B. LES INCONNUES DES 35 HEURES
1. Le bilan
Conformément à l'article 13 de la loi du 13 juin
1998
d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de
travail, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité a
publié, le 20 septembre 1999, un
rapport
de près de
400 pages relatif aux "
enseignements des accords sur la
réduction du temps de travail
".
Votre Rapporteur ne peut que saluer la précision des investigations
coordonnées par la Direction de l'animation de la recherche et des
études statistiques (DARES) et la Direction générale de
l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) du ministère de
l'Emploi et de la Solidarité. Il lui semble d'ailleurs éminemment
souhaitable que les grands projets à caractère économique
et social bénéficient à l'avenir d'un suivi statistique
analogue.
Au 1
er
septembre 1999, le rapport du ministère de l'Emploi
recensait ainsi 15 026 accords d'entreprise signés dans le
cadre de la loi du 13 juin 1998, qui concernaient
2 168 329 salariés
et prévoyaient la
création ou le maintien de 120 273 emplois dans les
entreprises concernées.
Présenté de manière parfois ambiguë, ce recensement a
été
mal compris
, d'aucuns affirmant ainsi que les 35
heures ont déjà créé plus de 100 000 emplois
dans l'économie française, ce qui est inexact :
-
• La plupart des 120 273 emplois recensés ne sont, pour
l'heure, qu'
annoncés
: il existe des
délais
entre la signature de la convention Etat-entreprise, d'une part, les embauches
effectives, d'autre part. Par ailleurs, les entreprises qui signent des accords
de réduction du temps de travail non aidés (50 % des
salariés concernés et 29 % des emplois annoncés)
n'ont pas d'obligation légale d'accroître leurs effectifs. Au
total, il y aura une
déperdition
entre l'augmentation des
effectifs annoncée et celle qui sera finalement réalisée.
• En outre, les engagements souscrits par les entreprises aidées et recensés par le ministère de l'Emploi, portent sur leurs effectifs en équivalent-temps plein, et non pas sur des " emplois " au sens usuel du terme. Une entreprise peut donc satisfaire une partie 52( * ) de ses obligations en augmentant l'horaire de ses salariés à temps partiel , ce qui ne donne pas lieu à des " créations d'emploi ".
• Enfin, une partie de l'augmentation des effectifs prévue relève d'un effet d'aubaine , c'est-à-dire qu'elle se serait produite en l'absence de la réduction du temps de travail. En confrontant l'évolution récente des effectifs des établissements passés à 35 heures à celle des autres établissements de même taille, de même secteur et de même dynamisme antérieur, la DARES estime par extrapolation que les effectifs des entreprises passées à 35 heures pourraient augmenter de 7,5 % toutes choses égales par ailleurs, et la DARES en déduit que ces effets d'aubaine seraient limités à 12 % des emplois annoncés.
Mais cette estimation est très fragile. En effet, l'économètre ne dispose guère de recul et le résultat ci-dessus ne repose que sur une extrapolation des tendances actuelles. En second lieu, la DARES ne tient pas compte de ce que les établissements passés à 35 heures ont été par le passé beaucoup plus sensibles aux variations conjoncturelles que les autres, ce qui suggère qu'ils ont davantage bénéficié de la croissance. Les effets d'aubaine pourraient donc s'avérer sous-estimés . Avec plus de recul, la DARES estime ainsi à près d'un tiers les effets d'aubaine dans le cas de la loi Robien .
Par ailleurs, il convient de bien distinguer le nombre d'empois imputables à la réduction du temps de travail dans les entreprises passées aux 35 heures, du nombre d'emplois créés par les 35 heures dans l'ensemble de l'économie française :
• Des entreprises peuvent satisfaire leurs engagements en termes d'effectifs en réinternalisant certaines fonctions ou en rapatriant des activités sous-traitées , ce qui se traduit évidemment par des destructions d'emplois dans d'autres entreprises.
