenait de faire pour que la loi Roudy soit appliquée. M. Gérard Cornu, rapporteur , a rappelé que toutes les personnalités auditionnées par la délégation avaient reconnu que la loi Roudy était une bonne loi, mais qu'elle n'avait pas été appliquée, et souligné que le contexte des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, caractérisées par un fort taux de chômage, n'avait sans doute pas été favorable au thème de l'égalité professionnelle. L'actuelle reprise économique, a-t-il espéré, devrait permettre d'y porter un intérêt plus soutenu, mais, a-t-il ajouté, un alourdissement des textes et des obligations peut être davantage un frein qu'un accélérateur. Il a considéré à cet égard que la sanction pénale que la proposition de loi visait à instituer à l'encontre des entreprises, sans modulation, était malvenue. Il a placé dans les syndicats ses espoirs d'une meilleure application de la loi et dans les vertus du dialogue social ceux d'une meilleure prise en compte des objectifs d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Après avoir reconnu que le rapport de M. Gérard Cornu, rapporteur, lui semblait bien synthétiser les différentes auditions auxquelles avait procédé la délégation, Mme Dinah Derycke , présidente , a fait part de ses observations sur les propositions de recommandations. Elle a estimé qu'une des principales raisons de la mauvaise application de la loi Roudy était l'absence de sanctions et que, même si l'on était convaincu des vertus du dialogue social, force était de constater qu'à défaut de sanctions, les obligations étaient rarement respectées. S'agissant du caractère pénal de la sanction, elle a fait valoir que de simples sanctions financières n'étaient pas suffisantes, les grandes entreprises préférant en général les acquitter plutôt que d'appliquer la loi, et leur caractère dissuasif ne jouant en réalité que pour les petites entreprises. Aussi, tout en se déclarant hostile aux sanctions " à tout prix ", elle a fait valoir que seule la sanction pénale paraissait de nature à ne pas créer de distorsions entre les entreprises en matière d'application de la législation sur l'égalité professionnelle. Elle a par ailleurs jugé opportune la suggestion du rapporteur en faveur d'un système de progressivité.
Mme Dinah Derycke , présidente , a ensuite regretté " la connotation négative " retenue par le rapporteur s'agissant de l'opportunité de légiférer à nouveau en matière d'égalité professionnelle.
S'agissant des contraintes familiales et domestiques qui pèsent sur les femmes, elle a vivement souhaité qu'il soit insisté sur l'absolue nécessité de " revisiter " toute la politique familiale, et notamment les différents textes et les dispositions sociales relatifs à l'accueil de l'enfant, au regard de l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Revenant sur la sur-représentation des femmes dans l'éducation nationale ou la magistrature, Mme Dinah Derycke , présidente , a fait observer que les métiers excessivement masculinisés l'emportaient nettement en nombre.
M. Claude Domeizel a évoqué les inégalités existant entre les hommes et les femmes en matière de retraite : si 60 % des salariés prennent leur retraite avant 60 ans, a-t-il déclaré, 70 % des 40 % restants sont des femmes, ce qui devrait inciter à la réflexion. Il est par ailleurs revenu sur la nécessité de féminiser davantage les jurys de concours.
M. Gérard Cornu, rapporteur , a justifié à nouveau, en réponse à ces différentes interventions, certaines des recommandations qu'il proposait et reconnu, s'agissant des inégalités en matière de retraite, l'opportunité d'une réflexion ultérieure.
Après que M. Serge Lepeltier et Mme Dinah Derycke , présidente , eurent estimé une nouvelle fois qu'entrepreneurs et syndicats étaient conjointement responsables de la mauvaise application de la loi Roudy, la délégation a approuvé , Mme Dinah Derycke , présidente , s'abstenant, les recommandations proposées par le rapporteur , amendées par quelques modifications rédactionnelles et complétées par le souhait, exprimé à l'initiative de Mme Dinah Derycke, présidente , de voir la politique familiale réexaminée à l'aune de l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
ANNEXES
- Annexe n° 1 : Lettre de saisine du président de la commission des affaires sociales.
- Annexe n° 2 : Compte rendu des auditions
ANNEXE N° 1
LETTRE DE SAISINE
DU PRÉSIDENT
DE LA COMMISSION DES
AFFAIRES SOCIALES
|
|
COMMISSION
------ |
Paris, le 15 mars 2000 |
LE PRÉSIDENT ------ |
Madame Dinah DERYCKE Présidente de la délégation parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes PALAIS DU LUXEMBOURG |
Réf. : S/2000.194/1
Madame la Présidente,
Au cours de sa réunion du mercredi 15 mars 2000, la commission des Affaires sociales a décidé, sur ma proposition, de saisir la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars dernier, relative à l'égalité professionnelle des femmes et des hommes.
Conformément aux dispositions du paragraphe III de l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-11000 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, sans préjudice des compétences de la commission des Affaires sociales saisie au fond de cette proposition de loi, la commission souhaiterait recueillir votre avis sur les conséquences de cette proposition de loi sur les droits des femmes et sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Je vous indique que cette proposition de loi devrait être inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour prioritaire des travaux du Sénat au cours de la dernière semaine de mai et examinée par la commission des Affaires sociales sur le rapport de Mme Annick Bocandé lors de la semaine précédente.
Je vous prie de croire, Madame la Présidente, à l'assurance de ma considération distinguée.
Jean DELANEAU
ANNEXE N° 2
COMPTE RENDU DES
AUDITIONS
Mercredi 8 mars 2000 - Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
La délégation a procédé à l'audition de Mme Anne-Marie Colmou, maître des requêtes au Conseil d'État , auteur d'un rapport au ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation, intitulé "L'encadrement supérieur de la fonction publique : vers l'égalité entre les hommes et les femmes".
Mme Dinah Derycke, présidente , a indiqué, en guise d'introduction, que cette audition, tenue à la date symbolique du 8 mars, Journée internationale des femmes, s'inscrivait dans le contexte de l'examen, par le Parlement, de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson, députée, et plusieurs de ses collègues, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Adopté par l'Assemblée nationale le 7 mars, ce texte comporte un volet consacré à la fonction publique.
Mme Anne-Marie Colmou a précisé, à titre liminaire, que cet aspect de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson reprenait des recommandations qu'elle avait formulées dans son rapport au printemps 1999, et qui avaient figuré auparavant dans des projets de décret, dont le Conseil d'État avait estimé, à l'automne, les dispositions de nature législative.
Elle a ensuite présenté les aspects essentiels de son rapport.
S'agissant de l'état des lieux, Mme Anne-Marie Colmou a rappelé que si la fonction publique française se caractérisait par une très forte féminisation globale (plus de 56 % des effectifs), la situation apparaissait extrêmement hétérogène dès lors qu'on affinait l'analyse par corps, par ministères ou par emplois, avec, pour constantes, une très faible présence des femmes dans les corps dits techniques et, surtout, la rapide diminution de leur proportion à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie. Ce "plafond de verre", bien qu'aisément observable, n'a fait jusqu'ici l'objet d'aucune étude approfondie, a déploré Mme Anne-Marie Colmou , en indiquant qu'elle avait été conduite à asseoir son rapport essentiellement sur des témoignages de syndicalistes, de femmes hauts fonctionnaires et de gestionnaires du personnel. Elle a estimé qu'une analyse de la situation et surtout de son évolution nécessitait l'institution d'un véritable outil statistique sexué, lequel, en améliorant la transparence, offrirait aux décideurs les moyens d'adapter les mesures à prendre aux objectifs à atteindre. Cette exigence constitue la première proposition de son rapport.
La sous-féminisation, dans la haute fonction publique, a poursuivi Mme Anne-Marie Colmou , a d'abord les mêmes causes d'ordre général que dans le secteur privé, et notamment la double journée de travail des femmes et les problèmes de garde des enfants -mention doit être faite aussi du " sexisme des manuels scolaires ", l'image de femmes occupant des postes d'encadrement étant inexistante à l'école, mais, on doit se réjouir qu'une convention s'attaquant à ce problème vienne d'être tout récemment signée par le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et les autres ministres intéressés.
Le phénomène a également des causes propres au système même de notre fonction publique. Il en est ainsi du mode de sélection des futurs hauts fonctionnaires, dont on peut se demander, a dit Mme Anne-Marie Colmou , " s'il n'est pas fait par et pour les hommes ", prenant insuffisamment en compte les qualités propres aux deux différents sexes. Une réflexion sur les conditions de recrutement est nécessaire, a-t-elle estimé. Dans cette perspective, elle a, dans son rapport, recommandé l'institution, au sein de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, d'un comité de pilotage chargé d'examiner le contenu et les modalités, tant des épreuves des concours d'entrée dans les écoles d'application administratives que des enseignements qu'elles dispensent. A sa connaissance, ce comité devrait être installé tout prochainement. Relevant plus largement que la mixité avait été introduite dans l'enseignement secondaire il y a trente ans sans que, pour autant, les méthodes d'enseignement aient été adaptées à cette nouvelle situation, elle a appelé de ses voeux une évolution.
Elle a ensuite insisté sur une troisième proposition de son rapport qui concerne la composition des jurys de concours, encore trop souvent, par habitude, très majoritairement masculins. La féminisation obligatoire des jurys, dans des conditions fixées par le Conseil d'État, est reprise dans la proposition de loi de Mme Catherine Génisson, a indiqué Mme Anne-Marie Colmou , mais le dispositif amendé par l'Assemblée nationale conduirait à modifier les quelque 1400 statuts particuliers de la fonction publique, risquant, ce faisant, de rendre la réforme inapplicable.
Critiquant ensuite la rédaction actuelle de l'article 6 du statut général des fonctionnaires qui traite pêle-mêle, pour les interdire, des discriminations à raison de la race, des opinions philosophiques ou religieuses, du sexe, etc..., ainsi que du harcèlement sexuel, Mme Anne-Marie Colmou a souhaité qu'une distinction rende plus claire la lecture de ces dispositions et s'est félicitée que la proposition de loi de Mme Génisson vise à instituer dans ce texte deux articles 6 bis et 6 ter qui interdiraient, respectivement, la discrimination sexuelle et le harcèlement sexuel.
S'agissant ensuite du déroulement des carrières, Mme Anne-Marie Colmou a indiqué qu'elle avait formulé, dans son rapport, de nombreuses propositions destinées à favoriser la promotion des femmes. Il est notamment souhaitable, a-t-elle dit, de mettre fin à la grande opacité qui entoure le système de nomination aux postes d'encadrement supérieur, qui fonctionne sans transparence sur les vacances et essentiellement par l'activation de réseaux dont sont exclues les femmes. Elle a également préconisé la constitution de viviers de femmes pour garantir leur promotion équilibrée. De même a-t-elle suggéré la définition, ministère par ministère, de plans pluriannuels d'objectifs destinés à renforcer progressivement la féminisation de chaque corps, pour parvenir à une homogénéité entre les différents niveaux hiérarchiques. Cette proposition vient d'être mise en oeuvre par une récente circulaire du Premier ministre.
Parallèlement, Mme Anne-Marie Colmou a appelé de ses voeux la féminisation des commissions administratives paritaires (CAP), qui examinent les questions individuelles d'avancement des fonctionnaires, et des comités techniques paritaires (CTP), qui débattent des conditions collectives de travail. Cette féminisation passe par une désignation équilibrée entre les deux sexes des représentants de l'administration à ces instances.
Enfin, Mme Anne-Marie Colmou a vivement souhaité que s'engage une réflexion sur l'organisation du travail dans la haute fonction publique, organisation qu'elle a qualifiée de " désastreuse ", avec une utilisation du temps peu rationnelle et préjudiciable aux femmes, beaucoup plus confrontées que leurs collègues masculins aux impératifs de la vie familiale et domestique.
Un débat s'est ensuite instauré.
