N° 347

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès verbal de la séance du 17 mai 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à l' égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ,

Par M. Gérard CORNU,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Dinah Derycke, président ; Mmes Janine Bardou, Paulette Brisepierre, MM. Guy-Pierre Cabanel, Jean-Louis Lorrain, Mmes Danièle Pourtaud, Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Lucien Neuwirth, secrétaires ; Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Bernadaux, Mme  Annick Bocandé, MM. André Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Xavier Darcos, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Alain Gournac, Mme Anne Heinis, MM. Alain Joyandet, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Jacques Machet, Philippe Nachbar, Mme Nelly Olin, M. Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Philippe Richert, Alex Türk.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2132 , 2220 , 2225 et T.A. 469

Sénat : 258 (1999-2000)

Femmes .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lors de sa séance du 15 mars 2000, la Commission des Affaires sociales du Sénat a décidé de saisir votre Délégation de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson et plusieurs de ses collègues relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars.

En guise d'introduction, votre Délégation voudrait livrer quelques considérations sur le travail des femmes afin de situer le débat sur l'égalité professionnelle.

Les femmes entre 25 et 50 ans ont, en France, un taux d'activité de 80 %. Leur entrée massive sur le marché du travail doit être regardée comme un phénomène social majeur du dernier quart du vingtième siècle. Elles ont acquis, sur ce marché, non seulement une place réelle mais aussi une crédibilité. Selon l'enquête emploi de mars 1998, leur présence dans les catégories cadres et professions intellectuelles supérieures (34,2 % en 1996) a fortement progressé en une décennie (27 % en 1986).

Loin d'avoir les effets négatifs sur le marché de l'emploi, qu'un raisonnement rapide et sans doute un peu sommaire lui attribuait traditionnellement, le travail des femmes apparaît aujourd'hui comme un stimulant économique : il a des conséquences positives sur la demande globale (ayant plus de revenu disponible, les femmes consomment davantage) et entraîne la création d'emplois induits dans les services de proximité (notamment pour la garde des enfants assurée, en moyenne, par un emploi à temps plein pour 2,5 enfants) ou de loisirs.

Les études d'impact sur le taux de fécondité ont elles-mêmes été affinées : la France figure parmi les pays qui enregistrent à la fois un fort taux d'activité des femmes et une stabilité, voire une remontée, du taux de fécondité. Elle est même peut-être celui où l'activité professionnelle des femmes qui ont deux ou trois enfants est la plus importante. Elle est aussi, ce qui n'est pas sans lien, en tête des pays européens pour la scolarisation des enfants dès l'âge de trois ans.

L'image de la femme qui travaille est donc aujourd'hui dominante et l'activité professionnelle pour la plupart des jeunes filles évidente.

En travaillant, les femmes recherchent l'autonomie, l'indépendance financière (revenus immédiats et constitution de droits personnels de retraite), la garantie contre deux risques nouveaux, le chômage et la séparation du couple (laquelle intervient dans un tiers des cas, et même la moitié dans les grands centres urbains comme Paris), leur valorisation auprès de leur famille et de la société.

Comme le montre ces différentes données et comme l'a reconnu devant votre Délégation Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle, notre pays, s'il était en retard par rapport à d'autres sur la parité politique, l'est beaucoup moins sur l'égalité professionnelle. Il se situe dans la moyenne des pays de développement économique comparable. Tous les pays européens travaillent par ailleurs aujourd'hui sur le sujet.

Pour autant, on ne peut d'évidence se satisfaire de la situation actuelle. Les femmes sont globalement concentrées dans les emplois peu qualifiés et mal payés, elles sont plus exposées que les hommes à la précarité du travail en général et au chômage en particulier. Elles sont très minoritaires à la tête des entreprises, dans la haute fonction publique et dans les responsabilités syndicales, surtout au niveau de l'entreprise. C'est sur elles que continue à reposer l'essentiel des tâches domestiques et familiales, les " nouveaux pères " ou " nouveaux hommes " se rencontrant, en dépit d'évolutions sensibles, plus souvent sur la couverture des magazines qu'à la maison ...

Même si la femme doit rester, dans la majorité des cas, la cheville ouvrière de l'organisation familiale, la poursuite de l'objectif de l'égalité professionnelle peut permettre de répondre à ses aspirations sociales, à ses attentes, qui se déclinent en un certain nombre de choix ou de possibilités : choix de travailler, choix du métier, choix des conditions dans lesquelles il s'exerce, possibilité d'accéder aux postes de responsabilité et de décision, à tous les niveaux, dans l'entreprise, le mouvement syndical ou associatif, la vie politique.

