II. LES FORMES D'UN RENOUVEAU
A. LE RENFORCEMENT ACTUEL DE L'ACTIONNARIAT SALARIÉ
Le développement actuel de l'actionnariat salarié est évident même s'il est difficilement quantifiable. Il s'agit d'un mouvement sensible et diversifié, qui répond à une série d'évolutions convergentes.
1. Un mouvement sensible et diversifié
Si
depuis quelques mois, la presse fait régulièrement écho de
la " progression ", des " succès ", du
" boom ", de la " cote ", de la " nouvelle
donne " de l'actionnariat salarié, cette tendance évidente
n'en reste pas moins difficilement quantifiable. Il apparaît cependant
qu'elle puisse se vérifier à deux niveaux bien distincts :
- la progression de l'actionnariat salarié semble être une
tendance lourde ;
- elle s'accompagne de nombreuses expériences innovantes
destinées à le favoriser ou à le stabiliser.
a) Une croissance significative, mais difficilement mesurable
En
l'absence d'indicateurs statistiques synthétiques de l'actionnariat
salarié, quatre sources d'informations principales permettent de mieux
cerner cette évolution :
- la DARES, du ministère de l'emploi, réalise chaque
enquête dite PIPA (Participation, Intéressement, Plan
d'épargne entreprise, Actionnariat salarié) auprès de
35.000 entreprises environ, ayant signé un accord de participation ou
d'intéressement. Cette enquête, reprise dans les rapports du
Conseil supérieur de la participation, comporte désormais un
questionnaire spécifique sur l'actionnariat salarié ;
- l'INSEE réalise chaque année une enquête sur le
patrimoine des ménages. Cette enquête permet de recenser le nombre
de ménages possédant des actions de leurs entreprises ;
- la COB est également une source précieuse d'information.
Son rapport annuel apporte des indications sur l'évolution du nombre, de
l'encours et de la structure des FCPE (dans lesquels sont logées la
plupart des actions de leur entreprise détenues par les salariés)
ainsi que sur les opérations réservées aux salariés
sur les marchés financiers ;
- enfin, des enquêtes plus ponctuelles peuvent apporter un
éclairage pertinent sur l'actionnariat salarié
10(
*
)
.
La confrontation de ces quatre sources d'information confirme la progression
actuelle de l'actionnariat salarié en permettant d'identifier plusieurs
signes de son développement. Elles laissent également
suggérer que ce mouvement doive se poursuivre.
•
Le nombre de salariés actionnaires de leur entreprise
serait actuellement supérieur à 700.000.
L'enquête "
Patrimoine des ménages
"
réalisée par l'INSEE en 1997 évolue à 3 % la
proportion des ménages qui possèdent des actions de leur
entreprise. Cela correspond alors à environ 700.000 ménages.
La Fédération française des associations d'actionnaires
salariés et anciens salariés retient également le chiffre
de 700.000 salariés actionnaires de leur entreprise.
L'enquête de l'institut IPSOS Opinion tend cependant à majorer
sensiblement ce chiffre. Elle évalue en effet à 12 % le nombre de
salariés actionnaires de leur entreprise.
•
Le nombre d'entreprises ayant mis en place un actionnariat
salarié reste difficilement quantifiable.
Selon la DARES, près de 7 % des 27.500 entreprises ayant mis en place un
système de partage des profits (participation ou intéressement)
pratiquaient une politique d'actionnariat salarié en 1996. 15 % des
5,5 millions de salariés de ces entreprises auraient alors
accès à un dispositif d'actionnariat, pour peu qu'ils travaillent
dans une entreprise pratiquant l'intéressement ou la participation.