• Lorsque des entreprises subventionnées pour passer à 35 heures gagnent en compétitivité grâce aux aides, les autres entreprises françaises s'en trouvent doublement pénalisées : elles perdent des parts de marché et elles doivent participer au financement des aides attribuées à leurs concurrentes. Par ce biais, des créations d'emplois aidés peuvent entraîner des pertes d'emplois chez les entreprises non aidées. C'est ce que les économistes appellent " l' effet de cannibalisme ".
• Enfin les dispositions de la loi du 13 juin 1998 ont rendu moins attractif pour les entreprises l'emploi de salariés à temps partiel : la proportion d'emploi à temps partiel dans la population active s'est ainsi quasiment stabilisée entre les enquêtes emploi de mars 1998 (17,1 %) et de mars 1999 (17,2 %), alors qu'elle avait augmenté de près de 1 point par an entre 1992 et 1997. En partie imputable au redressement de la conjoncture, cette inflexion favorise le recul du temps partiel subi, mais elle entraîne aussi une baisse du contenu en emploi de la croissance, qui joue en sens inverse de la réduction collective du temps de travail.
A ces phénomènes microéconomiques se superposent des enchaînements macroéonomiques :
• D'un côté, l'octroi des aides liées aux 35 heures exerce un effet de relance keynésienne, en améliorant la trésorerie, donc les capacités d'investissement des entreprises, et surtout en favorisant l'expansion de la masse salariale, donc de la consommation des ménages.
• De l'autre, le surcroît de prélèvements sur les entreprises et les ménages destiné à financer les 35 heures entraîne un effet exactement inverse, même si les emplois ainsi supprimés ne se voient pas. En outre, la baisse du chômage initialement induite par les 35 heures favorise une accélération des salaires horaires (" l'effet Phillips "), qui dégrade la compétitivité-prix des entreprises, et qui érode progressivement le nombre d'emplois initialement créés par la réduction du temps de travail.
CONTRIBUTION À LA CROISSANCE DE L'EMPLOI
MARCHAND
|
|||
Emplois liés à la croissance |
420 |
||
Allégements de charges |
80 |
||
Réduction du temps de travail |
40 |
||
Autres mesures |
20 |
||
TOTAL |
560 |
||
Source : INSEE, DARES, Direction de la Prévision. |
De
même, comme le rappelle le rapport
53(
*
)
de la commission des Affaires sociales
du Sénat sur les 35 heures, Mme Martine AUBRY, ministre de l'Emploi
et de la Solidarité, a estimé que les 35 heures avaient
effectivement
créé 30 000 à 40 000
emplois au 1
er
octobre 1999.
En outre, les premiers effets des 35 heures ne sont pas forcément
durables
. Les accords de réduction collective du temps de travail
sont en effet des accords très complexes, qui doivent être
adaptés en continu aux évolutions de l'entreprise, ce qui repose
in fine
sur la
confiance
réciproque et sur l'expertise des
partenaires sociaux. Il est ainsi à craindre que l'équilibre de
certains accords, donc la
pérennité
des
emplois
associés, s'avère fragile lorsque ces accords auront
été négociés à la hâte pour
bénéficier des aides, lorsqu'ils auront été
négociés par des salariés mandatés sans formation
ni expérience, ou lorsqu'ils seront négociés sous la
contrainte des dates-butoir.
Enfin, les premiers bilans des 35 heures ne sont pas
extrapolables
: les entreprises qui ont d'ores et
déjà signé des accords de réduction du temps de
travail étaient a priori celles pour lesquelles le processus
était avantageux, et la négociation relativement aisée. Le
recensement des premiers accords montre d'ailleurs que le profil de ces
entreprises diffère de la moyenne : majoritairement en croissance, elles
connaissaient aussi un meilleur climat social et une pratique plus
fréquente de la modulation des horaires. Leurs coûts de
négociation et de réorganisation étaient donc relativement
limités. A l'inverse, les entreprises qui n'ont pas encore signé
d'accord pourraient être confrontées à des
négociations plus difficiles et/ou à des coûts de
réorganisation plus importants, alors même que les aides seront
réduites.
