II. LES FORMES D'UN RENOUVEAU

A. LE RENFORCEMENT ACTUEL DE L'ACTIONNARIAT SALARIÉ

Le développement actuel de l'actionnariat salarié est évident même s'il est difficilement quantifiable. Il s'agit d'un mouvement sensible et diversifié, qui répond à une série d'évolutions convergentes.

1. Un mouvement sensible et diversifié

Si depuis quelques mois, la presse fait régulièrement écho de la " progression ", des " succès ", du " boom ", de la " cote ", de la " nouvelle donne " de l'actionnariat salarié, cette tendance évidente n'en reste pas moins difficilement quantifiable. Il apparaît cependant qu'elle puisse se vérifier à deux niveaux bien distincts :

- la progression de l'actionnariat salarié semble être une tendance lourde ;

- elle s'accompagne de nombreuses expériences innovantes destinées à le favoriser ou à le stabiliser.

a) Une croissance significative, mais difficilement mesurable

En l'absence d'indicateurs statistiques synthétiques de l'actionnariat salarié, quatre sources d'informations principales permettent de mieux cerner cette évolution :

- la DARES, du ministère de l'emploi, réalise chaque enquête dite PIPA (Participation, Intéressement, Plan d'épargne entreprise, Actionnariat salarié) auprès de 35.000 entreprises environ, ayant signé un accord de participation ou d'intéressement. Cette enquête, reprise dans les rapports du Conseil supérieur de la participation, comporte désormais un questionnaire spécifique sur l'actionnariat salarié ;

- l'INSEE réalise chaque année une enquête sur le patrimoine des ménages. Cette enquête permet de recenser le nombre de ménages possédant des actions de leurs entreprises ;

- la COB est également une source précieuse d'information. Son rapport annuel apporte des indications sur l'évolution du nombre, de l'encours et de la structure des FCPE (dans lesquels sont logées la plupart des actions de leur entreprise détenues par les salariés) ainsi que sur les opérations réservées aux salariés sur les marchés financiers ;

- enfin, des enquêtes plus ponctuelles peuvent apporter un éclairage pertinent sur l'actionnariat salarié 10( * ) .

La confrontation de ces quatre sources d'information confirme la progression actuelle de l'actionnariat salarié en permettant d'identifier plusieurs signes de son développement. Elles laissent également suggérer que ce mouvement doive se poursuivre.

Le nombre de salariés actionnaires de leur entreprise serait actuellement supérieur à 700.000.

L'enquête " Patrimoine des ménages " réalisée par l'INSEE en 1997 évolue à 3 % la proportion des ménages qui possèdent des actions de leur entreprise. Cela correspond alors à environ 700.000 ménages.

La Fédération française des associations d'actionnaires salariés et anciens salariés retient également le chiffre de 700.000 salariés actionnaires de leur entreprise.

L'enquête de l'institut IPSOS Opinion tend cependant à majorer sensiblement ce chiffre. Elle évalue en effet à 12 % le nombre de salariés actionnaires de leur entreprise.

Le nombre d'entreprises ayant mis en place un actionnariat salarié reste difficilement quantifiable.

Selon la DARES, près de 7 % des 27.500 entreprises ayant mis en place un système de partage des profits (participation ou intéressement) pratiquaient une politique d'actionnariat salarié en 1996. 15 % des 5,5 millions de salariés de ces entreprises auraient alors accès à un dispositif d'actionnariat, pour peu qu'ils travaillent dans une entreprise pratiquant l'intéressement ou la participation.

Fréquence de l'actionnariat dans les entreprises pratiquant
au moins un système de partage du profit en 1996

Taille de l'entreprise (nombre de salariés)

% d'entreprises avec intéressement

% d'entreprises sans intéressement

Ensemble

Moins de 10

7,0

9,7

7,5

10-49

9,1

10,7

9,5

50-99

7,4

4,3

5,2

100-199

5,2

4,3

4,6

200-499

5,9

2,7

4,1

500-1999

8,7

4,4

6,9

2000 et plus

20,4

10,8

17,2

Ensemble

7,9

5,5

6,8

dont 50 et plus

7,2

4,1

5,3

% de salariés

20,0

5,7

14,3

Source : MES-DARES. PIPA 96

L'analyse de la DARES permet également de mettre en évidence deux facteurs d'accès à l'actionnariat :

- l'actionnariat salarié est plus pratiqué dans les grandes entreprises, mais reste fréquent dans les entreprises de moins de 50 salariés (souvent les entreprises de " matière grise " à forte croissance) ;

- l'accès à l'actionnariat est plus élevé lorsque l'entreprise pratique une politique dynamique d'épargne salariale .

