C. LES PROPOSITIONS CONCERNANT LA LOCALISATION DE L'ÉPARGNE FINANCIÈRE
La libre
circulation des capitaux est effective depuis le 1er juillet 1990. Dès
lors, rien n'empêche le résident d'un Etat membre de l'Union
européenne d'investir son épargne dans un autre Etat membre. Or,
comme nous l'avons vu, le régime fiscal des produits de l'épargne
est très différent d'un pays à l'autre. Se trouve par
conséquent posée la question de l'impact de la fiscalité
sur les décisions d'investissement des épargnants. Deux exemples
permettent d'en saisir les enjeux. L'expérience de l'Allemagne montre
bien que si un pays met en place une retenue à la source de façon
unilatérale, le risque est grand qu'il soit soumis à un mouvement
de délocalisation de capitaux. Ainsi, confrontée à une
fuite de capitaux vers le Luxembourg, l'Allemagne a dû supprimer en mai
1989 la retenue à la source au taux de 10% qu'elle avait introduite en
janvier 1989 sur les intérêts des placements à revenus
fixes versés au résidents et non-résidents d'Allemagne .
Il en est de même pour la Belgique qui a dû renoncer à une
retenue à la source sur les intérêts au taux de 25 % . En
outre, si l'on considère le cas de la France, un certain nombre
d'indicateurs montrent qu'il existe des déplacements de capitaux
notamment vers le Luxembourg (Gutman et Lefèvre, 1999). Il semble ainsi
que l'augmentation des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur
l'épargne sur la période récente ait conduit à une
très forte augmentation (+ 330 % de 1993 à 1996) de la part
souscrite par les Français dans les contrats d'assurance-vie
Luxembourgeois. Par ailleurs, les services fiscaux ont constaté
l'existence de réseaux de démarchage qui proposent, de
manière frauduleuse, des placements sur des produits d'assurance-vie au
Luxembourg en franchise d'impôt. Enfin, les services des douanes
relèvent que le nombre d'infractions annuelles à l'obligation de
déclarer des transferts de capitaux, dès lors que le montant des
fonds transférés est supérieur à 50 000 F, a
considérablement augmenté (+78 % en quatre ans).
Jusque à une période récente, le risque de
délocalisation a conduit les différents Etats, comme nous l'avons
vu, à exonérer de fait les produits de l'épargne.
Rappelons brièvement qu'il existe deux façons pour des Etats de
préserver leur faculté de taxer les revenus de l'épargne
sans être exposés à des délocalisations massives. La
première suppose que tous les Etats adoptent le principe de
résidence. L'adoption de ce principe présente l'avantage de ne
pas atteindre à la souveraineté des Etats membres et ne
nécessite pas d'harmonisation fiscale car, par définition, les
choix de placements des agents économiques ne sont pas affectés
par la fiscalité. En revanche, il suppose, pour être
appliqué, que les Etats aient connaissance des revenus perçus
à l'extérieur par leurs résidents. Or, un certain nombre
de pays sont attachés au secret bancaire et il n'existe pas de
collaboration étroite entre les administrations fiscales des
différents Etats membres, de sorte qu'un tel un système
favoriserait l'évasion fiscale à l'échelle
européenne et plus généralement à l'échelle
internationale.
Une solution alternative à l'application du principe de résidence
consiste à instaurer une retenue à la source pour tous les Etats
membres. Il existe deux possibilités de mise en oeuvre de cette retenue.
Soit le produit de cette retenue reste dans le pays de la source, ce qui est
difficilement justifiable, soit il est restitué au pays de
résidence du bénéficiaire. Mais, outre le fait que ce
système ne règle en rien le risque de délocalisations vers
des pays extérieurs à l'Union européenne, il suppose, dans
ce dernier cas, non seulement un système d'échange d'informations
efficace entre les établissements bancaires et l'administration fiscale
du pays où est perçu le revenu, mais aussi une coopération
accrue entre les administrations fiscales des différents Etats, qui est
difficile à imaginer actuellement.
Le projet de directive présenté par la Commission
européenne, lors du Conseil Ecofin du 5 juin 1998, a pour objectif
d'instaurer une imposition minimale pour les résidents personnes
physiques. Ce projet est fondé sur le principe de coexistence selon
lequel chaque Etat membre devra soit appliquer une retenue à la source
de 20 %, soit communiquer aux autres Etats membres des informations concernant
ces revenus. Ce choix est rendu possible parce que la retenue à la
source ne suppose pas une restitution d'impôts au pays de
résidence du bénéficiaire.
Ce projet, même s'il constitue une nouveauté par rapport
à la proposition de retenue à la source faite en 1989, fait
clairement apparaître des divergences de point de vue entre des pays
comme le Luxembourg ou l'Autriche, pour lesquels l'échange
d'informations pose problème en raison de dispositions
législatives et constitutionnelles, et des pays comme le Danemark ou les
Pays-Bas qui ne connaissent pas le secret bancaire pour des raisons fiscales et
pour lesquels une retenue à la source est un pas en arrière. En
effet, les pays qui privilégient l'échange d'informations sont
aussi les pays qui imposent les intérêts versés au taux
marginal d'imposition sur le revenu, ce dernier étant
généralement plus élevé que le taux de la retenue
à la source. Ces pays sont par conséquent peu favorables à
l'adoption d'une retenue à la source qui leur ferait perdre, au mieux un
montant d'impôt correspondant à l'écart entre le taux
marginal d'imposition sur les revenus et celui de la retenue à la
source, au pire (s'ils n'adoptent pas le système de la source) les
recettes dues à l'évasion fiscale de l'épargne de leurs
résidents. A l'inverse, des pays comme le Luxembourg ont
intérêt à adopter la retenue à la source. Il est
clair que le choix proposé par la Commission n'est pas neutre. En effet,
se pose un problème de crédibilité : des pays comme le
Luxembourg qui n'ont jamais remis en cause le secret bancaire sont de fait des
leaders dans la négociation, les autres Etats ne pouvant in fine que
s'aligner sur le choix de ces pays. Là encore, seule la remise en
question de la règle à l'unanimité permettrait
d'infléchir cette évolution.
Enfin, se pose la question du taux de retenue à la source. Les
Luxembourgeois y sont favorables, compte tenu des arguments déjà
développés, mais la souhaitent la plus faible possible. En
revanche, un pays comme la France souhaite que la retenue minimale soit de
l'ordre de 25 % tandis que Mario Monti plaide en faveur d'une retenue minimale
de 20 %. Le choix de ce taux est clairement très important, dans la
mesure où la mobilité des capitaux devrait conduire de fait
à une convergence des taux sur le taux minimum, ce qui signifie, certes,
une perte de souveraineté pour les Etats mais leur permet cependant de
sauvegarder un minimum de recettes fiscales. A cet égard, il semble que
la Commission ait désormais choisi de revenir périodiquement
à la charge afin d'imposer une retenue à la source qui
permettrait d'éviter une défiscalisation des revenus de
placements.