Patrice Gélard a estimé que, bien qu'intéressant, le rapport de Mme Colmou analysait plus les effets que les causes de la sous-féminisation de la haute fonction publique, alors même que c'est sur les causes qu'il convient d'agir. Ainsi, considérant que les résultats du concours d'entrée à l'ENA ne procédaient pas d'un comportement " machiste " du jury, mais bien plutôt d'une différence de cursus antérieurs entre les candidats et les candidates, il a jugé nécessaire de procéder à des comparaisons de populations analogues pour tirer des enseignements utiles. S'agissant des filières scientifiques, il a considéré que le fond du problème était le faible nombre de candidates, qu'il a attribué à de multiples raisons, et notamment aux attitudes parentales, au comportement sédentaire des filles, à la mentalité des classes préparatoires aux grandes écoles qui leur est peu adaptée. Les jeunes filles qui ont un BAC S, a-t-il noté, délaissent les écoles d'ingénieurs au profit des études médicales ou paramédicales.
En ce qui concerne la sous-représentation féminine dans le haut encadrement des administrations centrales, M. Patrice Gélard a considéré qu'il convenait de s'interroger sur les motivations des élèves féminines, pour lesquelles l'organisation du temps de travail, la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale constituent des éléments déterminants de choix de carrière : ainsi, à la sortie de l'ENA, les jeunes femmes choisissent volontiers les tribunaux administratifs ou les chambres régionales des comptes, de même, les promotions à l'École nationale de la magistrature présentent une forte féminisation. Il a déclaré qu'il lui paraissait par ailleurs essentiel, d'une part, de revoir l'orientation souvent " décourageante " des jeunes filles au moment des études secondaires et, d'autre part, d'atténuer les pénalisations qu'entraîne souvent pour les carrières le congé parental d'éducation.
En réponse, Mme Anne-Marie Colmou a indiqué que les causes de sous-féminisation qui étaient étrangères à la fonction publique étaient abordées dans son rapport, mais que sa mission l'avait conduite à limiter ses propositions à celles qui s'adressaient au ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation. Elle a par ailleurs estimé qu'il appartiendrait précisément au comité de pilotage d'analyser, dans les enseignements et dans les concours, les raisons de la sous-féminisation de certaines filières. Elle a enfin considéré que si les jurys n'avaient pas nécessairement des comportements à proprement parler " machistes ", leur composition équilibrée entre les deux sexes paraissait néanmoins normale et donc souhaitable.
Revenant sur le problème de la féminisation de la magistrature, M. Patrice Gélard a attiré l'attention sur le fait que le traitement de " l'un des problèmes de société les plus cruciaux ", celui des banlieues, revenait à des professions aujourd'hui largement féminisées (magistrats, enseignants, agents du secteur social en général) alors même qu'on assiste parallèlement à une " crise des pères ".
Mme Dinah Derycke , présidente , a déploré l'existence, dès la maternelle et tout au long de la scolarité, d'attitudes différentes, conscientes ou non -chez les parents, les enseignants, dans les manuels scolaires et les méthodes d'enseignement- entre les filles et les garçons avec une valorisation systématique des garçons. Elle s'est félicitée de la convention qui vient d'être signée par les différents ministres intéressés pour combattre le sexisme au sein de l'éducation, saluant en elle un premier pas pour modifier ces comportements inconscients.
Mme Dinah Derycke , présidente , a ensuite insisté sur la question de la mixité des jurys. Revenant sur le dispositif adopté par l'Assemblée nationale dans le cadre de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson, elle a interrogé Mme Anne-Marie Colmou sur son applicabilité. Confirmant ses précédents propos, celle-ci a estimé que la position jurisprudentielle du Conseil d'État, reprise dans le texte initial de Mme Catherine Génisson et consistant à admettre, pour les statuts particuliers, la mixité d'un jury dès lors que l'un des sexes y était représenté par au moins un membre, était certes contestable comme l'estimait Mme Dinah Derycke, présidente , mais qu'elle constituait aussi une " soupape de sécurité " générale pour certains corps presqu'exclusivement masculins (corps où il est très difficile sinon impossible de trouver des femmes pour composer les jurys au titre des personnalités qualifiées) et que sa suppression par l'Assemblée nationale risquait de bloquer la réforme faute, pour le pouvoir exécutif, d'être en mesure de modifier rapidement les 1 400 statuts particuliers de la fonction publique. Elle a cependant reconnu qu'il conviendrait d'abord de connaître avec précision le nombre de ces " corps fermés ", soulignant qu'elle s'était heurtée sur ce point, dans la rédaction de son rapport, à " une poche d'opacité ".
M. Jean-François Picheral a rappelé que tous les concours de la fonction publique ne présentaient pas le même type de déséquilibre en matière de répartition sexuée des candidats ; il a relevé qu'un trop fort déséquilibre dans les effectifs entraînait généralement une réaction favorable à l'instauration de la parité (dans les deux sens comme on le constate pour la magistrature), et que les principaux obstacles à la promotion des femmes étant la maternité et les contraintes domestiques, il convenait d'agir à ces deux niveaux.
Revenant sur le problème de la mixité des jurys, Mme Dinah Derycke , présidente , a relevé que de manière générale, et jusqu'à présent, la participation aux jurys apparaissait comme une " affaire d'hommes ", selon une sorte d'attitude de principe qu'il convenait de modifier. Puis, précisant qu'il y avait précisément 48 % de magistrates, elle a estimé qu'on ne pouvait parler de déséquilibre, comme le faisait M. Patrice Gélard , d'autant que les femmes sont encore peu nombreuses dans la très haute magistrature.
Mme Anne-Marie Colmou a précisé que les gestionnaires de personnel qu'elle avait rencontrés dans le cadre de sa mission avaient tous affirmé être à la recherche de femmes pour constituer les jurys, dans la mesure où la féminisation avait pour effet positif une évolution des mentalités.
S'agissant des taux d'absentéisme hommes/femmes à âge égal, elle a estimé que la question était particulièrement complexe faute de disposer de statistiques sexuées fiables. Elle a par ailleurs déploré que des appréciations différentes soient souvent portées quant aux questions de compétence ou d'absence pour garde d'enfant selon le sexe de l'intéressé, les hommes bénéficiant généralement de jugements plus favorables.
Abordant le problème des concours internes, Mme Dinah Derycke , présidente , a estimé qu'ils n'étaient pas toujours de nature à permettre d'assurer la parité en raison de la mobilité qu'exige souvent la scolarité dans les écoles d'application et de la mutation géographique qui accompagne parfois la progression de carrière.
Bien qu'approuvant pleinement ce constat, Mme Anne-Marie Colmou a estimé que le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTCI) devrait permettre de dépasser rapidement ou d'atténuer cette question de la mobilité. S'agissant par ailleurs des nouvelles modalités d'organisation du travail -congé parental, temps partiel, partage des postes, etc...- elle a estimé qu'elles recelaient, en éloignant de la carrière, un certain nombre de dangers qui nécessitaient des études préalables très approfondies.
Mme Odette Terrade a exprimé son accord sur ce dernier point, estimant en particulier indispensable que le temps partiel soit choisi et non contraint et qu'un certain nombre d'adaptations, notamment en ce qui concerne l'acquisition des droits à la retraite, accompagnent ce mouvement.
En réponse à Mme Dinah Derycke , présidente , sur les motivations qui avaient conduit le Conseil d'État à formuler à l'automne un avis défavorable sur les projets de décret relatifs à la féminisation des jurys de concours, des CAP et des CTP, Mme Anne-Marie Colmou a confirmé qu'il s'agissait exclusivement de respecter la hiérarchie des normes, et que le Conseil n'avait pas émis de réserves sur la constitutionnalité des mesures, dès lors qu'elles seraient prises par la voie législative.
Mme Dinah Derycke , présidente , l'interrogeant ensuite sur l'absence de parité au sein des représentations syndicales aux CAP et aux CTP, Mme Anne-Marie Colmou a précisé que, conformément au contenu de sa mission, ses propositions concernaient exclusivement la représentation de l'administration au sein de ces instances et qu'au demeurant, il lui semblait que des arguments constitutionnels relatifs à la liberté syndicale rendaient difficiles l'extension de l'obligation de parité aux organisations professionnelles.
Mme Odette Terrade a estimé qu'une réponse serait peut-être apportée si les amendements, présentés lors du débat sur le projet de loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, et qui étendaient aux élections professionnelles les obligations relatives à la parité des candidatures, étaient repris sous forme de proposition de loi, comme l'avaient annoncé certains représentants de la majorité sénatoriale.
A l'issue de l'audition de Mme Anne-Marie Colmou , un échange de vues sur le calendrier et les travaux de la délégation a eu lieu à l'initiative de Mme Dinah Derycke, présidente .
Mardi 21 mars 2000 - Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
La délégation a tout d'abord procédé, à l'initiative de Mme Dinah Derycke, présidente , à un large échange de vues sur l'organisation et les thèmes de ses travaux auquel ont également participé Mmes Annick Bocandé, Anne Heinis, Maryse Bergé-Lavigne, Gisèle Printz, MM. Patrice Gélard et Lucien Neuwirth, Mme Odette Terrade et M. André Ferrand.
Puis, saisie le 15 mars 2000 par la commission des affaires sociales de la proposition de loi n° 258 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes , elle a désigné M. Gérard Cornu en qualité de rapporteur .
La délégation a ensuite procédé à l'audition de M. Jean Delmas, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA), et de Mme Dany Bourdeaux, présidente de la commission des conjoints au sein de l'UPA .
Mme Dinah Derycke, présidente, a rappelé que l'attention de la délégation sur la situation des conjoints d'artisans avait été notamment attirée par un amendement déposé par M. Lucien Neuwirth à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
M. Jean Delmas a souhaité insister sur les difficultés que pouvaient rencontrer les conjoints d'artisans dans l'exercice de leur activité professionnelle.
Mme Dany Bourdeaux a observé que le secteur de l'artisanat ne connaissait pas de discrimination particulière liée au sexe. Elle a précisé que la proportion de femmes chefs d'entreprise y était passée de 11 % en 1977 à 17 % en 1998, celles-ci étant présentes dans tous les secteurs, même si ceux du textile et de l'habillement sont surreprésentés.
Elle a souligné que la représentation des femmes d'artisans dans les organismes professionnels s'était améliorée. Elle a ainsi indiqué que quatre femmes présidaient actuellement des chambres de métiers, que 126 femmes étaient administratrices de caisses de sécurité sociale (mais elles sont peu nombreuses, 54 sur 600, dans la gestion de l'assurance vieillesse) et que 44 femmes avaient été élues aux élections prud'homales.
Elle a cependant déploré que les conjoints collaborateurs ne puissent être ni électeurs, ni éligibles à ces dernières élections, à l'inverse des élections aux chambres de métiers et aux caisses de sécurité sociale.
Elle a rappelé que les conjoints d'artisans pouvaient être soumis à trois statuts : le conjoint salarié, le conjoint associé et le conjoint collaborateur.
Abordant les limites du statut de conjoint collaborateur introduit par la loi du 10 juillet 1982, elle a regretté que la loi de 1985 sur les régimes matrimoniaux ait réduit la protection du conjoint collaborateur en posant de nouvelles règles d'obligation au passif portant sur les biens communs du couple. Elle a alors exprimé le souhait d'un renforcement de ce statut dans le cadre de l'entreprise en bien commun.
Elle a également souligné les importantes difficultés nées du recours systématique des banques à la pratique du cautionnement solidaire pour garantir les dettes de l'entreprise artisanale.
S'agissant du conjoint salarié, elle a relevé l'existence d'une injustice fiscale : ses cotisations sociales sont entièrement déductibles lorsque le régime matrimonial est celui de la séparation de biens, elles le sont sous plafond dans le cas du régime de la communauté.
Mme Dinah Derycke, présidente, s'est interrogée sur les raisons pouvant expliquer que seuls 6 % des conjoints d'artisans aient choisi le statut de conjoint collaborateur.
Mme Dany Bourdeaux a évalué à 30 ou 40 % la proportion des femmes d'artisans placées en dehors de chacun des trois statuts. Elle a jugé que le choix d'un statut relevait plus d'une décision du couple au regard des intérêts et des possibilités de l'entreprise que d'une seule décision du conjoint. Elle a alors estimé que les campagnes de communication sur les différents statuts avaient sans doute trop visé le seul conjoint, ignorant cette dimension de couple.