Fréquence de l'actionnariat dans les entreprises
pratiquant
au moins un système de partage du profit en
1996
Taille de l'entreprise (nombre de salariés) |
% d'entreprises avec intéressement |
% d'entreprises sans intéressement |
Ensemble |
Moins de 10 |
7,0 |
9,7 |
7,5 |
10-49 |
9,1 |
10,7 |
9,5 |
50-99 |
7,4 |
4,3 |
5,2 |
100-199 |
5,2 |
4,3 |
4,6 |
200-499 |
5,9 |
2,7 |
4,1 |
500-1999 |
8,7 |
4,4 |
6,9 |
2000 et plus |
20,4 |
10,8 |
17,2 |
Ensemble |
7,9 |
5,5 |
6,8 |
dont 50 et plus |
7,2 |
4,1 |
5,3 |
% de salariés |
20,0 |
5,7 |
14,3 |
Source : MES-DARES. PIPA 96
L'analyse de la DARES permet également de mettre en évidence deux
facteurs d'accès à l'actionnariat :
-
l'actionnariat salarié est plus pratiqué dans les
grandes entreprises, mais reste fréquent dans les entreprises de moins
de 50 salariés
(souvent les entreprises de " matière
grise " à forte croissance) ;
-
l'accès à l'actionnariat est plus élevé
lorsque l'entreprise pratique une politique dynamique d'épargne
salariale
.
L'enquête réalisée par Altédia tend d'ailleurs
à confirmer cette analyse. Parmi les 150 entreprises cotées
interrogées, 92 ont un actionnariat salarié.
•
La part du capital social détenu par les
salariés représente environ 2 % pour les entreprises du CAC
40.
La COB estime que les salariés détiennent environ 2 % du capital
des entreprises du CAC 40. Le tableau ci-dessous montre que, pour les
sociétés ayant publié cette information dans leur rapport
annuel, la part moyenne du capital détenu par les salariés est
passée de 2,35 % au 31 décembre 1997 à 2,65 % au 31
décembre 1998. Cela semble donc confirmer la progression de
l'actionnariat salarié, tout au moins parmi les sociétés
du CAC 40.
Actionnariat salarié dans les entreprises du CAC 40
Sociétés |
Part du capital détenu par les salariés |
|
|
31/12/1997 |
31/12/1998 |
ACCOR |
1 % |
NI |
AGF |
5,48 % |
3,77 % |
AIR LIQUIDE |
0,70 % |
0,98 % |
ALCATEL (1998) |
-- |
1,63 % |
ALCATEL ALSTHOM (1997) |
2,2 % |
--- |
AXA |
NI |
NI |
BIC |
NI |
NI |
BNP |
NI |
2,9 % |
CANAL + |
0,3 % |
0,29 % |
CAP GEMINI (1998) |
--- |
NI |
CARREFOUR |
2,4 % |
2,32 % |
CCF |
2,8 % |
2,8 % |
DANONE |
0,9 % |
NI |
DEXIA FRANCE |
0,3 % |
NI |
ELF AQUITAINE |
5 % |
5 % |
ERIDANIA BEGHIN |
NI |
NI |
FRANCE TELECOM |
2,5 % |
3,2 % |
HAVAS (1997) |
NI |
--- |
L'ORÉAL |
0,025% |
NI |
LAFARGE |
3 % |
3,5 % |
LAGARDÈRE |
3,8 % |
NI |
LEGRAND |
NI |
NI |
LVMH |
0,01 % |
NI |
MICHELIN |
NI |
NI |
PARIBAS |
NI |
1,53 % |
PEUGEOT |
0,55 % |
0,47 % |
PINAULT-PRINTEMPS-REDOUTE |
0,23 % |
NI |
PROMODÈS |
1,4 % |
1,3 % |
RENAULT |
4 % |
3,24 % |
RHÔNE-POULENC |
3,8 % |
3,3 % |
SAINT-GOBAIN |
2,8 % |
3,4 % |
SANOFI |
1,42 % |
Pas reçu |
SCHNEIDER |
4,3 % |
4,2 % |
SGS THOMSON (ST) MICRO (1997) |
NI |
--- |
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE |
7,4 % |
7,14 % |
SODEXHO ALLIANCE (1998) |
--- |
1,46 % |
STMICROELECTRONICS (1998) |
--- |
Pas reçu |
SUEZ LYONNAISE DES EAUX |
1 % |
1 % |
THOMSON CSF |
NI |
NI |
TOTAL |
3% |
2,9 |
USINOR-SACILOR |
3,6 % |
4,9 % |
VALEO |
NI |
NI |
VIVENDI (EX. GENERALE DES EAUX) |
1,94 % |
2,4 % |
MOYENNE 11( * ) |
2,35 % |
2,65 % |
Source : rapports annuels analysés par la COB
(NI : non indiqué)
La DARES a également tenté d'évaluer la part de capital détenu par les salariés dans les entreprises où existe l'actionnaire et où est pratiqué un système de partage du profit.