*

* *

I. DE LA LOI ROUDY À LA PROPOSITION DE LOI GÉNISSON

1. Le bilan de la loi Roudy

Faisant suite à l'adoption de la directive européenne n° 76/207 du 7 février 1976 relative à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail, la loi du 13 juillet 1983 , dite " loi Roudy " 1 ( * ) , visait à faire passer en France le droit des femmes d'une " logique de protection " à une " logique d'égalité ".

Elle a introduit un principe général de non discrimination entre les sexes à tous les stades et dans tous les domaines des relations de travail -recrutement, rémunération, promotion, formation- avec une exception pour les emplois où le sexe apparaît déterminant (mannequins, artistes, etc...).

Elle a autorisé les mesures temporaires d'embauche, de formation, de promotion, de rémunération ou de conditions de travail en faveur des femmes pour remédier aux inégalités de fait.

Afin de conforter l'objectif d'égalité de rémunération entre hommes et femmes, elle a étendu le principe " à travail égal, salaire égal " aux emplois de " valeur égale ".

Elle a permis aux organisations syndicales de se constituer partie civile sur le terrain de l'égalité professionnelle et renforcé le contrôle de l'inspection du travail.

Elle a créé le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, chargé de participer à la définition, à la mise en oeuvre et à l'application de la politique menée en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Elle a doté la promotion de l'égalité professionnelle dans l'entreprise de trois instruments :

- l'élaboration par l'employeur (dans les entreprises d'au moins cinquante salariés) d'un rapport annuel sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise, ce rapport -qui porte tout à la fois sur l'embauche, la formation, la promotion professionnelle, les qualifications, les classifications et les conditions de travail et de rémunération- devant être présenté au comité d'entreprise, ou à défaut aux délégués du personnel, et faire l'objet d'un débat,

- la signature d'un plan d'égalité professionnelle entre la direction et les syndicats présents dans l'entreprise visant, par des mesures temporaires de rattrapage, à remédier aux inégalités existant en matière d'embauche, de formation, de promotion ou de conditions de travail,

- une aide financière de l'État aux plans d'égalité professionnelle comportant, dans le cadre d'un contrat d'égalité professionnelle passé avec l'État, des actions exemplaires en faveur des femmes dans l'entreprise.

Le bilan de la loi Roudy est médiocre.

Au niveau interprofessionnel, un accord national sur l'égalité professionnelle (constat de situation, définition d'objectifs) a été signé par les partenaires sociaux le 23 novembre 1989, mais ses dispositions n'ont été reprises que dans un seul secteur, celui de la cimenterie.

Au niveau de la branche, les avancées ont été un peu plus nettes, l'égalité professionnelle apparaissant notamment dans les thèmes de négociation lors de la refonte des conventions collectives ou la conclusion de nouvelles conventions.

Au niveau de l'entreprise, en raison de leur lourdeur, seuls trente-quatre plans d'égalité professionnelle ont été négociés, vingt-deux ayant bénéficié de financements publics dans le cadre d'un contrat d'égalité professionnelle.

À peine la moitié des entreprises ont procédé à l'établissement du rapport sur la situation comparée des femmes et des hommes et, les décrets d'application qui devaient préciser les indicateurs à partir desquels ce rapport devait être établi n'étant pas intervenus, les bilans produits sont parfois peu lisibles ou donnent une image approximative de la réalité.

L'insuffisante application de la loi Roudy ne saurait être imputée aux seuls chefs d'entreprise. Les responsabilités en la matière sont largement partagées. Sur le terrain, en effet, les représentants des personnels ont rarement utilisé les moyens mis à leur disposition pour exiger l'établissement du rapport de situation comparée. Force est de constater que dans le contexte de chômage élevé des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, l'égalité professionnelle n'est pas apparue comme prioritaire aux partenaires sociaux.

2. La proposition de loi Génisson

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars dernier fait suite au rapport que Mme Catherine Génisson a remis au Premier ministre en juillet 1999 (" Femmes-hommes. Quelle égalité professionnelle ? La mixité professionnelle pour plus d'égalité entre femmes et hommes ").