2. Les perspectives
Le
rapport du ministère de l'Emploi et de la Solidarité relatif aux
"
enseignements des accords sur la durée du travail
"
conclut
54(
*
)
: "
les
premiers résultats se situent sur la «pente» tracée par
les scénarios macroéconomiques les plus favorables
réalisés avant le vote de la loi
"... "
Les
scénarios macroéconomiques les plus optimistes et
antérieurs à la loi sont ainsi validés
".
Selon votre rapporteur, ces assertions mériteraient pour le moins
d'être
nuancées
.
Rappelons en effet que les projections réalisées à l'aide
de modèles macroéconomiques avant le vote de la loi
" Aubry " reposaient sur l'
hypothèse
d'une
réduction de
4 heures
du temps de travail
effectif
de
la grande majorité des salariés à temps complet du secteur
marchand
Or, si l'on excepte le cas particulier des grandes entreprises publiques (EDF,
SNCF, La Poste, TDF notamment), l'analyse détaillée des accords
d'entreprise signés avant le 1
er
septembre 1999 permet de
distinguer
deux groupes d'accords
(cf. annexe page 99) :
- un premier groupe d'accords (69 % des effectifs concernés),
prévoit une réduction du temps de travail significative
(4,2 heures en moyenne) et une augmentation des effectifs importante
(+ 7,8 % en moyenne). Ces accords sont conformes aux scénarios
macroéconomiques optimistes. Ils permettent aux entreprises d'être
éligibles à l'aide incitative ouverte jusqu'à la fin de
l'année 1999 ;
- un second groupe d'accords (31 % des effectifs concernés)
prévoit une réduction effective du temps de travail plus modeste
(2 heures en moyenne) et une moindre augmentation des effectifs
(+ 3,9 % environ). Les entreprises concernées renoncent ainsi
à l'aide incitative et ne prennent, vis-à-vis de l'Etat, aucun
engagement contraignant en termes d'effectifs. Ces accords ne sont pas
conformes aux scénarios optimistes sur les 35 heures. Fort logiquement,
ils se rapprochent plutôt des hypothèses retenues par la DARES en
1996 pour simuler une réduction de deux heures de la durée du
travail (" les 37 heures ")
La
question
qui se pose aujourd'hui est donc la suivante : les
accords signés à partir du
1
er
septembre 1999 ressortiront-ils du premier ou du
second groupe ?
Pour sa part, le Gouvernement suppose implicitement que la plupart des accords
signés à l'avenir prévoiront une forte réduction du
temps de travail et que les entreprises passant de 37 à 35 heures
demeureront une exception.
Telle n'est pas à ce jour l'hypothèse retenue par la plupart des
experts indépendants et intégrée dans la projection de
l'OFCE détaillée en annexe (page 77). L'OFCE estime en effet
que les accords d'entreprises éligibles non aidés sont
"
révélateurs
" de ce que pourraient être
les accords de réduction du temps de travail après le vote de la
seconde loi et l'échéance de la durée légale au
1
er
janvier 2000.
Après l'expiration de l'aide incitative ne resteraient en effet que les
entreprises pour lesquelles une réduction importante de la durée
du travail est difficile ou coûteuse. Ces entreprises s'efforceraient de
respecter les 35 heures
a minima
, en jouant sur les heures
supplémentaires ou en se découvrant opportunément à
37 ou 38 heures grâce à un nouveau calcul des horaires de travail.
Par ailleurs, les syndicats qui, selon les économistes de la Caisse des
dépôts et consignations
55(
*
)
, ont eu par le passé tendance
à privilégier la rémunération des salariés
en place (" les
insiders
") au détriment de
l'emploi des "
outsiders
", pourraient accepter de limiter les
embauches en contrepartie du maintien des rémunérations et des
heures supplémentaires. Au total, le "
contenu en
emploi
" de la réduction du temps de travail serait
progressivement de plus en plus
faible
: les 35 heures
bénéficieraient surtout aux titulaires d'un emploi, à qui
elles apportent en principe une meilleure qualité de vie, au
détriment des finances publiques, comme de l'objectif de création
d'emplois.