Pourcentage du capital social détenu par les salariés dans les firmes pratiquant l'actionnariat couplé à un système de partage de profit
Taille de
l'entreprise
|
Moins de 5 % |
de 5 à 10 % |
de 10 à 50 % |
50 % et + |
Moins de 10 |
22,5 |
3,0 |
34,5 |
40,0 |
10-49 |
26,0 |
7,7 |
26,0 |
40,2 |
50-99 |
42,5 |
9,2 |
24,1 |
24,1 |
100-199 |
50,4 |
11,5 |
26,5 |
11,5 |
200-499 |
60,4 |
13,2 |
18,9 |
7,5 |
500-1999 |
76,3 |
7,9 |
7,9 |
7,9 |
2000 et plus |
75,9 |
13,8 |
3,4 |
6,9 |
Ensemble |
35,8 |
7,9 |
25,7 |
30,6 |
% de salariés |
76,8 |
13,4 |
5,0 |
4,7 |
Source : MES-DARES PIPA 96
Près des deux tiers des entreprises auraient un actionnariat
salarié supérieur ou égal à 5 % du capital,
lorsqu'elles ont signé un accord de participation ou
d'intéressement.
Près du quart des salariés travailleraient dans une entreprise
dont ils détiennent au moins 5 % du capital, pour peu que
l'entreprise ait signé un accord de participation ou
d'intéressement.
Ces résultats restent néanmoins difficilement exploitables. Ces
données sont en effet biaisées par la présence de
coopératives de production dans l'échantillon retenu. En
revanche, ils permettent de constater que plus l'entreprise est importante,
plus le capital social détenu par les salariés est faible. A
l'inverse, la forte part du capital des petites sociétés
détenu par les salariés semble devoir s'expliquer par la
politique active de distribution menée par les entreprises de croissance
à forte densité de " matière grise ".
•
On assiste à une forte croissance des émissions
de titres de capital réservées aux salariés.
Les opérations de marché (introductions en bourse ou
augmentations de capital) s'accompagnent de plus en plus fréquemment
d'offres réservées aux salariés. Ainsi, en 1998, 58
émissions étaient réservées aux salariés sur
un total de 536 opérations. Elles n'étaient que 40 en 1997. Ces
opérations étaient concentrées sur le règlement
mensuel.
Parallèlement, le montant des émissions réservées
aux salariés a fortement augmenté, passe de 3,9 milliards de
francs en 1996 à 6,9 milliards de francs en 1998.
Au total, les émissions réservées aux salariés
représentaient, en 1998, 9,1 % du montant total des
émissions de titres de capital.
Part des émissions réservées aux salariés dans les émissions de titres de capital
|
1998 |
1997 |
1996 |
Variation 98/97 |
Structure (%) |
||||||||||||||
Millions de francs |
Montant |
(1) |
Montant |
(1) |
Montant |
(1) |
% |
1998 |
1997 |
||||||||||
I. Marché SBF |
72.919,08 |
465 |
52.503,94 |
247 |
41.117,72 |
248 |
+ 38,9 |
95,5 |
98,1 |
||||||||||
Premier marché |
68.053,42 |
305 |
49.708,26 |
148 |
37.224,75 |
157 |
+ 36,9 |
89,1 |
92,8 |
||||||||||
Règlement mensuel |
67.309,87 |
267 |
46.136,22 |
112 |
35.352,22 |
113 |
+ 45,9 |
88,1 |
86,2 |
||||||||||
- Réservées aux salariés |
6.941,37 |
48 |
4.748,68 |
36 |
3.904,14 |
36 |
+ 46,2 |
9,1 |
8,9 |
||||||||||
Comptant |
743,54 |
38 |
3.572,04 |
36 |
1.872,53 |
44 |
- 79,2 |
1,07 |
6,7 |
||||||||||
- Réservées aux salariés |
|
|
|
|
8,96 |
3 |
|
|
|
||||||||||
Second marché |
4.865,66 |
160 |
2.795,68 |
99 |
3.892,97 |
91 |
+ 74,0 |
6,4 |
5,2 |
||||||||||
- Réservées aux salariés |
8,33 |
6 |
12,10 |
3 |
9,91 |
5 |
- 31,2 |
0,0 |
0,0 |
||||||||||
II. Nouveau marché |
3.470,97 |
71 |
1.038,85 |
27 |
1.270,56 |
18 |
+ 234,1 |
4,5 |
1,9 |
||||||||||
- Réservées aux salariés |
5,36 |
3 |
0,05 |
1 |
3,59 |
2 |
+ 10.113,6 |
0,0 |
0,0 |
||||||||||
III. Total marchés réglementés |
76.390,05 |
536 |
53.542,78 |
274 |
42.388,28 |
266 |
+ 42,7 |
100,0 |
100,0 |
||||||||||
- Réservées aux salariés |
6.955,05 |
58 |
4.760,83 |
40 |
3.923,02 |
44 |
+ 46,1 |
9,1 |
8,9 |
Source : COB - SBF
(1) Nombre d'émetteurs concernés
•
La progression de l'actionnariat salarié se
réalise principalement au travers de la très forte croissance des
FCPE dont l'actif est investi en actions de l'entreprise.