L'enquête réalisée par Altédia tend d'ailleurs à confirmer cette analyse. Parmi les 150 entreprises cotées interrogées, 92 ont un actionnariat salarié.

La part du capital social détenu par les salariés représente environ 2 % pour les entreprises du CAC 40.

La COB estime que les salariés détiennent environ 2 % du capital des entreprises du CAC 40. Le tableau ci-dessous montre que, pour les sociétés ayant publié cette information dans leur rapport annuel, la part moyenne du capital détenu par les salariés est passée de 2,35 % au 31 décembre 1997 à 2,65 % au 31 décembre 1998. Cela semble donc confirmer la progression de l'actionnariat salarié, tout au moins parmi les sociétés du CAC 40.

Actionnariat salarié dans les entreprises du CAC 40

Sociétés

Part du capital détenu par les salariés

 

31/12/1997

31/12/1998

ACCOR

1 %

NI

AGF

5,48 %

3,77 %

AIR LIQUIDE

0,70 %

0,98 %

ALCATEL (1998)

--

1,63 %

ALCATEL ALSTHOM (1997)

2,2 %

---

AXA

NI

NI

BIC

NI

NI

BNP

NI

2,9 %

CANAL +

0,3 %

0,29 %

CAP GEMINI (1998)

---

NI

CARREFOUR

2,4 %

2,32 %

CCF

2,8 %

2,8 %

DANONE

0,9 %

NI

DEXIA FRANCE

0,3 %

NI

ELF AQUITAINE

5 %

5 %

ERIDANIA BEGHIN

NI

NI

FRANCE TELECOM

2,5 %

3,2 %

HAVAS (1997)

NI

---

L'ORÉAL

0,025%

NI

LAFARGE

3 %

3,5 %

LAGARDÈRE

3,8 %

NI

LEGRAND

NI

NI

LVMH

0,01 %

NI

MICHELIN

NI

NI

PARIBAS

NI

1,53 %

PEUGEOT

0,55 %

0,47 %

PINAULT-PRINTEMPS-REDOUTE

0,23 %

NI

PROMODÈS

1,4 %

1,3 %

RENAULT

4 %

3,24 %

RHÔNE-POULENC

3,8 %

3,3 %

SAINT-GOBAIN

2,8 %

3,4 %

SANOFI

1,42 %

Pas reçu

SCHNEIDER

4,3 %

4,2 %

SGS THOMSON (ST) MICRO (1997)

NI

---

SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

7,4 %

7,14 %

SODEXHO ALLIANCE (1998)

---

1,46 %

STMICROELECTRONICS (1998)

---

Pas reçu

SUEZ LYONNAISE DES EAUX

1 %

1 %

THOMSON CSF

NI

NI

TOTAL

3%

2,9

USINOR-SACILOR

3,6 %

4,9 %

VALEO

NI

NI

VIVENDI (EX. GENERALE DES EAUX)

1,94 %

2,4 %

MOYENNE 11( * )

2,35 %

2,65 %

Source : rapports annuels analysés par la COB

(NI : non indiqué)

La DARES a également tenté d'évaluer la part de capital détenu par les salariés dans les entreprises où existe l'actionnaire et où est pratiqué un système de partage du profit.

Pourcentage du capital social détenu par les salariés dans les firmes pratiquant l'actionnariat couplé à un système de partage de profit

Taille de l'entreprise
(en nombre de salariés)

Moins de 5 %

de 5 à 10 %

de 10 à 50 %

50 % et +

Moins de 10

22,5

3,0

34,5

40,0

10-49

26,0

7,7

26,0

40,2

50-99

42,5

9,2

24,1

24,1

100-199

50,4

11,5

26,5

11,5

200-499

60,4

13,2

18,9

7,5

500-1999

76,3

7,9

7,9

7,9

2000 et plus

75,9

13,8

3,4

6,9

Ensemble

35,8

7,9

25,7

30,6

% de salariés

76,8

13,4

5,0

4,7

Source : MES-DARES PIPA 96

Près des deux tiers des entreprises auraient un actionnariat salarié supérieur ou égal à 5 % du capital, lorsqu'elles ont signé un accord de participation ou d'intéressement.