Elle vise, dans un titre premier, à modifier le Code du travail pour renforcer la loi Roudy et, dans un second, à mieux assurer l'égalité professionnelle dans les trois fonctions publiques (fonction publique de l'État, fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière).

a) Les dispositions modifiant le Code du travail

Les articles premier et 2 de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson ont trait au rapport annuel de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise.

L'article premier tend à préciser les éléments d'appréciation sur lesquels doit s'appuyer ce rapport (" des indicateurs pertinents définis par décret ") et l'article 2 à renforcer l'information des salariés (les indicateurs devront être portés à leur connaissance, notamment par voie d'affichage).

L'Assemblée nationale a complété ce dispositif, d'une part, en prévoyant que le rapport de situation comparée pourrait éventuellement reposer aussi sur des indicateurs tenant compte de la situation particulière de l'entreprise et, d'autre part, en renforçant l'obligation d'affichage par l'employeur sur les lieux de travail.

Elle a par ailleurs souhaité que l'avis rendu par le comité d'entreprise sur le rapport de situation comparée soit motivé ( article 1 er bis nouveau ).

L' article 3 vise à créer une obligation spécifique de négocier sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (objectifs d'amélioration et mesures permettant de les atteindre) au niveau de l'entreprise. Cette obligation serait annuelle ; si un accord collectif a été conclu, la périodicité de la négociation serait portée à trois ans.

Il étend ainsi au problème de l'égalité professionnelle le régime de négociation en vigueur pour les salaires, la durée et l'organisation du temps de travail. Cette extension concerne aussi les sanctions pénales encourues en cas de manquement à l'obligation de négociation ( article 4 ).

L'Assemblée nationale a amendé l'article 3 principalement pour parfaire encore l'assimilation des régimes : à défaut de négociation sur l'égalité professionnelle à l'initiative de l'employeur dans les douze mois écoulés, celle-ci s'engage de droit, comme dans les autres domaines, à la demande d'une organisation syndicale représentative et dans les quinze jours de cette demande.

Dans un article 5 , la proposition de loi de Mme Catherine Génisson vise à compléter le Code du travail pour obliger à prendre en compte de façon intégrée l'égalité professionnelle dans l'ensemble des négociations annuelles obligatoires dans l'entreprise.

Les articles 6 et 7 de la proposition de loi (et 8 dans sa rédaction initiale) concernent l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle au niveau de la branche ou entre entreprises liées par un accord professionnel. Ils visent :

- à instaurer, pour cette obligation, une périodicité de trois ans,

- à lui donner pour base un rapport de situation comparée des hommes et des femmes et des indicateurs pertinents pour chaque secteur d'activité,

- à intégrer l'objectif d'égalité professionnelle dans l'ensemble des négociations obligatoires dans la branche (salaires, classifications, formation professionnelle), la démarche étant la même que celle envisagée à l'article 5 pour le niveau de l'entreprise.

Sur le fond, la seule modification apportée par l'Assemblée nationale tend à préciser que les indicateurs pertinents pour chaque secteur d'activité qui doivent servir de base, avec le rapport de situation comparée, à la négociation sur l'égalité professionnelle au niveau de la branche, devront reposer notamment sur des éléments chiffrés.

L' article 9 de la proposition de loi (article 8 dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale) a trait aux aides publiques en faveur de l'égalité professionnelle.

Il vise à étendre l'aide financière accordée par la loi Roudy aux entreprises qui s'engagent à des actions exemplaires dans le cadre d'un " contrat d'égalité professionnelle ".

Les plans d'égalité professionnelle ayant eu jusqu'à ce jour peu de succès en raison de leur lourdeur, la proposition de loi de Mme Catherine Génisson suggère d'en assouplir doublement le dispositif : les actions exemplaires réalisées par voie de simple accord collectif hors du cadre strict d'un plan d'égalité professionnelle seraient éligibles à l'aide publique ; tous les employeurs visés par l'article L.131-2 du Code du travail, et non les seuls entreprises et groupements d'entreprises, pourraient y prétendre (et notamment les associations).

b) Le volet public

Le titre II de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson fixe le cadre législatif permettant d'introduire une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans un certain nombre d'organes propres à l'administration. Il met ainsi en oeuvre plusieurs des propositions du rapport remis en février 1999 par Mme Anne-Marie Colmou au ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'État et de la Décentralisation (" L'encadrement supérieur de la fonction publique : vers l'égalité entre les hommes et les femmes ").