Elle a aussi observé que le choix du statut dépendait du secteur et de la taille de l'entreprise. Prenant l'exemple du bâtiment, elle a déclaré que 48 % des conjoints étaient salariés dans les entreprises comptant 10 à 20 salariés, mais 12 % seulement dans les entreprises de moins de 10 salariés.
M. Patrice Gélard a demandé si l'on notait une évolution dans l'accès des femmes aux métiers de l'artisanat -notamment dans le bâtiment- et dans l'offre des formations proposées.
Mme Dany Bourdeaux a reconnu que les femmes s'orientaient aujourd'hui plus facilement vers les métiers du bâtiment, car la pénibilité du travail y était devenue moindre. Elle a également observé un plus fort accès des jeunes filles dans les centres de formation des apprentis et dans les lycées professionnels spécialisés dans le bâtiment.
Mme Dinah Derycke, présidente, s'est interrogée sur la capacité des conjoints d'artisans à accéder à une formation.
Mme Dany Bourdeaux a indiqué que les chambres de métiers et les organisations professionnelles avaient mis en place des formations qualifiantes de niveau IV spécifiques aux conjoints collaborateurs, notamment dans le secteur du bâtiment. Elle a ainsi cité la formation à la gestion de l'entreprise artisanale du bâtiment (GEAB) et le brevet de conjoint collaborateur d'entreprise artisanale (BCCEA). Elle a ajouté que les conjoints qui le souhaitaient pouvaient approfondir leur formation en préparant un diplôme universitaire de gestion.
Répondant à Mme Gisèle Printz qui s'interrogeait sur les contacts existant entre les artisans et l'éducation nationale, elle a annoncé la signature prochaine d'une convention avec l'éducation nationale destinée à favoriser l'orientation des jeunes vers l'artisanat.
M. Jean Delmas a regretté que les chefs d'entreprises artisanales rencontrent fréquemment des difficultés pour recruter des jeunes en contrat d'apprentissage. Il a estimé nécessaire de mieux convaincre les jeunes -et leurs parents- du caractère attrayant des métiers de l'artisanat, rappelant qu'un accord de partenariat avec le ministère de l'emploi et de la solidarité et avec l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) avait été signé sur ce sujet.
Mme Gisèle Printz a estimé, sur ce point, que de meilleures rémunérations renforceraient l'attractivité de l'artisanat.
M. Jean Delmas a rappelé que les conventions collectives prévoyaient une égalité des salaires entre l'industrie et l'artisanat, soulignant ainsi que le problème venait de l'insuffisante rémunération des métiers manuels en France.
Mme Janine Bardou a, à ce propos, insisté sur la nécessité de valoriser l'image des métiers manuels non seulement auprès des jeunes, mais aussi auprès de leur famille.
Observant une évolution sensible des mentalités, favorable à l'accès des femmes à la formation et à l'emploi, M. Jean-Guy Branger s'est interrogé sur les facilités concrètes offertes aux femmes actives pour s'engager dans la vie publique.
M. Jean Delmas a indiqué que l'UPA était favorable à une meilleure représentation des femmes dans les organismes professionnels ou consulaires. S'agissant des élections aux chambres de métiers, il a estimé que la mise en oeuvre de la parité était difficile pour l'élection des membres du collège des professions, dans la mesure où la représentation des femmes était très variable selon la profession. Il s'est en revanche prononcé en faveur d'une plus grande mixité pour les élections des membres du collège des organisations syndicales, cette mixité devant cependant être le fruit d'une démarche collective.
Il a toutefois observé que, lors des dernières élections professionnelles, les femmes représentaient 20 % des élus, soit proportionnellement plus que leur présence effective dans l'artisanat.
Mme Annick Bocandé s'est interrogée sur l'état d'avancement des travaux du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle en matière d'amélioration de la représentation des femmes aux élections professionnelles.
Mme Dany Bourdeaux a reconnu que les travaux du conseil n'avaient pour l'instant débouché sur aucune proposition.
Puis, Mme Dinah Derycke, présidente, l'interrogeant sur la possibilité pour les conjoints d'être électeurs et éligibles aux chambres des métiers au regard de leur statut, elle a apporté les précisions suivantes : mentionné au répertoire des métiers, le conjoint collaborateur est électeur et éligible, le conjoint associé l'est à condition d'avoir lui-même le statut d'artisan, le conjoint salarié ne l'est pas.
Mme Dinah Derycke, présidente, a exprimé le souhait que chaque conjoint d'artisan puisse être couvert par un statut et s'est demandé si des considérations spécifiques pouvaient conduire à choisir tel ou tel statut.
Tout en se déclarant en accord avec les propos de la présidente -la nécessité d'un statut se révèle notamment dans les situations dramatiques, la femme devant pouvoir prouver, après le décès de son mari ou un divorce, qu'elle a travaillé dans l'entreprise- Mme Dany Bourdeaux a observé que l'acquisition d'un statut devait relever d'une démarche volontaire et ne pas être imposée. Elle a notamment souligné les difficultés liées à l'existence possible d'un double statut, les conjoints d'artisans pouvant exercer une activité professionnelle hors de l'entreprise artisanale. Une meilleure information des intéressés est nécessaire, a-t-elle déclaré.
Elle a estimé que le choix d'un statut pouvait être lié à des considérations financières, précisant que, si l'entreprise artisanale dégageait un revenu suffisant, le conjoint avait le plus souvent le statut de conjoint salarié. A cet égard, après avoir déploré que les ASSEDIC aient parfois refusé de considérer le conjoint comme un salarié en contestant le lien de subordination existant entre l'artisan et son conjoint, elle a indiqué qu'un récent arrêt de la cour de cassation avait levé cette ambiguïté.
En réponse à Mme Dinah Derycke , présidente , qui s'interrogeait sur l'opportunité de favoriser la reprise de l'entreprise par le conjoint survivant en cas de décès, Mme Dany Bourdeaux a rappelé que le statut de conjoint collaborateur ouvrait droit à une reprise préférentielle de l'entreprise et estimé que le problème qui se posait dans un tel cas était davantage celui de la formation du conjoint.
Revenant sur les principales attentes de l'UPA, M. Jean Delmas a, une nouvelle fois, jugé nécessaire qu'une intervention législative permette aux conjoints collaborateurs d'être électeurs et éligibles aux élections prud'homales.
Mme Dany Bourdeaux a, quant à elle, déploré à nouveau le recours systématique aux cautions solidaires, qui place les conjoints d'artisans dans des situations souvent très délicates, et ne se justifie pas, dans la mesure où il existe d'autres solutions : nantissement, hypothèque.
Enfin, répondant à une question de Mme Dinah Derycke, présidente , sur les prêts bancaires accordés aux femmes dans le secteur de l'artisanat, M. Jean Delmas a estimé qu'il n'y avait pas de discrimination et que le critère retenu était celui de la viabilité de l'entreprise, avant d'insister, à son tour, sur les problèmes de cautionnement rencontrés.
Mardi 28 mars 2000 - Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
La délégation a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Chantal Foulon , directeur adjoint des relations sociales du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).
Mme Dinah Derycke , présidente , a rappelé que si cette audition se tenait dans le contexte de l'examen, par le Parlement, de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson, députée, et plusieurs de ses collègues, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la délégation souhaitait examiner ce thème dans un cadre très large.
Mme Chantal Foulon a indiqué en introduction que, par un accord du 3 février 2000 entre les organisations syndicales et le MEDEF, la question de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes avait été retenue parmi les neuf thèmes devant être étudiés dans le cadre paritaire de la " refondation sociale " proposée par le MEDEF et qu'elle serait examinée au cours du second semestre 2000. Elle a fait part des craintes du MEDEF qu'une intervention précipitée du législateur ne vienne contrarier l'évolution du dossier.
Mme Chantal Foulon a estimé qu'au plan normatif, il " ne restait pas grand chose à faire " : les textes existent, a-t-elle souligné, sous réserve de la transposition d'ici janvier 2001 de quelques dispositions communautaires. Elle a déclaré qu'il existait en matière de lutte contre les discriminations un arsenal de textes déjà fort complet et qu'en faisant peser de nouvelles obligations et contraintes sur les entreprises privées, la proposition de loi de Mme Catherine Génisson ne semblait pas appropriée.
Prenant pour exemple le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes, l'un des instruments de la loi Roudy de 1983 que la proposition de loi de Mme Catherine Génisson vise à rénover, Mme Chantal Foulon a indiqué qu'il semblait préférable au MEDEF de s'interroger d'abord sur les raisons pour lesquelles ce rapport n'est établi par l'employeur que dans environ 50 % des entreprises, sans que les syndicats n'utilisent pour autant sur le terrain les moyens légaux qui leur sont reconnus pour en imposer la présentation. Evoquant un avant-projet de décret récemment présenté au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle sur les indicateurs pertinents qui seraient imposés aux entreprises, elle a estimé que plus on compliquait les textes sur le rapport de situation comparée, moins il y aurait de chances de les voir appliqués.
Mme Chantal Foulon a ensuite indiqué que la principale réserve du MEDEF à l'égard de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson portait sur la nouvelle obligation de négocier chaque année sur les objectifs d'amélioration de l'égalité professionnelle et les mesures permettant de les atteindre, obligation dont l'inobservation est assortie de sanctions pénales. L'hostilité du MEDEF résulte tant de considérations de principe -" ce n'est pas avec la création de nouveaux délits que l'égalité progressera "- que du flou de la formulation retenue pour cette nouvelle obligation, flou qui semble particulièrement dommageable, dès lors que sont prévues des sanctions pénales.
Après avoir indiqué que le MEDEF était en revanche favorable au principe " d'approche intégrée ", qui vise à examiner l'objectif d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans tout le champ de la négociation collective, et qu'il n'était pas opposé non plus à l'extension de l'accès aux contrats d'égalité, Mme Chantal Foulon a souhaité que l'examen de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson soit reporté à l'issue des discussions que les partenaires sociaux entameront prochainement en suggérant, en outre, d'introduire dans ce texte les mesures de transcription communautaire auxquelles la France sera en tout état de cause contrainte.
Un débat s'est ensuite instauré.
M. Gérard Cornu , rapporteur , a tout d'abord estimé que, s'il était concevable que le MEDEF demande que l'on fasse confiance à la négociation sociale avant de légiférer, il l'était tout autant de reconnaître la vocation du législateur à intervenir au préalable pour favoriser l'égalité de représentation dans les structures de concertation. A titre d'exemple, il a cité une loi allemande de 1972 qui assure aux femmes une représentation dans les comités d'entreprise proportionnelle à leur présence dans l'entreprise, permettant ainsi une meilleure prise en compte de leurs préoccupations. Il a fait état de sa proposition de loi relative à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives dans les élections professionnelles et relevé que, pour favoriser l'égalité professionnelle et l'accession des femmes aux postes de responsabilité, il convenait de soulager leur double, voire triple vie familiale, professionnelle, politique ou syndicale.
Mme Chantal Foulon a estimé en réponse qu'une part significative du problème de l'égalité professionnelle relevait des mentalités, que le législateur pouvait agir sur d'autres leviers que le code du travail et qu'il pouvait aussi intervenir, en amont de l'entreprise, au niveau de la formation. Elle a par ailleurs considéré qu'à l'exception d'une position de principe défavorable à toute mesure coercitive en la matière, le MEDEF pouvait difficilement exprimer une opinion sur la parité dans les élections professionnelles, question qui intéresse les syndicats. Elle a ajouté qu'à sa connaissance, l'avis des syndicats était plutôt négatif pour ce qui concerne la parité pour les élections prud'homales. Enfin, si elle s'est déclarée favorable aux mesures matériellement concrètes pour aider les femmes à concilier vie professionnelle et vie familiale, telles que le développement des chèques emploi-service ou l'accroissement du nombre des crèches ou l'extension de leurs horaires d'ouverture, elle a attiré l'attention de la délégation sur les effets pervers que pouvaient éventuellement provoquer de telles dispositions sur le partage des tâches ménagères et familiales dans les couples.