L'actionnariat salarié peut être direct ou indirect. Il est direct
si le salarié détient les actions de son entreprise hors des
dispositifs d'épargne salariale ou s'il les détient sur son PEE
sans qu'elles soient des parts de FCPE. Il est indirect si le salarié
détient les actions de l'entreprise par l'intermédiaire de parts
de FCPE.
L'actionnariat salarié est aujourd'hui principalement un actionnariat
indirect, via les FCPE.
Or, on assiste actuellement à une très forte progression de
l'épargne salariale investie en FCPE. L'encours des FCPE est ainsi
passé de 49 à 232 milliards de francs en 10 ans.
Evolution du nombre et de l'encours des FCPE
|
1988 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
Nombre de FCPE |
3.772 |
3.943 |
3.820 |
3.803 |
3.669 |
3.477 |
3.610 |
Evolution en % |
+ 3,7 |
- 3,0 |
- 3,1 |
- 0,4 |
- 3,5 |
- 5,2 |
+ 3,8 |
Encours en millions de francs |
48.889 |
117.901 |
112.339 |
124.768 |
143.030 |
185.490 |
231.820 |
Evolution en % |
+ 35,1 |
+ 28,3 |
- 4,7 |
+ 11,1 |
+ 14,6 |
+ 29,7 |
+ 25 |
Source : Commission des opérations de bourse
Cette évolution est le signe d'un fort développement de
l'actionnariat salarié, dans la mesure où les FCPE sont de plus
en plus composés d'actions de l'entreprise. Les actions de l'entreprise
représentaient 15 % de l'actif net des FCPE en 1988. Elles en
représentent 38 % en 1998.
Au total, l'épargne salariale
investie en actions de l'entreprise par l'intermédiaire des FCPE
atteignait 88 milliards de francs fin 1998.
Il faut à cet égard observer que cette tendance ne concerne pas
les seules sociétés cotées. En effet, parmi ces 83
milliards de francs, 77 milliards représentent des actions d'entreprises
cotées et 11 milliards des entreprises non cotées.
Cette tendance semble devoir perdurer. Parmi les 234 nouveaux FCPE
agréés par la COB en 1998, 47 % d'entre eux ont pour orientation
de gestion d'être investis en titres de l'entreprise (30 % en
actions cotées et 17 % en actions non cotées).
Evolution des actifs des FCPE
|
1988 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
||||||||||||||||||||||
Evolution des actifs nets |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
|||||||||||||||
Actif net |
48.889 |
100 |
117.901 |
100 |
112.339 |
100 |
124.768 |
100 |
143.030 |
100 |
185.490 |
100 |
231.820 |
100 |
|||||||||||||||
dont actions de l'entreprise |
7.279 |
14,9 |
24.130 |
20,5 |
30.494 |
27,1 |
33.117 |
26,5 |
44.684 |
31,2 |
64.533 |
34,8 |
88.074 |
38 |
Source : Commission des opérations de bourse
Cette évolution rencontre incontestablement l'adhésion des
salariés. La croissance des versements sur les FCPE s'explique en effet
principalement par la
forte hausse des versements volontaires des
salariés
. Ceux-ci ont atteint 18,7 milliards de francs en 1998
alors qu'ils n'étaient que de 7,3 milliards de francs en 1993. Les
salariés se sont donc pleinement associés à la
réorientation des FCPE vers l'actionnariat.