Près du quart des salariés travailleraient dans une entreprise dont ils détiennent au moins 5 % du capital, pour peu que l'entreprise ait signé un accord de participation ou d'intéressement.

Ces résultats restent néanmoins difficilement exploitables. Ces données sont en effet biaisées par la présence de coopératives de production dans l'échantillon retenu. En revanche, ils permettent de constater que plus l'entreprise est importante, plus le capital social détenu par les salariés est faible. A l'inverse, la forte part du capital des petites sociétés détenu par les salariés semble devoir s'expliquer par la politique active de distribution menée par les entreprises de croissance à forte densité de " matière grise ".

On assiste à une forte croissance des émissions de titres de capital réservées aux salariés.

Les opérations de marché (introductions en bourse ou augmentations de capital) s'accompagnent de plus en plus fréquemment d'offres réservées aux salariés. Ainsi, en 1998, 58 émissions étaient réservées aux salariés sur un total de 536 opérations. Elles n'étaient que 40 en 1997. Ces opérations étaient concentrées sur le règlement mensuel.

Parallèlement, le montant des émissions réservées aux salariés a fortement augmenté, passe de 3,9 milliards de francs en 1996 à 6,9 milliards de francs en 1998.

Au total, les émissions réservées aux salariés représentaient, en 1998, 9,1 % du montant total des émissions de titres de capital.

Part des émissions réservées aux salariés dans les émissions de titres de capital

 

1998

1997

1996

Variation 98/97

Structure (%)

Millions de francs

Montant

(1)

Montant

(1)

Montant

(1)

%

1998

1997

I. Marché SBF

72.919,08

465

52.503,94

247

41.117,72

248

+ 38,9

95,5

98,1

Premier marché

68.053,42

305

49.708,26

148

37.224,75

157

+ 36,9

89,1

92,8

Règlement mensuel

67.309,87

267

46.136,22

112

35.352,22

113

+ 45,9

88,1

86,2

- Réservées aux salariés

6.941,37

48

4.748,68

36

3.904,14

36

+ 46,2

9,1

8,9

Comptant

743,54

38

3.572,04

36

1.872,53

44

- 79,2

1,07

6,7

- Réservées aux salariés

 
 
 
 

8,96

3

 
 
 

Second marché

4.865,66

160

2.795,68

99

3.892,97

91

+ 74,0

6,4

5,2

- Réservées aux salariés

8,33

6

12,10

3

9,91

5

- 31,2

0,0

0,0

II. Nouveau marché

3.470,97

71

1.038,85

27

1.270,56

18

+ 234,1

4,5

1,9

- Réservées aux salariés

5,36

3

0,05

1

3,59

2

+ 10.113,6

0,0

0,0

III. Total marchés réglementés

76.390,05

536

53.542,78

274

42.388,28

266

+ 42,7

100,0

100,0

- Réservées aux salariés

6.955,05

58

4.760,83

40

3.923,02

44

+ 46,1

9,1

8,9

Source : COB - SBF

(1) Nombre d'émetteurs concernés


La progression de l'actionnariat salarié se réalise principalement au travers de la très forte croissance des FCPE dont l'actif est investi en actions de l'entreprise.

L'actionnariat salarié peut être direct ou indirect. Il est direct si le salarié détient les actions de son entreprise hors des dispositifs d'épargne salariale ou s'il les détient sur son PEE sans qu'elles soient des parts de FCPE. Il est indirect si le salarié détient les actions de l'entreprise par l'intermédiaire de parts de FCPE.

L'actionnariat salarié est aujourd'hui principalement un actionnariat indirect, via les FCPE.

Or, on assiste actuellement à une très forte progression de l'épargne salariale investie en FCPE. L'encours des FCPE est ainsi passé de 49 à 232 milliards de francs en 10 ans.

