N° 500

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30 juin 1999

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 1999

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le développement de l' actionnariat salarié,

Par M. Jean CHÉRIOUX,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Simon Loueckhote, Jacques Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.


Participation.

LISTE DES TABLEAUX ET ENCADRÉS

PREMIÈRE PARTIE

 

La société d'actionnariat salarié

23

Les PEE

25

Les fonds communs de placement d'entreprise

27

Participation

30

Intéressement

31

Plan d'épargne entreprise

31

Modes d'affectation de la réserve spéciale de participation

35

 
 

DEUXIÈME PARTIE

 

Fréquence de l'actionnariat dans les entreprises pratiquant au moins
un système de partage du profit en 1996


41

Actionnariat salarié dans les entreprises du CAC 40

42

Pourcentage du capital social détenu par les salariés dans les firmes
pratiquant l'actionnariat couplé à un système de partage de profit


43

Part des émissions réservées aux salariés dans les émissions de titres
de capital


44

Evolution du nombre et de l'encours des FCPE

45

Evolution des actifs des FCPE

45

Versements et rachats sur les FCPE

46

Une opération à " effet de levier " : l'exemple de l'opération " Pégase " de Vivendi en mars 1999


49

Les arguments avancés par les entreprises en faveur de l'actionnariat
des salariés


52

Les arguments des salariés en faveur de l'actionnariat salarié

54

Performance des FCPE au 30 décembre 1998

56

L'information des salariés actionnaires : l'exemple de la Société Générale

57

Les " plans d'actionnariat " prévus par la loi du 27 décembre 1973

60

Le fonctionnement des plans d'options sur actions

61

Privatisation et actionnariat salarié

62

 
 

TROISIÈME PARTIE

 

L'actionnariat salarié aux Etats-Unis

73

L'information des salariés lors d'opérations d'actionnariat salarié

80

Le Conseil supérieur de la participation

89

La proposition de loi relative à l'actionnariat des salariés présentée par MM. Balladur, Debré, Douste-Blazy et Rossi


91

Epargne salariale et épargne retraite : l'analyse de la Cour des comptes

108

" En vérité, la rénovation économique de la France et, en même temps, la promotion ouvrière, c'est dans l'Association que nous devons les trouver. "

Charles de Gaulle, discours prononcé à Saint-Etienne le 4 janvier 1948.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Constatant le développement de l'actionnariat salarié et anticipant les implications profondes de ce mouvement, votre commission des Affaires sociales a confié, le 6 avril dernier, à votre rapporteur la mission de présenter " une analyse du développement actuel de l'actionnariat salarié, des moyens de mieux appréhender ce phénomène et ses implications, ainsi que les mesures susceptibles de favoriser cette évolution ".

Au terme de ce travail, ponctué notamment par un important programme de consultations (32 auditions et de nombreuses contributions écrites), le présent rapport d'information cherche à dresser un bilan aussi objectif et exhaustif que possible de la situation de l'actionnariat salarié. C'est au regard de ce bilan que votre rapporteur a formulé 28 propositions pour favoriser le développement organisé de l'actionnariat salarié.

Un tel accompagnement du mouvement actuel apparaît en effet nécessaire.

Sous l'action de la mondialisation, les économies tendent à devenir un gigantesque " monopoly " qui ne tient aucun compte du fait fondamental que les entreprises sont constituées d'hommes et de femmes qui y consacrent le plus souvent une grande partie de leur vie et leur apportent leur travail, leur savoir-faire, leur talent, leur habileté et leur dévouement.

L'avenir de ces entreprises et de leurs salariés ne peut dépendre uniquement de préoccupations strictement financières. Il est donc indispensable d'associer le personnel non seulement aux résultats de l'entreprise ou à la détermination des conditions de travail, mais aussi en lui donnant la possibilité de peser sur le destin de son entreprise.

C'est l'ambition de l'actionnariat salarié.

Le XIX ème siècle a été celui de l'affrontement entre le capital et le travail.

Le XX ème siècle celui de la normalisation des rapports sociaux grâce au développement des syndicats et des politiques contractuelles, puis, dans sa deuxième partie, celui de la découverte des solidarités au sein de l'entreprise à travers la participation.

Le XXI ème siècle doit être celui de l'association du capital et du travail grâce à la détention d'une partie du capital par les salariés. C'est la seule voie qui permette aux entreprises de notre pays de ne pas sombrer dans l'anonymat des rapports sociaux et, de surcroît, de ne pas succomber à une domination des groupes financiers internationaux.