Mme Annick Bocandé , rapporteur pour la commission des affaires sociales, s'est interrogée sur l'implication des entreprises, au-delà de l'intervention du législateur ou des collectivités locales, pour aider les femmes à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, sur la capacité de la seule négociation collective à parvenir à des résultats satisfaisants et sur l'état actuel des inégalités de carrière et de salaire entre les hommes et les femmes dans les entreprises.
Prenant appui sur le précédent de la loi " de Robien ", Mme Chantal Foulon a tout d'abord réaffirmé que l'intervention du législateur pouvait venir gêner la négociation paritaire. Elle a rappelé que, traditionnellement, les entreprises ont toujours souhaité se maintenir dans une stricte position de neutralité au regard de la conciliation des vies familiale et professionnelle, et observé que la situation ne devait pas être si défavorable en France puisque le taux d'activité des femmes ayant deux ou trois enfants y est l'un des plus élevés.
S'agissant des inégalités salariales ou de carrière entre les femmes et les hommes, Mme Chantal Foulon a estimé que si la situation était encore loin d'être satisfaisante, notamment en ce qui concerne les femmes cadres, les études démontraient que les écarts continuaient à se réduire. Elle a ajouté qu'il n'existait pas à proprement parler de discrimination, mais des distinctions de fait qui résultaient de facteurs nombreux et disparates : secteurs professionnels, catégories d'emplois, tailles des entreprises, filières de formation, etc.
Après que Mme Gisèle Printz eut exprimé sa préférence pour la modification législative par rapport à la négociation collective pour faire appliquer la loi Roudy, Mme Chantal Foulon a redit que, du point de vue du MEDEF, il convenait d'abord, avant de la modifier, de s'interroger sur la pertinence de cette loi. Elle a souligné encore une fois que rarement les salariés avaient demandé sur le terrain l'application de la législation sur le rapport de situation comparée de la situation des femmes et des femmes dans l'entreprise alors qu'ils en avaient les moyens. Observant par ailleurs que le code du travail prévoit déjà la mise à disposition des comités d'entreprise de nombreux outils et éléments d'information, elle a jugé inopportun d'imposer de nouvelles obligations aux entreprises sans coordination avec les dispositions existantes. Elle a réclamé une approche globale et, plus généralement, un " audit " du code du travail.
Mme Dinah Derycke , présidente , a estimé que la crise économique avait sans doute contrarié la mise en oeuvre de la loi Roudy, le chômage et les difficultés des salariés ayant relégué la question de l'égalité professionnelle au rang des problèmes moins importants, y compris pour les syndicats. Après avoir considéré que de nombreux rapports de situation comparée entre les femmes et les hommes ne méritaient pas ce qualificatif en raison de leur indigence, elle a rappelé que tous les indicateurs démontraient que la formation professionnelle des femmes à l'intérieur des entreprises posait, à tous les niveaux hiérarchiques, un véritable problème. Enfin, si elle a admis qu'il fallait parfois du temps pour qu'une législation produise ses effets, elle a estimé que près de vingt ans après l'adoption de la loi Roudy, la situation en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ne s'était pas substantiellement améliorée, ce qui justifiait une nouvelle intervention du législateur.
En réponse, Mme Chantal Foulon a estimé que la formation professionnelle s'était beaucoup développée depuis quinze ans et qu'on notait actuellement une montée en puissance de la formation professionnelle des femmes. Elle a toutefois reconnu que les congés individuels de formation, destinés à favoriser les reconversions ou la progression des carrières, étaient moins demandés par les femmes, sans doute parce que les efforts et les investissements professionnels qu'ils demandent sont difficilement conciliables avec la vie familiale. Elle a par ailleurs considéré que les dispositions de la " loi Roudy ", qui avaient échoué, s'appuyaient sur le concept anglo-saxon de l' " affirmative action ", profondément étranger à notre culture, en ce qu'il tend à imposer des discriminations positives.
Puis la délégation a entendu Mme Huguette Delavault, représentante de l'Association française des femmes diplômées d'université (AFFDU) au réseau " Demain la parité ".
Mme Huguette Delavault a tout d'abord souligné l'inégal accès des enseignants chercheurs de sexe féminin au grade de professeurs des universités : si les universités parisiennes enregistrent des chiffres satisfaisants en ce domaine, avec un taux de professeurs de sexe féminin souvent supérieur à la moyenne nationale, la situation est différente en province, notamment pour les sciences, où l'on constate que les femmes comptent parfois pour moins de 5 % des professeurs.
L'analyse des causes de cette situation insatisfaisante est complexe, mais l'orientation des jeunes filles après le baccalauréat est cruciale : la plupart rejoignent l'université plutôt que les grandes écoles, qui privilégient nettement le " profil masculin ". De façon générale, les jurys des concours se déterminent essentiellement sur le brio et la rapidité de décision, apanages des garçons a estimé Mme Huguette Delavault . Elle a rappelé, à cet égard, que le nombre des filles admises aux concours des écoles normales supérieures (ENS) se raréfiait depuis l'instauration de la mixité de leurs épreuves (1981 pour l'ENS de Fontenay-Saint-Cloud, 1986 pour celle d'Ulm-Sèvres).
Elle en a conclu que les critères retenus pour opérer la sélection à l'entrée des grandes écoles devraient être modifiés pour donner toutes leurs chances aux candidates féminines, et que les jurys des concours d'entrée devaient être totalement paritaires.
S'agissant des carrières universitaires, Mme Huguette Delavault a estimé que la composition du comité national des universités (CNU) correspondait bien, pour ceux de ses membres nommés, à la place relative des femmes dans les disciplines considérées ; il n'en est pas de même pour les membres désignés par les syndicats, qui sont majoritairement masculins.
Evoquant la composition des jurys mis en place pour les concours administratifs, Mme Huguette Delavault s'est fermement prononcée pour une composition réellement paritaire, et non pas simplement mixte, la mixité pouvant, suivant les critères retenus par le Conseil d'État, se résumer à la présence d'une seule femme dans un jury, ce qui la conduit alors à jouer un rôle " d'alibi ".
Mme Huguette Delavault a reconnu l'existence de difficultés d'application de cette inflexion vers une stricte parité, notamment pour certains corps techniques, mais a souligné qu'elles étaient loin d'être insurmontables : dans les catégories de niveau " A ", le vivier de recrutement des membres des jurys est certes limité, mais n'est pas nul. Quant aux catégories " C ", il serait possible de faire appel à des experts extérieurs à l'administration. Ces suggestions s'ajoutent à celles contenues dans le rapport récemment rédigé par Mme Anne-Marie Colmou sur la fonction publique, qui valorise les perspectives interministérielles.
A l'issue de cet exposé, un débat s'est engagé.
M. Gérard Cornu, rapporteur , a dit ne pas partager toutes les affirmations de Mme Huguette Delavault, notamment sur un supposé brio réservé aux garçons. Evoquant la place minoritaire des femmes dans les professions scientifiques, il a souhaité connaître le sentiment de Mme Huguette Delavault sur ses causes. Constatant que les jurys des concours universitaires et administratifs étaient, en effet, peu féminisés, il l'a interrogée sur les actions que pourrait entreprendre le législateur pour y remédier.
En réponse, Mme Huguette Delavault a précisé que, dès l'enseignement secondaire, on constatait l'émergence de deux filières distinctes dont l'une, scientifique, était plutôt masculine, et l'autre, littéraire, plutôt féminine.
Mme Huguette Delavault a souhaité que les personnels chargés de l'orientation des élèves soient mieux informés de la vie professionnelle actuelle, alors que leurs connaissances n'intègrent pas toujours la réalité de l'évolution des métiers.
Mme Hélène Luc a fait valoir son plein accord sur l'intérêt de la présence des femmes pour le développement de l'industrie et des services, mais a souligné le besoin qu'éprouvaient les jeunes filles d'être fortement encouragées dans cette voie. Elle a relevé l'absence des femmes de la plupart des jurys d'examen, et a considéré que les élèves de sexe féminin étaient souvent plus travailleuses que les garçons, mais moins sûres d'elles-mêmes. Elle a conclu en souhaitant qu'une mixité équilibrée soit instaurée dans tous les métiers, y compris ceux aujourd'hui majoritairement féminins, comme la magistrature et la profession d'instituteur.
Mme Annick Bocandé a interrogé Mme Huguette Delavault sur l'apport du législateur à la souhaitable féminisation des jurys. Elle a souhaité recueillir également son avis sur les causes de la faible présence de professeurs d'université de sexe féminin dans les disciplines scientifiques, notamment en pharmacie et biologie, et sur les inégalités de rémunération entre hommes et femmes.
M. Patrice Gélard s'est inscrit en faux contre les thèses développées par Mme Huguette Delavault qui relèvent, selon lui, d'une époque révolue. Il a cité l'exemple du concours sanctionnant la première année des études de médecine, dont la réussite est plus marquée chez les filles que chez les garçons.
Abordant le cas spécifique des professeurs d'université, M. Patrice Gélard a estimé qu'une des raisons majeures, et passagère, de la faible féminisation de ce corps est sa moyenne d'âge élevée. Il a rappelé son expérience de membre du CNU, qui le conduisait à affirmer avec force que la communauté universitaire n'était pas sexiste, et que les femmes réussissaient au moins aussi bien que les hommes en matière de recherche. Un des freins à la promotion des femmes réside cependant dans leur moindre acceptation de la mobilité géographique.
Il s'est élevé contre l'idée d'un " profil masculin " que privilégierait les concours, et a estimé que les propositions de Mme Huguette Delavault en matière de parité, et non de mixité, des jurys des ENS conduiraient, si elles étaient suivies, au rétablissement de concours spécifiques à chaque sexe.
En réponse, Mme Huguette Delavault a précisé que :
- le fonctionnement actuel des jurys d'université constitue un frein considérable à la présence des femmes. Elle a ainsi cité l'exemple d'un jury de sciences physiques qui avait choisi de siéger sept jours sur sept ;
- les promotions dans l'enseignement supérieur sont fondées sur les travaux de recherche, à l'exclusion de ceux d'enseignement et de gestion ;
- les inégalités de salaire entre hommes et femmes sont marquées dans le secteur industriel, à l'exception d'un petit nombre de femmes qui se sont distinguées par la qualité de leur réussite universitaire.
Puis la délégation a reçu Mme Marie-France Boutroue, représentante titulaire de la Confédération générale du travail (CGT) au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle.
Dans un propos liminaire, Mme Marie-France Boutroue a rappelé que la loi " Roudy " de 1983 avait instauré des bilans d'égalité professionnelle qui, après une longue éclipse, avaient été récemment " redynamisés ". Elle a précisé qu'une centaine d'entreprises avaient été rappelées à leur obligation d'établir de tels bilans, ce qu'avait fait une soixantaine d'entre elles ; elle a estimé souhaitable de réaffirmer cette obligation légale, les bilans d'égalité professionnelle fournissant ainsi la base d'une négociation annuelle obligatoire.
Mme Marie-France Boutroue a rappelé que la priorité, selon la CGT, était d'utiliser les moyens légaux et réglementaires déjà existants, comme ces bilans, plutôt que de créer de nouveaux instruments. Evoquant les bilans récemment obtenus, elle en a précisé les limites, tenant au fait que les employeurs ne disposent pas toujours de chiffres récents pour les rédiger, et a rappelé que leur exploitation statistique se heurte au caractère hétérogène des données fournies par les chefs d'entreprise, car laissées à leur seule appréciation. La priorité en la matière, a estimé Mme Marie-France Boutroue , est donc d'instaurer l'obligation de bilans précis et concrets.
Puis Mme Marie-France Boutroue a retracé l'évolution de la place des femmes au sein du bureau confédéral de la CGT : de 27 % de l'effectif, elles sont passées, en six ans, à une quasi-égalité, cette instance comptant 43 femmes et 47 hommes. Cette situation, satisfaisante, est renforcée par le bon nombre de candidatures féminines enregistrées lors du dernier renouvellement : 83 femmes se sont alors présentées, sur 180 candidats ; la preuve est ainsi faite que la féminisation du bureau confédéral est fondée sur un mouvement durable, et ne constitue donc pas un pur effet de mode. Mme Marie-France Boutroue en a conclu que l'imposition de la parité entre hommes et femmes par des voies autoritaires n'était pas souhaitable, car cette démarche aboutirait à des résultats biaisés.