Au total, les 35 heures s'accompagneraient dans la projection de l'OFCE de la
création d'environ
400 000 emplois
. A champ comparable
(l'ensemble des salariés du secteur marchand), il s'agit d'un
résultat beaucoup
moins favorable
que celui des projections
macroéconomiques antérieures les plus optimistes (700 000
emplois créés).
Quoi qu'il en soit, votre rapporteur se doit de rappeler que ces projections ne
constituent en aucun cas des
prévisions
: le
modélisateur doit prendre pour hypothèse une règle de
trois du type " avec n % de réduction de la durée du
travail et y % de gains de productivité associés, il y a
x % de créations d'emplois ", ce qui revient à supposer
le problème réglé au niveau de chaque entreprise
56(
*
)
.
En revanche, les modèles macroéconomiques sont indispensables
pour étudier, dans un cadre cohérent et dynamique, l'impact
macroéconomique de certains scénarios. A l'aide des projections
de l'OFCE, votre rapporteur s'est donc interrogé sur l'équilibre
macroéconomique et sur le
financement
des accords de
réduction du temps de travail.
3. L'équilibre macroéconomique des accords
Comme le
rappelle le rapport du ministère de l'Emploi
57(
*
)
, une politique
d'aménagement-réduction du temps de travail comportant une
réduction significative de la durée effective du travail suppose
le respect de
conditions
strictes
pour
avoir les effets
attendus sur l'emploi et pour que ces effets soient durables :
- les
coûts
unitaires de
production
ne doivent pas
augmenter. En d'autres termes, la réduction du temps de travail doit
être
in fine
neutre pour les entreprises ;
- les
capacités
de
production
doivent être
maintenues, ce qui suppose notamment une réorganisation du travail ;
- la
consommation
des ménages, donc la masse salariale, ne doit
pas être réduite ;
- l'équilibre des
finances publiques
prises dans leur ensemble
ne doit pas être dégradé.
A partir de ces conditions, l'analyse permet d'identifier deux
préconisations
pour l'équilibre des accords de
réduction du temps de travail :
- les administrations publiques peuvent faciliter des accords en ristournant
aux salariés et aux entreprises passées à 35 heures le
surcroît de recettes (cotisations sociales, impôts) et les
économies de prestations chômage éventuellement induites
par la réduction du temps de travail. Sans dégrader le solde
public, les administrations pourraient ainsi accorder une
aide
que les
modèles macroéconomiques permettent d'évaluer à au
plus 1 point de cotisations sociales employeurs pour chaque heure de
réduction effective du temps de travail, soit environ
5.000 F. par
salarié
pour une réduction de
4 heures
de la
durée effective du travail (ou 1250 F. par heure).
- la pérennité des emplois associés à la
réduction du temps de travail repose sur des efforts de
modération salariale
. L'ampleur de ces efforts dépend des
gains de productivité induits. Pour une réduction de 4 heures de
la durée effective du travail, il serait en moyenne nécessaire
que les salariés consentent
initialement
à une inflexion
de leurs salaires d'environ 4 %, ce qui équivaut à un gel des
salaires pendant un peu moins de deux ans. En outre, la baisse du chômage
ne doit pas s'accompagner à
moyen terme
d'un rattrapage de cette
modération salariale, sinon la compétitivité des
entreprise sera obérée et les emplois crées seront
progressivement érodés.