Versements et rachats sur les FCPE
Année |
1988 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
|||||||
Montants exprimés |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
MF |
% |
Réserve spéciale de participation |
5.946 |
65,1 |
10.138 |
52,4 |
9.536 |
41,6 |
10.494 |
44,8 |
12.526 |
40,1 |
9.751 |
30 |
13.688 |
29,6 |
Versements volontaires des salariés |
2.105 |
24,9 |
7.330 |
37,9 |
11.090 |
48,4 |
8.859 |
37,9 |
8.304 |
26,6 |
11.585 |
35,7 |
18.719 |
40,6 |
Versements complémentaires des entreprises (abondements) |
841 |
10 |
1.885 |
9,7 |
2.278 |
10 |
2.406 |
10,3 |
2.097 |
6,7 |
4.331 |
13,3 |
4.488 |
9,7 |
Autres versements |
|
|
|
|
|
|
1.648 |
7 |
8.313 |
26,6 |
6.826 |
21 |
9.288 |
20,1 |
Total des versements bruts |
8.442 |
100 |
19.353 |
100 |
22.904 |
100 |
23.407 |
100 |
31.240 |
100 |
32.493 |
100 |
46.183 |
100 |
Total des Rachats |
7.016 |
17.722 |
18.741 |
18.010 |
20.038 |
15.535 |
30.017 |
Source : Commission des opérations de bourse
Les investigations réalisées par votre commission des Affaires
sociales et votre rapporteur auprès d'une trentaine d'entreprises (sous
forme d'audition ou de questionnaire écrit) corroborent ces analyses.
Ainsi, depuis 1995, se sont multipliées les opérations
d'association des salariés au capital de leur entreprise. Ces
opérations ont le plus souvent rencontré un vif succès
chez les salariés et ont permis de conforter sensiblement leur
rôle d'actionnaire.
Les privatisations ont, à l'évidence, joué un rôle
moteur :
-
Air-France
a réalisé en 1998 deux opérations
d'ouverture de son capital aux salariés : un échange
" salaire-actions " pour les pilotes et une offre
réservée aux salariés dans le cadre de l'ouverture du
capital de la société. 72 % des salariés
d'Air-France, mais aussi 40 % des salariés des filiales, 27 %
des anciens salariés et des retraités et 47 % des
salariés étrangers sont devenus actionnaires lors de cette
dernière opération. La demande d'actions a été 2,5
fois supérieure à l'offre. A l'issue de ces opérations,
les salariés détenaient 11,8 % du capital de l'entreprise,
contre moins de 2 % en 1997.
- l'ouverture du capital de
Thomson-CSF
en 1998 a permis à
75 % des salariés français, mais aussi à 59 %
des salariés étrangers et à 30 % des anciens
salariés de devenir actionnaires de l'entreprise. La demande de titres a
été supérieure à deux fois l'offre. Au total, les
salariés ont ainsi pu acquérir 2 % du capital de
l'entreprise (avec l'attribution d'actions gratuites).
- chez
France-Télécom
, les deux ouvertures du capital
d'octobre 1997 et de novembre 1998 ont permis aux trois quarts des
salariés du groupe d'acquérir des actions de leur entreprise. Les
salariés détiennent désormais 3,2 % du capital du
groupe et en constituent le second actionnaire après l'Etat.
- le
Seita
a réalisé trois opérations
d'actionnariat salarié depuis 1995 : deux offres de souscription
d'action en 1995 et 1996 au moment de l'ouverture du capital et une
augmentation de capital réservée aux salariés
adhérant au PEE en 1998. A l'issue de ces opérations, plus de
90 % des salariés ont acquis des titres de l'entreprise et en
détiennent désormais 6,5 % du capital.
- l'ouverture du capital de
Renault
en novembre 1994 a permis
à près de 70 % des salariés du groupe de devenir
actionnaires. Ils détiennent au 31 décembre 1998
(après cession des actions gratuites par l'Etat) 3,24 % du capital
de l'entreprise (dont 0,32 % détenu par des salariés
non-résidents).