Puis une discussion s'est ouverte au terme de cet exposé.
M. Gérard Cornu, rapporteur, a constaté que les propos de Mme Marie-France Boutroue démontraient que l'instauration de la parité à marche forcée n'était pas souhaitable, mais a plaidé pour l'instauration progressive d'une égalité au sein des structures de représentation des salariés. Il a rappelé l'exemple allemand, qui prévoit le recours à la représentation proportionnelle par sexe, notamment au sein des comités d'entreprise. Il a souhaité savoir si Mme Marie-France Boutroue estimait que la réalisation des bilans d'égalité professionnelle avait été entravée par le caractère majoritairement masculin des syndicats.
En réponse, Mme Marie-France Boutroue a rappelé que le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle préconisait une parité généralisée dans toutes les instances représentatives du personnel, ce qui lui semblait peu réaliste.
S'agissant de la parité au sein des comités d'entreprise, Mme Marie-France Boutroue a rappelé la difficulté de l'imposer, notamment parce que les candidatures au deuxième tour des délégués du personnel à ces comités pouvaient émaner d'organisations non représentatives au plan national, auxquelles aucune contrainte légale ne pouvait être imposée.
Rappelant que la CGT rassemblait 700 000 salariés, Mme Marie-France Boutroue a évoqué une récente enquête statistique menée sur 230 000 d'entre eux, dont 30 % de femmes ; ses résultats démontrent qu'il existe, chez de nombreux salariés syndiqués, une réticence à se présenter aux élections dans l'entreprise, le syndicalisme y demeurant " mal vu ". Cette constatation, a-t-elle estimé, différencie le contexte des candidatures syndicales et politiques, et démontre l'extrême difficulté à appliquer un système paritaire propre aux élections syndicales.
Toujours en réponse à M. Gérard Cornu, Mme Marie-France Boutroue a confirmé que l'engagement syndical était plus difficile à réaliser pour les femmes que pour les hommes, ne serait-ce que parce que les femmes ont à assumer conjointement vie professionnelle et familiale. Selon elle, il conviendrait, à tout le moins, d'améliorer les capacités de garde des enfants pour égaliser les situations.
Mme Annick Bocandé a fait valoir que ce type de difficultés entravait également l'engagement des femmes en politique. Elle s'est également interrogée sur le caractère prématuré de la proposition de loi sur l'égalité professionnelle, qui précède la négociation prévue pour l'automne 2000 sur ce sujet entre syndicats et patronat.
En réponse, Mme Marie-France Boutroue a rappelé que des discussions s'étaient déjà ouvertes au sein des instances européennes sur ce problème, et que l'égalité professionnelle entre hommes et femmes constituait également un des éléments des négociations sur les 35 heures.
Elle a estimé que les bilans d'égalité professionnelle permettaient d'évoquer l'ensemble des questions intéressant les salariés, et pas seulement les femmes ; ils peuvent également permettre une dynamisation du dialogue social, grâce à leur démarche globale et transversale.
A M. Gérard Cornu , rapporteur , qui relevait que la proposition de loi pouvait être considérée comme prématurée au regard du calendrier de négociation des organisations professionnelles, Mme Marie-France Boutroue a rappelé que, si des discussions étaient bien prévues avec le patronat sur ce sujet pour le mois de septembre prochain, il était toujours bon d'anticiper.
A Mme Gisèle Printz , qui rappelait la revendication des syndicats belges en faveur de la possibilité pour les hommes de bénéficier, au même titre que les femmes, d'un congé parental, Mme Marie-France Boutroue a répondu que les conventions collectives françaises permettaient déjà cette possibilité. Mais l'on constate que sur 500 000 femmes ayant pris un congé parental, 120 000 d'entre elles ne reprennent pas leur travail à son terme, ce qui constitue un effet pervers de ce dispositif, qui ne doit pas non plus freiner la nécessaire extension des infrastructures de garde.
Mardi 4 avril 2000 - Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente .
La délégation a procédé à l'audition de Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Mme Nicole Péry a souhaité indiquer pourquoi le Gouvernement apportait son soutien à la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars dernier, et comment cette proposition se situait dans les travaux généraux menés par le Gouvernement en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.
Elle a déclaré que lorsqu'elle avait reçu les droits des femmes dans ses compétences, en décembre 1998, elle avait procédé à un examen complet des dossiers à suivre et l'égalité professionnelle lui était incontestablement apparue comme un dossier prioritaire. Elle a observé que les difficultés qui existaient en ce domaine il y a une quinzaine d'années subsistaient toujours et rendaient nécessaire une nouvelle action en faveur de l'égalité professionnelle. Elle a rappelé qu'aujourd'hui 80 % des femmes âgées de 25 à 50 ans exerçaient une activité professionnelle.
Abordant les principales inégalités professionnelles, elle a tout d'abord insisté sur le très faible accès des femmes aux postes de décision alors même que les jeunes filles ont désormais un niveau de formation initiale au moins égal à celui des jeunes hommes. Elle a ainsi indiqué que seuls 7 % des cadres dirigeants des 5.000 premières entreprises françaises étaient des femmes, cette faible représentation se vérifiant également au sein des postes de direction de la fonction publique.
Elle a ensuite indiqué qu'elle avait demandé une expertise sur les salaires. Les écarts entre hommes et femmes sont, dans ce domaine, pratiquement restés identiques depuis quinze ans, le salaire moyen d'une femme étant inférieur de 27 % à celui d'un homme, la différence se réduisant à 15 % lorsque les conditions (poste, qualification, entreprise, région...) sont strictement identiques.
Récapitulant l'action de son département ministériel, elle a déclaré que sa première préoccupation avait été de reprendre le dialogue avec l'éducation nationale de manière à améliorer, par l'information, l'orientation scolaire des jeunes filles pour leur permettre de s'insérer dans de meilleures conditions dans le monde du travail. Elle a souligné les faiblesses actuelles de cette orientation, 60 % des emplois féminins se concentrant dans six groupes socioprofessionnels ne représentant que 30 % de l'emploi total. Elle a indiqué qu'une convention avait été signée avec le ministère de l'Education nationale pour analyser l'orientation des jeunes filles, sept filières ayant été retenues comme témoins, quatre d'entre elles représentant des filières d'avenir, comme l'informatique ou l'électronique, où les jeunes filles sont peu présentes et les trois autres étant des filières traditionnellement fortement féminisées et aux emplois peu qualifiés (comme le textile). Elle a précisé que le centre d'études et de recherche sur l'emploi et les qualifications (CEREQ) était chargé de suivre l'évolution des jeunes filles dans ces filières sur les trois années à venir.
Mme Nicole Péry a ensuite dit que son deuxième objectif était de renforcer la présence des femmes aux postes de responsabilité. Elle a indiqué l'existence, dans les ministères, de plans triennaux visant à nommer des femmes aux postes de direction. Elle a déclaré ne pas en mésestimer les difficultés, lesquelles tiennent notamment à l'étroitesse du vivier féminin de recrutement.
Elle a également indiqué qu'elle avait favorisé l'établissement d'un dialogue entre les partenaires sociaux en saisissant le conseil supérieur de l'égalité professionnelle de cette question. Celui-ci a créé des groupes de travail et il pourrait être en mesure de présenter d'ici la fin de l'année des propositions constructives pour renforcer la place des femmes dans les organismes professionnels et les organisations syndicales.
Evoquant un troisième axe de travail, Mme Nicole Péry a estimé que le bilan décevant de la loi " Roudy " de 1983 incitait à réfléchir à l'introduction de nouvelles contraintes législatives pour favoriser l'égalité professionnelle. Elle a considéré que ce bilan décevant s'expliquait principalement de deux manières : le sujet de l'égalité professionnelle n'était pas apparu prioritaire aux partenaires sociaux dans un contexte de chômage élevé, la loi ne prévoyait aucune obligation.
Elle a alors jugé que la proposition de loi récemment adoptée par l'Assemblée nationale permettrait d'accroître significativement l'efficacité de la loi de 1983 en introduisant quelques contraintes supplémentaires.
S'agissant du rapport annuel de situation comparée des hommes et des femmes dans l'entreprise, elle a rappelé que les décrets d'application, qui devaient préciser les indicateurs permettant d'apprécier les inégalités professionnelles, n'avaient jamais été publiés. Elle a estimé que la proposition de loi permettrait d'améliorer l'utilité de ce rapport en prévoyant une liste d'indicateurs pertinents et en instituant une obligation d'affichage de ces indicateurs dans l'entreprise, ces deux dispositions correspondant à des demandes du conseil supérieur de l'égalité professionnelle.
S'agissant de l'introduction d'une obligation de négocier sur l'objectif de l'égalité professionnelle, Mme Nicole Péry a souligné que le conseil supérieur avait proposé d'aller plus loin que la proposition de loi initiale en incluant, au-delà de l'obligation de négocier tous les trois ans dans l'entreprise, une obligation de négocier dans chaque branche. Elle a également précisé que le conseil supérieur s'était prononcé en faveur de l'introduction d'une sanction pénale lorsque la négociation n'était pas ouverte.
Elle a également indiqué avoir proposé l'allégement des contrats d'égalité professionnelle, car 34 seulement ont été conclus depuis 1983 en raison de la lourdeur du dispositif.
Enfin, rappelant qu'à l'heure actuelle la majorité des pays réfléchissaient à des dispositions législatives en matière d'égalité professionnelle et jugeant les mesures prévues par la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes à la fois réalistes et pragmatiques, Mme Nicole Péry a cependant souligné que ce texte ne pourrait être véritablement efficace que si les partenaires sociaux se saisissaient eux-mêmes du sujet. Puis elle a estimé que, si l'amélioration de la place des femmes dans la vie professionnelle nécessitait de multiples actions, la difficulté principale restait la gestion du temps et elle a invité tous les acteurs publics et privés à intervenir au niveau de leurs responsabilités.
M. Gérard Cornu, rapporteur, après avoir déclaré partager le constat qui venait d'être fait des inégalités persistantes entre les hommes et les femmes en matière professionnelle et souligné le bilan décevant de la loi de 1983, s'est interrogé sur la méthode retenue, estimant qu'il était préférable de laisser les partenaires sociaux négocier avant de légiférer. Il a fait également part de son interrogation quant à l'opportunité d'introduire une sanction pénale en cas de non-respect de l'obligation de négocier, considérant qu'une telle sanction était sans doute excessive. Il s'est enfin déclaré en faveur d'une meilleure représentation des femmes au comité d'entreprise, d'une amélioration de l'effort d'orientation des jeunes filles et de l'introduction d'une plus grande proportionnalité entre les sexes s'agissant de la composition des jurys de concours de la fonction publique.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, a rappelé que le thème de l'égalité professionnelle faisait l'objet de discussions dans le cadre de la " refondation sociale " initiée par le mouvement des entreprises de France (MEDEF). Elle a considéré que le choix de ce thème par les partenaires sociaux s'expliquait sans doute par l'action du conseil supérieur de l'égalité professionnelle qui avait permis de sensibiliser les partenaires sociaux.
S'agissant de la sanction pénale, elle a précisé qu'elle répondait à une demande des organisations syndicales.
Mme Nicole Péry a ensuite indiqué que les enquêtes montraient que les femmes de 25-40 ans ne demandaient pas de nouveaux droits pour mener parallèlement leur vie familiale et leur vie professionnelle mais seulement l'application effective des droits existants et une aide matérielle. A cet égard, elle a insisté sur l'expérience " temps de vie, temps de ville " tentée en Italie et quelques villes en France et qui vise, sur la base du dialogue social (pour établir les horaires des services, des commerces, des transports, etc...), à favoriser une meilleure conciliation des " vies multiples ".
