F. L'IMPACT DES 35 HEURES

L'OFCE a cherché à intégrer les effets des 35 heures dans sa projection.

Par hypothèse, dix millions de salariés du secteur marchand sont ainsi supposés passer aux 35 heures, c'est-à-dire les 14 millions de salariés du secteur marchand, moins 2 millions de salariés à temps partiel, et 2 millions de salariés exclus pour diverses raisons (déjà à 35 heures, cadres dirigeants, etc.).

En contrepartie, les entreprises bénéficient :

- temporairement, des aides incitatives instituées par la loi du 13 juin 1998 ;

- à partir de l'an 2000, d'une aide pérenne de 4.000 F annuels par salarié du secteur marchand passé à 35 heures ;

- du renforcement des allégements de charges sur les bas salaires , qui sont augmentés de 15.000 F à 17.500 F par salarié et par an au niveau du SMIC, et qui sont étendus aux moyens salaires 76( * ) (jusqu'à 1,8 SMIC).

Le coût total de ce dispositif atteindrait à terme, c'est-à-dire à l'expiration des aides incitatives, environ 65 milliards de francs par an (40 milliards de francs pour l'aide pérenne 77( * ) + 25 milliards de francs pour l'augmentation de la " ristourne dégressive Juppé " et pour son extension aux moyens salaires), sous réserve que ces allégements ne soient pas revalorisés en fonction de l'évolution des prix ou du SMIC.

Après l'expiration des aides incitatives à la réduction du temps de travail, le nouveau dispositif d'allégement des charges se présenterait donc comme suit :

LE DISPOSITIF PRÉVU POUR LES ABATTEMENTS
DE CHARGES SOCIALES PATRONALES



En projection, ces aides ne sont que partiellement financées par le relèvement progressif à hauteur de 12,5 milliards de francs chacune de la contribution sociale sur les bénéfices (CSB) d'une part ; de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), d'autre part. L'OFCE n'a ainsi pris en compte ni la taxe temporaire sur les heures supplémentaires, ni un relèvement des droits sur le tabac ou les alcools au-delà de leur progression tendancielle. Au total, la mise en oeuvre des 35 heures accroît ainsi en projection le déficit des administrations publiques d'environ 0,1 point de PIB, après prise en compte des effets de retour macroéconomiques.

Pour fixer les principaux paramètres de la réduction du temps de travail, l'OFCE s'appuie par ailleurs sur le bilan effectué par le ministère de l'Emploi, en distinguant deux types d'accords : des accords " Aubry I ", où la réduction effective de la durée du travail est de quatre heures par semaine et où les créations d'emplois s'élèvent à 8 % des effectifs 78( * ) ; des accords dits " Aubry II ", où la réduction de la durée du travail est de deux heures par semaine et où les créations d'emplois ne s'élèvent qu'à 3,7 % des effectifs. Ce second type d'accords n'ouvre pas droit aux aides incitatives instituées jusqu'au 31 décembre 1999. Dans les deux cas, les gains de productivité induits sont de l'ordre du tiers de la réduction de la durée du travail. La montée en charge des 35 heures est étalée sur quatre années (1999/2002) : l'année 2003 est donc la première année pleine. En 1999, les accords de type " Aubry I " sont majoritaires. Ensuite, les accords de type " Aubry II " sont prépondérants. En dépit d'une accélération des créations d'emplois à la fin de l'année 2001, avec le durcissement du régime des heures supplémentaires et la proximité de la date butoir pour les entreprises de moins de vingt salariés, les 35 heures seraient ainsi de moins en moins créatrices d'emplois .

ACCORDS D'ENTREPRISES ÉLIGIBLES AUX AIDES PUBLIQUES
SIGNÉS DANS LE CADRE DE LA LOI DU 13 JUIN 1998
(DONNÉES AU 1 ER SEPTEMBRE 1999)

 

Accords d'entreprises éligibles aidés

Accords d'entreprises éligibles non aidés

Nombre d'accords

14 599

421

Effectifs concernés
( en %)

1 088 591
(69 %)

482 599
(31 %)

Evolution de la durée du travail (en moyenne)


- 4,2 heures


- 2 heures

Annonces en termes de créations ou de maintien d'emplois


85 064


16 389

(en % de l'effectif initial)

+ 7,8 %

+ 3,4 %

Equilibre de la production

 
 

Durée moyenne du travail

- 10,8 %

- 5,4 %

Augmentation des effectifs, estimée ex-post


+ 7,3 %


+ 3,3 %

Gains de productivité

+ 4,4 %

+ 2,3 %

Production

0,0

0,0

Source : Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 1999.

Enfin, la simulation prend en compte un décalage de six mois entre la signature d'une convention État-entreprises (donc l'octroi des aides publiques) et les embauches effectives : le coût net des abattements de charges pour les finances publiques est donc, à court terme, supérieur à ce qu'il est à plus long terme.