Mais ce développement de l'actionnariat salarié ne se limite pas
aux seules privatisations. Ainsi, des entreprises privées (ou
anciennement privatisées) ont également mené une politique
d'actionnariat dynamique ces dernières années :
-
Rhône-Poulenc
a lancé quatre augmentations de
capital réservées aux salariés entre 1995 et 1998. Plus de
90 % des salariés de Rhône-Poulenc en France
détiennent des actions de leur entreprise pour un portefeuille moyen de
100.000 francs par personne. Ils représentent 3,3 % du capital. Il
est à noter que ce développement de l'actionnariat salarié
n'est pas seulement lié à la privatisation. Ainsi, plus de
60 % des salariés qui avaient placé dans une banque les
actions acquises lors de la privatisation les ont revendues.
-
Saint-Gobain
a mis en place depuis 1988 un plan d'épargne
groupe (PEG) composé exclusivement d'actions de l'entreprise. Alors que
les salariés ne détenaient que 1 % du capital de
l'entreprise en 1988, ils en détenaient plus de 4,5 % en juin 1999
(et 5,9 % des droits de vote).
-
Vivendi
a mis en place depuis trois ans un plan d'épargne
groupe, prioritairement investi en actions de l'entreprise. En 1999, il a
lancé l'opération " Pégase " permettant une
souscription exceptionnelle d'actions de l'entreprise dans le cadre du PEG. Les
deux tiers des salariés en ont profité pour acquérir des
actions de leur entreprise. La part du capital détenu par les
salariés est passée de 2,4 % à 3,27 % à
l'issue de cette opération.
- depuis sa privatisation en 1994,
Elf-Aquitaine
a
réalisé trois augmentations de capital réservées
aux salariés. Les salariés détiennent aujourd'hui 5 %
du capital de l'entreprise.
Cette tendance ne concerne pas seulement les grandes entreprises. Les PME sont
également parties prenantes, notamment celles de " matière
grise " :
-
Prologue Software
, ancienne filiale à 100 % de Bull,
a ainsi fait l'objet d'un RES en 1991. Après le RES, les salariés
détenaient 40 % du capital et 57 % des droits de vote de la
société holding contrôlant l'entreprise. La sortie du RES
s'est effectuée en 1998 par une introduction au nouveau marché.
Toutefois, afin de maintenir l'actionnariat des salariés, la
société a décidé de créer un FCPE
exclusivement investi en actions de la société. Les
salariés sont actuellement détenteurs de 24,5 % du capital.
-
Genset
, créée en 1989 et première
société de biotechnologie cotée depuis 1996, a 20 %
de son capital détenu par les salariés.
Si l'actionnariat salarié a connu un développement récent,
certaines entreprises pratiquent cependant depuis très longtemps
l'association de leurs salariés à leur capital :
-
Auchan
, société non cotée, a
créé, dès 1977, un FCPE " Valauchan " investi
à 80 % en titres de l'entreprise. L'encours de ce FCPE est
actuellement de 5,2 milliards de francs. 95 % des salariés
(soit 48.000 personnes) sont actuellement porteurs de parts de ce FCPE pour un
patrimoine moyen de 110.000 francs. Ils détiennent, par son
intermédiaire, 14 % du capital de l'entreprise.
-
Pernod-Ricard
a également une longue tradition
d'actionnariat salarié, répondant à la volonté de
son créateur Paul Ricard. Aujourd'hui, chaque filiale du groupe
possède un FCPE essentiellement investi en action du groupe. La
société cherche à développer les FCPE investis en
action de l'entreprise, en menant une politique incitative d'abondement. Le
personnel détient entre 4 et 5 % du capital de l'entreprise.
-
Bouygues
possède également un FCPE investi
très majoritairement en actions de l'entreprise depuis 1970. Par son
intermédiaire, les salariés détiennent 6 % du capital
et 10 % des droits de vote.
b) L'apparition d'expériences innovantes
Cette
dynamique de l'actionnariat salarié est notamment alimentée par
certains facteurs nouveaux qui contribuent à son développement.