Revenant sur l'orientation des jeunes femmes, elle a constaté que la pénibilité du travail ne pouvait plus expliquer, sauf exception, la sous-représentation des femmes dans certains secteurs. Elle a alors estimé que les difficultés étaient désormais principalement d'ordre culturel et qu'il fallait en conséquence permettre aux mentalités d'évoluer. A ce propos, elle a rappelé qu'elle menait une action avec l'éducation nationale pour en finir avec les stéréotypes sexuels dans les manuels scolaires.
S'agissant des jurys de concours, elle a jugé que la faible place des filles dans les grandes écoles tenait en partie à la faible féminisation des jurys. Elle a indiqué qu'elle avait publié une circulaire visant à féminiser les jurys, mais que celle-ci avait été annulée par le Conseil d'État, ce qui justifiait l'introduction des mesures législatives incluses dans la proposition de loi.
Mme Annick Bocandé s'est interrogée sur les mesures annoncées le 8 mars dernier par le comité interministériel des droits des femmes et de l'égalité. Elle s'est également demandé si l'intervention législative en matière d'égalité professionnelle n'était pas trop précoce, les partenaires sociaux étant en négociation sur le sujet.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, a rappelé que la plate-forme gouvernementale présentée le 8 mars était le résultat d'un travail d'un an, le Gouvernement ayant choisi de faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes par une approche globale abordant tous les domaines de la vie politique, économique et sociale.
Elle a précisé que cette plate-forme se fondait principalement sur des actions en partenariat entre les différents ministères, autour de huit axes différents, citant notamment le soutien à la création culturelle, la place des femmes dans le sport et l'accès à la formation professionnelle. Elle a souligné à ce propos qu'une femme de 35 ans avait aujourd'hui deux fois moins de chance qu'un homme d'accéder à la formation tout au long de sa vie.
S'agissant du calendrier, elle a indiqué que le Gouvernement faisait des propositions parallèlement aux discussions engagées par les partenaires sociaux dans le cadre de la refondation sociale. Elle a précisé que, si le futur projet de loi de modernisation sociale n'abordait pas directement la question de l'égalité professionnelle, il prévoyait certaines mesures en faveur de celle-ci, qu'il s'agisse du dispositif de lutte contre les discriminations ou des nouvelles possibilités de validation des acquis professionnels.
Mme Janine Bardou a insisté sur la nécessité de sensibiliser les familles à l'orientation professionnelle des jeunes filles et de mieux prendre en compte la situation des femmes en milieu rural.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, s'est alors déclarée ouverte à une contractualisation avec les collectivités rurales, notamment les conseils généraux, reconnaissant que les expériences actuelles de contractualisation ne concernaient pour l'instant que les villes.
M. Alex Türk est revenu sur la proposition de loi, s'interrogeant sur l'opportunité d'introduire des sanctions pénales et sur son application aux petites entreprises. Il s'est également interrogé sur les moyens utilisés pour aboutir à l'objectif d'égalité des chances, précisant qu'il était préférable de retenir une obligation de moyens et non une obligation de résultat. A cet égard, il s'est interrogé sur l'utilité de campagnes d'information visant à favoriser l'orientation des jeunes filles vers des filières où elles sont sous-représentées.
Rappelant que 80 % des ouvriers et des employés sont des femmes, Mme Nicole Péry a estimé que cette sous-qualification manifeste résultait en grande partie d'une mauvaise orientation des jeunes filles. Elle a alors jugé nécessaire de mener une action volontariste en matière d'orientation afin de prendre en compte les réalités économiques, considérant qu'il n'était pas possible de laisser les jeunes filles s'orienter vers des secteurs aux faibles débouchés. Elle s'est par ailleurs déclarée en faveur d'une certaine mixité professionnelle, estimant par exemple qu'il n'était pas forcément souhaitable pour l'épanouissement de l'enfant que 80 % des enseignants soient des femmes.
Mme Dynah Derycke, présidente, a précisé que le marché du travail n'était pas en mesure d'accueillir toutes les femmes qui ont suivi certaines orientations, notamment des études littéraires. Regrettant cette inadéquation entre la formation initiale des jeunes femmes et les besoins du marché du travail, elle a estimé qu'elle débouchait sur une sous-qualification préjudiciable des femmes, celles-ci étant contraintes à des " reconversions " vers des postes moins qualifiés. Elle a conclu à l'importance de l'information en matière d'orientation.
Mme Janine Bardou a, à son tour, déploré la trop faible présence des femmes dans les secteurs techniques créant beaucoup d'emplois, et appelé de ses voeux une meilleure action d'orientation.
Mme Dinah Derycke, présidente, a rappelé qu'il y a une vingtaine d'années, on avait pu penser que l'informatique était un secteur qui allait s'ouvrir très fortement aux femmes, n'exigeant pas des travaux pénibles. Elle a constaté qu'il n'en avait rien été et s'est alors interrogée sur la faible attractivité de ce secteur pour les jeunes femmes.
Déclarant partager l'analyse de M. Alex Türk, M. Jean-Guy Branger a estimé que la féminité devait pouvoir s'exprimer dans la vie professionnelle. Puis s'interrogeant sur la place de la femme en milieu rural, il a jugé que les contrats de plans État-régions ou les contrats de territorialité devaient mieux prendre en compte la place de la femme dans la ruralité.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, précisant que le taux de chômage des femmes était de 12,5 % contre 9 % pour les hommes, a déclaré que cette inégalité face à l'emploi justifiait une politique volontariste permettant d'assurer la qualification des femmes pour les nouveaux métiers. Elle a rappelé qu'elle avait signé une convention avec l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) visant à doubler la proportion de filles dans les filières d'avenir et que les programmes nationaux d'action pour l'emploi (PNAE) pour 1999 et pour 2000 fixaient comme objectif de réserver 35 % des contrats d'apprentissage à des jeunes filles.
S'agissant de la place de la femme dans la ruralité, elle a estimé qu'il y avait effectivement matière à contractualiser, en particulier dans le cadre des contrats de plan État-région avec les Pays.
M. Gérard Cornu a constaté que la progression du nombre de familles monoparentales tendait bien souvent à maintenir l'enfant dans un univers exclusivement féminin. Il a jugé nécessaire d'étudier les conséquences d'un tel phénomène.
Mercredi 26 avril 2000 - Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente .
Mme Dinah Derycke , présidente , a tout d'abord indiqué que la commission des lois avait décidé, le mardi 25 avril 2000, de saisir la délégation de la proposition de loi n° 266 (1998-1999) de M. Nicolas About visant à remplacer la procédure de divorce pour faute par une procédure de divorce pour cause objective .
Puis à la suite des récents échanges de vues de la délégation sur le contenu de ses travaux, il a été décidé de retenir , à l'initiative de Mme Dinah Derycke, présidente , la prostitution comme premier sujet annuel d'étude .
La délégation a ensuite procédé à l'audition de Mme Marie-Lou Robert, chargée de mission à la Délégation des femmes de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) , sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, de Mme Catherine Génisson et plusieurs de ses collègues, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
En introduction, Mme Marie-Lou Robert a considéré que la loi Roudy de 1983 était une bonne loi qui avait cependant souffert, quant à sa mise en oeuvre, d'un intérêt insuffisant de la part des organisations syndicales. Elle a ainsi estimé que si les inégalités entre les femmes et les hommes n'avaient pas substantiellement reculé dans les entreprises depuis près de vingt ans, la faute en incombait en partie aux militants syndicaux qui ne s'étaient jamais réellement saisis du problème. Puis elle a jugé intéressantes et utiles les améliorations apportées par la proposition de loi Génisson à la loi Roudy.
Elle s'est ainsi félicitée de l'obligation de négocier chaque année, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, sur le rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes en regrettant cependant qu'elle ne pèse pas sur les chefs des entreprises de moins de cinquante salariés, où les femmes sont pourtant majoritaires. De même s'est-elle déclarée très favorable à l'obligation de négocier au niveau de la branche, en estimant qu'il s'agissait d'un bon échelon pour procéder à d'utiles comparaisons des situations respectives des hommes et des femmes, plus pertinent que celui des entreprises, assez peu mixtes et où le travail d'analyse comparative est parfois délicat. Elle a enfin approuvé la démarche intégrée instituée par la proposition de loi qui, en imposant de prendre en compte la problématique de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans toutes les négociations transversales, devrait à la fois permettre de faire régresser les inégalités actuelles et empêcher l'établissement de nouvelles inégalités dans les métiers qui se créent actuellement dans les domaines des nouvelles technologies de l'information et de la communication ou de l'aide aux personnes.
Abordant ensuite le volet de la proposition de loi consacré à la fonction publique, Mme Marie-Lou Robert a rappelé qu'en dépit du principe d'égalité figurant dans le statut général des fonctionnaires et des dispositions statutaires relatives aux cadres et aux emplois, les différences de salaires entre les femmes et les hommes, à grades et échelons identiques, pouvaient encore atteindre 16 % par le jeu combiné des primes, des filières, des emplois, etc. Elle a approuvé la mise en oeuvre législative des propositions du rapport de Mme Anne-Marie Colmou relatives à la mixité des jurys, à la représentation équilibrée des hommes et des femmes parmi les délégués de l'administration siégeant dans les organismes paritaires de négociation et de concertation, ou encore au problème du harcèlement sexuel. Elle a toutefois regretté qu'il ne soit pas envisagé d'imposer par la loi les plans d'objectifs de promotion des femmes sur trois ou cinq ans, en estimant que les circulaires ou décrets dont ils font l'objet seraient insuffisants. En conclusion de son propos, Mme Marie-Lou Robert a indiqué qu'à l'occasion de son prochain congrès, la CFDT déciderait d'assurer une juste représentativité des femmes dans toutes les délégations qu'elle était amenée à constituer pour siéger dans des organismes paritaires, à tous les niveaux.
Un débat s'est ensuite instauré.
Gérard Cornu , rapporteur , a demandé à Mme Marie-Lou Robert d'une part si l'intervention préalable du législateur n'était pas de nature à gêner la négociation des partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle dans le cadre de la refondation sociale, et, d'autre part, s'il lui semblait que le principe de la représentation proportionnelle des femmes dans les comités d'entreprise, tel qu'il est appliqué en Allemagne en vertu d'une loi de 1972, pourrait être applicable en France et rencontrerait l'accord des syndicats.
En réponse, Mme Marie-Lou Robert a considéré que l'adoption de dispositions législatives préalablement au dialogue social ne serait pas gênante, celui-ci devant permettre la bonne application de celles-là et d'aller au-delà de la loi. S'agissant de la représentation des femmes au comité d'entreprise en fonction de leur effectif dans l'entreprise, elle a indiqué que la CFDT y était favorable et redit que la confédération prendrait prochainement les dispositions nécessaires pour parvenir à cette " juste représentativité " au sein de ses délégations. Elle a ensuite souligné qu'une loi luxembourgeoise imposait la désignation, dans les entreprises, d'un délégué à l'égalité entre les femmes et les hommes, avec des heures de délégation pour exercer son mandat, en précisant que la CFDT proposerait au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle son adaptation en France. Poursuivant les comparaisons internationales, Mme Marie-Lou Robert a estimé que, par sa globalité, la loi Roudy était une des meilleures lois en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi, par sa complexité, une des plus mal appliquées. C'est pourquoi, a-t-elle déclaré, la mise en oeuvre des dispositions de la proposition de loi Génisson qui viendront la préciser demande que les représentants du personnel reçoivent une formation spécifique. Elle a indiqué que la CFDT souhaitait que l'État aide les entreprises à financer une telle formation et à rémunérer des heures de délégation spécifiques.
S'agissant de la juste représentation des femmes au sein des délégations syndicales dans les organismes paritaires, Mme Dinah Derycke , présidente , a demandé s'il fallait en inscrire le principe dans la loi ou en laisser la responsabilité à chaque organisation syndicale. Si Mme Marie-Lou Robert s'est déclarée favorable à une obligation législative -à titre personnel, notamment pour la fonction publique, et au nom de la CFDT- elle a toutefois reconnu qu'elle serait probablement mal perçue par d'autres organisations syndicales et estimé qu'il était en conséquence " trop tôt " pour la faire figurer dans la proposition de loi de Mme Génisson. Elle a ajouté que le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle apparaissait comme une enceinte appropriée pour débattre de cette question, laquelle pourrait être aussi abordée au cours du processus de rénovation du dialogue social.