I. LES FONDEMENTS D'UN ESSOR

L'actionnariat salarié n'est pas une idée neuve en France. Depuis le milieu du XIX ème siècle, il est en effet apparu comme une réponse à la " question sociale " née avec l'essor de la société industrielle. Imaginé par des théoriciens, expérimenté par des chefs d'entreprises, relayé par le législateur, l'actionnariat salarié n'est cependant devenu une réalité vivante que dans le cadre de la politique de la participation voulue par le Général de Gaulle.

Mais, si la France est aujourd'hui en avance en matière de participation des salariés 1( * ) , il n'en reste pas moins que l'actionnariat des salariés est longtemps resté le " parent pauvre " de la " participation à la française ". La participation au capital, en dépit de la multiplication de dispositifs législatifs, était en retrait par rapport à la participation des salariés aux résultats et à la gestion des entreprises.

Les privatisations et les ordonnances de 1986 ont cependant donné un " coup de fouet " à l'actionnariat salarié, dont le développement connaît aujourd'hui une nouvelle accélération.

A. UNE PRÉOCCUPATION ANCIENNE QUI S'INSCRIT DANS LA LOGIQUE DE LA PARTICIPATION

Si les origines de l'actionnariat salarié sont lointaines, celui-ci ne s'est pourtant intégré dans le paysage économique et social qu'en s'inscrivant dans la politique de la participation voulue par le Général de Gaulle.

1. Des origines lointaines

Ce n'est pas un hasard si l'idée de l'actionnariat salarié est née au XIX ème siècle, avec l'émergence de la " question sociale ". L'apparition de la société industrielle a en effet sécrété un antagonisme durable entre le travail et le capital, symbolisé par la notion de contrat de louage de services à laquelle étaient réduites les relations du travail. A cette opposition stérile et menaçante née de la sujétion dans laquelle se trouvent placés les salariés, certains ont cherché à substituer à cette relation conflictuelle une relation de solidarité dans l'entreprise, dans le but de transformer les travailleurs, de salariés qu'ils sont, en partenaires ou en associés qu'ils doivent devenir.

Cette apparition du thème de l'actionnariat salarié s'est faite en trois temps. A la suite des réflexions de plusieurs théoriciens, certains chefs d'entreprise ont lancé des expériences d'actionnariat des salariés avant que le législateur ne prévoit un cadre législatif pour ces formules.

a) Le temps des théories

Initialement, l'actionnariat salarié est apparu comme une réponse théorique aux contradictions de l'économie capitaliste naissante. Mais, paradoxalement, c'est également le point de rencontre de différentes doctrines aux orientations politiques divergentes même si l'ampleur de l'association entre capital et travail reste variable selon ces différentes doctrines. Schématiquement, on peut en effet distinguer trois courants théoriques :

- le courant " utopiste " est sans doute le plus radical. Il propose de dépasser l'opposition entre capital et travail par une nouvelle organisation de la relation salariale fondée sur l'association. Ainsi, Charles Fourier avait préconisé le partage des revenus en quatre douzièmes pour le capital, trois pour les talents et cinq pour le travail. Louis Blanc dans son ouvrage L'organisation du travail en 1840 , propose la création d'ateliers sociaux financés par l'Etat et par le capital privé dans lesquels les bénéfices seraient répartis en trois parts : l'une pour les membres de l'association, l'autre à vocation sociale, la dernière pour la rémunération des capitaux privés. Pierre-Joseph Proudhon a sans doute poussé le plus loin l'idée d'association dans sa théorie mutualiste et fédéraliste de la propriété. Ainsi, dans son Idée générale de la révolution au XIX ème siècle , il écrit : " De deux choses l'une : ou le travailleur, nécessairement parcellaire, sera simplement le salarié du propriétaire capitaliste-entrepreneur ; ou bien il participera aux chances de perte et de gain de l'établissement, il aura voix délibérative au conseil, en un mot, il deviendra associé ".

- le courant " humaniste " exprime l'idée que la participation permet d'assurer la dignité de l'homme au travail. Il est proche de la doctrine sociale de l'Eglise qui a recommandé l'association des salariés dans l'entreprise dès l'Encylique Rerum novarum de Léon XIII en 1891.