Evolution du nombre et de l'encours des FCPE

 

1988

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Nombre de FCPE

3.772

3.943

3.820

3.803

3.669

3.477

3.610

Evolution en %

+ 3,7

- 3,0

- 3,1

- 0,4

- 3,5

- 5,2

+ 3,8

Encours en millions de francs

48.889

117.901

112.339

124.768

143.030

185.490

231.820

Evolution en %

+ 35,1

+ 28,3

- 4,7

+ 11,1

+ 14,6

+ 29,7

+ 25

Source : Commission des opérations de bourse

Cette évolution est le signe d'un fort développement de l'actionnariat salarié, dans la mesure où les FCPE sont de plus en plus composés d'actions de l'entreprise. Les actions de l'entreprise représentaient 15 % de l'actif net des FCPE en 1988. Elles en représentent 38 % en 1998. Au total, l'épargne salariale investie en actions de l'entreprise par l'intermédiaire des FCPE atteignait 88 milliards de francs fin 1998.

Il faut à cet égard observer que cette tendance ne concerne pas les seules sociétés cotées. En effet, parmi ces 83 milliards de francs, 77 milliards représentent des actions d'entreprises cotées et 11 milliards des entreprises non cotées.

Cette tendance semble devoir perdurer. Parmi les 234 nouveaux FCPE agréés par la COB en 1998, 47 % d'entre eux ont pour orientation de gestion d'être investis en titres de l'entreprise (30 % en actions cotées et 17 % en actions non cotées).

Evolution des actifs des FCPE

 

1988

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Evolution des actifs nets

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

Actif net

48.889

100

117.901

100

112.339

100

124.768

100

143.030

100

185.490

100

231.820

100

dont actions de l'entreprise

7.279

14,9

24.130

20,5

30.494

27,1

33.117

26,5

44.684

31,2

64.533

34,8

88.074

38

Source : Commission des opérations de bourse

Cette évolution rencontre incontestablement l'adhésion des salariés. La croissance des versements sur les FCPE s'explique en effet principalement par la forte hausse des versements volontaires des salariés . Ceux-ci ont atteint 18,7 milliards de francs en 1998 alors qu'ils n'étaient que de 7,3 milliards de francs en 1993. Les salariés se sont donc pleinement associés à la réorientation des FCPE vers l'actionnariat.

Versements et rachats sur les FCPE

Année

1988

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Montants exprimés

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

MF

%

Réserve spéciale de participation

5.946

65,1

10.138

52,4

9.536

41,6

10.494

44,8

12.526

40,1

9.751

30

13.688

29,6

Versements volontaires des salariés

2.105

24,9

7.330

37,9

11.090

48,4

8.859

37,9

8.304

26,6

11.585

35,7

18.719

40,6

Versements complémentaires des entreprises (abondements)

841

10

1.885

9,7

2.278

10

2.406

10,3

2.097

6,7

4.331

13,3

4.488

9,7

Autres versements

 
 
 
 
 
 

1.648

7

8.313

26,6

6.826

21

9.288

20,1

Total des versements bruts

8.442

100

19.353

100

22.904

100

23.407

100

31.240

100

32.493

100

46.183

100

Total des Rachats

7.016

17.722

18.741

18.010

20.038

15.535

30.017

Source : Commission des opérations de bourse

Les investigations réalisées par votre commission des Affaires sociales et votre rapporteur auprès d'une trentaine d'entreprises (sous forme d'audition ou de questionnaire écrit) corroborent ces analyses.

Ainsi, depuis 1995, se sont multipliées les opérations d'association des salariés au capital de leur entreprise. Ces opérations ont le plus souvent rencontré un vif succès chez les salariés et ont permis de conforter sensiblement leur rôle d'actionnaire.

Les privatisations ont, à l'évidence, joué un rôle moteur :

- Air-France a réalisé en 1998 deux opérations d'ouverture de son capital aux salariés : un échange " salaire-actions " pour les pilotes et une offre réservée aux salariés dans le cadre de l'ouverture du capital de la société. 72 % des salariés d'Air-France, mais aussi 40 % des salariés des filiales, 27 % des anciens salariés et des retraités et 47 % des salariés étrangers sont devenus actionnaires lors de cette dernière opération. La demande d'actions a été 2,5 fois supérieure à l'offre. A l'issue de ces opérations, les salariés détenaient 11,8 % du capital de l'entreprise, contre moins de 2 % en 1997.

- l'ouverture du capital de Thomson-CSF en 1998 a permis à 75 % des salariés français, mais aussi à 59 % des salariés étrangers et à 30 % des anciens salariés de devenir actionnaires de l'entreprise. La demande de titres a été supérieure à deux fois l'offre. Au total, les salariés ont ainsi pu acquérir 2 % du capital de l'entreprise (avec l'attribution d'actions gratuites).

