B. UN SCÉNARIO DE CRISE FINANCIÈRE AUX ETATS-UNIS : QUELLES CONSÉQUENCES POUR L'ÉCONOMIE MONDIALE ?
Le
financement pernicieux
de l'économie américaine,
l'endettement des agents privés et le déficit extérieur
des Etats-Unis ne sont pas une nouveauté : au milieu des
années 80, les économistes s'interrogeaient déjà
sur la menace que faisaient porter sur la croissance mondiale les
" déficits jumeaux " (conjonction d'un déficit public
et d'un déficit extérieur). Un cap semble néanmoins avoir
été franchi aujourd'hui : le besoin de financement des Etats-Unis
atteint pratiquement 4 % du PIB, soit un niveau comparable à celui
de 1987, année marquée par une violente crise boursière.
Si la trajectoire ainsi empruntée par l'économie
américaine ne paraît pas soutenable, toute la question est de
savoir d'où viendra le " coup d'épingle " qui viendra y
mettre un terme.
A cet égard, beaucoup de scénarios sont imaginables :
- un scénario " en douceur ", peu ou prou
privilégié aujourd'hui par l'ensemble des économistes,
dans lequel l'économie américaine connaîtrait un
ralentissement (avec une croissance de 2 à 2,5 % en 2000) sous les
effets conjoints d'un durcissement de la politique monétaire et d'un
freinage du processus d'endettement des entreprises et des ménages.
C'est le scénario qui est associé généralement aux
prévisions de reprise de la croissance mondiale ;
- un scénario, plus brutal, de très fort ralentissement de la
demande privée, suite à un rationnement du crédit, les
prêteurs s'inquiétant du taux d'endettement des ménages et
des entreprises. Une simple stabilisation du taux d'endettement privé
impliquerait aujourd'hui un recul de 3 points de PIB de la demande
intérieure par rapport à la tendance récente, ce qui
souligne l'ampleur de la récession qui pourrait provenir du durcissement
des conditions de crédit
2(
*
)
;
- enfin, un scénario de crise financière aux Etats-Unis.
C'est ce troisième scénario que votre Délégation a
demandé au COE d'explorer à l'aide du modèle multinational
OEF, afin d'apprécier les répercussions qu'il pourrait avoir sur
les grandes places financières et ses conséquences pour
l'économie mondiale.
Les résultats détaillés de cette simulation sont
présentés dans l'
annexe n° 2
à ce rapport
(page 119).
Il faut rappeler qu'il ne s'agit en aucun cas du " scénario
central " de cet organisme, qui privilégie, comme la plupart,
l'hypothèse d'un " atterrissage en douceur " de
l'économie américaine.
Dans la mesure où l'éventualité d'une crise
financière est présente à l'esprit de la plupart des
économistes, votre rapporteur se réjouit néanmoins que le
COE se soit prêté à cet exercice dans un but
illustratif
. Il permet en effet d'envisager les hypothèses
conduisant à un tel scénario, de vérifier leur
vraisemblance et d'évaluer ses conséquences pour
l'économie mondiale.
Divers enchaînements sont possibles. Ceux qui ont été
privilégiés ici - de manière certes artificielle dans la
mesure où les " événements " décrits
ci-après, lorsqu'ils se produisent, sont souvent simultanés -
sont les suivants :
- les marchés financiers doutent de la soutenabilité du
déficit extérieur américain, ce qui provoque des
anticipations de
chute du dollar
(une baisse du dollar est en effet la
condition d'une résorption du déséquilibre
extérieur, grâce à l'amélioration de la
compétitivité des Etats-Unis) ;
- une pression à la baisse sur le dollar se traduirait par une tension
sur les
taux d'intérêt à long terme
(compte tenu du
risque de baisse du dollar, le financement de l'économie
américaine ne peut se faire qu'au prix d'une hausse des taux
d'intérêt) ;
- une menace de baisse du dollar fait craindre un surcroît d'inflation
(les prix des produits importés aux Etats-Unis augmentent en cas de
dépréciation du dollar et le risque inflationniste
s'accroît), ce qui accentue la tension sur les taux
d'intérêt et alourdit l'endettement des agents privés ;
- dans ces conditions, le risque de krach boursier serait maximal (en cas de
dégradation des marchés de taux, la probabilité d'une
correction des cours boursiers est importante).