Dressant un état des lieux de la situation des femmes dans les trois fonctions publiques, ce rapport démontre que si leur proportion s'est accrue depuis plus de vingt ans pour atteindre aujourd'hui 57 %, deux déséquilibres essentiels demeurent entre les sexes en ce qui concerne les catégories d'emploi et les niveaux hiérarchiques. Il préconise :

- d'améliorer la connaissance statistique, statique et dynamique, de la place des femmes et de son évolution ;

- de promouvoir le recrutement de cadres supérieurs féminins de la fonction publique en agissant sur les filières scolaires, sur le mode de sélection des fonctionnaires et sur la composition des jurys ;

- d'organiser et de gérer de manière volontariste la vie administrative quotidienne de façon à l'ouvrir aux femmes et à la rendre plus adaptée à leurs contraintes spécifiques (plans d'objectifs de féminisation des corps ou des fonctions, constitution de viviers de candidatures féminines, féminisation des organismes paritaires, mise en place d'aides qualifiées pour favoriser l'organisation des tâches familiales, innovations diverses en matière de gestion du temps et des horaires de travail, renforcement de la gestion personnalisée et prévisionnelle des ressources humaines, décloisonnement du fonctionnement entre les ministères et amélioration de la prise de décision interministérielle).

Si certaines recommandations du rapport Colmou ne sont susceptibles d'être mises en oeuvre que dans la durée car elles impliquent des mutations profondes dans la manière même de fonctionner de notre administration (telles l'expérimentation du temps partiel dans les postes d'encadrement, la réduction de l'amplitude des horaires de travail dans la haute fonction publique, ou la rationalisation des processus de concertation et de décision grâce en particulier au recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication), d'autres pouvaient, en revanche, faire l'objet d'une traduction plus immédiate au travers de lois et de règlements.

Au niveau réglementaire, un décret n° 2000-201 et une circulaire du Premier ministre ont institué le 6 mars dernier des plans pluriannuels d'amélioration de l'accès des femmes aux emplois et postes d'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État dans tous les départements ministériels. Ces plans arrêteront, pour des périodes de trois à cinq ans, des objectifs quantifiés en matière de féminisation de nombreux emplois de direction et d'encadrement. En outre, en application de l'article 6 du décret n° 2000-201, les comités techniques paritaires recevront désormais communication et débattront d'un rapport annuel sur la situation respective des femmes et des hommes en matière de recrutement, d'avancement et de promotion, ce rapport devant comprendre notamment un bilan des mesures prises en l'application des plans d'objectifs pluriannuels.

D'autres initiatives concernent, d'une part, la signature 2 ( * ) , le 25 février 2000, d'une Convention pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif , où figurent l'objectif de mieux faire connaître aux filles les carrières de la haute fonction publique, et, d'autre part, la création prochaine d'un Comité de pilotage auprès de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, qui aura en particulier pour mission d'examiner comment valoriser tous les types de compétences utiles, notamment féminines, lors des épreuves des concours de la fonction publique.

En revanche, le Conseil d'État a estimé que le pouvoir réglementaire ne pouvait définir les règles favorisant la représentation des femmes dans certaines instances de la fonction publique (commissions administratives et comités techniques paritaires, jurys de concours). Saisi à l'automne dernier de projets de décrets, il leur a opposé un avis défavorable en considérant que de telles règles, parce qu'elles portent atteinte au principe de non discrimination entre les fonctionnaires à raison de leur sexe prévu par l'article 6 du statut général des fonctionnaires, ne pouvaient être introduites que par la loi.

Ce sont ces différentes mesures que vise à inscrire dans notre droit le titre II de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson.

Le chapitre I er du titre II de la proposition de loi ( articles 10 à 14 ) répond directement à la quatrième proposition du rapport Colmou, en suggérant de clarifier la rédaction de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, cette clarification permettant en outre d'accorder une place particulière aux discriminations liées au sexe.

Compte tenu des modifications qui lui ont été apportées tant par la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de leur handicap que par la loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992 relative à l'abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations de travail et modifiant le Code du travail et le Code de procédure pénale, le contenu de cet article 6 est actuellement très hétérogène.

En effet, il interdit, de manière indifférenciée, les discriminations en raison des opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses des fonctionnaires, et celles qui résulteraient de leur appartenance ethnique, de leur état de santé ou de leur handicap, ou encore de leur sexe -tout en autorisant les distinctions qui tiennent compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions ou encore, exceptionnellement, les recrutements distincts pour les hommes ou les femmes lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante de l'exercice des fonctions-, et les protège enfin contre les abus d'autorité en matière sexuelle.