- chez France-Télécom , les deux ouvertures du capital d'octobre 1997 et de novembre 1998 ont permis aux trois quarts des salariés du groupe d'acquérir des actions de leur entreprise. Les salariés détiennent désormais 3,2 % du capital du groupe et en constituent le second actionnaire après l'Etat.

- le Seita a réalisé trois opérations d'actionnariat salarié depuis 1995 : deux offres de souscription d'action en 1995 et 1996 au moment de l'ouverture du capital et une augmentation de capital réservée aux salariés adhérant au PEE en 1998. A l'issue de ces opérations, plus de 90 % des salariés ont acquis des titres de l'entreprise et en détiennent désormais 6,5 % du capital.

- l'ouverture du capital de Renault en novembre 1994 a permis à près de 70 % des salariés du groupe de devenir actionnaires. Ils détiennent au 31 décembre 1998 (après cession des actions gratuites par l'Etat) 3,24 % du capital de l'entreprise (dont 0,32 % détenu par des salariés non-résidents).

Mais ce développement de l'actionnariat salarié ne se limite pas aux seules privatisations. Ainsi, des entreprises privées (ou anciennement privatisées) ont également mené une politique d'actionnariat dynamique ces dernières années :

- Rhône-Poulenc a lancé quatre augmentations de capital réservées aux salariés entre 1995 et 1998. Plus de 90 % des salariés de Rhône-Poulenc en France détiennent des actions de leur entreprise pour un portefeuille moyen de 100.000 francs par personne. Ils représentent 3,3 % du capital. Il est à noter que ce développement de l'actionnariat salarié n'est pas seulement lié à la privatisation. Ainsi, plus de 60 % des salariés qui avaient placé dans une banque les actions acquises lors de la privatisation les ont revendues.

- Saint-Gobain a mis en place depuis 1988 un plan d'épargne groupe (PEG) composé exclusivement d'actions de l'entreprise. Alors que les salariés ne détenaient que 1 % du capital de l'entreprise en 1988, ils en détenaient plus de 4,5 % en juin 1999 (et 5,9 % des droits de vote).

- Vivendi a mis en place depuis trois ans un plan d'épargne groupe, prioritairement investi en actions de l'entreprise. En 1999, il a lancé l'opération " Pégase " permettant une souscription exceptionnelle d'actions de l'entreprise dans le cadre du PEG. Les deux tiers des salariés en ont profité pour acquérir des actions de leur entreprise. La part du capital détenu par les salariés est passée de 2,4 % à 3,27 % à l'issue de cette opération.

- depuis sa privatisation en 1994, Elf-Aquitaine a réalisé trois augmentations de capital réservées aux salariés. Les salariés détiennent aujourd'hui 5 % du capital de l'entreprise.

Cette tendance ne concerne pas seulement les grandes entreprises. Les PME sont également parties prenantes, notamment celles de " matière grise " :

- Prologue Software , ancienne filiale à 100 % de Bull, a ainsi fait l'objet d'un RES en 1991. Après le RES, les salariés détenaient 40 % du capital et 57 % des droits de vote de la société holding contrôlant l'entreprise. La sortie du RES s'est effectuée en 1998 par une introduction au nouveau marché. Toutefois, afin de maintenir l'actionnariat des salariés, la société a décidé de créer un FCPE exclusivement investi en actions de la société. Les salariés sont actuellement détenteurs de 24,5 % du capital.

- Genset , créée en 1989 et première société de biotechnologie cotée depuis 1996, a 20 % de son capital détenu par les salariés.

Si l'actionnariat salarié a connu un développement récent, certaines entreprises pratiquent cependant depuis très longtemps l'association de leurs salariés à leur capital :

- Auchan , société non cotée, a créé, dès 1977, un FCPE " Valauchan " investi à 80 % en titres de l'entreprise. L'encours de ce FCPE est actuellement de 5,2 milliards de francs. 95 % des salariés (soit 48.000 personnes) sont actuellement porteurs de parts de ce FCPE pour un patrimoine moyen de 110.000 francs. Ils détiennent, par son intermédiaire, 14 % du capital de l'entreprise.

