CHAPITRE V
TVA ET DES DROITS D'ACCISE
Dès les premières années de la
construction
européenne, la nécessité de doter tous les pays membres
d'instruments de fiscalité indirecte comparables pour éviter les
distorsions de concurrence dans le Marché commun a été
mise en avant. Elle s'est traduite par l'adoption
généralisée du système de TVA, puis par les
premières directives d'harmonisation des assiettes dans les
années soixante-dix. A la suite de l'Acte unique européen,
l'harmonisation des fiscalités indirectes des Etats membres a
constitué l'une des priorités de la Commission européenne
qui craignait que des différences trop marquées entraînent
d'importants détournements de trafics dans les échanges de biens
et services. Pourtant, les progrès de l'harmonisation des
fiscalités indirectes ont été modestes, sans que cela
entraîne, apparemment du moins, de graves distorsions dans un
marché européen des biens et services désormais
unifié.
Il apparaît notamment que peu de progrès ont été
accomplis en matière d'harmonisation des accises, dont l'importance n'a
pourtant cessé de croître au cours des années
récentes et qui sont susceptibles d'engendrer des distorsions de
concurrence potentiellement beaucoup plus grandes que celles résultant
des différences de taux de TVA, en raison de leur
non-déductibilité pour les entreprises -- notamment en ce qui
concerne les taxes sur les produits pétroliers. En outre, la tendance
actuelle à la mise en place d'une fiscalité " écologique
", qui pèsera également sur les coûts de production,
nécessiterait aussi un effort d'harmonisation, si l'on veut
éviter une concurrence fiscale sur ces nouveaux instruments.
Faut-il continuer sur la voie de l'harmonisation et rapprocher davantage encore
les taux d'imposition ? Par son projet de régime général
de circulation des marchandises, la Commission européenne a
déjà permis de franchir une étape substantielle : les
produits soumis à accise sont suspendus de droits jusqu'à leur
consommation. Les accises sont donc acquittées dans le lieu de vente au
détail, selon la taxe prévu dans ce pays (système
d'imposition au lieu de consommation). Dans le cadre d'une fiscalité
différenciée en taux, ce système est ainsi neutre pour les
producteurs et intermédiaires, même s'il provoque une contrebande
près des frontières. Un système d'imposition au lieu
d'origine des produits supprimerait cette incitation à la fraude et
exigerait de chaque Etat la prise en compte de l'impact de ses taux propres sur
la compétitivité-prix de ses industries. Il pourrait bien
évidemment déboucher aussi sur une concurrence fiscale excessive.
Pour se prononcer sur la question d'une harmonisation supplémentaire,
encore faut-il préciser la fonction de ce type d'impôt. Les
accises peuvent remplir deux objectifs : d'une part rapporter des recettes
fiscales à l'Etat qui doit alors taxer des produits dont la consommation
est inélastique pour engendrer un minimum de distorsions (règle
de Ramsey) ; d'autre part, tenir compte d'objectifs de santé publique ou
d'impact sur l'environnement. Bien évidemment, les deux objectifs
peuvent apparaître inconciliables, puisque par définition, la
taxation d'un produit inélastique ne provoque pas (ou très peu)
de baisse de la consommation.
La première partie de ce chapitre fait brièvement le point sur
l'harmonisation de la TVA dans l'Union européenne. La deuxième
présente un état des lieux international des droits d'accises. La
prise en compte de la très grande
hétérogénéïté de ces droits constitue
un élément décisif du débat. Par la suite, nous
étudierons les effets de ces droits sur la consommation de ces produits
(III) et sur les structures de production (IV).
I. LA TVA
Les
négociations d'harmonisation des fiscalités indirectes dans l'UE,
à la fin des années quatre-vingt, n'ont abouti qu'à la
définition d'un régime " transitoire " pour la TVA, qui
détermine des règles communes pour le nombre de taux -- un taux
normal et un taux réduit, avec, dans la plupart des pays, un taux "
super-réduit " ou taux zéro pour les produits
considérés comme devant être aidés --, le classement
des produits selon les taux, et fixe des taux planchers -- respectivement 15%
et 5%. Cet accord minimal, qui a fait disparaître les taux
majorés, permet d'éviter la concurrence fiscale par la baisse des
taux tout en laissant aux Etats la liberté de les ajuster à la
hausse en cas de besoin, ce qui s'est produit pour la plupart d'entre dans les
années quatre-vingt-dix pour faire face à la
détérioration des équilibres des finances publiques ou
dans le cadre de réformes fiscales nationales réduisant le poids
des prélèvements directs pour accroître celui des indirects.