Les analyses précédentes sont consensuelles. Elles sont
d'ailleurs détaillées en annexe au rapport du ministère de
l'Emploi. Elles invitent votre rapporteur à deux observations :
-
• Selon le ministère de l'Emploi, seul un accord d'entreprise
aidé sur deux prévoit une baisse initiale ou un gel des salaires
(la durée de ce gel s'établissant en moyenne à 2 ans),
tandis qu'un accord aidé sur quatre prévoit une moindre
augmentation des salaires et qu'un accord aidé sur cinq ne
prévoit aucune forme de modération salariale. En moyenne, les
efforts de modération salariale pourraient ainsi s'avérer
modestes
, d'autant plus que les entreprises ne semblent pas avoir
freiné les salaires en 1998 dans la perspective des négociations
relatives aux 35 heures
58(
*
)
. Avec le recul, la modération
salariale paraît d'ailleurs limitée dans le cas des accords
Robien : elle s'élèverait en moyenne à 1,6 % sur
deux années (1,2 % dans les accords offensifs ; 2 % dans
les accords défensifs).
Par surcroît, la baisse du chômage induite à partir de 2001 par la réduction du temps de travail renforcera la position des salariés lors des négociations salariales. Il en résulte en projection une vive accélération des salaires horaires en fin de période : en dépit de la baisse de la durée du travail, les salaires mensuels réels retrouveraient ainsi rapidement un niveau proche de leur niveau tendanciel.
La mise en oeuvre des 35 heures accélère donc spontanément le revenu des ménages. A l'inverse elle détériore progressivement la capacité de financement des entreprises (d'environ 32 milliards de francs en 2005) et ce, avant même l'instauration de prélèvements supplémentaires 59( * ) . Il en résulte à moyen terme un risque pour la pérennité des emplois crées par la réduction du temps de travail. Votre rapporteur s'inquiète donc de la faible importance accordée par le Gouvernement à l'impératif d'une modération salariale durable .
• Le montant des allégements de charge envisagés pour faciliter les 35 heures dépasse sensiblement l'effet favorable de la réduction du temps de travail pour les finances publiques (1250 F. par an par salarié et par heure de réduction de la durée effective du travail selon le rapport du ministère de l'Emploi).
Il en est de même dans les accords éligibles non aidés recensés au 1er septembre 1999. En effet, ces accords prévoient une faible réduction de la durée du travail (- 2 heures) et de faibles créations d'emplois, donc un gain pour les finances publiques inférieur en moyenne au cumul de l'aide structurelle (4.000 F. par an et par salarié) et de l'augmentation de la " ristourne dégressive Juppé " pour les bas et moyens salaires (cf. annexe page 97).
Ce résultat se retrouve au niveau macroéconomique dans la projection réalisée par l'OFCE : le dispositif prévu pour les 35 heures se traduirait, avant prise en compte de nouveaux prélèvements, par un creusement du déficit des administrations publiques d'environ 15 milliards de francs à l'horizon 2003 60( * ) .
COÛT DES 35 HEURES POUR LES ADMINISTRATIONS
PUBLIQUES
APRÈS BOUCLAGE MACROÉCONOMIQUE
(en milliards
de francs)
Allégements de charges |
- 65,5 |
Retour de cotisations sociales |
+ 31,5 |
Baisse des prestations chômage |
+ 14,5 |
Surcroît de recettes fiscales |
+4,8 |
Coût net ex post |
- 14.7 |
Source : OFCE, modèle MOSAIQUE
En d'autres termes, les allégements de charge
"
surfinancent
" la réduction effective du temps de
travail. Pour mettre en oeuvre les 35 heures sans dégrader
l'équilibre des finances publiques, le Gouvernement doit donc ou bien
réduire d'autres dépenses, ou bien instituer de
nouveaux
prélèvements
, cette seconde option revenant à
reprendre d'une main ce que l'on octroie de l'autre.