- Pernod-Ricard a également une longue tradition d'actionnariat salarié, répondant à la volonté de son créateur Paul Ricard. Aujourd'hui, chaque filiale du groupe possède un FCPE essentiellement investi en action du groupe. La société cherche à développer les FCPE investis en action de l'entreprise, en menant une politique incitative d'abondement. Le personnel détient entre 4 et 5 % du capital de l'entreprise.

- Bouygues possède également un FCPE investi très majoritairement en actions de l'entreprise depuis 1970. Par son intermédiaire, les salariés détiennent 6 % du capital et 10 % des droits de vote.

b) L'apparition d'expériences innovantes

Cette dynamique de l'actionnariat salarié est notamment alimentée par certains facteurs nouveaux qui contribuent à son développement.

Les incitations en faveur des FCPE dont l'actif est investi en actions de l'entreprise

Comme en témoignent les statistiques de la COB, les FCPE dont l'actif est prioritairement investi en actions de l'entreprise se développent rapidement. On observe en effet une réorientation de l'épargne salariale vers ce type de FCPE, du fait de la politique d'incitation menée par les entreprises .

Dans le cadre de leur PEE ou de leur PEG, les entreprises offrent des supports diversifiés aux salariés pour placer leur épargne salariale, mais la plupart d'entre elles cherchent à l'orienter vers les FCPE investis principalement ou totalement en actions de la société en modulant l'abondement.

Ainsi, certaines entreprises ne pratiquent l'abondement que pour les versements effectués sur les FCPE investis en actions de l'entreprise : c'est le cas d'entreprises comme Alcatel, Rhône-Poulenc.

D'autres ont choisi de moduler leur abondement en fonction de l'affectation des versements des salariés, l'abondement étant plus élevé pour les versements sur les FCPE investis en actions de l'entreprise : c'est le cas pour la Seita ou Carrefour.

D'autres enfin n'ont mis en place que des FCPE investis en actions de l'entreprise (totalement ou principalement) : il s'agit par exemple de Saint-Gobain, de la Sagem, de Bouygues ou d'Auchan.

Les opérations avec " effet de levier " et " garantie "

Récemment, certaines entreprises, comme France-Télécom, Vivendi ou Suez-Lyonnaise des Eaux, ont souhaité permettre à leurs salariés d'investir dans des opérations d'actionnariat salarié en bénéficiant d'un prêt bancaire complémentaire sans intérêt.

Cet " effet de levier " ou " effet multiplicateur " permet d'augmenter l'épargne salariale affectée à la souscription d'action. Le prêt complémentaire permet de financer une souscription pour dix fois son montant (cas des opérations " Spring " de Suez-Lyonnaise des Eaux ou " Pégase " de Vivendi).

Ce financement s'accompagne le plus souvent d'une garantie de capital ou de performance. En contrepartie, le banquier se rémunère (prêt et " garantie ") en conservant une partie de la plus-value réalisée par l'action, mais supporte l'intégralité du risque en capital.

Une opération à " effet de levier " :

l'exemple de l'opération " Pégase " de Vivendi en mars 1999

Le " Plan d'épargne groupe à souscription exceptionnel " (PEGASE) mis en place par le groupe Vivendi comprend trois niveaux de souscription (1.000, 2.000, 4.000 francs), payables de manière échelonnée et sans frais pendant 20 mois. Cet apport est aidé par l'entreprise à travers un abondement uniforme de 500 francs. Cette somme initiale (apport du salarié et abondement de l'entreprise) sert à financer une souscription d'actions pour dix fois son montant au moyen d'un prêt bancaire sans intérêt. L'opération proposée aux salariés est sans risque de perte en capital pour le salarié puisque l'entreprise garantit une rémunération de 5 % par an de la mise initiale en cas de baisse ou de stabilité du titre. Si l'action a dépassé cette rémunération, la plus-value réalisée au bout de cinq ans est partagée entre le salarié actionnaire (60 %) et la banque conseil qui assure la prise en charge du risque (40 %).

Dans son rapport 1998, la COB observe que, dans le cadre d'une opération à effet de levier ou non, " les FCPE assortis d'une garantie de capital et/ou de performance ou d'une protection du capital sont de plus en plus nombreux et sophistiqués ".

Ces " garanties " peuvent d'ailleurs être dissociées des opérations à effet de levier. Ainsi, Carrefour a mis en place un FCPE composé exclusivement d'actions Carrefour, avec garantie de capital à l'issue du blocage de 5 ans. Les possibilités de souscription dans ce fonds sont néanmoins limitées, la direction décidant de l'ouverture de fenêtres de souscription.