Il a donc perdu en lisibilité et l'amalgame qu'il fait nuit, en force, à la dénonciation des discriminations.

C'est pourquoi la proposition de loi de Mme Catherine Génisson tend à en extraire, pour les insérer dans deux articles 6 bis et 6 ter nouveaux de la loi de 1983, les dispositions qui, d'une part, interdisent les discriminations fondées sur le sexe, et, d'autre part, protègent les fonctionnaires contre l'abus d'autorité en matière sexuelle.

Les députés ont saisi l'occasion de cette réorganisation pour proposer de compléter les dispositions applicables.

Ainsi, à l' article 13 de la proposition de loi, ils ont fait figurer, sous l'article 6 bis du statut général nouvellement créé, un alinéa qui autorise, de manière générale, la discrimination entre les femmes et les hommes lors de la désignation, par l'administration, des membres des jurys et comités de sélection constitués pour le recrutement et l'avancement des fonctionnaires, comme de ses représentants aux commissions administratives paritaires (CAP) et aux comités techniques paritaires (CTP), dans le but de parvenir à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans toutes ces instances. Cette dérogation au principe de non-discrimination est ensuite déclinée, de manière précise, dans d'autres articles de la proposition de loi qui modifient les textes propres à chacune des trois fonctions publiques.

A l' article 14 , le transfert des dispositions relatives à l'abus d'autorité en matière sexuelle de l'article 6 du statut général au nouvel article 6 ter s'accompagne d'une adjonction étendant aux mesures concernant la discipline la protection dont bénéficient les fonctionnaires face à ce type d'abus.

Enfin, l'insertion par l'Assemblée nationale d'un article 14 bis vise à créer un article 6 quater nouveau dans la loi du 13 juillet 1983 afin :

- de globaliser, pour toute la fonction publique, le rapport qu'au terme des lois du 11 janvier 1984, du 26 janvier 1984 et du 9 janvier 1986 (portant dispositions statutaires relatives respectivement à la fonction publique de l'État, à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière), le Gouvernement doit déposer, tous les deux ans, sur le bureau des assemblées parlementaires pour dresser le bilan des mesures prises pour garantir, à tous les niveaux de la hiérarchie, le respect du principe d'égalité des sexes ;

- et de préciser et renforcer le contenu de ce rapport afin de le rendre similaire au rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes, dont la présentation annuelle est imposée aux entreprises de plus de cinquante salariés. Il devra ainsi comporter une analyse sur la base d'indicateurs pertinents, définis par décret, reposant notamment sur des éléments chiffrés, permettant d'apprécier la situation respective des femmes et des hommes en matière de recrutement, de formation, d'avancement, de conditions de travail et de rémunération effective. De plus, il devra présenter les objectifs prévus pour respecter le principe d'égalité des sexes dans la fonction publique, ainsi que les actions à mener pour les atteindre.

Ces dispositions doivent permettre la mise en oeuvre des propositions n os 1, 7 et 16 du rapport Colmou sur la nécessité de disposer de statistiques et d'études sexuées plus précises en matière d'effectifs, de déroulement de carrière et de formation des femmes, afin notamment de favoriser la gestion personnalisée et prévisionnelle des ressources humaines dans la fonction publique.

Les chapitres II ( articles 15 à 18 ), III ( article 19 ) et IV ( articles 20 à 22 ) du titre II de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson tendent, quant à eux, à favoriser, conformément au principe général qu'il est proposé de faire figurer à l'article 6 bis nouveau du statut général des fonctionnaires, une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les CAP, les CTP, les jurys de concours et comités de sélection de la fonction publique. Ce faisant, ils mettent directement en oeuvre les sixième et onzième propositions du rapport Colmou.

En ce qui concerne les CAP et les CTP, organismes composés en nombre égal de représentants de l'administration et du personnel et compétents pour connaître, respectivement, de toutes les questions intéressant la situation individuelle des fonctionnaires, et des questions relatives à l'organisation et au fonctionnement des services, au recrutement des personnels et aux projets de statuts particuliers, le principe de la représentation équilibrée entre les femmes et les hommes est décliné de façon différente selon les fonctions publiques, afin de tenir compte des spécificités propres à chacune d'elles.