4. Le financement
Ce constat invite spontanément à une question " Comment financer les 35 heures ? ", à laquelle le Gouvernement n'a apporté à ce jour qu'une réponse partielle, synthétisée dans le tableau ci-après :
LE
" FINANCEMENT " DES 35 HEURES
61(
*
)
(
en milliards de
francs
)
-
Allégements de cotisations sociales
Sources de financement " annoncées "
2000
" à terme 62( * ) "
2000
" à terme "
Extension des allégements de charges sur les bas et moyens salaires
7,5
25Contribution sociale sur les bénéfices (CSB)
4,3
12,5Aides incitatives
11,5
40Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)
3,2
12,5Aide structurelle de 4.000 F. par salarié à 35 heures 63( * )
6Contribution de 10 % sur les heures supplémentaires dans les entreprises sans accord 35 heures
7Fraction droits alcool en provenance du fonds de solidarité vieillesse
5,6Contribution de l'Etat
4,3
8
Droits sur les alcools et le tabac
12,5
25
65
24,4
45
Manque :
0
20
• La question du financement des 35 heures n'a toutefois pas été posée dans les meilleurs termes 64( * ) , et votre rapporteur s'interroge sur la méthode retenue par le Gouvernement.
On peut ainsi s'étonner du raisonnement consistant à vanter les mérites des 35 heures, tout en s'efforçant de les financer ex ante au franc le franc, comme si la réduction du temps de travail n'avait en fait aucun effet favorable sur la croissance.
Plus généralement, pourquoi financer les aides liées aux 35 heures à partir d'un bric-à-brac de prélèvements affectés (taxes sur le tabac et les alcools, taxe sur les activités polluantes, contribution sociale sur les bénéfices, taxe sur les heures supplémentaires), en lieu et place d'une réflexion sur le niveau et la structure optimale des dépenses publiques en faveur de l'emploi ?
Comment peut-on réclamer aux organismes de sécurité sociale et à l'UNEDIC de ristourner par avance le surcroît des recettes résultant d'une dépense publique et ce, sur la base de projections macroéconomiques par essence aléatoires 65( * ) ?
Est-il souhaitable que des taxes destinées à l'origine à lutter contre des nuisances (comme la taxe sur le tabac ou la TGAP) se voient de facto assigner un objectif de rendement fiscal , au risque d'en perdre une part de leur légitimité et de leur caractère " pédagogique " ? N'est-il pas paradoxal de financer des aides " pérennes " avec des taxes qui ont vocation à réduire leur assiette, donc à disparaître ?
Pourquoi les estimations du coût des 35 heures pour les finances publiques n'intègrent-elles ni le coût des 35 heures dans les grandes entreprises publiques , ni le coût des 35 heures dans les trois fonctions publiques , ni les surcoûts induits pour les finances locales par la mise en oeuvre des 35 heures dans les établissements médico-sociaux 66( * ) ?
• Votre rapporteur s'interroge également sur le choix des prélèvements supplémentaires annoncés par le Gouvernement pour financer les 35 heures.
Par ailleurs, une simulation 67( * ) réalisée à l'aide du modèle OEF par le Centre d'observation économique (COE) de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris suggère que l'instauration d'une écotaxe , telle qu'envisagée aujourd'hui en France, c'est-à-dire sous la forme d'une taxe sur la consommation d'énergie des entreprises, de manière non coordonnée à l'échelle européenne, est peu opportun pour accompagner les 35 heures. En effet, l'instauration d'une écotaxe pour financer les allégements de charges liés aux 35 heures se traduirait par un choc inflationniste , qui cumulerait ses effets récessifs avec ceux du choc inflationniste induit par la réduction du temps de travail.
Enfin, la structure des aides aux 35 heures entraîne déjà, toutes choses égales par ailleurs, un transfert au profit des entreprises de main-d'oeuvre et à bas salaires, au détriment des entreprises capitalistiques ou de haute technologie . Or, ces dernières concentreraient aussi les prélèvements destinés à financer les 35 heures (CSB et surtout TGAP). Certes, ces deux biais faciliteront dans un premier temps le maintien du pouvoir d'achat dans les entreprises intensives en main-d'oeuvre peu qualifiée, mais ils rendront également plus difficile l'obtention d'accords équilibrés dans les entreprises qui représentent le plus l'avenir de l'économie française.