L'épargne salariale à long terme, investie notamment en titres de l'entreprise, progresse.

Face aux sombres perspectives du système français de retraite 12( * ) , de nombreux salariés ont estimé que l'épargne salariale pouvait permettre de se constituer un capital, susceptible d'être, à partir de la retraite, utilisé comme complément de retraite. Pour répondre à cette demande, plusieurs entreprises ont mis en place des plans d'épargne entreprise à long terme . La COB 13( * ) observe à ce propos que " les entreprises sont de plus en plus nombreuses à recourir aux mécanismes de l'épargne salariale et à donner la possibilité aux salariés de transformer celle-ci en épargne longue. Ainsi, des gammes de " FCPE retraite " ont-elles été proposées aux salariés de nombreuses entreprises, dans le cadre de plans d'épargne d'entreprise à long terme, comportant une durée de blocage des avoirs pouvant aller jusqu'à 30 ans ".

Parmi ces entreprises, on peut citer Usinor, PSA Peugeot-Citroën, la Sagem, Rhône-Poulenc ou Saint-Gobain.

- Usinor a ainsi mis en place, à la suite d'un accord paritaire en 1988, un FCPE bloqué 10 ans afin de permettre aux salariés de se constituer, à titre individuel, un complément de retraite. Ce FCPE est le seul dont les versements du salarié soient abondés par l'entreprise. Environ 5.000 salariés effectuent des versements réguliers sur ce FCPE.

- Saint-Gobain a scindé, en 1997, le FCPE gérant les avoirs du PEG en deux FCPE. L'un de ces FCPE est un plan à 10 ans qui a pour objectif de permettre aux salariés qui le souhaitent de se constituer une épargne à long terme notamment en vue du départ à la retraite. Les versements sur ce FCPE sont plus fortement abondés par l'entreprise que ceux sur le FCPE à 5 ans.

- PSA a créé en 1999 un plan d'épargne à long terme d'une durée de 40 ans. L'abondement de l'entreprise est de 50 % dans la limite de 15.000 francs par salarié, abondement plus élevé que celui prévu dans le cadre du PEE préexistant : 3.500 salariés (sur 90.000) ont adhéré à ce plan d'épargne à long terme.

Or, le développement de l'épargne salariale à long terme n'est pas sans effet sur celui de l'actionnariat salarié car cette épargne est en partie investie en titres de l'entreprise.

La Sagem a créé un FCPE " long terme " d'une durée de blocage de 8 à 10 ans, ce fonds étant majoritairement investi en actions de l'entreprise.

En 1997, Rhône-Poulenc a créé, parallèlement au PEE existant et par voie d'accord collectif, un plan d'épargne long terme composé de fonds diversifiés avec un blocage de 8 ans. Les versements du salarié sont abondés par l'entreprise, l'abondement étant obligatoirement investi pendant 5 ans en actions de l'entreprise.

Les plans d'options sur actions commencent à se " démocratiser ".

Selon une récente enquête de la DARES 14( * ) , la moitié des entreprises cotées en bourse utilisent des stock-options.

Mais ce développement des stock-options témoigne également de l'amorce d'un mouvement de généralisation. Traditionnellement réservées aux cadres dirigeants et aux cadres, elles ne répondaient qu'imparfaitement à la logique participative de l'actionnariat salarié qui suppose que l'ensemble du personnel ait la possibilité de devenir actionnaire de son entreprise. Cette conception élitiste tend à s'estomper : désormais, comme l'observe la DARES, " 15 % des entreprises attribuent des actions à tout leur personnel " et " cette pratique semble se diffuser dans les services ".

Les stock-options semblent en effet devenir un moyen d'attirer et de fidéliser les salariés. Plus encore, dans les entreprises de croissance, elles sont un instrument de la politique salariale : ces entreprises étant jeunes et ne réalisant bien souvent qu'un faible résultat, elles ne peuvent offrir à leurs salariés un salaire équivalent à celui du marché. Aussi, elles leur attribuent des stock-options qui peuvent être conçus à la fois comme un salaire différé et une rémunération du risque.

Dès lors, cette nouvelle politique d'attribution des stock-options permettrait sinon de raffermir l'actionnariat salarié, du moins de faire progresser l'actionnariat salarié latent.

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