•
Les incitations en faveur des FCPE dont l'actif est investi en
actions de l'entreprise
Comme en témoignent les statistiques de la COB, les FCPE dont l'actif
est prioritairement investi en actions de l'entreprise se développent
rapidement.
On observe en effet une réorientation de l'épargne
salariale vers ce type de FCPE, du fait de la politique d'incitation
menée par les entreprises
.
Dans le cadre de leur PEE ou de leur PEG, les entreprises offrent des supports
diversifiés aux salariés pour placer leur épargne
salariale, mais la plupart d'entre elles cherchent à l'orienter vers les
FCPE investis principalement ou totalement en actions de la
société en modulant l'abondement.
Ainsi, certaines entreprises ne pratiquent l'abondement que pour les versements
effectués sur les FCPE investis en actions de l'entreprise : c'est
le cas d'entreprises comme Alcatel, Rhône-Poulenc.
D'autres ont choisi de moduler leur abondement en fonction de l'affectation des
versements des salariés, l'abondement étant plus
élevé pour les versements sur les FCPE investis en actions de
l'entreprise : c'est le cas pour la Seita ou Carrefour.
D'autres enfin n'ont mis en place que des FCPE investis en actions de
l'entreprise (totalement ou principalement) : il s'agit par exemple de
Saint-Gobain, de la Sagem, de Bouygues ou d'Auchan.
•
Les opérations avec " effet de levier " et
" garantie "
Récemment, certaines entreprises, comme France-Télécom,
Vivendi ou Suez-Lyonnaise des Eaux, ont souhaité permettre à
leurs salariés d'investir dans des opérations d'actionnariat
salarié en bénéficiant d'un prêt bancaire
complémentaire sans intérêt.
Cet " effet de levier " ou " effet multiplicateur " permet
d'augmenter l'épargne salariale affectée à la souscription
d'action. Le prêt complémentaire permet de financer une
souscription pour dix fois son montant (cas des opérations
" Spring " de Suez-Lyonnaise des Eaux ou " Pégase "
de Vivendi).
Ce financement s'accompagne le plus souvent d'une garantie de capital ou de
performance. En contrepartie, le banquier se rémunère (prêt
et " garantie ") en conservant une partie de la plus-value
réalisée par l'action, mais supporte l'intégralité
du risque en capital.
Une
opération à " effet de levier " :
l'exemple de l'opération " Pégase " de Vivendi en mars
1999
Le
" Plan d'épargne groupe à souscription exceptionnel "
(PEGASE) mis en place par le groupe Vivendi comprend trois niveaux de
souscription (1.000, 2.000, 4.000 francs), payables de manière
échelonnée et sans frais pendant 20 mois. Cet apport est
aidé par l'entreprise à travers un abondement uniforme de 500
francs. Cette somme initiale (apport du salarié et abondement de
l'entreprise) sert à financer une souscription d'actions pour dix fois
son montant au moyen d'un prêt bancaire sans intérêt.
L'opération proposée aux salariés est sans risque de perte
en capital pour le salarié puisque l'entreprise garantit une
rémunération de 5 % par an de la mise initiale en cas de
baisse ou de stabilité du titre. Si l'action a dépassé
cette rémunération, la plus-value réalisée au bout
de cinq ans est partagée entre le salarié actionnaire (60 %)
et la banque conseil qui assure la prise en charge du risque (40 %).
Dans son rapport 1998, la COB observe que, dans le cadre d'une opération
à effet de levier ou non,
" les FCPE assortis d'une garantie de
capital et/ou de performance ou d'une protection du capital sont de plus en
plus nombreux et sophistiqués ".
Ces " garanties " peuvent d'ailleurs être dissociées des
opérations à effet de levier. Ainsi, Carrefour a mis en place un
FCPE composé exclusivement d'actions Carrefour, avec garantie de capital
à l'issue du blocage de 5 ans. Les possibilités de souscription
dans ce fonds sont néanmoins limitées, la direction
décidant de l'ouverture de fenêtres de souscription.
•
L'épargne salariale à long terme, investie
notamment en titres de l'entreprise, progresse.