Après avoir estimé que Mme Marie-Lou Robert venait d'apporter la preuve sur ce point particulier que la proposition de loi de Mme Génisson intervenait trop tôt, Mme Annick Bocandé l'a interrogée sur les raisons qui pouvaient expliquer que ni les organisations syndicales, ni le patronat ne se soient saisis de la loi Roudy. Mme Marie-Lou Robert a fait valoir en réponse que la composition majoritairement masculine des équipes syndicales n'avait pas joué en faveur de la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes dans l'entreprise, alors même que celle-ci permet aussi de faire évoluer d'autres dossiers, comme ceux des salaires ou de la formation.
Puis, Mme Annick Bocandé la questionnant sur les mesures à prendre pour favoriser une meilleure conciliation des vie professionnelle et familiale, Mme Marie-Lou Robert a estimé que la problématique relevait à la fois de la société, les pouvoirs publics et les entreprises devant répondre aux besoins des parents si l'on veut assurer le renouvellement des générations, et de la vie privée. Elle a souligné que, seul, le congé de maternité distinguait juridiquement les femmes des hommes, toutes les autres formules de congé ou d'organisation du travail étant indifférentes au sexe du salarié. Elle a estimé que la mixité des représentations syndicales était la seule formule permettant de faire émerger des solutions consensuelles en matière d'organisation du travail.
Après que Mme Gisèle Printz eut fait part de son expérience personnelle de femme engagée dans le mouvement syndical, Mme Marie-Lou Robert a indiqué que 43 % des adhérents de la CFDT étaient aujourd'hui des femmes, ce qui traduisait leur intérêt pour le militantisme syndical. En réponse à une question de Mme Annick Bocandé, elle a précisé que, grâce à des mesures volontaristes prises par la CFDT depuis 1982, environ 25 % des responsables syndicaux dans les branches professionnelles étaient des femmes, que le nombre des femmes avait quasiment doublé entre 1991 et 1997 au bureau régional interprofessionnel et que leur proportion au Conseil national confédéral était passée de 17 % à 28 % au cours de la même période. Si le pouvoir syndical est encore largement masculin, a-t-elle souligné, l'engagement croissant des femmes, qui s'impliquent davantage dans la résolution des difficultés concrètes, permet d'obtenir d'importantes avancées collectives, en particulier en matière de conditions de travail.
Mme Dinah Derycke , présidente , lui ayant demandé si la CFDT avait mené des études, à l'échelon de la branche, sur l'impact des salaires féminins sur le niveau général de l'ensemble des salaires afin d'activer la solidarité en faveur des femmes, Mme Marie-Lou Robert a déclaré qu'il était incontestable, bien qu'on ne dispose pas d'études précises, qu'une amélioration globale de la situation de tous les salariés résultait de la prise en compte de problèmes en apparence spécifiquement féminins.
M. Gérard Cornu , rapporteur , ayant abordé la question particulière du congé pour la garde d'un enfant malade, Mme Dinah Derycke , présidente , a relevé que si, juridiquement, ce congé était ouvert de manière identique aux femmes et aux hommes, des considérations relatives à la place différente des hommes et des femmes au sein de l'entreprise, à leurs tâches et responsabilités, et, par conséquent, niveaux de salaires respectifs s'ajoutaient aux obstacles culturels conduisant à ce qu'il soit presque exclusivement demandé par les mères de famille, tout comme d'ailleurs le congé parental d'éducation. Mme Marie-Lou Robert a ajouté qu'il en était de même pour le recours au travail à temps partiel, relativement négligé par les hommes pour des raisons qui tiennent à son impact sur le niveau de la retraite, la protection sociale et la carrière, précisant que 70 % des hommes qui en bénéficient utilisent le temps dégagé non pour se consacrer à la vie familiale, mais pour suivre une action de formation.
Mardi 9 mai 2000 - Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.
La délégation a procédé à l'audition de Mme Claudette Brunet-Lechenault, présidente de la Délégation des femmes du Conseil économique et social , accompagnée de Mme Lydia Brovelli, secrétaire confédérale, administrateur à la Confédération générale du travail (CGT ), présidente de la section du travail, et de Mme Marie-Odile Paulet, membre du groupe de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) , sur la proposition de loi n° 258 (99-00) relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
En introduction, Mme Claudette Brunet-Lechenault a présenté la délégation des femmes du Conseil économique et social : installée le 8 mars dernier, cette délégation compte 18 membres (15 femmes et 3 hommes) qui ne sont pas désignés, contrairement aux autres instances du Conseil, à la représentation proportionnelle des groupes, cinq groupes du Conseil ne comptant aucune femme. Si 19 % des membres du Conseil économique et social sont des femmes -pourcentage que Mme Claudette Brunet-Lechenault considère honorable si on le compare à ceux d'autres assemblées locales ou nationales -, une femme seulement siège à son bureau.
Au-delà de sa mission générale de veille et de suivi des travaux du Conseil économique et social, la délégation, a poursuivi Mme Claudette Brunet-Lechenault , mènera ses propres réflexions, qui pourront se matérialiser par des contributions ou des rapports d'information. Elle a ainsi choisi cette année d'établir un " Bilan de la mixité : éducation, orientation des filles ". Par ailleurs, la section du travail du Conseil a été chargée le 8 mars 2000, par le Premier ministre, de rendre un avis sur la présence et la place des femmes dans les instances économiques et sociales et dans le dialogue social, Mme Michèle Cotta ayant été nommée rapporteur.
Tout comme Mme Dinah Derycke , présidente , Mme Claudette Brunet-Lechenault s'est félicitée de la récente rencontre entre les présidentes des trois délégations (Assemblée nationale, Sénat, Conseil économique et social) et de leur souci de travailler en concertation.
Enfin, s'agissant de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson sur l'égalité professionnelle (Ppl n° 258), elle a estimé que la loi Roudy qu'elle vise à compléter était une bonne loi, qu'il suffirait de la faire appliquer et que, de son point de vue, " tout le reste était de la décoration ".
Mme Lydia Brovelli , présidente de la section du travail , a ensuite précisé que l'avis demandé par le Premier ministre concernait la place des femmes non seulement dans les institutions telles que le Conseil économique et social, les conseils économiques et sociaux régionaux, les organismes consulaires etc..., mais aussi dans les conseils d'administration ou de surveillance des organismes et entreprises publiques ou privées, et les syndicats. Elle a souligné qu'on manquait dans tous les cas de statistiques sexuées. Si le sujet de l'étude n'est donc pas celui de l'égalité professionnelle, elle a toutefois estimé que la question des " viviers " lui était étroitement liée.
Mme Lydia Brovelli a ensuite insisté sur les différentes discriminations auxquelles les femmes sont confrontées sur le marché du travail : discrimination à l'embauche, où leurs diplômes sont moins valorisés que ceux des hommes, concentration dans certains métiers et filières, inégalités salariales avec un salaire inférieur en moyenne de 27 % (12 à 13 % étant sans explication), exclusion des hauts postes d'encadrement en raison de leur moindre disponibilité due aux charges familiales, moindre accès à la formation professionnelle.
Puis elle s'est déclarée frappée par la teneur des premiers débats qui ont eu lieu au sein de la section du travail du Conseil économique et social : l'argumentation développée est souvent la même que celle utilisée lors de l'examen au Parlement du projet de loi relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, argumentation qui suggère de laisser le temps agir seul sur l'évolution des situations. Soulignant, pour le déplorer, que dans l'opinion on mettait aussi parfois en garde les femmes contre les craintes que pourraient susciter leurs revendications, Mme Lydia Brovelli a estimé au contraire que l'amélioration de la place des femmes dans le domaine économique et social et dans le dialogue social ne pourrait résulter que de mesures volontaristes.
Axant son propos sur l'égalité professionnelle, Mme Marie-Odile Paulet a tout d'abord souhaité compléter la liste des discriminations dont sont victimes les femmes par le travail à temps partiel imposé, qu'elles sont les premières à subir, et par l'inégal accès aux postes de responsabilité, une seule femme figurant parmi les 200 chefs des plus grandes entreprises françaises, et à peine 10 % des cadres supérieurs de la fonction publique exerçant des fonctions de direction étant des femmes.
Après avoir estimé que l'insuffisante prise en charge de la loi Roudy par les syndicats expliquait en partie sa mauvaise application (seuls 31 plans d'égalité professionnelle ont été réalisés), elle a considéré que le principal intérêt de la proposition de loi de Mme Génisson résidait dans l'obligation de négociation qu'elle instituait au niveau de l'entreprise comme à celui de la branche. Expliquant la faible représentation des femmes parmi les responsables syndicaux par le frein que constituent les charges familiales pour l'engagement syndical, elle a toutefois observé qu'on avait partout noté une participation très active des femmes dans les négociations sur la réduction du temps de travail menées au niveau des entreprises, sans doute en raison des conséquences concrètes pour la vie professionnelle et familiale.
Revenant sur la question des discriminations, Mme Marie-Odile Paulet a noté qu'aujourd'hui, on ne constatait plus de discriminations à l'embauche entre filles et garçons possédant les mêmes diplômes, mais que les discriminations subsistaient avant et après : avant, en matière de formation et de qualification (les filles, par exemple, ne représentant que 20 % des élèves des écoles d'ingénieurs alors qu'elles sont majoritaires dans les filières où les débouchés sont moins favorables), après, dans le déroulement de la carrière, le décalage entre hommes et femmes apparaissant dès que ces dernières ont des contraintes familiales à assumer.
Estimant que l'amélioration " naturelle " de la situation était très lente, Mme Marie-Odile Paulet a enfin considéré qu'une nouvelle loi était nécessaire en matière d'égalité professionnelle, en jugeant indispensable, cette fois-ci, que les syndicats s'en saisissent pour la " faire vivre ".
Un débat s'est ensuite instauré.
M. Gérard Cornu, rapporteur, a posé plusieurs questions. Il a ainsi demandé :
- si, du point de vue méthodologique, il n'aurait pas été plus efficace de légiférer après que les partenaires sociaux se seront exprimés sur l'égalité professionnelle dans le cadre de la " refondation sociale " ;
- si l'application d'une sanction pénale pour défaut de négociation annuelle n'était pas excessive ;
- si le principe de la représentation proportionnelle des femmes dans les comités d'entreprise, tel qu'il est appliqué en Allemagne en vertu d'une loi de 1972, ne devrait pas être envisagé en France ;
- si la féminisation des jurys de concours était réellement une solution aux problèmes posés par certains recrutements dans la fonction publique, le jugement porté sur une candidate par un jury en majorité masculin n'étant pas, de son point de vue, forcément pénalisant ;
- quelles réponses pouvaient être apportées aux problèmes d'ordre " culturel " face auxquels le législateur semble particulièrement démuni.
Après avoir suggéré que les membres des délégations de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique et social tiennent prochainement une réunion de dialogue, Mme Hélène Luc a souhaité savoir si la proposition de loi de Mme Génisson faisait double emploi avec la loi Roudy.
En réponse à cette dernière question, et après avoir volontiers souscrit à la proposition de rencontre des trois délégations, Mme Claudette Brunet-Lechenault a relevé que, si ses propos liminaires sur l'inutilité de la proposition de loi de Mme Génisson étaient en partie provocateurs, le problème essentiel était de se donner les moyens d'appliquer la loi, quelle qu'elle soit, et que c'est ce qui avait fait défaut à la loi Roudy. Elle a ajouté qu'il lui paraissait indispensable que l'État ne se contente pas d'imposer le dialogue entre les partenaires sociaux dans les entreprises et dans les branches, mais qu'il donne lui-même l'exemple en développant le dialogue social dans la fonction publique.