SÉQUENCE DE L'INTRODUCTION DES 35 HEURES DANS UNE ENTREPRISE

 
 
 
 


délai : 1 an maximum

négociation
d'entreprise

 

signature d'un accord d'entreprise

 

signature d'une convention
Etat-entreprise

 

réduction de la durée du travail

 

augmentation des effectifs équivalent temps plein

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

donne lieu aux aides incitatives

 
 
 
 
 
 
 

La montée en charge des 35 heures s'effectuerait donc comme suit :

HYPOTHÈSES RETENUES
POUR LA MONTÉE EN CHARGE DES 35 HEURES

 

1999

2000

2001

2002

Salariés concernés (milliers)

600

3 140

5 740

9 500

Emplois créés ex ante (milliers)

50

170

270

420

(en % des salariés concernés)

8,3 %

5,4 %

4,7 %

4,4 %

Source : OFCE, 1999.

Rappelons que ces hypothèses reviennent à supposer le problème réglé au niveau de chaque entreprise : les modèles macroéconomiques ne peuvent en effet appréhender les difficultés de réorganisation des entreprises. Ils ne permettent que d'analyser les conséquences de certains scénarios dans un cadre cohérent et dynamique. Les experts de l'OFCE soulignent donc eux-mêmes que leurs hypothèses sur les 35 heures ne constituent en aucun cas une prévision et, qu'en raison des incertitudes sur le texte final de la seconde loi, comme de la fragilité de leurs hypothèses, la projection est particulièrement sujette à caution.

Les experts de l'OFCE ont donc cherché à " isoler " l'impact des 35 heures. Ils ont, pour ce faire, réalisé une " variante " sur la réduction du temps de travail, c'est-à-dire une simulation des seuls effets des 35 heures, avant tout financement.


Simulation dynamique des effets macroéconomiques des 35 heures non financées

(Écart en niveau en % par rapport à un scénario sans réduction du temps de travail)

 

1999

2000

2001

2002

2003

2005

PIB

0,0

0,1

0,1

0,2

0,2

0,1

Consommation des ménages

0,0

0,2

0,2

0,5

0,7

0,6

Investissement

0,0

0,0

0,0

0,0

- 0,1

- 0,3

Exportations

0,0

0,0

0,0

0,0

- 0,1

- 0,2

Importations

0,0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,3

 
 
 
 
 
 
 

Prix

 
 
 
 
 
 

Prix à la consommation

0,0

0,1

0,4

0,8

1,2

2,1

 
 
 
 
 
 
 

Salaires

 
 
 
 
 
 

Salaire horaire réel

0,1

0,9

1,7

2,8

3,4

3,6

Durée du travail

- 0,2

- 1,2

- 2,2

- 3,4

- 3,9

- 3,9

Salaire réel par tête

- 0,1

-0,3

- 0,5

- 0,6

- 0,5

- 0,3

 
 
 
 
 
 
 

Ménages

 
 
 
 
 
 

Revenu disponible brut des ménages

0,0

0,2

0,3

0,5

0,7

0,6

 
 
 
 
 
 
 

Emploi et chômage

 
 
 
 
 
 

Emplois (en milliers)

17

129

247

391

457

447

Taux de chômage (en points)

0,0

- 0,3

- 0,5

- 0,8

- 1,0

- 1,0

Prestations chômage

- 0,4

- 2,7

- 5,1

- 7,9

- 9,2

- 9,3

 
 
 
 
 
 
 

Entreprises

 
 
 
 
 
 

EBE/VA 1 (en points)

0,0

0,0

- 0,1

- 0,2

- 0,4

- 0,7

 
 
 
 
 
 
 

Capacité de financement 2

 
 
 
 
 
 

Entreprises 3

0,1

- 0,1

- 3,1

- 7,7

- 15,7

- 31,9

Ménages

0,2

2,5

6,3

11,4

15,7

21,7

Administrations publiques

- 0,4

- 4,5

- 8,4

- 13,6

- 14,7

- 14,3

Solde public (en points de PIB)

0,0

0,0

- 0,1

- 0,1

- 0,1

- 0,1

Solde extérieur (en points de PIB)

0,0

0,0

- 0,1

- 0,2

- 0,2

- 0,3

 
 
 
 
 
 
 

1 Excédent brut d'exploitation/valeur ajoutée

2 En millards de francs

3 Sociétés et quasi sociétés + institutions financières

Source : OFCE, modèle Mosaïque

Si l'on excepte un effet de relance , qui provient, dans la simulation ci-dessus, de ce que les aides aux 35 heures ne sont pas financées, et qui est atténué dans la prévision de l'OFCE par les effets récessifs de la CSB et de la TGAP, la simulation met en évidence trois impacts macroéconomiques des 35 heures :

• un effet de partage de l'emploi : le nombre d' emplois augmente ainsi de plus de 400 000 à l'horizon de la projection, environ un dixième de cette hausse étant imputable à l'effet de relance provenant de ce que les aides aux 35 heures ne sont pas intégralement financées ;

• un impact inflationniste : les prix à la consommation accélèrent continûment en raison du ressaut des salaires horaires initialement induit par la réduction du temps de travail, puis de l'accélération des salaires favorisée par la baisse du chômage (" effet Phillips "). La hausse des prix dégrade progressivement la compétitivité des exportations et le solde extérieur ;

• un transfert des entreprises vers les ménages : le revenu des ménages accélère vivement en raison du dynamisme accru de l'emploi, de la résistance du salaire moyen en début de période et de sa remontée à l'horizon de la projection. A l'inverse, le partage de la valeur ajoutée se déforme au détriment des entreprises , dont la capacité de financement et l'investissement sont réduits, avant même l'instauration de prélèvements supplémentaires.

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