Depuis 1993, date d'introduction de l'actuel régime " transitoire " de
TVA (voir encadré 1), la situation dans la Communauté n'a que peu
évolué. Initialement, il était prévu qu'au 1er
janvier 1997, le régime " transitoire " soit remplacé par un
régime définitif, fonctionnant selon le principe de l'origine.
Mais les mécanismes de compensation fondés sur les données
macroéconomiques de consommation proposés par la Commission
étant complexes et les propositions visant à égaliser les
taux de TVA étant peu susceptibles d'approbation étant
donné les contraintes budgétaires des différents Etats,
c'est le statu quo qui prévaut.
Aujourd'hui le projet est semble-t-il en sommeil. En juillet 1996, la
Commission a proposé un programme de travail qui visait à faire
progresser l'Union vers un système commun de TVA. Il était
question de rediscuter à des dates fixes des principes de fonctionnement
commun du système (1997) (définition des personnes assujetties,
conditions d'exemptions, de droits à déduction etc.), de la
détermination du lieu de taxation et du mode de compensation (1998) et
de l'harmonisation des taux (1999). A l'heure actuelle, les discussions sur le
système commun de TVA n'ont toujours pas repris. Le fait est que la TVA
n'a pas été un domaine propice à la concurrence, ce qui
explique peut-être le peu d'empressement des Etats à aller vers
une plus grande harmonisation. En effet, la tendance entre 1990 et 1999 a
plutôt été à la hausse des taux (Tableau 1) et des
recettes. Soumis à l'obligation d'assainissement des finances publiques,
les Etats membres n'auraient eu d'autre choix que d'augmenter les taux de TVA,
le travail étant déjà fortement mis à contribution
et le capital constituant a priori la base la plus mobile. Une telle tendance
ne signifie cependant pas que les différentiels de taux de TVA n'ont
aucun effet sur les comportements. Le rapport de la Cour des comptes des
Communautés européennes estime à 70 milliards d'euros par
an la fraude (mise en place de réseaux d'exportation fictifs pour
bénéficier des exonérations de TVA sur le marché
national etc..) à la TVA. Mais le commerce transfrontalier ne
représente pour l'instant que 5% de l'ensemble des échanges
intra-européens et rien n'indique que les individus aient pris
conscience de l'ensemble des possibilités d'arbitrage.
1. Evolution des taux de TVA normaux entre 1990 et 1998
|
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1998 |
Allemagne |
14 |
14 |
14 |
15 |
15 |
15 |
15 |
16 |
Autriche |
20 |
20 |
20 |
20 |
20 |
20 |
20 |
20 |
Belgique |
19 |
19 |
19,5 |
19,5 |
20,5 |
20,5 |
21 |
21 |
Danemark |
22 |
22 |
25 |
25 |
25 |
25 |
25 |
25 |
Espagne |
12 |
12 |
13 (1) /15 (2) |
15 |
15 |
16 |
16 |
16 |
France |
18,6 |
18,6 |
18,6 |
18,6 |
18,6 |
20,6 |
20,6 |
20,6 |
Finlande |
- |
- |
- |
- |
22 |
22 |
22 |
22 |
Grèce |
18 |
18 |
18 |
18 |
18 |
18 |
18 |
18 |
Irlande |
23 |
21 |
21 |
21 |
21 |
21 |
21 |
21 |
Italie |
19 |
19 |
19 |
19 |
19 |
19 |
19 |
20 |
Luxembourg |
12 |
12 |
15 |
15 |
15 |
15 |
15 |
15 |
Pays-Bas |
18,5 |
18,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
Portugal |
17 |
16 |
16 |
16 |
16 |
17 |
17 |
17 |
Royaume-Uni |
15 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
17,5 |
Suède |
23,46 |
23,46 |
25 |
25 |
25 |
25 |
25 |
25 |
Source
: Commission européenne,
European Tax
Handbook
, IBFD publication 1998.
(1) A partir du 1/1/1992.
(2) A partir du 1/8/1992.
L'ensemble des propositions de la Commission en matière
de
réforme de la fiscalité indirecte a été
guidé par un objectif : la suppression des entraves à
l'échange de biens et des services, de sorte que les transactions au
sein de la Communauté et à l'intérieur d'un même
pays membre soient traitées de façon identique.