Dans la fonction publique de l'État, l' article 15 de la proposition de loi impose à l'administration de choisir ses représentants compte tenu d'une proportion entre les sexes fixée par décret en Conseil d'État (qui, selon les projets de décret de l'automne dernier, pourrait être d'un tiers au moins de membres d'un même sexe).

Dans la fonction publique territoriale, les représentants des collectivités territoriales et des établissements publics locaux au sein des CAP et des CTP étant désignés par l'autorité territoriale ou par des élus locaux, et pouvant être eux-mêmes des élus locaux, aucune règle contraignante, laquelle aurait été particulièrement irréaliste, n'est envisagée. La marche progressive vers l'équilibre entre les sexes ne pourra résulter, dans ce cas, que de la mise en oeuvre de la parité issue de la loi relative à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Enfin, pour ce qui concerne la fonction publique hospitalière, la proposition de loi reprend la formule retenue pour la fonction publique de l'État en prévoyant que le choix des représentants de l'administration respecte une proportion d'hommes et de femmes fixée par décret en Conseil d'État. Limité au départ aux CAP, le dispositif a été étendu par l'Assemblée nationale aux CTP. Votre Délégation craint qu'il se heurte en tout état de cause aux difficultés de principe qui ont conduit à n'imposer aucune règle pour la désignation des représentants de l'administration aux organes paritaires de la fonction publique territoriale puisque les organismes paritaires des établissements hospitaliers comportent eux aussi des élus locaux.

Au reste, l'objectif de parvenir à une représentation équilibrée au sein des CAP et CTP suppose résolu par ailleurs le problème particulier des viviers dans lesquels sont choisis les représentants de l'administration à ces instances paritaires. Ces viviers sont très étroits puisqu'ils ne sont constitués que de très hauts fonctionnaires (administrateurs civils de 2 e classe ou d'un grade assimilé) ou de fonctionnaires occupant des fonctions de direction. Or, il est des administrations où le déséquilibre entre les sexes est tel que le respect d'un ratio fixé par décret en Conseil d'État s'avérerait impossible à respecter. Tenant compte de cette difficulté, le décret n° 2000-201 du 6 mars 2000 a, pour ce qui concerne la fonction publique de l'État, élargi à l'ensemble des fonctionnaires de catégorie A la possibilité d'être désignés comme représentants de l'administration aux CAP et aux CTP, alors que, jusqu'à présent, cette faculté n'était ouverte que par exception.

S'agissant des jurys de concours et d'examens professionnels et des comités de sélection dont les membres sont désignés par l'administration, la loi leur imposerait désormais d'être composés de façon à assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes ( articles 17 , 17 bis et 18 de la proposition de loi pour la fonction publique de l'État, article 19 pour la fonction publique territoriale et articles 21 et 22 pour la fonction publique hospitalière). Des décrets en Conseil d'État fixeront la proportion des membres des jurys et comités de sélection appartenant à chacun des sexes.

Il résulte du dispositif proposé que tous les corps d'emploi des trois fonctions publiques seront soumis aux ratios fixés par ces décrets, indépendamment de la situation actuelle du partage entre les sexes qu'ils connaissent.

Votre Délégation ne peut que regretter que l'Assemblée nationale ait supprimé ce que, lors de son audition, Mme Anne-Marie Colmou a qualifié de " soupape de sécurité ". Cette " soupape ", qui figurait dans la proposition de loi initiale, élevait au rang législatif une jurisprudence du Conseil d'État admettant, pour les statuts particuliers, qu'exceptionnellement la mixité puisse être assurée par la présence d'au moins un membre de chaque sexe dans les jurys et comités. Le dispositif retenu par les députés paraît à votre Délégation difficile à mettre en oeuvre. Les problèmes seront innombrables pour les responsables de certains des quelque 1.400 corps de la fonction publique, où la faiblesse des effectifs et le très grand déséquilibre entre les sexes rendent impossible la soumission à des normes générales davantage adaptées aux contingents nombreux où la mixité est d'ores et déjà établie.

Une solution consisterait sans doute, et elle fait partie des propositions du rapport Colmou, à renforcer le caractère interministériel des jurys pour, en élargissant les " viviers ", parvenir à trouver plus facilement des représentants du sexe " déficitaire ".

* 1 Loi n° 83-635 portant modification du Code du travail et du Code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

* 2 Entre la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, le ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, la ministre déléguée chargée de l'Enseignement scolaire et la secrétaire d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle.

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