- le courant " productiviste " fait de la participation aux résultats, voire de l'association au capital un facteur d'amélioration quantitative et qualitative des résultats de l'entreprise par la motivation des salariés et est illustré notamment par les saint-simoniens comme Michel Chevalier, Armand Bazard ou Prosper Enfantin.

La richesse du débat théorique ne doit cependant pas cacher la virulence de l'opposition à l'idée d'association. A Proudhon qui affirme, dans son Manuel d'un spéculateur à la Bourse , que " rendre l'ouvrier copropriétaire de l'engin industriel et participant aux bénéfices au lieu de l'y enchaîner comme un esclave, qui oserait dire que telle ne soit pas la tendance du siècle ? ", Paul Leroy-Beaulieu répond, dans La question ouvrière au XIX ème siècle , que " le régime des primes est infiniment supérieur au régime de la participation. Il en offre tous les avantages et en repousse tous les inconvénients ; il stimule l'ouvrier par la perspective d'un gain assuré, il ne lui fournit aucun prétexte d'immixtion dans la gestion de l'entreprise ".

Aussi, ce sont ces oppositions qui permettent de mieux comprendre le faible nombre et la lenteur des expériences d'actionnariat des salariés.

b) Le temps des expérimentations

Les premières expériences d'actionnariat des salariés apparaissent dans la seconde moitié du XIX ème siècle.

La plus symbolique, mais aussi la plus durable de ces expériences fut sans nul doute le familistère fondé par Jean-Baptiste Godin à Guise, dans les Ardennes, en 1859. Disciple des thèses de Fourier, Godin a voulu créer une nouvelle industrie pour " salarier le capital et capitaliser le travail ". Il a ainsi créé une usine de poêles en fonte -qu'il a nommée le familistère à l'image du phalanstère fourieriste- dans lequel les ouvriers sont associés. Ce familistère dura jusqu'en 1968.

Au-delà de cette expérience particulièrement poussée d'association, cette époque a été marquée par les pratiques de certains patrons philanthropes. Ainsi, MM. Alain Couret et Gérard Hirigoyen 2( * ) citent l'exemple des grands magasins.

" A la mort d'Aristide Boucicaut, fondateur des " magasins du Bon Marché ", sa veuve constitue en 1880 une commandite simple avec ses collaborateurs et ses principaux employés. Ce n'est certes pas de l'actionnariat mais il y a bien cumul des conditions d'associé et de salarié ; très vite au demeurant, la société deviendra une commandite par actions.

" Jaluzot, fondateur des magasins du " Printemps " devait pour sa part procéder de manière plus autoritaire : les salariés de la société durent se porter acquéreurs d'actions de la société libérées par prélèvement obligatoire sur leurs salaires. "


Cette pratique de certaines chefs d'entreprises a d'ailleurs perduré, tout en perdant son aspect moralisateur initial pour devenir progressivement un moyen d'intégration des salariés dans l'entreprise. Ainsi, Paul Ricard distribuera gratuitement en 1939 une partie du capital de sa société à ses salariés.

Ces expériences restèrent cependant à la fois très différentes et relativement peu nombreuses. C'est cela qui explique sans doute que le législateur ait cherché à encadrer par la loi ces pratiques afin d'harmoniser ces différentes expériences et d'accompagner ce mouvement.

c) Le temps de la première reconnaissance législative

Cette consécration législative a pris deux formes :

La loi du 18 décembre 1915 réglementant les sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP).

Cette loi visait à réglementer les sociétés coopératives dont l'origine remonte à la seconde République et aux débuts du second Empire.

La coopération relève cependant d'une logique différente de celle de la participation et de l'actionnariat salarié : il ne s'agit pas en effet, dans le mouvement coopératif, d'associer le travail et le capital mais de les fusionner La propriété y est commune, le pouvoir exercé de manière démocratique appartient aux salariés et les profits sont répartis entre eux.

La loi " Briand " du 26 avril 1917 créant les sociétés anonymes à participation ouvrière.

Cette loi se rapprochait plus de la logique d'actionnariat salarié et de participation. Elle introduisit la possibilité de distribuer gratuitement des actions aux salariés, sans toutefois leur accorder le droit de vote.

En pratique, ces sociétés anonymes à participation ouvrière distribuaient deux types d'actions : les actions de capital, qui sont des actions ordinaires et les actions de travail, qui sont la propriété collective du personnel salarié.

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