La simulation dont votre rapporteur présente ici les principaux
résultats repose ainsi sur trois
hypothèses
:
- une baisse des taux longs de 2 points, mais qui s'estompe en un peu plus
d'un semestre, après l'intervention d'un krach boursier ;
- une chute des cours boursiers de 30 % aux Etats-Unis, soit une ampleur
comparable à celle des crises de 1987 et 1994 ;
- une diffusion aux autres places financières, soit une hausse des taux
longs de 1 point et une chute des cours boursiers de 15 % dans le cas
de l'Europe. L'effet de contagion de la crise financière aux Etats-Unis
vers les autres places financières correspond à celui
observé par le passé dans les crises de même nature.
Ces évolutions freinent l'activité par trois canaux :
- la chute de la bourse et des marchés obligataires dévalorise le
patrimoine financier des ménages. Pour compenser cette "
perte
de richesse
", leur taux d'épargne augmente et la consommation
diminue ;
- le durcissement des
conditions de financement
(hausse des taux) agit
directement
sur la consommation et l'investissement ;
- enfin, la
rentabilité
de l'investissement est affectée
par la hausse des taux.
Les conséquences en termes de croissance sont les suivantes :
- aux
Etats-Unis
, le taux de croissance est inférieur de
0,4 point la première année
et
0,9 point la
deuxième année
;
- en
Europe
, de
0,2 point pendant deux ans
(les
conséquences pour la France sont sensiblement identiques à celles
pour l'ensemble de la zone euro).
- au
Japon
,
de
0,3 point
la première
année et de
1 point
la seconde.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces
simulations :
- en première analyse, une crise financière
déclenchée aux Etats-Unis n'aurait pas les effets
déstabilisateurs généralement redoutés. Elle
n'entraînerait pas de véritable récession aux Etats-Unis et
elle n'affecterait que marginalement la trajectoire de croissance qui semble
s'être amorcée en Europe ;
- de plus, un assouplissement des politiques monétaires, en cas de
freinage de la croissance, pourrait également en atténuer les
effets ;
- néanmoins, on peut avancer que le modèle ne prend pas
pleinement en compte l'attrait croissant des ménages, en particulier
américains, pour les marchés d'actions ; peut-être le
modèle sous-estime-t-il ainsi les " effets de richesse " et de
reconstitution des patrimoines susceptibles de freiner la consommation ;
- surtout, il est impossible de simuler un certain nombre d'enchaînements
cumulatifs.
Par exemple, une chute du dollar, dont les effets ne sont pas pris en compte
dans les résultats ci-dessus, pourrait avoir pour conséquence une
tension
durable
sur les taux d'intérêt (alors que dans la
simulation, celle-ci n'est que transitoire) et, en Europe, une
dégradation de la compétitivité et de l'activité.
De même, la hausse des taux aux Etats-Unis ferait peser une menace sur le
remboursement des dettes des ménages et des entreprises,
entraînant ainsi un rationnement du crédit.
Malgré ses incertitudes, l'étude présentée
ci-dessous permet de tirer quelques conclusions pour le moyen terme :
- la forte croissance des Etats-Unis, dont les fondements sont analysés
ci-après, revêt pour partie un caractère
spéculatif
;
- la menace qui en résulte pour l'économie mondiale ne porte pas
tant sur le court terme, si l'on se réfère à la simulation
du COE, que sur le
moyen terme
;
- la croissance de l'économie mondiale ne pourra s'établir de
manière solide et durable que si les déséquilibres
financiers, dont le déficit courant américain est la principale
illustration, se résorbent progressivement. Ceci suppose une
coordination accrue des politiques économiques, en particulier des
politiques de change, entre les trois grandes zones développées.
A cet égard, le retour de la
croissance en Europe
, après
une longue période de ralentissement, aggraverait certes les
problèmes de financement à court terme de l'économie
américaine (en renforçant l'attrait des investisseurs pour la
zone euro et en exerçant ainsi une pression à la baisse du
dollar), mais est la condition d'une résorption
durable
des
déséquilibres financiers mondiaux.