Après avoir fait observer que la " refondation sociale " devait aborder huit thèmes de négociation, quatre étant en cours de discussion et quatre autres devant être examinés à l'automne, Mme Marie-Odile Paulet a estimé que l'intérêt de la proposition de loi de Mme Génisson résidait dans le fait qu'elle précisait la loi Roudy, en particulier sur le point essentiel de la sanction en cas d'inobservation de l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle, sanction qui ne figurait pas dans la loi de 1983. Rappelant à cet égard, que lorsque les sanctions ne sont que financières, les chefs d'entreprise préfèrent payer plutôt que de se conformer à leurs obligations (comme dans le cas de l'emploi des travailleurs handicapés), elle a jugé nécessaire la sanction pénale prévue par la proposition de loi. S'agissant des jurys de concours, si elle a reconnu qu'il n'était pas nécessairement désavantageux pour une femme d'être jugée par des hommes, elle a fait observer que la mixité des jurys permettait de varier tant l'appréciation portée sur les qualités des différents candidats que les critères d'évaluation de leurs compétences, ce qui lui semblait constituer une première réponse aux problèmes d'ordre culturel soulevés par M. Gérard Cornu , rapporteur .
A M. Michel Dreyfus-Schmidt qui estimait que ces questions d'appréciation dépendent essentiellement des individus, indépendamment de leur sexe, et qui rappelait que le dernier major du concours de l'Ecole navale était une jeune femme, Mme Marie-Odile Paulet a répondu que c'était le contenu même de l'évaluation que permettait d'élargir une composition mixte des jurys.
Après avoir précisé qu'elle appartenait à une organisation syndicale qui ne privilégiait aucune des deux voies, législative ou contractuelle, pour promouvoir le progrès social, Mme Lydia Brovelli a estimé que le début des négociations menées dans le cadre de la refondation du dialogue social ne lui permettait guère d'espérer de grandes avancées en matière d'égalité professionnelle et, qu'à ce titre, l'examen préalable de la proposition de loi de Mme Génisson par le Parlement était bienvenu. Elle a ajouté qu'à son sens, l'application de la loi Roudy avait souffert de deux écueils. Le premier a été le renvoi de sa mise en oeuvre à la responsabilité des partenaires sociaux. Or, ni les chefs d'entreprise, ni les syndicats qui, malgré des efforts récents, demeurent des structures essentiellement masculines, ne se sont investis pour faire appliquer les dispositions de la loi Roudy. Le second est l'absence de sanctions. Mme Lydia Brovelli a cependant estimé qu'il fallait faire preuve d'imagination et qu'au côté des sanctions, il devait être possible d'instituer des incitations au profit tant des chefs d'entreprises que des syndicats : à ce titre, elle a évoqué l'idée d'accorder des bonifications de subventions aux organisations syndicales qui oeuvreraient en faveur d'une meilleure représentation des femmes dans leurs organes dirigeants ou dans leurs délégations aux structures paritaires. Elle a souligné que ce type d'incitations pourrait être d'autant plus efficace qu'on se heurtait, s'agissant de la parité syndicale, à des réticences identiques à celles qui ont été exprimées à propos de la parité en politique.
Mme Lydia Brovelli s'est par ailleurs déclarée favorable à la mixité des jurys de concours, relevant au passage que la féminisation excessive de certains métiers n'était pas plus satisfaisante que l'absence de femmes dans d'autres.
S'agissant enfin des aspects culturels, Mme Lydia Brovelli a estimé que la question fondamentale était celle des rapports des hommes et des femmes aux enfants. Elle a ainsi fait observer que, pour le déroulement de carrière, l'attache d'une famille constituait un facteur positif pour les hommes en apparaissant comme un gage de stabilité, tandis qu'au contraire, elle faisait figure de handicap pour les femmes compte tenu de la moindre disponibilité dont elle risquait de s'accompagner. A cet égard, elle a rappelé le caractère extrêmement pénalisant pour les femmes cadres des réunions tardives, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Faisant état d'un sondage relatif à l'utilisation du temps dégagé par la mise en oeuvre des 35 heures, elle a relevé que, de façon tendancielle, les femmes prenaient le mercredi pour s'occuper de leurs enfants tandis que les hommes libéraient le vendredi pour faire du sport. Elle a également évoqué la législation de certains pays nordiques, où le congé parental n'est accordé aux femmes qu'à la condition que leur conjoint en prenne une partie. Mme Lydia Brovelli a conclu ces observations en estimant que l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ne pourrait être atteinte tant que ne serait pas réglée cette question essentielle du partage équitable des tâches familiales.
A M. Serge Lepeltier qui évoquait l'éventuelle application de " quotas invisibles " par les jurys de concours d'entrée à certaines grandes écoles pour en limiter l'accès aux filles, dont la trop grande proportion risquerait de " peser " sur la réputation de l'école et sur le montant moyen des salaires de première embauche, Mme Claudette Brunet-Lechenault a indiqué qu'une telle rumeur ayant été portée à sa connaissance, elle avait demandé et attendait de plus amples informations. A ce sujet, Mme Dinah Derycke , présidente , a fait observer qu'au-delà de ces pratiques inavouées, car inavouables, il était ouvertement envisagé d'instaurer des quotas dès que les femmes commençaient à investir massivement des emplois (par exemple, dans la magistrature), mais que cette éventualité n'était jamais évoquée dans les professions monopolisées par les hommes.
Revenant sur le problème du partage des tâches familiales entre les femmes et les hommes, Mme Marie-Odile Paulet a signalé deux autres facteurs discriminants qui tendaient à fortement obérer les chances de promotion professionnelle des femmes : l'accès à la formation continue, auquel les femmes prétendent très peu compte tenu des obligations qui découlent d'une " triple " journée, et la mobilité professionnelle du couple, qui, lorsqu'elle s'accompagne d'une mobilité géographique, sacrifie presque systématiquement l'emploi de la femme au profit de celui de l'homme.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a considéré que si la réduction du temps de travail était certes susceptible d'améliorer la situation des femmes cadres en mettant fin à certaines mauvaises habitudes françaises d'organisation du travail, elle présentait aussi le risque de favoriser le maintien d'une répartition inégale des charges familiales entre les femmes et les hommes. Elle a par ailleurs fait observer que le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication était un domaine investi par les garçons et exprimé sa crainte qu'un avenir de mixité soit également obéré dans les nouveaux métiers qui leur sont liés. Renchérissant sur ce propos, Mme Marie-Odile Paulet a souligné que s'il apparaissait très difficile d'avancer rapidement en matière d'égalité professionnelle dans les anciens métiers, de grands espoirs avaient été placés dans les nouvelles professions où l'absence d'habitudes et de traditions semblait rendre aisée la mixité. Or, " la nouvelle économie " dément aujourd'hui cette vision optimiste avec, notamment, ses horaires " démentiels ". Mme Dinah Derycke , présidente , a considéré qu'il était indispensable d'attirer l'attention des décideurs économiques et des pouvoirs publics sur cette question essentielle.
Après avoir estimé qu'il fallait en effet prendre dès à présent ce problème à bras le corps, M. Gérard Cornu , rapporteur , est revenu sur les aspects " culturels " de la problématique, en observant qu'il était actuellement presque impossible à un homme de démissionner pour suivre sa femme dans une mobilité, tant était hypothétique pour lui, en raison de préjugés contestables sur sa stabilité et son capital de confiance, de retrouver un emploi sur son nouveau lieu de résidence. Il a souligné que l'évolution du regard des parents sur le caractère prétendument masculin ou féminin de certains métiers relevait aussi d'une entreprise culturelle qui dépasse la compétence du législateur, tout comme la nécessité de modifier les rapports des hommes et des femmes à l'enfant.
Après que Mme Marie-Odile Paulet eut estimé qu'en matière d'obstacles à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les facteurs étaient cumulatifs, et qu'aux considérations culturelles s'ajoutaient des raisons économiques et matérielles, Mme Dinah Derycke , présidente , a considéré qu'il était nécessaire d'être volontariste sur les questions d'éducation ou d'organisation de la famille et d'intervenir, notamment par la loi. Une telle méthode, a-t-elle précisé, a d'ailleurs pour effet de bousculer les réticences d'ordre culturel ; ainsi, par exemple, le développement des structures d'accueil à la petite enfance, beaucoup plus avancé en France - même s'il est encore imparfait - qu'en Allemagne, permet des comparaisons avantageuses pour notre pays en matière de taux d'activité des mères de famille.
Abondant en ce sens, Mme Marie-Odile Paulet a souligné l'importance que revêtait la relecture des manuels scolaires pour qu'ils cessent de privilégier une vision conformiste de la société, avant de préconiser une amélioration des aides matérielles apportées aux mères de famille qui poursuivent leur activité professionnelle.
M. Gérard Cornu , rapporteur , ayant fait remarqué que, dans les jeunes couples tout du moins, les hommes participaient davantage que par le passé aux tâches ménagères, Mme Dinah Derycke , présidente , a indiqué que des enquêtes de l'INSEE montraient que si un rééquilibrage avait effectivement eu lieu, la tendance était aujourd'hui au ralentissement, voire à la stagnation, et que, surtout, à mesure que s'élargissait la cellule familiale à partir du deuxième enfant, la participation des pères allait en s'atténuant.
Mme Lydia Brovelli a relevé que lorsque le passage aux 35 heures s'accompagne de modifications de l'organisation du travail dans l'entreprise, on pouvait assister à une évolution " culturelle " conduisant les cadres masculins à se consacrer davantage à leurs enfants, dès lors que leur carrière n'en était pas pénalisée. Elle a ainsi fait valoir que l'organisation du travail était une des clés pour parvenir à l'égalité professionnelle, et que les problèmes d'ordre culturel étaient souvent avancés comme un alibi pour refuser d'imaginer des solutions novatrices.
Pour conclure, Mme Marie-Odile Paulet a considéré que si, grâce à la réduction du temps de travail, on pouvait parvenir à modifier le regard qui était porté sur la disponibilité des cadres vis-à-vis de l'entreprise, à supprimer ce qu'elle a appelé " le syndrome de la lampe allumée " chez les cadres masculins français, et à parvenir ainsi à plus d'égalité entre hommes et femmes sur cette question de la disponibilité, l'égalité professionnelle y gagnerait beaucoup.
A l'issue de cette audition et à l'initiative de Mme Dinah Derycke, présidente, la délégation a décidé de demander à être associée à la délégation gouvernementale qui doit représenter la France à la session extraordinaire que l'Assemblée générale des Nations-unies doit tenir à New-York au début du mois de juin 2000 sur le bilan du programme d'action de la quatrième conférence mondiale de Pékin sur les femmes (" Pékin plus cinq ").
FAVORISER L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a été saisie par la commission des affaires sociales, pour donner un avis sur la proposition de loi n° 258 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Conformément à la saisine de la commission des affaires sociales, la délégation a examiné le dispositif législatif soumis au Sénat au regard de ses conséquences sur les droits des femmes et sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. |
* 1 Loi n° 83-635 portant modification du Code du travail et du Code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
* 2 Entre la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, le ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, la ministre déléguée chargée de l'Enseignement scolaire et la secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle.
* 3 B. Majnoni d'Intignano - " Le sexe médiateur ".
* 4 M. Maruani et C. Nicole - " Au labeur des dames, métiers masculins, emplois féminins ".
* 5 Voir notamment l'enquête parue dans le journal " Elle " en novembre 1999.
* 6 B. Majnoni d'Intignano - " Le sexe médiateur ".
* 7 Chiffres cités, lors de leur audition, par les représentants de l'Union professionnelle artisanale (UPA).
* 8 Conjoints salariés d'une entreprise individuelle ou d'une société soumise à l'impôt sur le revenu.
* 9 La directive européenne de 1976 sur l'égalité entre les hommes et les femmes autorise le travail de nuit des femmes. La législation française, pour l'heure, l'interdit sous réserve de dérogations (article L. 213-1 du Code du travail). La Commission de Bruxelles a demandé en avril 1999 que la France soit condamnée sous astreinte pour maintien de cette législation.
* 10 Transposition d'une directive européenne du 15 janvier 1997.