Face aux sombres perspectives du système français de
retraite
12(
*
)
, de nombreux
salariés ont estimé que l'épargne salariale pouvait
permettre de se constituer un capital, susceptible d'être, à
partir de la retraite, utilisé comme complément de retraite. Pour
répondre à cette demande,
plusieurs entreprises ont mis en
place des plans d'épargne entreprise à long terme
. La
COB
13(
*
)
observe à ce
propos que
" les entreprises sont de plus en plus nombreuses à
recourir aux mécanismes de l'épargne salariale et à donner
la possibilité aux salariés de transformer celle-ci en
épargne longue. Ainsi, des gammes de " FCPE retraite "
ont-elles été proposées aux salariés de nombreuses
entreprises, dans le cadre de plans d'épargne d'entreprise à long
terme, comportant une durée de blocage des avoirs pouvant aller
jusqu'à 30 ans ".
Parmi ces entreprises, on peut citer Usinor, PSA Peugeot-Citroën, la
Sagem, Rhône-Poulenc ou Saint-Gobain.
-
Usinor
a ainsi mis en place, à la suite d'un accord
paritaire en 1988, un FCPE bloqué 10 ans afin de permettre aux
salariés de se constituer, à titre individuel, un
complément de retraite. Ce FCPE est le seul dont les versements du
salarié soient abondés par l'entreprise. Environ 5.000
salariés effectuent des versements réguliers sur ce FCPE.
-
Saint-Gobain
a scindé, en 1997, le FCPE gérant les
avoirs du PEG en deux FCPE. L'un de ces FCPE est un plan à 10 ans qui a
pour objectif de permettre aux salariés qui le souhaitent de se
constituer une épargne à long terme notamment en vue du
départ à la retraite. Les versements sur ce FCPE sont plus
fortement abondés par l'entreprise que ceux sur le FCPE à
5 ans.
-
PSA
a créé en 1999 un plan d'épargne
à long terme d'une durée de 40 ans. L'abondement de l'entreprise
est de 50 % dans la limite de 15.000 francs par salarié, abondement
plus élevé que celui prévu dans le cadre du PEE
préexistant : 3.500 salariés (sur 90.000) ont
adhéré à ce plan d'épargne à long terme.
Or, le développement de l'épargne salariale à long terme
n'est pas sans effet sur celui de l'actionnariat salarié car cette
épargne est en partie investie en titres de l'entreprise.
La
Sagem
a créé un FCPE " long terme " d'une
durée de blocage de 8 à 10 ans, ce fonds étant
majoritairement investi en actions de l'entreprise.
En 1997,
Rhône-Poulenc
a créé, parallèlement
au PEE existant et par voie d'accord collectif, un plan d'épargne long
terme composé de fonds diversifiés avec un blocage de 8 ans. Les
versements du salarié sont abondés par l'entreprise, l'abondement
étant obligatoirement investi pendant 5 ans en actions de l'entreprise.
•
Les plans d'options sur actions commencent à se
" démocratiser ".
Selon une récente enquête de la DARES
14(
*
)
, la moitié des entreprises
cotées en bourse utilisent des stock-options.
Mais ce développement des stock-options témoigne également
de l'amorce d'un mouvement de généralisation. Traditionnellement
réservées aux cadres dirigeants et aux cadres, elles ne
répondaient qu'imparfaitement à la logique participative de
l'actionnariat salarié qui suppose que l'ensemble du personnel ait la
possibilité de devenir actionnaire de son entreprise.
Cette
conception élitiste tend à s'estomper
:
désormais, comme l'observe la DARES, "
15 % des entreprises
attribuent des actions à tout leur personnel
"
et
" cette pratique semble se diffuser dans les services ".
Les stock-options semblent en effet devenir un moyen d'attirer et de
fidéliser les salariés. Plus encore, dans les entreprises de
croissance, elles sont un instrument de la politique salariale : ces
entreprises étant jeunes et ne réalisant bien souvent qu'un
faible résultat, elles ne peuvent offrir à leurs salariés
un salaire équivalent à celui du marché. Aussi, elles leur
attribuent des stock-options qui peuvent être conçus à la
fois comme un salaire différé et une rémunération
du risque.
Dès lors, cette nouvelle politique d'attribution des stock-options
permettrait sinon de raffermir l'actionnariat salarié, du moins de faire
progresser l'actionnariat salarié latent.