Dans cette perspective, une première directive en 1967 imposait à
tous les Etats membres d'adopter le système de TVA et d'abandonner les
autres formes d'imposition (taxes sur les ventes etc.). La sixième
directive en 1977 posait les premiers jalons d'une unification des
règles d'assiette de la TVA (matière imposable, règles
d'évaluation, exonérations), de définition des assujettis,
du mode de liquidation et de paiement. Cette directive ne prévoyait
cependant pas de règles communes quant à la fixation des taux.
Le régime d'imposition, qui régit les échanges
intra-communautaires entre entreprises depuis l'adoption des premières
directives, s'appuie sur le principe de destination : les produits sont
exportés au taux zéro et sont taxés au taux du pays
d'accueil. Autrement dit, les échanges s'effectuent hors taxes. Par
exemple, une entreprise française qui achète un bien en Italie ne
paiera pas la TVA italienne. En revanche, ce bien consommé en France
supportera le taux de TVA français. Le bien est donc imposé dans
le pays dans lequel il est consommé et le taux de taxe qui grève
les opérations réalisées dans un même pays est
unique et ce quelle que soit l'origine du produit. Ce système permet de
supprimer les distorsions de concurrence dues au différentiel de taux de
TVA, mais la présence des formalités administratives de
contrôle (une entreprise pour bénéficier du taux
zéro à l'exportation doit apporter la preuve de son exportation)
constitue toujours une entrave aux échanges.
Afin de traiter sur un même plan les transactions au sein de la
Communauté et à l'intérieur d'un même pays membre,
la Commission européenne a proposé dès 1987 d'appliquer le
principe de l'origine à l'ensemble des échanges
intra-communautaires. Selon ce principe, le taux payé sur un bien
dépend du pays dans lequel ce bien est produit et non plus du pays dans
lequel il est consommé. Si l'on reprend l'exemple
précédent, l'entreprise française paierait la TVA
italienne au gouvernement italien et le consommateur français
supporterait sur ce même bien la TVA française. Dans la mesure
où l'entreprise peut récupérer la TVA payée sur ses
achats, la compétition n'en est pas affectée. En revanche, ce
principe modifie la répartition des recettes dans les différents
Etats membres et devrait donc être accompagné d'un
mécanisme de compensation budgétaire. De même, les
différences de taux étant susceptibles d'inciter les non
assujettis à s'approvisionner dans les pays ayant les taux de TVA les
plus faibles, il était prévu d'harmoniser les taux de TVA.
Devant les réticences des Etats membres, c'est un régime dit
" transitoire " (directive du 16 décembre 1991) qui a
été mis en place en 1993, date à laquelle les
frontières ont été supprimées. Les échanges
intra-communautaires pour les assujettis s'effectuent toujours hors taxes, mais
la TVA est due non pas au moment du passage en douane mais à partir de
la réception des marchandises dans le pays de destination. Les
mécanismes de contrôle n'ont donc pas été
supprimés mais modifiés, ce qui laisse entier le problème
du traitement différentié des échanges intra- et
inter-Etats membres.
Pour ce qui est des non-assujettis à la TVA (particuliers,
administrations, etc.), leurs achats étaient, antérieurement
à 1993, soumis à des contrôles aux frontières.
Depuis leur suppression, ces consommateurs peuvent acheter librement dans le
pays de leur convenance au taux en vigueur dans ce pays et donc
bénéficier du différentiel de taux de TVA entre les pays.
Des garde-fous ont cependant été mis en place pour ce qui est des
achats de moyens de transports neufs, des ventes par correspondance et pour les
ventes à certains non assujettis (associations, médecins etc.).
Par ailleurs, la Commission a fixé des minimums pour les taux de TVA
(directive du 19 octobre 1992) : 15 % pour le taux normal et 5 % pour
le taux réduit. Les Etats membres sont cependant autorisés
à appliquer deux taux " super-réduits " sur une liste de produits
prédéfinis. Certains biens qui n'apparaissent pas dans cette
liste peuvent cependant être taxés à un taux réduit
n'excédant pas 12% s'ils étaient taxés au taux
réduit avant 1991. Enfin, les biens taxés à moins de 5%
avant 1991 peuvent continuer à l'être à ces taux.